IWFA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité spécial sur la violence faite aux femmes autochtones
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 21 novembre 2013
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Je souhaite à nouveau la bienvenue à toutes et à tous, et en particulier à Mme Audette.
Bonjour Michèle. Je ne sais pas où se trouve la caméra pour les prises de vue, mais me voilà, je vous fais signe de la main. Soyez la bienvenue.
Encore une fois, bienvenue à notre témoin experte de l’Association des femmes autochtones du Canada, que nous remercions d’être des nôtres aujourd’hui.
Je crois que vous nous appelez de Sept-Îles, n’est-ce pas?
Voilà qui est merveilleux, et nous, qui vous souhaitons la bienvenue, sommes à l’édifice La Promenade; et nous sommes tout ouïe. Comme vous l’aura déjà annoncé notre greffier, nous avons fusionné le thème de l’assistance en première ligne et celui de la prévention de la violence contre les femmes autochtones. C’est pourquoi nous sommes extrêmement désireux d’entendre ce que vous avez à nous dire aujourd’hui.
Tout comme la première fois, je vous demande de prendre tout le temps nécessaire à votre présentation. S’il nous en reste pour poser des questions, nous en profiterons; mais sentez-vous libre de parler jusqu’à 19 heures, notre comité y est parfaitement disposé.
Peut-être pourriez-vous nous dire quelles sont les personnes qui vous assistent aujourd’hui.
Je suis tout simplement accompagnée par mes jumelles, qui seront ainsi bien préparées à prendre la relève de l’AFAC, car elles ne me lâchent pas d’une semelle.
Merci beaucoup de m’accueillir. Je n’aperçois que vous, madame Ambler, mais je voudrais saluer l’ensemble du comité car je suis sûre, en tout cas j’espère, que tout le monde est là.
[Français]
Tout d’abord, permettez-moi de dire que je suis infiniment heureuse et fière de me trouver dans mon propre territoire, le territoire innu, à savoir Uashat Mak Mani-Utenam.
J’ajoute que le bureau de notre bande met à ma disposition cet espace, qui me permet de m’entretenir avec vous. Ce que j’ai à vous dire me vient du cœur, mais c’est aussi le message de la base de notre communauté, des personnes dont je peux observer la vie au quotidien, des femmes que j’écoute et qui me viennent aussi en aide.
Il va de soi que je suis au courant du fait que ce comité a récemment été dissous. Je crois savoir aussi qu’une fois un comité dissous, il n’est pas dit qu’il sera un jour réinstauré; or, je constate que cette fois-ci, vous avez remis sur pied le comité spécial sur la violence faite aux femmes autochtones.
Il n’empêche que, tout comme par le passé, je m’inquiète. J’ajoute que je ne suis pas la seule, car bien des aspects de ce comité ne laissent pas d’inquiéter les membres de notre conseil, les experts de notre bureau, mais aussi les femmes et les familles que nous avons consultées.
C’est pourquoi, au lieu de répéter à l’infini ce que nous disons depuis des années, je voudrais commencer mon intervention par une question. Lors de la constitution de votre comité, vous avez reçu une foule de recommandations, de chiffres, de documents de toutes sortes tels que des exposés de principe, des témoignages provenant des familles ou de fonctionnaires, le tout accompagné de propositions de solutions. J’aimerais donc vous demander si tout le travail qui a été accompli au nom de ce comité reste d’actualité, s’il continue d’être intégralement pris en compte?
Nous-mêmes n’avons jamais relâché nos efforts, et c’est pourquoi je vous pose la question avant de vous livrer mon témoignage.
Je vous réponds bien volontiers, Michèle.
La motion adoptée par la Chambre stipule que le comité reprend son activité, avec tout le patrimoine de témoignages recueillis jusqu’ici. C’est donc comme si, à toutes fins pratiques, il n’avait jamais été dissous. Les motions de routine demeurent ainsi que tous les témoignages, qui pourront être dépouillés par les analyses et qui feront partie des archives publiques.
Je puis donc vous assurer que même si le comité a dû interrompre ses activités par suite de la prorogation, tout comme les autres comités parlementaires, celui-ci fonctionne aujourd’hui dans la continuité et sans aucun changement, je puis vous l’assurer.
Je précise en outre que tous les documents, rapports, notes d’information, requêtes et autres pièces qui nous ont été communiquées seront utilisés dans le cadre de nos travaux.
Quelqu’un souhaite-t-il ajouter quelque chose?
Je vous en prie, nous vous écoutons.
Parfait, voilà qui me fait plaisir. Il est important que cela soit dit de façon officielle et publique. Je me réjouis que tout ce qui a été dit représente un acquis utilisé pour élaborer des recommandations, par exemple.
Je voudrais également savoir pourquoi ce gouvernement conservateur, après… enfin, je dois dire que je n’en reviens pas.
[Français]
Dans toutes les provinces et territoires, treize premiers ministres ont, à l'unanimité, madame la présidente, appuyé la revendication de l'Association des femmes autochtones du Canada de mettre en place de façon urgente une enquête nationale pour les femmes disparues et assassinées et, évidemment, un plan d'action. Ce sont les vis-à-vis de M. Harper.
De plus, toute la communauté internationale et les Nations Unies, avec son Rapporteur spécial sur les droits des populations autochtones, mentionnent d'entrée de jeu l'importance que le Canada agisse de façon urgente, mette en place une enquête et fasse la lumière — je l'ai expliqué tout à l'heure — sur la question des disparitions et des assassinats. M. Anaya dit la même chose.
De plus, les femmes et les gens liés à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et de la violence disent la même chose. Il n'y a pas très longtemps, cet automne, ils sont venus et ont dit d'entrée de jeu qu'il fallait absolument que le Canada adopte des mesures d'urgence et instaure une enquête nationale et publique pour faire la lumière sur cette question. C'est la deuxième entité qui provient des Nations Unies.
L'Organisation des États américains, qui regroupe aussi des femmes et des commissaires dans le domaine des droits de la personne et des droits de la condition féminine, dit la même chose. Ce n'est donc pas un caprice de l'Association de femmes autochtones du Canada et ce n'est pas un caprice de certaines personnes disant aux gens qui payent des impôts et des taxes qu'on va dépenser leur argent et que cela ne servira à rien.
Les premiers ministres du Canada, la communauté internationale, les organisations qui travaillent en parallèle avec les Nations Unies, comme Human Rights Watch, Amnistie Internationale et KAIROS, — on pourrait en nommer des milliers — et des milliers de Canadiens qui ne sont même pas d'origine autochtone signent la pétition pour dire que c'est un besoin et que c'est urgent.
Pourquoi suis-je un peu de mauvaise humeur? C'est parce que je suis humaine et que j'arrive d'une rencontre à Winnipeg.
[Traduction]
Je passe à l’anglais.
Je reviens à peine d’une réunion des ministres des Affaires autochtones de tout le Canada. À ma grande satisfaction, M. Valcourt, ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord, était présent. Cela faisait six ans que l’on n’avait pas vu de ministre fédéral assister à ces réunions. Est-ce parce que les élections sont en vue, ou est-ce parce que la question lui tient à cœur? Je crois que c’est la deuxième réponse qui est la bonne, car je l’ai entendu intervenir sur d’autres questions et je me suis dit alors: « Seigneur, pourquoi n’est-il pas aussi animé lorsqu’il s’agit des femmes autochtones disparues et assassinées? » Je pose la question parce que je l’ai vu, de mes yeux vu.
Quatre thèmes ont été abordés à l’occasion de ces réunions: l’enseignement, le développement économique, le logement et les catastrophes. Mais sur la question de la lutte contre la violence faite aux femmes et aux jeunes filles autochtones, rien, pas un mot, motus. Pas une seule fois, au cours de son exposé, il n’a évoqué la violence faite aux femmes et aux jeunes filles, et il a également passé sous silence le comité spécial. Et il s’est bien gardé d’expliquer pourquoi son gouvernement avait refusé d’entreprendre une enquête nationale publique.
Cependant, il était muni d’une fiche détaillée pour pouvoir répondre à une éventuelle question de Michèle Audette. Et je ne m’en suis pas privée, puisque je l’ai interrogé en ces termes: « J’espère que c’est un oubli de votre part, ou s’agit-il d’une stratégie, toujours est-il que vous n’avez pas dit un mot à propos de ce problème important. Or je crois qu’il ne s’agit pas d’un problème touchant uniquement les femmes autochtones, ni d’un problème propre aux Premières Nations, aux Métis ou aux Innus. C’est un problème qui nous concerne tous en tant que Québécois, Autochtones, et en tant que peuple canadien. »
Quant à sa réponse, on ne fait pas plus décevant — mais j’ai l’impression qu’elle n’était pas entièrement de son cru, et mon petit doigt me dit qu’elle lui a été inspirée par le bureau du premier ministre. Il a déclaré: « Pourquoi nous lancer dans cette entreprise? Cela coûte trop cher. » À quoi j’ai répondu: « Monsieur Valcourt, pourquoi parler d’argent, alors qu’il s’agit d’une chose qui n’a pas de prix. » Et lui de rétorquer: « J’ai accordé 30 millions de dollars, ce qui prouve bien que notre gouvernement ne recule pas devant l’action. » Et moi: « Ah bon, vous ne reculez pas devant l’action? Alors dites-moi pourquoi, avec tous les efforts que nous avons déployés pour recueillir des informations dans tout le pays, pour constituer une véritable base de données de qualité professionnelle et de niveau scientifique qui a exigé un énorme travail, on a trouvé le moyen de nous retirer le financement? »
Bien sûr, la période du programme tirait à sa fin, mais on aurait pu le reconduire et établir un véritable partenariat, en montrant ainsi que l’on avait compris qu’il se passait quelque chose d’épouvantable et d’inacceptable, et que l’on essayait d’y remédier.
