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Monsieur le Président, je soulève la question de privilège conformément à l'article 48 du
Règlement de la Chambre des communes. Il s'agit d'une grave question qui concerne les renseignements trompeurs que le a donnés à la Chambre en ce qui concerne la prolongation et l'élargissement de la mission militaire du Canada en Irak et aussi, maintenant, en Syrie. Les députés doivent en effet se fier à ces renseignements pour pouvoir se prononcer — ce qu'ils ont fait — sur l'une des questions les plus importantes dont le Parlement puisse être saisi: doit-on risquer la vie de militaires canadiens?
C'est une question extrêmement grave. Comme je l'ai déjà dit, les renseignements trompeurs et les déclarations erronées ne portent pas seulement atteinte aux privilèges des parlementaires, sur lesquelles comptent les députés pour s'acquitter de leurs fonctions. Ils minent aussi la confiance des Canadiens, qui élisent leurs députés pour qu'ils gouvernent de façon responsable. Je vous demanderais donc d'établir qu'il y a, de prime abord, atteinte aux privilèges, pour que le comité puisse examiner cette question de plus près.
Depuis deux semaines, la Chambre a consacré une bonne partie de son temps à discuter de l'élargissement de la mission militaire du Canada en Irak et en Syrie. Il va sans dire que le s'est fait expliquer en long et en large le rôle et la mission du Canada. Ceux qui l'ont informé, ce sont les membres très compétents des Forces armées canadiennes ainsi que les fonctionnaire du ministère de la Défense nationale et du ministère des Affaires étrangères.
La Chambre et les députés se sont donc fiés, comme il se doit, à l'information transmise par le , le et le pour prendre leur décision et pour appuyer ou non le prolongement et l'élargissement de la mission militaire du Canada. La motion en question a été adoptée cette semaine.
Malheureusement, l'information sur cette mission fournie par le gouvernement au cours des six derniers mois s'est révélée bien trop souvent fausse. Il y a à peine deux mois, j'ai demandé au de répondre de ses déclarations trompeuses sur le premier déploiement de six mois de nos soldats en Irak. Rappelons qu'il a dit à la Chambre l'année dernière, au mépris totale de la vérité, que le personnel des Forces armées canadiennes n'accompagnerait pas les forces irakiennes sur la ligne de front. Bien entendu, nous savons maintenant que, non seulement du personnel militaire canadien accompagne les forces locales sur la ligne de front, mais qu'il trace aussi des cibles et essuie des tirs sur les lignes de front, affrontant directement les forces de l'EIIL, contrairement aux affirmations du premier ministre.
Aujourd'hui, nous avons droit à un autre exemple du peu de cas que fait le gouvernement de la vérité et des faits entourant la participation canadienne à la guerre. Lundi dernier, le jour même où les députés ont été appelés à accomplir leur devoir le plus sacré, qui est d'autoriser l'envoi au combat des Forces armées canadiennes, voici ce que le ministre a dit en réponse à une question directe du NPD:
[...] l'honorable députée a tort, parce que les États-Unis et le Canada seront les seuls pays alliés utilisant des munitions guidées de précision pour cibles dynamiques. C'est un atout très important.
C'est l'une des raisons pour lesquelles les États-Unis ont encouragé le Canada à élargir sa mission militaire contre l'organisme génocidaire terroriste État islamique, afin que nous puissions frapper ces cibles dynamiques avec nos munitions de précision, qui sont parmi les meilleures au monde.
Il a ensuite ajouté ceci, en réponse à une question que je lui avais posée à titre de porte-parole de l'opposition officielle en matière de défense:
Monsieur le Président, le député de St. John's-Est a malheureusement tort. La déclaration du chef d'état-major de la Défense a confirmé mes propos. Selon l'avis que j'ai reçu de l'armée, il n'y a que les États-Unis qui utilisent actuellement des munitions à guidage de précision de cette nature contre les cibles de l'EIIL.
Comme nous le savons maintenant, ce n'est pas moi qui avais tort, mais bien le ministre. Les déclarations trompeuses du sont particulièrement préoccupantes parce qu'elles forment le principal argument qu'il a invoqué pour démontrer la nécessité de bombardements canadiens en Syrie. Voici ce qu'il a dit à la population canadienne le 25 mars:
Seulement cinq partenaires de la coalition mènent des frappes aériennes contre les cibles de l'EIIL dans l'Est de la Syrie. Les États-Unis sont les seuls parmi les cinq à utiliser les munitions à guidage de précision. Or, l'Aviation royale canadienne a cette capacité. C'est en partie pourquoi nos alliés nous ont demandé d'étendre nos missions aériennes dans l'Est de la Syrie; avec les munitions à guidage de précision que transportent nos CF-18, nos frappes contre l'EIIL peuvent avoir plus d'impact.
