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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 005 
l
1re SESSION 
l
43e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 21 juillet 2020

[Enregistrement électronique]

(1105)

[Traduction]

    Bienvenue à la cinquième séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes. Conformément à la motion adoptée par le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international le 20 février 2020, nous tenons aujourd'hui notre deuxième séance sur l'étude de la situation des droits de la personne des Ouïghours.
    Les témoins d'aujourd'hui comparaissent par vidéoconférence, et les délibérations du Sous-comité seront diffusées sur le site Web de la Chambre des communes.
    L'interprétation de la vidéoconférence fonctionnera de manière très semblable à celle des séances ordinaires du Sous-comité. Au bas de votre écran, vous avez le choix entre « parquet », « anglais » et « français ». Si vous prévoyez changer de langue quand vous avez la parole, vous devrez changer également de canal d'interprétation en fonction de la langue que vous employez. Vous pourriez prendre une brève pause après le changement de langue.
    Quand vous parlez, articulez lentement et intelligiblement. Quand vous ne parlez pas, votre micro devrait être désactivé. Si des difficultés techniques surviennent, sur les plans de l'interprétation ou de l'audio, par exemple, veuillez en aviser immédiatement la présidence, et l'équipe technique s'emploiera à résoudre le problème.
    Avant de commencer, nous voudrions souligner que notre étude porte sur les Ouïghours. Plusieurs des témoins que nous avons entendus sont des experts des droits de la personne en général, et certains traiteront plus particulièrement de la Chine. Il y a et aura, lors de séances futures du Sous-comité et d'autres comités du gouvernement, des occasions d'examiner de nombreuses questions en ce qui concerne la Chine et d'autres affaires relatives aux droits de la personne. Je le souligne, car nos témoins sont ici pour nous faire part de leur expérience sur les Ouïghours. Je répète donc que nous mettrons l'accent sur les Ouïghours.
    Je félicite tous les témoins qui ont comparu hier. Ils étaient vraiment excellents. Nous avons entendu des experts, des défenseurs des droits de la personne et des universitaires, qui nous ont relaté des histoires personnelles de courage et de bravoure. Nous les remercions d'avoir accepté de témoigner.
    Je vais maintenant accueillir les témoins d'aujourd'hui. Le présent groupe est composé de William Browder, directeur de la Global Magnitsky Justice Campaign; d'Olga Alexeeva, sinologue et professeure d'histoire de la Chine contemporaine, et d'Azeezah Kanji, professeur de droit et journaliste, qui témoignent à titre personnel; et d'Errol Mendes, professeur de droit et président de la Commission internationale des juristes Canada.
    Madame la greffière, je pense que c'est dans cet ordre que nous entendrons les témoins.
    Monsieur Browder, c'est vous qui prendrez la parole en premier. Vous disposez de six minutes pour nous présenter votre exposé, après quoi les membres du Sous-comité vous poseront des questions.
    Vous pouvez commencer.
    Monsieur le président, distingués membres du Sous-comité, je vous remercie de m'offrir l'occasion de vous parler aujourd'hui de la persécution choquante de la minorité ouïghoure en Chine.
    Je m'intéresse à la question sous un angle légèrement différent des autres personnes du groupe et d'autres témoins. Certains d'entre vous me connaissent peut-être. Pendant de nombreuses années, je suis venu à Ottawa pour préconiser l'adoption de la loi Magnitski au Canada. J'ai vécu bien des années en Russie et Sergeï Magnitsky était mon avocat. Il a découvert et révélé une affaire de corruption à grande échelle, ce qui lui a valu d'être arrêté, torturé et tué par mesure de représailles. M'est alors venu le concept de la loi Magnitski, qui permettrait de geler les actifs et d'interdire les visas.
    Je me suis d'abord rendu aux États-Unis, qui ont adopté la loi Magnitski en 2012. Je suis ensuite venu au Canada, qui a adopté cette loi en 2017. C'est maintenant un total de sept pays qui se sont dotés de lois Magnitski.
    Cette loi constitue un outil très puissant de lutte contre la violation des droits de la personne. Il y a 40 ans, des personnes comme les Khmers rouges n'allaient pas en vacances à Saint-Tropez, alors qu'aujourd'hui, des personnes commettant des violations des droits de la personne dans divers pays voyagent à l'étranger, achètent des propriétés et font toutes sortes de choses. La Loi permet de leur imposer des conséquences dans des situations où il n'y en avait pas auparavant dans le monde.
    Par conséquent, j'ai été approché dans de nombreux pays par bien des gens à propos d'un éventail de questions. Il y a environ deux ans et demi, j'étais à Washington, D.C., cherchant à faire en sorte qu'un nombre accru de personnes soient sanctionnées en vertu de la Loi. Un fonctionnaire américain qui s'intéressait à la situation des Ouïghours m'a alors demandé si je pouvais rencontrer pendant une demi-heure une membre de la communauté ouïghoure que je devais, selon lui, rencontrer. J'ai accepté, et c'est ainsi que j'ai fait la connaissance d'une dénommée Gulchehra Hoja.
    Mme Gulchehra est ouïghoure. Elle vit à Washington, D.C. et travaille pour Radio Free Asia, une organisation médiatique financée par les États-Unis qui fait état de ce qu'il se passe en Asie, et ce, sans ingérence de la part du gouvernement chinois. Elle travaille pour le service en langue ouïghoure. Elle s'est assise avec moi et m'a raconté son histoire, qui était absolument remarquable. Elle est la première à avoir pu interroger une personne sortant du camp de concentration ouïghour. Elle a interrogé une femme qui était sortie d'un camp et qui a raconté ce qui s'était passé. Par mesure de représailles, 25 membres de sa famille ont été arrêtés en Chine et envoyés dans les camps de concentration.
    Quand j'ai entendu cette histoire, j'ignorais tout des camps de concentration. J'ai donc commencé à travailler avec elle afin d'apprendre ce qu'il se passait et d'obtenir plus d'information. Comme en parleront certainement de nombreux témoins aujourd'hui, j'ai été mis au fait de la stérilisation forcée de femmes, de l'arrestation de littéralement des centaines de milliers, voire de millions de personnes, et de la séparation forcée d'enfants et de leur famille. Il m'est devenu apparent qu'il s'agit probablement là du plus important problème de droits de la personne auquel nous sommes confrontés dans le monde actuel.
    En plus de mon contact personnel avec Mme Gulchehra, je descends d'une réfugiée de l'Holocauste. Ma mère a, en effet, dû fuir Vienne pendant l'Holocauste. Voyant qu'un génocide se déroule sous nos yeux alors que nous avons affirmé « plus jamais », je ressens le besoin impérieux de faire ce que je peux pour le peuple ouïghour, Mme Gulchehra et d'autres victimes.
(1110)
     En pareille situation, nous pouvons appliquer les sanctions Magnitski aux fonctionnaires chinois qui commettent ces violations. Cette loi a été créée expressément à cette fin. Les États-Unis ont imposé des sanctions en vertu de la loi Magnitski à quatre fonctionnaires chinois, notamment à un membre du bureau politique, et je me gratte la tête en me demandant pourquoi le Canada, qui a adopté la loi Magnitski précisément dans ce but, n'impose pas ces sanctions actuellement.
    Je témoigne aujourd'hui pour exhorter le Canada à imiter les États-Unis et à sanctionner les fonctionnaires chinois responsables de la situation, dans l'espoir d'élargir la liste des sanctions pour qu'un nombre bien plus élevé de personnes perpétrant ce génocide soient tenues responsables de leurs actes.
    Je vous remercie beaucoup.
    Je vous remercie, monsieur Browder.
    Nous entendrons maintenant Olga Alexeeva, qui dispose de six minutes pour faire son exposé.
    Madame Alexeeva, vous avez la parole.

[Français]

    Je vous remercie de m'avoir donné cette occasion de vous parler aujourd'hui du contexte politique qui entoure la répression des Ouïghours en Chine.
    Comme vous le savez, depuis 2017, des centaines de milliers d’Ouïghours ont été envoyés en détention dans ce qu'on appelle les centres de rééducation, qui visent, selon les autorités chinoises, à lutter contre l'extrémisme musulman. En fait, l'ouverture de ces camps n'est qu'un tout dernier dispositif dans une très longue série de mesures répressives adoptées par le gouvernement chinois à l'encontre d'Ouïghours.
    La région autonome du Xinjiang, où vit la majorité des Ouïghours, n'a été intégrée à l'espace chinois qu'au XIX siècle. Depuis ce temps, les Ouïghours mènent une lutte contre les pratiques d'assimilation chinoises, et cette lutte est aujourd'hui animée par de multiples courants indépendantistes, violents ou non, basés sur diverses idéologies, notamment le « panturquisme », le mouvement pour la démocratie et l'islamisme radical. Tous poursuivent le même objectif: fonder un État ouïghour indépendant au Xinjiang.
    On peut donc dire que le Xinjiang a toujours constitué pour Pékin un défi en matière de contrôle, mais, depuis les années 1990, la lutte des Ouïghours pour leur indépendance s'est intensifiée. Beaucoup de facteurs expliquent cela. En tant qu'historienne, je pourrais continuer pendant des heures à vous les expliquer, mais, à mon sens, la raison principale est que les Ouïghours se sentent aujourd'hui marginalisés sur leur propre territoire. De plus en plus de migrants chinois viennent aujourd'hui s'installer au Xinjiang. Ils accaparent les terres arables et les ressources en eau et profitent de l'aide gouvernementale pour se lancer en affaires, alors que les Ouïghours, eux, s'appauvrissent.
     Les Chinois prédominent également dans l'administration locale. Le sentiment d'être dominés par la Chine au profit des Chinois et à leurs dépens a généré chez les Ouïghours, comme vous pouvez l'imaginer, un très profond mal-être. Cette frustration s'est vite transformée en contestation, ce qui est normal, qui prend des formes différentes au Xinjiang, allant d'attentats à la bombe et d'émeutes spontanées à des manifestations étudiantes et à un militantisme pacifique animé par les activistes ouïghours réfugiés à l'étranger.
    Pékin qualifie néanmoins toutes ces actions d'actes terroristes qui seraient inspirés par la mouvance islamiste internationale. Aux yeux de Pékin, l'existence de quelques groupuscules djihadistes ouïghours ayant des liens avec Al-Qaïda légitime donc l'intensification de la répression au Xinjiang. Ce durcissement se traduit par des milliers d'arrestations et par la banalisation de la torture et des mauvais traitements infligés aux prisonniers ouïghours.
    En réaction, comme vous le savez peut-être, une nouvelle vague d'attaques meurtrières est survenue en Chine en 2013 et en 2014. Ces attentats, en particulier celui de la place Tiananmen, à Pékin, ont eu un effet de coup de tonnerre au sein des dirigeants chinois, qui voient désormais le problème ouïghour comme une menace à la stabilité nationale. Cela justifie, à leurs yeux, la reprise en main autoritaire de toute la population ouïghoure et non plus seulement des militants, des sympathisants ou des gens qu'ils qualifient de terroristes.
    À partir de 2014, on a augmenté les effectifs des forces de l'ordre chinoises qui patrouillent dans le territoire du Xinjiang. Celles-ci comptent aujourd'hui plus de 100 000 personnes. On a installé partout des caméras dotées d'outils de reconnaissance faciale et vocale qui permettent de suivre les personnes et les véhicules partout, y compris dans les zones rurales. On a lancé aussi la collecte des données biométriques, y compris l'ADN, visant toute la population ouïghoure. On s'entend que ces mesures de surveillance sont extrêmement intrusives. Le problème, c'est qu'elles s'accompagnent également d'arrestations arbitraires, de fouilles d’habitations, de confiscations de passeports et d'interdictions de certaines pratiques religieuses. En parallèle, on a aussi ouvert plus de 20 camps d'internement disséminés dans toute la région du Xinjiang. Les critères d'envoi dans ces camps sont arbitraires et flous.
(1115)
     Il suffit de posséder une édition non approuvée du Coran, de ne pas boire d'alcool, de faire le ramadan ou encore de voyager trop souvent en Turquie ou en Égypte pour se retrouver dans l'un de ces camps pour une durée indéterminée. En effet, les procédures légales sont également très opaques.
     Les Ouïghours sont aujourd'hui victimes de pratiques répressives. Ils en sont victimes depuis des décennies, mais l'ampleur des répressions actuelles est sans précédent. Plus de 1 million d'Ouïghours, c'est-à-dire 10 % de la population, sont aujourd'hui détenus dans des camps au Xinjiang. Aux yeux de Pékin, cette région stratégique, qui regorge de ressources naturelles, serait une partie inaliénable du territoire national. Il est inconcevable pour Pékin d'y renoncer ou d'accorder à sa population une autonomie quelconque. Il faut dire aussi que l'instabilité, au Xinjiang, fait peser des risques sur le projet chinois. Comme on le sait, la nouvelle route de la soie est très chère aux yeux de Xi Jinping.
    Ce contexte politique très grave, très tendu et très particulier place les Ouïghours dans une impasse. Il nourrit le terreau du ressentiment et de la haine à l'égard des autorités de Pékin et des Chinois, plus généralement. À mon avis, la dureté de la répression ne pourrait que propulser de jeunes militants, frustrés par cette injustice incroyable, dans une logique plus violente. Par conséquent, on ne peut qu'imaginer qu'à long terme, cette politique pourra mener à un conflit.
(1120)

[Traduction]