Alors, ils sont partisans de l’action mais voilà qu’on nous retire le financement. Très bien. Après quoi, l’argent sera affecté à l’édification d’un centre national d’où la composante autochtone sera absente et, une fois de plus, nous serons noyées dans la masse. Et l’on dira, statistiques à l’appui, que le nombre des femmes autochtones portées disparues et assassinées est en diminution — je me trompe peut-être et si tel est le cas j’en demande pardon à l’avance, sans la moindre réserve.
Pour en revenir à ce financement de 30 millions et à leur volonté d’agir, je lui ai déclaré en présence de tout le monde, c’est-à-dire premiers ministres provinciaux, ministres, représentants d’organisations nationales, dignitaires, etc.: « Monsieur Valcourt, laissez-moi vous dire que d’après nos recherches portant sur les 40 dernières années, le nombre des victimes est en augmentation, en particulier depuis 2003. » Nous avons suspendu les recherches en 2010, mais je lui ai dit qu’il est déplorable que nous perdions jusqu’à sept femmes tous les mois, et que la situation se détériore.
Et j’en viens à un autre problème. Le Canada ne manque pas d’exprimer sa sympathie et sa compassion lorsque des crimes haineux sont commis. Je veux parler de ce qu’on appelle hate crimes en anglais, excusez-moi si je mélange parfois les langues, mais je vous parle avec mes tripes. Je disais donc, lorsqu’une femme se fait violer en Inde par une demi-douzaine d’hommes, nous exprimons notre compassion et nous nous montrons solidaires. Certes, je m’en félicite car nous devons jouer un rôle actif au sein de la communauté internationale. Mais je vous rappelle le cas de cette femme d’une trentaine d’années, mère de famille, qui a été violée et battue à Thunder Bay avec une telle brutalité que ses deux agresseurs canadiens l’ont laissée pour morte et se sont débarrassés de ce qu’ils pensaient être son cadavre. C’était entre Noël et le Jour de l’an, et il faisait moins 30 degrés. Elle a néanmoins réussi à se traîner pendant cinq heures jusqu’à chez elle et a appelé le 911. Eh bien, elle n’a jamais reçu la moindre lettre de votre gouvernement pour lui dire: « Je suis désolé. I am so sorry. »
Et il y a une autre histoire, tout aussi triste: cette jeune fille canadienne du Nouveau-Brunswick, qui a été la cible de cyberintimidation sur le réseau Facebook alors qu’elle n’y était pour rien. Voilà ce qui est arrivé à cette jeune Canadienne, une Blanche. M. Harper a rencontré son père, les membres de sa famille et il leur a exprimé sa sympathie, ensuite de quoi il a mis en branle tout son gouvernement avec comme mot d’ordre: « Mettre fin à la cyberintimidation sur l’Internet. » Quant au premier ministre de la province, il a déclaré: « Je ferai adopter une loi pour remédier au problème. » Voilà ce que j’appelle agir. J’adresse mes félicitations au Nouveau-Brunswick et au premier ministre, M. Harper, pour s’être érigés contre cela et pour avoir entrepris de modifier les politiques et la législation à cette fin.
Ils ont fait cela après la mort d’une seule femme, alors que, tout les mois, nous perdons sept de nos femmes et que personne ne s’insurge et déclare qu’il est temps que les choses changent au Canada.
Je me suis montrée on ne peut plus courtoise et patiente envers vous, mais que diable, mettons fin à cette hypocrisie. Cette fois-ci, agissons pour de bon, modifions de façon concrète la législation en vigueur, la façon dont la GRC intervient auprès des communautés, notamment des femmes mais aussi de l’ensemble de la population canadienne, lançons de nouvelles initiatives, modifions les programmes d’études, et bien d’autres choses encore. Je suis convaincue que nous pouvons beaucoup accomplir dans ce sens, au lieu de nous contenter de tenir une petite réunion hebdomadaire pour dénicher une mesure de façade, la meilleur marché si possible, que nous pourrons présenter dans notre rapport.
C’est à peu près ce que j’ai dit dans mon cri du cœur au ministre, et sa réponse ne m’a guère surprise. Il veut montrer que le gouvernement ne ménage aucun effort, mais alors comment se fait-il que le nombre des victimes augmente? Comment se fait-il, alors que nous dénombrons 633 communautés des Premières Nations, qu’il n’y ait, dans tout le Canada, que 40 foyers d’accueil où des femmes et des enfants peuvent trouver refuge? Sans parler des logements destinés à un hébergement temporaire pour les femmes en situation de crise, qui n’existent tout simplement pas. Il y a le foyer d’accueil, où vous pouvez aller vous abriter, mais ensuite, aucun endroit où entreprendre le processus de guérison, et rien qui aide à l’habilitation des femmes.
J’ai participé aujourd’hui à une interview en direct avec quatre femmes, dont trois étaient des Canadiennes non autochtones. Au cours de cette interview, les gens demandaient: « Comment se fait-il que vous, les femmes des Premières Nations, les femmes autochtones, métisses, inuites, soyez cinq fois plus exposées que nous à mourir par suite d’un crime violent, alors que nous sommes toutes citoyennes d’un même pays? »
Une autre personne nous a demandé pourquoi il y avait tant de problèmes dans notre communauté, à quoi j’ai répondu: « Savez-vous quel est le nombre d’agents des ministères ont pour mission de nous assister? Il y en a bien peu, alors que vous disposez de trois niveaux de gouvernement: vous avez le fédéral avec tous ses ministères; vous avec le palier provincial ou territorial; et enfin, vous avez les municipalités. Nous, nous avons le ministère des Affaires Indiennes — Affaires autochtones et Développement du Nord Canada — et les ministères provinciaux des Affaires autochtones. » Et j’ai ajouté: « Nous n’avons pratiquement pas de programmes ni de services pour venir en aide à nos communautés et nous ne savons tout simplement pas de quel côté nous tourner, nous sommes livrées à nous-mêmes! »
J’aimerais bien contribuer aux travaux de ce comité. J’ai bien veillé à consulter le conseil exécutif de l’AFAC, et je leur ai dit aussi: « À présent, ça suffit. Si le comité ne prend pas un engagement écrit définissant le rôle de l’AFAC et la façon dont nous allons œuvrer ensemble… Je leur donne 10 jours, et puis nous nous retirerons, et je ne reviendrai pas là-dessus. »
Tout cela est officiel: les conservateurs ne veulent pas d’une enquête publique nationale. C’est très bien. Vous voulez une action concrète, eh bien nous aussi. Nous retournerons au niveau de la base, auprès des familles, nous qui sommes la seule organisation d’envergure nationale. Et j’espère que l’on comprendra bien que, depuis 1974, nous nous prodiguons sans répit pour les familles et pour toutes leurs composantes: jeunes, vieux, enfants, sans oublier personne. Et nous avons lancé des appels à toute la communauté internationale pour faire connaître cette situation, dont nous connaissons bien la vraie raison.
Votre collègue, Bernard Valcourt, pense que l’enquête ne fera que mettre en évidence la vraie raison. Mais parlons franchement: la vraie raison, nous la connaissons… Dieu sait que nous en subissons les effets jour après jour, alors bien entendu que nous connaissons la raison. Et nous savons également quel type de solution permettrait de faire évoluer les choses. Seulement voilà, on dirait que ça ne marche pas.
Je n’ai pas, pour ma part, le pouvoir de faire adopter de nouvelles lois. Peut-être devrais-je me présenter aux prochaines élections fédérales, pourquoi pas après tout?
Je n’ai pas ce pouvoir, mais vous, vous l’avez. Alors, à vous de vous en servir pour apporter des changements majeurs et, ce faisant, marquer notre histoire. Vous le pouvez. Je m’adresse à tous les partis représentés ici à Ottawa.
J’ajoute que nous sommes les seuls à réunir les familles, que ce soit au quotidien ou que ce soit chaque année, ou parfois deux fois par an. Alors certains diront: « Vous voulez écouter ce qu’ont à dire les familles… qu’est-ce qu’elles pourraient bien nous apprendre de nouveau? » Mais moi, je vous demande si vous savez que pour les peuples autochtones, parler est une façon de guérir? Et je suis sûre que cela vaut également pour la population canadienne. Il y en a d’ailleurs qui gagnent beaucoup d’argent rien qu’à écouter ce que les gens ont à dire.
[Français]
Je pense ici aux psychologues, aux psychiatres et autres.
[Traduction]
Mais pour les peuples des Premières Nations, étant donné que j’en fais partie… C’est peut-être la même chose pour les Métis et les pour les Inuits: il s’agit de se parler, d’échanger et d’être à l’écoute, ce qui est une façon de trouver la guérison. C’est aussi pour moi une façon de savoir que je ne suis pas seule dans ma douleur et dans mon chagrin, et cela me renforce et me permet de venir en aide aux autres. Alors même si les services sont insuffisants, je peux toujours essayer d’être créative et de bâtir des réseaux de soutien mutuel centrés sur ma famille pour commencer. D’ailleurs nous ne sommes pas les seuls à agir ainsi.