En vérité, tous — je dis bien tous — les États qui mènent des frappes aériennes en Syrie utilisent des munitions à guidage de précision.
À la suite de cette affirmation du ministre, on a rapporté ceci dans les médias hier:
Mais selon un porte-parole du groupe de forces interarmées multinationales, qui dirige le bombardement de la coalition en Syrie et en Irak, c'est très loin d'être le cas.
C'est très loin d'être le cas. Comment le ministre a-t-il pu se tromper à ce point sur cette question cruciale?
Le porte-parole du groupe de forces interarmées multinationales a ajouté:
Tous les États membres de la coalition qui mènent des frappes aériennes en Syrie et en Irak utilisent des munitions à guidage de précision et rien d'autre.
Le porte-parole a poursuivi en précisant qu'à part les États-Unis, quatre pays menaient des frappes aériennes en Syrie, et que huit pays autres que les États-Unis intervenaient en Irak, à savoir l'Australie, la Belgique, le Danemark, la France, la Jordanie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, ainsi que le Canada.
Tous les Canadiens, y compris les proches de nos soldats et les parlementaires à qui on demande l'autorisation d'envoyer les militaires risquer leur vie, avaient le droit de connaître la vérité. Le ministre leur a caché la vérité, préférant leur fournir des renseignements qui, de son propre aveu, étaient complètement faux.
Il est difficile d'imaginer ce qui a pu arriver pour que le ministre fasse des allégations carrément fausses sur l'état de la situation dans les zones de conflit où il recommandait d'envoyer nos forces.
Le ministre a le devoir de fournir aux parlementaires des renseignements exacts sur la mission. Dans la décision concernant le député de que vous avez rendue le 3 mars 2014, monsieur le Président, vous avez parlé de « l'importance primordiale que revêtent l'exactitude et la vérité dans nos délibérations ». Cela ne pourrait être plus vrai lorsqu'il s'agit de déterminer s'il faut ou non envoyer les Forces canadiennes à la guerre. Dans ce cas-ci, le ministre a l'obligation sacrée de veiller à ce que ses déclarations soient véridiques.
Maintenant qu'il est clair pour la Chambre qu'il y a eu un terrible abus de confiance entre son ministère et la population canadienne, y compris ses collègues à la Chambre des communes, nous avons également le devoir de découvrir la nature et la raison de cet incident. Aujourd'hui, monsieur le Président, je vous demande de défendre ces droits et notre institution démocratique en déterminant qu'il y a, à première vue, matière à question de privilège et d'outrage au Parlement.
Par souci de clarté, je rappelle à tous les députés les droits qui leur sont accordés afin qu'ils puissent s'acquitter de leurs fonctions au nom des Canadiens. À la page 75 de la 23e édition de l'ouvrage d'Erskine May intitulé Treatise on The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, le privilège parlementaire est défini ainsi:
[...] la somme des droits particuliers à chaque Chambre, collectivement [...] et aux membres de chaque Chambre individuellement, faute desquels il leur serait impossible de s'acquitter de leurs fonctions [...]
Les privilèges parlementaires sont de la plus haute importance non seulement pour les parlementaires, mais aussi pour les Canadiens qui font confiance au Parlement pour légiférer en leur nom et demander des comptes au gouvernement. En fait, c'est là l'essence même de la démocratie qui nous tient tant à coeur. Les Canadiens s'attendent à ce que nous puissions remplir ces fonctions totalement librement, et ils s'attendent à ce que le gouvernement fournisse des réponses honnêtes à la Chambre. Il s'agit de principes fondamentaux, qui sont extrêmement importants pour que les Canadiens puissent continuer de croire et de participer à notre processus démocratique.
L'atteinte aux privilèges peut prendre de nombreuses formes, mais celle dont il est question aujourd'hui, soit le fait d'induire la Chambre en erreur, est l'une des plus graves qui soient. À la page 111 de l'ouvrage d'Erskine May, on peut lire ceci:
Lorsqu'une déclaration trompeuse est faite délibérément, les Communes peuvent agir comme s'il s'agissait d'un outrage.
