La réforme du système électoral est un sujet
d’intérêt au palier fédéral depuis près d’un siècle, soit depuis que plus de
deux partis politiques sont en lice aux scrutins fédéraux. À huit occasions, la
première datant de 1921, des comités de la Chambre des communes, des
commissions royales ou la Commission du droit du Canada ont étudié des éléments
de réforme du système électoral.
Entre les années 1910 et les années 1970, la
Colombie-Britannique, l’Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba ont utilisé le
vote préférentiel (VP), le vote unique transférable (VUT) ou une combinaison
des deux systèmes au niveau provincial et/ou municipal. En outre, la question
de la réforme électorale a été étudiée en Colombie-Britannique, en Ontario, au
Québec, au Nouveau-Brunswick et à l’Île-du-Prince-Édouard.
Toutes ces études
ont tenté, entre autres, de répondre à deux questions fondamentales sur la
transposition des votes en sièges à la Chambre des communes ou aux assemblées
législatives provinciales. Premièrement, lorsque plus de deux candidats se
disputent une circonscription, le gagnant doit-il obtenir la majorité (plus de
50 %) des voix, ou seulement une pluralité (plus de votes que les autres
candidats, sans nécessairement dépasser le seuil de 50 %), comme c’est
actuellement le cas? Deuxièmement, le système électoral actuel considère que
chaque circonscription est indépendant d’un scrutin individuel; il ne tient
donc pas compte de l’appui que reçoit un parti politique ou une cause par-delà
ces délimitations, ou à la grandeur d’une région. Faudrait-il par conséquent
modifier le système de façon à ce que ces voix cumulatives se traduisent par
une représentation à la Chambre des communes ou dans les assemblées
législatives?
Enfin, plusieurs de ces études se sont attardées
au processus de réforme, c’est‑à‑dire à l’ampleur et à la
forme – processus délibératif comme les assemblées de citoyens, vote
direct comme les plébiscites ou les référendums, etc. – que devrait
prendre la consultation de la population sur les projets de réforme.
Comme l’a écrit
l’historien canadien Desmond Morton, « les Canadiens, dans leur ensemble,
combinent la prudence – apprendre du passé – et l’ingéniosité –
se préparer à l’avenir[48] ». L’historique de ces études de
la réforme électorale, et les témoignages fournis au Comité par ceux qui y ont
pris part ces 15 dernières années sont riches en leçons utiles.
De la Confédération en 1867
jusqu’à 1921, les élections fédérales opposaient deux partis politiques.
Comme l’a écrit Peter Russell dans son mémoire au Comité, le système
uninominal à un tour fonctionnait bien dans ce contexte :
Tant que les élections fédérales n’étaient
disputées que par deux partis, le système uninominal majoritaire produisait des
parlements dans lesquels il y avait une assez bonne correspondance entre la
répartition des sièges à la Chambre des communes et les suffrages exprimés en
faveur des partis politiques. Les gouvernements majoritaires que ces parlements
ont soutenus à toutes les occasions, sauf une, ont été menés par des dirigeants
dont les membres du parti avaient remporté la majorité des sièges à la Chambre
et dont les candidats avaient remporté plus de 50 % des suffrages exprimés[49].
Cependant, comme l’a ajouté M. Russell, depuis
1921, les élections fédérales opposent au moins trois partis. Il en a résulté
que des partis ont pu former un gouvernement majoritaire – et que des
candidats ont pu être élus dans leur circonscription – alors qu’ils
n’avaient pas reçu la majorité des voix :
Mais la situation a changé lors de l’élection
de 1921, où trois partis étaient en lice : les conservateurs, les
libéraux et les progressistes. Les libéraux de Mackenzie King ont remporté la
plupart des sièges (mais pas la majorité), les progressistes sont arrivés
deuxièmes, et les conservateurs d’Arthur Meighen ont terminé au troisième
rang. Depuis cette élection de 1921, le Canada a, à l’échelon fédéral, un
système politique multipartite, dans le cadre duquel au moins trois partis
politiques se disputent les sièges dans le cadre des élections parlementaires.
Les élections tenues depuis cette époque ont rarement donné lieu à des
gouvernements bénéficiant à la fois de la majorité des sièges et de la majorité
des suffrages exprimés. En fait, seules trois des trente élections qui ont été
tenues depuis 1921 sont arrivées à ce résultat : les libéraux de Mackenzie King
en 1940, les progressistes-conservateurs de Diefenbaker en 1958 et
les conservateurs de Mulroney en 1984. Un résultat nettement plus fréquent
a été des gouvernements majoritaires formés d’un seul parti, et appuyés par
nettement moins que la majorité de l’électorat.[50]
En 1921, tandis qu’entraient ainsi en lice de
nouveaux partis, d’autres méthodes de vote gagnaient en popularité,
particulièrement dans les Prairies et les provinces de l’Ouest. À l’échelle
provinciale, des années 1920 aux années 1950, et l’Alberta et le
Manitoba ont adopté le VUT pour les scrutins dans les circonscriptions urbaines
et le VP pour ceux dans les circonscriptions rurales[51]. De même, de la fin des années 1910 au début des
années 1920, des municipalités de l’Alberta, de la Colombie-Britannique,
du Manitoba et de la Saskatchewan ont adopté des formes de VUT[52] et même, dans un cas, une forme de VP[53]. Selon les observateurs, l’adoption de ces systèmes s’explique par
l’extension du droit de vote aux non-propriétaires, à la classe ouvrière et aux
femmes, et au gain de popularité enregistré subséquemment par les partis
progressistes et d’union des cultivateurs/[54]. De plus, le VUT avait été adopté à la grandeur de l’Irlande.
C’est dans ce contexte qu’en mai 1921, des mois
avant cette élection historique de décembre 1921 où trois partis politiques
obtiendraient des sièges à la Chambre des communes, un comité spécial de la
Chambre des communes s’est pour la première fois prononcé sur l’opportunité de
réformer le système électoral fédéral.