Mais si le Canada — je veux dire le gouvernement actuel, M. Valcourt and premier ministre Harper — croit vraiment aux vertus de l’action… Je vous rappelle qu’à chaque discours du Trône, on nous parle immanquablement des victimes et de leurs droits, de la protection des personnes, de la sécurité publique, etc. Bien sûr, nous sommes opposés à la violence, mais n’oublions pas que le peuple canadien a réduit les financements destinés aux femmes autochtones du pays. Ils ont réduit les budgets et interrompu les financements. Peut-être, me direz-vous, se plaignaient-elles un peu trop?
Je ne le crois pas. En tout cas vous avez la possibilité d’agir, en tant que membres de ce comité et en tant que véritables partenaires. Alors, si d’ici une dizaine de jours je reçois une lettre, un contrat ou un document quelconque disant, noir sur blanc: « Voici ce sur quoi nous, les deux parties, nous entendons », et si, cette fois-ci, nous agissons pour de bon… Parce que je vous rappelle que la dernière fois, nous avons tenu des réunions, y compris en groupes restreints, et nous avons fait du lobbying nuit et jour, avec quel résultat? Pas grand-chose, il faut bien le reconnaître.
Quant à moi, je suis tout à fait à l’écoute. Je dirais même que vous avez devant vous une maman animée par le feu sacré. D’ailleurs, vous voyez, j’ai amené mes enfants. De mon côté, je suis prête à agir, et à agir avec tous vos collègues, quel que soit leur parti politique. D’ailleurs, c’est la société canadienne tout entière… parce que, où que j’aille, si je peux accomplir chaque jour un modeste pas en avant… rien ne m’oblige à être ici, mais j’ai la foi en ce que je fais parce que je suis entourée de femmes d’une valeur exceptionnelle — et d’enfants, et de familles aussi —, je les observe et je trouve merveilleux ce qui se fait à l’échelle communautaire. Ce sont des catalyseurs de changement.
Si vous vouliez cheminer avec nous, avec l’AFAC, vous verriez que ce sont, certes, de petits pas, mais à force de mettre un pied devant l’autre, est-ce que vous imaginez le chemin que nous pourrions parcourir ici, au Canada?
[Français]
La balle est maintenant dans votre camp.
[Traduction]
Avez-vous des questions?
Des voix: Bravo!
[Applaudissements]
Merci de votre intervention, Michèle.
Dommage que vous n’ayez pas pu entendre les applaudissements et les gens qui criaient « bravo ».
Avant d’entamer la discussion pour une vingtaine de minutes, laissez-moi dire que nous convenons tous qu’il s’agit de l’une des tragédies les plus graves de l’histoire du Canada. C’est d’ailleurs pour cela que nous sommes ici, parce que nous sommes 12 à avoir cette question à cœur et parce que tous les députés ici présents se sont portés volontaires pour y être. Je vous rappelle que, cette année, les libéraux ont déposé une motion que tous les partis ont votée à l’unanimité. Or, cela n’a pu se produire que parce que nous étions prêts à appuyer la motion libérale portant création de ce comité, et que les autres partis l’ont appuyée aussi, considérant que c’était une bonne idée.
Je crois donc pouvoir dire que nous sommes réunis ici pour apporter un changement. Lorsque nous nous sommes portés volontaires au début du processus, c’était en réponse à votre demande d’implication de notre part. J’ai aussi l’expérience de trois autres comités, et je dois dire que je n’ai jamais vu un autre cas de témoignages aussi experts et aussi convergents.
C’est pourquoi je pense que l’AFAC se distingue des autres organismes et se présente en tant que partenaire véritable. Je voudrais poursuivre le dialogue, et nous pouvons également dialoguer autrement que par voie électronique. Je crois qu’il faut que nous ayons des échanges, et je serais heureuse de suivre vos indications. Nous pouvons suivre notre procédure habituelle, ou nous pouvons encore voir si vous avez des questions à nous poser. Je propose que nous suivions la procédure habituelle, à savoir laisser les membres du comité vous poser quelques questions, à la suite de quoi vous pourrez nous dire quelle est votre vision.
Voilà ce que j’avais à dire avant d’amorcer la période de discussion.
Je vais commencer à dresser une liste des intervenants, et si d’autres députés souhaitent…
Je propose que nous suivions la routine habituelle, madame la présidente.
C’est Romeo qui va ouvrir le feu pour nous.
Cela exprime-t-il la volonté du comité?
Entendu.
C’est M. Saganash qui figure en premier sur ma liste.
[Français]
[Le témoin s'exprime dans sa langue.]
Tu es très chanceuse, Michèle, de pouvoir être dans ton territoire, contrairement à moi. Je ne m'attendais pas à entendre ce que tu viens de nous dire, mais je t'en remercie. J'apprécie beaucoup ta passion tout à fait admirable pour cette question. Tu as été tellement convaincante dans ton exposé que tu aurais pu terminer en disant:
[Traduction]
« Ceci conclut ma plaidoirie. »
[Français]
J'entends très clairement ton cri du coeur. Tu as parlé des prochaines élections fédérales en disant que tu envisageais peut-être de te présenter. De notre côté à tout le moins, nos bras sont grand ouverts.
Je veux revenir sur cette lettre que tu as mentionnée à la fin. Tu as tout à fait raison de souligner le fait qu'à peu près tout le monde, à peu près tout l'univers, veut une enquête nationale, publique et indépendante. On est tout à fait d'accord avec toi, de notre côté en tout cas. J'emploie les mots « indépendante » et « nationale » parce que parfois, dans ce genre de comité, il y a une lacune à cet égard. J'aimerais donc que tu nous parles du processus actuel et de ce qu'on peut faire en attendant.
Tu as également parlé des récents développements. Tu as eu dernièrement des discussions avec M. Valcourt. J'aimerais que tu approfondisses ton opinion là-dessus. Concernant la lettre dont tu as parlé, selon ta compréhension des choses et selon les discussions que tu as eues jusqu'à maintenant, qu'est-ce que cette lettre devrait contenir?
Je suis tout à fin en accord avec toi également sur le concept de réconciliation dont tu as parlé. C'est également en se parlant qu'on guérit. Étant moi-même un survivant des pensionnats, je peux très bien te comprendre à ce sujet. Ce qu'on a vécu avec le système des pensionnats, c'est littéralement une incarcération culturelle, linguistique et politique. Elle était de nature culturelle parce qu'on nous a retirés de notre territoire. Elle était de nature linguistique parce qu'on nous empêchait de parler notre langue. Elle était de nature politique parce qu'on a fait cela uniquement parce qu'on était des Autochtones. Oui, il est grand temps que ça change. Un monsieur s'est excusé qu'on passe à l'action, mais je suis tout à fait d'accord avec toi.
Mais revenons à cette lettre. Quel devrait être le contenu de cette lettre, selon ta compréhension des choses jusqu'à maintenant?
[Le témoin s'exprime dans sa langue.]
Merci beaucoup, Roméo.
Chers membres du comité, ce que notre ami Roméo Saganash vient de mentionner est très important. Ce n'est pas vous qui êtes autour de la table que je critique, mais un système, une structure. Les députés dans chaque comité ont les mains liées en fonction de leur parti politique. Sachant maintenant qu'officiellement, les conservateurs n'ont aucune intention de mener une enquête nationale publique, il sera difficile pour les autres partis de négocier pour qu'une telle enquête fasse partie d'une recommandation. Déjà là, cela me fait peur.
Avant de répondre à M. Saganash, je vais ouvrir une petite parenthèse au sujet des grandes lignes qui permettraient de faire comprendre le rôle du comité. Je suis très consciente qu'il y a des limites. Je ne peux pas aller au Parlement tous les jours pour dire qu'il faut faire ceci ou cela. Vous avez une expertise, mais il vous manque l'expertise la plus importante, soit celle des femmes autochtones, des familles et des gens touchés par ces questions, de même que celle de notre organisation qui se penche là-dessus depuis 1974.
D'entrée de jeu, je veux qu'on accepte, comme l'a fait Mme Ambler, que nous sommes reconnues comme des expertes. Cependant, je ne veux pas juste être une experte et venir vous voir de temps à autre. On a des gens au bureau qui pourraient s'asseoir avec des gens de chez vous pour préparer les sessions, commencer à discuter et essayer de se concentrer sur ce qui est faisable à court, moyen et long terme. Il faut travailler de concert et dire « allons-y, ça a de l'allure ». Il faut qu'on participe aux discussions. Vous l'avez déjà fait avec une femme autochtone, qui faisait partie d'un comité. Pourquoi ne pourrait-on pas le faire quelques années plus tard avec l'Association des femmes autochtones du Canada?