À la page 111 de la deuxième édition de l'ouvrage d'O'Brien et Bosc, La procédure et les usages de la Chambre des communes, on apprend que, dans le cas des déclarations trompeuses faites délibérément, on peut conclure que la question de privilège semble fondée de prime abord.
Si, comme vous l'avez indiqué par le passé, nous devons croire les députés sur parole, nous devons alors croire que le ministre a été induit en erreur par son personnel. Même si nous pourrions avoir certains doutes à cet égard, accepter cette possibilité ne signifie pas que la présidence ne peut pas conclure qu'il y a eu atteinte aux privilèges des députés.
Vous savez sans doute, monsieur le Président, que le 6 décembre 1978, en constatant qu'il y avait eu de prime abord outrage à la Chambre, le Président Jerome a statué qu'en induisant délibérément un ministre en erreur, un représentant du gouvernement avait gêné un député dans l'accomplissement de ses fonctions et que, par conséquent, il avait entravé les travaux de la Chambre. Vous savez également que ce n'est pas la première fois qu'il a été révélé qu'un député conservateur cherchait à justifier les politiques de son parti à la Chambre en présentant des renseignements erronés.
Lorsque le député de a décrit en détail des cas de fraude électorale qu'il prétend avoir vus de ses propres yeux pour ensuite avouer quelques jours plus tard qu'il avait tout inventé de toutes pièces, le Président a déterminé qu'il y avait eu atteinte aux privilèges de la Chambre.
Hier, le même scénario s'est déroulé à nouveau; cette fois-ci, c'est le qui a pris la parole à la Chambre pour dire qu'il avait fait une fausse déclaration seulement deux jours plus tôt. Lundi, le ministre a dit que nos alliés nous ont appelés pour dire qu'ils avaient besoin de nous car, contrairement à eux, le Canada avait à sa disposition des munitions à guidage de précision sans égales, et que le gouvernement avait le devoir moral de combler cette lacune dans l'effort de guerre. Or, c'était entièrement faux.
L'élément crucial dans cette affaire, c'est que la Chambre a déjà voté sur la question à laquelle s'appliquent les observations trompeuses du ministre. Le mal est fait. Le ministre a pris quelques instants hier pour jeter le blâme sur le chef d'état-major de la Défense. Toutefois, il n'a toujours pas présenté d'excuses pour quoi que ce soit, y compris le rôle qu'il a joué dans cette entreprise monumentale de désinformation.
Hier, il a déclaré que c'était la faute de quelqu'un d'autre et que, en tant que ministre, il regrettait simplement que les renseignements aient été rendus publics. Je le regrette aussi. En fait, je suis consterné, et tous les députés devraient l'être. Nous avons vu le ministre jeter l'opprobre sur ceux qui osaient contester la véracité de ses affirmations. Puis, en tant que députés, nous avons dû nous fier aux renseignements erronés qu'il nous avait communiqués pour décider s'il convenait d'approuver ou de rejeter la proposition visant à élargir de façon spectaculaire cet effort de guerre. Nous pouvons certainement tous convenir qu'il s'agit d'un problème énorme et grave.
S'il s'agissait d'un cas isolé, on pourrait peut-être convaincre les Canadiens que le ministre a commis une erreur de bonne foi. Franchement, le gouvernement et surtout le ministre ont prouvé qu'ils aimaient prendre des libertés avec la vérité. Comme ils ont encore une fois fait preuve de ce comportement dans le débat sur la participation des militaires canadiens à une guerre, le temps est maintenant venu d'en tirer des conclusions.
Monsieur le Président, dans vos décisions sur les divers cas où le gouvernement a induit la Chambre en erreur au fil des ans, vous avez mis l'accent sur l'importance de la tradition de longue date voulant que l'on accepte la parole d'un député dans cette enceinte. Mais, à mon avis, cette tradition est en péril depuis que les conservateurs sont au pouvoir.
Évidemment, lorsque les ministres se font poser des questions difficiles par l'opposition ou les médias, ils trouvent souvent des façons créatives d'éviter les vérités qui dérangent. Les faux-fuyants, l'omission de certains faits, les fanfaronnades, les bravades et le refus de répondre aux questions font partie des pratiques de longue date utilisées au Parlement canadien et dans d'autres parlements. Ce sont des tactiques parfaitement maîtrisées par les gouvernements libéraux et conservateurs depuis des générations. Toutefois, fournir de l'information nettement fausse est une toute autre paire de manches. Ce n'est pas uniquement contraire à l'éthique, mais c'est aussi contraire aux règles de la Chambre des communes.
