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Monsieur le Président, c’est avec grand plaisir que je prends la parole aujourd’hui au nom de la sur le projet de loi , Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois.
Ce projet de loi représente une étape clé de l’engagement du gouvernement à moderniser le système de justice pénale, à réduire les délais et à assurer la sécurité de tous les Canadiens. Les retards dans le système de justice pénale nuisent à la sécurité publique, minent la confiance du public dans l’administration de la justice, portent atteinte aux droits des accusés et n’offrent pas aux Canadiens une bonne optimisation des ressources.
Lorsque des poursuites sont suspendues à cause de retards, c'est le système de justice lui-même qui échoue. Les auteurs ne sont pas tenus responsables de leurs actes, les innocents n’ont pas la possibilité de blanchir véritablement leur nom et les victimes souffrent.
Le recours aux délais dans le système de justice pénale n’est pas nouveau. Au début des années 1990, des dizaines de milliers d’affaires ont été suspendues en raison de retards par suite de la décision historique de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Askov.
Comme nous le savons, les arrêts Jordan et Cody subséquents de la Cour suprême ont établi un nouveau cadre juridique pour évaluer les retards. Ce cadre prévoyait une période de transition pour l’évaluation des causes dans lesquelles des accusations avaient été portées avant la publication des décisions.
Étant donné que cette période prendra fin l’été prochain, nous n’avons pas de temps à perdre. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour augmenter l’efficacité de notre système de justice pénale.
Heureusement, nous disposons de nombreux rapports et études utiles, dont l’étude approfondie du Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles de juillet 2017, intitulé « Justice différée, justice refusée ». Après avoir entendu 138 témoins, le Comité a conclu que les causes des retards étaient nombreuses et variées. Il a lancé un appel aux acteurs du milieu juridique, y compris aux juges et aux ministres de la Justice et procureurs généraux fédéral, provinciaux et territoriaux, afin qu’ils prennent « des mesures décisives et immédiates pour s’attaquer aux causes des délais et moderniser notre système de justice ». Il a aussi invité la à faire preuve de leadership « pour entreprendre les réformes nécessaires ».
Je sais que la ministre se sent extrêmement privilégiée qu’on lui ait confié la responsabilité de régler ce problème urgent, qui était aussi un élément de la lettre de mandat que le lui a remise. La ministre de la Justice a pris plusieurs mesures importantes pour améliorer le système de justice pénale. En tout, elle a déjà fait 240 nominations à la magistrature et promotions aux cours supérieures à l'échelle du pays. En 2017 seulement, la ministre a fait 100 nominations, soit plus que tout autre ministre de la Justice au cours des 20 dernières années. Cette année, elle est en bonne voie d’égaler ou de dépasser ce nombre.
Parallèlement, les deux derniers budgets présentés par le gouvernement ont engagé des fonds pour un nombre sans précédent de nouveaux postes de juges qui sont nécessaires pour permettre aux tribunaux de traiter les charges de travail croissantes, y compris en matière criminelle. En tout, le gouvernement a créé 75 postes de juge au cours des deux dernières années.
De fait, plus tôt cette année, les juges en chef de l’Alberta et du Québec ont souligné que pour la première fois depuis longtemps, ils commençaient à observer des tendances positives à l’égard des retards. C’est un signe très encourageant. Les efforts considérables déployés par les juges, les tribunaux, les gouvernements et d’autres intervenants du système judiciaire portent leurs fruits.
J’utiliserai le reste du temps dont je dispose aujourd’hui pour parler de la réponse législative du gouvernement aux retards du système de justice pénale.
[Français]
Je tiens à remercier les membres du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de leur examen approfondi de ce projet de loi.
Le Comité a entendu 95 témoins et s'est penché sur une quantité considérable de documents qui traitent d'un sujet extrêmement complexe, notamment 58 mémoires présentés par divers intervenants, dont des représentants de la police, de la Couronne, de la défense, des groupes d'aide juridique, des défenseurs des droits des victimes, des représentants de groupes autochtones et des académiciens.
La discussion sur l'admission de preuves de routine recueillies par la police dans le cadre de déclarations sous serment était particulièrement importante et notre gouvernement était à l'écoute.
Bien qu'elle ait eu une intention louable, nous admettons que notre approche, telle que proposée, aurait pu avoir des conséquences indésirables, en particulier pour les accusés non représentés.
Le Comité a dûment tenu compte de cette préoccupation, et nous avons accepté son amendement à ce sujet.
[Traduction]
Les réformes contenues dans ce projet de loi ont également été généralement bien accueillies par toutes les parties concernées. Certaines préoccupations ont été exprimées au sujet de la disposition qui prévoit l’inversion du fardeau de la preuve proposé dans le contexte de la violence entre partenaires intimes en raison de problèmes opérationnels que certains ont éprouvés avec ce qu’on appelle la mise en accusation double, c’est-à-dire lorsque tant l'auteur que la victime sont accusés après qu’une victime a dû utiliser la force physique pour se défendre.
Soutenir les survivants de la violence conjugale et veiller à ce qu’un plus grand nombre d’agresseurs soient traduits en justice faisait partie de notre plateforme de 2015, et les dispositions sur l’inversion du fardeau de la preuve, qui visent exactement ces objectifs, ont été maintenues dans le projet de loi après l’étude en comité.
Nous savons que le problème n’est pas la loi elle-même, mais la façon dont elle a été appliquée, ce que la Cour suprême du Canada a confirmé plus récemment dans l’arrêt Antic. Il est important de souligner que les provinces et les territoires ont élaboré des politiques et de la formation dans ce domaine. Nous disposons d’un cadre juridique solide, mais un nombre disproportionné d’accusés autochtones, vulnérables et marginalisés se voient refuser leur libération sous caution. Ceux qui sont libérés sont tenus de respecter un trop grand nombre de conditions onéreuses et, dans un certain nombre d'administrations, on a largement recours aux cautionnements.
Le nouveau processus proposé dans le projet de loi parle d’audiences sur les renvois judiciaires. Il fournira une porte de sortie pour les infractions relatives à l’administration de la justice qui ne causent pas vraiment de tort à une victime. Cette proposition a été appuyée avec enthousiasme tant par les résidents de ma circonscription, Parkdale—High Park, que par des Canadiens d’un bout à l’autre du pays qui sont préoccupés par la surreprésentation disproportionnée des Autochtones et des personnes racialisées dans notre système de justice pénale.
Ce que nous avons présenté est un brillant exemple de ce que la Cour suprême du Canada réclamait, tout comme le comité sénatorial quand il recommandait dans son rapport « de faire évoluer la mentalité des intervenants du système de justice pénale: ils devront délaisser la culture de complaisance qui y règne au profit d’une autre, axée sur l’efficacité, la collaboration et l’équité ».
