PROC Rapport du Comité
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OPINION DISSIDENTE DE L’OPPOSITION OFFICIELLE Il y a eu aux élections fédérales de 2015 cinq débats des chefs, ce qui était sans précédent. La chaîne CPAC a diffusé les cinq débats en direct, de nouveaux formats de visionnement étaient disponibles, et Facebook et YouTube ont diffusé trois des débats. Ces débats des chefs ont été une réussite, touchant des millions de Canadiens par l’intermédiaire de différents formats. Cependant, maintenant, après de nombreuses promesses non tenues et une publicité négative sur le dossier des Institutions démocratiques, dont des tentatives infructueuses d’apporter à la hâte des changements importants au fonctionnement du Parlement et de la démocratie du Canada dans des délais complètement arbitraires, le gouvernement libéral tente une fois de plus de tenir à toute vitesse une promesse mal avisée. Les opinions dissidentes, pensées et préoccupations suivantes sont les conclusions de l’Opposition officielle. Manque de bonne foi Le Comité avait la tâche d’étudier la création du poste de commissaire indépendant afin d’organiser les débats des chefs pendant les futures campagnes électorales fédérales, avec l’hypothèse erronée selon laquelle le gouvernement libéral souhaitait vraiment sa participation et ses recommandations. Cependant, même si cette étude n’est pas terminée, et si l’on ignore la substance des recommandations proposées, les libéraux ont réussi à imposer une facture arbitraire de 6 millions de dollars dans le dernier budget. Paul Wells, un journaliste du Maclean’s qui a agi comme modérateur à l’un des cinq débats des chefs pendant la campagne électorale de 2015, quand il a appris cette facture exorbitante, a écrit sur Twitter « J’ai eu l’impression que nous aurions pu animer SOIXANTE DÉBATS ». De plus, la ministre des Institutions démocratiques a tenu un processus de consultation distinct sur l’organisation des débats aux élections fédérales, mais n’a pas remis de rapport au Comité sur ses conclusions. En fait, quand une motion de l’Opposition officielle demandant que le Comité soit pleinement informé de toutes les consultations avant de présenter son rapport, la majorité du Comité a voté contre.[1] Cela a inévitablement obligé le Comité à faire des recommandations sans avoir accès à toute l’information pertinente. Le comité a entendu le témoignage de commissaires aux débats d’autres pays, mais il s’agissait dans tous les cas d’organismes indépendants non gouvernementaux. Aucun n’a été créé, financé ou autrement influencé par le gouvernement.[2] [3] [4] Le Comité propose que le gouvernement crée un précédent en impliquant l’État dans les élections fédérales. En raison de ces considérations, l’Opposition officielle a conclu que le gouvernement libéral ne traite pas l’étude du Comité de bonne foi, et qu’il a déjà des conclusions prédéterminées. Antécédents de contentieux et paralysie potentielle des débats Il est courant que les débats des chefs soient contestés devant les tribunaux canadiens. La proposition de la majorité libérale est une recette de paralysie, parce qu’elle fera en sorte que les poursuites en justice continuent, augmentent et, maintenant, arrivent à leurs fins. L’intervention du gouvernement dans l’organisation des débats des chefs de partis aux élections générales ne fera que miner les efforts déployés pour établir des liens entre les électeurs intéressés et les politiciens en campagne, parce que les débats seront tout simplement enlisés dans les contentieux. Habituellement, les poursuites en justice sont une demande de dernière minute par un parti mineur omis pour un débat. Il est arrivé que l’omission d’un chef du Parti vert entraîne des poursuites privées contre le radiodiffuseur.[5] L’une de premières affaires sur les débats, Trieger et al. c. Canadian Broadcasting Corp et al.,[6] couvrait nombre d’enjeux qui sont toujours pertinents aujourd’hui. Cette décision est un prélude aux enjeux futurs sur la scène politique canadienne. Dans l’affaire Trieger, la requête du chef du Parti vert a été refusée, notamment en raison du fait que comme il s’agit d’activités privées, les arrangements faits pour les débats des chefs ne sont pas sujets aux contestations constitutionnelles. D’autres affaires sur les débats des chefs fédéraux ont suivi l’affaire Trieger, notamment National Party of Canada c. Canadian Broadcasting Corp,[7] Natural Law Party of Canada c. Canadian Broadcasting Corporation,[8] Gauthier c. Milliken et al.,[9] et May c. CBC/Radio-Canada.