Le ministre s'est présenté dans cette enceinte armé de fausse information dont il s'est servi comme argument clé pour justifier la participation du Canada à l'effort de guerre en Syrie. Des députés se sont appuyés sur cette fausse information pour prendre la décision d'envoyer des troupes canadiennes participer à des combats meurtriers. Nous ne pouvons pas en rester là.
Le ministre dit que ce fiasco résulte de l'information erronée qu'on lui a remise. Le chef d'état-major de la défense a fait de multiples déclarations contradictoires pour essayer de dissiper la controverse et d'expliquer cet échec lamentable du ministre lorsqu'il s'est agi d'informer le public et la Chambre.
Ce qui s'est passé mérite certainement d'être étudié par le comité approprié de la Chambre, pour que l'on puisse entendre le ministre, le chef d'état-major de la défense et les autres personnes concernées, de manière à ce que nous puissions établir exactement comment il a pu arriver que les députés soient mal informés de la sorte juste avant un vote pour déterminer si de courageux militaires canadiens, hommes et femmes, allaient être envoyés au combat en notre nom. Ils méritent au moins cela.
Voilà ce que j'avais à dire, monsieur le Président, pour appuyer la demande que je vous adresse afin que vous considériez que, de prime abord, il y a eu atteinte aux privilèges de la Chambre et afin que la question soit étudiée par le comité approprié de la Chambre. Je serais prêt à présenter la motion nécessaire si vous acquiescez à ma demande, monsieur le Président.
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Monsieur le Président, avec tout le respect que je dois à mon collègue de St. John's, je lui signale que rien dans les arguments qu'il a portés à l'attention de la présidence ne permet de croire qu'il y a de prime abord matière à question de privilège. Il me ferait plaisir, monsieur le Président, de résumer brièvement les faits pour votre gouverne et celle des députés et de réfuter les prétentions de mon collègue d'en face.
Pendant que je m'affairais à rédiger les recommandations au gouverneur en conseil concernant un possible élargissement ou une éventuelle prolongation de la mission militaire que nous menons contre l'EIIL, et qui porte le nom de code « Opération impact », on m'a informé, à titre de ministre de la Défense nationale, que l'Aviation royale canadienne disposait de munitions guidées de précision qui pourraient s'avérer particulièrement utiles pour frapper les cibles de l'EIIL en Syrie et qu'à l'heure actuelle, seuls les États-Unis employaient de telles munitions en Syrie. J'ai répété l'information qui m'avait été donnée, je ne le nie pas, et j'en assume la responsabilité.
Le gouverneur en conseil et le Cabinet ont étudié les recommandations que je leur avais soumises et décidé de prolonger la mission et d'en élargir la portée, convaincus qu'ils étaient que nous ne pouvons pas permettre au soi-disant État islamique de consolider sa position dans l'Est de la Syrie, en l'occurrence une zone qu'il contrôle de facto, d'où il a envahi l'Irak, d'où — en fait — il a semé la terreur en Irak et où il a établi sa prétendue capitale. C'est à la lumière de ces considérations que le gouvernement a décidé de prolonger la mission et d'en élargir la portée, comme le disait d'ailleurs la motion dont la Chambre a été saisie et qu'elle a adoptée dernièrement, indiquant du coup que la majorité des députés appuient la décision prise par le gouvernement.
Il est vrai que, dans le cours des débats qui ont eu lieu à la Chambre et dans les médias, j'ai répété l'information que m'avaient transmise les militaires concernant le potentiel unique des munitions dont dispose l'Aviation royale canadienne. La semaine dernière, toutefois, ces mêmes militaires m'ont appris que, selon les nouveaux renseignements portés à leur attention, une nuance de taille s'imposait, puisque les munitions guidées de précision de l'Aviation royale canadienne sont en réalité plus efficaces contre les cibles mobiles que statiques. C'est alors que le chef d'état-major de la Défense a fait parvenir une lettre aux médias — dans un premier temps à l'Ottawa Citizen, si ma mémoire est bonne — afin de rendre publics les nouveaux renseignements qui venaient d'être portés à son attention.
