CIMM Rapport du Comité
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Opinion dissidente du Nouveau parti démocratique Introduction À la lumière des événements observés à l’échelle internationale et des niveaux record de migration forcée, il est impératif que le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration mène une étude approfondie des efforts de réinstallation déployés dès l’arrivée des réfugiés syriens au Canada. Comme il semble que la crise des réfugiés syriens ne soit pas la dernière crise humanitaire entraînant des déplacements de masse, il serait bon de comprendre ce qui a bien fonctionné et, surtout, ce qui a mal fonctionné. Ainsi, nous pourrons aider les gouvernements futurs à mieux répondre aux besoins humanitaires et à mettre en place les meilleures politiques et pratiques possible pour que les réfugiés réinstallés puissent bien refaire leur vie au Canada. Malheureusement, le Nouveau Parti démocratique (NPD) estime que le rapport du Comité ne traite pas comme il le devrait des lacunes et des problèmes constatés dans les efforts de réinstallation du gouvernement. Il est très important que nous réfléchissions sérieusement et sincèrement à ces faux pas afin de pouvoir apporter les changements qui s’imposent et fournir le meilleur effort possible de réinstallation des nouveaux arrivants, l’objectif étant de maximiser les chances de réussite. Nous présentons cette opinion dissidente pour nous assurer que les enjeux clés pour lesquels des témoins ont signalé des problèmes graves soient bien pris en considération. Ces enjeux sont, entre autres, les suivants :
Prêts de transport Les réfugiés qui sont acceptés au Canada doivent, dans de nombreux cas, obtenir du gouvernement fédéral un prêt leur permettant de venir au Canada. Ce prêt, qui est accordé dans le cadre du Programme de prêts aux immigrants, couvre les coûts des examens médicaux passés à l’étranger, de l’obtention des documents de voyage et du transport vers le Canada. Selon Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), les prêts ont une valeur moyenne d’environ 3 000 $, et les réfugiés doivent commencer à le rembourser 30 jours après leur arrivée au Canada. Le Canada est présentement l’un des seuls pays à exiger des réfugiés qu’ils acceptent des prêts avec intérêt pour avoir droit à la réinstallation. Selon ce qui a été rapporté le 29 novembre 2015, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté a annoncé que les autorités avaient décidé de faire grâce des prêts pour les réfugiés syriens arrivés après le 4 novembre 2015 et ceux interviewés avant le 28 février 2016, qu’ils soient parrainés par le gouvernement ou par le secteur privé. Des critiques ont avancé que cette décision créait deux classes, et peut‑être même trois classes de réfugiés : les réfugiés syriens qui sont arrivés dans la période indiquée ci‑dessus, les réfugiés syriens qui sont arrivés avant le 4 novembre 2015 et qui avaient déjà un prêt, et les réfugiés d’autres pays. J’ai demandé aux représentants d’IRCC, lors de leur comparution devant le Comité le 12 mai 2016, pourquoi le gouvernement avait décidé de faire grâce des prêts uniquement pour les réfugiés syriens qui répondaient au critère de la période établie, un critère qui semble arbitraire. Il est apparu clairement que, lorsqu’il a jugé qu’il avait réalisé son objectif politique, soit celui d’atteindre la cible annoncée de 25 000 réfugiés syriens réinstallés, le gouvernement a cessé de faire grâce des prêts de transport aux réfugiés. On m’a fourni l’explication suivante : « [T]out au long du mois de février, nous avons continué à interviewer des gens pour être sûrs d’atteindre l’objectif de 25 000 personnes d’ici la fin février. Comme nous n’étions pas entièrement sûrs quelles seraient, parmi les personnes interviewées, celles qui seraient en mesure de voyager à la fin février, nous avons continué à interroger plus de gens. Quelque 2 374 personnes avaient été interviewées à la fin février, mais n’avaient pas encore fait le voyage[i]. » Bien qu’il appuie l’élimination complète du Programme de prêts aux immigrants, le NPD est contre le fait d’en exempter certaines personnes seulement afin d’atteindre des objectifs d’ordre politique. Nous croyons que cette décision est profondément injuste pour les réfugiés syriens qui sont arrivés au Canada avant la suspension des prêts et pour les réfugiés des autres pays. Le Comité a pu entendre