Mes collègues se rappelleront aussi que le projet de loi comporte deux propositions relatives aux enquêtes préliminaires. Premièrement, le projet de loi propose de limiter les enquêtes préliminaires pour les accusés adultes aux infractions passibles d’emprisonnement à perpétuité, par exemple le meurtre ou l’enlèvement. Deuxièmement, il permettra au juge qui préside l’enquête préliminaire de limiter les questions à examiner et le nombre de témoins à entendre à l’enquête préliminaire.
L’approche retenue dans le projet de loi en ce qui concerne les enquêtes préliminaires prend en compte l’examen approfondi de différentes options et les consultations sur celles-ci au fil des ans, ainsi que les meilleures données probantes disponibles. Il propose au bout du compte une approche équilibrée entre les différents intérêts en jeu. Il propose aussi une approche qui a été approuvée et appuyée par les ministres provinciaux et territoriaux de la Justice au cours de vastes consultations menées par la ministre auprès de ses homologues provinciaux et territoriaux.
Le reclassement des infractions est l’un des sujets sur lesquels le comité s’est particulièrement penché. Il entraînera des modifications à de nombreuses dispositions du Code, à la fois dans le but d’ériger en infractions mixtes des actes criminels actuellement passibles d’une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans ou moins et de créer une peine maximale uniforme de deux ans moins un jour en cas de déclaration sommaire de culpabilité.
Les homologues provinciaux et territoriaux de la ministre ont souscrit aux modifications visant le reclassement. Ils étaient fermement convaincus que ces modifications donneraient aux poursuivants la souplesse dont ils avaient grandement besoin pour tenir compte de la gravité des causes qu’ils ont à traiter.
Les modifications visant le reclassement sont d’ordre procédural. Elles modifient la façon dont on peut traiter une conduite qui ne justifie pas une peine applicable à un acte criminel. Il est déjà bien connu dans notre système de justice pénale que les procureurs évaluent les faits de l’affaire et la situation du délinquant afin de déterminer le type de peine à demander au tribunal.
Il est important de souligner que rien dans le projet de loi ne propose d’alléger les peines qui seraient imposées en vertu de la loi. Ces réformes ne modifieraient pas les principes fondamentaux de la détermination de la peine. Nous valorisons la diversité des perspectives et des connaissances que les nombreux témoins ont apportées à l’étude du Comité permanent de la justice.
Le reclassement des actes criminels passibles d’une peine d’emprisonnement maximal de 10 ans ou moins qui est proposée dans le projet de loi ne traite pas ces infractions moins sérieusement aux fins de la détermination de la peine.
Néanmoins, le point est important. Le comité de la justice a entendu des témoignages convaincants sur les infractions de terrorisme et d'encouragement au génocide. Le gouvernement reconnaît qu’il s’agit de crimes contre l’État, contre la société dans son ensemble, dans le but de promouvoir un objectif politique quand il s’agit de terrorisme. Dans le cas de l'encouragement au génocide, ce sont non seulement des crimes contre la société dans son ensemble, mais des crimes contre l’humanité.
Je le dis avec une certaine expérience dans ce domaine, en tant qu’ancien procureur du tribunal des Nations unies pour les crimes de guerre au Rwanda. Je sais qu’on ne connaît pas en droit de crime plus répréhensible que le génocide, qui préconise la destruction, en tout ou en partie, d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux.
Le comité permanent a recommandé à l’unanimité que ces infractions soient exclues de l’approche de reclassement du projet de loi . Nous remercions le comité de son travail diligent à cet égard et nous souscrivons entièrement à cet amendement.
À cet égard, le gouvernement a proposé des amendements corrélatifs afin de corriger une erreur dans l’un des amendements du comité afin de donner suite à l’objectif du comité de retirer ces infractions de la liste des infractions qui étaient reclassées.
Nous avons également accueilli favorablement les modifications que le comité a proposé d’apporter à l’article 802.1 du Code criminel afin de permettre aux provinces et aux territoires d’établir des critères permettant à un représentant, c’est-à-dire un non-juriste, comme un étudiant en droit, un stagiaire ou un technicien juridique, de comparaître pour des infractions passibles de plus de six mois d’emprisonnement et pour permettre à un représentant de comparaître pour toute infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire aux fins d'un ajournement.
L’une des conséquences imprévues de la proposition de reclassement des infractions dans le Code criminel est que les représentants n’auraient pas pu comparaître pour la plupart des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire sans l’autorisation des provinces et des territoires. Le comité de la justice a modifié utilement l’article 802.1 du Code criminel pour permettre aux provinces et aux territoires d’établir des critères pour la représentation des représentants à l’égard d’infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire assorties d’une peine maximale de plus de six mois d’emprisonnement, en plus du pouvoir actuel de créer des programmes à cette fin et d’autoriser la comparution d’un représentant pour toute infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire aux fins d'un ajournement.
Cet amendement répondrait aux préoccupations concernant les problèmes d’accès à la justice. Il maintiendrait la souplesse des administrations tout en reconnaissant la diversité régionale dans la façon dont la représentation juridique est réglementée dans l’ensemble du Canada.
Sur ce point, je tiens à souligner que l’accès à la justice guide non seulement l’élément fondamental du projet de loi, mais aussi tous les efforts déployés par la ministre de la Justice et son ministère. La ministre a porté cette question à l’attention de ses homologues provinciaux et territoriaux afin qu’ils prennent rapidement les mesures législatives nécessaires pour établir les critères voulus sur cet enjeu important lié à l’accès à la justice.
[Français]
Je voudrais également parler des réformes proposées par le projet de loi concernant les jurés. Ces changements apporteront des améliorations importantes à notre processus de sélection des jurys, notamment en abolissant les récusations péremptoires pour les avocats de la Couronne et les avocats de la défense, en permettant à un juge d'écarter un juré afin de maintenir la confiance du public envers l'administration de la justice, en modernisant les récusations motivées, en habilitant le juge à décider de toute récusation motivée et en permettant à un procès de se dérouler avec le consentement des parties si le nombre de jurés est inférieur à 10, afin d'éviter les procès nuls.
La sous-représentation au sein des jurys, en particulier des peuples autochtones et des minorités visibles, est une préoccupation majeure. Ce problème est bien documenté depuis des années. Nous pensons qu'abolir les récusations péremptoires aura un effet significatif sur l'amélioration de la diversité au sein des jurys.
Les récusations péremptoires, qui donnent à l'accusé et à la Couronne le pouvoir d'exclure des jurés sans fournir de motif, n'ont pas leur place dans nos salles d'audience, étant donné le potentiel d'abus. Ce projet de loi verra le Canada se joindre à des pays comme l'Angleterre, l'Écosse et l'Irlande du Nord, qui les ont déjà abolies depuis 1988.
Il est important de garder à l'esprit que les lois et les processus provinciaux et territoriaux jouent un rôle important dans la détermination des candidats et des candidates aux fonctions de juré et des moyens utilisés pour établir une liste de jurés.
