LANG Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des langues officielles
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 7 mars 2017
[Enregistrement électronique]
[Français]
La séance est maintenant publique.
Nous avons le plaisir de recevoir ce midi M. Sébastien Grammond, professeur titulaire à la Section de droit civil de l'Université d'Ottawa.
Professeur Grammond, je vous souhaite la bienvenue au Comité permanent des langues officielles.
Il nous reste une heure. Nous allons procéder comme à l'habitude, c'est-à-dire que vous avez une dizaine de minutes pour faire votre présentation. Ensuite, nous ferons un tour de questions et commentaires de la part des membres du Comité.
Merci.
Je vais faire ma présentation en français,
[Traduction]
Mais je serai heureux de répondre aux questions dans les deux langues officielles.
[Français]
Ma présentation aujourd'hui va porter principalement sur le bilinguisme des juges de la Cour suprême.
Je sais qu'il y a d'autres sujets à l'étude, et cela me fera plaisir d'en parler dans la mesure de mes connaissances, mais c'est principalement sur la question du bilinguisme à la Cour suprême que je me suis penché.
D'une part, je vais tenter de vous expliquer pourquoi le bilinguisme des juges de la Cour suprême est essentiel, et d'autre part, je vais tenter de vous démontrer qu'il est souhaitable et possible d'inscrire cette exigence dans la loi, puisque je sais que des doutes ont été exprimés à ce sujet.
Commençons d'abord par la question de savoir pourquoi il est nécessaire, sur le plan des justifications politiques, que les juges de la Cour suprême soient capables d'entendre des causes en français et en anglais.
Plaçons-nous à l'étape de l'audience, lorsque les avocats s'adressent verbalement à la Cour. Il y a un service d'interprétation simultanée à la Cour suprême, mais malgré la très haute qualité de ce service, c'est une mission impossible que de rendre justice à toute la subtilité et aux détails des arguments juridiques au moyen de l'interprétation simultanée.
Dans une publication que j'ai faite avec mon collègue le professeur Mark Power, nous donnons des exemples tirés d'une cause que j'avais plaidée à la Cour suprême. Ces exemples démontrent que certaines phrases avaient été mal traduites. Dans certains cas, des arguments avaient été omis, et dans d'autres, l'interprète disait exactement le contraire de ce que j'avais dit. Or ce genre de choses n'est absolument pas souhaitable lors d'une plaidoirie à la Cour suprême.
Si mon collègue Michel Doucet, de l'Université de Moncton, était avec nous aujourd'hui, il vous dirait la même chose. Il est tombé par hasard sur sa plaidoirie qui avait été traduite en anglais à CPAC, et il a dit qu'il n'avait absolument rien compris.
Il faut aussi tenir compte du processus décisionnel de la Cour suprême à l'extérieur de l'audience. En fait, l'audience n'est que l'apothéose, si je puis dire, du processus à la Cour suprême. Tout un processus précède l'audience, et il se fait principalement par écrit. Chaque partie dépose un mémoire d'environ 40 pages, et la Cour analyse ensuite ces mémoires. Ces mémoires ne sont jamais traduits. Si une partie dépose son mémoire en français, un juge qui ne comprend pas le français sera incapable de prendre connaissance des arguments écrits de cette partie. Le jugement de la Cour d'appel, les jugements de première instance et les documents ne sont jamais traduits eux non plus. Un juge anglophone ne pourra pas prendre connaissance des éléments cruciaux du dossier s'il n'est pas en mesure de comprendre le français. Par conséquent, le bilinguisme des juges est aussi essentiel à cette étape du processus devant la Cour suprême.
J'ajoute que la Cour suprême est appelée fréquemment, pour ne pas dire dans la plupart des cas, à interpréter des lois bilingues. J'entends par « lois bilingues » la Charte canadienne des droits et libertés, le Code criminel, toutes les lois fédérales, les lois de plusieurs provinces — le Québec, l'Ontario, le Nouveau-Brunswick, le Manitoba —, ainsi que des lois d'autres provinces dont le texte officiel est dans les deux langues.
Pour interpréter la loi, il faut être capable ultimement d'en comprendre les deux versions. Il arrive d'ailleurs que la Cour suprême tranche un problème d'interprétation d'une loi en faisant remarquer que la version française ne comporte pas les ambiguïtés qui figuraient dans la version anglaise et qui avaient donné lieu à certaines difficultés, si l'on faisait abstraction de la version française.
Je pense qu'un juge devrait être capable de lire les deux versions linguistiques des lois qu'il est appelé à interpréter en dernier ressort. Je pense aussi que, en tant qu'institution nationale, la Cour suprême doit être en mesure de puiser aux sources juridiques et non juridiques de partout au pays. Un juge qui ne parlerait que l'anglais serait incapable de profiter de toute la doctrine juridique qui s'écrit en français et serait ainsi conduit à ignorer une partie de la littérature juridique canadienne.
De la même manière, on s'attend à ce que les juges soient au courant de l'état de la société. Or évidemment, un juge anglophone ne pourra pas avoir un accès direct à la société francophone, lire les journaux, écouter les nouvelles et s'immerger dans la société québécoise et dans les communautés francophones. On s'entend pour dire qu'on n'a qu'une idée bien partielle de la société québécoise si on ne lit que le National Post. De la même manière, on aura une idée bien partielle de la société canadienne si on ne lit que Le Devoir. C'est pour cette raison qu'il est souhaitable que les juges de la Cour suprême, qui est une institution nationale, puissent comprendre les deux langues.
Dans le processus qui a conduit à la nomination du juge Malcolm Rowe l'été dernier, le premier ministre a annoncé qu'il ne choisirait que des candidats bilingues. Étant donné qu'une telle politique pourrait être changée par un futur gouvernement, à mon avis, il serait préférable de l'inscrire dans la loi.