un réfugié syrien qui a reçu un prêt de transport, et qui a parlé des répercussions du prêt pour sa famille, qui tente de joindre les deux bouts. M. Amer Alhendawi est arrivé avec sa famille à Vancouver après avoir obtenu des prêts de transport totalisant 7 040 $. Ne pouvant compter que sur les ressources limitées de l’aide sociale, sa famille est incapable de rembourser le montant minimum de 720 $ par mois sur son prêt. M. Alhendawi pouvait tout juste rembourser 103 $ par mois. Et même dans ce cas, le prêt de transport est devenu un lourd fardeau financier pour la famille. Le prêt est maintenant en souffrance, car la famille est censée rembourser 720 $ par mois. C’est ce qui explique la deuxième demande que M. Alhendawi a faite au gouvernement lors de son témoignage : il souhaite que les autorités fédérales renoncent à appliquer les prêts de transport[ii]. Judy Villeneuve, conseillère municipale à Surrey (Colombie‑Britannique) et coprésidente du partenariat local en matière d’immigration de Surrey, a parlé longuement des effets néfastes des prêts de transport sur les efforts de réinstallation. Elle a souligné le problème des lourdes dettes et de l’accumulation des intérêts auxquels font face les réfugiés parrainés par le gouvernement, qui reçoivent en outre, dans leur province d’accueil, de l’aide sociale à un taux qu’elle juge insuffisant. Mme Villeneuve a décrit les difficultés que vivent les réfugiés syriens et les réfugiés d’autres pays avec qui elle a déjà travaillé : « Cela entrave leur capacité de se réinstaller parce qu’ils ont cette dette à rembourser [...] Nous constatons que la plupart des gens n’arrivent pas à joindre les deux bouts à la fin du mois. Nous avons vu que le nombre de nouveaux réfugiés qui fréquentent la banque alimentaire de notre ville a augmenté de plus de 600. Cette banque alimentaire n’est pas financée par le gouvernement, mais par les membres de la collectivité. Ils ont de la difficulté à nourrir ces familles. Imaginez‑vous essayer de joindre les deux bouts en Colombie‑Britannique, ou à Surrey, avec 1 100 $ par mois. Vous devez payer le loyer, la nourriture, l’électricité, le téléphone, vos frais scolaires et vos vêtements. Si vous deviez en plus de cela rembourser un prêt du gouvernement, il ne vous resterait plus rien[iii]. Mme Villeneuve a informé le Comité qu’elle a créé une pétition demandant au gouvernement de ne plus exiger aux réfugiés le remboursement des prêts de transport. Elle a dit que la pétition avait recueilli jusqu’ici plus de 1 000 signatures, et qu’elle serait déposée à la Chambre des communes par le député de Surrey‑Centre. Recommandation 1 Étant donné que tous les réfugiés, et non seulement les réfugiés syriens qui ont été interviewés entre le 4 novembre 2015 et le 28 février 2016 ont, par définition, subi des difficultés et des traumatismes importants, le gouvernement du Canada devrait éliminer le Programme de prêts aux immigrants afin d’offrir à tous les réfugiés au Canada la possibilité la plus grande et la plus équitable possible de se réinstaller et de refaire leur vie. Recommandation 2 Le gouvernement fédéral devrait convoquer une table ronde avec les ministres provinciaux et territoriaux afin de faire avancer des projets de stratégie nationale contre la pauvreté et de stratégie nationale pour le logement afin d’aider à répondre le mieux possible aux besoins criants des réfugiés nouvellement arrivés au Canada, tout en apportant un soutien supplémentaire aux Canadiens à faible revenu. Logement Le gouvernement fédéral a pris des engagements ambitieux à l’égard de la réinstallation de réfugiés syriens. Dans leur plateforme électorale, les libéraux s’étaient engagés au départ à réinstaller 25 000 réfugiés parrainés par le gouvernement avant la fin de 2015. Après son arrivée au pouvoir, le gouvernement a maintenu qu’il était capable d’atteindre cette cible, mais il est rapidement devenu évident qu’il n’allait pas pouvoir respecter sa promesse. Il a d’abord changé l’échéance qu’il s’était donnée, puis il a décidé de compter également les réfugiés syriens parrainés par le secteur privé afin de pouvoir parvenir au chiffre de 25 000. Malgré tout, il s’agissait d’un objectif ambitieux, et il a fallu accueillir des vagues massives de réfugiés en peu de temps. Le gouvernement fédéral avait prévu à l’origine de rénover des casernes militaires pour y loger temporairement les réfugiés syriens