La Chambre reprend l'étude, interrompue le 4 novembre, de la motion portant que le projet de loi , soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
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Madame la Présidente, j'aimerais remercier mon collègue conservateur de la circonscription d' d'avoir déposé ce projet de loi. J'ai le grand plaisir de prendre part au débat dans cette deuxième heure. Je le remercie aussi d'avoir déposé le projet de loi , et qui reconnaît aussi la déportation massive de 200 000 Tatars de Crimée en 1944, ce qui constitue un génocide.
Le Parlement ukrainien a reconnu le 12 novembre 2015 que la déportation massive des Tatars en 1944 était en fait un génocide, et que le retour de ce peuple ne fut possible que lorsque l'Union soviétique s'effondra en décembre 1991. Le Parlement ukrainien a aussi désigné le 18 mai comme journée officielle de commémoration de ce génocide et de la déportation massive des Tatars. Il demande et incite aussi les États et les organisations internationales à faire de même.
Comme Canadien d'origine polonaise, en fait né en Pologne, je connais bien les crimes multiples du régime soviétique et des communistes dans mon pays natal et dans l'Europe centrale aussi. Des millions de personnes ont été victimes de différents régimes communistes, et parmi ceux-ci, le peuple tatar de Crimée. La déportation forcée de milliers Tatars a causé la mort par la faim, par la maladie et à la suite de multiples actes de violence ciblant la communauté qui ont été commis par le régime soviétique.
Ce projet de loi, émanant du député d', ne crée pas une nouvelle fête légale ni un jour non juridique. Il y aurait tout simplement un jour spécial pour les Canadiens d'origine tatare marquant un événement important dans leur histoire familiale et communautaire.
Ce projet de loi a reçu l'appui de M. Mustafa Abdüldzhemil Dzhemilev, l'ancien président du Majlis du peuple tartar de Crimée, membre du Parlement ukrainien depuis 1988, et ex-dissident soviétique. Ce projet de loi a aussi reçu l'appui de Refat Tchoubarov, le président du Majlis des Tatars, ainsi qu'un député ukrainien d'expérience. L'Association canadienne des Tatars de Crimée, la Ligue ukrainienne canadienne et le comité international de l'Ukraine appuient ce projet de loi également. Beaucoup de communautés au Canada et à l'échelle internationale sont du côté du député d' pour ce projet de loi.
De plus, l'historienne et dissidente tatare Ayshe Seytmuratova appuie aussi ce projet de loi. C'est une légende dans la communauté; elle a contribué à l'effort déployé pour documenter ce crime. Elle décrit comment ses frères et ses parents ont été forcés de monter dans des trains soviétiques, en pyjamas, au cours d'un hiver. Les Tatars de Crimée appelaient ces trains des crématoriums sur roues. L'historienne Ayshe Seytmuratova décrit aussi comment un grand nombre de personnes mourantes ou mortes ont été éjectées de ces wagons par les gardes russes.
La moitié de ces Tatars de Crimée ont péri de maladies ou de faim au cours des premières années de leur exil. Leurs descendants et les survivants n'ont eu droit au retour de leurs terres ancestrales que dans les années 1980.
Il reste très peu d'archives, de livres ou même de mosquées qui ont survécu aux atrocités des troupes soviétiques, car elles ont détruit plusieurs sites historiques et culturels. Aujourd'hui, il reste très peu de survivants de ce génocide. Les histoires de ce crime de 1944 se sont transmises aux générations futures par la parole, les histoires, la poésie tatare et par les chansons.
Concernant cette question ou le doute de ce crime soviétique que fut la déportation massive des Tatars, la Convention de l'ONU pour la prévention et la répression du crime de génocide dit ce qui suit dans l'article II:
[...] le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. comme tel:
Une énumération continue:
a) Meurtre de membres du groupe;
b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.
Comme nous pouvons le voir, selon cette définition, c'est bien un génocide qui a été commis par les forces soviétiques, par l'autorité soviétique contre les Tatars de Crimée.
Le crime du Holodomor, l'invasion récente par les forces militaires de la Russie et l'occupation illégale de la Crimée, ainsi que la déportation massive des Tatars en 1944, font tous partie de l'habitude soviétique que nous voyons aujourd'hui dans la fédération russe et selon laquelle seule la force compte.
Dans nos débats à la Chambre sur les multiples initiatives parlementaires, il s'agit souvent de projets de loi visant à créer des jours, des semaines ou même des mois commémoratifs de reconnaissance pour plusieurs groupes canadiens. En ajouter un pour les Tatars de la Crimée serait approprié, compte tenu des événements qui se déroulent en Ukraine aujourd'hui et en Crimée dans le passé.
La reconnaissance de ce génocide et des déportations forcées améliorerait grandement les relations avec la communauté tatare de Crimée et enrichirait la diversité culturelle canadienne en reconnaissant un fait historique qui a eu un important effet sur cette communauté et son patrimoine.
Aujourd'hui, le gouvernement russe occupe le territoire traditionnel des Tatars de Crimée, des activistes tatars sont disparus et les autorités russes ont fermé les médias tatars. L'oppression et la discrimination contre ce peuple continuent. Le vice-président du Majlis, Ilmi Umerov, a été emprisonné dans une institution psychiatrique par les autorités russes. C'est seulement grâce à la pression internationale des grands pays de l'Ouest qu'il a été libéré.