Des doutes ont été exprimés à la suite d'une décision bien connue de la Cour suprême, à savoir le Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, décision qui a été rendue en 2014. Certains commentaires faits par la Cour ont conduit un certain nombre d'auteurs à dire qu'il est dorénavant impossible d'exiger le bilinguisme des juges de la Cour suprême sans modifier la Constitution. Ils s'appuient en cela sur un court paragraphe où la Cour dit que la composition de la Cour suprême est dorénavant protégée contre des changements apportés par le législateur sans passer par le processus de modification de la Constitution, et que la composition comprend aussi l'admissibilité. À cet égard, la Cour fait référence aux articles 4, 5 et 6 de la Loi sur la Cour suprême. Certains auteurs ont dit que, dorénavant, le Parlement ne peut plus toucher aux articles 4, 5 et 6.
Comme c'est le cas pour toutes les décisions des tribunaux, ces commentaires de la Cour suprême doivent être lus à la lumière de l'affaire qui lui était soumise, laquelle portait sur la nomination du juge Nadon et sur les conditions nécessaires pour qu'un juge soit reconnu comme un juge du Québec, si je peux dire les choses ainsi. La Cour n'était pas appelée à se prononcer sur la question de savoir si le Parlement pouvait toujours ajouter une exigence de bilinguisme à la Loi sur la Cour suprême.
Pour bien comprendre l'avis que j'ai à ce sujet, il faut faire une distinction entre deux effets de la formule de modification de la Constitution. Ce que je vais dire est un peu technique et devrait être publié bientôt dans une revue de droit avec beaucoup plus d'explications.
Essentiellement, la formule de modification de la Constitution fait deux choses. D'abord, elle habilite un certain nombre d'organes législatifs, soit le Parlement et les assemblées législatives d'un certain nombre de provinces, à modifier le texte de la Constitution, si c'est ce qu'on veut faire. C'est une fonction habilitante.
La formule de modification de la Constitution a aussi pour effet de protéger certaines matières ou certains domaines contre l'action unilatérale du Parlement fédéral. Elle soustrait certaines choses à la compétence du Parlement. C'est ce que la Cour Suprême a constaté dans la décision dont je viens de parler. Cependant, les domaines qui sont soustraits à la compétence du Parlement sont beaucoup plus limités et restreints que la portée de la fonction habilitante, c'est-à-dire ce qu'on pourrait mettre dans la Constitution si on le souhaitait.
Ces domaines qui sont soustraits à la compétence du Parlement doivent être délimités en fonction des objectifs poursuivis par ceux qui se sont entendus sur la formule de modification de la Constitution en 1981-1982. C'est d'ailleurs ce que la Cour suprême nous dit dans le Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême. Ce qu'on visait, c'était protéger la représentation du Québec à la Cour pour toutes sortes de raisons qui sont évidentes, et pas pour autre chose.
À mon avis, l'exigence de bilinguisme des juges de la Cour suprême ne fait pas partie des domaines qui auraient été soustraits à la compétence du Parlement par la formule de modification de la Constitution. Aujourd'hui, le Parlement pourrait toujours adopter une loi établissant une telle exigence. J'ajouterais que, même pour ceux qui estiment que les articles 4, 5 et 6 de la Loi sur la Cour suprême ont été « constitutionnalisés », il n'y a rien qui empêche d'ajouter des critères, si ceux qui existent actuellement ne sont pas modifiés.
Les articles 97 et 98 de la Constitution de 1867 prévoient que les juges des cours supérieures doivent être nommés par le barreau de chaque province, mais il n'est pas précisé qu'il faut avoir été membre du Barreau pendant 10 ans. Cette condition a été ajoutée par une loi du Parlement, à savoir l'article 3 de la Loi sur les juges, et à ma connaissance, personne ne suggère que cet article est invalide parce qu'il ajoute une condition aux exigences contenues aux articles 97 et 98 de la Constitution.
Il n'en reste pas moins que l'opinion que j'exprime aujourd'hui n'est pas partagée par tous les spécialistes du droit constitutionnel. C'est pourquoi il serait souhaitable que le gouvernement fédéral renvoie cette question à la Cour suprême, afin qu'elle clarifie les conséquences de sa décision de 2014 sur le pouvoir du Parlement de légiférer relativement à la Cour suprême.
Il faut bien comprendre que, dans cette affaire, la Cour suprême s'est exprimée en termes très généraux, et cela peut susciter des doutes considérables, par exemple sur la possibilité pour le Parlement de modifier certains aspects de la compétence de la Cour. D'ailleurs, le Parlement l'a fait en 1991 et en 1996. Si on poussait la logique trop loin, ces modifications seraient invalides.
Il y a donc de bonnes raisons de demander à la Cour suprême de clarifier la portée de son avis de 2014 ainsi que la délimitation de ce fameux domaine qui a été soustrait à la compétence du Parlement. Je pense également à la question de la représentation régionale à la Cour suprême. Actuellement, rien dans la Loi ne traite de cette question, à l'exception du Québec, bien sûr, mais il y a quand même des gens qui ont fait valoir l'argument que cela aurait été constitutionnalisé.
Je crois que, pour toutes ces raisons, il serait souhaitable que le gouvernement fasse clarifier ces questions par la Cour suprême.
Je vous remercie.
Merci beaucoup, professeur Grammond. Il s'agit là d'un sujet d'actualité.
Nous allons maintenant passer à la période des questions et commentaires.
Monsieur Généreux, vous avez la parole.
Merci, monsieur le président.
Monsieur Grammond, je vous remercie d'être parmi nous aujourd'hui.