Vers la
fin de la 13e législature[55], un comité spécial de la
Chambre des communes a été nommé pour « connaître
de la représentation proportionnelle, du vote simple transférable ou
préférentiel, et de l’opportunité d’appliquer l’un ou l’autre système, ou les
deux, aux élections à la Chambre des Communes du Canada[56] ».
Dans son Premier Rapport,
présenté à la Chambre des communes le 30 mai 1921, le Comité spécial de 1921 de la Chambre des
communes sur la représentation proportionnelle et le vote simple transférable
ou préférentiel a constaté que
le système majoritaire uninominal à un tour (SMUT) ne remplissait sa fin prévue
que si deux candidats étaient en lice; or, comme les élections au Canada
opposaient de plus en plus souvent trois candidats ou plus, le gagnant ne
l’emportait qu’avec l’appui d’une minorité des électeurs. De fait, dans son
rapport de 1921, le Comité spécial a écrit
qu’« [i]l doit paraître à tous que le système actuel d’élection, dans les
circonscriptions d’un seul représentant, répond pleinement aux fins proposées
lorsqu’il y a deux candidats seulement en nomination[57] ».
Sans aller jusqu’à
recommander l’adoption de la représentation proportionnelle (RP) au prochain
scrutin fédéral, le Comité s’est dit frappé par les arguments des partisans de
la réforme, et a proposé qu’on détermine par plébiscite si les électeurs
souhaitaient appliquer les « principes de représentation proportionnelle à
des circonscriptions où des groupes existent » (c’est‑à‑dire
le VUT)[58]. Cependant, il a recommandé l’adoption du VP
dans les circonscriptions où plus de deux candidats se présentaient, afin que
« le candidat élu en définitive représente la majorité des électeurs »[59].
La Chambre des communes a continué d’étudier la
réforme électorale dans les années 1930. Au cours de la 18e législature,
élue en 1935[60], un comité spécial concernant la Loi des élections fédérales
et la Loi du cens électoral fédéral a été chargé d’étudier « le
régime de représentation proportionnelle; le vote alternatif dans les
circonscriptions uninominales; l’inscription obligatoire des électeurs; le vote
obligatoire[61] ». Mais contrairement au rapport de 1921, qui exprimait une ouverture à la
réforme, cette nouvelle étude a débouché sur des conclusions plus réservées.
Ainsi, dans leur rapport de 1936, les membres du Comité
spécial concernant la Loi des élections fédérales et la Loi du cens électoral
fédéral se sont prononcés
en faveur du statu quo : ils craignaient en effet que la RP (conçue avant
tout, comme en 1921, sous la forme du VUT) ou le VP ne convienne pas à
l’ensemble du Dominion du Canada, c’est‑à‑dire qu’il ne
« favoris[e pas] le bon gouvernement »[62]. À cet égard, il semble que le Comité spécial ne
se soit pas limité à étudier l’impact de la réforme électorale sur la représentativité
du Parlement, c’est‑à‑dire sur la transposition des votes en
sièges : il s’est aussi interrogé sur la notion de « bon gouvernement. »
Après les années 1930, il faut attendre plus
de 40 ans – soit 1979, puis 1985 et 1991 – pour que le
gouvernement fédéral, dans le cadre de commissions royales, se penche à nouveau
sur la réforme du mode de scrutin :
- En 1979, la Commission de l’unité canadienne
(la Commission Pépin-Robarts[63]) a recommandé, entre autres
propositions importantes, d’introduire une forme de représentation
proportionnelle mixte (RPM[64]).
-
En 1985, la Commission royale sur l’union
économique et les perspectives de développement du Canada (la Commission
MacDonald[65]), au terme d’une étude exhaustive, a recommandé que les sénateurs
soient élus au scrutin proportionnel; la réforme électorale de la Chambre des
communes serait un « pis-aller ».
- Enfin, en 1991, la Commission
royale sur la réforme électorale et le financement des partis (la Commission
Lortie) a recommandé le maintien du système
uninominal à un tour, non sans appuyer l’élection des sénateurs au scrutin
proportionnel, la Commission MacDonald ayant
« démontré de manière convaincante » le bien-fondé de cette idée[66].
Le début du 21e siècle a été une
période d’intérêt renouvelé pour la réforme du scrutin fédéral. En mars 2004, au terme d’une étude de trois ans, la Commission
du droit du Canada – une entité indépendante – a déposé son rapport
sur la réforme électorale, Un vote qui compte : la réforme électorale
au Canada[67].
Dans ce rapport adressé au ministre de la Justice, la Commission prônait
l’adoption de la RPM. Ce choix reposait sur trois postulats : le système
électoral retenu devait « maintenir un gouvernement qui soit responsable
et qui entretienne un lien direct entre les élus et leurs électeurs »;
l’idée d’accroître substantiellement la taille de la Chambre des communes
suscitait peu d’enthousiasme; et les améliorations aux règles électorales
devaient être mises en place « sans qu’il soit nécessaire de modifier la
constitution »[68].
Le Comité spécial sur la réforme électorale a pu
entendre le témoignage de l’ancienne présidente de la Commission du droit du
Canada, Nathalie Des Rosiers[69],
et de deux anciens commissaires de l’époque de l’étude sur la réforme
électorale, Roderick Wood[70] et
Me Bernard Colas[71]. Tous trois ont réitéré leur appui à ce qu’avait conclu la
Commission du droit, à savoir qu’un élément de proportionnalité devrait être
incorporé au système électoral fédéral. Par exemple, Mme Des Rosiers
a dit : « Je suis toujours convaincue que, quel que soit le système
choisi, il devrait comporter un élément de proportionnalité[72] ». M. Wood a ajouté qu’il était maintenant plus favorable
aux listes ouvertes qu’aux listes fermées[73]. Enfin, M. Colas a fermement encouragé les membres
du Comité spécial à tenir
compte des conclusions du rapport de la Commission[74]. Il a ajouté que le public supporterait une initiative de réforme
électorale basée sur le principe de l’équité :
D'instinct, l'être humain cherche l'équité. Les
jeunes enfants disent souvent que les choses sont injustes. La première
question qu'il faut poser aux Canadiens est la suivante: Est-ce qu'il est juste
qu'une personne soit élue avec 30 ou 40 % des votes ou est-ce qu'il est
juste de récolter 20 % des votes et de ne remporter que 10 % des
sièges? Ils vous répondront « non ». Si vous proposez ensuite de
corriger le système et d'en améliorer l'équité, ce sera un bon départ[75].