Les médias tatars de Crimée ont été fermés, y compris la chaîne de télévision ATR. Des écoles en langue tatare ont été fermées, ainsi que des mosquées, et la plupart de ceux qui y étaient liés ont été emprisonnés. Des rassemblements visant à souligner les déportations de 1944 dans la région, dans le cadre de jours commémoratifs, par exemple, ont été interdits depuis l'occupation russe de la Crimée. Ces actes de marginalisation s'intensifient et sont un écho historique de ces événements de 1944.
Le Sürgünlik est un génocide et un autre crime commis par les autorités soviétiques. Un jour commémoratif est un geste d'amitié que nous pouvons poser pour nous assurer que l'histoire se souviendra de ces événements.
Je veux saluer le leadership du député d', dont les efforts ont rendu cette initiative possible. J'invite tous les députés, bien sûr, à voter en faveur de ce projet de loi présenté par ce député.
Le terme « sürgün », qui fait partie de « Sürgünlik », est employé par les Tatars de Crimée pour désigner la déportation elle-même. Ce terme turc se traduit aussi par « expulsion » et « exil ». Par extension, « sürgün » signifie également « expulsion violente » et « exil prolongé ». Depuis 1944, c'est au coeur de la vie collective des Tatars de Crimée, et par conséquent, au coeur de leur identité.
Plusieurs associations canadiennes sont en faveur de ce projet de loi, ainsi que Rustem Irsay, président de l'Association canadienne des Tatars de Crimée, et Orest Steciw, de la League of Ukrainian Canadians. Le Congrès des Ukrainiens-Canadiens et son président, Paul Grod, ainsi que le député Moustafa Djemilev, qui est le commissaire du président de l'Ukraine pour les affaires des Tatars de Crimée, l'appuient également. Tous sont d'accord pour dire que cet important projet de loi devrait recevoir l'appui du Parlement.
Avant ce débat d'aujourd'hui, j'ai eu l'honneur de rencontrer Garry Kasparov, un leader civique en ce qui concerne l'opposition au régime du président russe. Il est aussi le président de la Human Rights Foundation et un spécialiste en politique à l'école Oxford Martin. Il est aussi connu comme le 13e champion du monde du jeu d'échecs.
Il m'a rappelé que l'histoire nous dit que nous ne devons jamais oublier les actions perpétrées par l'État soviétique contre les peuples de la région. La propagande russe contre les Tatars de Crimée effacera les faits historiques ainsi que leurs liens avec leur terres ancestrales en augmentant la désinformation. Comme le dicton populaire le dit, ceux qui n'apprennent pas de l'histoire sont condamnés à la répéter.
Ce jour commémoratif fera partie des efforts internationaux en vue de contrer la propagande russe, qui a pour but de réécrire l'histoire de cette région afin d'éradiquer toute trace des Tatars de Crimée. Ne les laissons pas faire.
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Madame la Présidente, je souhaite moi aussi parler du projet de loi , qui a été présenté par le député d'.
Je crois que le député pourra compter sur l'appui massif des députés pour la partie de son projet de loi qui porte sur la reconnaissance de la déportation massive des Tatars de Crimée et des atrocités dont ils ont longtemps été victimes.
L'Ukraine a d'ailleurs déjà adopté une mesure législative semblable afin de commémorer la déportation des Tatars de Crimée ainsi que les atrocités dont ils ont été victimes.
L'expulsion forcée des Tatars de Crimée par Staline en 1944 constitue l'un des pires crimes contre l'humanité à avoir été commis pendant un siècle pourtant riche en atrocités. Cette année-là, la totalité du peuple autochtone de Crimée, les Tatars, a été exilée dans l'Est de l'Union soviétique par le régime totalitaire de Joseph Staline.
Des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants ont été déportés dans la violence et la terreur. Près de la moitié d'entre eux ont perdu la vie pendant leur première année d'exil uniquement parce qu'ils avaient une langue, une culture et des traditions bien à eux. Pour ajouter à l'horreur, si c'est possible, les femmes et les enfants ont été séparées des hommes, ces derniers étant envoyés d'office rejoindre les rangs des forces de Staline.
La vaste majorité des survivants tatars ayant été exilés sont retournés en Crimée au début des années 1990. Leur retour était attribuable en grande partie à la politique d'accueil du gouvernement de l'Ukraine indépendante. C'est pour cette raison que les Tatars de Crimée, de même que leurs institutions politiques et civiques, sont d'une loyauté sans faille envers l'Ukraine. À l'heure actuelle, les Tatars vivent encore une fois dans la peur puisqu'ils ont été de nouveau exilés, cette fois-ci par Poutine.
On parle peu de nos jours de l'annexion illégale de la Crimée par la Fédération de Russie en 2014. Les Tatars de Crimée se sont presque tous opposés à cette annexion.
Selon Amnistie internationale, les Tatars de Crimée font l'objet de mesures répressives telles que la fermeture de médias, l'arrestation de militants et leur « disparition ». Les Tatars ne sont pas autorisés à souligner publiquement le jour commémoratif de la dernière déportation.
Le mois dernier, la Russie a banni l'Assemblée des Tatars de Crimée, le Majlis, en l'accusant d'extrémisme. À cause de cela, les personnes associées aux quelque 250 majlis régionales de la Crimée risquent maintenant l'arrestation. Les Tatars vivent dans la peur, que ce soit en Crimée ou le long de sa frontière, dans leurs territoires d'origine.