Je suis marié à une anglophone avec qui je discute aussi bien en anglais qu'en français. Certaines personnes à qui je parle pourraient croire que je suis bilingue parce que j'arrive à me débrouiller relativement bien en anglais. Or, selon moi, je suis loin d'être bilingue. Je ne possède pas le vocabulaire qui me permettrait de traiter de tout, que ce soit l'énergie nucléaire, les chiens ou tout autre sujet. De toute évidence, il y a des domaines au sujet desquels je ne saurais pas tenir une conversation parce que je ne possède pas le vocabulaire nécessaire.
Au Commissariat à la magistrature fédérale du Canada, il y a un petit formulaire dans lequel on demande aux gens de répondre à quatre questions qui demandent essentiellement si, sans formation additionnelle, ils sont en mesure de lire ou de comprendre des documents en français de la cour. Pour ma part, je répondrais « oui », évidemment. Toutes ces questions sont posées en anglais et en français. Je pourrais répondre « oui » parce que je suis en mesure de lire les questions et de les comprendre sans formation additionnelle. J'arriverais à comprendre la majeure partie de ce qui se dit en anglais, même si ce n'est pas ma langue maternelle.
Cela dit, le fait que j'aie répondu « oui » à ces questions ferait-il de moi une personne bilingue?
Dans le formulaire, on dit que, pour vérifier les exigences linguistiques des juges potentiels, on pourrait évaluer leur connaissance fonctionnelle des deux langues. C'est ce qu'on indique dans les documents qu'on nous a remis. Or si c'est la seule façon dont on détermine si un avocat est assez bilingue pour devenir juge, je me pose de sérieuses questions.
Va-t-on recourir à des processus pour analyser de façon beaucoup plus exhaustive la qualité du français ou de l'anglais des candidats avant qu'ils ne soient nommés?
Je sais qu'il existe des manières d'évaluer la compétence linguistique des gens. Je ne suis pas un spécialiste de ces méthodes d'évaluation. Je pense que cela revient plutôt à des spécialistes en traduction ou en éducation.
J'ai cru comprendre que, dans le cadre du processus que vous mentionnez, on posait des questions aux candidats et que le gouvernement, par l'entremise du commissaire à la magistrature fédérale, se réservait le droit de leur faire passer des tests. J'ignore si cela a été fait, mais j'imagine qu'il n'a pas été nécessaire de faire passer des tests à certains candidats, compte tenu de leur expérience. Dans le cas d'une personne détenant des diplômes à la fois d'une université anglophone et d'une université francophone, on aurait pu juger inutile d'aller plus loin, selon les circonstances. Je ne sais pas quelle politique le Commissariat à la magistrature fédérale a adoptée pour de tels cas. Il pourrait être utile de faire passer diverses formes de tests.
Je vais faire l'avocat du diable. Vous avez parlé plus tôt des interprètes, dans un cas particulier. J'imagine que c'était dans le cadre de l'une de vos représentations devant la cour. Vous avez mentionné que l'interprétation n'était pas conforme à ce que vous aviez dit. Vous avez mentionné également que les interprètes étaient très qualifiés, en mesure d'assumer l'interprétation, et ainsi de suite.
L'être humain est ce qu'il est, avec ses imperfections et, dans plusieurs cas, ses perfections. Des gens qui sont vraiment spécialisés en interprétation passent d'une langue à l'autre. Or malgré leur expérience et leurs compétences considérables, ces gens ne sont pas en mesure de traduire les documents.
Dans ces conditions, comment peut-on demander à un juge ou à un avocat de comprendre exactement ce qui s'est dit en français ou en anglais?
Est-ce qu'une telle capacité existe véritablement?
Bien sûr. Je pense qu'il faut bien faire la distinction entre les divers points soulevés dans votre question. Vous dites que même le meilleur interprète n'arrive pas à faire le travail. Or on demande à l'interprète non seulement de comprendre ce qui est énoncé, mais aussi de formuler sur le champ exactement la même idée dans une autre langue, ce qui est extrêmement difficile.
L'idée est que le juge doit être capable de comprendre sans l'aide d'un interprète et, cela, je pense que c'est tout à fait possible.
Excusez-moi, mais quand un avocat présente son plaidoyer devant les juges de la Cour suprême, ceux-ci doivent être en mesure de procéder de la même manière que le ferait un interprète, non?
Non. Quand j'écoute quelqu'un qui parle en anglais, je ne traduis pas mentalement en français ce qu'il est en train de me dire. Je le comprends dans sa langue.
Lorsque je plaide à la Cour suprême, je ne doute pas du fait que des juges anglophones bilingues me comprennent et saisissent exactement ce que je suis en train de dire. Cela ne fait aucun doute pour moi. Je comprends et on on accepte que la perfection n'est pas de ce monde, et que les personnes devant qui je vais plaider ne seront pas nécessairement ce qu'on appelle « parfaitement bilingues ». Mais je pense...
Monsieur Généreux, je vais être obligé de passer au tour suivant; peut-être pourriez-vous laisser M. Grammond compléter sa réponse.
Ce que je voulais dire, c'est que je suis confiant du fait que, lorsque je parle aux juges de la Cour suprême, ceux-ci comprennent les deux langues, qu'ils comprennent exactement mes arguments juridiques.
Ce qui me pose de gros problèmes, c'est lorsque quelqu'un ne comprend pas ce que je dis dans la langue dans laquelle je le dis. Je n'aime pas le fait que cette personne doive se fier à un interprète qui fait des erreurs, malgré toute la bonne volonté du monde, et des erreurs importantes dans la traduction de ce que je dis. J'ai beaucoup de difficulté à accepter cela.