En tant que gouvernement fédéral, nous ne sommes qu'une pièce du casse-tête. Cependant, je suis ravi de constater que les représentants des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux collaborent sur un éventail de questions liées aux jurés afin de formuler d'autres recommandations sur la manière d'améliorer le système de jurés au Canada. Je suis convaincu que les questions soulevées lors de l'étude du projet de loi par le comité éclaireront ces réflexions.
J'ai également été heureux de voir que le comité était généralement favorable aux propositions plus techniques visant à réduire les délais et à améliorer l'efficacité du système, notamment en ce qui a trait à la suppression de l'exigence d'approbation pour les mandats hors province, à la clarification du pouvoir de signature des greffiers du tribunal et à la facilitation des comparutions à distance.
[Traduction]
Je tiens aussi à souligner l’appui unanime du comité concernant l’abrogation de l’article 159 du Code criminel, une proposition qui a été bien accueillie par la communauté LGBTQ, ainsi que l'amendement proposé en vue d’abroger les infractions de vagabondage et de maison de débauche qui avaient été invoquées dans le passé de façon abusive pour cibler des activités sexuelles consensuelles d’adultes. Ces amendements s'inscrivent dans l’important travail du gouvernement visant à lutter contre la discrimination à l’endroit des Canadiens LGBTQ2.
Fait important, le comité a aussi souscrit à la proposition contenus dans le projet de loi visant à abroger les infractions relatives à l’avortement que la Cour suprême du Canada avait déclarées inconstitutionnelles dans l’arrêt Morgentaler en 1988. Le gouvernement protégera toujours les droits reproductifs des femmes et leur droit de choisir quoi faire de leur propre corps.
Comme je l’ai déjà dit, le projet de loi propose des réformes exhaustives qui aideront à faire en sorte que le droit de l’accusé à être jugé dans un délai raisonnable soit respecté et que tous les intervenants du système de justice, y compris les victimes et les témoins, ne subissent aucun retard.
Par ailleurs, nous sommes profondément conscients de la nécessité d’une réforme de la détermination de la peine, y compris des peines minimales obligatoires, et nous avons entendu cet appel. La ministre demeure déterminée à promouvoir le changement.
Les tribunaux ont dit sans équivoque que de nombreuses peines minimales obligatoires posent de graves problèmes d'un point de vue constitutionnel. La ministre a clairement dit qu’à son avis, les juges devraient avoir le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour imposer des peines appropriées au contrevenant qui comparait devant eux.
Cela dit, nous devons mettre en place une réforme de la détermination de la peine qui résiste à l’épreuve du temps. Les peines minimales obligatoires font l’objet de nombreux litiges. Il y a des cas où la Cour suprême a maintenu la peine minimale obligatoire et d’autres où elle ne l’a pas fait.
Nous voulons être sûrs d’avoir pris toutes les mesures nécessaires et d’avoir fait preuve de diligence raisonnable tout en poursuivant la réforme de la détermination de la peine afin que les changements que nous y apporterons résistent à l’épreuve du temps.
Les réformes audacieuses proposées dans ce projet de loi ont fait l’objet de discussions approfondies, de consultations et de collaboration avec les collègues provinciaux et territoriaux de la ministre. Nous allons accorder la priorité aux réformes législatives qui, selon nous, auraient le plus d’effet cumulatif sur la réduction des retards dans le système de justice pénale. Notre intention à cet effet demeure ferme.
Cette discussion et ces consultations ont fait l’objet d’un débat approfondi à la Chambre même. On y a débattu de ce projet de loi pendant 14 heures et 45 minutes. En 27 heures, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a entendu 95 témoins avec prolongation des séances. En tout, 28 députés des partis de l’opposition se sont prononcés sur ce projet de loi.
De plus, nous avons écouté les recommandations du comité permanent et les principaux intervenants qui tiennent à résoudre les problèmes des retards dans le système de justice pénale. Le projet de loi tel que modifié est le résultat de cet engagement et annonce le début du changement de culture que la Cour suprême réclamait dans ses arrêts Jordan et Cody. J’exhorte donc tous les députés à appuyer cet important projet de loi.
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Madame la Présidente, je prends de nouveau la parole au sujet du projet de loi . L’un des principaux problèmes du projet de loi C-75, c’est que, même s’il a pour objet de réduire les délais dans les tribunaux canadiens, il y réussit très peu. Pour un projet de loi qui vise à réduire les délais, le fait qu’il n’y parvienne pas pose un problème de taille.
Le secrétaire parlementaire de la ministre de la Justice et d’autres députés libéraux qui ont parlé du projet de loi à la Chambre se sont félicités, comme ils l’ont dit, du bon travail du Comité de la justice, qui a entendu 95 témoins, comme vient de le souligner le secrétaire parlementaire, et du fait que les députés libéraux ont écouté les principaux intervenants et ont donné suite à leurs préoccupations.
Depuis trois ans que je suis député, je n’ai jamais eu connaissance d’autant de critiques qu'à l'égard du projet de loi , et sur presque tous les aspects de cet énorme texte de 300 pages. Malgré les beaux discours des députés d’en face sur la nécessité d’écouter les principaux intervenants, la réalité, c’est que, d’un enjeu à l’autre, les libéraux n’ont pas écouté. Ils n’ont pas tenu compte des préoccupations soulevées par les principaux intervenants devant le comité. Ils ont fait adopter le projet de loi à toute vapeur au comité et, mis à part quelques changements mineurs, nous nous retrouvons avec un projet de loi très largement imparfait, qui pose problème à bien des égards.
À ce sujet, permettez-moi d’abord de souligner la question du reclassement de certaines infractions en infractions mixtes. Indépendamment de l’édulcoration d'infractions graves punissables par mise en accusation, qui constitue assurément une grave préoccupation, du point de vue de la réduction des délais, le reclassement en infractions mixtes entraînera le transfert d'encore plus de cas aux tribunaux provinciaux. Quelque 99,6 % des affaires criminelles sont déjà entendues par des tribunaux provinciaux, et si un député remet en question mon affirmation selon laquelle cela entraînera un délestage des causes, il n’est pas obligé de me croire sur parole. Qu’il se fie plutôt à l’Association du Barreau canadien. Dans le mémoire qu’elle a présenté au Comité de la justice, l’Association du Barreau canadien dit que le reclassement en infractions mixtes signifiera probablement que les tribunaux provinciaux devront entendre davantage d’affaires, et que cela pourrait entraîner d’autres retards dans ces tribunaux. Sans blague? Malgré ce qu’a dit l’Association du Barreau canadien, le gouvernement rétorque qu’il n’y a aucun problème, et qu’il transférera simplement plus de dossiers aux tribunaux provinciaux.