D'après Anssi Kullberg, un universitaire spécialiste de l'Europe de l'Est, de nombreux historiens croient que la véritable motivation derrière le génocide des Tatars de Crimée était l'emplacement géopolitique de la Crimée, qui était perçu par les Soviétiques comme une tête de pont et un obstacle aux aspirations de Staline, qui souhaitait prendre le contrôle du détroit turc et de Constantinople. La situation se répète maintenant, sauf que cette fois-ci la Russie veut revendiquer la Crimée.
La campagne d'extermination des Tatars de Crimée était de nature holistique, car même le nom tatar de lieux était remplacé par un nom soviétique; les mosquées étaient transformées en cinémas — ou pire —, les maisons, le bétail et les jardins étaient confisqués et toute mention des Tatars de Crimée était supprimée ou abrégée dans les ouvrages de référence. Autrement dit, toute trace d'eux a été effacée.
Les Tatars de Crimée n'avaient pas le droit de vivre dans leur patrie, ou d'en parler. Ils ne pouvaient même pas préserver leur identité tatare dans leurs documents personnels.
En décidant de suspendre le Majlis des Tatars de Crimée et d'interdire toutes ses activités, la Russie prive ni plus ni moins le peuple tatar de Crimée de son droit à la liberté d'association et viole ses droits fondamentaux..
En novembre 2015, le Parlement ukrainien a reconnu le génocide des Tatars de Crimée et le 18 mai a été désigné la journée de commémoration du génocide des Tatars de Crimée.
Selon le président national du Congrès des Ukrainiens Canadiens, Paul Grod:
Les Tatars de Crimée, le peuple ukrainien et d'autres minorités ethniques et religieuses vivant en Crimée subissent aujourd'hui une répression sévère de la part des occupants russes. Il est essentiel que les députés du Parlement du Canada appuient cet important projet de loi et veillent à ce que le Canada continue de prendre des mesures concrètes pour lutter contre l'occupation illégale de la péninsule de Crimée par la Russie.
L'année dernière, j'ai eu la chance de prendre la parole dans cette enceinte avec tous les représentants des principaux partis pour témoigner de notre appui au député Moustafa Djemilev, qui est un pilier de la communauté tatare. Il est primordial que nous joignions le geste à la parole et que nous aidions cette communauté à faire reconnaître ses droits fondamentaux.
Je suis pour le renvoi de ce projet de loi au comité et l'étude d'amendements possibles. J'ai des réserves concernant le titre et le préambule du projet de loi.
J'espère que nous ne nous en tiendrons pas à un jour commémoratif, et que nous en ferons davantage pour que les Tatars de Crimée puissent vivre en paix.
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Monsieur le Président, je prends la parole pour me joindre au débat sur le projet de loi , qui vise à reconnaître que la déportation massive des Tatars de Crimée par les autorités soviétiques en 1944 constitue un génocide et à instituer le Jour commémoratif de la déportation des Tatars de Crimée.
La déportation des Tatars de Crimée fut une grande tragédie. En quelques jours, les familles ont été expulsées de leurs propres maisons. Forcées à quitter une patrie qu'ils aimaient, elles étaient censées s'établir dans des régions qui leur étaient étrangères. Beaucoup de gens ont péri. Pendant des décennies, les Tatars de Crimée ont été interdits de territoire chez eux, comme la députée vient de le souligner.
L'actuel gouvernement a reconnu cette tragédie par le passé et appuie l'intention du projet de loi, qui vise non seulement à instituer une journée pour rappeler la souffrance endurée par les Tatars de Crimée, mais aussi à honorer leurs irréductibles volonté et résilience.
Malgré toutes les horreurs qu'on leur a infligées, les Tatars de Crimée ne se sont pas laissés abattre. Leur culture rayonne et leur présence au pays enrichit la société canadienne.
Cependant, le gouvernement choisit de ne pas appuyer le projet de loi. Le gouvernement reconnaît que la déportation massive des Tatars de Crimée par les autorités soviétiques fut une tragédie dans le plus pur sens du terme. Ce que Staline leur a infligé est horrible.
Nous reconnaissons le nombre effroyable de pertes de vies et les atroces souffrances causées par la déportation de centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants, arrachés de leur terre ancestrale en Crimée.
Le préambule du projet de loi indique que le déplacement forcé des Tatars de Crimée constitue un génocide. En 1944, Staline a infligé des horreurs aux Tatars de Crimée en les dépossédant, en les déportant et en les tuant. C'était un crime contre l'humanité. Cette expression a un sens précis qui a été défini en 2002 lors de l'institution de la Cour pénale internationale. Je vais lire une partie de la définition que la Cour a utilisée pour les crimes contre l'humanité dans son traité fondateur, le Statut de Rome:
Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque: a) Meurtre; b) Extermination; c) Réduction en esclavage; d) Déportation ou transfert forcé de population; [...]
Il ne fait aucun doute que l'horreur vécue par les Tatars de Crimée constitue un crime contre l'humanité.
En 1989, l'URSS a reconnu que les déportations représentaient une violation grave des fondements du droit international.
Le terme « crime contre l'humanité » est un terme puissant qui ne doit pas être utilisé à la légère. Si je l'utilise ce soir, c'est parce que c'est ce que les souffrances infligées aux Tatars de Crimée ont été. Toutefois, si un crime contre l'humanité reconnaît l'existence d'une atrocité de masse, un génocide requiert que l'atrocité de masse ait été commise de façon délibérée en vue non seulement de l'expulsion, mais de l'extermination systématique d'un groupe de personnes.