Monsieur Grammond, merci d'être venu nous rencontrer. Nous avons seulement six minutes à notre disposition, et elles passent tellement vite.
Si je vous demandais votre opinion sur le mécanisme le plus évident qui vous vient à l'esprit afin de pouvoir immédiatement s'assurer que les juges à la Cour suprême du Canada sont bilingues, que diriez-vous?
Je pense qu'on le dit depuis longtemps: il faudrait qu'une loi soit adoptée pour en faire une exigence, une condition de nomination.
D'accord.
À la lumière de l'affaire Nadon, le gouvernement serait-il en mesure d'adopter une loi sans devoir modifier la Constitution?
D'accord.
J'aimerais que vous résumiez de nouveau ce que vous expliquiez plus tôt, parce que je n'ai pas bien suivi.
À mon avis, la Cour suprême a constaté, dans l'affaire Nadon, qu'en créant la formule d'amendement de la Constitution, en 1981-1982, les gouvernements au Canada n'ont pas simplement indiqué comment il fallait procéder pour modifier la Constitution.
Autrement dit, ils n'ont pas simplement donné une recette. Ils ont aussi soustrait un petit domaine à la compétence du Parlement. De cette manière, une fois qu'on a adopté cette formule d'amendement, il y a certaines choses que le Parlement ne peut plus faire tout seul. Cependant, ce domaine est plus restreint qu'on ne le croit. Il doit être défini en fonction des objectifs que les gouvernements de l'époque, c'est-à-dire en 1981-1982, poursuivaient en nommant un certain nombre de caractéristiques aux articles 41 et 42 de la Loi constitutionnelle de 1982. La Cour suprême nous a dit que l'objectif de l'alinéa 41d), soit la composition de la Cour suprême, est évidemment d'assurer la représentation du Québec à la Cour suprême. Étant donné que les modifications proposées par le Parlement à ce moment — enfin, elles avaient été adoptées, je crois, au moment où la Cour a entendu l'affaire Nadon —, touchaient les conditions d'admissibilité qui permettaient de déterminer qui était un juge du Québec et qui ne l'était pas, la Cour a dit que, dans ce cas, elle avait touché à ce fameux domaine réservé, ce domaine qui a été soustrait à la compétence du Parlement.
Ce que je dis, c'est que l'exigence de bilinguisme n'est pas liée à la représentation du Québec. L'exigence de bilinguisme, en fait, va porter en pratique surtout sur les juges qui viennent de l'extérieur du Québec, quoique l'inverse ne soit pas impensable. Alors, ajouter une exigence de bilinguisme ne modifie absolument pas la représentation du Québec à la Cour suprême, qui est l'élément protégé par l'alinéa 41d) de la Constitution.
À mon avis, ce serait donner une trop large portée à la décision de la Cour suprême que de dire qu'on ne peut plus maintenant toucher à la Loi sur la Cour suprême ou toucher à quoi que ce soit qui se rapprocherait des articles 4, 5 et 6.
Surtout que, dans l'affaire Nadon, on n'était pas du tout dans le contexte d'étudier la possibilité d'avoir des juges bilingues à la Cour suprême du Canada.
Ce n'était pas du tout le contexte. Y a-t-il des constitutionnalistes qui, à votre connaissance, abondent dans le même sens que vous et qui ont des publications qui pourraient traiter de cette question?
Certaines personnes ont plutôt émis une opinion contraire, mais il est encore tôt. À ma connaissance, parmi les grands constitutionnalistes, comme Peter Hogg, Patrick Monahan et d'autres, il n'y en a pas encore qui se sont prononcés sur cette question ou qui ont exprimé des avis. Je n'ai pas vu quoi que ce soit de leur part sur cette question.
J'ose espérer que cela sera publié en juin. Si cela vous intéresse, nous pourrons vous le faire savoir.
Selon vous, à quel niveau de cour se situe le plus grand défi en matière de justice dans les langues officielles? Il ne s'agit pas de toutes les cours.
J'aurais de la difficulté à me prononcer là-dessus. Je n'ai pas examiné cela. Je me suis concentré surtout sur la Cour suprême comme objet d'étude.
Je n'ai pas étudié ce genre de défi dans les cours provinciales ou les cours supérieures des différentes provinces, par exemple. Je suppose que, du point de vue du justiciable, l'important est d'être capable d'avoir un procès dans sa langue.
Je crois comprendre que, dans certaines provinces, cela représente encore un défi, mais je n'irais pas plus loin que cela en matière d'évaluation globale.
Merci beaucoup, monsieur Grammond, de votre explication. Vous avez bien mis la table pour expliquer pourquoi il est essentiel que les juges de la Cour suprême soient bilingues.
Vous avez mentionné qu'il n'y a pas seulement le cas de l'interprétation. Je sais qu'on met beaucoup l'accent là-dessus, mais ce n'est pas le seul aspect. Vous l'avez bien mentionné. Il y a aussi le fait qu'il y a plein de publications disponibles seulement en français que les juges auraient besoin de consulter. Il y a aussi tous les documents déposés durant une preuve qui sont seulement dans l'une des deux langues officielles. Les juges doivent lire et comprendre les deux langues écrites, car les deux langues se valent. Il faut donc être capable de comparer les deux langues pour bien interpréter les choses.
Je sais que les libéraux, les néo-démocrates et, je pense, plusieurs conservateurs aussi sont d'avis qu'il ne faut nommer que des juges bilingues à la Cour suprême. Je pense que c'est pas mal un avis partagé.