Le Comité a aussi entendu Brian Tanguay, principal
auteur du rapport de la Commission du droit. Ce dernier
a avancé que les analyses et les recommandations contenues dans le rapport
« ont continué de nourrir les récents débats autour de la réforme
électorale dans ce pays », et que « la seule manière de corriger les
défauts significatifs du modèle de gouvernement de Westminster que nous
utilisons est de mener une réforme électorale profonde, en adoptant un système
qui garantit à la fois la représentation démographique et la proportionnalité
dans la traduction des votes en sièges au parlement[76] ».
En 2005, soit l’année suivant la publication
du rapport pro-RPM de la Commission du droit du Canada, le Comité permanent de
la procédure et des affaires de la Chambre des communes a déposé un rapport[77] visant à « recommander un processus qui engage les citoyens et
les parlementaires dans une étude de notre système électoral en procédant à un
examen de toutes les options ».
Le rapport a recommandé un processus en deux
étapes qui comporterait « la participation d’un comité spécial de la
Chambre des communes et d’un groupe de consultation des citoyens » ayant
« tous deux pour mission d’examiner les moyens de renforcer et de
moderniser les systèmes démocratique et électoral, et de formuler des
recommandations à ce sujet ». Le groupe de consultation des citoyens
« ferait des recommandations sur les valeurs et les principes que les
Canadiens aimeraient voir intégrés dans leurs systèmes démocratique et
électoral », tandis que le comité spécial « ferait des
recommandations sur les divers éléments des systèmes démocratique et électoral
canadiens »[78].
Ce dernier tiendrait compte du rapport du groupe de consultation des citoyens
puis « formulerait des recommandations sur les systèmes démocratique et
électoral canadiens »[79] à
l’adresse de la Chambre des communes.
Dans leur opinion complémentaire, les membres
conservateurs du Comité ont fait savoir qu’ils « auraient préféré établir
une assemblée nationale de citoyens sur le modèle utilisé pour la réforme
électorale en Colombie-Britannique », ce modèle étant selon
eux « nettement supérieur au processus défendu par le Comité, par ces
mesures d’inclusivité et d’ouverture (équilibre géographique, équilibre entre
les sexes, etc.)[80] ».
Les conservateurs ont ajouté qu’« un gouvernement conservateur ne
donnerait pas suite à une proposition de réforme du système électoral sans
avoir d’abord obtenu l’approbation de la population dans un référendum national[81] ».
Dans une seconde opinion complémentaire, le Bloc
Québécois a dit qu’il appuyait « la majorité des recommandations du
rapport, spécialement celles portant sur la formation et le mandat du comité
spécial de la Chambre des communes », mais qu’il « aurait aimé
prendre davantage son temps pour déterminer des modalités d’une consultation et
participation directes de la population au processus de réforme[82] ».
Enfin, en
mars 2007, le gouvernement a organisé dans chaque province et territoire
un forum des citoyens sur la réforme démocratique, ainsi qu’un forum national
des jeunes. Au terme de ces consultations, le gouvernement a publié un rapport
intitulé Consultations publiques sur les institutions et les pratiques
démocratiques du Canada[83]. Le rapport indiquait, entre autres, que les
Canadiens semblent préférer l’actuel SMUT à un système de RP. Les consultations
ont toutefois permis de constater que les participants étaient ouverts à l’idée
d’un changement et disposés à envisager l’adoption d’un système de scrutin où
chaque vote en faveur d’un parti compte.[84]
Tel qu’indiqué plus haut, des années 1920 aux
années 1950, l’Alberta et le Manitoba ont adopté le VUT pour les scrutins
dans les circonscriptions urbaines et le VP pour ceux dans les
circonscriptions rurales[85]. Par
ailleurs, en Colombie-Britannique, le gouvernement de coalition
libéral-conservateur a adopté le VP pour l’élection provinciale de 1952, mais
le Crédit social est revenu au SMUT après avoir remporté l’élection de 1953.[86] De même,
de la fin des années 1910 au début des années 1920, des municipalités de
l’Alberta, de la Colombie-Britannique, du Manitoba et de la Saskatchewan ont
adopté des formes de VUT[87] et
même, dans un cas, une forme de VP[88].
Lors de son témoignage devant le Comité, Harold
Jansen a présenté un aperçu
de sa recherche sur l’utilisation du VP et du VUT au Canada ainsi que sur les
leçons
qui peuvent être utiles dans le cadre du processus actuel de réforme
électorale.
Ses commentaires sur l’utilisation du VP et du VUT sont inclus au chapitre 4 de
ce rapport. M. Jansen a expliqué le contexte politique à l’origine des
réformes électorales en Alberta et au Manitoba:
Ce qui a mené à ce désir de changements, ce sont
les intenses débats sur le sujet, qui ont marqué la décennie 1910-1920
dans les Prairies. Un grand nombre des plaintes exprimées à l'égard du système
électoral tournaient exactement autour du même thème que celui que vous
entendez ici et dont nous sommes en train de discuter, le manque d'équité en
matière de représentation. Le vote unique transférable, alors considéré la
forme britannique de la RP, jouissait d'une popularité particulière, mais dans
les provinces de l'Ouest il y avait aussi un certain élément populiste qui
rendait très attrayante l'idée d'un système axé sur le candidat.