Ensuite, des préoccupations en matière de sécurité publique ont été soulevées au sujet du reclassement en infractions mixtes. L’une de ces préoccupations a été soulevée par John Muise, un ex- membre de la Commission des libérations conditionnelles. Il signale que parmi les infractions reclassées se trouve le défaut de se conformer à une ordonnance de surveillance de longue durée. Or, les ordonnances de surveillance de longue durée s’appliquent aux prédateurs sexuels les plus dangereux de notre société. Nous parlons ici de personnes tellement dangereuses qu’après avoir purgé leur peine, elles sont assujetties à une ordonnance de surveillance de longue durée pouvant aller jusqu’à 10 ans, assortie de conditions nombreuses et très sévères.
Selon John Muise, c'est un grave problème de changer les règles concernant les violations de ces ordonnances, qui sont imposées aux individus les plus dangereux. Une violation d'une ordonnance de surveillance de longue durée devrait nécessairement être punissable par mise en accusation, surtout parce qu'elle signifie qu'un délinquant très dangereux est en train de retomber dans le cycle de la violence et de l'exploitation de personnes vulnérables. Ces individus ne sont pas simplement des personnes marginalisées, comme l'a laissé entendre le secrétaire parlementaire en qualifiant les violations d'ordonnance d'infractions mineures contre l'administration de la justice. Lorsque ces violations impliquent des délinquants ayant commis des crimes graves, elles doivent être traitées sérieusement. Or, au lieu de suivre le conseil de John Muise, le gouvernement a décidé de balayer le problème du revers de la main et de n'en faire qu'à sa tête. Il a relégué aux oubliettes le point de vue d'un membre de la Commission des libérations conditionnelles du Canada.
M. Chow, chef adjoint constable du Service de police de Vancouver a comparu devant notre comité, lui aussi. Il voit un autre problème dans le reclassement de certaines infractions très graves punissables par mise en accusation. C'est un problème lié au prélèvement des empreintes génétiques pour les conserver dans la Banque nationale de données génétiques. Actuellement, lorsqu'une personne est déclarée coupable de l'une de ces infractions, qui sont punissables par mise en accusation, le procureur de la Couronne peut demander à un juge que les empreintes génétiques soient prélevées et conservées dans la Banque nationale de données génétiques. Cependant, le projet de loi prévoit que, dans les cas où il y aurait déclaration de culpabilité par procédure sommaire, l'infraction n'entrerait dans la catégorie de celles qui sont punissables par mise en accusation, ce qui fait que le procureur ne pourrait pas faire une telle demande.
Le chef adjoint constable Chow nous fait remarquer que ce changement aurait une incidence sur les enquêtes de police. En effet, au cours des dernières années, les empreintes génétiques recueillies à la suite de l'une des 85 infractions que le projet de loi prévoit reclasser ont permis de résoudre 19 homicides et 24 agressions sexuelles. Malheureusement, le gouvernement a décidé d'ignorer l'avis de M. Chow et de M. Muise et de n'en faire qu'à sa tête.
Il y a ensuite la question des enquêtes préliminaires. Le gouvernement veut permettre la tenue d’une enquête préliminaire seulement dans le cas d'infractions passibles de l’emprisonnement à perpétuité. Dans tous les autres cas, on ne pourrait éliminer l'enquête préliminaire. Le gouvernement soutient que cela permettra d'accélérer le processus judiciaire. Nombre de témoins s'inscrivent en faux contre cette affirmation. Dans le mémoire qu'elle a soumis au comité, l'Association du Barreau canadien dit ceci au sujet de la proposition de limiter la tenue d'une enquête préliminaire:
[Cela] ne réduirait pas les délais judiciaires et affecterait le système de justice pénale dans son ensemble [...] Est, au mieux, hypothétique tout lien entre les délais judiciaires et l’enquête préliminaire.
Si les députés ne sont pas prêts à croire l'Association du Barreau canadien, ils seront peut-être disposés à croire le Barreau du Québec, qui a affirmé ceci:
Le Barreau du Québec s’oppose à cette modification. En limitant le recours à l’enquête préliminaire, certains affirment que l’on puisse accélérer les procédures judiciaires et ainsi réduire les délais. [...] [Nous croyons] que cette limitation de l’enquête préliminaire sera inefficace, voire contre-productive.
Par ailleurs, lorsqu'il a témoigné devant le comité, Philip Star, un avocat criminaliste de la Nouvelle-Écosse, a dit ceci au sujet des enquêtes préliminaires:
Elles sont extrêmement utiles, non seulement pour l’accusé, mais aussi pour la Couronne et, ultimement, pour notre système, puisqu’elles permettent de réduire les délais [...]
Tant pis pour l'affirmation du gouvernement selon laquelle le fait de limiter la tenue d'enquêtes préliminaires permettra de réduire les délais.
Plus encore, lorsqu'elle a comparu devant le comité, Laurelly Dale, une autre avocate de la défense, a dit ceci:
Deux grandes études ont conclu que les enquêtes préliminaires ne contribuent pas de façon importante aux problèmes des retards devant les tribunaux. Les audiences préliminaires facilitent le règlement de procès possiblement longs et coûteux devant les cours supérieures. On les utilise souvent pour remplacer des procès et non en plus des procès. Ces enquêtes permettent d'accélérer le processus d'administration de la justice. Il est beaucoup plus facile et rapide de consacrer de deux à quatre jours à une enquête préliminaire plutôt que une ou deux semaines à un procès devant une cour supérieure.
Ensuite, Michael Spratt a dit ceci:
[...] il y a un problème de retards dans nos tribunaux, mais les enquêtes préliminaires n'en sont pas la cause.
Je le répète, tous les témoins ont dit au gouvernement que le projet de loi ne produirait pas les résultats escomptés. Il n'aidera pas à réduire les délais. Le gouvernement fait-il la sourde oreille? Les députés libéraux du comité de la justice ont-ils écouté? J'ai l'impression que non.
Sarah Leamon a également comparu devant le comité pour parler des enquêtes préliminaires, et elle a dit ceci:
[...] 87 % des affaires se résolvent après le processus d'enquête préliminaire. Dans la grande majorité des cas...
— lorsqu'il s'agit d'une victime d'agression sexuelle —
[...] cela évite au plaignant de témoigner et d'être traumatisé de nouveau.
Les députés libéraux ont beau dire qu'ils ont écouté, mais les témoignages qui ont été entendus par le comité et la réaction du gouvernement devant ceux-ci montrent exactement le contraire.
En supposant que le gouvernement ait raison, malgré tous les témoignages devant le comité selon lesquels limiter les enquêtes préliminaires aura pour effet de provoquer encore plus de retards, il est important de souligner que les enquêtes préliminaires ne représentent que 3 % du temps consacré aux procédures devant les tribunaux à l'échelle du Canada. Donc, en ce qui a trait aux avantages de cette mesure, il faut se rappeler qu'elle ne s'attaque qu'à une infime partie du très grand problème d'engorgement des tribunaux canadiens et d'accumulation des dossiers en attente.