Comme je l'ai déjà dit, j'ai tenu l'information qu'on m'a donnée pour exacte. Je suis évidemment responsable de toute l'information que le ministère et moi-même communiquons, mais le ministre doit évidemment accepter l'information que les chefs militaires lui donnent.
Cette semaine, les responsables des Forces canadiennes ont communiqué avec mon bureau pour dire que la lettre envoyée par le chef d'état-major de la défense n'était pas exacte et qu'au moins deux autres pays, en plus des États-Unis, avaient utilisé des munitions à guidage de précision contre les cibles de l'EIIL en Syrie. Le chef d'état-major de la défense a donc envoyé une lettre à l'Ottawa Citizen pour rectifier les faits. Cette lettre a été publiée le 27 mars:
Depuis la publication de la lettre que je reprends ci-dessous et dans laquelle je disais que les États-Unis étaient le seul pays à utiliser des munitions de pointe à guidage de précision, d'autres renseignements ont été porté à ma connaissance. Un allié de la coalition a déjà utilisé de telles munitions en Syrie à au moins une occasion. L'information que contenait la lettre, et que les Forces armées canadiennes avaient communiquée au ministre de la Défense nationale, se fondait sur des renseignements considérés comme exacts au moment où elle a été écrite. Je regrette sincèrement que cette erreur se soit produite.
Dès que j'en ai eu l'occasion, hier après-midi, j'ai pris la parole à la Chambre afin de déposer la lettre que je viens tout juste de citer et d'assumer ma responsabilité à titre de ministre de la Défense nationale. Encore une fois, même si je reçois des renseignements inexacts, selon le principe de la responsabilité ministérielle, j'en suis responsable. J'ai communiqué ces renseignements et je le regrette. J'en assume la responsabilité.
Hier, j'ai déclaré ce qui suit:
À titre de ministre de la Défense nationale, c'est moi qui, au final, suis responsable de l'ensemble de l'information fournie par mon ministère. Je regrette donc que des renseignements inexacts aient été rendus publics et tiens moi aussi à corriger les faits.
Je tiens néanmoins à mettre l'accent sur deux choses. Tout d'abord, je n'ai jamais caché de renseignements. Au contraire, j'ai fait preuve de transparence en communiquant les renseignements. Habituellement, l'opposition critique le gouvernement en disant qu'il ne fait pas preuve de toute la transparence voulue et qu'il ne communique pas assez de renseignements. Aucun renseignement n'a été dissimulé, et dès que les forces armées ont constaté que de nouveaux renseignements ont fait surface, des mesures ont été prises pour rectifier les faits. Dès que j'ai été informé de la situation, j'ai pris la parole ici et j'ai moi aussi rectifié les faits. Donc, aucun renseignement n'a été caché.
Je peux garantir au député que je n'ai jamais délibérément induit la Chambre ou les médias en erreur et qu'il en va de même des forces armées. Je suis convaincu que les forces armées croyaient que les renseignements qui m'ont été donnés étaient exacts, et je n'ai pas remis en question la crédibilité des sources utilisées par les gens qui m'ont transmis ces renseignements afin que je les transmette à mon tour à la Chambre et à la population.
Je répète qu'il est déplorable que des renseignements erronés aient été communiqués, mais cela n'a pas été fait de mauvaise foi, de façon délibérée ou dans l'intention de falsifier de l'information comme le prétend le député.
Deuxièmement, je ne crois pas que les privilèges du député aient été restreints de quelque façon que ce soit. Il laisse entendre que ces renseignements contextuels erronés ont influencé son vote sur la motion. Or, je sais que c'est faux parce que le Nouveau Parti démocratique, y compris le député, affirme sans équivoque depuis des mois qu'il s'oppose à l'ensemble de l'opération militaire que le Canada mène contre l'EIIL. Le NPD a clairement fait savoir qu'il voterait contre cette opération quelles que soient les circonstances. De surcroît, comme je l'ai dit, le gouvernement et les députés conservateurs ont décidé d'appuyer la prolongation de la mission parce qu'ils croient qu'il faut empêcher l'EIIL de trouver refuge en Syrie.
Oui, ces renseignements étaient erronés, mais il s'agissait de renseignements contextuels non essentiels à la motion que la Chambre a adoptée afin d'appuyer la décision du gouvernement.