Lorsque les libéraux
progressistes arrivent au pouvoir — grâce à l'alliance
libérale-progressiste conclue en 1920 — ils font face à des fermiers
devenus soudainement actifs et arrivent à la conclusion qu'en leur accordant
cette seule demande, ils aideraient leur propre cause. Ils introduisent donc
une forme de représentation proportionnelle à Winnipeg. De plus, comme Winnipeg
sort tout juste de la grande grève générale, ils y voient un bon moyen de
freiner le radicalisme ouvrier, un peu dans la crainte que les partis
travaillistes raflent tous les sièges dans Winnipeg.
En 1922, le United Farmers
of Manitoba accède au pouvoir et étend le VA aux régions rurales, ce qui était
en somme une forme de trahison puisque tout le monde avait débattu la question
du VUT. Cela permet au parti de préserver le fondement de son pouvoir, un
mélange d'idéalisme et d'intérêts politiques partisans. Même son de cloche avec
le United Farmers of Alberta. Il introduit le VUT à Edmonton et à Calgary. Il
relève des pans entiers de la législation en vigueur au Manitoba, qu'il copie
en Alberta. Tout était identique. Le United Farmers of Alberta était fort dans
les régions rurales, faible dans les zones urbaines. Cela fragmentait son
opposition, mais il tenait en partie ses promesses. Tout le monde se disait que
tout ça finirait par s'améliorer et qu'ils allaient passer à autre chose. Il y
avait donc, un peu partout, ce tremplin vers le VUT, mais la chose ne s'est
jamais concrétisée.
Le souci premier, c'était
la taille des circonscriptions. C'est effectivement un gros problème à une
époque où vous vous déplacez à cheval et en calèche. Vous ne pouvez pas aller
sur Skype.
La raison pour laquelle le
VUT a avorté était un peu différente dans chaque province. En Alberta, la
raison en est une d'intérêt politique personnel pour le Crédit social. Le
Crédit social perdait de la vitesse. Les libéraux et le [FCC] ont fini par
comprendre qu'ils auraient pu se servir de ce système pour défaire le Crédit
social.
La situation est un peu
plus compliquée au Manitoba où le grand problème était la surreprésentation du
milieu rural. Ils ont fait un genre de compromis. S'ils parvenaient à résoudre
ce problème de surreprésentation et commençaient à introduire des commissions
de délimitation indépendantes, ils abandonneraient le VUT. Les gens avaient
aussi un autre sujet de plainte — c'est important de le souligner, car j'ai vu
des gens comparaître devant vous et proposer l'adoption de ce modèle. Si vous
utilisez le VA dans les régions rurales et le VUT dans les villes, le problème,
c'est que le fait de passer de 30 à 40 % dans un groupe de
10 circonscriptions uninominales est extrêmement payant en nombre de
sièges. À Winnipeg, qui compte 10 circonscriptions, passer de 30 à
40 % signifie que vous remportez un siège de plus.
Sur quoi les partis ont-ils déployé leurs efforts
et focalisé toute leur attention? Sur les régions rurales. Winnipeg s'est
plainte d'être ignorée[89].
Ces 15 dernières années, la réforme
électorale a suscité intérêt et études dans les provinces, souvent en réaction
aux fréquents scrutins où les sièges obtenus aux assemblées législatives ne
correspondaient pas à la proportion des voix. Le Comité a entendu de nombreux
témoins engagés dans la réforme électorale en Colombie-Britannique, en Ontario
et au Québec, ainsi qu’au Nouveau-Brunswick et à l’Île‑du‑Prince-Édouard
où le sujet est une fois de plus à l’étude.
La Colombie-Britannique a envisagé de réformer son
système électoral provincial de 2003 à 2009[90]. En avril 2003, la Colombie-Britannique a constitué une
assemblée indépendante et impartiale de citoyens chargée de se pencher sur les
possibilités de réforme électorale. Son mandat était d’étudier le système
électoral de la province et de recommander des réformes[91]. En décembre 2004, l’Assemblée a recommandé le système à VUT
comme la solution idéale pour la province[92], puis en mai 2005, cette proposition a été
soumise aux électeurs de la Colombie-Britannique sous forme d’une question
référendaire à l’élection provinciale. Pour que la proposition soit retenue,
elle devait être approuvée par 60 % de l’ensemble des électeurs et par une
majorité simple dans 60 % des 79 circonscriptions. La proposition a obtenu un appui de 57 %, en deçà de la
majorité exigée de 60 %. Elle n’a donc pas été approuvée. Néanmoins, vu le soutien considérable
que le système proposé a obtenu, le gouvernement a fait savoir qu’il ferait
l’objet d’un autre référendum. À ce second référendum,
tenu en même temps que l’élection générale provinciale de 2009, la
proposition a recueilli 39 % d’appui et n’a été adoptée que dans 7
des 85 circonscriptions électorales, soit nettement moins que les 51
qu’il aurait fallu pour pouvoir procéder à la mise en œuvre.
Le Comité a entendu plusieurs témoins ayant
participé au processus de réforme électorale en Colombie-Britannique. De plus,
140 personnes ont pris la parole aux assemblées publiques organisées à
Victoria et Vancouver, et beaucoup ont parlé de la réforme tentée dans leur
province. Quatre messages principaux sont ressortis de tous ces témoignages.
Premièrement, les intervenants approuvaient le processus – l’Assemblée de
citoyens – qui a servi à formuler les recommandations de réforme en
Colombie-Britannique. Par exemple, comme l’a dit Gordon Gibson, qui a contribué
à la conception de la structure et du mandat de l’Assemblée :
Le mécanisme d’élaboration et de consultation
relatif à la nouvelle proposition électorale était au cœur de la réussite de la
Colombie‑Britannique … [L]e gouvernement a mandaté une assemblée
citoyenne et m’a fait l’honneur de me laisser concevoir le mécanisme. Grâce aux
efforts déployés par le président, par le personnel et par les membres de
l’Assemblée citoyenne, il a extrêmement bien fonctionné[93].