Penchons-nous sur la question des comparutions et les témoignages recueillis par le comité sur les comparutions. De sérieuses réserves ont été exprimées, notamment par John Muise, un ancien membre de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, ainsi que par M. Chow, du service de police de Vancouver, à propos du fait que les individus qui commettent une infraction contre l'administration de la justice et sont cités à comparaître ne verront pas cette infraction ni aucune autre infraction contre l'administration de la justice consigner sur le site du Centre d'information de la police canadienne, ou CIPC.
Actuellement, toute infraction contre l'administration de la justice est consignée dans le CIPC. Ce ne sera pas le cas si l'on s'en tient au processus de comparution proposé par le gouvernement. Comme je l'ai dit quand j'ai posé une question au , si le dossier du CIPC n'est pas présenté dans son entier à un juge ou à un juge de paix, les conséquences peuvent s'avérer dévastatrices. Ma collectivité s'en est rendu compte lors de l'assassinat de l'agent David Wynn, qui a été abattu par un individu au casier judiciaire chargé, en raison notamment de multiples infractions contre l'administration de la justice.
Le gouvernement dit maintenant que le tribunal n'aurait même pas accès à la totalité du casier judiciaire du délinquant, si le dossier du CIPC dudit délinquant devait être présenté, parce que, tout bien considéré, ces infractions ne seraient pas consignées dans le CIPC. Quand j'ai demandé au si le gouvernement avait l'intention de régler ce grave problème de sécurité publique — qui a été soulevé plus d'une fois au comité —, je n'ai malheureusement pas reçu de réponse.
Je devrais mentionner encore que, en ce qui concerne les comparutions pour manquement, même si elles vont se contribuer à miner la sécurité publique du fait que les infractions correspondantes ne seront pas entrées dans le système du CIPC, l'effet des infractions contre l'administration de la justice sur les engorgements du système est à vrai dire assez faible et ce, parce que ces infractions sont habituellement traitées en même temps que l'infraction sous-jacente ou principale. Par conséquent, pour ce qui est du temps d'audience et des ressources des tribunaux utilisées pour les infractions contre l'administration de la justice, dans les faits, c'est assez minime.
Là encore, les députés n'ont pas à me croire sur parole. Ils devraient croire Rick Woodburn, président de l'Association canadienne des juristes de l'État. Voici ce qu'il a dit au comité de la justice:
Je peux vous dire d'expérience que ces cas n'engorgent pas le système et ne causent pas de retards. Le non-respect d'une ordonnance judiciaire est très facile à prouver, même lorsque cela conduit à un procès, ce qui est très rare. N'oubliez jamais que ces infractions n'engorgent pas le système.
Les libéraux y ont-il songé? Apparemment non, car ils sont simplement allés de l'avant avec le processus de comparution pour manquement sans plan, sans réfléchir aux graves problèmes de sécurité publique mentionnés devant le comité de la justice.
Ensuite, il y a la question des récusations péremptoires. Les récusations péremptoires n’ont rien à voir avec les délais, mais ce projet de loi prévoit leur élimination. Le gouvernement a fondé cette décision sur la possibilité d'améliorer la représentativité des jurys. Or, les témoins ont l'un après l’autre affirmé le contraire. Cependant, au lieu d’écouter ces témoins, le gouvernement est simplement allé de l’avant.
Tout compte fait, la situation est très claire. Quatre-vingt-quinze témoins ont comparu devant le comité et, quel que soit l'enjeu, les libéraux ont ignoré les points de vue présentés. Les libéraux n'ont pas tenu compte des témoins et, par conséquent, nous nous retrouvons avec un projet de loi bancal qui ne règle pas le problème, c’est-à-dire réduire l’engorgement des tribunaux canadiens et l’accumulation de dossiers en attente.
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Madame la Présidente, je me serais attendu à ce que les conservateurs manifestent un peu plus d’enthousiasme à l’égard des modifications assez substantielles proposées dans le projet de loi et qui visent le bien de notre pays.
Avant les dernières élections, nous, les libéraux, avons pris des engagements, et nous concrétisons maintenant certains de ces engagements au moyen de ce projet de loi. C’est déjà une bonne chose.
J’aimerais revenir sur la question de la justice en général. Si nous demandions aux Canadiens et à divers intervenants quelles sont leurs attentes à l’égard du système judiciaire, je pense qu’ils mentionneraient trois attentes principales.
La première, ce serait d’assurer la sécurité de nos collectivités, ce qui est également très important pour le gouvernement libéral et, j’ose croire, pour l’ensemble des députés. Ce projet de loi nous permettra de réaliser des progrès considérables sur le plan de la sécurité de nos collectivités.
La deuxième attente serait de protéger les victimes. On aimerait croire que le système de justice a tout intérêt à protéger les victimes. Quand je dis « protéger les victimes », je veux dire que nous devrions faire tout notre possible pour empêcher qu’il y ait des victimes en premier lieu. Je vais y revenir brièvement.
La troisième attente, ou priorité, c’est d’obliger les contrevenants à répondre de leurs actes.
Ces trois priorités recevraient l’assentiment de tous les Canadiens. Le projet de loi va encore plus loin sur ces trois principes.
Il y a une différence entre l’approche des conservateurs en matière de justice et celle du gouvernement actuel. En d’autres mots, il existe une différence entre l’approche de Stephen Harper en matière de justice et celle adoptée par le gouvernement libéral sur les enjeux de justice, que ce soit dans ce projet de loi ou dans des mesures législatives précédentes.
Nous devons reconnaître que la plupart des détenus sortiront un jour de prison. Ils retourneront dans nos collectivités. Nous avons donc la responsabilité de nous assurer que notre système favorise leur intégration. Si nous y parvenons, nous empêcherons qu’il y ait de nouvelles victimes à l’avenir. De ce côté-ci de la Chambre, nous y croyons.
À écouter les discours des députés d’en face, que ce soit sur ce projet de loi ou sur d’autres mesures législatives, on a l’impression que dès qu’une personne entre dans le système carcéral, elle ne réintégrera jamais la société. Il y a de fortes chances que bon nombre de ces personnes ne la réintègrent pas.
Nous devons toutefois nous doter d’un système qui fonctionne pour l’ensemble des Canadiens et qui pourra assurer la sécurité de nos collectivités, protéger les victimes et faire en sorte que les délinquants soient tenus responsables de leurs actes.
Les conservateurs ont tort de donner l’impression que le gouvernement cherche à minimiser les conséquences de crimes graves.
En vertu de ce projet de loi, les députés de l’opposition disent que nous érigerions trop d’actes criminels en infractions mixtes. Par conséquent, ils essaient de donner la fausse impression que ces contrevenants seraient exposés à des conséquences moins graves lorsqu’il s’agit du poids de la loi et de l’incarcération, des amendes ou autres.
Il est important de reconnaître que nous avons des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et des actes criminels. Toutefois, dans ce projet de loi, il y aurait une troisième composante, les infractions mixtes. Nous disons qu’il s’agit d’une liste de crimes pour lesquels la Couronne aurait un certain pouvoir discrétionnaire afin d’aider à déterminer si une infraction constituerait un acte criminel.