[10] Les poursuites intentées dans l’intervalle sur d’autres aspects du système électoral canadien, ce qui comprend (sans toutefois s’y limiter) Figueroa v. Canada (Attorney General),[11] indiquent que les débats des chefs seront sujets non seulement à une supervision judiciaire, selon les recommandations de la majorité libérale, mais contestés sous d’autres angles, d’un nombre toujours croissant. En définitive, les décisions finales critiques sur les débats des chefs de parti seront prises par des juges—pas par les partis politiques, pas par les radiodiffuseurs et certainement pas par la commission proposée par la majorité libérale. Des juges ont aussi reconnu que ce n’est pas un arrangement idéal. Des décisions passées indiquent que les tribunaux ne souhaitent pas avoir cette responsabilité. Dans l’affaire Trieger, le juge Campbell a dit : « Il y a une difficulté pratique évidente ici, et c’est que les candidats et les chefs ne peuvent pas être obligés de débattre. Les débats doivent être négociés par un accord. » Dans l’affaire National Party of Canada, le juge des requêtes Berger a écrit : En l’absence de preuve convaincante de méfait visant à corrompre le processus démocratique et en l’absence de preuve d’infraction à la loi, cette Cour ne devrait pas s’occuper du domaine de la radiodiffusion et usurper les fonctions des médias. L’ordre du jour politique doit être laissé aux politiciens et à l’électorat ; la programmation télévisée doit être laissée au jugement des télédiffuseurs et des producteurs. Pourtant, la majorité libérale établit une trajectoire de collision en justice pour les débats des chefs aux élections de l’année prochaine. C’est peut-être pour ça que le gouvernement libéral a déterminé qu’il devait réserver 6 millions de dollars pour une commission sur les débats—pour payer les frais d’avocats. L’Opposition officielle croit qu’il faut laisser les élections entre les mains des partis, des candidats et, point le plus important, des électeurs. La proposition de la majorité libérale va tout faire pour miner ce principe fondamental de la démocratie, et nous ne pouvons pas apporter notre soutien. Normes journalistiques et télédiffusion des débats L’Opposition officielle n’est pas d’accord avec la forte implication des représentants du consortium des médias selon laquelle les débats diffusés par des non-membres du consortium aux élections générales de 2015 n’ont pas respecté les normes élevées de télédiffusion et journalistiques.[12] De plus, nous ne reconnaissons pas que les membres du consortium de radiodiffusion détenaient un monopole exclusif de la crédibilité, de l’intégrité journalistique ou de la diffusion numérique de qualité supérieure. M. Wells a fait part de son opinion au Comité : […] la révolution technologique qui a rendu les débats de 2015 possibles se poursuit et s’accélère. L’organisation d’une télédiffusion en direct ne coûte pratiquement plus rien. D’ici 2019 et 2023, les organisations qui auront les moyens d’organiser des débats et de les diffuser à grande échelle seront beaucoup plus nombreuses encore qu’en 2015.[13] L’Opposition officielle croit que les affirmations faites par des médias ou des organisations technologiques selon lesquelles ils sont seuls à pouvoir diffuser un débat des chefs répondant à des « normes journalistiques élevées » doivent être considérées avec cynisme. Il y a eu cinq débats des chefs très réussis aux élections fédérales de 2015, dont un seul a été diffusé par le consortium. Aussi, il est tout simplement ridicule de laisser croire qu’il y a eu un problème avec le nombre ou la qualité des débats des chefs et qu’il faut le régler aux prochaines élections par une intervention gouvernementale directe. Toutes les personnes et organisations qui ont participé à l’organisation des débats de 2015 étaient des individus et des entités bien établis dans leur domaine, et les débats ont été diffusés sur de nombreuses plates-formes télévisées et Internet.