Diana Byford, qui a siégé à l’Assemblée
citoyenne de la Colombie-Britannique, a mentionné que l’aménagement de la salle
de réunion (le Wosk Centre, à Vancouver) avait eu un impact positif sur le
processus :
Je ne sais pas combien d’entre vous sont familiers
avec cet endroit, mais il s’agit d’une salle ronde. Les sièges sont placés
selon des rangées circulaires. Tous les participants ont un sentiment
d’égalité. Il n’y a pas de table de dirigeants […] Le Centre est un endroit
incroyable. Il nous permet de bien nous installer et de faire en sorte que tous
les participants sont sur un pied d’égalité, que tous seront entendus. Je ne
pense pas qu’il existe de telles installations dans un grand nombre de
provinces. Je pense que cela pourrait avoir de fortes répercussions sur les
résultats[94].
Deuxièmement, les témoins et un certain nombre des
personnes qui ont pris la parole aux assemblées publiques ont réitéré leur
appui au VUT. Comme l’a expliqué Craig Henschel, ancien membre de l’Assemblée
citoyenne de la Colombie-Britannique:
Si nous pouvions résoudre les problèmes
d’exclusion et de représentation inégale, nous pourrions résoudre le problème
de la disproportionnalité. Le vote unique transférable permet de résoudre
directement ce problème. Le VUT permet d’utiliser plusieurs députés dans une
circonscription pour représenter plusieurs points de vue. Cela réduit
considérablement le montant des électeurs exclus, tout en conservant les
députés locaux autant que possible. Le VUT est un bulletin de vote
préférentiel, de sorte que le vote stratégique n’est pas nécessaire et que
l’électeur peut donner une image claire de ses désirs dans le système de
comptage. Le VUT utilise également un système de comptage équitable qui élit
chaque député dans une circonscription avec environ le même nombre de votes[95].
Troisièmement, de nombreux témoins ont critiqué le
seuil de 60 % qui a été imposé au référendum de la Colombie-Britannique
sur la réforme électorale. Pour Gordon Gibson, ce référendum n’a pas
échoué puisqu’il a « reçu le soutien affirmatif de près de 58 % de
l’électorat », que le taux de participation a été de 61,5 %, et que
la mesure a « obtenu une majorité absolue dans 77 des
79 circonscriptions ». Selon M. Gibson, « [c]e référendum
s’est soldé par une réussite selon tout critère raisonnable, mais le
gouvernement provincial avait établi un taux de rendement minimal de 60 %,
alors une merveilleuse occasion d’expérimentation naturelle d’une réforme
électorale réfléchie a été perdue[96] ».
Craig Henschel a
signalé que les membres de l’Assemblée citoyenne déploraient particulièrement
le seuil de 60 %[97],
dont l’imposition, pour sa collègue Diana Byford, est une erreur commise
par le gouvernement de la province[98].
Enfin, les témoins
ont critiqué le manque d’éducation publique entre la fin du processus de
l’Assemblée et la tenue du référendum sur le VUT. Comme Diana Byford l’a
expliqué, aucun financement n’ayant été mis de côté pour renseigner la
population sur le choix du VUT, certains membres de l’Assemblée « ont pris
l’initiative de faire cette éducation » :
Ce
n’est pas tout le monde, bien sûr, qui a pu le faire. Nous l’avons fait sur
notre temps et à nos propres frais. Nous avons parlé à des groupes et à des
organismes. Nous avons tenu des débats dans certains cas et nous avons répondu
à beaucoup, beaucoup de questions. Nous avons fait ceci de décembre 2004,
quand notre rapport a été livré à la législature, jusqu’au référendum en
mai 2005. Ma dernière présentation orale a eu lieu le soir avant les
élections[99].
De fait, Kenneth Carty, qui a été directeur
de recherche pour l’Assemblée des citoyens de Colombie-Britannique sur la
réforme électorale (puis consultant principal auprès de l’Assemblée des
citoyens de l’Ontario), s’est dit d’avis que la réforme avait reçu un appui
substantiel au référendum non pas parce que l’électorat comprenait en
profondeur les rouages de la réforme électorale, mais parce qu’il avait
confiance dans le processus de l’Assemblée citoyenne[100].
L’Ontario a poursuivi un projet de réforme
électorale de 2003 à 2007. Suivant l’exemple de la Colombie‑Britannique,
la province a créé en 2006 l’Assemblée des citoyens de l’Ontario, chargée
d’étudier l’actuel système électoral et de recommander des modifications[101]. En mai 2007, l’Assemblée a publié son rapport intitulé Un
bulletin, deux votes – Une nouvelle façon de voter en Ontario, dans
lequel elle recommandait l’adoption d’un système de RPM. Un référendum sur
cette recommandation a eu lieu en même temps que les élections générales
d’octobre 2007. Toutefois, la proposition n’a pas obtenu l’appui
requis – au moins 60 % de tous les bulletins référendaires déposés et
plus de 50 % des bulletins référendaires déposés dans au moins
64 circonscriptions provinciales – prescrit à l’article 4 de la Loi
de 2007 sur le référendum relatif au système électoral[102].
Jonathan Rose, qui a été directeur académique
de l’Assemblée des citoyens de l’Ontario sur la réforme électorale, a signalé
que « l’Assemblée de citoyens ou [une] autre forme de délibération
approfondie » est une façon utile de faire participer la population à la
réforme[103].
Il a aussi insisté sur l’importance « de la composante d’apprentissage du
public » dans « la stratégie globale de participation » de la
population à la réforme[104].
Brian Tanguay, auteur principal du rapport Un
vote qui compte : la réforme électorale au Canada, publié en 2004
par la Commission du droit du Canada, et expert en réforme électorale convoqué
par les assemblées législatives de l’Ontario et du Québec, a dit au Comité
qu’« [o]n a déploré un manque d’éducation et d’information et les partis
eux-mêmes envoyaient des messages qui semaient la confusion. Tout cela a créé
un contexte loin d’être optimal pour la conduite du référendum[105] ».
