:
Monsieur le Président, j'interviens aujourd'hui pour faire valoir que mon projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi , n'empiète pas sur les prérogatives financières de la Couronne et n'exigerait donc pas de recommandation royale.
Je suis heureux d'avoir l'occasion de présenter mes arguments à la Chambre. Comme vous le savez, monsieur le Président, c'est la seule occasion que j'aurai de le faire. Je dois donc présenter mes arguments verbalement afin qu'ils soient consignés. Je m'excuse à l'avance du temps que cela prendra.
Avant toute chose, voici ce que mon projet de loi accomplirait.
La première partie porte sur l'élaboration d'un programme national d'aide à la maternité, tandis que la deuxième modifie l'article 22 de la Loi sur l'assurance-emploi afin de laisser plus de latitude quant à la période de versement des prestations de maternité lorsque l'emploi de la future mère peut constituer un risque pour sa santé et pour celle de son enfant. Ce changement permettrait aux femmes de commencer à réclamer leurs 15 semaines de prestations de maternité 15 semaines avant la date présumée de l'accouchement, plutôt que seulement 8 semaines avant, comme le prévoient les règles actuelles.
L'argument que je présente aujourd'hui met l'accent sur les modifications à la Loi sur l'assurance-emploi qui sont prévues dans la partie 2 du projet de loi. Je vais montrer que le projet de loi n'augmentera pas et ne changera pas les prestations totales auxquelles une personne a droit et que, par conséquent, il ne représentera pas une dépense nouvelle et distincte.
Mon argument comporte deux volets. Je vais citer des recherches universitaires, tout particulièrement des recherches menées par Lukyniuk et Keyes et publiées dans la Revue parlementaire canadienne, ainsi que des précédents parlementaires pertinents.
Tout d'abord, je vais montrer que le projet de loi n'augmentera pas et ne changera pas les prestations totales auxquelles une personne a droit et, par conséquent, qu'il ne représentera pas une dépense nouvelle et distincte.
Ensuite, je vais montrer que ces changements ne modifieront pas de façon considérable le but que visent les prestations de maternité. Autrement dit, je vais faire valoir que le projet de loi ne créera pas et n'engendrera pas de nouvelle fonction.
La première chose à souligner, c'est que l'autorisation générale prévue pour les dépenses d'assurance-emploi a une portée suffisamment large pour englober les dispositions du projet de loi. On peut par exemple tenir compte de l'observation de Keyes en 1999 sur les recommandations royales, à la page 19 :
[...] celui qui ne fait que réédicter ou codifier des dispositions de dépense déjà en vigueur ne la requiert pas.
Les dispositions contenues dans le projet de loi ne feraient que réaffecter ou appliquer différemment les prestations de maternité actuelles, qui sont déjà autorisées au titre de la Loi sur l'assurance-emploi. Ainsi, les changements relèveraient d'une recommandation royale, qui prévoit l'autorisation générale des dépenses d'assurance-emploi.
Je vais tenter d'expliquer davantage, à l'aide d'exemples précis, pourquoi ce léger changement aux modalités d'application des prestations ne créerait pas de dépenses nouvelles et distinctes. Il y a quatre éléments permettant d'étayer cette affirmation.
Premièrement, le projet de loi n'augmenterait pas le montant des prestations versées à une personne. Puisque le montant hebdomadaire auquel elle a droit ne changerait pas, il n'y a aucune raison de craindre que le projet de loi ait des effets sur le budget des dépenses ou sur les paiements du Fonds du revenu consolidé.
Cela distingue le projet de loi d'autres projets de loi d'initiative parlementaire qui étaient réputés exiger une recommandation royale. Je pense notamment aux anciens projets de loi et .
Deuxièmement, le projet de loi n'augmenterait pas la période ou le nombre de semaines pendant lesquelles la personne a droit à ces prestations. Les bénéficiaires admissibles auraient encore seulement droit à 15 semaines de prestations de maternité. La seule différence se rapporterait à la période de versement de ces prestations. Je tiens à préciser très clairement que ce serait l'unique changement.