En droit international, le critère qui permet de déterminer s'il y a eu véritablement génocide est très strict. La définition du crime de génocide a été établie dans la Convention sur le génocide qui a été adoptée en 1948 et qui est entrée en vigueur en 1951.
En vertu de la Convention, il ne suffit pas que des déportations massives de civils aient eu lieu; il faut prouver au-delà de tout doute raisonnable que les atrocités ont été commises dans le cadre d'une campagne visant à éliminer totalement ou partiellement un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Il s'agit d'un critère élevé.
Le Canada a reconnu six génocides à ce jour: le génocide arménien, la famine ukrainienne et l'Holocauste, qui sont antérieurs à la Convention, ainsi que le génocide rwandais, le massacre de Srebrenica et le génocide contre les yézidis de Sinjar en Irak, qui ont eu lieu après que la Convention a été adoptée.
Dans les trois derniers cas, il y a eu recours à une enquête internationalement reconnue ou à une décision judiciaire dans laquelle il a été déterminé qu'il s'agissait de génocides.
Le génocide rwandais a été reconnu par le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Le massacre de Srebrenica a été reconnu par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Le génocide perpétré contre les yézidis de Sinjar, en Irak, a été reconnu aux termes de l’enquête indépendante menée par les Nations unies sur la Syrie.
Pour ce qui est des génocides commis au fil de l’histoire, on ne peut pas faire appel aux tribunaux; il faut utiliser d’autres sources. Pour ce qui est de la déportation des Tatars de Crimée, l’Ukraine est le seul pays à avoir officiellement qualifié l’événement de génocide et elle ne l’a fait que l’année dernière. Aucun autre État ni aucune organisation multilatérale, y compris l’ONU, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, le Parlement européen et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, n’ont reconnu cette déportation comme un génocide.
Outre l’absence de reconnaissance internationale, le consensus historique fait également défaut. La majorité des historiens ne croient pas que Staline avait l’intention d'éradiquer les Tatars de Crimée parce qu'ils étaient des Tatars, en dépit des horreurs que cette population a subies.
La plupart des historiens ne qualifient pas cette stratégie de génocide. Notre point de vue se fonde sur cette absence de reconnaissance internationale ou de consensus historique. C’est à partir d’une conclusion rigoureuse, en l’occurrence celle des historiens, que nous devons déterminer s’il y a eu génocide. Ce faisant, nous faisons en sorte que le terme continue d’évoquer les horreurs qu’il représente.
Guidés par l’objectif que nous nous sommes fixé de rendre hommage aux Tatars de Crimée et de ne pas affaiblir la signification du terme « génocide », le gouvernement s’oppose au projet de loi à l'étape de la deuxième lecture. Je tiens toutefois à signaler que le gouvernement est résolu à commémorer la tragédie que constitue la déportation des Tatars de Crimée en 1944. Nous avons souligné le 72e anniversaire de la déportation le 18 mai dernier et nous continuerons de commémorer annuellement cet événement tragique. En adoptant cette approche, nous préservons la définition du terme « génocide » et la mémoire historique des Tatars de Crimée.
Je répète que la déportation des Tatars de Crimée, en 1944, était un crime contre l'humanité et que le gouvernement approuve l'intention qui anime le projet de loi, c'est-à-dire l'institution d'un jour commémoratif. Toutefois, nous n'approuvons pas l'emploi du terme « génocide » dans ce cas. La reconnaissance d'un génocide nécessite un examen rigoureux des événements. Cette rigueur protège le souvenir de toutes les victimes de génocide. Par conséquent, le gouvernement s'oppose au projet de loi, et nous demandons à nos collègues parlementaires d'en faire de même.
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Monsieur le Président, je suis honoré de prendre la parole aujourd'hui à l'appui de mon collègue d' et de son projet de loi, le projet de loi , qui vise à instituer un jour commémoratif en l'honneur des victimes de la déportation des Tatars de Crimée, le « Sürgünlik », ainsi qu'à reconnaître la déportation massive des Tatars de Crimée, en 1944, comme un acte de génocide. Comme l'a déclaré mon collègue lorsqu'il a présenté le projet de loi C-306, en septembre: « Le projet de loi vise à condamner un chapitre très sombre de l'histoire et défend les principes de liberté, de démocratie et de primauté du droit. »
Certains de mes collègues se sont demandé à haute voix et de façon respectueuse pourquoi la Chambre devrait créer un énième jour qui commémore un chapitre tragique de l'histoire dont la plupart des Canadiens ignorent l'existence, une tragédie qui est couramment oubliée et qui se perd parmi les horreurs et les crimes contre l'humanité qui sont survenus pendant la Seconde Guerre mondiale et qui sont documentés et commémorés de manière plus évocatrice. À cela je réponds que c'est lorsque les sociétés examinent en détail le passé qu'elles découvrent les réalités incontournables de l'humanité et les moyens d'éviter que de telles horreurs se reproduisent un jour.