Présentement, la difficulté est de savoir si l'on veut une loi sur le bilinguisme des juges à la Cour suprême. Vous avez mentionné que des gens disent que cela pourrait être inconstitutionnel. Je n'ai pas devant moi la décision de l'arrêt dans la cause Nadon, mais je sais qu'il y est bel et bien précisé que, comme vous l'avez mentionné, on s'attarde seulement au cas de l'admissibilité des juges par rapport au Québec. Par contre, toutes autres conditions d'admissibilité demeurent discrétionnaires. Les juges n'ont pas pris de décision là-dessus.
Pouvez-vous commenter ce point?
Dans un système judiciaire qui est fortement inspiré de la common law, les décisions des tribunaux créent du droit dans la mesure nécessaire à la résolution du cas présenté à la cour.
Il est certain que la Cour suprême, inévitablement, va se prononcer de façon un peu plus large. Toutefois, si l'on respecte la philosophie des systèmes de common law, il faut quand même lire la décision en fonction de la question qui était posée et en fonction du contexte particulier de cette question.
Comme vous l'avez mentionné, le contexte particulier de l'arrêt dans la cause Nadon est la protection de la représentation du Québec à la Cour suprême. La Cour nous a dit qu'à ce sujet, il y a eu un compromis historique qui a permis la création de la Cour suprême en 1875. Visiblement, ce compromis était encore à l'esprit des auteurs de la Constitution de 1982. Essentiellement, ce texte donne un droit de veto au Québec sur sa représentation à la Cour.
On voit donc l'importance de l'alinéa 41d). L'arrêt dans la cause Nadon doit être lu dans cette perspective. Il est évident que le raisonnement ne s'applique pas lorsqu'il n'est plus question de la représentation du Québec à la Cour.
Merci beaucoup. Comme le temps file à toute allure, je vais vous poser deux ou trois questions et vous laisser conclure là-dessus.
Vous avez parlé de cas où il y avait eu des changements à l'admissibilité, par exemple lorsqu'on a décidé d'admettre les membres du Barreau possédant 10 ans d'expérience. Il en va de même si on exige le bilinguisme, ce que certains considèrent inconstitutionnel.
Existe-t-il d'autres exemples de ce genre?
Sinon, celui-là est-il très bon?
C'est sans doute celui qui se rapproche le plus d'une exigence de bilinguisme pour les juges de la Cour suprême.
Si nous prenons en compte la Loi sur les langues officielles et que nous comprenons les obligations des cours d'ordre fédéral, n'avons-nous pas le droit, selon la Constitution et la Charte, d'avoir accès à des juges qui comprennent notre plaidoyer?
Il s'agit là d'une autre question. Dans le texte que j'ai publié, je n'ai pas envisagé cette question sous l'angle des droits constitutionnels. Dans l'état actuel des choses, qui découle de décisions rendues par la Cour suprême en 1986, il n'y aurait pas de droit constitutionnel lié au fait d'être entendu par un juge sans l'aide d'un interprète. C'est une décision qui, à l'époque, avait été controversée, mais qui, pour l'instant, n'a pas été renversée. C'est pourquoi je présente l'argument principalement dans la perspective des politiques publiques plutôt que dans celle des droits constitutionnels.
Avez-vous eu l'occasion de réfléchir à la loi qu'il serait le plus pertinent de modifier pour faire en sorte que des juges bilingues soient nommés à la Cour suprême?
S'agit-il de la Loi sur les juges, de la Loi sur les langues officielles ou de la Loi sur la Cour suprême?
Je pense qu'il s'agit de la Loi sur la Cour suprême. En effet, c'est à l'intérieur de celle-ci qu'on trouve les conditions d'admissibilité à la Cour suprême. Pour ce qui est de la Loi sur les juges, ce serait possible, mais je ne vois pas pourquoi on y inclurait une disposition ne portant que sur la Cour suprême. Cela dit, ce serait possible dans l'un ou l'autre des deux cas.
Quant à la Loi sur les langues officielles, j'imagine que vous faites allusion à la modification — il s'agit de l'article 16, je crois — qui exempte la Cour suprême du droit du justiciable d'être entendu dans sa langue par une cour créée par le Parlement. Ce serait une possibilité, mais cela pourrait conduire à la situation suivante. Si un Juge de la Cour n'entendait pas les causes en français, il ne pourrait par conséquent pas entendre celles du Québec, notamment des causes constitutionnelles plaidées par une partie francophone. Il se peut que ce ne soit pas souhaitable, en ce sens que, pour les parties plaidant devant la Cour, cela pourrait ouvrir la porte à des choix stratégiques liés à la langue utilisée. En effet, celles-ci pourraient y voir une occasion de contrôler l'identité des juges qui entendraient leur cause. Or cela n'est pas souhaitable.
Monsieur Grammond, si je comprends bien, c'est au moyen d'une auto-évaluation qu'on évalue les compétences linguistiques des juges de la Cour suprême, mais à cela s'ajoute la possibilité de leur faire subir une évaluation objective pour déterminer s'ils sont effectivement bilingues.
Savez-vous en quoi consiste une évaluation objective?
Savez-vous si ce processus est utilisé fréquemment?
Je ne sais pas quel processus a suivi le Commissariat à la magistrature fédérale. Je ne sais pas non plus quel niveau a été exigé. J'aurais donc de la difficulté à émettre un commentaire à ce sujet. Je sais qu'il existe des formes standardisées de tests linguistiques et que divers niveaux sont définis dans le cadre de l'évaluation des compétences linguistiques. Toutefois, je ne sais pas ce qu'a utilisé le Commissariat à la magistrature fédérale dans le cadre du processus de l'été dernier.
Je pense que oui. À ce moment-là, le candidat déclare qu'il est bilingue et, selon les informations qu'il soumet pour étayer cette affirmation, les gens qui examinent sa candidature peuvent se déclarer satisfaits.