    Je vous remercie, madame Alexeeva. Nous aurons l'occasion d'approfondir le sujet pendant la période de questions.
    Nous accordons maintenant la parole à Errol Mendes pour six minutes.
    Merci beaucoup de m'avoir invité à témoigner.
    La région du Xinjiang, en Chine, est le théâtre d’actions que nous espérions ne « plus jamais » revoir après la Seconde Guerre mondiale. Je parle de la détention de plus d’un million d’Ouïghours, un groupe ethnique et religieux qui est la cible d'une campagne de stérilisation forcée du gouvernement chinois afin de réduire sa population. Même si le gouvernement chinois prétend qu’il s’agit de camps d’entraînement ou de formation, des médias crédibles rapportent qu’on y impose des séances de propagande obligatoires, du travail forcé et de la violence physique. D'aucuns ont fait état de morts alléguées.
    Personne n’est épargné. Par exemple, j’ai fait la connaissance d’une éminente professeure musulmane dans le cadre d’un projet de recherche en Chine auquel j'ai participé pendant de nombreuses années. Gulazat Tursun est professeure de droit et superviseure d’étudiants au doctorat de l’Université du Sichuan. Cette universitaire de renommée internationale qui s'intéresse aux droits de la personne a été chercheuse invitée au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, à l’Université Harvard et à l’Institut danois des droits de l’homme. Malgré ses compétences, elle a essentiellement été détenue dans l’un de ces camps, et à ce jour, on ignore encore si elle a été libérée ou non.
    Le sort réservé à d'autres universitaires est pire encore. L'un d'eux risque la mort. En septembre 2019, le réseau Scholars at Risk soupçonnait que M. Tashpolat Tiyip, professeur de géographie réputé et ancien président de l'Université du Xinjiang, risquait d'être exécuté une fois expiré le sursis de deux ans de sa peine de mort. Nous ne savons pas non plus ce qu'il est advenu de lui.
    Je suis d’accord avec mon ami et ancien ministre de la Justice Irwin Cotler: nous devrions, comme les États-Unis et d’autres pays, imposer des sanctions ciblées aux principaux responsables de la planification de la détention massive des Ouïghours au Xinjiang. J'ai proposé d'imposer des sanctions Magnitski aux architectes de la répression et de la détention des Ouïghours, et je donnerai des noms, notamment ceux de Shohrat Zakir, gouverneur du Xinjiang et chef du parti dans la région, et Chen Quanguo, membre du bureau politique dans les plus hautes sphères du gouvernement chinois.
    Il y en a d'autres, mais ces deux hommes sont, selon moi, les principaux responsables de la détention. Les deux hommes ont affirmé que ces allégations de graves crimes internationaux contre les Ouïghours, et dont j'aimerais parler, sont un tissu de mensonges absurdes. En fait, Shohrat Zakir va jusqu’à qualifier les camps de pensionnats où les droits des étudiants sont protégés.
    En 2017, le Parlement a adopté la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, qui met en œuvre les sanctions Magnitski et permet d’imposer des saisies de biens et des interdictions de séjour à des fonctionnaires précis. Comme mon ami Bill Browder l'a indiqué, des lois semblables ont été adoptées par les États-Unis et d'autres pays européens. Grâce à ses démarches, l’Union européenne envisage également l’élargissement des sanctions Magnitski à l'ensemble de son territoire.
    Comme on le sait, Bill Browder figure parmi les principaux défenseurs de cette mesure parce que son avocat, Sergueï Magnitsky, a été assassiné par des fonctionnaires russes. J’ai eu le privilège de l’appuyer dans une faible mesure, l'aidant à venir au Canada afin d'y préconiser l'adoption de la loi Magnitski.
    Je voudrais maintenant parler brièvement de l’opinion d’un autre collègue avocat, qui est également notre prochain ambassadeur aux Nations unies: Bob Rae. Dans une entrevue accordée au Globe and Mail, il a affirmé que le gouvernement du Canada doit réfléchir aux conséquences avant d’imposer des sanctions à de hauts fonctionnaires chinois pour des violations des droits de la personne commises contre des groupes minoritaires.
     Même si je suis d’accord avec lui sur le fait qu’un gouvernement ne peut jamais se permettre d’établir des plans ou d’agir sans tenir compte des conséquences, il semble laisser entendre que les représailles pourraient toucher les deux Canadiens qui sont détenus là-bas, Michael Spavor et Michael Kovrig, et prendre la forme de mesures commerciales supplémentaires ciblant le bois d’œuvre et les produits agricoles d’ici. Cependant, le Canada, en tant que société de droit, ne peut pas trahir ses engagements fondamentaux. Il ne peut pas désavouer ses promesses souvent répétées de promotion et de protection des droits universels de la personne, enchâssés dans le principe du « plus jamais ». Nous ne pouvons pas être vus comme de simples spectateurs des derniers crimes internationaux qui sont, encore une fois, commis et qui correspondent à la définition de crime contre l’humanité, de crime de guerre, de torture et de génocide.
    Nous ne pouvons rester silencieux ou inactifs devant de telles atrocités ou renoncer à notre droit d'être considérés comme les défenseurs de la dignité humaine et des droits de la personne de tous les habitants de la terre. L'histoire nous a montré que le silence est le partenaire complice du génocide.
(1125)
    Le Canada ne peut rester silencieux ou inactif devant ce que je considère comme des crimes contre l'humanité de plus en plus graves, notamment les gestes génocidaires commis contre les Ouïghours. Je suis d'avis que les actes du gouvernement chinois constituent des crimes contre l'humanité et un génocide, d'autant plus que les mesures de contrôle forcé des naissances à l'encontre des Opuïghours se poursuivent.
    Les fonctionnaires que je propose de cibler pourraient n’avoir aucun bien gelé au Canada ou même avoir l’intention de voyager ici. Toutefois, l’imposition de sanctions ciblées ferait comprendre non seulement à la Chine, mais au monde entier que nous agissons au nom de l’humanité. Nous espérons que nos alliés traditionnels suivront notre exemple et envisageront peut-être même de se joindre à nous.
    En ce qui concerne les possibles mesures punitives de la Chine, étant donné que les procédures d’extradition de Meng Wanzhou ont déjà entraîné la détention de deux Canadiens, je ferais valoir que nous devons mettre au point une politique et une stratégie à long terme concernant la Chine, lesquelles couvriraient les cas de diplomatie des otages et le recours aux sanctions commerciales et à d'autres mesures punitives, qui contreviennent aux règles commerciales internationales. Je pense que le Canada et son gouvernement doivent élaborer une stratégie à long terme avec ses alliés démocratiques traditionnels, qui inclurait — espérons-le — la collaboration de l’administration américaine future, pour établir des mesures multilatérales, sociales et économiques qui dissuaderaient la Chine de recourir à la diplomatie des otages et qui réduiraient la capacité de cet État de cibler les pays démocratiques tenus par leurs valeurs, leurs principes et leur constitution d’adhérer à la primauté du droit.
    Nous pourrions ainsi adopter des approches communes afin d'assujettir les multinationales chinoises à une surveillance au chapitre de la sécurité nationale, des droits de la personne et de la lutte contre la corruption, et les pénaliser pour être complices des actes de leur gouvernement, lesquels constituent des crimes internationaux gravissimes. Compte tenu des nouvelles venant de Xinjiang, je pense que le sous-comité ou le comité qui le chapeaute devraient s'intéresser à certaines des marques qui recourent au travail forcé pour fabriquer des produits qui font leur chemin jusqu'aux États-Unis et au Canada. En fait, l'ACEUM signé récemment avec les États-Unis et le Mexique prévoit une interdiction à cet égard.
    Je vous remercie.
    Je vous remercie de votre exposé, monsieur Mendes.
    Madame Kanji, vous disposez de six minutes pour présenter votre exposé.
    Des documents officiels prescrivant la stérilisation forcée et la surveillance de masse; des images prises par satellite prouvant la destruction de lieux culturels anciens et la prolifération des camps de concentration; des films captés par des drones montrant des hommes amenés vers des trains, tête rasée, menottés et les yeux bandés: ce ne sont là que quelques aperçus que nous avons eus des pratiques de la Chine sur le territoire traditionnel des Ouïghours, dans l'Est du Turkestan, dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, malgré le mur de secret que la Chine y maintient. Nous ne savons même pas avec exactitude combien de centaines de milliers — voire de millions — d'Ouïghours sont incarcérés sous ce que nous soupçonnons être le plus grand régime d'incarcération d'une minorité depuis l'Holocauste nazi.
    Le tristement célèbre réseau de camps de concentration de la Chine ne constitue qu'une composante d'un projet de bien plus grande envergure. Dans ce réseau d'une vaste étendue géographique, l'État surveille attentivement les villages, les résidences, les chambres à coucher, les téléphones cellulaires et même l'ADN des Ouïghours grâce à la collecte massive de données biométriques, allant même jusqu'à cibler des Ouïghours vivant au Canada et ailleurs. Ce réseau existe aussi depuis longtemps, les mesures actuelles ne constituant que la dernière phase de ce que les universitaires considèrent comme le projet que la Chine met en oeuvre depuis des décennies, voire des siècles aux fins de colonialisme invasif et de changement démographique délibéré dans le riche territoire qu'elle appelle Xinjiang, un nom qui signifie littéralement « nouvelle frontière ».
(1130)
    Pardonnez-moi de vous interrompre, madame Kanji. Je me demande si vous pourriez ralentir légèrement le débit pour les interprètes et éloigner un peu votre microphone de votre bouche. L'audibilité est compromise.
    Le son est-il bon maintenant?
    On me dit que oui.
    Ralentissez aussi légèrement le débit.
    Je vous remercie. Nous ajouterons du temps à votre exposé.
     Les camps de concentration ne constituent qu'une composante d'un projet de grande envergure temporelle et géographique, les mesures actuelles n'étant que la dernière phase de ce que les universitaires considèrent comme le projet que la Chine met en œuvre depuis des décennies, voire des siècles, aux fins de colonialisme invasif et de changement démographique délibéré dans le riche territoire qu'elle appelle Xinjiang, qui se traduit littéralement par « nouvelle frontière ».
     Le spécialiste du colonialisme bien connu, Patrick Wolfe, a prononcé les paroles célèbres suivantes: « Quand on parle de colonialisme invasif, la question du génocide n'est jamais loin. » Dans le cas des politiques de la Chine contre les Ouïghours, la question du génocide n'est pas abstraite ou métaphorique, mais imminente et littérale.
    Dans la Convention des Nations unies sur le génocide et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, le génocide se définit comme étant l'un des cinq actes suivants: un, le fait de tuer; deux, l'infliction de graves blessures corporelles ou mentales; trois, l'imposition de conditions calculées pour causer la destruction physique; quatre, l'imposition de mesures visant à empêcher des naissances; ou cinq, le transfert forcé d'enfants. L'un ou l'autre de ces actes, lorsqu'il est posé dans l'intention de détruire un peuple en tant que peuple « en tout ou en partie », se qualifie de génocide lorsqu'il est commis dans le but génocidaire requis.
    Dans le cas des Ouïghours, toutefois, des preuves montrent que ces cinq actes ont été commis, des rapports faisant état de morts dans des camps de concentration; de tortures comme l'électrocution et la noyade simulée; de jeûne forcé et d'exposition aux maladies, y compris au coronavirus, dans des camps de concentration et de travail forcé; d'une campagne de stérilisation, dans le cadre de laquelle 80 % des nouveaux dispositifs de contrôle des naissances intra-utérins ont été installés dans la région chinoise de Xinjiang, où habite pourtant moins de 2 % de la population chinoise; et de la séparation de près d'un demi-million d'enfants de leurs familles et de leurs communautés.
    Pour ce qui est de la question de l'intention, quand des fonctionnaires décrivent l'islam comme un « virus idéologique », « une tumeur maligne incurable » et une « mauvaise herbe » envahissant les « cultures », les efforts d'éradication sont une conséquence logique.
    Témoignant de la gravité du crime, la Convention sur le génocide n'inclut pas que l'obligation de punir le génocide après les faits, mais oblige tous les États à prévenir le génocide. Selon la Cour internationale de Justice, un État a l'obligation de prévenir le génocide et d'agir en conséquence dès qu'il apprend qu'un génocide risque fortement de se produire. Ce seuil de risque grave est dépassé depuis belle lurette.
    En 2014, le Bureau des Nations unies sur la prévention du génocide a publié un cadre afin de détecter les signes avant-coureurs d'un génocide ou d'autres atrocités. Pratiquement tous ces signes sont présents dans la région du Xinjiang.
    Ayant également travaillé à la défense des droits des Rohingyas, dont le génocide se trouve maintenant devant la Cour internationale de Justice et la Cour pénale internationale, j'ai vu que les États évitent pendant longtemps d'admettre que la situation constitue un génocide ou qu'un génocide est en préparation afin d'éviter d'assumer leur devoir de prévention, comme certains États ont refusé d'admettre le génocide rwandais alors même qu'il se déroulait sous les yeux du monde entier en 1994.
    Même en face d'une preuve éclatante, la capacité de déni est forte, tout comme le sont la honte, la repentance et l'horreur éprouvées a posteriori lorsque quelque chose qui devait ne « plus jamais » survenir est autorisé à se produire encore et encore.
    Je vous remercie.
(1135)
    Je vous remercie de cet exposé. Je vous remercie également d'avoir fait preuve de patience au sujet de l'interprétation et du micro, et de vous être prêtée à nos demandes.
    Nous passerons maintenant à la période de questions, au cours de laquelle chaque membre disposera de sept minutes.
    Nous commencerons par M. Sweet.
    Je vous remercie beaucoup de me donner l'occasion d'intervenir, monsieur le président.
     Monsieur Browder, je tiens à vous remercier beaucoup de tout l'excellent travail que vous avez accompli. Vous, qui avez comparu devant le Comité en un certain nombre d'occasions, êtes un formidable exemple d'homme d'affaires doté d'une conscience. Vous empruntez la voie juridique pour un ami, un avocat de votre entreprise qui a été torturé et assassiné, comme vous l'avez souligné. Je veux vous exprimer ma gratitude pour tout le travail que vous avez fait pour faire en sorte que des pays comme le nôtre aient une loi Magnitski, non seulement en mémoire de M. Magnitsky, mais aussi pour que nous puissions corriger d'autres violations des droits de la personne.
    Monsieur Mendes, Mme Kanji vient d'expliquer avec force éloquence que le seuil du génocide a été atteint. De toute évidence, notre comité fera un énoncé et publiera un rapport après tous ces témoignages. À votre avis, compte tenu de votre expérience de la jurisprudence, les actes du Parti communiste chinois atteignent-ils le seuil du génocide?
    À mon avis, oui.
    Comme Mme Kanji l'a indiqué avec justesse, si les tribunaux étaient saisis de l'affaire, le plus dur serait de prouver l'intention précise, soit celle, entière ou en partie, d'éliminer un groupe. Selon moi, c'est sur ce point que la Chine tentera de fonder sa défense: « Eh bien, prouvez-le ». Mme Kanji a, fort justement, énuméré certains types d'éléments de preuve qu'il faudrait présenter pour prouver l'intention.
    Le plus gros écueil qui nous attend si nous portons l'affaire devant les tribunaux, selon moi, c'est le fait que la Chine n'est pas assujettie à la Cour pénale internationale, et si nous nous adressons à la Cour internationale de Justice, la Chine niera probablement qu'elle a compétence en la matière.
    Voilà pourquoi il est essentiel que le Canada fasse tout d'abord preuve de résolution en appliquant les sanctions Magnitski, puis en collaborant avec ses alliés, particulièrement si la future administration américaine se montre disposée à travailler avec tous les pays démocratiques, afin d'élaborer ensemble une stratégie démocratique pour exercer de plus en plus de pression sur la Chine, notamment avec le concours du secteur privé, pour qu'elle mette fin à ses actions.
    Ce sera un effort de longue haleine. L'affaire sera très complexe, mais nous devons commencer, et commencer maintenant.
(1140)
    Je veux vous interroger sur le corollaire de ce que vous avez dit. Comment les régimes comme celui du Parti communiste chinois interprètent-ils l'inaction et le silence?
    Je pense que M. Browder se souviendra de ceci. S'il est une chose que l'histoire nous a enseignée, c'est qu'avant de mettre en branle la « solution finale », Hitler continuait de dire « Après tout, qui se souvient du génocide arménien? » C'est une des raisons pour lesquelles il se disait que si personne n'avait porté attention au génocide arménien, pourquoi n'en commencerait-il pas un autre?
    C'est pourquoi je pense qu'il faut absolument que nous montrions notre conviction à l'égard de la promesse que nous nous sommes faite de ne « plus jamais » laisser pareille chose se produire. C'est une chose.
    Cependant, comme je suis réaliste et que je sais à quel point la Chine est puissante, je pense que nous avons absolument besoin de nos alliés. Les États-Unis doivent collaborer avec tous les pays démocratiques afin d'affronter ce défi potentiel, un défi aussi grand que tous ceux que nous avons rencontrés dans les années 1930, afin de pouvoir le relever. Si nous ne le faisons pas, je pense que nous serons à l'aube d'une catastrophe encore plus grande prochainement.
    Je sais que je vais vous poser une question d'envergure, mais je tiens à vous la soumettre en raison de la nature de votre témoignage. Le Canada a dirigé une coalition de pays afin d'exercer des pressions sur le régime sud-africain pour qu'il mette fin à l'apartheid. Considérez-vous que le Canada pourrait diriger les efforts en assurant un leadership inspiré afin de réunir des pays comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande pour obtenir des résultats semblables à long terme avec la Chine?
    Mais certainement, et je pense que nous devrions commencer avec les États-Unis. Le vice-président Biden a promis qu'après son élection — et espérons qu'il sera élu —, il tiendra un sommet démocratique réunissant tous les pays démocratiques du monde afin de s'attaquer à certaines de ces questions. Je pense que le Canada devrait travailler maintenant avec le prochain président potentiel des États-Unis afin de voir comment nous pouvons élaborer cette stratégie, car il faudra que tous les pays démocratiques du monde interviennent pour s'attaquer de front à ce problème. L'affaire exige une planification très soigneuse et beaucoup d'attention afin de déterminer comment nous pouvons la résoudre.
    Oui, il y aura des conséquences. C'est déjà le cas avec les deux Michaels. Nous en observons déjà au comité de l'agriculture, et nous pourrions en subir d'autres si nous appliquons les sanctions Magnitski.
    Là où je ne suis pas entièrement d'accord avec mon ami Bob Rae, c'est que je considère que nous ne pouvons pas nous concentrer que sur ce point. Nous devons considérer ce qu'il se passera si nous fermons les yeux sur la situation et ce qui pourrait se passer d'autre. Des faits qui pourraient ébranler le monde pourraient survenir. Je peux d'ailleurs en évoquer un. Après Hong Kong, quel sera le prochain territoire? Cela pourrait-il être Taïwan?
    Je pense que les pays démocratiques devraient se doter d'une stratégie mondiale plus forte afin de déterminer comment ils peuvent lutter contre cette menace croissante qui plane sur le monde entier.
    J'ignore si le sujet relève de votre expertise ou de celle de M. Browder, donc quiconque souhaite intervenir... Nous disposons d'une organisation très spécialisée appelée Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada. Plus de 1 billion de dollars ont quitté la Chine en 2016, des sommes qui sont, bien entendu, blanchies au Canada. Pensez-vous que nous possédons une expertise suffisante pour localiser l'argent des membres du Parti communiste chinois afin d'accomplir notre rôle et de faire le nécessaire en appliquant la loi Magnitski?
    Puis-je répondre à cette question?
    Je possède une certaine expérience de l'application de la loi canadienne dans le cadre d'enquêtes sur le blanchiment d'argent. Dans le cas de l'affaire Magnitski, nous avons déterminé que des millions de dollars — fruit d'un crime que Sergeï Magnitsky a révélé au prix de sa vie — entraient au Canada. Nous avons déposé une plainte au criminel auprès de la GRC il y a environ cinq ans, présentant une preuve des plus convaincantes. L'endroit où l'argent est allé était évident. Nous avons découvert qu'il avait servi à l'achat de biens immobiliers. La GRC a initialement lancé une enquête, mais n'a jamais saisi ces biens, puis a discrètement fermé l'enquête.
    Je ferais observer que c'est probablement là une des plaintes officielles les mieux ficelées...
    Je vous remercie.
    ... que la GRC ait pu recevoir.
    Je suis certain que vous aurez l'occasion de fournir d'autres explications plus tard.
    Nous accordons maintenant la parole à M. Zuberi pour sept minutes.
    Je tiens à remercier tous les experts qui témoignent devant notre comité afin de nous informer.
    Je voudrais poser ma première question à M. Mendes à propos des sanctions Magnitsky. Vous avez évoqué deux noms, mais j'aimerais connaître votre avis. Le 9 juillet 2020, le département du Trésor des États-Unis a appliqué ces mêmes sanctions à un certain nombre de personnes et à une entité. Je voulais obtenir votre avis à ce sujet. Il y a le secrétaire du Parti communiste pour la région autonome ouïghoure, Chen Quanguo, ainsi que Zhu Hailun, ancien secrétaire adjoint de cette région. Il y a également Wang Mingshan, le Bureau de la sécurité publique du Xinjiang et une autre personne.
    Monsieur Mendes, pensez-vous qu'il faille aller aussi loin? Vous n'avez nommé que deux personnes initialement.
    Je ne sais pas si M. Browder souhaiterait également répondre à cette question.
(1145)
    Si toutes les personnes que vous avez nommées ont joué un rôle dans la détention, alors certainement.
    J'ai nommé ces deux personnes en particulier parce que le fait de les cibler permet d'atteindre les sphères supérieures du pouvoir, particulièrement dans le cas de Chen Quanguo, puisqu'il est membre du bureau politique du parti. Autrement dit, il travaille pour le président Xi Jinping. Si nous ciblions cette personne en particulier, nous enverrions un message directement à Xi Jinping.
    Comme je l'ai souligné — et je pense que nous devons l'admettre —, un tel geste pourrait avoir des conséquences, mais je pense que nous devons absolument faire preuve de fermeté, même si cela arrive. C'est la raison pour laquelle je mets l'accent sur ces deux personnes. La deuxième est le gouverneur du Xinjiang, Shohrat Zakir, qui n'occupe toutefois pas un poste aussi élevé que Chen Quanguo. Voilà pourquoi je mets l'accent sur ces deux personnes.
    D'accord. J'ai une question de suivi à ce sujet. Le 5 décembre 2019, l'ambassadeur de la Chine au Canada a indiqué que si le Canada adoptait une forme quelconque de sanctions comme celles dont nous parlons, il y aurait des « contre-mesures très fermes ». Comment les législateurs devraient-ils réagir à cette déclaration de l'ambassadeur chinois, qui considère que si nous appliquons des sanctions, la Chine répliquera avec des contre-mesures très fermes? Que répondez-vous à cela?
    Eh bien, je pense que c'est ce que Bob Rae avait en tête quand il a formulé son observation, et la même chose est arrivée au Royaume-Uni quand il a déclaré qu'il ne confierait pas ses réseaux 5G à Huawei.
    Il est temps que les pays démocratiques... et c'est là que je nous incite à former notre alliance avec tous les pays démocratiques. Nous ne pouvons pas simplement baisser pavillon face à un tel chantage. Si les Chinois nous menacent, nous devons déterminer les conséquences que nous pouvons leur imposer.
    Nous devrions notamment nous intéresser au fait que la Chine tient plus que tout à la capacité de croissance continue de sa sphère économique, une croissance sur laquelle elle compte beaucoup grâce à sa collaboration avec le reste du monde au chapitre du commerce et des investissements. Nous devrions commencer à réfléchir à la manière dont nous pouvons tirer parti du secteur privé et des liens économiques et d'affaires pour imposer des conséquences aux Chinois s'ils continuent de s'adonner à ce genre de chantage.
    En clair, vous nous dites qu'il faut adopter une approche multilatérale en réaction à la déclaration de l'ambassadeur de la Chine. Vous nous indiquez en outre que nous devrions tirer parti des moyens coercitifs dont nous disposons ici, à l'échelle locale, notamment du contrôle économique.
    Nous savons qu'un institut australien a dressé une liste d'environ 80 entreprises qu'il nomme, comme Nike, Adidas et d'autres, dont les chaînes d'approvisionnement sont remises en question. Nous entendons parler des produits capillaires et du coton, dont 84 % sont fabriqués dans la région autonome ouïghoure, dans l'Est du Turkestan, dans la région du Xinjiang. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
    Il est également question de l'équipement de sécurité, et de la manière dont notre technologie pourrait en fait appuyer les activités de sécurité et de surveillance dans les camps de concentration.
    Pourriez-vous traiter de ces deux points, soit ceux des chaînes d'approvisionnement et des appareils de sécurité?
    Certainement. Dans une certaine mesure, une alliance existe déjà à cet égard. Au titre de l'accord commercial conclu récemment entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, l'importation de biens fabriqués en tout ou en partie grâce au travail forcé est interdite depuis le 1er juillet. Il y a là quelque chose que nous pourrions commencer à examiner avec les États-Unis et, espérons-le, avec d'autres alliés afin de déterminer comment nous pouvons cibler les entreprises qui recourent au travail forcé dans la région du Xinjiang. C'est là quelque chose que nous devrions commencer à faire presque immédiatement.
    De plus, en ce qui concerne l'équipement de sécurité et les divers appareils, j'espère que nous songerons au fait que nous avons déjà une alliance en matière de sécurité nationale avec le Groupe des cinq, laquelle concerne la sécurité nationale de façon plus générale. Il est temps que nous commencions à réfléchir à la manière dont nous pouvons élargir ce groupe et à nous occuper de la sécurité nationale d'un point de vue plus global afin de protéger nos valeurs sur les plans de la primauté du droit, des droits de la personne et d'autres questions. En d'autres mots, nous devons élargir le Groupe des cinq afin d'y intégrer peut-être des membres de l'Union européenne et d'autres pays démocratiques avec lesquels nous pouvons collaborer afin de voir comment nous pouvons empêcher la Chine de commettre de graves crimes internationaux pour faire progresser sa stratégie économique, car au bout du compte, à long terme, c'est ce à quoi elle tient le plus.
(1150)
    Je vous remercie.
    Je voudrais poser une brève question sur la responsabilité de protéger. Dans le temps qu'il me reste, soit moins d'une minute, pouvez-vous traiter de la responsabilité de protéger et de l'obligation du Canada?
    Volontiers. Nous sommes l'un des architectes de la responsabilité de protéger. En fait, en 2005, notre ambassadeur a réussi à présenter ce principe aux Nations unies afin d'obtenir le consentement des chefs des États membres.
    Sachez que la responsabilité de protéger ne se limite pas à l'envoi de forces armées, puisqu'un de ses objectifs fondamentaux vise à prévenir les actes de ce genre. Mais comment peut-on les prévenir? C'est exactement ce dont nous parlons avec les sanctions Magnitski. Nous pouvons collaborer avec nos alliés pour déterminer ce qui pourrait pénaliser la Chine pour qu'elle cesse ses exactions. Autrement dit, nous devrions mettre l'accent sur les mesures préventives, comme Mme Kanji l'a indiqué en parlant du devoir de prévenir le génocide.
    Je vous remercie, monsieur Mendes.
    Nous accorderons maintenant la parole à M. Brunelle-Duceppe pour sept minutes.