après leur arrivée (il y avait déjà consacré des fonds), mais il a finalement changé d’idée et les nouveaux arrivants ont été hébergés temporairement dans des hôtels, le temps de trouver des logements permanents. De nombreux réfugiés syriens ont par conséquent vécu dans l’incertitude pendant des semaines, voire plus de trois mois pour certains. Il s’est avéré clair, dès le départ, que le logement allait présenter un défi de taille dans le travail de réinstallation, un défi imputable au coût élevé du logement et aux faibles taux d’inoccupation des appartements à louer, notamment dans les grandes villes et les centres urbains du Canada. Qui plus est, les familles syriennes sont souvent beaucoup plus nombreuses que les familles canadiennes. Elles disposent de peu ou pas de ressources à leur arrivée au Canada, et celles qui sont parrainées par le gouvernement ne reçoivent que de l’aide sociale au taux applicable dans leur province. La recherche d’un logement convenable, sûr et abordable s’est donc révélée, pour elles, comme un défi colossal. Il est important de se rappeler à ce sujet que les réfugiés n’ont pas de temps à perdre après leur arrivée au Canada. Qu’ils soient parrainés par le gouvernement ou par le secteur privé, ils reçoivent de l’aide pendant 12 mois. Lorsqu’un logement permanent tarde à se concrétiser, il n’en découle pas seulement un stress supplémentaire pour la famille qui, vivant à l’hôtel, tente de s’ajuster tant bien que mal à son nouveau pays; privée d’adresse, la famille a du mal à accéder aux programmes et aux services essentiels qui lui permettront de reprendre une vie normale avant l’échéance des 12 mois. M. Mustafa Hajji Mousa, un réfugié syrien qui s’est finalement réinstallé dans la région de Kitchener‑Waterloo, a parlé des longs temps d’attente auxquels sa famille et lui ont été confrontés après leur arrivée au Canada : « Lorsque je suis arrivé au Canada, j’ai été au Toronto International Plaza Hotel pendant une vingtaine de jours. Je suis ensuite parti de Toronto pour Kitchener, où j’habite actuellement. Nous sommes restés 70 jours à la maison d’accueil Reception House et nous avons enfin trouvé un logement permanent. Notre premier problème a été le loyer élevé. Deuxièmement, lorsque nous avons fait une demande, nous avons été refusés à cause de nos jeunes enfants. Les voisins étaient mal à l’aise. Pendant 70 jours, nous avons cherché, jusqu’à trouver un logement acceptable qui ne soit pas trop cher pour nos revenus[iv]. » Avant de trouver un logement permanent, il peut être difficile, et même impossible, de profiter des services essentiels à la réinstallation et à l’intégration. Les enfants ne peuvent pas être inscrits à l’école. Les adultes qui n’ont pas d’adresse permanente peuvent avoir du mal à s’inscrire à un cours de langue; ceux qui réussissent à s’inscrire risquent de ne plus pouvoir se rendre au cours si le logement qu’ils trouvent est trop éloigné. Dans le cas de M. Mousa et sa famille, il a fallu attendre 90 jours – près du tiers de leur période de réinstallation – avant de trouver un logement permanent. De nombreux témoins ont expliqué combien il peut être difficile, pour une famille de réfugiés, de reprendre une vie normale dans un nouveau pays en un an. À cause des retards, certaines familles n’ont pas le choix : elles doivent réaliser cet exploit en neuf mois ou moins. Le Comité a entendu dire, par ailleurs, que des propriétaires essayaient de profiter des réfugiés syriens. M. Aleem Syed, un représentant de la Scarborough Muslim Association, a abordé la question du logement abordable et celle du comportement illégal de certains propriétaires : « Il y a vraiment un problème de logement abordable qui va beaucoup plus loin que le processus de réinstallation des réfugiés syriens. Il touche toute personne qui veut habiter en ville. En matière d’exploitation, certains de nos collègues nous ont rapporté des cas où le propriétaire demandait en guise de dépôt l’équivalent de toute une année de loyer[v]. » La question du logement ne concerne pas que les réfugiés parrainés par le gouvernement. Des organisations d’aide à la réinstallation et des signataires d’entente de parrainage (SEP) ont parlé de la difficulté, pour les réfugiés syriens, de trouver un logement abordable, tâche d’autant plus ardue qu’ils disposaient de peu de temps, vu les arrivées massives de réfugiés. L’hon. Peter Kent a comparu devant le Comité