En ce qui concerne les députés qui se questionnent sur la pertinence de créer un autre jour commémoratif et qui se demandent combien de Canadiens d'origine tatare vivent parmi nous, je réponds qu'il n'y en a pas beaucoup. Selon le dernier recensement, il y en a officiellement moins de 3 000. En fait, ce nombre pourrait être un peu plus élevé, puisque de nombreux descendants des survivants du génocide des Tatars sont considérés, à tort, comme des Russes. Qu'il y en ait 3 000 ou plus, le merveilleux pays diversifié qu'est le Canada puise sa force dans ce qu'il est, une communauté de communautés, grandes et petites, et dans le respect de ces communautés pour l'histoire, les épreuves et les tribulations ainsi que les récits de survie, de cruauté et de barbarie révoltante.
Au XIIIe siècle, les Tatars formaient un peuple dominant en Crimée, puissant carrefour commercial de l'Empire mongol, qui, ultérieurement, allait tomber sous l'emprise de l'Empire ottoman. Au XVIIIe siècle, Catherine la Grande a annexé la péninsule de Crimée dans le cadre de la vaste expansion de l'Empire russe entreprise sous ses ordres. Au cours de la révolution bolchevique de 1917, la Crimée fut le dernier bastion de l'Armée blanche.
Les Tatars de Crimée n'ont pas été épargnés par les horreurs de l'Holodomor, la famine délibérément provoquée par Staline au début des années 1930, qui a causé la mort de millions d'Ukrainiens. Comme les députés le savent, en 2008, le Canada est devenu le premier pays à reconnaître officiellement l'Holodomor comme un génocide.
Cela nous amène au génocide de Crimée. Pendant la Seconde Guerre mondiale, après l'invasion de l'armée nazie dans la péninsule de Crimée, des milliers de Tatars ont été conscrits dans l'armée allemande, en compagnie de Russes et d'Ukrainiens. Lorsque les Allemands ont été expulsés de Crimée, en 1944, les Russes se sont vengés en s'en prenant aux gens qui avaient été forcés de collaborer, et ce, même si beaucoup plus de Tatars avaient combattu du côté russe. D'ailleurs, un certain nombre de Tatars se sont vu décerner la médaille de héros de l'Union soviétique. Néanmoins, Staline a déclaré tous les membres de la nation tatare, y compris les non-combattants, les femmes, les enfants et des milliers d'hommes qui combattaient toujours dans les rangs de l'Armée rouge, izmeniky rodina, c'est-à-dire traîtres à la mère patrie.
Ensuite, le 18 mai 1944, les troupes de l'Armée rouge soviétique et des soldats du redoutable NKVD, la police secrète de Staline, ont encerclé les minuscules villages tatars, des hameaux en fait, dans les montagnes du sud de la Crimée et sur la côte. Ils ont rassemblé les hommes, les femmes et les enfants, abattant tous ceux qui résistaient. Ils les ont entassés dans des wagons à bestiaux pour les conduire dans des endroits éloignés en Asie moyenne soviétique. Des milliers sont morts au cours de ce voyage, leur corps était simplement jeté en bas des wagons.
Un énorme groupe de personnes déportées a été abandonné dans le désert de la République d'Ouzbékistan. Les Tatars y ont succombé par milliers à la faim et aux éléments. Les survivants sont restés dans les camps de travail de la police secrète jusqu'à 1956, date à laquelle Nikita Khrouchtchev a ouvert les camps, permettant aux Tatars de rentrer chez eux. À peine la moitié du peuple tatar a survécu.
Hélas, lorsque les survivants arrivèrent chez eux, ils virent que leurs villages avaient été expropriés par les Russes. On leur a interdit de se réinstaller et ils se sont dispersés en Europe de l'Est et ailleurs dans le monde.
Cependant, les Tatars de la diaspora ont bien appris à leurs enfants ce qui s'était passé, afin que les générations futures connaissent leur vraie patrie. Pendant une courte période, après l'effondrement de l'Union soviétique, il leur a semblé possible de retourner chez eux. Quelque 250 000 Tatars sont rentrés en Crimée, et de nouvelles collectivités se sont bâties sur des centaines de camps de squatteurs. Les Tatars de retour d'exil ont peu à peu fini par constituer au moins 12 % de la population de la Crimée.
Puis sont survenues l'invasion russe et l'occupation de la Crimée et de l'Est de l'Ukraine. Le gouvernement tatar, le Majlis, a été banni, les Russes le considérant comme une organisation extrémiste. Ainsi, la marginalisation, la persécution et l'oppression séculaires des Tatars par les Russes se poursuivent encore aujourd'hui.
Voilà qui nous amène à la question de la commémoration de la déportation tragique et inhumaine de 1944. Le 12 novembre 2015, le Parlement de l'Ukraine a reconnu que la déportation massive des Tatars de Crimée en 1944 par le régime soviétique constitue un génocide. En conséquence, il a proclamé le 18 mai jour officiel de commémoration.
Si le projet de loi est adopté, chaque année le 18 mai, le Canada soulignera le Jour commémoratif de la déportation des Tatars de Crimée, ou Sürgünlik. Il a reçu l'appui d'un grand nombre d'organismes de renom. La Ligue ukrainienne canadienne, par exemple, estime qu'il tombe à point nommé, puisqu'à l'heure où on se parle, en Crimée occupée, le gouvernement mène des purges et déporte les Tatars et les Ukrainiens patriotes. Le projet de loi enverrait donc un message fort aux Tatars de Crimée vivant sous l'occupation: le monde ne les a pas oubliés; le Canada ne les a pas oubliés.