[Français]

     Je vous remercie, monsieur le président.
    Je tiens à souligner l'immense pertinence et compétence de nos témoins aujourd'hui et de ceux que nous avons entendus hier. Je les remercie beaucoup, tous et toutes.
    Ma première question s'adresse à Mme Alexeeva.
    Pendant votre témoignage, j'ai cru comprendre que vous faisiez un lien entre le projet d'une nouvelle route de la soie et la situation qui a cours actuellement dans la province du Xinjiang. Cela me semble assez intéressant. Pourriez-vous nous en parler davantage?
     La nouvelle route de la soie est un projet cher à Xi Jinping. En fait, on pourrait dire que c'est son plus grand projet. Il est directement lié à la mise en place de ce dispositif, puisque cette route va faire partie des voies terrestres principales qui passent par le Xinjiang. Encore aujourd'hui, plusieurs gazoducs et oléoducs de l'Asie centrale passent par le territoire du Xinjiang, et il y en aura bientôt de la Russie aussi.
    Ce qui inquiète donc Pékin aujourd'hui, c'est que la région est instable et que ce projet peut être compromis. Toutes sortes de troubles peuvent remettre en question la fiabilité de ce projet et la délivrance du gaz et du pétrole vers la Chine, mais aussi la mise en exploitation des ressources du gaz et du pétrole sur le territoire du Xinjiang lui-même. Le centre de coordination du projet de la nouvelle route de la soie devrait être situé à Urumqi, la capitale du Xinjiang. C'est donc en quelque sorte une vitrine du projet de route vers les pays d'Asie centrale, le Pakistan et l'Afghanistan. Alors, si tout va mal dans cette région, cela ne peut pas être une vitrine du projet.
    Je vous remercie.
    Officiellement, le Xinjiang est une région autonome, mais parle-t-on ici d'autonomie véritable?
    C'est une région officiellement autonome, mais il n'y a pas vraiment d'autonomie. Oui, il y a un gouvernement régional, mais en fait, beaucoup de pouvoirs appartiennent au Corps de production et de construction du Xinjiang, qui compte 2,5 millions de soldats chinois démobilisés et qui est dirigé directement par le Conseil des affaires de l'État chinois, qui contrôle un tiers des terres arables au Xinjiang et un quart de la production industrielle. C'est comme un minigouvernement au sein du gouvernement qui est un instrument de police, de surveillance et de gestion économique.
    Cette autonomie est inscrite sur papier, ce qui permet à la Chine de dire qu'elle n'opprime pas les minorités et qu'elles sont autonomes, mais en réalité, tous les postes essentiels au sein de l'administration régionale sont occupés par les Chinois. Les cadres ouïghours sont des postes subalternes, et si les Ouïghours veulent faire carrière au sein de la fonction publique, ils doivent maîtriser parfaitement le mandarin, être membres du Parti communiste et renoncer ouvertement à la foi musulmane et à ses rites. C'est très particulier. Ce n'est pas du tout, malgré le nom, une région autonome, et elle ne pourra jamais l'être.
(1155)
    Hier, et aujourd'hui encore, plusieurs témoins nous ont parlé de pratiques d'assimilation que les autorités chinoises appliquent au Xinjiang.
    Pourriez-vous nous en parler davantage?
    Il y en a beaucoup. Par exemple, depuis les années 1960, on force les Ouïghours à élever des porcs. Ils sont musulmans, mais comme ils sont citoyens de la Chine, on dit que cela ne devrait leur poser aucun problème. Lorsque je suis allée à Urumqi, dans tous les restaurants, on nous proposait du porc.
    En ce qui concerne la langue, c'est pareil. Oui, il existe des écoles où on peut suivre un enseignement en ouïghour. Le problème, c'est que, si on veut entrer à l'université par la suite, il faut le faire en chinois. Si on veut faire une carrière, que ce soit en tant que professeur à l'université, fonctionnaire ou entrepreneur, on doit parler chinois. Pour les autorités chinoises, l'intégration passe donc par la langue et par la culture. Ainsi, les Ouïghours qui veulent réussir ne peuvent pas le faire dans leur langue maternelle et dans la culture ouïghoure, mais seulement en chinois. En d'autres mots, ils doivent accepter la culture dominante.
    D'accord. Je vous remercie, madame Alexeeva.
    Monsieur Browder, pourriez-vous nous dire combien de citoyens chinois ayant des avoirs au Canada pourraient être touchés par les sanctions Magnitski?

[Traduction]

    Je dirais tout d'abord que la loi Magnitski ne dépend pas de la possession d'avoirs au Canada. Cette loi vise à nommer et à couvrir de honte les personnes concernées. Si ces personnes ont des avoirs au Canada, c'est un atout de plus. Si on examine la liste des 200 personnes qui ont été sanctionnées aux États-Unis en vertu de la Global Magnitsky Human Rights Accountability Act, on constate qu'un nombre infime d'entre elles ont des avoirs aux États-Unis. Cependant, à partir du moment où quelqu'un est ajouté à la liste des sanctions, il devient essentiellement un paria dans le milieu des banques et des finances internationales, et ne peut plus ouvrir de comptes où que ce soit.
    Je ferais tout d'abord remarquer, en réponse à une question précédente sur le nombre de fonctionnaires chinois qui devraient être sanctionnés, qu'il faudrait en punir bien plus que les quatre qui ont été sanctionnés par les États-Unis. Pour que tout soit bien clair, 52 personnes figurent sur la liste Magnitski des États-Unis, et ce n'est que pour une affaire. Nous parlons ici d'un génocide qui touche un million d'Ouïghours. Pareil génocide ne peut avoir lieu sans une organisation de grande envergure. Je pense qu'il faudrait dresser une très longue liste de fonctionnaires chinois pour que leurs noms soient connus et qu'ils soient couverts de honte. Les autres personnes qui pourraient être impliquées pourraient ainsi commencer à craindre d'être nommées et humiliées, et de se voir mises au ban du milieu international des finances.
    C'est maintenant Mme McPherson qui a la parole pour sept minutes.
    Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie tous nos témoins de participer à la séance d'aujourd'hui. Hier, bien entendu, nous avons entendu des témoins, qui ont livré des témoignages fort émouvants qui étaient très difficiles à entendre dans bien des cas. J'aimerais qu'aujourd'hui, nous ayons une bonne discussion sur les propositions que nous pouvons présenter.
    Je commencerai en me faisant un peu l'avocate du diable, pas nécessairement parce que je n'approuve pas la loi Magnitski ou l'interpellation d'individus, mais simplement pour faire la lumière sur les conséquences.
    Monsieur Browder, je vous interrogerai, puis je poserai peut-être des questions à M. Mendes par la suite.
    Nous savons que la loi Magnitski cible des personnes et n'a en fait aucune incidence sur le régime sous-jacent. Comment pouvons-nous induire des changements systématiques et généralisés en Chine, pas seulement dans le dossier des Ouïghours, mais aussi dans le cas de Hong Kong et de Falun Gong, en nous attaquant à une personne à la fois? C'est une question. L'autre est la suivante: quand on cible des personnes, pourrions-nous nuire à notre capacité de recourir à la diplomatie et à la persuasion si on accentue nos mesures et crée la confrontation?
    Peut-être pourriez-vous nous donner tous les deux votre avis à ce sujet. Je pense savoir ce que vous allez dire, mais j'aimerais vous entendre le dire de vive voix.
(1200)
    L'avantage de la loi Magnitski, c'est qu’elle ne sanctionne pas le pays. Pourquoi est-ce un avantage? Comme un grand nombre de personnes sont également victimes du régime en Chine, on se retrouve à sanctionner les victimes plutôt que les acteurs. Je ne pense pas que le Canada ait quoi que ce soit contre le peuple chinois; c'est avec les architectes du génocide et le gouvernement chinois que le Canada et le monde ont maille à partir.
    L'autre avantage de la loi Magnitski, c'est que si quelqu'un proposait maintenant que le monde rompe ses relations commerciales et diplomatiques avec la Chine en raison de cette affaire, tout le monde dirait que c'est complètement irréaliste et que cela ne se produira jamais. La Chine est un acteur commercial, financier et diplomatique bien trop important. La loi Magnitski a ici l'avantage de permettre aux gouvernements du Canada, des États-Unis, du Royaume-Uni et d'autres pays d'imposer de véritables sanctions aux gens qui commettent de réelles exactions, tout en restant réalistes et en ne mettant pas tout bonnement fin à leurs relations commerciales et diplomatiques avec la Chine. Voilà ce que je qualifierais de mesure intermédiaire puissante, dont l'envergure ne se compare en rien à celle d'un génocide.
    Je devrais faire remarquer en passant qu'il n'est pas nécessaire de prouver l'existence d'un génocide pour appliquer la loi Magnitski. Ce n'est pas nécessaire. On peut l'appliquer en raison de violations des droits de la personne. Ces violations sont définies de façon claire, alors que le génocide peut l'être ou pas. Je pense qu'il l'est. Dans la situation présente, les personnes qui commettent un génocide satisfont déjà au seuil. Vous pouvez intervenir; c'est politiquement possible, et vous n'avez pas à faire cavalier seul. Vous pouvez collaborer avec le Royaume-Uni et les États-Unis. Vous pouvez intervenir de manière à faire comprendre que ce n'est pas acceptable et que la situation ira en s'envenimant dans l'avenir.
     Je vous remercie.
     Monsieur Mendes, souhaitez-vous ajouter quelque chose?
    La communication avec M. Mendes est rompue pour le moment.
    D'accord. Quand la communication sera rétablie, j'aurai une autre question pour lui. J'espère avoir une autre occasion de la lui poser.
     Madame Alexeeva, vous avez brièvement parlé de la radicalisation des activistes ouïghours dans la région du Xinjiang. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet, je vous prie?

[Français]

     Oui, bien sûr.
    C'est vrai qu'une partie des combattants ouïghours qui mènent la lutte contre les mesures répressives du gouvernement chinois font partie d'organisations islamistes terroristes. Certaines de ces organisations sont reconnues comme telles, y compris par le gouvernement canadien. Je parle notamment du Parti islamiste du Turkestan, mais il y en a d'autres.
    Le problème, c'est que la Chine les représente tous comme des combattants faisant partie de cette mouvance internationale djihadiste. En vérité, quand on regarde les données, par exemple le nombre de combattants ouïghours à Guantanamo ou le nombre de combattants ouïghours arrêtés après le démantèlement de Daech, on se rend compte qu'ils se comptent par dizaines, et non par centaines comme le gouvernement chinois le prétend.
    Oui, il y a une partie des jeunes qui se radicalisent, ce qui n'est pas surprenant dans la mesure où ils n’ont pas d'autres tribunes ou façons de s'exprimer. Ils n'ont pas de voix ou de marge pour agir, et cela a créé un milieu favorable au recrutement, y compris par les écoles coraniques et des mouvements djihadistes internationaux. Cependant, je vous répète que ce sont des groupuscules, de tout petits groupes. On ne peut pas dire que, même parmi les diverses organisations ouïghoures plus ou moins radicales, ils sont tous d'inspiration islamiste terroriste. Oui, il y en a quelques-uns, mais c'est une minorité.
(1205)

[Traduction]