en sa qualité de parrain privé. Il s’est exprimé sur la question du logement : « Ils devaient trouver un lieu d’hébergement temporaire, un logement permanent, des meubles, des écoles, des documents et tout le nécessaire. Alors que les réfugiés parrainés par le gouvernement bénéficiaient d’un hébergement payé à l’hôtel et recevaient une allocation de subsistance pendant des semaines, voire des mois, avant de se réinstaller, les réfugiés parrainés par le secteur privé ne pouvaient se prévaloir que d’une nuitée à l’hôtel, après quoi c’est le répondant du secteur privé qui assumait les frais. Ce n’était pas un problème avant novembre, mais c’est devenu un fardeau financier considérable pour certains parrains du secteur privé en décembre et en janvier[vi]. » La recherche d’un logement permanent convenable et abordable est la première et l’une des plus importantes tâches du processus de réinstallation. Lorsque cette recherche tarde à porter fruit, la famille concernée, qui doit déjà composer avec la précarité propre aux réfugiés, vit encore plus de stress et d’incertitude pour le reste de la période de réinstallation. Recommandation 3 Le gouvernement fédéral, reconnaissant le fait que de nombreuses étapes du processus de réinstallation exigent que la famille de réfugiés ait trouvé un logement permanent, devrait bonifier l’aide qu’il offre pendant la recherche d’un logement permanent en établissant officiellement que la période de soutien d’un an commence une fois que la famille a trouvé un logement permanent. Accès à la formation linguistique Après avoir trouvé un logement permanent, il est essentiel pour le réfugié nouvellement arrivé de suivre une formation linguistique afin de bien pouvoir s’intégrer à la société canadienne et de refaire sa vie. Malheureusement, après des années de réduction du financement des cours de langue pour les immigrants au Canada (CLIC) par le gouvernement précédent, les organisations qui offrent ces cours ne disposaient pas des ressources nécessaires pour répondre à la forte croissance de la demande, attribuable au grand nombre de nouveaux réfugiés syriens et à leur arrivée dans une courte période. On
constate des listes d’attente et des retards accumulés dans les programmes de
formation linguistique de partout au pays. Mme Sandy Berman, représentante
de la Or Shalom Syrian Refugee Initiative, un groupe de parrainage, l’a
bien résumé en disant que l’accès aux CLIC est très limité aux niveaux
inférieurs, et particulièrement dans le cas des cours assortis de services de
garde d’enfants. C’est un immense obstacle à l’établissement et à l’intégration Le gouvernement fédéral a certes augmenté les fonds disponibles dans le cadre de l’initiative des réfugiés syriens, mais il en aurait fallu plus pour combler les trous créés par les compressions et satisfaire à la demande accrue. Le Vancouver Community College (VCC), par exemple, se distingue depuis longtemps pour sa formation linguistique, qui intègre le développement des compétences et le counseling en emploi pour les nouveaux arrivants. Mme Karen Shortt, du VCC, a utilisé l’exemple d’un groupe d’ingénieurs nouvellement arrivés au Canada qui ont suivi les cours du VCC : 93 % d’entre eux travaillent aujourd’hui dans leur domaine au Canada. Il y a cependant une ombre dans son témoignage de réussite : « Toutefois, nous ne tenons pas notre promesse à l’égard des immigrants et des réfugiés. Actuellement, plus de 800 étudiants figurent sur la liste d’attente pour nos cours d’anglais. En raison des réductions du financement de notre programme CLIC, cette année, nous avons dû annuler les cours pour 220 étudiants en anglais langue seconde qui auraient commencé en avril 2016[viii]. » Mme Shortt s’est dite contrariée, parce que son établissement pourrait, et devrait, en faire plus. Il a l’espace et le personnel enseignant nécessaires; il sait s’y prendre. Il ne lui manque que les fonds pour fournir le service. Les représentants de la Mount Pleasant Family Centre Society ont exprimé le même sentiment de frustration : les réductions de 6 % du financement fédéral se sont répercutées sur la prestation de services et le personnel, nuisant ainsi aux capacités de l’établissement. La Mount Pleasant Family Centre Society offre un programme de soutien unique aux familles de réfugiés : le programme d’aide aux réfugiés en bas âge appelé Circles of Care and Connection permet aux familles de réfugiés