Vous reconnaissez notre expertise, mais il faut savoir que nous travaillons pour ces gens, pour ces familles. Or, ces familles ne sont même pas invitées. Il n'y a pas une journée complète où vous pouvez enlever votre chapeau de gens habitués à un certain fonctionnement et parler avec votre coeur. J'entends souvent les gens dire que cela les préoccupe, que cela les touche. Alors, venez nous rencontrer. Pourquoi ne pas rencontrer les familles qui, elles, pourraient peut-être vous proposer des solutions mieux que moi et mieux que les femmes qui travaillent dans nos bureaux? Je veux sentir, je veux voir que vous allez faire de cet engagement une priorité.
Dans ces rencontres, il est important...
[Traduction]
Michèle, notre intervenant suivant a quelque chose à dire à ce sujet.
Étant donné que les sept minutes de M. Saganash sont écoulées, je donne à présent la parole à M. Dechert.
Merci, madame la présidente.
Bonjour, madame Audette. C’est la première fois que nous nous rencontrons et je me présente: je m’appelle Bob Dechert, député de Mississauga, et je suis très heureux de faire votre connaissance.
Je suis nouveau au sein de ce comité et j’espère que vous excuserez mon inexpérience et si je n’ai pas tout à fait suivi ce que vous avez dit précédemment. Cela dit, j’ai pu lire et apprécier le compte rendu de votre dernier témoignage devant notre comité.
Outre moi-même, je représente ici le ministre de la Justice
J’ai dûment pris note de vos commentaires concernant les priorités établies par notre gouvernement, à savoir aborder les questions liées à la justice, défendre les victimes, veiller à la sécurité et à l’hygiène dans nos collectivités et assurer la sécurité de nos Premières Nations et de nos communautés autochtones. J’ai apprécié vos commentaires et j’y reviendrai dans un instant.
À propos des familles, que vous avez évoquées, j’aimerais vous préciser que ce soir, juste avant le début de votre intervention, les membres de notre comité ont décidé à l’unanimité de tenir, le 9 décembre, une audience à l’intention des familles. Nous allons faire venir un certain nombre de familles du Canada tout entier, afin qu’elles nous racontent leur histoire.
Pour ma part, je considère toutes ces familles comme des victimes, et nous pensons qu’il est important de prêter l’oreille à ces victimes pour bien comprendre ce qu’elles attendent de notre système judiciaire. Selon moi, nous allons découvrir qu’il y a beaucoup de points communs entre les besoins des victimes membres des Premières Nations et des communautés autochtones ainsi que des familles des femmes autochtones portées disparues et assassinées, et les besoins des autres victimes au Canada en ce qui a trait aux informations qu’elles sont en droit de recevoir, notamment de la part des autorités chargées d’enquêter.
J’espère que vous appréciez à sa juste valeur notre initiative d’ouverture envers les familles, car nous voulons vraiment être à l’écoute de ce qu’elles ont à dire. C’est pourquoi vous pourriez peut-être nous suggérer quelques noms de familles susceptibles de contribuer utilement à ce genre de témoignages, et même envisager d’assister vous-même à cette audience. Nous veillerons à tout organiser de la façon la plus respectueuse et la plus traditionnelle, dans la mesure du possible compte tenu de la configuration des édifices sur la Colline parlementaire. Nous voudrions leur éviter de se sentir gênées afin qu’elles puissent parler librement. Vous dites que la parole est une des voies de la guérison et je pense que cela vaut pour tous les groupements humains. Nous voulons, quant à nous, être à l’écoute de ce que ces familles ont à dire, partager leur douleur et, dans la mesure du possible, participer au processus de guérison avec vous et avec les victimes.
Vous avez dit également que vous espérez recevoir une lettre d’intention ou un contrat de la part du gouvernement. J’aimerais vous demander de nous expliquer cela, et, peut-être, de nous présenter un document que nous pourrions étudier.
J’ajoute que ce comité a également pour mandat de recueillir des recommandations. Je sais que votre organisation en avait déjà présenté certaines et j’imagine que vous allez en formuler de nouvelles. Notre but est de recueillir les recommandations provenant également des autres témoins, y compris les familles, afin de présenter un rapport à la fin de nos travaux. Ce rapport, qui sera soumis au printemps, contiendra les recommandations reçues ainsi que certaines de nos recommandations adressées au gouvernement du Canada.
J’ai bien pris note d’une de vos recommandations, que vous aviez déjà présentée par le passé, mais j’imagine que vous en avez d’autres à nous soumettre. Je pense qu’il serait très dommage que notre comité cesse ses activités avant d’avoir eu la possibilité de prendre note de toutes les recommandations. Par ailleurs, je crois que personne ici n’a l’intention d’exclure une quelconque recommandation ou de ne pas en tenir compte, car elles sont toutes les bienvenues. Je veux croire aussi que l’on ne se bornera pas à préconiser de nouvelles études mais que le rapport contiendra des propositions concrètes de mesures que nous pourrons appliquer ensemble.
Vous savez sans doute que notre gouvernement a pris un certain nombre d’initiatives visant à remédier de façon spécifique au problème de la violence faite aux femmes. Vous avez peut-être remarqué que plusieurs projets de loi d’initiative privée ont été déposés par tous les partis représentés à la Chambre pour lutter contre le trafic d’êtres humains.
Lors de votre comparution précédente devant notre comité, le 30 mai dernier, vous avez souligné le grave problème que constitue le trafic d’êtres humains pour les femmes autochtones, dont vous pensez qu’elles sont nombreuses à être les cibles ou les victimes de ce trafic.
J’espère que certains éléments de la législation traitant du trafic d’êtres humains — législation appuyée par tous les parlementaires, qui ont accordé leur soutien unanime à la quasi-totalité de ces projets de loi — seront utiles aux personnes que vous représentez. Par ailleurs, vous pouvez constater que nous faisons de notre mieux et en toute bonne foi pour essayer d’atténuer les effets du trafic d’êtres humains au Canada et tenter d’y mettre fin.
Vous savez sans doute, comme je le disais tout à l’heure, que le gouvernement a entrepris voici quelques mois de consulter les Canadiens sur l’adoption d’une charte des droits des victimes. Pour ma part, en tant qu’avocat et en ma qualité de député, j’entends trop souvent les personnes que je représente dire qu’elles ont perdu confiance en notre système de justice. Elles pensent que ce dernier ne vient pas en aide aux personnes respectueuses de la loi ni aux victimes, et qu’il convient de rééquilibrer son action à l’égard des victimes d’une part et des contrevenants d’autre part. Vous savez que lorsqu’on ne fait plus confiance à la justice, on tend à se faire justice soi-même, et ces personnes refusent donc de coopérer avec les autorités, ce qui ne fait qu’aggraver le problème.
Il me semble, sauf erreur de ma part que vous voudrez bien corriger, que les victimes dont nous parlons en ce moment, à savoir les femmes et les jeunes filles autochtones, pensent que notre système de justice n’a pas vraiment rempli sa mission envers elles en tant que catégorie de victimes et que nous n’avons pas prêté suffisamment attention à leurs besoins. J’ai l’impression que ces victimes, mais aussi la communauté autochtone, ne font peut-être plus confiance au système de justice canadien, auquel elles reprochent de ne pas venir en aide aux personnes respectueuses de la loi comme il le devrait.
C’est pourquoi nous accordons beaucoup d’importance à vos réflexions et à celles des personnes que vous représentez — à commencer par les familles — sur la façon donc nous pouvons affronter ces problèmes. Nous pourrions par exemple ajouter des éléments à la charte des droits des victimes afin de prendre en compte les préoccupations et les difficultés qui nous sont signalées depuis bien des années, et, ce faisant, restaurer la confiance de tous les Canadiens envers notre système de justice.
Je serais très heureux d’entendre votre point de vue sur ces questions.
Merci.
Madame Audette, je dois vous dire que chaque fois que nous nous rencontrons à l’occasion de vos témoignages, je suis émue jusqu’aux larmes et en même temps remplie de colère face aux difficultés que nous devons affronter pour remédier à la perte d’un si grand nombre de femmes qui meurent assassinées.
Je précise que je remplace ce soir le Dr Bennett, qui est en voyage à l’étranger.
J’ai eu l’occasion de vous rencontrer à bien des reprises lors des assemblées et réunions. Je dois dire que je déplore que nous en soyons encore là, et j’aurais tant aimé que l’on ordonne l’enquête nationale qui nous tenait tant à cœur. Malheureusement, il faut reconnaître que nous en sommes encore là. Je donne acte au gouvernement d’avoir appuyé la motion, si bien que nous avons maintenant quelque chose de concret devant nous. Cependant, j’entends, à votre voix, combien vous êtes frustrée. Il faut dire qu’au cours des nombreuses années que j’ai passées ici, je n’ai cessé d’entendre votre revendication de justice au nom de ces femmes disparues. J’ai vu passer les études, j’ai vu passer les mémoires, mais nous n’avons guère avancé.
Cela dit, j’appuie votre initiative et je pense que notre travail serait plus utile, en tant que comité, si vous pouviez siéger avec nous pour accompagner le processus. Mais en fin de compte, vous ne pouvez pas être assurée que notre comité obtiendra des résultats concrets, même si c’est le seul instrument dont on dispose actuellement. C’est pourquoi je vous encourage à l’utiliser et à continuer d’avancer.
Une fois le rapport établi, au mois de mars, j’aimerais savoir ce que vous souhaiteriez voir figurer dans ce document que nous présenterons et qui justifie le temps et les efforts de ce comité, au cours des mois à venir.