À l'étape de la deuxième lecture, j’ai eu l’occasion d’écouter une partie du débat. Je me souviens d’une intervention qui mérite d’être répétée, car je crois que la plupart des gens qui suivent le débat pourraient comprendre les différences. C’est ce que nous entendons par pouvoir discrétionnaire. À l'étape de la deuxième lecture, donc, je me souviens d’un député conservateur, et le hansard le confirmera, qui disait « un enlèvement est un enlèvement » et que c’est un crime grave, point à la ligne. C’est un acte criminel, et il faut donc enfermer la personne et la mettre à l’ombre pendant de nombreuses années.
Il ne fait aucun doute que l’enlèvement est un crime très grave. Les Canadiens l'admettent. Le gouvernement reconnaît qu’il s’agit d’un crime grave. Les conservateurs demandent pourquoi nous érigerions en infraction mixte ce crime en particulier. Je vais donner aux députés un exemple concret. Je crois que les électeurs que je représente comprendraient pourquoi il est important qu’on en fasse une infraction mixte.
Quand on pense à un enlèvement, la première chose qui nous vient à l’esprit, c’est une personne qui se trouve dans la cour de récréation d’une école et qui identifie une victime potentielle, la jette dans une fourgonnette, disparaît et commet toutes sortes de gestes horribles, ou qui enlève peut-être une personne pour le commerce du sexe. Il y a toutes sortes d’histoires d’horreur sur les enlèvements. Pour ma part, je veux que ces personnes soient enfermées, mais il y a un « mais ».
Par exemple, des divorces surviennent tous les jours, et certains de ces divorces sont très émotifs et concernent de jeunes enfants. Parfois, lors d’un divorce, il y a toutes sortes de problèmes avec lesquels un enfant devra souvent composer. Il peut arriver qu’un enfant passe une mauvaise semaine ou une mauvaise journée et qu’il décide de ne pas rentrer chez lui auprès du parent qui en a la garde à 100 %, et d’aller voir plutôt le parent qui n’a pas la garde. Le premier parent dit alors que l’enfant a disparu et a été enlevé. L’un des parents n’avait pas le droit d’avoir la garde de cet enfant à ce moment-là, mais l’enfant s’est rendu chez celui-ci, peut-être en larmes, ou peu importe la situation. Le fait est que l’enfant n’aurait pas dû se trouver chez ce parent et que, par conséquent, il y a maintenant une accusation d’enlèvement.
Je crois qu’il y a une grande différence entre cette dernière situation et la première situation que j’ai décrite. Si les députés croient que ce que je viens de dire est exact et se produit dans la vie, ils devraient reconnaître le besoin d’appuyer l’idée que certains crimes, certaines actions doivent être érigés en infractions mixtes.
J’ai grandement confiance en nos poursuivants et en la capacité de notre système judiciaire de prendre de bonnes décisions. Ce que nous disons, c’est que si un enlèvement comme celui du premier exemple finissait devant les tribunaux, la Couronne le verrait comme un acte criminel et la personne concernée suivrait tout un processus au bout duquel elle pourrait avoir des années d’incarcération, alors que l’autre situation pourrait être considérée comme un délit punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Nous avons vu plusieurs de ces infractions qui sont admissibles, et je soupçonne que l’on pourrait trouver des arguments pour chacune d’elle.
En ce qui concerne la loi, une des principales préoccupations soulevées par les conservateurs porte sur la question des infractions mixtes. On peut espérer qu’ils comprennent mieux maintenant. Ils ont soulevé la question à l'étape de la deuxième lecture, puis à celle du comité.
En fait, je suis très heureux que nous en soyons à l'étape de la troisième lecture aujourd’hui, ce fut un long processus pour y parvenir. La a démontré très clairement que c’était un projet de consultation, de travail avec divers intervenants du tout début jusqu’au comité permanent. J’aimerais développer un peu plus ce point.
Notre système judiciaire est un système de responsabilité partagée. Nous ne sommes pas le seul maître des questions judiciaires au Canada. Nous partageons la responsabilité avec les provinces. Cela signifie que la ministre, aidée du secrétaire parlementaire et d’autres, sans aucune doute, a consulté les provinces et les territoires et collaboré avec eux pour établir les priorités de changement. Ces changements, ces priorités, sont assez bien reflétés dans cette mesure législative. La ministre en a fait même plus, consultant les Autochtones et d’autres intervenants pour formuler le projet de loi , de sorte qu’il soit prêt à être présenté en première lecture, pour ensuite passer à l'étape de la deuxième lecture puis du comité.
C’est là que je suis intervenu. Par mon intervention, je voulais commenter le fait qu'au comité, des membres de l'opposition ont proposé un certain nombre de changements après avoir écouté les témoignages. Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a amendé le projet de loi pour, par exemple, retirer les dispositions concernant la preuve policière de routine, dont l’intention était fort louable, mais qui a eu des conséquences inattendues et indésirables, surtout pour les accusés non représentés. Il a retiré les actes de terrorisme et l’encouragement au génocide de la liste des infractions reclassées. C’est à cet amendement que je pensais quand je parlais des infractions mixtes.
Les conservateurs ont présenté cette question sous la forme d’un amendement, et nous l’avons accepté, ce qui n’arrivait jamais quand Stephen Harper était premier ministre. Le Parti conservateur n’a jamais accepté une motion de l’opposition. Pas seulement…
M. Glen Motz: C’est parce que vous n’en aviez pas de bonnes. Elles étaient horribles.
M. Kevin Lamoureux: Madame la Présidente, nous avions un grand nombre d’amendements, qui n’aboutissaient jamais avec Stephen Harper. Avec notre gouvernement, il y a eu de très nombreux amendements, même proposés par l’opposition officielle. Il s'agit ici d'un autre exemple d'amendement qui a été accepté. Par conséquent, je crois que les conservateurs acceptent le principe de ce qui est suggéré quand nous parlons des infractions mixtes et de leur importance. C’est un aspect important du projet loi.
L’autre aspect est celui des enquêtes préliminaires. Il est intéressant d’entendre les conservateurs et les néo-démocrates dire la même chose au sujet des enquêtes préliminaires. Ce qui m’a frappé, c’est ce que le porte-parole du Parti conservateur a dit aujourd’hui. Il a affirmé que le projet de loi ne réduira pas vraiment les temps d’attente. Je n’y crois pas. Le député d’en face a déclaré qu’il pouvait citer X ou Y, qui sont plutôt sceptiques quant à la réduction des temps d’attente. Je n’y crois pas. Le député d’en face devra peut-être se montrer un peu plus convaincant.
Les enquêtes préliminaires accaparent beaucoup de temps des tribunaux. Je ne suis pas avocat, mais j’ai déjà été porte-parole en matière de justice au Manitoba, et je me souviens des nombreuses frustrations des procureurs de la Couronne provinciaux et autres qui avaient à composer avec les enquêtes préliminaires. Je me souviens d’une discussion que j’ai eue avec un juge à ce sujet. Notre projet de loi a été assez bien accueilli par un bon nombre de personnes qui ont reconnu qu’il réduirait les délais.