ayant des enfants de 6 ans ou moins de recevoir des services de développement de la petite enfance, de soutien familial et d’installation. Malgré la hausse de la demande, l’organisation n’a pu obtenir de fonds supplémentaires. La demande était devenue trop lourde pour ses ressources, et l’organisation n’a eu d’autre choix que de réduire ses services : « Nous avons réduit nos effectifs à temps plein. Nous avons mis à pied des membres du personnel. Nous avons réduit le nombre d’heures que nous pouvons fournir pour l’interprétation. Nous avons réduit les heures consacrées aux programmes[ix]. » Pourtant, les recherches ont montré que les facteurs de stress agissant avant et après l’immigration influent sur la santé mentale des enfants réfugiés; le programme Circle of Care and Connection et ses services aident à maintenir des relations d’entraide et des environnements sains qui peuvent être bénéfiques pour les enfants réfugiés et leurs familles. L’acquisition de compétences linguistiques est un aspect extrêmement important de l’intégration. Sans elles, le nouvel arrivant peut avoir beaucoup de mal à s’intégrer, à trouver du travail et à éviter l’isolement. Dans le cas des réfugiés syriens, ce sont surtout les femmes qui souffrent de ce problème, notamment en raison du manque de cours de langue et du fait qu’elles doivent s’occuper des enfants. Mme Eman Allhalaq, une réfugiée syrienne, a témoigné devant le Comité des difficultés d’obtenir une place dans un programme de formation linguistique qui offrait aussi des services de garde d’enfants. Elle a dit qu’il lui avait fallu parfois rater un cours parce qu’elle n’avait pas trouvé de gardienne pour ses enfants : « Oui, nous avons attendu trois mois pour avoir des services de garde. Finalement, nous avons pris nous‑mêmes quelques mesures. Par exemple, j’y vais le soir et mon mari y va dans l’après‑midi. Nous essayons de nous arranger entre nous, mais mon mari est diabétique et ne peut pas surveiller ma fille tout le temps[x]. » M. Amer Alhendawi et sa famille ont dû patienter près d’un an après leur arrivée au Canada avant de pouvoir suivre une formation linguistique. Sa femme et lui ont d’abord été inscrits à une liste d’attente, puis on lui a dit que ce n’était pas nécessaire pour elle, car si l’un d’entre eux seulement parvenait à suivre un cours, c’était « bien assez ». « Non, elle n’a pas eu la chance de suivre le cours, a indiqué M. Alhendawi. La situation de ma femme est pire que la mienne. Je fais de mon mieux pour apprendre l’anglais dans la rue, avec l’aide de mes amis et de quelques connaissances. Elle n’a toutefois pas cette occasion, étant donné qu’elle reste surtout à la maison avec les enfants[xi]. » Tous les nouveaux arrivants au Canada devraient avoir accès à la formation linguistique. Sans cette formation, le réfugié a encore plus de difficulté à s’ajuster à sa nouvelle vie. Mis à part les réductions opérées par le gouvernement précédent dans le programme CLIC, la décision prise par le gouvernement actuel de verser des fonds pour les réfugiés syriens uniquement aux organisations qui avaient déjà reçu du financement d’IRCC a empêché d’autres organisations capables de fournir des services d’agir autant qu’elles auraient pu. Le Comité a entendu le témoignage de bénévoles et d’organisations qui n’avaient pas obtenu de financement mais qui réalisaient, pour les réfugiés syriens, un travail précieux. Or, les efforts de ces organisations pourraient bénéficier à un plus grand nombre de gens si elles étaient admissibles au financement. M. Nouri Al Hassani, de Child Aid International, est lui‑même un réfugié qui offre un bel exemple de réussite. Il a parlé du travail bénévole que son organisation et lui accomplissent pour les Syriens arrivant au Canada. Il a fait remarquer que son organisation n’avait pas droit aux fonds du gouvernement : « En un mot, non; nous n’avons pas accès aux fonds. Ni moi, ni Child Aid International, ni aucune autre organisation avec laquelle je collabore, à savoir les deux que j’ai mentionnées, ne recevons le moindre financement gouvernemental[xii]. » Bon nombre des organisations qui n’ont pas accès au financement du gouvernement sont nouvelles, mais ont néanmoins prouvé leur capacité de fournir d’excellents programmes aux membres de la communauté. Ces organisations sont souvent créées par d’anciens réfugiés qui ont traversé personnellement les mêmes épreuves et qui