Juste un mot pour répondre à l’intervention du député de Mississauga et pour lui dire combien je suis touchée. Je me rends compte que vous êtes vraiment sincère et je m’en réjouis. Cependant, je m’en tiens à ma position, à savoir que si l’AFAC ne reçoit pas un signal concret manifestant que nous sommes un véritable partenaire, et ceci vaut également pour vous, madame la députée libérale, madame Sgro…
Pour vous dire les choses comme elles sont, nous sommes à bout. Je sais que c’est le seul instrument disponible actuellement, mais cela fait 20 ans que je suis en politique, pour représenter d’abord les femmes autochtones du Québec et aujourd’hui l’AFAC, et ce n’est ni la première ni, je le crains, la dernière fois que nous sommes là, à attendre et espérer, avec nos recommandations sous le bras. Mais la plupart du temps, reconnaissons-le — et je suis, sur ce point, d’accord avec le ministre Valcourt — nos recommandations sont condamnées à moisir sur une étagère.
Il y a deux choses que je souhaite vraiment. Tout d’abord, avoir une discussion, je veux dire entre vos spécialistes et les nôtres, pour élaborer ce contrat ou document dans lequel nous dirons que nous, les parties, souhaitons parvenir à telle et telle chose en tant que partenaires véritables. Ça, c’est le premier volet.
La deuxième chose que je souhaite ardemment, tout en vous faisant confiance et en sachant que vous êtes des êtres humains sincères — ce qui ne vous empêche pas de rester loyaux envers votre parti ou votre orientation politique, et c’est d’ailleurs une des vertus de notre démocratie et je vous en félicite —, je disais donc que j’aimerais, cette fois-ci, vous voir vous engager vraiment et lutter pour défendre les droits des femmes et des jeunes filles autochtones. Je dis cela en gardant à l’esprit la charte des droits des victimes, qui pourrait être le thème d’un autre dialogue fructueux entre nous et qui pourrait, peut-être, constituer une magnifique solution.
Cela dit, je préfère m’abstenir de vous faire part de mes réflexions pour l’instant, parce que je ne veux pas que se reproduise ce qui s’est passé la dernière fois: nous avons donné et communiqué tout ce que nous avions, et puis nous n’avons plus entendu parler du comité, tout simplement. Et ça, je ne veux pas que cela arrive encore une fois. Et voilà.
Merci, Michèle.
Pour tout vous dire, je ne veux pas moi non plus que le rapport aille moisir sur une étagère. Nous souhaitons tous trouver des réponses à ces problèmes. Cependant, j’ai une certaine expérience des comités et j’ai entendu toutes les bonnes paroles qui ont été dispensées, c’est pourquoi je comprends facilement votre frustration. Je crois que nous sommes tous animés du même sentiment, mais il reste que nous devrons œuvrer au sein du système tel qu’il est, quitte à le déplorer. Peut-être qu’en fin de compte l’une des recommandations la demande d’enquête publique à l’ordre du jour. Toutefois, rien ne garantit que cela aboutira, ce qui explique en partie notre sentiment de frustration.
Ce qui est arrivé à votre communauté affecte des Canadiennes et des Canadiens. Or, nous savons bien que cela n’aurait pas été passé sous silence… mais il se trouve qu’il s’agissait de femmes autochtones…de sorte que ce qui aurait été fait normalement, notamment au niveau de la justice, n’a tout simplement pas été fait. Mais je suis ici ce soir avec d’autres députés et nous essayons de faire avancer les choses. Et pour cela, nous avons besoin de votre aide.
Je voudrais poser en toute sincérité au comité la question de savoir pourquoi il est tellement difficile d’obtenir la présence de l’AFAC autour de la table avec nous. Nous avons tous cette question à cœur, nous savons bien que les deux prochains mois seront difficiles et que nous ne serons pas en mesure de présenter des recommandations propres à résoudre tous les problèmes. Mais si, tout au moins, Michèle est disposée à venir travailler avec nous, je pense que nous aurons beaucoup plus de chances d’accomplir quelque chose d’utile au bout du compte.
Nous ne pouvons pas abandonner cette communauté une fois de plus, sinon, ce sera l’opprobre et bien d’autres conséquences pour nous tous, et je dis cela indépendamment de toute considération politique. Il faut, d’une façon ou d’une autre, que justice soit faite. Or, pour l’instant, le seul instrument dont nous disposions, c’est notre comité. Si nous réussissons à avoir l’AFAC avec nous autour de cette table, cela renforcera beaucoup notre crédibilité et ne manquera pas de nous aider à atteindre certains des objectifs auxquels nous tenons.
Merci.
Merci, madame Sgro.
Michèle, nous vous sommes infiniment reconnaissants d’avoir été des nôtres et de nous avoir parlé avec une telle franchise. Je suis sûre que le comité reviendra longuement sur vos observations après cette réunion. Merci d’avoir pris le temps de nous rencontrer ce soir. Nous vous sommes également reconnaissants de l’effort que vous avez accompli pour réunir ces jeunes personnes et organiser la comparution. Encore une fois merci, nous allons garder le contact.
Je propose à présent de suspendre la séance pendant quelques minutes pour procéder à la mise en place des nouveaux témoins.
Nous reprenons donc nos délibérations.
Je souhaite la bienvenue à nos invités. Nous allons entendre les témoignages de Mme Bushie et de Mme Robyn Hall.
Bienvenue à notre comité. Je m’appelle Stella Ambler, présidente du comité.
Nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd’hui et nous vous remercions de votre comparution. Nos excuses également pour le retard. Nous disposons d’un peu plus de 45 minutes, et je vous propose donc de prendre une dizaine de minutes pour votre exposé, ensuite de quoi nous passerons à une petite période de questions et réponses jusqu’à 20 heures.
Encore merci et bienvenue à notre réunion. Nous sommes à l’écoute.
Je vous en prie.
Je m’appelle Burma Bushie et je vous remercie de votre invitation. Nous sommes heureuses, Robyn et moi, de comparaître devant vous pour vous décrire le travail que nous avons accompli au sein de notre communauté au cours des 30 dernières années. Notre vision, qui est une vision de femmes autochtones, est restée la même depuis le premier jour et nous a inspirées pendant toutes ces années. Je la résumerai en disant que pour nous, un jour viendra où les femmes autochtones auront reconquis leur place d’honneur au sein de notre société. Nous venons d’une société matriarcale et une partie de nos efforts consiste à reconstruire ce qui, jadis, était une société très solide. Aujourd’hui, un grand nombre de femmes assument des rôles de responsabilité et de direction au sein de notre communauté, elles bâtissent des programmes et elles lancent de nouvelles initiatives de manière à retrouver notre identité en tant que femmes anishinabes. Cela a toujours été une ligne de force de nos activités.
Nous savons que nous portons le poids de longues, de très longues années de colonisation et de bien d’autres problèmes qui nous assaillent. C’est pourquoi je tenais à dire d’emblée que nous n’avons pas perdu notre vision, qu’elle est au cœur des efforts que nous déployons et que nous continuons d’avancer.
Souhaites-tu ajouter quelque chose?
Les programmes que nous mettons en œuvre dans notre communauté sont le fruit d’une vision collective, c’est pourquoi ils sont faits d’une multiplicité d’éléments.
Nous appliquons une vision holistique de notre communauté, qui englobe l’école, les programmes de justice et les programmes de santé, car nous pensons que pour que notre santé soit holistique, il faut qu’elle incorpore toutes les dimensions, qu’il s’agisse du spirituel, du physique, du mental, ou encore des aspects émotifs, et cela en un tout intégré.
Nous appliquons cette approche à nos activités, dont la vocation est à la fois préventive et réparatrice, et nous adoptons tout un éventail d’approches.
Lorsque nous avons préparé notre témoignage d’aujourd’hui, nous avons essayé de mettre au point une démarche basée sur l’objectif général qui est le nôtre. Nous pensons que le comité souhaite pouvoir formuler des recommandations sur la manière dont nous pourrions effectuer un parcours qui nous mènera de notre situation actuelle à une situation de santé et de bien-vivre pour toutes les femmes autochtones et pour tous les Autochtones du Canada.
Nous souhaitons à présent commencer à répondre aux questions que vous voudrez bien nous poser concernant notre travail et la façon dont nous pouvons vous aider dans votre tâche en tant que comité.
Merci de cette mise en contexte.
Nous vous en sommes reconnaissants, et il est toujours bon de disposer d’un peu plus de temps pour la période de questions.
Encore merci.
Nous allons commencer en donnant la parole à Mme Crowder.
Merci, madame la présidente.
Je m’appelle Jean Crowder et je suis porte-parole du NPD pour les affaires autochtones ainsi que vice-présidente de ce comité.
Merci d’avoir pris le temps de venir comparaître devant notre comité.
Permettez-moi deux questions. J’ai mis la main sur un rapport établi en 2001, dans lequel il est question d’une analyse avantages-coûts des programmes gérés par votre communauté. Je voudrais que soient portés au procès-verbal quelques éléments qui témoignent de l’efficacité de votre programme. En premier lieu, pour chaque dollar dépensé par le gouvernement provincial au titre du processus holistique de guérison de la Première Nation de Hollow Water (CHCH), il lui fallait en consacrer 3,75 pour couvrir les coûts de pré-incarcération, je veux dire la prison et le programme de probation. Pour chaque dollar dépensé par le gouvernement fédéral au titre de ce programme, il lui fallait en consacrer entre 2,46 et 12,15 pour les coûts d’incarcération et de libération conditionnelle. Selon leurs estimations, cette initiative a permis d’économiser des millions de dollars en frais d’incarcération. L’évaluation fait également apparaître que le taux de récidivisme a chuté, à telle enseigne qu’au cours des 10 dernières années passées en revue, deux clients seulement ont à nouveau enfreint la loi.