De cette façon, le projet de loi se distinguerait de plusieurs autres projets de loi, comme le projet de loi , qui visait à faire passer la durée des prestations de maladie de l'assurance-emploi de 15 à 50 semaines.
Troisièmement, le projet de loi ne modifierait pas les critères d'admissibilité d'une manière qui permettrait à plus de personnes d'être admissibles à l'assurance-emploi.
Contrairement aux projets de loi , et , le projet de loi ne changerait pas le seuil d'admissibilité, car ce changement aurait pour effet d'augmenter le nombre de personnes pouvant toucher des prestations.
Par exemple, dans le cas du projet de loi , le Président a expliqué ce qui suit:
[...] un plus grand nombre de personnes auraient droit à des prestations d'assurance-emploi et celles qui sont actuellement admissibles verraient leurs prestations augmenter.
Quatrièmement, puisque le projet de loi ne ferait qu'appliquer différemment les prestations actuelles, les seuls coûts qui y seraient associés seraient d'ordre administratif. Il a été bien établi, dans des décisions antérieures, que ces coûts administratifs n'engendreraient pas de dépenses pour une nouvelle fonction. Il serait plutôt question de coûts opérationnels s'inscrivant dans le mandat permanent du ministère. Par conséquent, il a constamment été déterminé que les projets de loi entraînant uniquement des coûts administratifs n'exigeaient pas de nouvelle recommandation royale.
Afin de résumer mon argumentation selon laquelle le projet de loi ne prévoit aucune dépense nouvelle et distincte, je voudrais citer M. Keyes qui a affirmé, à la page 20 de l'article publié en 1999, que la recommandation royale n'est pas obligatoire pour les « dispositions autorisant soit des imputations déjà autorisées par le Parlement, par exemple un projet de loi de codification ou de révision législative, soit l'affectation de crédits à un groupe déterminé de personnes jouissant déjà de ces crédits en application de lois plus générales ».
C'est exactement ce que fait le projet de loi. Il autorise des dépenses pour un groupe déterminé de personnes, les femmes qui travaillent dans des milieux dangereux, qui sont déjà visées par une loi plus générale, dans ce cas, la Loi sur l'assurance-emploi. Même si le projet de loi déplace la période pendant laquelle une personne peut recevoir des prestations de maternité, il faut comprendre que de nombreuses femmes ont déjà droit à ces prestations. Celles-ci ne sont pas nouvelles ni distinctes.
Je me pencherai maintenant sur la deuxième raison pour laquelle il pourrait être nécessaire d'obtenir la recommandation royale pour le projet de loi, c'est-à-dire s'il change de façon fondamentale l'objet ou la portée des dépenses. En d'autres mots, le projet de loi envisage-t-il de donner une nouvelle fonction aux prestations de maternité? La question centrale que vous devez trancher, monsieur le Président, est de savoir si les prestations de maternité de l'assurance-emploi visent actuellement à protéger la santé de la mère et de l'enfant à naître. Si cette fonction existe dans le régime de dépenses actuel, mon projet de loi n'exigerait pas la recommandation royale, puisqu'il ne change en rien l'objet des prestations existantes. Il ne fait que devancer leur versement.
Je présenterai plusieurs arguments qui montrent que la santé maternelle est l'une des fonctions, voire la principale fonction, des prestations de maternité. Je souhaite d'abord faire remarquer que, bien que nous soyons chargés de déterminer l'objectif des prestations de maternité de l'assurance-emploi, la loi habilitante proprement dite, c'est-à-dire la Loi sur l’assurance-emploi, ne contient rien d'explicite sur la question. Par conséquent, nous devrons tirer des conclusions raisonnables en nous fondant sur d'autres facteurs, notamment les critères d'admissibilité et l'utilisation qui est faite des prestations, et, bien sûr, en faisant preuve de bon sens.