comprennent la langue et la culture des réfugiés. En les privant de son financement, le gouvernement a raté l’occasion de tirer parti pleinement des capacités immenses des organisations communautaires. Recommandation 4 Le gouvernement fédéral devrait prendre des mesures pour rétablir le financement des services de réinstallation aux niveaux d’avant 2010, le montant étant rajusté en fonction de l’inflation. Recommandation 5 Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) devrait renforcer l’exécution des programmes en finançant des programmes de formation linguistique mieux adaptés aux besoins des réfugiés. Les fonds supplémentaires devraient être consacrés aux programmes qui offrent aussi des services de garde d’enfants et des groupes d’échanges informels, de même qu’aux programmes qui fournissent de l’aide à la réinstallation dans le contexte de l’acquisition de compétences linguistiques. Recommandation 6 IRCC devrait rendre admissibles au financement les organisations qui n’ont jamais obtenu de fonds, et les décisions sur le financement devraient être prises en fonction des besoins en services et du mérite de manière à améliorer la capacité et la prestation de services au sein du secteur de la réinstallation. Accès aux services de santé Les réfugiés, comme c’est le cas notamment d’un grand nombre venant de Syrie, ont été victimes de violence, n’ont pas eu accès à des soins médicaux adéquats depuis un certain temps et peuvent être aux prises avec divers troubles de santé. Après leur arrivée au Canada, les réfugiés reçoivent des prestations pour soins de santé du Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI). Ces prestations sont limitées et temporaires. Les représentants de l’Association dentaire canadienne (ADC) qui ont témoigné devant le Comité ont expliqué que le PFSI est insuffisant et trop complexe pour les fournisseurs de services : « Cette couverture ne cadre pas toujours avec les normes de soins acceptées en général. Par exemple, les grosses obturations sont couvertes, mais les couronnes en acier inoxydable, dont le coût est sensiblement le même, ne le sont pas. Elles correspondent aux normes de soins pour la restauration de deux surfaces ou plus de dents de lait pour les enfants à haut risque[xiii]. » M. Randall Croutze, de l’ADC, a ajouté que, en raison des lacunes dans le PFSI, de nombreux dentistes canadiens répondent aux besoins en fournissant des soins gratuits. Ces besoins sont parfois urgents : « Nous faisons face à des situations de vie ou de mort. Les personnes qui arrivent ici ont une foule de problèmes de santé – des choses que nous ne voyons pas au Canada – en raison de la malnutrition, du manque de soins préventifs. Ils n’ont pas eu accès à de l’eau fluorée. Ils ont des caries qui infectent les nerfs et qui causent des abcès autour des dents [...] On parle de gens qui se retrouveront à l’hôpital s’ils ne reçoivent pas de traitement. Des gens meurent d’une infection dentaire. Nous ne le réalisons pas ici, mais dans les pays d’origine de ces personnes, cela se produit assez fréquemment. Nous ne pouvons pas les laisser sortir de nos cabinets sans leur fournir de traitement[xiv]. » La couverture assurée par le PFSI en matière de soins dentaires est semblable à celle offerte par les régimes provinciaux aux personnes à faible revenu et aux prestataires d’aide sociale. Mais comme M. Croutze l’a souligné, les besoins des réfugiés sont si différents de ceux de ces populations que la couverture du PFSI est incontestablement déficiente. Même lorsque les réfugiés ont accès à des soins de santé, la barrière de la langue peut retarder le traitement et compliquer les communications entre le patient et le système au point où les interactions peuvent être considérées inappropriées et dépourvues de tact. Mme Allhalaq a relaté la situation qu’elle avait vécue lorsqu’elle a essayé de recevoir un diagnostic qui allait au bout du compte révéler un cancer du sein : « Eh bien, la première semaine où je suis allée, il n’y avait pas d’interprète. La deuxième semaine, ils m’ont appelée pour que j’aille chercher les résultats. Encore une fois, j’y suis allée, mais il n’y avait pas d’interprète pour me donner les résultats. Il y avait là quelqu’un d’autre qui était originaire de l’Irak. Quand j’ai dit que je ne comprenais pas, cette personne s’est offerte pour m’aider. Mais je devais avoir quelqu’un avec moi pendant que je recevais