Un peu plus loin dans le rapport, ils font état de signes évidents de bonne santé et de bien-être pour l’ensemble de la communauté, avec une amélioration de la santé holistique des enfants, un taux plus élevé d’obtention de diplômes d’enseignement, une amélioration des compétences parentales, une autonomisation de la communauté, et d’autres éléments encore.
Pourriez-vous m’illustrer l’importance de maintenir, sur le long terme, le financement de ce type de programme de prévention et de justice réparatrice?
Si l’on remonte à 1991, c’est-à-dire à l’époque où a été conduite l’étude portant sur l’analyse des coûts vers la fin des années 1980, nous avons commencé à réunir les données pour les dossiers dont nous étions responsables en contexte judiciaire. Lorsque l’étude a commencé, nous avions une base de données très substantielle.
Le gouvernement provincial a commencé par nous donner 120 000 $, et le gouvernement fédéral a apporté une contribution équivalente, si bien que depuis 1991, notre budget est de 240 000 $. Je n’ai pas les chiffres les plus récents, mais je me souviens qu’à l’époque, nous avions assuré le traitement de 86 cas devant le tribunal provincial. Je précise que ce chiffre comprend également des affaires traitées au niveau fédéral.
Voilà donc qui répond à votre question. Nous n’avons pas besoin de prisons, nous n’avons pas besoin de centres de traitement non plus, car il s’agit de dépenses qui ne correspondent pas à ce que nous offrons. Partout ailleurs, vous seriez exposés à ces dépenses supplémentaires.
Je réponds donc par l’affirmative: oui, nous avons fait épargner au pays des millions de dollars. Nous avons également montré, par la chute du taux de récidivisme, en quoi consiste notre action positive, à savoir que nous parvenons à toucher les personnes d’une manière qui les aide à changer leur vie du tout au tout.
Nous avons demandé un financement supplémentaire au gouvernement fédéral et au provincial, mais j’imagine qu’ils n’ont pas conscience de ce que nous avons accompli au cours des 20 ou 30 dernières années. J’espère ardemment que nous allons obtenir un complément de financement.
Nous sommes également en mesure d’offrir une formation à d’autres Premières Nations qui pourraient venir apprendre chez nous ce que nous avons mis au point. C’est nous qui avons conçu cette formation de toutes pièces, car, à l’époque, il n’y avait au Manitoba aucune formation destinée à prendre en charge les contrevenants, à quelque catégorie qu’ils appartiennent.
J’espère que votre comité obtiendra des résultats dans ce domaine. Je vous remercie.
S’agissant de l’incarcération d’un homme, je pense que le coût moyen est de 118 000 $. Comme vous l’a dit ma collègue, le budget de notre programme est de 240 000 $. Outre le travail que nous accomplissons auprès des délinquants, nous offrons des services aux victimes et aux familles, de même qu’aux aînés.
Nous incorporons tous ces programmes dans un ensemble, car il ne s’agit pas de nous occuper simplement de la personne, mais de l’ensemble de la famille. Je suis sûre que vous n’ignorez pas que les familles qui composent les communautés autochtones sont souvent très nombreuses et qu’elles se ramifient très largement au sein de la communauté.
À une époque, lorsque nous recevions de l’argent de la fondation de la guérison, nous avons élargi nos activités afin d’insister sur l’ancrage familial. Nous avons introduit les activités axées sur le territoire, de même que différentes cérémonies, le tout sur une plus grande échelle. Ensuite, lorsque le financement a été interrompu, nous n’avons pas voulu renoncer à ces initiatives et nous sommes partis à la recherche d’autres sources de financement, ce qui n’a pas été facile. Il est vrai que notre financement a été considérablement diminué à cette époque. Nous avons essayé d’intégrer nos activités aux programmes de santé et dans les écoles. Bien souvent, le financement est limité et les paramètres qui l’encadrent sont fixés par quelqu’un qui ne réside pas dans la collectivité, si bien que nous devons employer l’argent à des fins strictement définies.
Je peux vous dire que, par moments, nous avons du mal à opérer à l’intérieur de l’enveloppe budgétaire gouvernementale.
Merci, madame la présidente.
Je vous remercie toutes les deux de votre exposé.
En ma qualité de secrétaire parlementaire à la condition féminine, je voudrais vous poser deux ou trois questions à propos du travail accompli par votre association. Mais auparavant, je voudrais m’assurer que vous continuez d’obtenir le financement de 120 000 $ respectivement de la part de la province et du fédéral, et ce sur base annuelle?
Merci.
Je crois savoir, sauf rectification de votre part, que lorsque le programme a été lancé dans les années 1980, il visait spécifiquement les sévices sexuels. J’aimerais savoir quelles activités vous consacriez alors à la lutte spécifique contre les sévices sexuels, et ce que vous faites aujourd’hui. Je sais aussi que vous accomplissez un travail remarquable.
Nous nous sommes attaquées d’emblée aux sévices sexuels dans notre communauté parce que c’était l’une des causes profondes du chaos auquel nous assistions jour après jour. Nous n’avions pas la moindre intention de commencer par ce phénomène, mais il n’y avait pas d’autre démarche possible.
Une fois prise la décision d’affronter le problème des sévices sexuels, nous avons mis au point un processus que nous avons intitulé l’approche communautaire. Cette approche intègre la GRC, le service de probation et le personnel de justice tel que les procureurs, les avocats de la défense et les magistrats.
Une fois lancées dans ce domaine, nous avons dû apprendre à respecter certains cadres temporels. À titre d’exemple, une fois engagées auprès d’une famille, il nous fallait veiller à conserver un lien avec cette famille jusqu’à ce que le processus judiciaire soit achevé. Cela concernait également les services de l’enfance et de la famille, étant donné que pour un nombre important des enfants impliqués, les services de l’enfance et de la famille entraient automatiquement dans le tableau. Nous devions donc veiller à ce que notre action respecte leurs paramètres de protection de l’enfance.
Lorsque nous avons lancé le processus, c’était en nous inspirant de la philosophie et des valeurs anishinabes. Et lorsque nous avons mis au point nos outils d’évaluation, nous les avons basés sur les quatre composanstes d’une personne, en respectant l’équilibre entre ces éléments.
Ainsi, si le délinquant présente des problèmes de toxicomanie, nous devions commencer par nous assurer que la personne concernée s’était employée à redresser cet aspect de sa vie, ce qui pouvait nécessiter un traitement en résidence. Parfois, aussi, il nous fallait élaborer un processus communautaire applicable à une personne plutôt que de la laisser aller suivre un traitement. Ce processus devait également englober, outre les individus concernés, la famille, la communauté et la nation. Tels étaient les niveaux que nous prenions en compte pour l’évaluation.
Nous avons également recouru au concept de cercles concentriques dans l’accomplissement de notre travail. Il y avait, pour commencer, les cercles individuels, puis ceux concernant la famille — par exemple la victime et l’ensemble de la famille, ou le contrevenant et l’ensemble de la famille. Quant au troisième type de cercle, il concernait la réunification de la victime et du contrevenant.
Nous employons des méthodes de guérison traditionnelles, tels que les huttes de sudation. Au début, il n’y avait que des huttes de sudation, mais depuis, nous avons réintégré d’autres huttes traditionnelles telles que la hutte de jeûne et la hutte du cycle menstruel.
Nous avions donc toute une panoplie de démarches traditionnelles pour traiter les individus et leurs familles, mais nous devions également recourir à des méthodes contemporaines, notamment la consultation individuelle de psychothérapeutes, ou encore la thérapie de groupe. Plusieurs années plus tard, nous avons également réussi à incorporer des activités de prévention axées sur la terre et sur d’autres types de thérapies plus en harmonie avec notre culture.
C’est ainsi que nous avons opéré au début avec les personnes concernées. Ensuite, à mi-parcours, dirais-je, de notre collaboration avec le programme de justice, nous avons incorporé le juge, les représentants de la Couronne, la défense et la GRC. Nous avons de la sorte constitué un cercle d’imposition de la peine, tout à fait identique à un tribunal, à cette différence près que toute la preuve est préenregistrée et que l’on a distribué les comptes rendus à toutes les personnes importantes, si bien que tout le monde est au courant des recommandations que nous formulons.
Nous nous sommes appuyées sur l’observation de ce qui arrive aux personnes lorsqu’elles sont incarcérées pour élaborer un document de principe sur l’incarcération. On peut dire que dans ce genre de situation, toutes les personnes concernées sont en quelque sorte au point mort, étant donné que la victime et la famille, mais aussi la communauté de la personne incarcérée ne peuvent pas faire grand-chose. Disons que l’élément perturbateur principal de l’ensemble de la famille est parti purger sa peine de prison pendant par exemple 18 mois, et que cette personne ne fait rien durant cette période. Mais une fois de retour, l’individu concerné aura beaucoup à faire, notamment se consacrer à toute une série d’activités à vocation réparatrice envers la victime et sa famille.