Je rappelle par ailleurs au député que, selon ce que je comprends, le Comité permanent de la défense nationale a cité le chef d'état-major de la Défense à comparaître dès le retour du congé de Pâques. Le député sait que je suis toujours ravi de témoigner au comité. Par conséquent, s'il veut m'interroger ou poser des questions au chef d'état-major de la Défense ou à d'autres fonctionnaires dans ce dossier, nous nous ferons un plaisir de nous mettre à disposition, comme toujours.
En somme, j'estime qu'il n'y a pas de prime abord matière à question de privilège. Je suis intervenu pour assumer la responsabilité de l'information erronée, même si cette information n'avait aucune incidence sur la décision du gouvernement ou l'issue du vote de la Chambre, plus tôt cette semaine. De toute évidence, tout en assumant la responsabilité de ce qui s'est produit, je collaborerai avec mes conseillers militaires afin de vérifier et de contrevérifier tout renseignement que nous rendons public.
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Monsieur le Président, la réponse du m'étonne. J'aurais franchement préféré qu'il fasse preuve d'un peu plus de transparence au sujet de ce qui s'est réellement passé.
Nous avons des raisons de croire qu'il y a de prime abord matière à question de privilège. Il semble tout à fait évident que le dossier devrait être renvoyé au comité et que la Chambre doit le prendre très au sérieux.
L'élargissement et la prolongation de la mission en Syrie et peut-être ailleurs sont des questions très graves. Les conservateurs feraient valoir que le fait de demander aux militaires des Forces armées canadiennes de s'engager dans un conflit constitue l'une des décisions les plus importantes, voire la plus importante, que puisse prendre le Parlement. Par conséquent, l'information fournie revêt une importance capitale. Même lorsqu'on sait déjà de quel côté penchera tel parti ou tel député à la mise aux voix de la résolution, il n'en reste pas moins important que le fournisse des renseignements exacts.
Le a répété clairement, à maintes reprises, que la prolongation de la mission était nécessaire notamment parce que seuls le Canada et les États-Unis pouvaient fournir des munitions à guidage de précision. Du moins, c'était le contexte alors; j'y reviendrai dans un instant. Bref, de deux choses l'une: soit que le ministre a mal compris les renseignements que son ministère lui a transmis, soit qu'il a délibérément tenté de tromper la Chambre. Je crois que le ministre a bien été informé de tous les détails.
Voici un exemple qui illustre toute cette confusion.
Les députés se souviendront d'avoir entendu le chef du Parti libéral ou d'autres députés libéraux faire valoir que le gouvernement devait se montrer plus transparent, plus honnête, et jouer franc jeu avec les Canadiens à propos de cette mission. En fait, le chef du Parti libéral a posé une question à ce sujet. Le avait répondu que, dans le cadre de la mission terrestre du Canada en Irak, il s'agit « de conseiller et d'assister, et non pas d'accompagner ».
Et qu'a déclaré le ? Comment a-t-il réagi?
Eh bien, le a justifié la participation aux combats sur la ligne de front en disant: « Je doute que nous puissions entraîner des soldats sans les accompagner. » Or, le 30 septembre, le a exclu expressément la possibilité de combats au sol lorsqu'il a dit à la période des questions « Il s'agit de conseiller et d'assister, et non pas d'accompagner. » Ce n'est pas la première fois que cela se produit avec le .
Nous avons maintenant des comptes rendus très sérieux des médias et c'est comme si le voulait blâmer les fonctionnaires et les membres des Forces canadiennes plutôt que d'assumer ses erreurs.
Je vais citer un article très important, qui a été publié le 30 mars.
La semaine dernière, [le ministre de la Défense] a déclaré que la participation du Canada à la campagne de bombardement en Syrie était requise parce que le Canada et les États-Unis étaient les seuls membres de la coalition à utiliser des munitions à guidage de précision.
Le ministre a expliqué à CTV que seuls cinq partenaires de la coalition menaient des frappes aériennes contre les cibles terroristes de l'EIIL dans l'Est de la Syrie.
Il a aussi déclaré aux médias:
Les États-Unis sont le seul pays parmi ces cinq pays à avoir des munitions à guidage de précision. C’est une capacité qu’a aussi l’Aviation royale canadienne, donc, l’une des raisons pour lesquelles nos alliés nous ont demandé d'élargir notre rayon d'intervention jusque dans l’Est de la Syrie est que, grâce aux munitions à guidage de précision à bord de nos CF-18, nous pouvons mener des frappes plus efficaces contre l'EIIL.