    La communication avec M. Mendes est rétablie.
    Je vous remercie beaucoup.
    J'interrogerai très brièvement Mme Kanji et Mme Alexeeva. Nous connaissons, bien entendu, les sentiments antimusulmans et islamophobes du gouvernement chinois. Considérez-vous que ces sentiments font en sorte qu'il soit bien plus difficile pour les pays étrangers d'intervenir à cet égard?
    Vous disposez d'une trentaine de secondes.
    Oui, certainement. La Chine fait valoir que les pays comme les États-Unis sont extrêmement hypocrites en critiquant ses politiques islamophobes, puisqu'ils ont adopté des politiques frappant les musulmans d'une interdiction de voyage. Mais même au-delà de l'hypocrisie, nous savons que certaines pratiques de la guerre au terrorisme — comme l'assertion voulant que le port de la barbe ou du voile soient des signes d'extrémisme ou de radicalisation, initialement utilisée dans le cadre de programmes de lutte contre la radicalisation dans des pays comme les États-Unis — ont servi à justifier le recours par la Chine à la diabolisation et à l'extrapolation extrême du concept selon lequel le port de la barbe ou du voile est maintenant interdit en vertu de mesures comme la réglementation de l'extrémisme.
    Il est donc crucial que nous nous attaquions à l'islamophobie qui teinte fortement les pratiques de la guerre au terrorisme ici, mais cela n'excuse en rien les politiques génocidaires de la Chine.
    Je vous remercie, madame Kanji.
    Nous entamons maintenant notre deuxième tour de questions. C'est Mme Khalid qui a la parole pour cinq minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président
    Je remercie les témoins de leurs explications très convaincantes.
    Je veux reprendre le fil d'une des discussions que nous avons eues aujourd'hui ainsi qu'hier. Madame Kanji, je veux revenir à quelque chose que vous avez dit au sujet de ce qu'il se passe en Chine actuellement. Comment réagissent les autres minorités de la Chine ou la population chinoise en général à ce qu'il se passe dans la province du Xinjiang?
    Il est certainement possible de tisser de solides alliances, compte tenu des diverses expériences des communautés minoritaires qui ont été assujetties et réprimées par le régime chinois. Par exemple, quand il est question du Tibet, le fonctionnaire du Parti communiste responsable de la mise en oeuvre des politiques extrêmement répressives dans l'État du Xinjiang avait précédemment mis ces politiques à l'essai lors de la répression extrême exercée au Tibet, un territoire qui, soit dit en passant, est également qualifié de région autonome, alors même que nous constatons avec ironie que ce sont justement les régions dites autonomes qui se voient privées de toute forme d'autonomie et d'exercice de la liberté.
    Quand nous nous penchons sur la situation dans le Xinjiang, je pense que nous devons comprendre que les musulmans et les Ouïghours ne sont pas les seuls à être ciblés ainsi. Ils se trouvent plutôt aux premières lignes et dans la mire directe d'un projet de répression bien plus vaste. Nous savons que de nombreuses techniques de surveillance mises à l'essai dans la région du Xinjiang sont maintenant exportées dans d'autres régions de la Chine, notamment dans le cadre de la réaction à la pandémie du coronavirus. Il est donc certainement possible de former de nombreuses alliances et solidarités, compte tenu des expériences des divers groupes minoritaires et réprimés de la Chine et les sévices dont sont victimes les Ouïghours dans la région du Xinjiang.
    Je vous remercie.
    M. Mendes est-il de retour? Il l'est.
    La présente question s'adresse à M. Mendes et peut-être à M. Browder également. Ces derniers jours, nous avons considérablement parlé de la nécessité de mettre fin au travail forcé, particulièrement dans un pays comme le Canada. Ce dernier a nommé un ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises, dont le travail intéresse fortement notre comité depuis quelques années. Je me demande comment nous pourrions utiliser cet ombudsman pour renforcer nos politiques en ce qui concerne le travail forcé résultant de violations des droits de la personne comme celles que commet la Chine.
(1210)
    Je peux répondre à cette question en premier.
    En ce qui concerne l'ombudsman, vous n'ignorez pas qu'il existe une controverse quant au fait qu'il existe ou non des outils suffisants pour pouvoir accomplir ce que les ONG et d'autres intervenants veulent faire. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un mécanisme adéquat. Selon moi, le bon mécanisme, c'est une loi qui vient d'entrer en vigueur le 1er juillet 2020 au titre de l'Accord commercial Canada-États-Unis-Mexique, laquelle stipule que l'importation de produits fabriqués en tout ou en partie grâce au travail forcé devrait être interdite.
    Comment pouvons-nous appliquer cette mesure? Le projet de loi S-211, qui est parrainé par John McKay, un de vos collègues, et une sénatrice, exigerait que les entreprises rendent obligatoirement des comptes pour prouver qu'elles ont effectué toutes les vérifications nécessaires pour s'assurer qu'elles n'importent pas des produits étant le fruit de l'esclavage moderne ou du travail forcé. Certains ont affirmé que pareille mesure ne va pas assez loin.
    Je recommande au Sous-comité et au Comité de s'intéresser à ce que font des pays comme la France, qui prennent à mon sens des mesures fort efficaces. Il faut adopter une loi sur la diligence raisonnable qui oblige les entreprises à démontrer à l'avance qu'elles ne recourent pas à l'esclavage moderne ou au travail forcé, et qui exige que les hauts dirigeants de ces entreprises déclarent à l'avance qu'ils se sont assurés qu'aucun produit n'est le fruit du travail forcé, à défaut de quoi ils s'exposent à des sanctions.
    Je pense que nous devrions nous inspirer de l'Europe, et certainement de la France, pour réfléchir à la manière dont nous pouvons en faire plus que nous ne le faisons déjà. Je ne suis pas certain que l'ombudsman constitue un mécanisme suffisant pour intervenir à cet égard.
    Nous accorderons maintenant la parole à M. Genuis pour cinq minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Il y a énormément de thèmes qu'on peut aborder dans ce dossier.
    S'il est un point que je retiens des témoignages de M. Browder et de Mme Kanji, c'est le fait que dans le cadre des efforts de défense des droits de la personne, il semble que nous ayons trouvé des mécanismes comme la loi Magnitski, des doctrines et la responsabilité de protéger, mais ces mécanismes exigent tous l'intervention du pouvoir exécutif. Dans bien des cas, le problème ne vient pas d'une absence d'outils, mais de l'inaction du pouvoir exécutif. Je me demande si nous devons développer quelque peu ces doctrines en obligeant le pouvoir exécutif à agir plus efficacement dans des cas comme celui-ci, peut-être en instaurant des déclencheurs automatiques qui l'obligent à imposer les sanctions Magnitski et à admettre le génocide afin d'honorer ses obligations quand un génocide est commis.
    Personne ne l'a souligné, mais si les États-Unis ont imposé des sanctions, ce n'est pas parce que les hautes instances ont agi de leur propre chef, mais parce que la Uyghur Human Rights Policy Act oblige l'administration Trump à réagir.
    J'aimerais savoir si Mme Kanji et M. Browder jugent que nous devrions faire plus que conférer des outils au pouvoir exécutif et l'obliger à intervenir quand il y a des preuves éclatantes d'un génocide ou des violations flagrantes des droits de la personne.
    M. Browder pourrait répondre en premier, puis Mme Kanji pourra intervenir ensuite.
     Je répondrai en premier.
    C'est une excellente question et un véritable problème. Dans notre campagne de justice pour Sergueï Magnitsky, nous nous sommes toujours dit que la moitié du travail visait à faire adopter la loi, et que l'autre moitié consistait à la faire appliquer.
    Nous avons trouvé un outil intéressant à utiliser aux États-Unis, car nous savons que cela allait arriver. La législation américaine comprend un outil appelé « déclencheur du Congrès ». Rien ne force le gouvernement américain à sanctionner qui que ce soit. On ne peut lui forcer la main. Mais le déclencheur du Congrès fait quelque chose de très intéressant. Si le président et le vice-président de l'un des six comités, comme ceux des affaires étrangères ou du renseignement, proposent un nom au gouvernement américain, ce dernier dispose de 120 jours pour réagir; il peut soit déclarer qu'il a sanctionné cette personne en vertu de la loi Magnitski, soit dire qu'il ne l'a pas sanctionnée en expliquant pourquoi. C'est ce qui se rapproche le plus d'une loi qui oblige le pouvoir exécutif à agir sans le priver de son indépendance...
    Monsieur Browder, je vais vous interrompre pendant quelques instants et vous demander d’arrêter de parler. C’est à cause de l’interprétation.
    Que cherche-t-on, madame la greffière? S’agit-il de son ou bien de vitesse?
(1215)
     Il s’agit de la qualité du son.
    Je ne sais pas si parler un peu plus lentement va aider.
    Est-ce que l’interprète...
    En fait, je vais vous demander de vous dépêcher un peu, parce que...
    Nous allons vous donner le temps. Nous allons nous assurer que vous aurez votre temps, monsieur Genuis.
     Je crois qu’en ce moment, nous avons un problème de connectivité. Je ne crois pas vraiment qu’on puisse améliorer les choses.
    Est-ce que je peux continuer?
    Nous avons besoin d’un consentement unanime avant que vous ne continuiez. Je vois que tout le monde est d’accord. Merci.
    Nous allons donc continuer.
    Monsieur Browder, faute de temps, pouvez-vous nous dire...? En gros, il semble que vous recommandez un mécanisme qui correspondrait au déclenchement du Congrès, mais dans notre propre système législatif. Est-ce exact?
    Je recommanderais que vous conceviez, si possible, une modification à la loi de Magnitski, qui exigerait soit un déclencheur soit une forme de rapport obligatoire au Parlement, qui vous donnerait un droit de regard plus important sur la raison pour laquelle les sanctions ont été appliquées ou non, et qui maintiendrait le gouvernement en état d’alerte.
    Merci.
    Madame Kanji, vous pourriez peut-être nous dire ce que vous en pensez dans le cadre de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, surtout de la responsabilité de prévention et des obligations des États. Que pensez-vous de l'idée d'avoir des mécanismes plus forts pour contraindre les dirigeants, comme par exemple des déclencheurs automatiques ou des exigences de rapports?
    En ce qui a trait à l’obligation de prévenir un génocide — qui est une obligation pour tous les signataires de cette Convention, même en dehors de la responsabilité de protéger — cette responsabilité se déclenche pour tous les États lorsque les conditions objectives d’un risque sérieux de génocide se réunissent, comme dans le cas actuel des Ouïghours et des Rohingyas.
     L’obligation consiste à faire preuve de diligence raisonnable. Le système international et la Cour Internationale de Justice reconnaissent que tous les États ne disposent pas du même pouvoir pour arrêter un génocide, mais ils reconnaissent que tous les États doivent faire preuve de diligence raisonnable et prendre toutes les mesures concrètes en leur pouvoir pour prévenir un génocide ou réprimer un génocide déjà engagé. Ce sont déjà des obligations du Canada conformément à la loi internationale. S’il y a un moyen de les traduire dans une loi nationale, je suis d’accord avec M. Browder pour dire que ce serait une bonne chose.
    Pour le génocide des Rohingyas, il y a eu beaucoup de confusion à propos du déclencheur et en particulier à propos du seuil de déclenchement de cette obligation de prévenir un génocide et, même après qu’on l’a défini comme étant un génocide, dans les discussions pour savoir si l’obligation de prévenir, pour le Canada, avait été réellement déclenchée en vertu de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Pour être claire, dès qu’on peut constater les signes d’un risque sérieux, l’obligation de prévenir est déclenchée. Et je crois que c’est actuellement le cas en ce qui concerne les Ouïghours.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Le point essentiel c’est le cas dès que le risque est présent.
    Merci.
    Monsieur Brunelle-Duceppe, allez-y, je vous prie. Vous avez cinq minutes.

[Français]

     Je vous remercie, monsieur le président.
    Ma question s'adresse à Mme Alexeeva.
    Comme nous le savons, lors de l'Holocauste, les nazis voulaient exterminer les Juifs. Cependant, plusieurs autres minorités se sont retrouvées dans des camps de concentration.
    J'aimerais établir un genre de parallèle, ici. Sait-on si, dans la situation actuelle au Xinjiang, des minorités autres que les Ouïghours se retrouvent dans les camps des autorités chinoises?
     Dans les camps du Xinjiang, on retrouve même des Kazakhs, des Hui et toutes les minorités musulmanes qui vivent sur le territoire chinois.
    Il faut savoir qu'avant d'implanter ces centres de rééducation sur le territoire du Xinjiang, le gouvernement chinois les a testés ailleurs, soit au Tibet. On a créé pour les moines bouddhistes ce qu'on appelait à l'époque les écoles de rééducation, un peu comme des camps d'été pour les populations déviantes. On y envoyait des moines tibétains, des opposants politiques et des sympathisants sur Internet de telle ou telle idée non soutenue par le gouvernement chinois.
    Ces projets pilotes ont été testés en 2014 et en 2015. Quand il a constaté non pas que cela fonctionnait bien, mais que cela donnait les résultats souhaités, le gouvernement chinois en a augmenté l'ampleur et a créé de véritables camps d'internement et de concentration sur le territoire du Xinjiang. Cela concerne également d'autres minorités, musulmanes ou non, qui vivent sur le territoire chinois.
(1220)
    Je vous remercie beaucoup.
    J'ai une question à poser à Mme Kanji.
    Hier matin, je lisais une lettre ouverte du consul général de Chine au sujet de Hong Kong et de la loi sur la sécurité, qui touche aussi les Ouïghours. Cette lettre a paru dans le journal La Presse. C'est troublant, parce que je soupçonne que ce genre de prise de parole sert à changer le discours médiatique occidental sur la Chine.
    Madame Kanji, des officiels chinois ont-ils pris la parole dans d'autres médias occidentaux? Selon vous, cela signifie-t-il que la pression sur la Chine commence à être plus forte?

[Traduction]

     Je suis désolé, mais la question n’était pas claire. À propos de quoi exactement ont-ils publié des articles dans d'autres journaux occidentaux?

[Français]

    Le consul général de Chine ici a publié une lettre dans un journal national du Canada, dans laquelle il vante la loi sur la sécurité s'appliquant à Hong Kong. Cela touche aussi les Ouïghours.
    Avez-vous entendu parler d'autres officiels chinois dans le monde occidental qui commencent à prendre la parole dans les médias nationaux? Cela veut-il dire que la Chine commence à sentir de la pression, selon vous?

[Traduction]

    Je ne suis pas au courant, mais peut-être que d’autres personnes de ce groupe d’experts, y compris Mme Alexeeva, pourraient en savoir davantage.

[Français]

    Madame Alexeeva, pouvez-vous répondre à cette question?
    C'est vrai que, depuis quelque temps, on voit une augmentation des interventions de fonctionnaires chinois, en particulier du corps diplomatique. Il y a également l'ambassadeur de Chine en Grande-Bretagne ou en France qui prend la parole. Ses propos sont de plus en plus affirmatifs. On ne prend pas en compte la réaction du public, des gens qui les entendent ou des journalistes qui posent des questions. Il y a un scénario et on va droit au but.
    Cela caractérise la politique étrangère chinoise depuis l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping. La Chine ne veut plus ou ne veut pas entendre les autres. Chaque fois qu'on la critique, par exemple pour sa position relativement au Xinjiang, les fonctionnaires chinois disent que personne ne critique la Chine, que même les pays musulmans comme l'Arabie saoudite et la Turquie ne disent rien, alors qu'en Turquie la diaspora ouïghoure est particulièrement importante. Ils disent que même les pays musulmans ne la critiquent pas, et qu'ils ne voient alors pas en quoi cela concernerait les pays occidentaux.
    Je vous remercie beaucoup.

[Traduction]

    Merci.
    Madame Vandenbeld, vous disposez de cinq minutes.
    Merci beaucoup à tous les témoins. C'est toujours une bonne chose d'avoir des professeurs de l'Université d'Ottawa dans le groupe d'experts.
    J'ai d'abord une question qui s'adresse à vous, madame Kanji. Dans votre exposé, vous avez parlé de l'utilisation de maladies, en particulier du coronavirus, dans les camps d'internement, si j'ai bien compris. Vous l'avez mentionné en passant, mais j'aimerais que vous développiez le sujet. Est-ce délibéré? Pouvez-vous peut-être nous en dire plus?
     Encore une fois, étant donné l'imposition d'un secret total et la difficulté d'accès à la région, il est difficile d'en être certain. Cependant, nous avons des rapports émanant des Ouïghours et d'organismes de défense qui expriment une grande inquiétude quant au fait que, alors que la Chine fermait de nombreuses institutions publiques pour éviter la propagation du coronavirus, les camps de concentration n'étaient pas fermés. Les gens étaient toujours envoyés dans les camps de travail, où il y avait manifestement un risque élevé d'être exposé au coronavirus.
    Cela révèle, à tout le moins, le peu de cas qui est fait de la protection de la vie des Ouïghours. Au pire, cela révèle l'utilisation cynique de la pandémie du coronavirus pour atteindre des objectifs d'éradication déjà présents.
(1225)
    Merci. C'est très alarmant, en effet.
    Monsieur Mendes, vous disiez que nous avons besoin d'une stratégie à long terme pour travailler avec nos alliés traditionnels, voire d'élargir le Groupe des cinq. Que supposerait une stratégie à long terme pour la Chine exactement et comment cela ferait-il intervenir les partenaires multilatéraux?
    Lorsque vous examinez les moyens de faire agir cette soi-disant deuxième superpuissance du monde, vous devez vous intéresser à ce dont elle se soucie le plus. Ce dont la Chine se soucie le plus en ce moment, c'est de la croissance économique. Beaucoup de ce qu'a promis le parti communiste à son peuple, c'est, en gros, tant que nous vous promettons la croissance économique, vous respectez le fait que nous sommes au pouvoir et nous pouvons faire ce que nous voulons. C'est le pacte conclu par le parti communiste chinois.
    Cela dépend aussi de la coopération du reste du monde avec la Chine pour cette croissance économique, que ce soit dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, que ce soit en matière d'investissements ou de relations d'affaires, etc. C'est là qu'il me semble essentiel de ne pas se contenter d'une approche multilatérale, si vous voulez, mais de faire également intervenir le secteur privé. Il faudrait trouver un moyen de travailler avec divers domaines du secteur privé d'autres pays et de trouver un terrain d'entente afin de prévenir le travail forcé, le travail des enfants, et d'éviter les situations dans lesquelles ils pourraient se retrouver complices de violation des droits de la personne ou à favoriser les violations des droits de la personne dans ces pays, par exemple en fournissant des technologies de surveillance. Je pense que cela sera beaucoup plus efficace pour convaincre la Chine que de faire des déclarations, etc.
    Je crois qu'il faut que les pays démocratiques travaillent ensemble. Je crois qu'il nous faut un leadership politique. C'est pourquoi j'ai trouvé très encourageant que l'ancien vice-président, M. Biden, dise que l'un de ses principaux objectifs est d'organiser un sommet démocratique afin de prendre en main ce type de problèmes. Nous devrions dire dès maintenant au futur président des États-Unis: « Nous sommes avec vous. Nous allons travailler avec vous. Nous allons travailler de concert avec les pays démocratiques pour voir comment nous pouvons mettre cela en place au niveau politique, au niveau du gouvernement et au niveau du secteur privé et voir comment trouver un moyen de travailler ensemble ».
     Et je l'espère, nous aurons des champions comme M. Bill Browder, qui a la crédibilité nécessaire pour promouvoir cela aux États-Unis et je suis sûr qu'il le ferait si nous le lui demandions.
    Monsieur Browder, souhaitez-vous brièvement commenter ce qui vient d'être dit?
    Je crois qu'à l'heure actuelle il y a un véritable sentiment d'indignation dans le monde à propos de toute cette histoire. Je vous parle du Royaume-Uni, où règne le même sentiment d'indignation en ce moment au sein du Parlement britannique sur la situation des Ouïghours. J'ai témoigné devant le Parlement australien sur le sujet de la loi de Magnitski, et on retrouve là-bas aussi le même sentiment d'indignation quant à la situation des Ouïghours. Il y a, semble-t-il, un fort engouement, pour faire tout cela...
    Merci.
    Monsieur Zuberi, vous disposez de cinq minutes.

[Français]

     Je vous remercie tous d'être présents.
    Ma question s'adresse à Mme Alexeeva, qui est professeure à l'UQAM.
    Vous mentionnez que d'autres minorités, dans la province du Xinjiang, sont aussi visées par les programmes du gouvernement.

[Traduction]

    Sont-ils ciblés seulement parce qu'ils sont dans la région, et ne parle-t-on d'eux que parce qu'ils sont un corollaire direct de ce que subit le peuple ouïghour?

[Français]

     En fait, les Ouïghours sont majoritaires en tant qu'ethnie au Xinjiang. Les membres d'autres ethnies comme les Kazakhs, les Kirghizes et les Hui sont moins nombreux et représentent au maximum 1 ou 2 % de la population minoritaire du Xinjiang. C'est pourquoi on en parle un peu moins. Toutefois, ces questions ont été abordées par les activistes kazakhs et kirghizes au Kazakhstan et au Kirghizistan.
     Le problème est que les gouvernements de ces pays de l'Asie centrale ne peuvent pas faire face à la Chine. En effet, ils ne peuvent pas la critiquer ouvertement parce qu'ils sont très dépendants des relations économiques avec la République populaire de Chine. On en parle donc beaucoup moins, et c'est malheureux. Comme les Ouïghours ont souffert davantage et qu'ils sont plus nombreux, on parle plus d'eux. Il est important d'ajouter que les Ouïghours ne sont pas les seuls à être touchés et que toutes les minorités musulmanes du Xinjiang le sont aussi.
(1230)

[Traduction]

     Alors, vous dites que nous portons à juste titre notre attention sur le peuple ouïghour, parce qu'ils sont victimes d'un génocide, comme nous l'ont dit de nombreux témoins qui ont comparu, mais que nous ne nous occupons pas forcément de ces plus petits groupes, malgré le fait que le même programme est appliqué.
    Est-ce exact?