Le Québec a exploré la possibilité de réformer son
mode de scrutin de 2004 à 2007. En décembre 2004, le
gouvernement du Québec a déposé à l’Assemblée nationale un avant-projet de loi
proposant, entre autres réformes, un nouveau système électoral mixte qui allierait
des éléments du SMUT existant et une nouvelle formule de RP. En juin 2005,
l’Assemblée nationale a adopté une motion portant création d’une commission
parlementaire composée de neuf membres chargée d’étudier l’avant-projet de loi
et de formuler des recommandations. La Commission spéciale sur la Loi
électorale était soutenue par un comité de huit citoyens [106]. Des consultations publiques ont eu lieu dans toute la province à
partir de janvier 2006.
La Commission a fait rapport de ses conclusions à
l’Assemblée nationale en avril 2006. Dans son rapport, elle rejetait
l’avant-projet de loi du gouvernement et proposait un système de RPM semblable
à celui utilisé en Allemagne. La Commission reprochait principalement à
l’avant-projet de loi de proposer un système à un tour qui ne reflétait pas
exactement les souhaits des électeurs et qui encourageait le vote stratégique.
En décembre 2007, le directeur général des
élections de la province a publié
un rapport dans lequel il passait en revue les caractéristiques du
« scrutin mixte compensatoire » et comparait différents scénarios à
l’aide de simulations et d’analyses [107]. Aucune modification au SMUT en vigueur au Québec n’a été adoptée
depuis le dépôt de ce rapport.
Benoît Pelletier, qui a été ministre de la
Réforme des institutions démocratiques du Québec de 2005 à 2008, a expliqué que l’avant-projet de loi sur la RPM,
qui prévoyait un seul vote (le gouvernement a ensuite ouvert la porte à un
second vote) et la double candidature (c’est-à-dire que le même candidat
pouvait se présenter dans une circonscription et être inscrit sur la liste d’un
parti), voulait concilier divers facteurs, dont la représentation régionale et
la simplicité[108].
L’idée de réforme intéressait la population, mais on ne s’entendait pas sur les
détails, notamment la double candidature et l’augmentation de la superficie des
circonscriptions[109].
Cependant, M. Pelletier s’est dit d’avis que les Québécois afficheraient
peut-être « plus d’ouverture » aujourd’hui qu’il y a 10 ans à cette
proposition de RPM du gouvernement du Québec[110].
Le Nouveau-Brunswick a envisagé de réformer son
mode de scrutin provincial de 2003 à 2006, et a récemment repris
l’étude de cette question.
En décembre 2003, le gouvernement du
Nouveau-Brunswick a créé la Commission sur la démocratie législative et lui a
confié pour mandat de proposer un modèle de RP adapté aux besoins de la
province. Le rapport final, que la Commission a remis en
janvier 2005, recommandait un système de RPM régionale, ainsi qu’un
référendum exécutoire qui devait avoir lieu au plus tard en même temps que les
élections provinciales de 2007[111]. En juin 2006, le gouvernement de la province a répondu au
rapport final et aux recommandations de la Commission dans un rapport intitulé Améliorer
le mode de fonctionnement du gouvernement [112]. À la suite du changement de gouvernement survenu à
l’automne 2006, un nouveau rapport en réponse aux recommandations de la
Commission a été rendu public en juin 2007 sous le titre Un
gouvernement responsable et redevable. Ce rapport décrivait
20 initiatives que le gouvernement provincial comptait prendre
entre 2007 et 2012 pour améliorer et renforcer la démocratie
législative au Nouveau-Brunswick.
De 1999 à 2005, David McLaughlin a
été sous-ministre du premier ministre du Nouveau-Brunswick, Bernard Lord.
À ce titre, il a déclenché et supervisé la Commission sur la démocratie
législative du Nouveau-Brunswick. Lors de sa comparution devant le Comité, il a
expliqué pourquoi la Commission avait recommandé la tenue d’un référendum sur
la RPM :
Les principes clés que nous avons appliqués afin
de prendre une décision relativement à un nouveau système électoral
comprenaient la représentation locale, c’est‑à‑dire le principe
selon lequel toutes les régions géographiques de la province doivent avoir leur
propre représentant à l’Assemblée législative qui défend leurs intérêts; la
représentation équitable, pour s’assurer que l’opinion de tous les Néo‑Brunswickois
était représentée de façon équitable à l’Assemblée législative; l’égalité des
votes, pour veiller à ce que le bulletin de vote déposé par chaque électeur ait
une incidence égale sur la détermination du gagnant des élections; et le
gouvernement efficace, soit la capacité du système d’entraîner la sélection
facile d’un gouvernement stable qui est capable de gouverner
la province[113].
Il a ajouté : « Nous avons recommandé un
système mixte avec compensation proportionnelle en tant que solution optimale
pour la province, à la lumière d’une étude de toutes les solutions de rechange
relativement à la liste des principes démocratiques ». La Commission
espérait que l’adoption de la RPM permettrait de corriger « un résultat
bizarre de la politique provinciale : de gros gouvernements majoritaires
et des oppositions petites et faibles ». De plus, on croyait que ce
système assurerait « l’égalité de la représentation entre les communautés
linguistiques anglophone et francophone » dans la province[114].
M. McLaughlin a cité deux conclusions des
travaux de la Commission – sur la conception du nouveau système et sa
légitimité publique – qui pourraient aider le Comité :
Premièrement, le système
uninominal majoritaire à un tour possède de bonnes caractéristiques et est à la
fois familier et légitime pour la plupart des électeurs. Après tout, nous
acceptons les résultats le soir des élections, et le Canada a progressé.