Le Parlement des Tatars de Crimée, le Majlis, a écrit au parrain du projet de loi, le député d' pour lui signifier que sa mesure législative constituait un autre moyen, pour le Canada, d'exprimer sa solidarité envers l'Ukraine et son peuple et que, si elle était adoptée, elle créerait un précédent dans le monde occidental qui, l'espère-t-il, servira d'inspiration aux autres pays.
Dans une lettre d'appui au projet de loi , la Ligue des femmes ukrainiennes du Canada affirme qu'en reconnaissant que la déportation des Tatars de Crimée constitue un génocide, le Parlement du Canada montrerait qu'il n'hésite jamais à défendre les droits de la personne et à protéger les peuples autochtones.
Elle ajoute que le régime de Poutine actuellement au pouvoir cherche à punir les Tatars de Crimée et les compatriotes ukrainiens parce qu'ils se tiennent debout et qu'ils ont refusé de reconnaître l'occupation.
La Ligue des femmes ukrainiennes du Canada conclut sa missive en demandant aux députés de tous les partis de prendre position et d'appuyer le projet de loi afin que les horreurs du passé soient reconnues et qu'elles ne se reproduisent jamais.
Il n'y a rien à ajouter à cela. Je presse donc tous les députés de donner leur appui à l'excellent projet de loi .
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Monsieur le Président, la Crimée enchante les visiteurs depuis des siècles par sa beauté. C'est aussi la terre ancestrale des Tatars de Crimée. Malgré la beauté naturelle de la Crimée, l'histoire de ses peuples autochtones, les Tatars de Crimée, est une histoire tragique.
Les Tatars de Crimée sont issus d'un amalgame de tribus qui vivent en Crimée depuis des temps immémoriaux. Le peuple autochtone de la péninsule s'est fait connaître sous le nom de « Tats », terme décrivant les convertis à l'islam qui ne sont pas d'origine turque. Les Tats formaient le groupe démographique dominant de la péninsule et, avec les Tatars de la steppe, les Nogaïs, ils sont devenus les Tatars de Crimée.
Un État officiel des Tatars de Crimée a émergé sur les cartes de l'Europe en 1449. Il s'agissait du khanat tatar de Crimée. Si ces faits ethnographiques et historiques sont si importants, c'est parce que le président Poutine justifie la récente invasion de la Crimée par l'armée russe et son annexion en disant que la Crimée a toujours été russe, ce qui est faux.
La réalité est qu'une fois de plus les Tatars de Crimée sont victimes d'arrestations arbitraires ciblées, de torture et de disparitions comme conséquence de l'impérialisme du Kremlin. La répression actuelle des Tatars de Crimée a été documentée par de nombreux organismes de défense des droits de la personne, dont le Crimean Human Rights Group et le Centre d'information sur les droits de l'homme, dans leur rapport intitulé « Peninsula of Fear ».
Comment le Kremlin de Poutine en est-il arrivé à cette fabulation selon laquelle la Crimée serait historiquement russe et les Tatars de Crimée sont une réalité gênante, dont il faut se débarrasser au moyen de politiques dignes des tsars et des Soviétiques?
En 1449, lorsque les peuples autochtones de Crimée ont formé leur État, le khanat de Crimée, les frontières de la principauté de Moscovie, l'État ayant précédé la Russie, se trouvaient à plus de 1 000 kilomètres. En 1783, soit 340 ans plus tard, l'empire russe a envahi et annexé la Crimée pour la première fois. C'est ainsi qu'a commencé l'occupation russe de la Crimée, qui a duré 160 ans, jusqu'en 1954. Notons que les Tatars de Crimée ont formé 80 % de la population de la péninsule pendant les 100 premières années de cette occupation. Cette occupation russe de 160 ans a été le théâtre de multiples nettoyages ethniques, avec comme point culminant le Qara Kün, le Jour noir de 1944.
Après l'annexion de la Crimée, Catherine la Grande a ordonné, entre autres atrocités, la déportation de tous les Tatars chrétiens de Crimée afin qu'ils aillent mourir dans les steppes glacées. Il y a ensuite eu des déportations massives de Tatars musulmans de la Crimée vers la Turquie en 1812 et 1855, ainsi que dans les années 1860 et 1880, puis en 1918. Malgré ces déportations, au début du XXe siècle, les Tatars de Crimée formaient toujours le groupe ethnique majoritaire en Crimée.
Vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, Staline, un adepte du génocide, a décidé d'éliminer les Tatars de Crimée une bonne fois pour toutes. C'est à cette époque que la célèbre phrase net naroda, net problema, ou « pas de peuple, pas de problème », a été invoquée à maintes reprises.
Plusieurs nations se définissent par l'horreur du génocide: les Arméniens ont le Meds Yeghern, les Ukrainiens l'Holodomor, les Juifs la Shoah, et les Tatars de Crimée le Sürgünlik.
Peu après minuit, le 18 mai 1944, la terreur s'est abattue sur la Crimée. Des unités des forces spéciales du NKVD ont rassemblé ceux qui allaient être déportés. Ils les ont mis à bord de convois de camions, emmenés à Simferopol et Bakhtchissaraï, puis embarqués dans des wagons à bestiaux pour être transportés dans les steppes d'Asie centrale.