J'ai donné l'exemple d'une personne qui aurait des diplômes d'une université francophone et d'une université anglophone. On pourrait aussi donner l'exemple d'une personne qui, à la connaissance de tous, plaide à la fois en français et en anglais devant les tribunaux ou l'exemple d'un juge d'une cour fédérale qui entend régulièrement les causes dans les deux langues. Dans ces cas, je pense qu'il serait superflu de faire passer un test linguistique à la personne en cause.
Ma propre définition découle de l'objectif de cette exigence. Le plaideur francophone doit être confiant qu'il est compris dans sa langue, que ce soit oralement ou par écrit. C'est un bilinguisme qu'on appelle « passif », je crois. Cela veut dire qu'on n'exige pas que la personne puisse avoir une conversation élaborée, mais qu'elle comprenne exactement tout ce qui est dit et tout ce qui est écrit.
Avez-vous des statistiques ou des rapports qui portent sur les 30 dernières années, depuis les années 1980?
Quel est le pourcentage des juges bilingues à la Cour suprême?
Je ne connais pas ce pourcentage. On peut cependant le calculer assez facilement, car, actuellement, un juge n'est pas bilingue.
Oui, un juge n'est pas bilingue. Il y en a eu deux entre 2011 et 2015 et, avant cela, entre 2006 et 2011, il y en avait un seul.
Au cours des dernières décennies, on parle de sept ou huit juges bilingues à la Cour suprême.
On dit parfois que la juge en chef actuelle n'était pas bilingue au moment où elle a été nommée à la Cour suprême, mais qu'elle a acquis cette habilité depuis. Je ne sais pas si elle a passé des tests et je ne peux pas en dire davantage, mais oui, il y aurait des cas de cette nature.
[Traduction]
Que répondriez-vous à l'Assemblée des Premières Nations, qui dit: « Nous voudrions avoir un juge des Premières Nations, mais cela n'arrivera jamais si... »
C'est une question très importante. Je crois que l'hypothèse derrière cette question est que les Autochtones ne parlent pas français. Cette hypothèse n'est pas confirmée, dans de nombreux cas. Je dirais, sans trop aller dans les détails, que plusieurs des candidats potentiels à la Cour suprême qui sont Autochtones ou membres des Premières Nations sont bilingues.
J'aime beaucoup l'idée qu'un jour, un juge autochtone soit nommé à la Cour suprême du Canada. Je ne crois pas que l'exigence relative au bilinguisme nuise à une telle nomination.
[Français]
Monsieur Grammond, êtes-vous au courant des changements récents apportés par le gouvernement fédéral au processus de nomination des juges?
Oui. On parle des juges qui ne sont pas à la Cour suprême, mais des juges des cours supérieures et des cours d'appel, n'est-ce pas?
Merci beaucoup, monsieur Grammond, d'être avec nous aujourd'hui.
C'est un sujet très précis. Si je comprends bien, vous voulez qu'on parle de la Cour suprême et non de tout le processus de nomination des juges, n'est-ce pas?
Plus tôt, vous avez mentionné qu'on devrait demander à la Cour suprême d'apporter des clarifications. Parliez-vous du jugement relatif au cas du juge Nadon?
Il faudrait déterminer si les articles 41 et 42 de la Loi constitutionnelle de 1982 empêchent le Parlement d'adopter une loi qui exige que les juges de la Cour suprême soient bilingues.
C'est un pouvoir qui est attribué au gouvernement fédéral. Il faudrait donc suggérer au Cabinet d'adopter un décret qui soumette cette question à la Cour suprême.
D'accord.
Vous avez parlé un peu plus tôt des erreurs possibles des interprètes, en dépit de tout l'excellent travail qu'ils effectuent, et vous disiez même que, pour ce qui est des lois, il pouvait y avoir une compréhension différente en anglais et en français, du fait que les mots n'ont pas tout à fait le même sens. Avez-vous des exemples de cela?
Voici un exemple. Je disais qu'un paragraphe d'un article du Code civil était applicable et les interprètes ont dit qu'il ne l'était pas.
Dans un autre cas, j'ai dit que les droits d'un individu protégés par la Charte n'avaient pas été violés. L'interprète a rapporté que les droits de la personne de cet individu n'avaient pas été violés, mais sans préciser que je parlais des droits garantis par la Charte, ce qui est bien différent.
À une autre occasion, en présentant des arguments, j'ai parlé de la manière dont les choses se passent en common law. L'interprète a omis de dire les mots « en common law ». Cela a donné l'impression que je parlais du droit civil et n'avait pas de sens.
Voilà des exemples d'erreurs d'interprétation qui rendent l'argumentation très difficile à comprendre et à suivre. Il ne faut pas se le cacher: quand on plaide une cause à la Cour suprême, on n'a pas beaucoup de temps et il faut être extrêmement concis et précis. On n'a pas le temps et l'occasion de corriger les erreurs qui pourraient survenir dans l'interprétation simultanée.
Permettez-moi un court commentaire relatif au questionnaire que vous avez mentionné plus tôt pour les candidatures à la magistrature fédérale. La première question en français se lit comme suit: « Sans formation supplémentaire, êtes-vous capable de lire ou de comprendre les documents de la cour[...]? » En anglais, il est dit:
[Traduction]
« Sans formation supplémentaire, êtes-vous capable de lire et de comprendre les documents de la cour […] »
[Français]
On utilise le « ou » en français et le and en anglais.
Donc, monsieur Grammond, ce que vous disiez, c'est que si vous n'avez pas accès au texte de ce qui se dit, l'interprétation pourrait causer une erreur en ce qui a trait au jugement.
Oui, c'est-à-dire que le juge qui écoute ma plaidoirie à l'aide d'un interprète va comprendre quelque chose de différent que ce que j'essaie de lui dire, et je n'ai aucune manière de corriger cela.