ces nouvelles tellement traumatisantes. Une fois de plus, on m’a reconduite chez moi. Je suis ensuite allée à l’hôpital le lendemain et pendant que j’étais là, j’ai perdu connaissance pendant deux heures[xv]. » Personne ne devrait apprendre d’un étranger qui était là par hasard, après des semaines de retard, qu’il ou elle a le cancer. Recommandation 7 Le gouvernement fédéral devrait s’efforcer d’améliorer l’accès immédiat aux soins dentaires de base pour les réfugiés couverts par le Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI) de manière à ce que le paiement des dentistes qui soignent les réfugiés se fasse plus rapidement, à ce que l’autorisation préalable des soins dentaires courants ne soit plus exigée, et à ce que les services couverts par le PFSI soient conformes aux normes générales de soins. Recommandation 8 Le gouvernement fédéral devrait examiner les besoins en services de traduction et d’interprétation qu’ont les réfugiés qui font affaire avec le système canadien de soins de santé, et déterminer la meilleure façon de répondre à ces besoins. Information inadéquate fournie aux parrains et aux réfugiés Les organisations d’aide à la réinstallation, les SEP et d’autres groupes communautaires ont été clairs : le gouvernement fédéral doit mieux communiquer avec les gens qui contribuent aux efforts de réinstallation. Les SEP ont dit ressentir beaucoup de frustration devant l’incapacité des autorités de leur préciser quand les familles qu’ils parrainaient étaient attendues au Canada. M. Berman a abordé ce sujet : « Nous
sommes tout à fait prêts à recevoir ces familles de réfugiés : tout est en
place. Nous avons fait des dons de bonne foi, croyant que ces dons
permettraient la réinstallation rapide des réfugiés, et, maintenant, l'argent
dort dans les coffres. Nous avons aussi reçu des renseignements contradictoires
lorsque nous avons posé des questions au sujet du statut de nos familles Le sentiment de frustration a été exacerbé par la décision du gouvernement de ralentir soudainement l’arrivée des réfugiés, une fois atteinte la cible des 25 000. Les parrains n’en ont pas été informés; certains en sont venus à penser qu’ils ne faisaient que gaspiller leur argent à louer des logements vides, sans savoir quand les familles parrainées allaient finir par les occuper. L’hon. Peter Kent a exprimé cette frustration : « Cependant, le ralentissement abrupt du traitement des dossiers de réfugiés après le 29 février a posé de nouveaux problèmes aux SEP et aux répondants du secteur privé. Des millions de dollars dorment actuellement dans les comptes de garantie bloqués des SEP. Certains parrains ont subi des pertes financières substantielles parce qu'ils ont loué des logements – à la demande du gouvernement – pour des réfugiés qui, à ce qu'on leur dit maintenant, pourraient ne pas arriver avant l'an prochain[xvii]. » Comme le ministre McCallum l’a observé avec humour, il s’est retrouvé à plusieurs occasions dans une position bien particulière : les Canadiens étaient mécontents parce que le Canada n’accueillait pas assez de réfugiés pour satisfaire leur immense désir d’aider. Il est indéniable que les Canadiens ont affiché une volonté éclatante de porter assistance aux populations fuyant la violence et de leur donner la chance de refaire leur vie dans la sécurité, au Canada. Cependant, le gouvernement ne peut pas tenir cette bonne volonté pour acquise. Un manque de communication, source de frustration, peut entamer rapidement le capital de sympathie. Parmi les témoins reçus par le Comité, bon nombre ont recommandé d’augmenter le nombre de parrainages privés, et certains ont estimé que le programme de parrainage de réfugiés par le secteur privé ne devrait plus être contingenté. Mme Chantal Desloges, avocate en immigration, a tenu les propos suivants à ce sujet : « [J]’ajouterais qu'il faut vraiment réviser le système de quotas dont il a été abondamment question ce matin. Les signataires d'entente de parrainage sont très mécontents de la manière dont sont gérés les quotas. Plusieurs SEP m'ont dit que le système doit être plus prévisible et plus transparent [...] On ne peut pas contrôler l'ardeur des bénévoles comme on ouvre ou on ferme un robinet; il faut la gérer au fil du temps. L'avantage dont nous jouissons en ce moment, c'est que le parrainage de réfugiés connaît un engouement sans précédent auprès du public. Pourquoi voudrions‑nous le miner