Toutefois, il présente des inconvénients et des lacunes clairs qu’un système
mixte avec compensation proportionnelle pourrait atténuer. Nous savons que ce
système reflète davantage les valeurs démocratiques de l’équité, de
l’inclusivité, du choix et de l’égalité des votes. Cependant, le système mixte
avec compensation proportionnelle à l’échelon national n’a jamais vraiment fait
l’objet d’un modèle ni d’une analyse complète, à ma connaissance, sauf pour un
rapport produit par la Commission du droit du Canada. Nous avons trouvé dans
les résultats des conséquences réelles, à la lumière de la conception
particulière de ce système, au sujet desquelles vous allez devoir faire des
recherches et que vous devrez prendre en considération si vous décidez de
recommander ce système.
Deuxièmement, la
légitimité publique d’un nouveau système électoral est hautement souhaitable et
l’emporte sur les intérêts des partis et des politiciens. La question concerne
les citoyens et les électeurs dans une démocratie axée sur les citoyens.
La tenue d’un référendum est la façon la plus simple, la plus claire et la plus
acceptable de conférer une légitimité à long terme, non seulement au système,
mais – et c’est encore plus important – aux résultats qu’il produit[115].
Enfin, M. McLaughlin
a proposé, au lieu d’un référendum préalable à l’instauration du nouveau
système électoral, un « référendum de validation » :
Je sais que cette question est litigieuse, alors
laissez-moi proposer un deuxième choix qui est tout de même une option
viable : prévoir un référendum de validation après deux élections, d’après
un examen parlementaire du système, et donner aux Canadiens l’occasion de
l’accepter, peut-être sous réserve d’améliorations, ou de revenir au système
précédent[116].
Lise Ouellette, qui a été coprésidente de la
Commission sur la démocratie législative du Nouveau-Brunswick de 2003
à 2004, a réitéré devant le Comité son appui à l’étude et aux conclusions
de la Commission : « L’écart entre le nombre de votes remportés et le
nombre de sièges obtenus à l’Assemblée législative ou au Parlement […] est
vraiment une faille majeure de notre système électoral, et il faudra corriger
cela, quelles que soient nos convictions à d’autres égards[117] ».
En juillet 2016, le gouvernement du
Nouveau-Brunswick a soumis un document
de travail sur la réforme électorale[118] à un comité spécial de la réforme électorale.
Le gouvernement travaille de plus à la mise sur pied d’une commission sur la
réforme électorale qui étudiera : les obstacles à l’entrée en politique
pour les groupes sous-représentés, l’accroissement de la participation à la
démocratie (y compris par le mode de scrutin préférentiel et le vote
électronique), l’âge minimum pour voter, et les règles en matière de
contribution aux partis et de dépenses des partis[119].
L’Île‑du‑Prince-Édouard a mené une
première réflexion sur l’éventuelle réforme de son système électoral
de 2003 et 2007. Aujourd’hui, elle envisage à nouveau de modifier le
mode d’élection des 27 députés de son Assemblée législative.
En décembre 2003, le commissaire à la réforme
électorale de l’Île‑du‑Prince-Édouard a recommandé que la province
adopte un système de RPM. Il a cependant recommandé également de poursuivre
l’étude de la question, notamment en consultant et en informant davantage la
population, et indiqué que tout changement au système électoral de la province
devait être approuvé par un « référendum [120] ».
En décembre 2004, l’Assemblée législative a
mis sur pied la Commission sur l’avenir électoral de l’Île‑du‑Prince‑Édouard
chargée de formuler une question claire et de recommander une date pour un
plébiscite[121]. En mai 2005, la Commission a rendu publique sa proposition de
système RPM pour la province. Le plébiscite a eu lieu en novembre 2005,
avec un seuil d’approbation minimum fixé à 60 %. La proposition de réforme
électorale a été approuvée par 36 % des électeurs.
Plus récemment, à la suite de la 65e élection
générale à l’Île‑du‑Prince‑Édouard, tenue le
4 mai 2015, le nouveau gouvernement s’est engagé dans son discours du
Trône de juin 2015 à étudier la réforme électorale et le renouvellement
démocratique[122].
En juillet 2015, le gouvernement a publié un livre blanc dans lequel il
promettait de créer un comité législatif spécial pour étudier la possibilité de
substituer au SMUT le scrutin préférentiel ou la RP et « définir la
question à soumettre aux Insulaires concernant le futur mode de scrutin […]
d’ici le 30 novembre 2015[123] ».
À la suite de consultations initiales auprès de la
population, le Comité spécial a déposé son deuxième rapport en avril 2016.
Il y recommandait que, dans le cadre d’un plébiscite qui aurait lieu en
novembre 2016, les électeurs puissent classer en ordre de préférence les
divers modes de scrutin suivants :
- Système mixte binominal avec compensation
proportionnelle;
- Scrutin majoritaire
uninominal à un tour (le mode de scrutin actuel);
- Système uninominal
majoritaire à un tour avec compensation;
- Système mixte avec
compensation proportionnelle;
- Mode de scrutin
préférentiel.[124]
Conformément aux recommandations du Comité spécial[125],
le plébiscite sur ces cinq options de réforme électorale s’est déroulé à l’Île‑du‑Prince‑Édouard
du 29 octobre au 7 novembre 2016[126]. Tous les citoyens âgés de 16 ans ou plus étaient admissibles à
voter par Internet, par téléphone ou en personne.
Le Comité a entendu le témoignage de
Leonard Russell, ancien président de la Commission sur l’avenir électoral
de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, instituée en décembre 2004, et de Jordan Brown, président actuel du
Comité spécial sur le renouvellement de la démocratie. Les deux ont offert une
analyse détaillée du plébiscite de 2005 et des
considérations qui ont façonné le processus de réforme actuel. Ils ont tous les
deux témoigné devant le Comité le 6 octobre 2016, un mois avant le plébiscite.