[Français]

    Tout à fait, mais on peut dire la même chose des minorités du Tibet. En effet, quelques minorités du Sud-Ouest se retrouvent-elles aussi dans des écoles de rééducation.
    Oui, mais le Tibet est un cas différent.

[Traduction]

    Là où je voulais en venir, c'est que le Tibet est tout autre chose, ce n'est pas le même programme. Si la personne qui a mis en œuvre le programme au Tibet a été mutée dans la province de Xinjiang, selon ce que j'ai pu comprendre, pour mettre en œuvre et reproduire le même programme dans cette province, toutefois le programme dans la province de Xinjiang met essentiellement l'accent sur le peuple ouïghour, mais les autres minorités, par extension, sont absorbées dans ce programme. C'est à cela que je voulais en venir.
    Est-ce exact?

[Français]

    Oui et non. L'individu qui a mis sur pied ces camps, Chen Quanguo, est celui contre lequel on veut prendre des sanctions. Il a été chef du parti communiste au Tibet. Il a transposé ses expériences tibétaines au Xinjiang. Cela dit, les Ouïghours ne sont pas les seuls à vivre au Xinjiang. Il y a aussi les Hui, les Kirghizes et les Kazakhs. Comme l'objectif est de lutter contre l'extrémiste musulman, pour les Chinois, la question ethnique est moins importante que la question religieuse, en fin de compte. Ces gens se retrouvent dans des camps à cause de leur religion. C'est aussi à cause de leur origine ethnique, mais cet aspect est secondaire. La question de la religion est prépondérante aux yeux des autorités chinoises.

[Traduction]

    Donc le facteur déterminant est le facteur religieux...?

[Français]

    Oui.

[Traduction]

    ... c'est-à-dire que le peuple ouïghour est à majorité musulmane et les autres groupes sont également à majorité musulmane et sont embarqués dans le même programme aussi?

[Français]

    Tout à fait.

[Traduction]

    Madame McPherson, vous disposez de cinq minutes pour poser vos questions.
    Merci, monsieur le président.
    Je voudrais commencer par adresser quelques questions à M. Mendes. J'ai raté l'occasion tout à l'heure de poser des questions sur l'idée d'exercer une pression sur le secteur privé et comment cet outil peut être mis à profit.
    Vous avez dit que l'ombudsman canadien n'avait pas beaucoup de pouvoir, qu'il n'avait pas les moyens de faire le travail qu'il a besoin de faire. C'est quelque chose qui me tient très à cœur et sur laquelle j'ai travaillé pendant plusieurs années.
    Selon vous, est-il possible d'élargir la compétence de l'ombudsman pour le rendre plus efficace?
    Et aussi, à quelles autres lois pensez-vous que le gouvernement du Canada et les parlementaires canadiens devraient réfléchir pour l'avenir en vue de disposer de lois pertinentes et fortes contre l'esclavage, comme celles qui existent en France, comme vous l'avez mentionné?
    Pouvez-vous nous en dire davantage, s'il vous plaît?
     Pour ce qui concerne l'ombudsman, l'une des critiques exprimées par la société civile, que vous devriez examiner, c'est que c'est surtout sur une base volontaire. Le secteur privé n'a de fait aucune obligation de se conformer aux décisions de l'ombudsman. En deuxième lieu, il n'a pas la compétence, aux termes de la Loi sur les enquêtes, d'exiger de la documentation, etc. Il n'a pas le pouvoir d'enquêter, pouvoir qui à son tour permettrait aux entreprises de voir l'ombudsman comme un outil puissant, qui pourrait les contraindre à respecter les règles concernant l'esclavage moderne, le travail forcé, le travail des enfants, etc.
    Je suggère d'examiner attentivement ce que les autres pays ont fait, les mesures qui ont reçu l'approbation des gens qui vivent cela au jour le jour. Par exemple, les lois françaises de diligence raisonnable exigent des entreprises, à l'avance, qu'elles produisent des documents à cet effet, à savoir qu'ils ont bien vérifié, dans leur chaîne d'approvisionnement, qu'il y a ou non des cas de travail des enfants, de travail forcé, etc., documents signés par le plus haut niveau de la hiérarchie. S'ils négligent de le faire, il peut y avoir des conséquences réelles. En d'autres termes, d'un acte purement volontaire, cela devient un pouvoir d'enquêter et d'engendrer des conséquences. C'est une chose.
    Mon ordinateur a planté avant que je puisse répondre à la deuxième question que vous m'avez posée. C'était une bonne question pour se faire l'avocat du diable. C'était, que se passerait-il si les Chinois décidaient d'ignorer ce que nous disons et suggérons?
    C'est là que je tiens à préciser un point. J'ai passé 15 ans de ma vie professionnelle comme chercheur en Chine dans toutes les meilleures universités. J'ai même rencontré quelques-unes des personnes haut placées de la Cour suprême, etc. Ce que j'ai appris c'est que le gouvernement chinois et le peuple chinois sont deux choses différentes. Les gens que j'ai rencontrés, y compris une femme de cinq pieds de haut, faisaient essentiellement la même chose que l'homme avec les deux paniers qui a arrêté le char d'assaut. Elle a aussi fait cela. Elle l'a fait parce qu'elle ne croyait pas que son propre peuple devrait écraser les étudiants sur la place Tiananmen. Je crois qu'on devrait s'intéresser à ce que fait le gouvernement. J'ai énormément d'affection pour le peuple chinois dans son ensemble. Nous devrions les distinguer de ce qui se passe au sein du Parti communiste chinois et certainement au sein des chefs actuels du Parti.
    Quand je suis allé la première fois en Chine en 1993, je me suis senti entièrement libre de dire ce que je pensais sur les droits de la personne. En fait, j'ai rencontré des gens du Xinjiang et du Tibet, etc., et j'étais stupéfait de l'ouverture d'esprit et de la liberté de parole. C'était l'époque où Jiang Zemin était président. Il a permis à cette liberté de s'épanouir.
    Je crois qu'on devrait insister sur le fait que ce peut être la situation fâcheuse dans laquelle s'est placé le leadership actuel du Parti communiste chinois et voir comment le reste du monde y réagit. C'est pourquoi nous avons besoin de formuler le problème d'une façon beaucoup beaucoup plus recherchée que de dire que c'est la Chine qui est le problème. Ce n'est pas la Chine le problème. C'est le leadership actuel. Même le problème de ceux qui rouspètent au sein de ce leadership parce qu'on s'est débarrassé de l'idée de leadership collectif, leadership collectif qui aurait dû être conservé en Chine selon Deng Xiaoping.
     On joue aux échecs à un seul niveau. Ce que le Canada doit faire et ce que le reste du monde démocratique doit faire, c'est de jouer aux échecs à trois ou quatre niveaux, pour essayer de trouver un moyen de remédier à ce niveau d'agression. Il n'est pas seulement au Xinjiang. Il est aussi présent à Hong Kong. Il est présent pour nos deux Michael. Il est aussi en mer de Chine méridionale et pourrait éventuellement dévaster le monde entier. Il pourrait aussi se retrouver à Taïwan.
    Ce que je suggère, c'est que pour la Chine, le Canada devrait jouer sur beaucoup de niveaux différents pour régler la situation.
(1235)
    Merci beaucoup.
    Merci.
    Avec le temps qu'il nous reste, nous allons avoir une troisième série de questions. Nous allons donner cinq minutes par parti.
    Nous allons commencer avec Mme Khalid pour cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Ma question est adressée à M. Browder encore une fois.
    Vous dites que vous êtes au Royaume-Uni. Le ministre des Affaires étrangères britannique a récemment exprimé sa profonde inquiétude quant à la condition de la communauté ouïghoure en Chine. En réponse, lors d'une entrevue à la BBC, l'ambassadeur de Chine a nié catégoriquement l'existence de camps de concentration. Il a de plus déclaré que le peuple ouïghour vivait libre et heureux en Chine. Selon lui, les images de la vidéo dont nous avons parlé dans le témoignage d'hier, d'hommes ouïghours avec les yeux bandés qu'on rasait et qu'on mettait dans des trains, sont de fausses nouvelles.
    Le ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni n'est pas allé jusqu'à utiliser le terme génocide, mais il a dit qu'il envisageait d'imposer des sanctions à la Chine, au gouvernement chinois.
     Que pouvons-nous faire pour imposer un front plus uni et mieux organisé? Les États individuels craignent, semble-t-il, de prendre ces mesures contre la Chine, particulièrement lorsque le représentant chinois répond que si le Royaume-Uni le fait, la Chine en fera autant?
    M. Browder, pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez, s'il vous plaît.
(1240)
    J'ai regardé cette entrevue de l'ambassadeur chinois, comme l'ont fait la plupart des gens ici au Royaume-Uni. Nous avons tous été consternés par ses réponses et réconfortés par les techniques fortes utilisées par le journaliste qui a procédé à l'entrevue, M. Andrew Marr.
    Pour ce que cela vaut, le désir de faire quelque chose pour les Ouïghours et de faire plus que ce qui a été fait jusqu'à présent est à son paroxysme au sein de tous les partis de la classe politique. M. Dominic Rabb, le ministre des Affaires étrangères n'a pas encore, et permettez-moi d'insister sur le terme « encore », annoncé les sanctions conformément à la loi de Magnitski. Je crois qu'il serait plus facile de le convaincre de le faire si le Canada le faisait en même temps et sanctionnait les mêmes quatre personnes. Si le Royaume-Uni les sanctionnait et que le Canada sanctionnait les mêmes quatre personnes que les États-Unis viennent de sanctionner, je crois que ce serait la solution.
    Quant à mes prévisions, le Royaume-Uni vient de mettre en œuvre la loi de Magnitski, il y a à peine deux semaines. Ils ont sanctionné 25 Russes, environ 20 personnes d'Arabie Saoudite et quelques-unes du Myanmar et de Corée du Nord. Je serais surpris si... Étant donné la situation avec la Chine, étant donné ce qui se passe à Hong Kong, étant donné le fait que le Royaume-Uni vient d'annuler le traité d'extradition avec Hong Kong et étant donné que le Royaume-Uni a offert aux ressortissants britanniques de Hong Kong résidant à l'étranger la possibilité de devenir des citoyens, il ne me semble pas qu'ajouter quatre noms à la liste Magnitski et que démarrer le processus soit un trop grand pas en avant.
    Il est possible que je me trompe. Il est très imprudent de faire des prédictions politiques, mais ce que je comprends de l'atmosphère ici au Royaume-Uni, c'est qu'il va se passer quelque chose. M. Dominic Rabb, le ministre des Affaires étrangères, m'a dit qu'il avait déjà parlé avec votre ministre des Affaires étrangères de la loi de Magnitski il y a quelque temps, alors j'espère que c'est quelque chose dont ils reparleront ensemble.
    Merci.
    Vous avez moins d'une minute.
    Monsieur Browder, hier nous avons aussi entendu parler d'une autre coopération mise en place dans le monde qui pourrait éventuellement avoir de fortes répercussions. Nous avons entendu parler de l'Organisation de la coopération islamique, ou OCI, comme d'un moyen éventuel d'exercer une pression sur le gouvernement chinois afin qu'il respecte et maintienne les droits de la personne dans son pays, tout particulièrement en ce qui concerne le peuple ouïghour. Que pensez-vous de ce type de pression?
     Encore une fois, dans nos conversations, je pense à... Ainsi, nous exerçons cette pression. Que fait la Chine? Disons qu'un génocide est déclaré, la communauté internationale va de l'avant et applique les sanctions. Que va-t-il se passer au bout du compte pour les Ouïghours?
    M. William Browder: Le...
    Je crois qu'il va falloir arrêter là. Je suis désolé.
    Nous allons passer à M. Genuis pour cinq minutes.
    Je dois me dépêcher, alors peut-être puis-je vous demander de ne répondre que par une phrase. Je commence par monsieur Mendes.
     Vous avez parlé de chaînes d'approvisionnement. Êtes-vous en faveur de mesures comme la loi américaine de prévention du travail forcé des Ouïghours, qui renverse essentiellement le fardeau de la preuve, c'est-à-dire qui présume que, jusqu'à preuve du contraire, les biens en provenance du Turkestan oriental sont le produit de l'esclavage? Seriez-vous favorable à ce genre de mesures?
    Oui et je dirais aussi que, désormais, conformément à l'accord États-Unis-Canada-Mexique, nous devrions emboîter le pas aux Américains. Si ces mesures sont appliquées conformément à l'accord, alors nous devrions les appliquer également.
    Merci beaucoup.
    Madame Kanji, vous avez souligné ce genre d'approche, disons schizophrénique en quelque sorte, de l'État chinois envers l'Islam, où d'un côté ils perpètrent un génocide chez eux, mais le soutiennent à l'étranger. Ils cherchent à éradiquer l'Islam, mais en même temps, ils prétendent tendre une main amicale aux pays à majorité musulmane, à des pays qui ont été très silencieux dans leur réponse. Cela fait partie du colonialisme d'État de l'État chinois dont vous parliez. J'ai deux questions à propos de cela.
     Tout d'abord, que pouvons-nous faire pour retirer notre soutien au colonialisme d'État chinois en Asie, comme par exemple nous retirer de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures et ne pas soutenir l'initiative la Ceinture et la Route? J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
    En deuxième lieu, comment pouvons-nous travailler plus efficacement avec les pays à majorité musulmane et créer des partenariats afin de nous opposer au colonialisme d'État chinois et de présenter une réponse commune à la situation des Ouïghours?
(1245)
     La participation du Canada dans l'initiative la Ceinture et la Route serait extrêmement périlleuse, étant donné, comme l'a décrit Mme Alexeeva, l'investissement énorme consenti pour exercer un contrôle sur la région du Xinjiang, précisément à cause de l'importance géopolitique qu'elle revêt pour l'initiative la Ceinture et la Route.
     D'autres types de participation économique dans la région du Xinjiang sont également problématiques pour le Canada. Par exemple, les sociétés minières canadiennes investissent dans des projets au Xinjiang, qui est riche en ressources. Des rapports indiquent, par exemple, que Dynasty Gold Corp. exploite une mine au Xinjiang.
    Ce sont des projets d'entreprises canadiennes de ce type qui doivent être examinés pour s'assurer que des entités canadiennes ne sont pas elles-mêmes complices du projet colonial au Xinjiang.
    Pour la mise en place d'un partenariat plus serré avec l'OCI et les pays à majorité musulmane en vue d'une solution, je crois qu'il faut comprendre que beaucoup de pays musulmans sont à l'heure actuelle très dépendants économiquement de la Chine, par l'initiative la Ceinture et la Route et d'autres projets de développement d'infrastructures. Ce sont précisément ces intérêts et ces imbroglios économiques qui empêchent les pays musulmans de prendre une position forte vis-vis des Ouïghours et en réalité les poussent à activement occulter, voire soutenir ces projets chinois.
    Au contraire, c'est précisément parce que le Canada n'est pas de cette façon dépendant économiquement de ces projets chinois que cela lui permet d'avoir une voix plus forte.
    Je vous remercie beaucoup.
    Je donne le reste de mon temps à M. Sweet.
    Il vous reste une minute et demie.
    Je voudrais juste confirmer ce qu'a dit Mme Kanji, parce que je soupçonnais qu'il existait un lien différent entre la persécution des Ouïghours musulmans au Turkestan oriental et celle des Rohingyas musulmans en Birmanie.
    Voyez-vous un lien clair, dans les deux cas, avec les manipulations du Parti communiste chinois?
    Il existe une relation très forte entre le génocide des Rohingyas et ce que nous nous apprêtons à appeler un génocide des Ouïghours. Nous savons qu'au niveau international, la Chine a été l'une des principales forces pour empêcher que des mesures fortes soient prises par le Conseil de sécurité au sujet de la situation des Rohingyas, à tel point que, même après que la Cour Internationale de Justice a rendu une décision de mesures provisoires très ferme soutenant les droits des Rohingyas, le Conseil de sécurité n'a même pas pu faire de déclaration soutenant la mise en place de ces mesures provisoires, en raison de l'opposition de la Chine.
    La Chine a également investi, par le biais de l'initiative la Ceinture et la Route, dans des projets dans l'état de Rakhine, qui est l'endroit où se trouvent les Rohingyas et où le génocide se produit. La Chine a aussi directement investi économiquement dans la persécution des Rohingyas.
    Les dirigeants chinois ont aussi fait des déclarations pour établir des liens entre la prétendue menace terroriste ouïghoure et la prétendue menace terroriste des Rohingyas. Nous voyons également dans les discours de très fortes correspondances dans la façon dont est racontée la menace terroriste prétendument posée par les minorités musulmanes extrêmement persécutées, qui sont davantage les victimes de la violence extrême de l'État que des propagateurs de violence.... Nous voyons de très forts liens dans la façon dont ces discours sont déployés.
    Merci.
    Merci.
    Nous allons donner cinq minutes à M. Brunelle-Duceppe.

[Français]

     Je vous remercie, monsieur le président.
    Monsieur Mendes, hier, une témoin en a un peu parlé et j'aimerais connaître votre opinion sur le sujet. L'introduction de technologie chinoise en Amérique du Nord et en Europe pourrait-elle compromettre la capacité des activistes d'agir en les exposant à des représailles de la Chine et du Parti communiste?