Les néo-démocrates et les conservateurs ont exprimé un grand scepticisme à l’égard de la réduction des temps d’attente. Les conservateurs ont été un peu plus affirmatifs, allant même jusqu’à dire qu’ils ne seraient pas réduits. Ils ont dit que comme le projet de loi ne s’appliquera qu’à 3 % des causes portées devant les tribunaux, il ne sert pas à grand-chose. Ces 3 % représentent pourtant des milliers d’heures, ce qui fera vraiment une bonne différence.
Des enquêtes préliminaires étaient peut-être nécessaires il y a des années, mais cela ne fait que souligner l’importance pour notre gouvernement de s’acquitter de son engagement, à savoir réformer et améliorer le système. Il est tout simplement faux de laisser entendre que la réduction du nombre d’enquêtes préliminaires ne réduira pas les délais judiciaires. J’estime que c’est une erreur d’affirmer cela, malgré mon expérience limitée, et j’insiste sur le mot « limitée ». Quand je regarde les chiffres, 3 % représente un nombre important d’affaires judiciaires, sans parler des milliers d’heures que cela totalise. Je crois que notre projet de loi fera une différence.
Les conservateurs devraient appuyer ce projet de loi parce qu’il s’agit du genre de mesure législative que les Canadiens veulent. Il assurera la sécurité de nos collectivités. Il fera en sorte qu’il y ait plus de justice pour les victimes. Il garantira...
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Madame la Présidente, lorsque je suis intervenu au sujet du projet de loi à l’étape de la deuxième lecture, j’ai mentionné que nous étions impatients de travailler avec le gouvernement pour y apporter des améliorations. Je suis déçu de constater qu’il n’y a pas eu suffisamment de chemin parcouru pour nous permettre d’appuyer ce projet de loi. L’objectif déclaré du gouvernement était de réduire les délais judiciaires conformément à la décision de la Cour suprême dans l’affaire Jordan et de maintenir les impératifs d’équité des procès. Je crains que le projet de loi ne soit pas à la hauteur dans les deux cas.
Comme il s’agit d’un projet de loi de 302 pages, je ne pourrai pas, dans le peu de temps dont je dispose, aborder toutes les questions que je voulais aborder. Cependant, j’aimerais parler très brièvement de quatre thèmes. Premièrement, le fait de ne pas s’attaquer aux peines minimales obligatoires; deuxièmement, les problèmes d’infractions mixtes dont nous avons entendu parler; troisièmement, les restrictions relatives aux enquêtes préliminaires et, quatrièmement, l’approche disparate en ce qui a trait aux représentants. Ce sont là quelques-unes des nombreuses questions au sujet desquelles des gens sont venus témoigner au Comité de la justice.
Certains ont dit que les mesures proposées ne feraient qu’empirer la situation dans de nombreux cas. Je m’explique. La plupart des poursuites pénales au Canada sont intentées devant les tribunaux provinciaux, et la question des infractions mixtes et du renvoi d’un plus grand nombre de causes devant ces tribunaux ne fera rien pour améliorer les choses.
J’ai toutefois des félicitations à faire au gouvernement. Je le félicite d’avoir supprimé la disposition sur les éléments de preuve de routine présentés par la police que le comité avait jugée problématique. Je suis ravi que nous ayons pu, en comité, persuader le gouvernement de modifier cette affreuse disposition. Je suis également fier d’avoir proposé, avec mon collègue, le député d’, une disposition visant à abroger les dispositions du Code criminel sur les maisons de débauche et sur le vagabondage qui ont été si souvent invoquées pour criminaliser des activités sexuelles consensuelles, particulièrement au sein de la communauté LGBTQ2.
Des centaines d’amendements ont toutefois été présentés au comité et un certain nombre d’entre eux n’ont pas été acceptés. Par exemple, le Nouveau Parti démocratique a présenté 17 amendements visant à aider les personnes vulnérables qui ont affaire à notre système de justice. Le gouvernement n’en a pas accepté un seul.
Chaque jour, des gens ordinaires assurent leur propre défense parce qu’ils n’ont pas les moyens de se payer un avocat et qu’il n’y a pas suffisamment de services d’aide juridique sur terre pour les représenter. Qui sont ces gens? Ce sont surtout des Autochtones, des pauvres et des personnes marginalisées. Nous sommes d’avis que ce projet de loi ne va pas assez loin pour leur venir en aide.
Bon nombre des intervenants que nous avons consultés nous ont dit que les réformes phares du projet de loi ne sont pas du tout fondées sur des données probantes. L’objectif du projet de loi est de donner suite à l’arrêt Jordan, avec ses délais obligatoires, mais il y a fort à parier que les changements proposés ne contribueront pas à accélérer le processus de justice criminelle. Ils risquent plutôt d’avoir l’effet contraire.
Les libéraux prétendent qu’il s’agit là d’une réforme audacieuse du système de justice criminelle, mais l’éléphant dans la pièce, c’est qu’ils n’ont rien fait pour corriger le régime des peines minimales obligatoires de l’ancien premier ministre Harper, malgré leurs promesses et leur engagement public à cet égard. Des avocats de la défense et des professeurs de droit s’entendent pour dire que l’annulation de cette pratique aurait grandement contribué à désengorger le système judiciaire, mais les libéraux ont lamentablement échoué à renverser la situation. Nous croyons qu’il faut s’attaquer aux causes profondes des retards, par exemple les problèmes de toxicomanie et de pauvreté, qui sont à l’origine du crime dont nous parlons.
Parlons d’abord des peines minimales obligatoires. Leur abrogation aurait permis d’accroître la conformité à l’arrêt Jordan et d’alléger le fardeau des tribunaux, alourdi par les multiples contestations fondées sur la Charte; il est inconcevable que les libéraux aient esquivé la question. Notre comité a reçu tellement de témoins qui nous en ont parlé. Je n’ai pas le temps de tous les nommer, mais il y avait, du Barreau du Québec, Marie-Eve Sylvestre, professeure à l’Université d’Ottawa, et Jonathan Rudin, des Services juridiques autochtones. Et je pourrais continuer à en nommer. Toutes ces personnes ont dénoncé l’échec du gouvernement à corriger le tir sur la question des peines minimales obligatoires.
Ces témoins ont dit tellement de choses que je n’ai pas le temps de tout répéter, mais Jonathan Rudin, directeur de programme pour les Services juridiques autochtones, nous a dit que « le gouvernement actuel sait bien que les peines minimales obligatoires sont inefficaces » et nous a rappelé que la elle-même a reconnu les problèmes posés par les peines minimales obligatoires. Elle en a parlé avec éloquence le 29 septembre 2017, il y a un peu plus d’un an.