Je n'ai aucune manière même de le savoir, à moins d'écouter après coup les deux versions de l'argumentation qui sont, pour ce qui est de la Cour suprême, disponibles sur son site Web. Toutefois, c'est un processus très difficile à mettre en oeuvre.
Comme le président le disait, la personne fait une sorte d'auto-évaluation de son niveau de français ou d'anglais. Comment suggérez-vous d'évaluer le bilinguisme d'un juge nommé à la Cour suprême? Plus tôt, vous disiez que quelqu'un qui est allé à l'université, autant en français qu'en anglais, ne devrait pas nécessairement subir un test. Quelle serait, selon vous, la bonne façon de vérifier le niveau de bilinguisme d'un juge à la Cour suprême?
Je ne suis pas un spécialiste en évaluation linguistique et je n'ai pas de suggestion technique précise à faire. Je dirais cependant qu'il y a des cas où il est évident qu'il n'est pas nécessaire de faire une évaluation. Lorsque quelqu'un affirme être bilingue et que ce n'est pas fondé sur des critères facilement vérifiables, il pourrait alors être approprié de lui faire passer des tests pour vérifier ses compétences linguistiques.
Je ne suis pas un spécialiste des différents niveaux, mais en tant que plaideur, ce qui m'importe, c'est que la personne soit capable de comprendre exactement tout ce que je dis et de lire tout ce que j'ai écrit dans mon mémoire. C'est là mon critère. Ce n'est peut-être pas un critère de linguiste, mais c'est ce à quoi je m'attends.
Merci, monsieur le président.
Monsieur Grammond, j'aimerais clarifier quelque chose.
Je suis d'accord sur la nécessité d'avoir des juges bilingues. Je ne peux pas être contre la vertu. Nous vivons dans un pays bilingue et nous souhaitons que les gens avec qui nous conversons, que ce soit dans l'une ou dans l'autre langue, nous comprennent. De facto, tout le monde est d'accord là-dessus. J'émets toutefois une réserve quant à la nécessité d'enchâsser dans la loi une exigence de parfait bilinguisme des juges.
C'est justement là que je voulais en arriver. Tantôt, vous avez dit que, pour qu'un juge soit considéré bilingue, il ne doit pas nécessairement pouvoir s'exprimer en anglais, mais qu'il doit le comprendre. Cela veut dire que vous êtes d'accord avec le gouvernement dans l'expression du bilinguisme recherché chez les juges. Que les juges ne soient pas capables de s'exprimer dans une langue ou l'autre, ce n'est pas grave, pourvu qu'ils soient capables de nous comprendre.
Je suis désolé, mais selon moi, une personne bilingue l'est de A à Z, elle ne l'est pas à moitié. Elle doit être capable de comprendre et de converser. À mes yeux, c'est cela, le bilinguisme. Ce n'est pas une personne qui n'est pas capable de s'exprimer parfaitement en anglais alors qu'elle siège au plus haut tribunal canadien. J'insiste sur le mot « parfaitement ».
Si je passais un test, je serais capable de répondre aux questions et de faire très bien, mais je ne me considérerais pas pour autant parfaitement bilingue ou assez bilingue pour pouvoir comprendre des jugements sur la constitutionnalité et toutes sortes de questions soumises à la Cour suprême. Quelqu'un peut-il véritablement posséder la langue à ce point et comprendre tout ce qui lui sera dit?
Vous avez dit tantôt que, quand on plaide publiquement devant un juge, les interprètes ne traduisent pas exactement ce qu'on exprime ou la façon dont on l'exprime. Vous dites que les interprètes au Parlement, et même ceux qui sont ici et qui font un travail exceptionnel, ne sont pas en mesure d'exprimer véritablement ce que les témoins disent dans nos réunions de comité.
Je fais une distinction entre quelqu'un qui se dit bilingue et quelqu'un qui l'est véritablement. Comment le système d'évaluation pourrait-il permettre de déterminer qu'un avocat aspirant à un poste de juge est véritablement bilingue? J'ai beaucoup de difficulté à cet égard, car je me demande qui est en mesure de déterminer si une personne est véritablement bilingue.
Comme je l'ai mentionné, il existe des tests pour cela. Je pense que vous confondez le parfait bilinguisme et la capacité de comprendre.
Quand on parle d'une personne parfaitement bilingue, on a généralement à l'esprit des gens qui s'expriment sans accent dans les deux langues. Il s'agit souvent de gens dont un parent est anglophone et l'autre est francophone. Vous voyez très bien le genre de personne qu'on a à l'esprit quand on utilise l'expression « parfaitement bilingue ».
On n'exige pas que les juges de la Cour suprême soient parfaitement bilingues dans ce sens-là. D'ailleurs, le rôle des juges n'est pas de faire des discours ni de s'adresser aux médias. C'est pour cela que je ne pense pas qu'il soit nécessaire de tester leur capacité de s'exprimer. Il est évident que, si une personne est capable de comprendre parfaitement un argument juridique, les probabilités qu'elle soit également capable d'avoir une conversation raisonnable dans les deux langues sont très bonnes. Selon moi, l'objectif n'est pas de tester la capacité d'une personne d'écrire en anglais ni de savoir si elle pourrait donner une entrevue à la télévision en français ou en anglais.
Ce sont deux niveaux différents, et celui qui devrait être exigé des juges de la Cour suprême est essentiellement la compréhension.
Je vous arrête ici. Imaginons la situation suivante. Je suis le juge et vous êtes un avocat plaidant francophone. Je dois m'exprimer et vous poser des questions. J'arrive à vous comprendre, mais je suis incapable de m'exprimer à un niveau suffisamment élevé en français. Dans ces conditions, vous n'avez évidemment pas d'autre choix que de porter une oreillette pour savoir ce que dis, notamment lorsque je pose des questions.