[Traduction]

    Oui. Je crois que l'introduction des technologies chinoises par des entreprises telles que Huawei, mais pas seulement Huawei, parce qu'il y a d'autres entreprises technologiques importantes aux États-Unis et ailleurs avec le potentiel de s'immiscer dans la sécurité nationale.... C'est pourquoi je crois qu'il sera intéressant de voir, une fois que le Canada aura pris la décision d'autoriser ou non le projet 5G de Huawei, quelle sera la réaction. C'est un autre facteur dont nous devons tenir compte dans la manière dont nous traitons avec la Chine, parce qu'il y aura sûrement des conséquences si nous les excluons du 5G.
    C'est là qu'il faut, selon moi, commencer à planifier les choses avec nos alliés. Le Royaume-Uni va certainement aller de l'avant maintenant et en subir aussi les conséquences. De même pour les autres pays. C'est pourquoi je pense que le temps est venu de trouver une façon de coopérer avec les pays démocratiques sur les moyens de contrer ce type de chantage.
(1250)

[Français]

     C'est très intéressant. Je vous remercie beaucoup, monsieur Mendes.
    Madame Alexeeva, la population ouïghoure du Xinjiang est opprimée par le gouvernement chinois depuis des décennies, mais c'est seulement depuis quelques années que la communauté internationale y porte attention.
    Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il a fallu attendre si longtemps avant que la communauté internationale porte attention à ce qui se passe présentement au Xinjiang?
    Depuis de longues années, depuis 1980-1990, le gouvernement chinois fait une coupure totale sur le plan des communications au sujet des problèmes des Ouïghours et de ce qui se passe au Xinjiang.
    Après le 11 septembre 2001, quand la communauté internationale s'est engagée dans la lutte contre le terrorisme islamiste international, la Chine a très habilement présenté ce qu'elle faisait au Xinjiang comme faisant partie de la lutte internationale contre le terrorisme. Elle a instrumentalisé les activités de la communauté internationale pour couvrir en quelque sorte ce qu'elle était en train de faire au Xinjiang.
    Les Ouïghours avaient beaucoup de difficulté à sortir de la Chine. Pour quitter la Chine, il faut avoir une autorisation et un passeport. Le passeport des militants ouïghours a été confisqué. On n'était pas encore à l'époque où Internet facilitait les communications et on connaissait très peu de choses sur cette situation. La communauté internationale était tellement concentrée sur la lutte antiterroriste islamiste qu'elle a un peu loupé ce qui s'est passé. On se concentrait aussi beaucoup plus sur les problèmes liés aux droits de la personne au Tibet, de sorte que la situation au Xinjiang a bénéficié de beaucoup moins de couverture médiatique. Il y a aussi le fait que l'ampleur du problème n'était pas la même qu'aujourd'hui.
    Par contre, on remarque actuellement que beaucoup de gens s'intéressent à cette situation. Cette réunion de ce sous-comité en est la preuve.
    Comment les dirigeants réagissent-ils au fait qu'on porte maintenant beaucoup d'attention à ce qui se passe au Xinjiang?
    La Chine nie qu'il s'agit de répression. Elle tient toujours le même discours, à savoir qu'elle est en train de combattre le terrorisme. Les Chinois répondent chaque fois qu'on fait la même chose dans les autres pays, en donnant comme exemple la Patriot Act des États-Unis, et qu'on ne peut donc pas les critiquer à cet égard. Chaque fois qu'on essaie de la critiquer à ce sujet, pour se défendre, la Chine parle de lois ou de pratiques similaires à ses yeux. Je pense notamment à Guantanamo.
    Je vous remercie beaucoup.

[Traduction]

     Madame McPherson, vous disposez de cinq minutes. Vous serez la dernière à poser des questions à ce groupe d'experts.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je tiens à remercier tous les témoins. C'est une discussion très intéressante. J'apprécie vraiment que notre conversation d'aujourd'hui tourne autour de telles propositions.
    Je voudrais revenir à quelque chose que nous avons entendu hier.
    Nous avons entendu d'atroces déclarations de la part de certains témoins sur l'usage de la violence sexuelle et du viol dans ce territoire. Je me demandais madame Alexeeva, si vous pouviez commenter et nous faire part des informations dont vous disposez à ce sujet.

[Français]

    Je suis au courant de tels actes, mais je n'ai jamais rencontré ou interviewé de personnes ayant subi ces violences. Je vous répète une fois de plus que ce n'est pas nouveau. Ce type de violence à l'encontre des autres minorités et des Ouïghours existait bien avant. C'est simplement qu'aujourd'hui l'ampleur de la situation est telle qu'on ne peut plus l'ignorer.
    Peut-être Mme Kanji aurait-elle plus d'information à ce sujet.
(1255)

[Traduction]

    Merci.
    Madame Kanji.
    Quand on parle de violence sexuelle envers les femmes ouïghoures, nous savons par exemple qu'il existe des programmes du gouvernement pour que les dirigeants chinois Han s'installent dans les maisons des Ouïghours au Xinjiang, voire dorment dans les chambres des femmes musulmanes dont les maris sont détenus dans les camps de concentration.
    Une grande pression est également exercée pour marier des hommes chinois Han à des femmes ouïghoures.
    Depuis la jurisprudence du Tribunal pénal international pour le Rwanda, la violence sexuelle et le viol ont été reconnus comme des actes de génocide. Quand on voit ces efforts tout à fait délibérés pour transformer le peuple ouïghour en peuple chinois Han, à la fois par le déplacement intentionnel de colons au Xinjiang et par des manœuvres biologiques d'assimilation, je crois que nous avons là des signaux très clairs d'une intention de commettre un génocide, selon la définition de la Convention pour la prévention et la répression du génocide.
     Puis-je demander, concernant les mariages mixtes et une partie de la violence sexuelle perpétrée dans cette région, si la suppression des droits des femmes liés à la procréation s'applique encore à ces mariages mixtes, ou si c'est différent dans ce cas?
    Madame Kanji.
    Les informations dont nous disposons sur les campagnes de stérilisation sont très récentes. Elles se basent sur des documents officiels et il y a beaucoup de choses que nous ignorons. Comme je l'ai dit, beaucoup de ce qui se passe au Xinjiang est entouré du plus grand secret. Les informations dont nous disposons sur la campagne de stérilisation révèlent qu'elle a été lancée tout particulièrement dans des zones du Xinjiang où vivent les femmes ouïghoures et qu'elles ne s'appliquent pas de la même façon dans les zones où vivent les Hans. Quand on parle plus précisément des mariages mixtes, nous n'avons pas les informations, selon moi, permettant de savoir si les campagnes de stérilisation sont imposées de la même manière.
    Mme Alexeeva en sait peut-être un peu plus.

[Français]

     Comme le disait Mme Kanji, ce sont des nouvelles que nous apprenons. Ce n'est pas très connu pour le moment, mais il reste que les campagnes de stérilisation ont lieu depuis les années 1980, c'est-à-dire depuis la mise en vigueur de la politique de limitation des naissances. Celle-ci était appliquée particulièrement au Xinjiang et au Tibet, malgré tout ce qu'a pu dire le gouvernement chinois. Officiellement, Pékin disait que cette politique ne concernait jamais les minorités, mais la réalité est bien différente. Ces campagnes de stérilisations existent depuis des décennies.

[Traduction]

    Merci.
    Cela conclut notre premier groupe de témoins. Au nom de tout le Comité, je voudrais vous remercier de votre témoignage, de votre analyse et de vos efforts de sensibilisation.
    Nous allons suspendre la séance pendant environ 15 minutes.
(1255)