La ministre de la Justice a dit:
Les peines minimales obligatoires se répercutent de façon disproportionnée sur les Autochtones et d'autres groupes vulnérables. C'est un fait incontestable. Les données sont probantes. Le recours accru aux peines minimales obligatoires au cours de la dernière décennie a contribué à la surreprésentation des Autochtones, des communautés racialisées et des délinquantes dans le système carcéral. Les juges sont bien placés pour évaluer le délinquant qui se trouve devant eux et veiller à ce que la peine soit proportionnelle au crime.
Ce projet de loi ne règle absolument en rien ce problème.
Je suis heureux que la sénatrice Kim Pate ait présenté le projet de loi , parrainé par ma collègue la députée de , qui confère aux juges le pouvoir discrétionnaire de renoncer à imposer des peines obligatoires dans les cas où ils estiment qu'il est juste de le faire. Il y a aussi les négociations de plaidoyer, où les juges ont la latitude qu'ils avaient auparavant, qui contribueraient de façon importante à régler le problème des retards selon tous les experts.
Je n'ai pas le temps de vraiment parler du reclassement de certaines infractions en infractions mixtes. Je pense qu'on en a déjà assez parlé et, comme le temps file, je ne m'attarderai pas sur cette question.
Je dirai qu'Emilie Taman, une avocate bien connue qui a témoigné, a déclaré ceci:
En effet, sur les 136 actes criminels qui sont reclassés comme infractions mixtes par le projet de loi C-75, 95 sont passibles d’une peine de 5 ou 10 ans. Par conséquent, ce projet de loi donne maintenant à la Couronne, plutôt qu’à l’accusé, le choix du procès devant jury pour ces 95 infractions. C’est problématique parce que, d’une part, la Couronne exerce son pouvoir discrétionnaire sans transparence, et d’autre part, sa décision peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire seulement suivant l’exigence très élevée d’un abus de procédure.
Autrement dit, nous donnons aux procureurs de la Couronne du pays la capacité de décider de la voie à suivre dans l'intimité de leurs bureaux. Comparons cela à la discrétion judiciaire, où, en audience publique, les juges décident si la peine convient à l'infraction. Comme c'est différent. Nous avons fait beaucoup de chemin, mais la justice est bien loin. La possibilité de partialité est réelle.
Il ne me reste pas beaucoup de temps, mais je suis si interpellé par ce qu'a dit le au sujet des enquêtes préliminaires que je veux m'attaquer de front à la question sans perdre une minute de plus.
Le gouvernement semble croire que, grâce aux restrictions relatives aux enquêtes préliminaires, les témoins vulnérables seront protégés et les tribunaux feront des gains de temps. L'Association du Barreau canadien, l'Association des avocats criminalistes, le Conseil canadien des avocats de la défense, et l'Alberta Crown Attorneys' Association comptent parmi les témoins qui sont totalement en désaccord avec le .
Nous avons entendu énormément de témoignages selon lesquels les enquêtes préliminaires réduisent les délais judiciaires. Nous avons aussi entendu des témoignages approfondis et convaincants indiquant qu'elles étaient un outil nécessaire pour préserver l'équité des procédures.
D'après la Criminal Lawyers' Association of Ontario:
Supprimer les enquêtes préliminaires pour tous les cas autres que ceux pour lesquels une peine d'emprisonnement à perpétuité est possible n'est pas dans l'intérêt de la justice et ne contribue pas au bon déroulement de l'administration de la justice pénale. Le comité devrait recommander que ces modifications ne soient pas apportées.
J'ai une douzaine de citations à présenter sur le même sujet, mais je crois que ma préférée est celle de Lisa Silver, professeure à la faculté de droit de l'Université de Calgary. Elle soutient qu'il faut protéger les gens contre la possibilité d'un procès inutile et que, « fondamentalement, l'enquête préliminaire agit comme un bouclier juridique entre l'accusé et la Couronne ».
Les députés se souviendront peut-être qu'elle a raconté l'histoire de Susan Nelles, une infirmière du département de cardiologie à l'Hôpital pour enfants malades de Toronto, qu'on accusait d'avoir assassiné des enfants. L'enquête préliminaire a permis de conclure à une insuffisance totale de preuves, et les accusations ont été abandonnées. Selon Mme Silver, ce cas démontre que l'enquête préliminaire est une étape cruciale pour assurer le respect de la procédure et un procès équitable.
Autre point que je souhaite aborder: les restrictions entourant le rôle des représentants. Le fait de porter les peines pour les infractions punissables par procédure sommaire à deux ans moins un jour aura des conséquences néfastes sur la représentation partout au pays. Je parle des étudiants en droit, des parajuristes et d'autres agents qui représentent actuellement la « population non couverte », comme on appelle au pays les nombreuses personnes non admissibles à l'aide juridique qui n'ont pas les moyens de faire appel à un avocat.
Le gouvernement a décidé de laisser aux provinces et aux territoires le soin d'établir la réglementation concernant quel type de mandataires pourra être utilisé pour tel ou tel crime. Ce n'est pas cela le fédéralisme de collaboration; on ne fait qu'étendre une catalogne juridique sur le pays. L'accès à un conseiller juridique ne devrait pas varier selon l'endroit où on habite, mais ce sera maintenant le cas. Des représentants des services d'aide juridique aux étudiants, des gens comme Lisa Cirillo, Suzanne Johnson et Doug Ferguson, ont demandé au gouvernement de ne pas adopter la mesure qui limitera la représentation par un mandataire, mais il semble que rien n'ait été fait à ce sujet.
Soyons clairs. Un accusé qui n'est pas représenté cause assurément des retards au tribunal et la situation le prive de son droit à un procès équitable. Cela amène également souvent la poursuite et les juges dans une position inconfortable où ils sont à l'occasion contraints de conseiller, d'aider et de soutenir l'accusé qui assure sa propre défense, alors que cela est contraire au rôle qu'ils sont officiellement appelés à jouer dans le processus.
Nous avons proposé différents changements afin d'accroître la représentativité des jurys. Ils ont été rejetés. Kent Roach a parlé de la situation honteuse des jurys, citant l'absence de jurés autochtones dans l'affaire Gerald Stanley, et il a soutenu, comme la Criminal Lawyers' Association, que nous avons la possibilité de revoir les questions entourant le jury et le pouvoir discrétionnaire accordé aux juges de déterminer si la composition est représentative ou embarrassante.
Je suis désolé, je n'ai pas le temps de parler encore longtemps, mais je souhaite dire ceci: nous avons raté une occasion. Il arrive rarement qu'on fasse une réforme en profondeur de la justice pénale au pays. Les libéraux ont présenté un projet de loi de 302 pages. Certaines des questions que j'ai soulevées ne feront qu'exacerber le problème, nier le droit à la justice et prolonger les retards. Il y a des éléments de ce projet de loi que nous appuyons, mais nous ne pouvons malheureusement pas l'appuyer dans son ensemble.