en disant aux gens chaque année que nous ignorons combien de personnes pourront être accueillies, qu'il y en aura un nombre élevé une année et peu l'année suivante, de façon telle que personne ne peut se préparer adéquatement[xviii]? » Comme Mme Desloges l’a montré clairement, les gens qui ne ménagent pas leurs efforts pour aider à la réinstallation des réfugiés méritent de recevoir sans délai de l’information juste sur les programmes en question. Cela exige notamment de présenter des échéanciers qui alimentent (et non qui étouffent) leur enthousiasme. Recommandation 9 Le gouvernement fédéral devrait rétablir les liens de communication qui ont été coupés avec la population et, surtout, avec les organisations et les particuliers qui contribuent au parrainage et à la réinstallation des réfugiés, afin de faire connaître avec justesse et en temps opportun les délais applicables et les changements apportés aux programmes, entre autres renseignements. Recommandation 10 En s’appuyant sur les recommandations présentées par les témoins, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada devrait envisager d’augmenter l’objectif du nombre de réfugiés parrainés par le secteur privé établi dans le Plan des niveaux d’immigration pour 2017 et 2018, nombre qui s’élève présentement à 17 800. Conclusion Le gouvernement fédéral et les Canadiens ont répondu de manière ambitieuse à une crise humanitaire en donnant refuge à des gens innocents qui avaient été plongés dans une terrible guerre civile. C’est tout en leur honneur. Cependant, le travail ne s’arrête pas lorsque le réfugié, qu’il vienne de Syrie ou d’ailleurs, arrive au Canada. Des engagements ont été pris pour réinstaller les réfugiés et leur fournir les services et les mesures de soutien dont ils ont besoin pour refaire leur vie ici, et pour contribuer à la société canadienne. Si cette deuxième étape du processus n’est pas faite correctement, les réfugiés auront encore plus de mal à reprendre une vie normale. Le Comité avait la tâche de cerner les lacunes dans la prestation des services et de recommander des façons d’améliorer le système pour tous les réfugiés accueillis au Canada. Les néo‑démocrates sont d’avis que le Comité a produit un rapport qui occulte les lacunes observées au profit d’un message plein de bons sentiments. Les Canadiens peuvent certes être fiers de ce qu’ils ont accompli, mais le gouvernement ne devrait pas minimiser les problèmes constatés dans le système, car ces problèmes rendent l’intégration et la réinstallation encore plus difficiles qu’elles devraient être. Les recommandations formulées ci‑dessus permettraient, si elles étaient appliquées, d’améliorer grandement le processus de réinstallation des réfugiés au Canada. Comme nous avons pu le voir lors des séances du Comité et dans la multitude de reportages à leur sujet, les réfugiés syriens sont heureux d’être ici et ils veulent rendre la pareille au pays qui leur a offert la chance de refaire leur vie. Nous avons le devoir de leur donner les moyens de réussir leur vie ici. [i] CIMM, Témoignages, 1re session, 42e législature, 12 mai 2016 (1230). [ii] CIMM, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 mai 2016 (1235). [iii] CIMM, Témoignages, 1re session, 42e législature, 30 mai 2016 (1725). [iv] CIMM, Témoignages, 1re session, 42e législature, 27 septembre 2016 (1550). [v] CIMM, Témoignages, 1re session, 42e législature, 16 juin 2016 (1150). [vi] CIMM, Témoignages, 1re session, 42e législature, 30 mai 2016 (1530). [vii] CIMM, Témoignages, 1re session, 42e législature, 2 juin 2016 (1105) [viii] CIMM, Témoignages, 1re session, 42e législature, 2 juin 2016 (1220) [ix] CIMM, Témoignages, 1re session, 42e législature, 2 juin 2016 (1235) [x] CIMM, Témoignages, 1re session, 42e législature, 14 juin 2016 (1220) [xi] CIMM, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 mai 2016 (1245) [xii] CIMM, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 mai 2016 (1250) [xiii] CIMM, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 mai 2016 (1105) [xiv] CIMM, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 mai 2016 (1130) [xv] CIMM, Témoignages, 1re session, 42e législature, 14 juin 2016 (1145) [xvi] CIMM, Témoignages, 1re session, 42e législature, 2 juin 2016 (1100) [xvii] CIMM, Témoignages, 1re session, 42e législature, 30 mai 2016 (1530) [xviii] CIMM, Témoignages, 1re session, 42e législature, 30 mai 2016 (1630) |