(1315)
     Bienvenue à tous. Notre second groupe de témoins s'est joint à nous.
    Je voudrais juste dire que, depuis un jour et demi, nous avons devant nous des témoins extraordinaires et remarquables. Je sais que ce sera le cas pour nos prochains témoins, qui nous raconteront leur histoire personnelle ainsi que ce qu'ils ont vu, entendu et appris.
    Nos deux prochains témoins parlent ouïghour et ne parlent pas anglais. Nous avons un interprète pour la langue ouïghoure, M. Kayum Masimov, qui est ici en personne. Bien sûr, nos témoins comparaîtront par vidéoconférence.
    Nous avons donc M. Omerbek Ali, activiste des droits des Ouïghours. Nous avons également Mme Gulbahar Jelilova, qui est aussi une activiste des droits des Ouïghours.
    Avant de commencer, je voudrais dire qu'avec de l'interprétation consécutive à partir de la langue ouïghoure, cela prendra un peu plus de temps. L'interprétation est consécutive pour des questions de disponibilité des interprètes et des considérations technologiques. Pour une troisième langue en interprétation consécutive, il nous faudrait six cabines, et à cause de la distanciation sociale, il n'est possible d'avoir que quatre cabines. Ainsi, lorsque vous posez des questions, veuillez s'il vous plaît vous arrêter pour permettre l'interprétation.
    L'étude est télévisée et diffusée par le site Web de la Chambre des communes.
    Nous allons commencer par l'exposé de M. Omerbek Ali.
    Vous avez environ six minutes, mais nous nous adapterons. Cela n'inclut pas le temps de l'interprétation consécutive.
    [Le témoin parle ouïghour et est interprété comme suit:]
    Je vous salue. Je suis en Hollande en ce moment. Je m'appelle Omerbek Ali. Je suis né le 30 avril 1976, dans le comté de Pichan de la ville de Turpan. Je suis diplômé du collège de haute technologie.
    J'étais employé dans la ville de Karamay jusqu'en 2006. Pendant mon emploi, j'ai fait l'objet de discrimination salariale. Je ne pouvais pas vivre une vie normale sans pécher contre ma religion. À cause de mon origine ethnique et de mes croyances religieuses, j'étais constamment arrêté et interrogé par la police tous les mois et même toutes les semaines. La police perquisitionnait fréquemment mon domicile et je ne pouvais même pas sortir dans la rue, car mon identité était sur liste noire. À cause de tous ces obstacles présents dans ma vie, et pour pouvoir continuer à vivre dignement j'ai été forcé d'immigrer au Kazakhstan.
    Jusqu'en 2014, j'ai travaillé dans le commerce des textiles, puis je suis passé au commerce des meubles et puis, jusqu'en 2017, j'ai été employé à l'agence de voyages Tumar tout à la fois en tant que directeur adjoint, guide touristique et interprète du chinois.
    En 2017, l'exposition internationale d'Astana a eu lieu et sur invitation du côté chinois, je suis allé à Urumqi. Une fois nos réunions d'affaires terminées, je suis allé voir mes parents le 25 mars autour de 23 heures.
    À 10 heures du matin, cinq policiers sont venus m'arrêter avec force, bien qu'ils n'aient eu aucun mandat d'arrestation en leur possession. Ils m'ont conduit au poste de police où ils m'ont pris tout mon argent, mon passeport et tous mes papiers d'identité. De là, ils m'ont emmené dans un endroit différent, qui ressemblait à un hôpital. Là, j'ai subi un examen poussé de ma peau, de mes reins, de mon foie et une analyse d'urine.
    Pendant tout ce temps, j'avais une capuche noire sur la tête. Je ne pouvais voir personne. J'ai commencé à avoir peur. Puis ils m'ont enlevé la capuche noire et ils ont commencé à examiner mon iris, mes yeux. J'ai eu très peur. J'ai eu l'impression, avec un examen aussi attentif, qu'ils allaient m'abattre. J'ai commencé à avoir très peur. Encore maintenant, quand je vois des blouses blanches de médecins, j'ai peur. C'est pourquoi je ne vais jamais à l'hôpital, sous aucun prétexte.
(1320)
    Le même soir, j'ai été emmené à la prison du comté. Une trentaine d'hommes environ étaient détenus avec moi. On nous a donné un petit pain cuit à la vapeur et une soupe aqueuse pour le petit déjeuner. Pour le déjeuner, on nous a servi un légume bouilli qui ressemblait à une aubergine et de nouveau un petit pain à la vapeur. Même chose pour le dîner. Pour obtenir cette nourriture, il nous fallait chanter trois chants communistes avant et après le repas. Ces chants parlaient du Parti communiste et de Xi Jinping, et en chinois cela ressemblait à « Nous rendons grâce au Parti communiste chinois, à la patrie, au président Xi. Nous souhaitons une bonne santé au président Xi, nous souhaitons force et prospérité à la patrie, nous souhaitons harmonie et unité au peuple de notre pays ».
    Le 3 avril, on m'a conduit dans un autre sous-sol de la prison de la ville de Karamay, au quartier général de la police. Là, j'ai subi des tortures très cruelles. J'ai été électrocuté. J'ai été pendu à quelque chose. J'ai été flagellé avec des fils de fer. On m'a inséré des aiguilles. J'ai été battu avec des bâtons de caoutchouc et on a utilisé des tenailles sur moi. Soumis à ces outils de torture sauvages, j'ai été forcé de confesser des crimes que je n'avais jamais commis. Ils m'ont accusé de crimes contre la sécurité nationale, d'inciter, d'organiser et de couvrir des activités terroristes. Ils me disaient même que j'essayais de créer une organisation terroriste ou que je prenais des terroristes sous ma coupe. On a porté contre moi des accusations de favoritisme.
    J'ai refusé catégoriquement de signer ces documents. J'ai insisté sur le fait que j'étais innocent. Je leur ai demandé pourquoi j'étais forcé de confesser des crimes que je n'avais jamais commis, pourquoi ils me torturaient, je leur ai dit que j'étais un homme innocent. Ils m'ont demandé si j'étais Kazakh, musulman, Ouïghour. Ils ont dit qu'il n'y avait pas de différence, que nous étions tous des terroristes, et ils m'ont forcé à signer les documents. Je me suis opposé à signer ces documents.
(1325)
    J'étais avec d'autres détenus. Dans une cellule, il y avait environ 37 à 40 personnes. Dans un corridor, il y avait 17 cellules. Il y avait 34 ailes de chaque côté, et quatre autres immeubles comme celui-là. On forçait toutes les personnes détenues dans ces endroits à avouer ce genre de crimes, qu'elles n'ont pas commis. Elles étaient toutes soumises à la torture. C'était très exigeant psychologiquement. Personne ne peut être en bonne santé après avoir été éduqué de la sorte.
(1330)
    Pouvons-nous conclure.
    M. Omerbek Ali: [Le témoin s'exprime en ouïghour.]
    C'était trop rapide. Je n'ai pas pu suivre. Je vais tenter de conclure.
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    Dans la ville de Karamay, qui a une population d'environ 500, il y avait sept centres de détention comme celui-là. Dans chaque centre de détention se trouvaient de 5 000 à 6 000 détenus. On me déplaçait d'un endroit à l'autre, et en plus de la torture que je subissais, j'étais également menotté et enchaîné aux pieds, ce qui signifie que je devais porter environ sept kilogrammes de métal lourd sur mon corps en tout temps.
    J'ai passé 7 mois et 10 jours dans un de ces centres de détention. Il est impossible qu'une personne en bonne santé le soit encore après avoir subi cela. C'est tout simplement déchirant. J'ai vu des gens disparaître, être emportés. C'était ce que nous vivions tous les jours.
    Je remercie M. Ali d'être parmi nous. Il est aux Pays-Bas. Avant de se joindre à nous ici, il a passé 14 heures avec des agents d'immigration aux Pays-Bas, et je le remercie donc d'autant plus de sa présence.
    [Le témoin s'exprime en ouïghour.]
    Il s'en va maintenant. Il vous remercie tous, monsieur le président.
    Sera-t-il parmi nous pour répondre aux questions?
    C'est bon. Il sera parmi nous.
    Excellent. Merci. Nous voulons vraiment entendre ce qu'il a à dire.
    Nous allons maintenant entendre la déclaration de Mme Jelilova. La déclaration durera encore une fois six minutes. Compte tenu de l'interprétation, ce sera le double.
    [La témoin s'exprime en ouïghour et en russe, et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    Merci beaucoup, et bonjour à tous. Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée. J'aimerais raconter ma triste histoire et parler de la situation tragique de mon peuple.
    Je m'appelle Gulbahar Jelilova. Je suis citoyenne du Kazakhstan. Tous mes ancêtres, tous les membres de ma famille, sont nés au Kazakhstan. Je suis mère de quatre enfants. J'ai très peu de temps, mais je ferai de mon mieux.
    Pendant 20 ans, j'ai exploité une petite entreprise à Urumqi. Je me suis rendue dans cette ville, qui est au Turkestan oriental, pour la première fois en 1996. J'ai été arrêtée le 22 mai 2017. À vrai dire, j'ai été enlevée de l'hôtel où je restais à Urumqi, l'hôtel CU.
    Trois policiers et deux policières sont venus me chercher à l'hôtel et ont commencé à m'interroger. On tentait de me forcer de signer des documents. On m'a interrogée de 8 heures à 11 h 30, et je n'ai pas pu comprendre les documents qu'on m'a donnés. Je leur disais que je ne comprends pas l'ouïghour ni le chinois. Je les ai priés de me faire voir un représentant consulaire ou un interprète pour m'expliquer ce que je devais signer. J'ai appris plus tard qu'on a écrit mon nom dans le journal régional et dit que je commettais des actes terroristes.
    Je n'ai pas signé, et on m'a menée à une autre prison, qu'on appelle la prison Sankan. C'est la troisième prison. J'y suis entrée, et on a immédiatement pris des échantillons de mon sang et de mon urine. Le même jour, on m'a enchaînée, et les chaînes pesaient cinq kilogrammes... On a pris des échantillons de mon urine pour voir si j'étais enceinte. Si je l'avais été, on m'aurait fait avorter sur-le-champ ou mené à la prison.
    Comme vous pouvez le voir sur la photo, il y a un certain nombre de cellules. Il y a la photo d'une cellule. On m'a mené à la cellule numéro 714. C'est exactement la même. Vous pouvez voir une toilette transparente; tout le monde peut voir ce qui s'y trouve.
(1335)
    Chaque semaine, on nous faisait avaler deux pilules. Il y avait une petite ouverture dans le mur, et on nous donnait une tasse d'eau et ces deux pilules. Nous devions les prendre et leur montrer que nous les avions avalées. Tous les 10 jours, on nous injectait un médicament dans les mains, sans nous dire de quoi il s'agissait.
    Nous passions des mois sans prendre de douche. Nous n'avions d'autre choix que de dormir sur le lit de métal. Il n'y avait aucune hygiène, aucune eau courante. La situation sanitaire était déplorable. En l'espace d'un mois, tous les détenus avaient des poux dans leurs cheveux, et on nous a tous rasés. Nous avions des éruptions cutanées et des plaies partout sur le corps. Nous n'avons pas pu nous doucher pendant des mois.
    On nous amenait parfois ailleurs. Il y avait deux types de cellules. La cellule souterraine munie de caméras et celle à l'extérieur sans caméras. On emportait les détenus en leur recouvrant la tête d'une cagoule noire, et les gardiens faisaient ce qu'ils voulaient de nous.
    Nous étions assis de cette façon sur une chaise. Ils insistaient et nous demandaient à répétition de signer des documents. Je leur demandais pourquoi je signerais quelque chose que je ne comprends pas. Je leur demandais ce qu'il était écrit. Ils insistaient sans relâche, et ils me menaient à la prison à défaut d'avoir signé.
    Ils m'ont mené une fois à la prison extérieure sans caméras, et j'ai été forcée de rester assise sur une chaise pendant 24 heures sans nourriture ni rien d'autre. Je résistais encore, et ils me battaient et m'électrocutaient. À la fin, un gardien a baissé son pantalon et m'a forcé de faire quelque chose dont je ne vais pas parler. C'est ce qui se fait actuellement.
(1340)
    J'ai vu des filles disparaître pendant 24 heures. On les a torturées. On leur a glissé des aiguilles sous les ongles. On leur a percé les joues avec des aiguilles. Certaines disparaissaient pour de bon.
    On a même fait une fausse carte d'identité selon laquelle j'étais citoyenne chinoise afin que le consulat de mon pays ne me trouve pas. On me torturait de cette façon.
    J'ai passé du temps avec des filles qu'on a condamnées à mort. En fait, on n'abat plus les prisonniers; on les tue par injection.
    Les documents que je montre sont des originaux. Ce sont les lettres écrites par mes enfants pour dire que je ne suis pas terroriste. Ils essayaient d'obtenir ma libération. Mes enfants ont fait parvenir ces lettres à Poutine, et une de ces lettres s'est retrouvée aux Nations unies. Je crois avoir ensuite été libérée grâce à ces documents.
    J'ai perdu 20 kilogrammes. J'ai perdu la vision. Je n'avais plus de cheveux.
    J'ai été libérée. On m'a nourri pendant une semaine. On a pris soin de moi. On m'a donné du maquillage. Mes cheveux avaient blanchi, et on les a donc teints une autre couleur. On a pris toutes ces mesures. On m'a donné un visa, un visa normal. On m'a parlé et on m'a dit que je devais garder le silence, que si je n'arrêtais pas de parler, on allait me trouver, car la Chine a le bras long. On m'a dit qu'on allait me trouver et me tuer, peu importe l'endroit dans le monde.
(1345)
    Merci, madame Jelilova, monsieur Ali, de vos témoignages et du courage dont vous faites preuve. Je sais que les députés sont impatients de vous poser des questions.
    Nous allons commencer par M. Sweet, pendant sept minutes.
    Merci à vous deux de votre témoignage. Je veux faire attention en vous posant des questions, car je ne veux certainement pas vous faire souffrir davantage.
    Monsieur Ali, avez-vous encore de la famille au Turkestan oriental?
    [Le témoin s'exprime en ouïghour, et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    On a tué mon père dans un camp de concentration en 2019. Ma mère et mes autres proches, mes frères, sont encore au Turkestan oriental.
    Les membres de votre famille ont-ils reçu des menaces depuis que vous parlez de ce que vous avez subi?
(1350)
    [Le témoin s'exprime en ouïghour, et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    Les menaces sont chose normale et constituent une pratique courante. Ils sont aussi victimes de violence physique et d'autres mesures.
    Monsieur Ali, comment avez-vous fui les gens qui vous torturaient? Avez-vous été libéré comme Mme Jelilova, ou avez-vous dû avoir recours à la ruse pour les fuir?
    [Le témoin s'exprime en ouïghour, et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    Il y a eu divers facteurs. Premièrement, j'ai la double citoyenneté avec le Kazakhstan. Deuxièmement, ma femme était une demandeuse d'asile auprès du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Elle a habité 11 ans au Kazakhstan. Pendant qu'elle attendait ses audiences de demandeuse d'asile au bureau du haut commissariat au Kazakhstan, elle s'est affairée à demander ma libération auprès des médias.
    Je crois que ces facteurs ont contribué à ma libération de la prison chinoise.
    Merci. C'était ma dernière question.
    Je vous souhaite à vous deux la bénédiction d'Allah.
    Mon collègue va prendre le reste de mon temps.
    Le président: Allez-y, monsieur Genuis.
    Merci, monsieur le président.
    Merci aux témoins. Je fais écho à ce qu'a dit mon collègue.
    Entre autres choses, notre comité étudie les chaînes d'approvisionnement et les entreprises qui profitent des travaux forcés au Turkestan oriental. Je me demande si l'un de vous pourrait nous donner une idée, d'après vos observations, des entreprises, des marques ou des industries qui mènent ou qui menaient des activités au Turkestan oriental. Avez-vous des conseils à nous donner pour que nous nous attaquions au problème, pour que nous tentions de lutter contre la participation d'entreprises dans ce genre d'oppression?
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:
    Je vais tenter de dire quelques mots sur la question.
    Je vais parler de mon expérience personnelle. J'ai été détenu à Karamay pendant huit mois, et 90 % des détenus étaient des bureaucrates, des professeurs, des enseignants ou des personnes venant du secteur de la production pétrolière. Même s'il n'y a pas de preuve tangible, je peux affirmer d'après mon expérience parmi ces détenus, ces personnes, qu'ils n'ont certainement pas besoin d'établissements d'enseignement pour poursuivre leurs études.
    Je crois que, compte tenu des pressions internationales, l'État chinois tente actuellement de répartir le gros de la population de détenus dans la Chine intérieure. Ils travaillent dans des conditions déplorables. Même s'il n'y a pas de preuve, c'est ce que je suppose, c'est-à-dire que les pressions exercées font en sorte que des détenus sont transférés à des sites dans la Chine intérieure.
    La campagne génocidaire cachée de la Chine se poursuit. À mon avis, si les États-Unis ou le Canada donnaient à une commission le mandat de vérifier les faits sur le terrain, et que les membres de cette commission se rendaient d'une maison à l'autre pour enquêter, beaucoup plus de renseignements seraient mis au jour. Nous connaîtrions alors vraiment la gravité de la situation sur le terrain.
    Merci à vous tous.
(1355)
    Si je peux me permettre, je vais clarifier ma question. Je me demandais s'il y a des entreprises — peut-être des entreprises occidentales ou appartenant à l'État chinois — qui mènent des activités au grand jour, pour lesquelles les gens dans les camps font des travaux forcés, et si les témoins ont des renseignements à ce sujet.
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    Je pense qu'il va sans dire qu'on mène ce genre d'activités. Elles existent parce que la Chine tente de cacher ce qui se produit; elle transfère des détenus vers l'intérieur du pays pour répartir les détenus et fermer ces centres. Il va sans dire que les travaux exécutés par les Ouïghours contribuent à la production.
    Merci.
    Puis-je également demander s'il y a des touristes venant d'autres pays que les détenus peuvent voir ou avec qui ils peuvent interagir? Je sais qu'il y a eu certains cas, par exemple une journée de réflexion bien connue de McKinsey à Kashgar. Les interactions sont-elles même possibles entre la population locale et ceux qui viennent de l'extérieur? Les personnes venant de l'extérieur peuvent-elles voir ou être témoins de ce qui se produit?
(1400)
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    C'est impossible, car l'accès est entièrement limité.
    Mme Jelilova pourrait-elle aussi répondre?
    [La témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    Je peux vous parler de ma propre expérience. Je me suis rendue sur place à maintes reprises en tant que touriste venant du Kazakhstan. Je faisais des affaires. Je suis d'origine ouïghoure, mais quand je me déplaçais dans la région, les Ouïghours locaux n'essayaient pas de m'aborder, et je n'essayais pas de les aborder pour faire la conversation. Ils avaient trop peur de me parler.
    Il ne me reste qu'une minute...
    [La témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    Puis-je ajouter quelque chose? J'aimerais vous demander votre avis. J'ai été détenue pendant un an et trois mois. On m'a accusée de terrorisme. J'ai beaucoup souffert, et je me demande juste qui payera le prix pour ce qu'on m'a infligé. À qui dois-je m'adresser ou que dois-je faire? Une semaine après ma libération, j'ai écrit le nom de toutes les personnes qui m'ont torturée, afin de ne pas les oublier.
    M. Garnett Genuis: Rapidement, si je peux...
    Je suis désolé, monsieur Genuis. Nous passons maintenant à Mme Vandenbeld pour sept minutes, plus le temps consacré à l'interprétation consécutive.
    Merci, madame Jelilova, monsieur Ali. Je tiens vraiment à vous remercier du courage dont vous faites preuve en parlant.
    Nous sommes notamment très désolés que vous deviez revivre certaines des expériences les plus difficiles qui soient, mais je vous assure que l'inscription au compte rendu de vos témoignages fait avancer les choses.
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    C'est notre devoir.
    Merci beaucoup.
    Madame Jelilova, vous avez montré des documents pendant votre témoignage. Je me demandais s'il était possible de les faire parvenir à la greffière afin qu'elle les remette aux membres du Comité.
    J'aimerais revenir à votre témoignage et tirer au clair certaines choses un peu alarmantes que vous avez mentionnées. Vous avez parlé des injections et des pilules que vous étiez forcée de prendre. Vous n'avez pas dit quel était le but selon vous de ces injections et de ces pilules. Savez-vous ce qu'elles ont fait à votre corps?
(1405)
    [La témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    Le but était de mettre fin au cycle menstruel des filles. Si nous avions faim, nous ne le sentions pas, et nous ne sentions plus la douleur. Nous ne sentions donc plus rien après les procédures.
    Je ne me rappelais pas de mes propres enfants. J'étais perdue.
    Je suis désolée qu'une telle chose vous soit arrivée. Je déteste poser plus de questions à ce sujet, mais vous avez dit...
    Ma santé psychologique n'est pas bonne.
    Je pense que vous êtes des femmes très fortes et courageuses, des survivantes. Merci de parler de ce que vous avez vécu.
    Dans votre témoignage, vous avez dit que plutôt que d'abattre les gens, on leur donne des injections. Pensez-vous que ces injections visent à tuer des gens?
    [La témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    Ces détenus savaient qu'on les condamnait à mort, et ils devaient donc attendre un, deux ou trois mois, et lorsque le moment arrivait, on leur mettait des manteaux noirs sur la tête et on les emportait.
    C'est absolument horrifiant, mais je pense qu'il est important que tout cela figure au compte rendu.
    Dans le témoignage, nous avons entendu que l'intention derrière tout cela est de détruire l'âme des gens et d'éradiquer le peuple ouïghour. Êtes-vous de cet avis?
    [La témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    Oui, l'idée est de nous éliminer. Je les suppliais de me tuer pour éviter la torture, lorsqu'ils me mettaient une cagoule noire sur la tête et qu'ils m'amenaient pour me violer, me torturer, je les suppliais de me tuer.
    Je suis très heureuse que vous ayez survécu.
    Monsieur Ali, vous avez dit qu'au début de votre détention, on vous a mené à un établissement médical où on a vérifié votre foie, votre peau, vos iris, vos reins. Il nous répugne d'y penser, mais quel était la raison de cet examen?
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    J'ai beaucoup voyagé. J'ai parcouru le monde et travaillé à une agence de voyages. Je savais donc déjà ce qui était arrivé aux disciples de Falun Dafa, qu'on prélevait régulièrement leurs organes. Je suppose qu'il y a une campagne de « prélèvement d'organes halals ». C'est la seule façon d'expliquer l'examen minutieux dont j'ai fait l'objet, car j'ai été examiné de très près. Ce n'était pas une procédure ordinaire pour une personne normale. En une seule semaine, on est venu chercher plusieurs personnes dans nos cellules, et nous ne les avons jamais revues. Mon expérience en dit long.
    De plus, comme il n'y a pas d'enregistrements vidéo ni de preuves concrètes, la communauté internationale n'a pas tenu compte de nos allégations, et on n'y a pas accordé l'attention que nous demandions, même si nous témoignons depuis longtemps à ce sujet.
(1410)
    Je tiens à vous remercier sincèrement de vos témoignages. Il est très important que la communauté internationale les entende.
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    Cela ne fait aucun doute: on prélève actuellement des organes. Des gens sont amenés dans la Chine intérieure où leurs organes sont prélevés, et beaucoup de personnes en ont été témoins. Il y a même des victimes âgées de trois ans qui sont menées aux camps, et vous avez peut-être vu les images des établissements bondés dans lesquels il y a de 50 à 60 enfants par chambre. Ce qui se fait actuellement, c'est un nettoyage ethnique, c'est une assimilation forcée et, de surcroît, des travaux commerciaux forcés. C'est ce qui se fait sous nos yeux.
    Nous allons passer à M. Brunelle-Duceppe, pour sept minutes, sans tenir compte du temps d'interprétation.

[Français]

     Je veux tout d'abord vous remercier infiniment d'être parmi nous. Vous êtes braves, courageux et forts. Tous vos témoignages sont puissants et vont servir à quelque chose.
    Comme vous êtes ici et que vous nous dites ce qui se passe là-bas, parce que vous l'avez vécu de façon horrible, j'aimerais savoir ce que vous attendez de la communauté internationale.
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et ses propos sont interprétés ainsi:]
    Si je donnais mon opinion à l'international, on se moquerait de moi
    Au mois de mars 2019, j'ai témoigné devant un tribunal de l'ONU, à Genève. J'ai décrit en détail ce qui s'était passé. Jusqu'à maintenant, il n'y a eu aucune réaction de la part de la communauté internationale à cause du commerce avec la Chine. On met les intérêts économiques avant tout. C'est très triste, mais c'est la réalité.
(1415)
    Mme Jelilova peut-elle nous dire aussi ce qu'elle attend de la communauté internationale?
    [La témoin s'exprime en russe et ses propos sont interprétés ainsi:]
    J'exprime ma sincère gratitude au gouvernement canadien pour l'occasion qui m'est accordée de témoigner aujourd'hui au nom de mon peuple, les Ouïghours. J'aimerais bien que le Canada s'implique activement pour stopper le génocide par la Chine du peuple ouïghour. On sait qu'il est contre la stérilisation forcée des femmes.
    Je réside présentement en Turquie, où il y a beaucoup de réfugiés ouïghours. Je vous demande s'il serait possible d'accorder un refuge à notre peuple, parce que nous sommes un peuple sans État.
    Je n'ai pas peur de la mort.
    Dans son témoignage, Mme Jelilova nous a mentionné qu'elle s'était fait dire que le gouvernement chinois avait le bras long. Se sent-elle menacée? A-t-elle été menacée depuis qu'elle est en Turquie? La question s'adresse aussi à M. Ali, en Hollande.
    [La témoin s'exprime en ouïghour et ses propos sont interprétés ainsi:]
    Je vis en Turquie dans une peur constante et permanente. Je suis suivie par la police chinoise. La police turque m'a même abordée pour me demander qui étaient ces gens qui me suivaient. Nous recevons des appels téléphoniques de menaces. C'est très présent et je vis dans la peur.
    Je vous écoute, monsieur Ali.
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et ses propos sont interprétés ainsi:]
    Comme je l'ai indiqué, je n'ai pas peur de mourir, mais depuis mon départ du Kazakhstan, en 2017, et depuis la première entrevue que j'ai accordée aux médias, je suis constamment harcelé et menacé de mort; j'ai reçu des menaces de mort. Même quand j'ai voyagé au Japon, en République tchèque, en Belgique, en Suède ou en Suisse, j'ai été constamment harcelé. J'ai reçu des appels téléphoniques de harcèlement. Je n'ai quand même pas peur de mourir, je vais traverser cette épreuve.
(1420)
     Je ne sais pas si vous pourrez répondre à ma question. J'aimerais savoir si vous sentez que les choses ont empiré depuis que Xi Jinping a pris le pouvoir.
    Je n'ai pas compris votre question.
    La situation a-t-elle empiré, ou changé, depuis que Xi Jinping est au pouvoir?
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et ses propos sont interprétés ainsi:]
    Il est certain que les choses se sont aggravées depuis l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping. La Chine est devenue une puissance commerciale. On a ici une puissance qui maltraite son propre peuple. Près de 1,5 million de personnes sont détenues au Turkestan oriental. En effet, la situation s'est beaucoup aggravée. Elle est maintenant beaucoup plus mauvaise.
    Je vous remercie infiniment. Vous avez été entendus. Franchement, nous avons beaucoup d'admiration pour vous.