Les Tatars de Crimée qui vivaient dans les régions montagneuses inaccessibles aux camions du NKVD étaient traqués et abattus. Les habitants de la Flèche d'Arabat, un groupe de villages de pêche inaccessibles, ont été embarqués sur une barge qui a été sabordée dans la mer d'Azov. L'équipage d'un navire soviétique muni de mitrailleuses s'est assuré qu'il n'y ait aucun survivant.
En trois jours, il ne restait plus de Tatars en Crimée. Un représentant du Parti communiste à Moscou avait dit à l'époque que les autorités soviétiques avaient créé une nouvelle Crimée conforme à l'ordre russe. Les oeuvres de la littérature tatare de Crimée ont été brûlées. Toutes les municipalités tatares de Crimée ont été rebaptisées. On leur a donné des noms russes. Les cimetières musulmans et les mosquées ont été rasés. Même la Grande Encyclopédie soviétique a radié de l'histoire les Tatars de Crimée.
Plus de 200 000 Tatars de Crimée ont été éliminés. Pendant les quatre semaines suivantes, des milliers de wagons bondés, formant une procession mortelle, ont parcouru 4 000 kilomètres dans les steppes de l'Asie centrale. Les Criméens les qualifiaient de « fours crématoires sur roues ». Des gens sont morts étouffés, d'autres de faim ou de soif. La voie ferrée était bordée de corps en état de décomposition. Près de 30 000 passagers sont morts. Par la suite, la moitié des passagers sont morts de faim et de maladie dans les steppes de l'Asie centrale, loin du regard de la communauté internationale.
Comme il l'avait fait en 1932-1933 en soumettant les paysans ukrainiens à une famine génocidaire, Staline a créé les conditions préalables à l'élimination d'un peuple.
Voyons maintenant si le « Sürgünlik » constituait un génocide.
Raphael Lemkin, un Polonais juif né en Europe de l'Est, dans une région au coeur des conflits sanglants du XXe siècle, a inventé le terme « génocide » après avoir vu et étudié les horreurs du génocide arménien, de l'Holodomor et de l'Holocauste. Il a consacré sa vie à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par les Nations unies le 12 janvier 1951.
En plus d'inventer le terme « génocide », Lemkin l'a aussi défini, et cette définition est devenue l'article 2 de la convention. Le titre de la convention, sa structure et ses articles décrivent clairement le but visé: la convention ne vise pas à déterminer par des constatations juridiques s'il y a ou non génocide. Elle se concentre plutôt sur la prévention et la répression des génocides.
Il importe de souligner que Lemkin a fait partie de l'équipe américaine qui a préparé les procès de Nuremberg. C'est là qu'il a utilisé pour la première fois le terme « génocide », qui n'était pas encore un terme juridique, dans l'acte d'accusation contre les dirigeants nazis. La détermination d'un génocide peut être faite par un tribunal, par un parlement ou par un gouvernement, en fonction de la définition de Lemkin. Un tribunal, en revanche, peut conclure qu'une personne est coupable du crime de génocide.
Le « Sürgünlik » correspond à la définition de Lemkin. Cela ne peut être plus clair. L'article prévoit que « le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, [en] tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel: a) Meurtre de membres du groupe ». On n'a qu'à penser au navire qui a été coulé avec à son bord les villageois de la Flèche d'Arabat, ou aux bergers tatars de Crimée qui ont été traqués et tués dans les montagnes. On lit ensuite à cet article « b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ». On pense à la confiscation massive des biens et à l'expulsion. Enfin, il est question de « c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ».
Examinons le point c) en fonction de ses éléments constitutifs. L'acte de Staline était-il délibéré? En fait, il s'agit d'une intervention préméditée, qui avait été planifiée soigneusement et exécutée par des forces spéciales du NKVD. Les conditions d'existence visaient-elles à entraîner la destruction physique totale ou partielle des Tatars de Crimée? On n'a qu'à penser aux souvenirs relatés par des témoins oculaires russes et aux statistiques horrifiantes relatives aux décès, qu'il s'agisse de chiffres bruts ou de pourcentages. Quatre-vingt-dix mille personnes ont été tuées, ce qui correspond à presque 50 % de la population.
Selon la définition de Lemkin, il suffit d'un des déterminants énumérés dans l'article pour conclure qu'on a affaire à un génocide. Le Sürgünlik correspond non pas à un, mais à trois des déterminants établis par Lemkin. En fait, le plan consistait non seulement à détruire le peuple des Tatars de Crimée, mais aussi à effacer toute trace de leur existence en Crimée. Il s'agissait donc à la fois d'un génocide et d'un ethnocide historique, ce qui nous amène à aujourd'hui.
L'invasion militaire et l'annexion de la Crimée orchestrées par Poutine et justifiées par de fausses allégations de la part des Russes concernant des conflits ethniques et des revendications de territoires ancestraux ont enfreint le principe de l'inviolabilité des frontières, un principe fondamental de droit international. De tels gestes n'ont pas été commis en Europe depuis les années 1930.
Aujourd'hui, dans la Crimée occupée, les Tatars, ces opprimés, ces victimes du génocide perpétré par Staline, voient de grands portraits de celui-ci défiler durant les congés institués par le Kremlin. Poutine a entrepris une campagne d'expansion impérialiste dans les pays avoisinants et entend rétablir le culte de Staline. La magnifique Crimée est véritablement devenue la « péninsule de la peur » pour les autochtones de cette « terre bénie ».