Examinons l'objectif des prestations de maternité et les critères d'admissibilité à celles-ci selon le site Web du ministère. Voici ce qu'on peut lire sur ce site: « Elles peuvent être versées pendant une période maximale de 15 semaines. Vous pouvez commencer à recevoir ces prestations à compter de la huitième semaine précédant la date prévue de votre accouchement et jusqu'à 17 semaines après la date réelle de celui-ci. »
Mon argument principal est que la protection de la santé maternelle constitue une fonction des prestations de maternité en vertu de la loi existante et de leur utilisation actuelle. C'est pour cette raison qu'on ne peut pas dire que mon projet de loi, qui vise directement cette fonction par l'intermédiaire de droits existants, crée une nouvelle fonction. La fonction existe déjà.
Les femmes qui demandent des prestations de maternité y ont déjà droit pendant leur grossesse, soit à compter de la huitième semaine précédant la date prévue de leur accouchement. Cela prouve concrètement que la santé maternelle et le maintien d'une grossesse sécuritaire sont des objectifs existants des prestations de maternité. La loi ne reconnaît peut-être pas explicitement ces objectifs, pas plus d'ailleurs que tous les autres objectifs des prestations de maternité, mais je crois que l'interprétation et l'esprit de la loi le confirment.
Analyser les dispositions actuelles sous un angle juridique est utile, mais il importe également de comprendre à quoi servent concrètement les prestations. En d'autres termes, je ne suis pas le seul à penser que les prestations de maternité ont pour fonction d'assurer la santé des mères, car c'est précisément de cette façon qu'elles sont utilisées.
Melodie Ballard, une électrice de ma circonscription, est l'une des nombreuses Canadiennes qui ont choisi d'avoir recours à leurs prestations de maternité plus tôt parce que leur travail présentait un risque pour leur santé et celle de leur enfant à naître. C'est même l'une des principales raisons pour lesquelles les femmes peuvent commencer à recevoir leurs prestations huit semaines avant l'accouchement. En vertu des règles actuelles, cela est permis. Le projet de loi ne fait que souligner l'un des objectifs actuels des prestations de maternité et l'utilisation concrète qui en est faite. C'est tout.
Soyons clairs, je ne dis pas qu'il s'agit de la seule fonction des prestations de maternité ni de la seule raison pour laquelle la loi permet de toucher ces prestations avant la naissance de l'enfant. Les prestations de maternité peuvent aussi être versées après la naissance, et en ce sens, elles visent aussi à offrir une période de rétablissement pour la mère après l'accouchement. Le point à retenir, c'est qu'il ne faut pas exclure de l'interprétation que l'on fait de l'objet des prestations de maternité leur fonction relative à la santé des mères, compte tenu de la façon dont elles sont structurées et utilisées concrètement.
Je présenterai maintenant des déclarations qui appuient mon argument selon lequel l'assurance-emploi, et en particulier les prestations de maternité, a pour objectif de favoriser la santé durant la grossesse. Le 8 mai 2014, lorsqu'elle a comparu devant le comité des ressources humaines, la directrice générale de l'assurance-emploi a déclaré ceci: « Les prestations de maternité fournissent déjà un soutien du revenu pour une période de 15 semaines entourant la date de l'accouchement afin de permettre à la mère de se rétablir des effets physiques et émotionnels de la grossesse et de l'accouchement. »
Il est clair en lisant cette déclaration que les prestations de maternité servent à assurer la santé des mères durant la grossesse. Peut-être plus concrètement, monsieur le Président, vous devrez déterminer si les prestations de maternité servent à assurer la santé de la mère lorsque son travail présente un risque pour sa santé et celle de son enfant à naître.
Autrement dit, est-ce que la raison d'être des prestations de maternité de l'assurance-emploi est similaire à celle du programme de retrait préventif qui existe au Québec? Ce sujet a en fait déjà été abordé dans le cadre des délibérations de la Chambre, en particulier dans le contexte des anciens projets de loi d'initiative parlementaire et .
J'aimerais citer les propos tenus le 3 mai 2012 par le député de Coast of Bays—Central—Notre Dame: « [les provinces autres que le Québec ont] recours depuis plusieurs années [...] aux dispositions de la Loi sur l'assurance-emploi pour fournir une indemnisation financière aux femmes enceintes et allaitantes qui font l'objet d'un retrait préventif. »
Ce genre de déclaration présente mon argument de manière plutôt succincte et cohérente.