Tel est donc l’axe principal de la démarche communautaire: c’est le contrevenant qui a lésé les victimes, et c’est à lui de réparer tout le mal qu’il a causé et tous les torts qu’il a provoqués. Sans cette personne…
Après le cercle de sentence, il y a une période probatoire de trois ans de plus et le même genre de travail se poursuit pendant cette période. Ensuite, une cérémonie du don est organisée par le délinquant à l’intention de la victime.
Voilà quelles sont les principales composantes de l’approche communautaire.
Merci beaucoup, et le programme de justice réparatrice mérite des félicitations. Je suis très favorable à ces programmes et j’applaudis vraiment le travail que vous et d’autres accomplissez.
Je veux que vous me parliez de ce qui constitue, si je comprends bien, le coeur des travaux de ce comité, soit l’ampleur de la violence et les femmes autochtones portées disparues ou assassinées. Que peut proposer ce comité au gouvernement actuel en vue de réduire la violence qui persiste envers les femmes de votre collectivité en particulier? Avez-vous des idées quant aux moyens de mieux protéger un grand nombre des femmes au sein de votre collectivité? Quels gestes espérez-vous?
Un des principaux domaines d’intervention que nous exploitons depuis des années concerne l’attitude générale de la collectivité. Autrefois, on acceptait que les femmes soient traitées de la sorte, qu’elles fassent l’objet de maltraitances physiques et de sévices sexuels et tout ce qui vient avec. Dans ma collectivité, on avait adopté l’attitude voulant que la faute incombait aux femmes.
C’est là un des éléments essentiels sur lequel doivent travailler toutes les collectivités. C’est un crime d’utiliser son pouvoir pour dominer les femmes; ce n’est pas bien. En tant que femmes au sein de nos collectivités, c’est à nous de voir à ce que les comportements changent et pour y arriver, il faut beaucoup de programmes de prévention, beaucoup d’éducation, mais c’est nous qui prenons l’initiative, nous les femmes de la collectivité.
S’il faut que les choses changent, ce seront les femmes qui y verront au sein de leur collectivité, et si nous pouvions, d’une manière ou d’une autre, joindre nos efforts en quelque sorte, par exemple mettre une ligne d’écoute téléphonique à la disposition de toutes les collectivités, grâce à laquelle on s’entraiderait, car je crois que nos collectivités se ressemblent beaucoup à tout point de vue...
J’ajouterais qu’une des choses qui s’est révélée un outil de prévention sensationnel au fil des années, et cela dès la première enfance, c’est la reconquête de son identité: nos cérémonies, notre langue, notre éducation en lien avec le territoire. C’est la base de notre culture et c’est ce que nous sommes.
Quant aux femmes toxicomanes ou victimes de violences, c’est leur passé qui les a ainsi marquées. Elles sont cassées, elles sont exploitées.
Chercher notre identité, notre individualité et notre appartenance, le rôle des femmes au sein de notre collectivité, le rôle des hommes, le rôle des aînés et des enfants, exercer de nouveau ces rôles, tout cela permettra aux collectivités autochtones de s’épanouir. Nous avons commencé à agir dès la petite enfance et avons poursuivi jusqu’au grand âge. Nous suivons ce parcours depuis trente ans.
J’ai la fin trentaine, donc je fais partie de la génération qui a lancé le mouvement. Je dirais que je suis de la deuxième génération de ce mouvement. Mon identité de femme autochtone a énormément évolué, si je me compare aux femmes du début des années quatre-vingt, la façon dont je conçois ma culture, par exemple. Pour que cela constitue l’étape suivante franchie par les Premières Nations, il faut être en mesure d’y donner une nouvelle vie. C’est cela que nous avons perdu. Personne ne nous la redonnera. C’est ce que dit Burma; il faut arriver à la façonner aussi, et cela de manière à ce que ce soit de l’entraide que nous recevions les uns des autres. Il n’en demeure pas moins que ça doit venir de nous en bout de ligne.
La question que vous posez concerne les moyens par lesquels vous pourriez nous aider à trouver cela? Ce que je suggère, c’est d’être en mesure d’aider à l’évolution de la prévention et à la reconquête de notre identité.
Parlez-moi des relations entre votre collectivité et les services de police. Je ne sais pas si, dans votre coin, ces services sont assurés par la GRC, ou non. Quels liens entretenez-vous avec eux? Ces liens et le traitement accordé à divers enjeux ont déjà fait l’objet de nombreuses critiques.
Je suppose que la relation est très bonne en raison des programmes de justice réparatrice. Que reçoit le reste de la collectivité dans le cadre de ce partenariat de services de police au sein de la collectivité?
On en parlait justement entre nous. Chez nous, c’est la GRC qui assure ces services et le poste est situé à une heure de chez nous. Le problème que cela nous pose, c’est le roulement de personnel.
Lorsque nous avons mis en place ce processus, en 1985, pour reprendre les paroles de Burma, nous en avons fait part à la GRC, au ministère public, aux avocats et aux juges. Le problème, c’est que les titulaires de ces postes changent constamment, alors que notre rôle, lui, reste toujours le même. C’est un perpétuel recommencement.
Dans les bureaux de la GRC, il n’y a personne qui soit là depuis 10 ans. À un moment donné, tout le monde a été remplacé en moins d’une année.
Ça reste un problème, de notre point de vue, que de devoir sans cesse informer les services extérieurs du processus en place.
Si je peux ajouter quelque chose à ce que Robyn vient de dire, je crois que...
Vous avez dit quelque chose?
Il faut avancer, malheureusement, mais j’espère que vous aurez l’occasion de faire part de votre idée dans le cadre d’une réponse à une autre question.
Merci d’être venues ce soir. Nous sommes à la recherche de solutions et je crois qu’il nous est très utile d’entendre parler de programmes qui, de toute évidence, transforment réellement la vie des collectivités et d’apprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Je sais que les collectivités sont très différentes les unes des autres, mais vous semblez avoir en main quelque chose qui fonctionne dans votre collectivité. Est-ce que les collectivités voisines vous disent vouloir faire comme vous? Est-ce qu’elles arrivent à le faire aussi, tout en l’adaptant bien sûr de manière à répondre aux besoins de leur propre collectivité? Y a-t-il quelqu’un d’autre qui fait ce que vous faites et de la manière que vous le faites?
Je vous répondrai que nous avons participé à de nombreuses études gouvernementales. Cette analyse des coûts fait partie du nombre.
Nous avons élaboré un protocole que le gouvernement provincial a approuvé et l’approche communautaire englobe les collectivités métisses des alentours. Nous avons trois collectivités métisses voisines de la nôtre. Elles participent également à l’approche communautaire.
L’autre chose qu’il faut dire, c’est que nous avons invité les collectivités extérieures, tant autochtones que non autochtones, à se joindre à nous et nous avons vu arriver de partout des groupes intéressés à connaître ce que nous avions développé. Nous leur avons toujours dit qu’elles pouvaient emprunter tout ce qu’elles voulaient du processus lui-même et en faire ce qu’elles veulent.
Ce sont là quatre voies que nous avons empruntées pour bien faire comprendre le message.
J’habite la Colombie-Britannique. Je représente la région de Kamloops—Thompson—Cariboo aux Communes. Vous avez fait remarquer, au sujet de votre collectivité, qu’elle est située à une heure du poste de la GRC. Vous m’excuserez, mais je vous situe mal sur le plan géographique. Une chose qui a posé un très sérieux problème en Colombie-Britannique, ce sont les femmes qui font du stop le soir pour aller en ville. Est-ce que c’est un problème chez vous et avez-vous trouvé des solutions? Cette situation entraîne souvent des tragédies. Vous êtez-vous attaqués au problème d’une manìère ou d’une autre, ou est-ce un problème chez vous?
À une époque, les tentatives de suicide chez les jeunes hommes et les jeunes femmes ont posé problème. On les conduisait à l’hôpital de Pine Falls par ambulance ou par un autre moyen.
Si la personne arrivait à l’hôpital en ambulance, une fois qu’elle était hors de danger, on lui montrait la porte et on l’abandonnait à son sort. Nous avons dû créer un comité dans la réserve et nous avons communiqué à l’hôpital une liste de bénévoles à contacter par téléphone. Nous avons demandé au personnel de bien vouloir nous prévenir quand une personne venant de Hollow Water, de Manigotagan ou de Seymourville arrivait là et recevait son congé en pleine nuit. C’est ce qu’on a dû faire.
La même chose s'applique aux personnes qui sont libérées de prison. Habituellement, la mise en liberté est effectuée le matin, après que la personne a passé la nuit en cellule. Personne n’est prévenu. Elles sont dehors, tout simplement. Nous ne voulions pas qu’elles empruntent l’autoroute. Voilà un autre endroit où nous avons dû laisser des numéros de téléphone.
On dirait bien que la collectivité dans son ensemble ait trouvé un plan. Êtes-vous prête à affirmer que ce problème est désormais réglé? Est-ce que ça marche toujours et personne ne se retrouve seul sur le trottoir , obligé de se débrouiller pour rentrer chez lui?
Ce n’est plus tellement la collectivité, mais les familles concernées qui s’en chargent.