Cette déclaration était fausse. Que le l'ait faite à la Chambre ou à l'extérieur de celle-ci, il avait tort. De deux choses l'une, soit il a intentionnellement trompé les Canadiens et la Chambre, soit il essaie maintenant de dire de façon détournée que son ministère ne l'a pas renseigné de façon appropriée, ce qui lui aurait permis d'être mieux informé. Je mets le ministre au défi de dire ce qu'il en est. Peut-être qu'il a entendu ce qu'il voulait bien entendre. À mon avis, les autorités militaires l'ont bien renseigné.
Il faut creuser davantage cette histoire. Il faut toujours être prudent avec les sources anonymes, mais il y a beaucoup de vrai dans ce que disent ceux qui connaissent la vérité et qui ne peuvent s'exprimer que de façon très limitée en raison de la position qu'ils occupent. J'ai trouvé intéressante la déclaration suivante qui se trouvait dans le même article:
Quand [le ministre] a fait ces fausses affirmations à la télévision, certaines personnes au quartier général de la Défense nationale n'arrivaient pas à comprendre pourquoi il tenait ces propos. Après tout, il avait été pleinement informé de la mission en Syrie. Par conséquent, soit il ne comprenait pas les renseignements de base qui lui avaient été transmis, soit il ne tenait tout simplement pas compte de ce qu'on lui avait dit, selon ce que certaines sources ont confié au blogue Defence Watch.
Je suis davantage porté à croire cela que les observations que le ministre vient de faire. Compte tenu de la confusion générale qui entoure cet important dossier, je crois que les Canadiens appuieraient ce que d'autres personnes et moi-même avons dit. Doit-on encore se demander pourquoi de plus en plus de Canadiens comprennent mieux ce qu'on tente de leur indiquer au sujet du gouvernement et de son approche à l'égard de cette mission?
Comme le chef du Parti libéral l'a toujours dit, le gouvernement n'a pas été honnête envers les Canadiens en ce qui concerne cette importante question dont nous sommes saisis, et il n'a pas réussi à justifier son approche.
Le ministre doit comprendre ceci. Que nous votions pour ou contre l'élargissement de la mission en Syrie, le ministre a l'obligation et la responsabilité d'être transparent et honnête non seulement envers les députés, mais envers tous les Canadiens, car en parlant à la Chambre, il s'adresse aux citoyens de l'ensemble du pays. Or, il a manqué à cette responsabilité.
Voilà pourquoi les libéraux croient qu'il y a, à première vue, matière à soulever la question de privilège, et que cette question devrait être soumise à un comité permanent qui pourrait envisager d'entendre quelques-unes des personnes impliquées dans cette affaire.
Je crois que cette affaire est très grave. Au bout du compte, monsieur le Président, nous attendrons votre décision. Je crois qu'il pourrait être nécessaire de faire d'autres interventions plus tard, quand nous aurons une meilleure idée de la façon dont le gouvernement tente de déformer les faits afin de justifier une approche dont il n'a pas clairement démontré la nécessité aux Canadiens en ce qui concerne ce dossier.
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Monsieur le Président, la question de privilège sur laquelle on vous demande de rendre une décision a été bien documentée, comme vous pouvez l'imaginer, et elle est assujettie à un ensemble très clair de règles. Il y a trois critères dont il faut tenir compte pour déterminer s'il y a eu atteinte aux privilèges.
Je sais que ces critères, qui se trouvent à la page 86 de l'O'Brien-Bosc — bien qu'il se peut que j'aie l'ancienne édition de 2009 sous la main —, ont été clairement établis et cités dans la décision rendue par la présidence en 2002 sur le cas d'Art Eggleton, le ministre de la Défense de l'époque, qui avait été accusé d'avoir fourni des renseignements trompeurs. Le Président actuel utilise bien sûr encore ces critères, ayant réaffirmé de nouveau leur validité le 7 mai 2012, à la page 7469 des Débats.
Je vais maintenant définir ces trois critères. Premièrement, il faut prouver que la déclaration était trompeuse. Deuxièmement, il faut démontrer que le député savait au moment de faire la déclaration que celle-ci était inexacte. Troisièmement, il faut établir qu'il avait l'intention d'induire la Chambre en erreur.
Ces critères ne peuvent pas être considérés séparément. Il faut que les trois soient satisfaits. Je pense qu'il ne fait aucun doute que la déclaration était inexacte. C'est évidemment le cas. Le député l'a reconnu lui-même. Il a très bien agi, et il a fait ce que tout député devrait faire s'il se rend compte que ce qu'il a dit était erroné. Il a déposé à la Chambre des documents corrigeant sa déclaration et rétablissant les faits exacts, et il l'a fait avant qu'une question de privilège soit soulevée.