Les questions que le juge pose à l'avocat ou aux témoins par l'entremise de l'interprète peuvent-elles aussi être déviées, insuffisamment claires?
... lorsque le juge pose une question, il est beaucoup plus facile de s'assurer de l'avoir bien comprise. On peut vérifier auprès du juge.
Mes questions peuvent paraître simplistes, mais pour moi, un être humain est un être humain. Si une question est posée, en anglais ou en français, à une personne qui, pour en saisir le sens, doit recourir à un tiers, c'est bon dans un sens comme dans l'autre, inévitablement. Je peux me tromper, mais c'est la façon dont je vois les choses.
Merci, monsieur le président.
Monsieur Grammond, j'ai apprécié votre présentation. J'ai plusieurs questions à vous poser, mais je dispose de peu de temps.
J'ai beaucoup aimé ce que vous avez dit sur les audiences et sur l'interprétation. À ce que je sache, la perfection n'existe pas. Selon moi, l'essentiel est que le juge saisisse ce qui se dit. Toutefois, le fait que l'influence de la culture des personnes, des régions rurales et des groupes ethniques ne soit pas saisie par le juge me cause problème.
On parle ici de common law. On bâtit donc sur des décisions qui ont été rendues. Or il arrive souvent que des décisions rendues en français au Québec ne soient pas intégrées à la common law, en anglais. Cela diminue en quelque sorte l'influence du peuple québécois. À mon avis, l'interprétation et la traduction doivent être assurées autant que possible. C'est de droit qu'on parle ici, c'est-à-dire de ce qui est légal. C'est pourquoi j'ai beaucoup aimé cette partie de votre intervention. L'influence des communautés et des cultures est très importante.
Cela dit, le fait de modifier la loi exigerait-il qu'on change la Constitution?
Selon moi, le fait d'ajouter une exigence de bilinguisme dans la Loi sur la Cour suprême ne nécessiterait pas qu'on modifie la Constitution.
C'est un point très important.
Par ailleurs, la décision rendue dans l'affaire Nadon visait plutôt à inclure une garantie dans la loi constitutionnelle. Il s'agissait de s'assurer que les juges québécois sont représentés à la Cour suprême.
Il ne s'agit pas de limiter les autres aspects, mais d'assurer celui-là. Tout le monde a des droits, et ces derniers peuvent être limités en vertu de décisions qui ont été rendues. Il reste qu'en général, on accorde des droits.
Voyez-vous là une nuance?
Il faut comprendre que la décision rendue dans l'affaire Nadon ne portait pas vraiment sur des droits garantis par la Constitution, mais plutôt sur des conditions d'admissibilité. Il s'agissait de garantir ce que la Cour appelle un compromis historique. Ainsi, pour que le Québec accepte l'existence de la Cour suprême dans notre pays, il a bien fallu, étant donné que son système de droit était différent, garantir un tiers des juges. C'est ce compromis qui a été reconduit par la Constitution de 1982. Dans le cadre de l'affaire Nadon, la Cour suprême a déterminé qu'on ne pouvait pas permettre au Parlement de modifier la définition de ce qu'est un juge québécois sans toucher à la composition de la Cour, qui est protégée précisément pour assurer la représentation du Québec.
Pourrait-on dire que les deux peuples fondateurs...
Il en va de même pour la question des sénateurs où il a fallu s'assurer que le Québec avait une représentation pour ne pas perdre ce pourcentage.
Ce que contient l'article 23 de la Charte, pour moi, a toujours été un minimum et non pas un maximum. On pourrait donc élargir le service.
C'est un peu ce que je disais plus tôt. On pourrait ajouter des conditions sans modifier la Constitution.
Le Parlement l'a fait dans le cas de la Loi sur les juges, pour les cours supérieures et les cours d'appel. Ce n'est pas prévu dans la Constitution. Il a déterminé qu'il fallait dix ans d'expérience comme avocat pour être nommé juge. C'est une condition supplémentaire prévue par la Loi.
Monsieur Grammond, je ne sais pas si vous avez eu le temps de vous pencher sur la question du bassin de juges bilingues. Parfois, on entend des gens s'objecter et demander s'il y a suffisamment de juges bilingues. Avez-vous réfléchi à cette question?
En fait, nous avons réalisé une étude, il y a quelques années, sur le bilinguisme des juges des cours d'appel. Nous avons obtenu des informations des greffes des différentes cours d'appel. Les résultats ont quand même été étonnants. Le taux de bilinguisme, y compris dans les provinces de l'Ouest, était d'au moins 30 %. Il y a donc des juges bilingues.
Quand on regarde la pratique depuis de nombreuses années, la plupart des juges des provinces autres que le Québec sont bilingues. Il a bien fallu les trouver quelque part et, à ma connaissance, personne n'a critiqué ces nominations en disant qu'on avait nommé un juge bilingue qui n'était pas compétent. En fait, je pense que le bilinguisme et la compétence vont de pair. Cette crainte de se priver de candidats valables n'est pas fondée, selon moi.
De toute façon, on s'aperçoit que beaucoup de juges des cours supérieures et des cours d'appel suivent des cours de français. On sait également que depuis de nombreuses années le français n'est pas une condition, mais un atout important pour être nommé à la Cour suprême. Tout juriste ambitieux devrait le savoir.
Merci beaucoup, professeur Grammond.
Ceci met fin à notre séance d'aujourd'hui.
Cependant, avant de terminer, j'aimerais savoir si les membres du Comité souhaitent entendre des représentants du ministère de la Justice.
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