Des membres de la famille vont ainsi chercher les personnes qui sortent de prison ou de l’hôpital à Pine Falls et les ramènent.
En ce qui concerne votre collectivité, quel est, à votre avis, le défi majeur qu’elle doit relever maintenant?
Je crois que les défis sont les mêmes, mais à des degrés divers.
Comme je vous l’ai dit, nous continuons de progresser laborieusement. Nous mettons le cap vers notre projet de société. Bien souvent, ce sont les enfants qui nous motivent et nous activent. La route qui mène du point A au point B n’est jamais droite, quand c’est toute une collectivité qui l’emprunte. C’est comme si nous étions à la croisée des chemins et que nous devions réunir nos forces de nouveau et réfléchir à ce qui marche et à ce qu’il faut améliorer. Nous en sommes encore là et ce sont habituellement les enfants qui nous donnent la force et l’énergie nécessaires pour faire face à l’inéluctable.
Merci beaucoup, madame la présidente .
Merci, mesdames Bushie et Hall, d’avoir témoigné. Je dois admettre qu’il m’arrive quelquefois de me demander pourquoi vous continuez d’accepter de dialoguer avec nous. Rapport après rapport, nous continuons de chercher des solutions concrètes.
De toute façon, je veux revenir sur ce que vous avez dit au sujet de la nécessité d’un financement permanent à long terme. Le gouvernement a affirmé haut et fort qu’on allait s’attaquer à la violence liée à la traite des femmes.
Je viens d’apprendre qu’un refuge d’Edmonton qui lutte contre la traite des personnes a fermé ses portes. Il ferme parce que le Statut de la femme a cessé de le subventionner. On lui a coupé les vivres, donc il a fermé.
Je me rappelle ce que vous avez dit, madame Hall, en rapport avec la perte du financement accordé par la Fondation de guérison, et la gymnastique à laquelle vous avez dû vous soumettre pour réussir à prendre de l’argent de vos programmes en place et à mettre quelque chose sur pied.
Est-ce que les programmes en place, qui ont demandé tant d’efforts pour leur mise sur pied, ont souffert de quelque façon du fait d’avoir été amputés de ressources financières et de la perte de l’aide de la Fondation?
Oui, certainement. La perte de ce financement nous a obligés à réduire à l’essentiel les programmes que nous offrions. Il a fallu déterminer ce que nous voulions conserver et trouver le moyen d’y arriver. Je dirais que cet exercice nous a probablement demandé à peu près deux ans. Donc, pendant cette période de deux ans... Notre programme d’activités a été grandement réduit, d’abord et avant tout, parce que nous devions tout réorganiser et les mettre ailleurs.
Avec tout le respect que je dois au gouvernement actuel, je veux tout de même faire remarquer qu’on dirait qu’une fois qu’un programme est en place et fonctionne, si les résultats sont positifs, quelqu’un se dit: « Bon, vous vous débrouillez plutôt bien, donc je vais laisser tomber ce programme. » On passe à autre chose. Par exemple, à un moment donné, on a reçu du financement dans le cadre de la SNPSJA, soit la Stratégie nationale de prévention du suicide chez les jeunes Autochtones. Nous avions présenté un projet et on nous a demandé à combien s’élevait le nombre de suicides cette année-là. Les chiffres étaient très faibles, un résultat dont le mérite revient à bien des programmes que nous offrons, donc il n’était plus nécessaire de... « Non, ce programme n’est plus utile, puisque le nombre de suicides est insuffisant. » Il est évident qu’il y a quelque chose de bon dans nos actions, puisque nous n’affichons pas un grand nombre de suicides. C’est comme si on nous disait: « Bien, ça, c’est guéri, donc nous allons passer à autre chose. »
Ce sur quoi il faut axer nos efforts, c’est sur le perfectionnement de nos modes d’action. Quand nous avions la Fondation de guérison, nous approfondissions ce que nous percevions comme facteur d’épanouissement de notre collectivité. Nous avons constaté l’effet préventif de la prise de conscience de son identité personnelle et de la mise en place de ces programmes, mais encore une fois, on a tout arrêté. Alors, nous avons dû nous réorganiser et couper une ou deux mesures, tout refaire et maintenant nous recommençons à avancer.
De mon point de vue, en particulier dans la prestation de services liés à la santé et à la justice, il est difficile d’assurer des moyens financiers et de jongler avec les subventions dans le cadre d’une programmation. On a l’impression de reculer d’un pas pour ensuite avancer, par la suite on recule de deux pas avant de repartir vers l’avant.
En ce qui concerne le processus holistique de guérison, la durée du financement est passée de trois ans à un an, ce qui oblige à justifier notre action tous les ans. Nous passons en mode survie, au lieu de se consacrer au programme lui-même.
Est-ce que j’ai répondu à votre question?
Oui. Je suis sensible à votre réponse; c’est le reproche qu’on nous a exprimé maintes fois. Tout est capital de démarrage. Dès que vous affichez des résultats positifs, le financement cesse. On pourrait croire qu’il est inutile de planifier ou d’assurer une pérennité.
Que feriez-vous si, par miracle, vous retrouviez la subvention accordée par la Fondation de guérison? Que seriez-vous en mesure d’accomplir?
Lorsque nous recevions des subventions de la Fondation de guérison dans notre collectivité, nous avons en fait exploité trois volets, car nous souhaitions étudier différents secteurs. Il y avait notamment un programme rattaché au territoire, lequel mettait l’accent sur un grand nombre de besoins physiques, le culturel, le spirituel et le cérémoniel. Un autre s’appelait la Society for the Preservation of Anishnabe, la société pour la préservation des Anishnaabe, ou SPA, qui s’intéressait à notre histoire et à la renaissance de toutes nos cérémonies. Finalement, il y avait notre culture et notre habitation, et cela englobait tous les membres de notre collectivité.
Lorsque la Fondation a cessé son financement, nous avons perdu les trois volets durant une courte période. Ensuite, nous avons commencé à offrir le programme rattaché au territoire dans notre école. Par contre, le financement de la société pour la préservation des Anishnaabe a posé des problèmes, donc nous avons dû essentiellement répartir la somme entre un paquet de volets différents et le tout est pas mal dispersé.
Merci. Nous allons passer à quelqu’un d’autre.
Il reste plus ou moins quatre minutes et j’aimerais que madame Brown utilise ce temps pour poser ses questions.
Madame la présidente, chères collègues, je viens d’être nommée à ce comité. J’y siège pour la première fois ce soir. Par ailleurs, en 2010, je faisais partie du comité de la condition féminine lorsqu’il a réalisé une étude sur la violence faite aux femmes autochtones. Je serais curieuse de savoir ce que nous apprendrait cette étude, si on devait la relire, étant donné l’objet de nos débats ce soir.
Madame Bushie, une observation que vous avez formulée un peu plus tôt m’a déconcertée et je me demande si j’ai bien compris ou si des éclaircissements seraient utiles.
Vous avez dit — je ne me souviens des mots exacts, j’ai bien peur — qu’à une époque, la violence envers les femmes était acceptée. Ai-je bien entendu? Est-ce bien ce que vous vouliez dire, ou ai-je mal compris?
Pouvez-vous me dire de quelle période on parle et ce qui a entraîné le changement de cette attitude?
Cette attitude a changé quand les femmes et les fournisseurs de services au sein de la collectivité en ont décidé ainsi. D’une seule voix, nous avons déclaré que la maltraitance était terminée. Nous ne savions pas comment, mais ça allait cesser. Le seul fait de prononcer ces mots a eu un effet boule de neige qui a placé au premier plan tout le problème de la maltraitance, la violence familiale, l’abus des aînés et toutes ces choses. Plus personne de notre collectivité n’a pu se cacher et nier l’existence du problème.
Nous l’avons vraiment crié sur les toits. Nous l’avons révélé au grand jour. Nous avons demandé au chef et au conseil de rédiger des résolutions affirmant que les femmes, les enfants et les aînés étaient victimes d’abus. Ces groupes de personnes, en tant qu’Autochtones, oeuvrent à la protection des enfants. Ce fut le message que chaque Anishinaabe comprit. Nous avons appliqué toutes les valeurs qui ont marqué mon éducation; les personnes de mon âge s’accrochaient à ces valeurs, malgré le chaos ambiant.
C’était comme un talisman, on pourrait dire cela, intégrant nos enfants et permettant à ces derniers d’exprimer ce qui leur arrivait. C’est là autre chose qui nous a vraiment amené à faire face au problème.
Tout se résumait à changer d’attitude. Aucun homme, grand-père ou oncle, qui fait partie de ma communauté n’a le droit d’affirmer que sa nièce l’a poussé au viol. Personne. Encore aujourd’hui. C’est là une chose qui est très claire dans l’esprit des femmes de notre collectivité, et ce, malgré les creux vécus — le financement irrégulier et le départ de membres de la collectivité.
On me dit que mon temps est écoulé.
J’avais d’autres questions, mais nous pourrons peut-être en débattre à une autre occasion.
Merci beaucoup.
Merci à vous, au nom des autres membres du comité.
Nous remercions les deux témoins pour avoir passé la soirée avec nous. Nous avons aimé vous entendre sur le programme de justice réparatrice. Nous vous savons sincèrement gré du temps que vous nous avez consacré.
Merci beaucoup.
La séance est levée.
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