L’Opposition officielle tient à souligner que CPAC, la Chaîne d’affaires publiques par câble qui présente des émissions parlementaires, politiques et publiques, était la seule plate-forme, télévisée ou Internet, qui a diffusé en direct chacun des cinq débats des chefs aux élections fédérales générales de 2015. Le crédit lui revient. CPAC a pris cette initiative afin de servir le public, même si CPAC n’était pas un partenaire officiel de l’organisation ou de la télédiffusion de ces débats.[14] L’Opposition officielle espère que CPAC va maintenir cette pratique. L’Opposition officielle croit que si nous voulons assurer que chaque débat des chefs touche un vaste auditoire télévisé, CBC et Radio-Canada, en tant que radiodiffuseurs publics financés par les contribuables canadiens, devraient choisir de diffuser tous les débats des chefs en direct, de préférence sur leurs principaux réseaux, peu importe leur participation à la production de ces débats. Conclusion Compte tenu des opinions, pensées et préoccupations susmentionnées, ce qui comprend les antécédents de litiges relatifs aux débats, la fausse promesse du gouvernement libéral qu’il étudierait les travaux et les recommandations de ce Comité avant de déterminer une marche à suivre, et l’affirmation ridicule selon laquelle les débats des chefs posent un problème de contrôle de la qualité qui sera réglé par une nationalisation de facto, l’Opposition officielle ne peut tout simplement pas soutenir ce nouveau processus proposé pour les débats des chefs aux élections fédérales. [1] Procès-verbal, 1er février 2018. [2] PROC, Témoignage, 7 décembre 2017 (Janet Brown, directrice exécutive, Commission des débats présidentiels) [3] PROC, Témoignage, 30 janvier 2018 (Catherine Kumar, directrice générale intérimaire, Commission des débats de Trinité-et-Tobago) [4] PROC, Témoignage, 30 janvier 2018 (Noel daCosta, président du Conseil, Commission des débats de la Jamaïque) [5] R. ex. rel. Vezina c. Canadian Broadcasting Corporation (1993), 84 C.C.C. (3d) 574 (Ont. C.A.), conf. (1992), 72 C.C.C. (3d) 545 (Ont. Ct. Gen. Div.), confirmé une décision non rapportée (Ont. Ct. Prov. Div.). [6] (1988), 66 O.R. (2d) 273 (H.C.J.). [7] (1993), 144 A.R. 50 (Q.B.), conf. (1993), 106 D.L.R. (4th) 575 (Alta. C.A.); requête pour accélérer la demande d’autorisation en appel à S.C.C. refusée, [1993] 3 S.C.R. 651. [8] (1993), [1994] 1 F.C. 580 (T.D.). [9] 2006 FC 570. [10] 2011 FCA 130. [11] [2003] 1 S.C.R. 912. [12] PROC, Témoignage, 30 novembre 2017 (Jennifer McGuire, directrice générale et rédactrice en chef, CBC News, et Michel Cormier, directeur général, Nouvelles et Affaires en cours, Services francophones, Société Radio-Canada; Wendy Freeman, présidente, CTV News, Bell Media Inc.; Troy Reeb, premier vice-président, News, Radio and Station Operations, Corus Entertainment Inc.) [13] PROC, Témoignage, 28 novembre 2017 (1145). [14] PROC, Témoignage, 5 décembre 2017 (Catherine Cano, présidente-directrice générale, et Peter Van Dusen, producteur exécutif, Chaîne d’affaires publiques par câble (CPAC)). |