Le député a fait ce qui s'imposait. Il n'y a aucune preuve qu'il savait au moment de faire la déclaration qu'elle était inexacte, et son comportement le démontre. Il a dit à la Chambre qu'il croyait qu'elle était juste quand il l'a faite. Dès qu'il a su que ce n'était pas le cas, il en a informé la Chambre.
Nous devons croire les députés sur parole à la Chambre, et il n'y a aucune raison de ne pas le faire dans ce cas. En fait, la séquence des événements laisse croire qu'il disait la vérité au moment de sa déclaration et quand il a rectifié ses dires. Par conséquent, la question de privilège qui a été soulevée ne respecte pas le deuxième critère, selon lequel il faut prouver que l'auteur savait, au moment de faire la déclaration, que celle-ci était inexacte. Je crois que toutes les preuves montrent plutôt le contraire, c'est-à-dire qu'au moment où il a fait la déclaration, il croyait dire la vérité.
Donc, des trois critères, le deuxième n'est pas respecté. Le troisième serait le fait que le député avait l'intention d'induire la Chambre en erreur. Évidemment, s'il croyait vraiment ce qu'il disait — et je crois que nous nous entendons tous sur ce point —, il est impossible qu'il ait fait la déclaration en ayant l'intention d'induire la Chambre en erreur. Encore une fois, les faits et la séquence des événements ainsi que le fait qu'il a rectifié ses dires, documents à l'appui, dès qu'il a appris qu'il y avait eu une erreur démontrent hors de tout doute qu'il n'avait pas l'intention d'induire la Chambre en erreur et qu'il s'est conduit adéquatement conformément à ses obligations.
Monsieur le Président, à mon avis, deux des trois critères dont il faut tenir compte pour déterminer s'il y a de prime abord matière à question de privilège n'ont pas été remplis dans ce cas. Par conséquent, il ne s'agit certainement pas d'une atteinte aux privilèges du député.
J'aimerais aussi aborder l'autre question. Le député de semble avoir tenté d'établir un quatrième critère. Je ne sais pas s'il s'agit d'un critère isolé ou d'un critère supplémentaire, mais le député prétend que, parce qu'il s'est fié à ces renseignements, ses privilèges, ou ceux de la Chambre, ont été bafoués. Un tel argument, bien que nouveau, pourrait être justifié, mais, d'après ce que j'ai pu constater, une règle de ce genre ne figure pas dans le Règlement ni dans les décisions antérieures de la Chambre. Je pense donc qu'une telle règle n'existe pas.
S'il fait valoir que la présidence devrait instaurer une nouvelle règle relativement à l'exactitude des renseignements fournis — dans la mesure où la motion a déjà été mise aux voix et qu'il est trop tard pour rectifier les faits parce que les députés se sont déjà prononcés sur la question —, sa question de privilège pourrait avoir un certain fondement, à la condition toutefois que le député qui aurait voté en fonction des renseignements fournis par le ministre choisisse de voter différemment à la lumière des nouveaux faits.
Ce n'est toutefois pas le cas du député qui invoque une atteinte à ses privilèges. Sa position était claire avant même que le ministre fournisse le moindre renseignement. Sa position et ses arguments n'ont jamais changé. Il a voté exactement comme il a dit qu'il le ferait et il continue de défendre la même position, même depuis que les faits ont été rectifiés.
Par conséquent, le député ne peut établir aucun lien de dépendance pour faire valoir qu'il y a eu atteinte à ses privilèges. Ce serait quelque chose de nouveau, mais même si on acceptait cela, le député n'est pas en position de soutenir cet argument puisqu'il ne s'est tout simplement pas fondé là-dessus pour prendre sa décision.
Je vous dirais, monsieur le Président, qu'il ne s'agit pas d'un critère valable et qu'il ne devrait pas être reconnu, mais si le député soutient que ce critère est acceptable, il n'est pas en position d'y avoir recours. C'est relativement simple, cela crève les yeux. Dans le cas présent, les privilèges de la Chambre ou de quelque député que ce soit n'ont pas été lésés et, par conséquent, je pense que vous pourriez rendre rapidement une décision et rejeter le recours au Règlement.