Jordan Brown a rappelé qu’au lendemain du
plébiscite de 2005, certaines plaintes ont été exprimées : la RPM était
trop complexe, trop peu de bureaux de vote avaient été ouverts, et le vote
n’avait duré qu’un seul jour[127]. M. Russell,
abondé dans le même sens, ajoutant qu’outre les bureaux de scrutin, qui ont
créé de la frustration, les principaux partis de la province ont pris
conscience des conséquences potentielles de la réforme :
L’autre problème qui s’est présenté pendant notre
programme éducatif est que je crois que les principaux partis de la province
ont réalisé pour la première fois les complexités de la proportionnelle mixte.
Ce n’était pas un problème dont on parlait à la
table de la commission. Et il y avait des raisons à cela. Il y avait des gens
du parti à la table, nommés par les deux principaux partis. On n’en parlait
tout simplement pas. Mais une fois de plus, en dehors des circonstances
officielles, plusieurs personnes parlaient de ce qu’elles savaient.
Ce qui est arrivé est que, lorsque les partis se
sont rendu compte qu’avec la proportionnelle mixte, il devenait possible que
ceux qui auraient eu une majorité avec le système majoritaire uninominal à un
tour n’auraient pas la majorité
[…]
Ce
sont les mêmes gens qui nous avaient donné le pouvoir qui commençaient à nous
miner. Je ne sais pas trop comment prouver cela, mais je sais qu’on en parlait
dans les réunions de paroisse, à l’église. Les partis mettaient collectivement
le public en garde contre les pièges la proportionnelle mixte.
À mon avis, les
partis de l’époque ont bien vu que le pouvoir qu’ils pourraient détenir avec un
système majoritaire uninominal à un tour leur échapperait avec la
proportionnelle mixte, mais ils avaient déjà demandé à ce que l’on continue à
réclamer la proportionnelle mixte[128].
Au sujet du processus actuel, M. Brown a
expliqué que le plébiscite de 2005 n’avait pas satisfait l’appétit de
réforme électorale à l’Île‑du‑Prince‑Édouard, étant donné
qu’« au cours des sept dernières élections sur l’Île‑du‑Prince‑Édouard
nous avons eu cinq parlements dans lesquels il y avait un déséquilibre
relativement important entre le gouvernement et l’opposition »; « à
deux reprises sur ces sept mandats nous avons eu des oppositions comptant un
seul député[129] ».
La décision d’envisager quatre modes de scrutin en plus du SMUT découle des
principes que le Comité spécial a dégagés lors des consultations. Comme
M. Brown l’a indiqué, permettre aux électeurs de classer sur le bulletin
les différentes options était une tentative d’« encourag[er] les gens à
aller au‑delà de leur choix favori en soufflant aux électeurs que leur
favori ne serait peut-être pas choisi en premier et qu’ils voudraient peut-être
avoir leur mot à dire sur le choix global en faisant un deuxième, un troisième,
un quatrième ou un cinquième choix[130] ». Cependant, M. Russell était craintif que le grand
nombre d’options sur le bulletin de plébiscite ne causerait de la confusion
tant pour les électeurs[131]
que pour le gouvernement (qui peinera à interpréter les
résultats[132]).
Selon lui, la population fait confiance au Comité et s’attend à ce qu’il
recommande une seule option de réforme du système électoral – la
meilleure.
Enfin, M. Brown a insisté sur l’importance
accordée à la participation dans le cadre du processus actuel. C’est pour
accroître la participation qu’il a été décidé de permettre le vote en ligne et
au téléphone, sur une période assez longue (10 jours) pour que tous aient
le temps de voter[133].
Si les jeunes de 16 et de 17 ans ont été admis au vote, c’est parce
qu’« ils auront le droit de vote aux prochaines élections » et
« qu’ils se trouveront dans un environnement (l’école) où, effectivement,
une certaine structure leur permet d’apprivoiser la politique et la démocratie
et d’y participer ». M. Brown a dit espérer « qu’ils rentrent
chez eux et fassent l’éducation de leur fratrie et de leurs parents et grands-parents
et ainsi de suite au sujet du mode de fonctionnement et qu’ils continuent de le
faire tout au long de leur vie, d’une façon adéquate, structurée et bien
informée[134] ».
Au total,
37 040 Prince‑Édouardiens, ce qui représente 36,46 % des
électeurs admissibles, ont participé au plébiscite qui s’est tenu la première
semaine de novembre 2016. Au terme de quatre séances de dépouillement[135],
les résultats ont révélé que 52,42 % des électeurs
préféraient un système de RPM au système actuel[136]. Dans une déclaration publiée le 8 novembre 2016, M. MacLauchlan, premier
ministre de l’Île‑du-Prince‑Édouard, a dit ceci :
Quand on sait que le
taux de participation était de 36,5 %, ce qui est plutôt bas, il y a lieu
de se demander si une majorité claire est ressortie du plébiscite tenu entre le
29 octobre et le 7 novembre 2016. Sur les cinq systèmes proposés que les
électeurs prince-édouardiens devaient classer par ordre de préférence, la
représentation proportionnelle mixte a recueilli 52,42 % de la faveur
populaire au terme de la quatrième séance de dépouillement. Au cours des trois
premières, le système majoritaire uninominal à un tour (qui est le système
actuel) a obtenu le plus grand nombre de suffrages exprimés. À la quatrième et
dernière séance de dépouillement, 19 % des électeurs admissibles, soit un
peu moins de un sur cinq, étaient en faveur de la représentation
proportionnelle mixte. Il est permis de douter que ces résultats reflètent
clairement la volonté des Prince‑Édouardiens, pour paraphraser le Comité
spécial sur le renouvellement de la démocratie[137].
Il a ajouté :
Quand l’Assemblée législative commencera sa
session d’automne, mardi prochain, la question du renouvellement de la
démocratie et les résultats du plébiscite seront dans l’esprit de tous les
législateurs. Nous attendons avec intérêt de prendre connaissance du détail des
résultats, notamment en ce qui concerne le soutien accordé dans les différentes
régions de la province, si possible par circonscription, dès qu’Elections
Prince Edward Island sera en mesure de nous donner l’information[138].