Je souscris fermement à la politique d'engagement de l'actuel gouvernement. Nous devons toutefois éviter de faire preuve de complaisance dans nos relations diplomatiques. L'engagement exige que nous parlions franchement aux autorités qui se montrent malveillantes. Il ne faut pas craindre de dire la vérité concernant les crimes contre l'humanité que commet actuellement le Kremlin.
Il ne faut pas non plus nier les crimes contre l'humanité qu'a commis le Kremlin dans le passé. Dire les vraies choses par rapport au passé nous rend plus à même de confronter le mal qui sévit aujourd'hui, ce qui nous amène au projet de loi dont nous sommes saisis.
Les Tatars de Crimée ont été victimes d'un génocide. Il ne faut pas le nier.
[Le député s'exprime en ukrainien ainsi qu'il suit:]
Slava Krymskym Tataram. Slava Ukraini.
:
Monsieur le Président, je suis heureux de poursuivre le débat sur le projet de loi . Je remercie mes collègues de leurs contributions et suis très reconnaissant d'entendre des déclarations d'appui des quatre coins de la Chambre.
Je voudrais répondre à une demande de la députée de .
Je demande le consentement unanime de la Chambre pour déposer ce document, intitulé « State Defence Committee Decree No. 5859ss », qui a été signé le 11 mai 1944 au Kremlin. Ce décret a condamné les Tatars de Crimée à l'exil. Il n'y a pas de preuves plus accablantes que la nature hostile de ce document.
Sept jours après la signature du décret par Joseph Staline, les autochtones de Crimée ont été rassemblés, puis déportés en masse vers l'Asie centrale. D'un seul coup de crayon, Staline a envoyé plus de 200 000 personnes vers ce que l'historien Robert Conquest a appelé des « parcs à humains ». Dans les années 1960, M. Conquest a été l'un des premiers historiens occidentaux à étudier les déportations. Alors que le tableau complet était toujours bien caché derrière le rideau de fer, il a commencé à décrire ces événements comme un génocide.
Au sein de l'Union soviétique elle-même, quelques courageux dissidents en sont venus aux mêmes conclusions. Petro Grigorenko, ancien général de l'Armée rouge devenu activiste, a affirmé devant un groupe de Tatars de Crimée en exil: « Ce que vous avez subi en 1944 a un nom. C'était un génocide. » Pour avoir tenu ces propos, le général Grigorenko a passé cinq ans dans un hôpital psychiatrique, puis a été exilé.
Quand les historiens se sont penchés plus attentivement sur la question du nettoyage ethnique et du génocide, les déportations de 1944 ont souvent été considérées comme en étant le parfait exemple.
Norman Naimark, un historien de l'Université Stanford, était d'accord, et a affirmé que les déportations de 1944 constituaient une tentative de « génocide culturel ».
Brian Glyn Williams, un professeur d'histoire islamique de l'Université du Massachusetts à Dartmouth, a également dit qu'il s'agissait d'un génocide. Il est l'auteur de l'ouvrage historique universitaire le plus complet sur l'histoire des Tatars de Crimée.
Cela m'amène aux arguments défendus par certains députés ministériels, dont le député de . Pendant la première heure, il a soutenu que le Canada devait laisser un organisme international prendre des décisions à sa place. Il a dit que les députés ne devraient pas exercer leur jugement lorsque nous parlons d'événements du passé.
Ce n'est pas la position qu'a l'habitude de défendre le Canada. En 2008, tous les députés ont déclaré unanimement que l'Holodomor en Ukraine avait été un génocide. En fait, le député de a même parlé de l'Holodomor dans ses arguments contre la tentative de faire reconnaître l'injustice subie par les Tatars de Crimée. Si nous avions appliqué cette nouvelle logique à ce moment-là, nous n'aurions pas reconnu que l'Holodomor était un génocide. Il y a beaucoup de preuves historiques, d'avis d'experts et de témoignages de survivants qui justifient que nous reconnaissions qu'il s'agit bel et bien d'un génocide. Or, aucun tribunal ou organisme international ne s'est donné la peine de le faire. Le Canada a plutôt fait comme l'Ukraine et un nombre grandissant de pays qui ont choisi d'user de leur jugement pour tirer leurs propres conclusions à partir des preuves disponibles.
C'est ce que je demande à la Chambre de faire pour les Tatars de Crimée. La demande que nous nous en remettions aux enquêtes internationales inexistantes est un écran de fumée juridique. Les députés ne doivent pas sacrifier leur propre jugement au profit de cette position contraire à l'histoire et aux valeurs canadiennes. Les nombreuses lettres d'appui que j'ai reçues montrent que les Canadiens veulent que nous défendions les intérêts de la Crimée et de l'Ukraine.
J'aimerais remercier le Congrès des Ukrainiens-Canadiens, la Ligue des femmes ukrainiennes du Canada et la Ukrainian Youth Association. Depuis notre dernière rencontre, ces organismes ont ajouté leur voix aux nombreux groupes et particuliers qui appuient le projet de loi.
Les Canadiens chérissent les liens d'amitié étroits entre le Canada et l'Ukraine. Ils comprennent que le sort des Tatars de Crimée est étroitement lié à celui de l'ensemble de l'Ukraine, et ils savent que le Canada a un rôle essentiel à jouer à l'appui des Ukrainiens et des Tatars de Crimée alors qu'ils luttent pour la liberté et la souveraineté de leur pays.
Dans cet esprit, j'invite mes collègues à appuyer mon projet de loi à l'étape de la deuxième lecture.