Une explication semblable de l'utilisation de l'assurance-emploi pour protéger la mère et l'enfant à naître a été présentée à la Chambre le 17 octobre 2005 par la secrétaire parlementaire du ministre du Travail et du Logement de l'époque. Elle a dit que « les femmes assujetties à la législation fédérale qui doivent prendre congé sont admissibles à des prestations d'assurance-emploi ».
L'idée selon laquelle les prestations de maternité sont un soutien du revenu au cours d'une période de retrait préventif a été corroborée par de multiples députés dans le cadre des délibérations relatives aux projets de loi et .
Outre les députés, des fonctionnaires confirment également cette interprétation de l'assurance-emploi. Lorsqu'on lui a demandé, à la séance du 22 octobre 2003 du comité HUMA, si le Canada avait un régime de retrait préventif, le directeur, Normes du travail et Équité en milieu de travail, a répondu:
Si l'on a jugé que l'emploi était dangereux, l'employeur est tenu de tenter de réaffecter son employée à des tâches qui ne posent de risques ni à l'enfant à naître, ni au nourrisson. Si c'est impossible ou alors raisonnablement infaisable, l'employée a droit à un congé sans solde. À ce moment-là, elle bénéficie du programme d'assurance-emploi […]
Il est évident que le régime d'assurance-emploi, en particulier les prestations de maternité touchées pendant les huit semaines précédant l'accouchement, fait partie intégrante du soutien offert aux femmes qui choisissent de quitter leur emploi en raison de conditions de travail dangereuses.
Bien que certains énoncés ne mentionnent pas explicitement les prestations de maternité, il ne fait aucun doute que c'est principalement sous cette forme que l'assurance-emploi serait accessible dans ces cas.
Enfin, je tiens à préciser que ce projet de loi n'a aucune incidence sur les autres types de prestations d'assurance-emploi, particulièrement les prestations parentales et les prestations de maladie. Il serait toujours impossible de toucher des prestations parentales avant l'accouchement, ce qui cadre avec leur objectif.
On pourrait aussi penser que la protection des femmes enceintes relève davantage des prestations de maladie. C'est d'ailleurs une fausse idée très répandue. En réalité, une personne a seulement droit à ces prestations si elle est malade, et non si sa santé maternelle est à risque. Contrairement aux prestations de maternité, les prestations de maladie ne peuvent être versées dans le but de protéger la santé de la mère et de l'enfant à naître contre les risques posés par un milieu de travail dangereux.
Je tiens à dire clairement que 8 des 15 semaines de prestations de maternité peuvent être utilisées à cette fin, ce qui est souvent le cas. Comme cette fonction et cette fin sont bien établies, on ne peut pas dire que mon projet de loi va créer une nouvelle fonction.
Pour conclure, je dirai que mon projet de loi a simplement pour objet de souligner la fonction existante des prestations de maternité, soit la santé maternelle, pour les personnes qui en ont le plus besoin: les femmes qui occupent des emplois dangereux.
Il existe une recommandation royale dans le cas des dépenses associées aux prestations de maternité. Il est évident que mon projet de loi toucherait la façon dont ces dépenses sont effectuées.
La question essentielle qu'il faut se poser est la suivante: mon projet de loi va-t-il modifier l'orientation des dépenses de telle sorte qu'il l'éloignera du but initial des prestations de maternité? Autrement dit, la protection de la santé des femmes enceintes dépasse-t-elle l'objet des prestations de maternité? Monsieur le Président, j'estime que ce n'est pas le cas.
En terminant, je souhaite attirer votre attention sur l'article publié par Keyes en 1997. À la page 20, il soutient qu'une recommandation royale n'est pas nécessaire lorsqu'un projet de loi autorise des dépenses pour des attributions semblables, c'est-à-dire des « dispositions imposant à des organismes financés par les fonds publics des attributions supplémentaires de même nature que celles déjà exercées ou confiées à des fins semblables ».