[Traduction]

    Madame McPherson, vous avez sept minutes pour poser des questions, sans tenir compte du temps consacré à l'interprétation.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais également prendre un instant pour vous remercier tous les deux d'être parmi nous aujourd'hui et de nous faire part de vos expériences très difficiles. Je sais que vous mettez votre santé, votre sécurité et la sécurité de vos êtres chers en danger en étant ici. Je sais que nous vous demandons de revivre des moments et des expériences d'une douleur indescriptible. Je veux me faire l'écho des sentiments exprimés par mes collègues. Comme ils l'ont dit, nous allons entendre vos témoignages. Ils changeront les choses. Nous allons raconter votre histoire.
    Comme beaucoup de mes collègues l'ont fait, je vais d'abord vous demander ce que nous pouvons faire en tant que parlementaires. Que voulez-vous que nous fassions pour vous aider et pour aider le peuple ouïghour en Chine?
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    La première chose que je demande aux Canadiens est d'agir conformément au droit international et d'insister, dans vos entretiens avec la Chine, pour que ces camps de concentration soient fermés, ou peut-être même, comme première étape, qu'un moyen de communication avec nos proches soit fourni. Nous ne pouvons même pas les appeler et leur dire: « Bonjour, maman », « Bonjour, mon frère », ou « Bonjour, papa; comment allez-vous? » Nous ne pouvons même pas faire une petite chose simple comme les appeler. Après, nous prendrons nos affaires, et nous verrons les choses s'améliorer.
(1425)
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    J'appelle à un boycottage des produits chinois, un boycottage de l'importation de ces produits. Deuxièmement, j'encouragerais la rédaction et l'envoi de courriels exhortant à la fermeture des camps afin de mettre immédiatement un terme au génocide des Ouïghours.
    Merci beaucoup.
    Je vais poser quelques questions, de manière un peu plus détaillée. Je m'excuse de vous faire revivre ces souvenirs douloureux.
    Madame Jelilova, j'ai une question pour vous. Je sais que vous avez mentionné que vous avez quatre enfants. Je suis aussi mère. Je me demande si vous pourriez parler de ce qui est arrivé à vos enfants ou de l'endroit où ils sont allés pendant votre incarcération.
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    Lorsque j'ai été arrêtée, j'étais âgée de 52 ans. Maintenant, j'ai 56 ans. Au moment de ma détention, mon plus jeune enfant avait 15 ans, et le plus âgé en avait 35. Pendant mon incarcération, mon aîné s'occupait des plus jeunes. À l'époque, j'étais très inquiète de leur bien-être. En fait, je m'inquiète pour eux, car ils sont toujours au Kazakhstan.
    Pour aller peut-être plus loin, pourriez-vous me dire, d'après votre expérience ou d'après ce que vous avez observé, si l'un d'entre vous comprend la façon dont les enfants sont traités s'ils sont plus jeunes et que la situation ne permet pas qu'un enfant plus âgé s'occupe d'eux?
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    La réponse à cette question est inconnue. Même dans ma famille, lorsque ma sœur et mon frère ont été emmenés en prison, leurs enfants ont été intégrés dans le système d'État qui s'apparente à une prison, un système où ils ont subi un lavage de cerveau complet. Même jusqu'à présent, nous ne savons pas ce qui leur est arrivé. Sont-ils vivants? Sont-ils morts? Leurs organes ont-ils été prélevés pour être vendus? Nous n'avons aucun moyen de communication qui nous permette de le savoir.
    La situation est la même pour les parents qui vivent, disons, en Turquie. Il y a de nombreux Ouïghours qui vivent en Turquie. Ils ne savent pas ce qui est arrivé à leurs enfants parce que toute communication avec eux a été interrompue.
    Merci.
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    Lorsque j'étais en prison, j'étais détenue avec d'autres personnes: la plus jeune était âgée de 14 ans et la plus âgée avait 80 ans. Ces personnes étaient toutes innocentes. Elles n'avaient commis aucun crime.
    Merci, madame Jelilova, merci, monsieur Ali.
    Nous allons amorcer une deuxième série de questions. Compte tenu de l'endroit où vous vous trouvez — vous êtes en Turquie et en Hollande — et de l'heure qu'il est là-bas — je sais qu'il est tard en soirée —, nous allons demander à chaque parti de poser une ou deux questions aux témoins. C'est ainsi que nous allons conclure nos délibérations.
    Nous allons commencer par céder la parole à M. Zuberi.
(1430)
     Tout d'abord, je tiens à vous remercier tous les deux de vos témoignages. Je vous souhaite paix, force et courage. Je vous remercie du courage dont vous faites preuve, car cela veut dire beaucoup pour nous.
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    Merci.
    Il n'y a pas de quoi.
    Vous avez fait un compte rendu de ce qui vous est arrivé personnellement. Je voulais savoir si ce que vous avez vécu était la norme par rapport à ce que vous avez observé dans les camps. Je peux imaginer ce que vous allez répondre.
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    Je voudrais souligner, avant tout, qu'en principe, il n'y a pas d'écoles dans les camps. La scolarisation n'existe pas puisque ce sont des camps de concentration.
    Je suis citoyen du Kazakhstan. J'ai été détenu et emprisonné pendant huit mois sans aucune procédure légale.
    Nous parlons de millions et de millions d'Ouïghours qui ont été arrachés à leur foyer et répartis dans des zones de production situées dans des déserts — des millions et des millions. C'est une réalité qu'on observe sur le terrain.
    Cela arrive à essentiellement tout le monde qui se trouve dans les camps.
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    C'est très courant. Nous sommes traités comme des jouets. Tout le monde, à tout moment, peut être emmené en prison sans aucun motif. Imaginez cela; nous parlons de millions de personnes qui ont été arrêtées sans raison.
    Dans ma deuxième question, j'aimerais donner suite à un autre enjeu.
    En ce qui concerne le peuple ouïghour de la Turquie, des mesures de protection sont-elles prises par le gouvernement turc, ou pensez-vous que le gouvernement n'est pas en mesure de vous protéger contre les menaces et autres formes de harcèlement que vous pouvez subir dans le pays?
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    La situation est attribuable à la suppression de l'information en Turquie. Par exemple, je n'ai pas pu obtenir le statut de résident même si les médias m'ont accordé de nombreuses entrevues. Mes propres enfants ne peuvent pas aller à l'école. Il n'y a aucune possibilité de scolarisation pour mes enfants. À mon avis, cela se produit en raison des intérêts commerciaux de la Turquie qui sont liés à la Chine. En gros, nous sommes bloqués là-bas sans aucun moyen d'avancer.
(1435)
    Merci.
     Monsieur Genuis, vous avez la parole.
     Merci.
    Permettez-moi de répondre à ce que Mme Jelilova a déclaré à propos de la responsabilité. Que va-t-il arriver à ceux qui jouent un rôle dans ces crimes horribles? C'est une question avec laquelle nous, les membres du Comité, devons nous débattre, en cherchant à mettre fin à l'impunité de ceux qui sont impliqués dans ces crimes et en tentant de garantir la responsabilité. Nous essayons de le faire notamment par le biais de sanctions Magnitski, en disant à ceux qui participent à ces abus qu'ils ne pourront pas transférer leur argent ou se rendre dans un autre pays, et qu'ils subiront des conséquences s'ils tentent de partir.
    Je vais poser deux questions ensemble, et vous pourrez répondre aux deux comme vous le souhaitez.
    La première question consiste à vous demander votre avis sur les mécanismes de responsabilité appropriés.
    Ma deuxième question porte sur la susceptibilité générale du Kazakhstan et d'autres pays d'Asie centrale d'être influencés par l'État chinois. Quelle est la nature de la discussion sur ce qui arrive aux Ouïghours en Asie centrale? Que pouvons-nous faire pour renforcer la réponse collective et réduire la dépendance des pays de la Chine et de ses environs, une dépendance qui limite leur capacité de réagir efficacement à ce qui se passe?
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    Je vous ferai part de mon opinion sur cette question. Je vous remercie de poser une question aussi intéressante et importante.
    J'invoquerais la résolution sur le peuple ouïghour adoptée par le Congrès américain. Si seulement le Canada pouvait la suivre, ce serait un pas dans la bonne direction.
    Ensuite, joignez-vous à des pays démocratiques aux vues similaires, comme le Japon et le Parlement européen, et annoncez un embargo contre la Chine. Si nous ne prenons pas de mesures concrètes pour exercer des pressions sur les intérêts commerciaux de la Chine, les camps de la mort du Turkestan oriental continueront de fonctionner. Ces mesures visent essentiellement à faire front commun contre l'influence chinoise actuelle avec des pays qui partagent vos vues.
    En ce qui concerne l'Asie centrale, je pense personnellement que nous ne pouvons pas et ne devons pas attendre grand-chose de ces pays. Ces pays sont complètement corrompus. Ils sont pris en otage par l'influence chinoise actuelle. J'exclurais toute tentative d'influencer les États d'Asie centrale à ce stade.
(1440)
     Merci.
    Est-il possible d'entendre l'autre témoin?
    Madame Jelilova, avez-vous quelque chose à ajouter?
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    Ce n'est que parce que je suis citoyenne du Kazakhstan et que mes enfants ont exercé des pressions que j'ai pu sortir de cette prison. Si, au contraire, j'avais été citoyenne chinoise, j'aurais déjà été assassinée.
     J'ai fui en Turquie après être restée 20 jours seulement au Kazakhstan, en raison de la proximité de la Chine. Une fois en Turquie, j'ai commencé à donner des entrevues. Au Kazakhstan, il est impossible de le faire à cause de la présence des Chinois et des meurtres qu'ils commettent dans ce pays. Il est impossible d'exercer des activités de ce genre au Kazakhstan.
    Nous allons maintenant céder la parole à M. Brunelle-Duceppe.

[Français]

    Je vous remercie.
     Le gouvernement chinois dit qu'il fait la réinsertion des gens qui sortent des camps avec des diplômes.
     Premièrement, est-ce que c'est vrai? Deuxièmement, ces gens retrouvent-ils une réelle liberté lorsqu'ils sortent des camps?
     [La témoin s'exprime en ouïghour et ses propos sont interprétés ainsi:]
    Je suis moi-même devenue témoin. J'ai vu le peuple détenu pendant 15 à 20 ans dans les prisons chinoises. Les gens ont été libérés, mais après un certain temps, ils ont été arrêtés et emprisonnés de nouveau.
    J'ai passé un temps assez court en prison, mais j'ai maintenant de la difficulté à respirer. Comme vous le voyez, mes poumons ne fonctionnent pas bien. J'en suis sortie avec une maladie de la peau. Mon état de santé est très mauvais. C'est l'état dans lequel je suis sortie de prison. Comme vous le voyez, j'ai de la difficulté à respirer.
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    J'aimerais ajouter quelque chose et vous poser une question.
    Premièrement, j'étais interprète, en quelque sorte. Je suis complètement bilingue; je parle couramment le chinois. J'étais directeur et je gagnais environ 2 000 $ par mois. Ma situation était bonne. Avais-je besoin d'un diplôme quelconque?
    Deuxièmement, mon propre père, qui était retraité, parlait couramment le chinois. Il était diplômé. Avait-il besoin d'un autre diplôme quelconque?
    On parle d'intellectuels, de gens du commerce, de personnes assez riches, et le reste. Alors, je vous le demande, ces gens ont-ils besoin d'un diplôme quelconque?
(1445)
     C'est exactement ce que nous voulions entendre. Je vous remercie beaucoup, monsieur Ali.

[Traduction]

     Nous allons maintenant donner la parole à Mme McPherson afin qu'elle puisse poser deux ou trois questions.
    Merci, monsieur le président.
    Comme je crois être la dernière intervenante, je me sens tenue de céder la parole à nos deux témoins.
     À l'heure actuelle, sachant que c'est un peu le moment pour vous de nous faire part de vos observations, y a-t-il des sujets que nous n'avons pas abordés aujourd'hui, ou y a-t-il des enjeux dont nous, les membres du Comité, n'avons pas encore eu l'occasion de discuter et dont nous devrions être informés, selon vous? Je vous invite tous les deux à prendre quelques minutes pour aborder toute question que nous avons pu omettre ou toute information que vous souhaitez nous communiquer avant que nous mettions fin à cette partie de la séance d'aujourd'hui.
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    Une fois sorti de prison, j'ai donné une entrevue à un journaliste de la BBC. Au cours de cette entrevue, j'ai évoqué la question du prélèvement d'échantillons d'ADN ouïghour, et j'ai mentionné le prélèvement d'organes. J'ai également mis le journaliste en garde contre l'élaboration d'armes bactériologiques menée par la Chine. J'ai formulé ces mises en garde au cours de chaque entrevue et de chaque réunion, que ce soit au Japon ou en République tchèque. À l'époque, personne n'y prêtait attention. Soudain, dans le contexte actuel, tout le monde s'est réveillé. Maintenant, ils disent: « Oh, M. Ali nous a parlé de cela. » Mon message est que nous devons prêter attention au PCC. Si ces atrocités ne cessent pas, nous vivrons des situations encore plus graves, et le pire est à venir.
    Je voudrais conclure en demandant que nous unissions nos efforts à l'échelle internationale à ceux des diverses ONG, comme Amnistie internationale, de comités interparlementaires ou de différents États ou pays partageant les mêmes idées, afin de mettre fin à ces atrocités et de faire front commun dans cette campagne anti-chinoise visant à arrêter tout ce qui se passe. Je demande au gouvernement canadien de se montrer prévenant envers les réfugiés ouïghours bloqués dans des pays tiers comme la Turquie. Ces réfugiés ouïghours sont en train de devenir apatrides. Ils font face à des difficultés là-bas. Pour des motifs d'ordre humanitaire, je voudrais de nouveau attirer votre attention sur ce sujet.
    Je vous remercie infiniment une fois de plus d'avoir pris le temps d'entendre mon témoignage.
(1450)
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    J'exhorte le gouvernement canadien à exercer des pressions sur la république chinoise afin qu'elle ferme avant tout ces camps. Les musulmans, les Ouïghours, comme tous les gens ordinaires du monde entier, devraient avoir accès à Internet et au téléphone. Ils devraient vivre dans la dignité, en tant qu'êtres humains.
     Tout d'abord, permettez-moi de dire, depuis l'autre bout du monde, que nous aimerions vous remercier, monsieur Ali, madame Jelilova, de votre présence et de votre témoignage sincère devant notre comité. Je sais que je parle au nom de tous ceux qui sont présents dans cette salle, de tous les membres du Comité, de ceux qui regardent nos délibérations sur Internet et de nos interprètes.
    Je tiens à remercier notre interprète ouïghour, Kayum Masimov. Je vous suis reconnaissant de vos services, monsieur.
    Je remercie également notre greffière d'avoir organisé cette vidéoconférence et d'avoir permis que nous vous entendions, comme je l'ai dit, depuis l'autre bout du monde.
     Nous vous en remercions.
    [Le témoin s'exprime en ouïghour et l'interprétation en anglais de ses propos est traduite ainsi:]
    Merci beaucoup.
    Merci.
    Nous allons maintenant suspendre la séance.
(1450)

(1600)
     Bienvenue à tous.
    Conformément à la motion adoptée par le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international le 20 février 2020, le Sous-comité se réunit pour la deuxième fois aujourd'hui afin de poursuivre son étude de la situation des droits de la personne du peuple ouïghour.
    Les témoins d'aujourd'hui comparaissent par vidéoconférence. Les délibérations du Sous-comité seront disponibles sur le site Web de la Chambre des communes. Je tiens à remercier notre greffière et notre équipe technique d'avoir aidé les témoins à configurer leur équipement et à établir la connexion.
    L'interprétation de cette vidéoconférence fonctionnera pas mal de la même façon qu'au cours d'une séance ordinaire du Comité. Au bas de votre écran, vous pouvez sélectionner le canal du parquet, de l'interprétation anglaise ou de l'interprétation française. Si des difficultés techniques surviennent, par exemple en matière d'interprétation, ou si vous éprouvez un problème de son, veuillez en informer immédiatement le président, et l'équipe technique s'efforcera de les résoudre.
    J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins. Vous ferez partie du dernier groupe d'experts de cette deuxième journée consacrée à l'étude. Nous sommes heureux de votre participation à la séance. Aujourd'hui, nous allons entendre la représentante du Center for Strategic and International Studies, Amy Lehr, directrice de l'Initiative en faveur des droits humains. Puis nous accueillerons la représentante du Uyghur Human Rights Project, Mme Elise Anderson, agente principale de programme pour la recherche et la défense des droits. De plus, Guy Saint-Jacques, consultant et ancien ambassadeur du Canada en République populaire de Chine, comparaîtra à titre personnel.
    Chacun de vous disposera de six minutes pour faire sa déclaration préliminaire. Après ces déclarations, nous passerons aux séries de questions posées par les membres du Sous-comité.
    Cela dit, nous allons commencer par entendre Amy Lehr.
     Chers membres du Sous-comité, je vous remercie d'avoir organisé cette audience et de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole. Je suis heureuse de vous voir vous pencher sur un sujet aussi important et urgent.
    Comme il est indiqué, je suis directrice de l'Initiative en faveur des droits humains au Center for Strategic and International Studies, un grand groupe de réflexion non partisan établi à Washington, D.C. Au cours de l'année dernière, des responsables de mon programme ont mené des recherches sur le travail forcé dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang, ou XUAR.
    Notre travail a conjugué des recherches dans des sources ouvertes en mandarin et des entrevues avec des personnes soumises au travail forcé. Nos conclusions à ce jour ont confirmé que les pratiques de travail forcé dans la région font partie des efforts que le gouvernement chinois déploie pour réprimer les minorités ethniques et religieuses au moyen de ce qu'ils appellent la rééducation. Le travail forcé s'ajoute aussi à une surveillance généralisée exercée dans la région.
    Comme la Chine joue un rôle prépondérant dans de nombreuses chaînes d'approvisionnement internationales, les produits qui entrent aux États-Unis, au Canada, en Europe et dans d'autres pays risquent d'être entachés par le travail forcé. Aujourd'hui, j'expliquerai la façon dont le travail forcé dans la région du XUAR fait partie d'un système plus large de répression des minorités ethniques et je décrirai la pertinence du travail forcé pour les chaînes d'approvisionnement occidentales, puis nous fournirons quelques recommandations politiques qui pourraient contribuer à apporter des changements.
    Comme cela a déjà été documenté, le gouvernement chinois a détenu de force dans des centres de détention extrajudiciaires, également appelés camps de rééducation, plus d'un million de membres de minorités musulmanes dans cette région. Cette mesure a pour objet de briser les liens entre les minorités et leurs identités religieuses et culturelles et d'intégrer ces minorités dans la culture chinoise dominante Han. Cela est perçu comme un moyen de renforcer la stabilité dans la région.
    La répression du gouvernement chinois à l'encontre des minorités ethniques est considérée comme la plus grande détention de minorités religieuses depuis la Seconde Guerre mondiale et, selon le musée commémoratif de l'Holocauste des États-Unis, elle pourrait constituer un crime contre l'humanité.
    Au nom de la lutte contre l'extrémisme religieux et du renforcement de la sécurité dans la région, le gouvernement a soumis les détenus membres de minorités à une rééducation et à une formation professionnelle à l'intérieur et à l'extérieur des centres de détention. Comme vous l'avez probablement entendu plus tôt dans la journée, cette formation comprend des cours intensifs de mandarin, des éloges sur le PCC et, dans de nombreux cas, une formation professionnelle.
    À mesure que le gouvernement franchit les étapes de ce processus, le travail en usine s'avère être un élément constitutif de l'effort. Le gouvernement a recours à des programmes de transfert de main-d'œuvre pour réaffecter des milliers de membres de minorités à des postes de fabrication dans des usines du XUAR et d'autres provinces chinoises où ils sont, dans certains cas, soumis au travail forcé. Il est impossible de connaître l'ampleur réelle du travail forcé, car l'accès à la région est très limité.
    Cette campagne de rééducation est étroitement liée aux programmes gouvernementaux de lutte contre la pauvreté et de jumelage. Le programme de lutte contre la pauvreté vise à faire passer les minorités de leurs villages ruraux traditionnels au travail en usine. Le gouvernement exige des fonctionnaires locaux qu'ils respectent des quotas de membres de minorités rurales transférés vers des postes de travail en usine, ce qui crée une pression qui les incite à trouver des personnes à transférer, qu'elles veuillent ou non y aller.
(1605)
    En raison du niveau élevé de surveillance dans la région du XUAR et du risque d'être envoyé dans un camp de détention ou une prison, on suppose qu'il est très difficile pour les minorités ethniques de résister aux transferts. Le gouvernement fournit également des incitations financières aux entreprises afin qu'elles rééduquent et emploient des minorités ethniques. Nos recherches et nos entrevues indiquent qu'au moins une partie des personnes transférées dans des postes de travail en usine ne le font pas de leur plein gré, et qu'elles sont souvent nettement sous-payées. Cela soulève à son tour de graves problèmes relatifs au travail forcé.
    Ces efforts de rééducation et les programmes de lutte contre la pauvreté dont j'ai parlé sont combinés à ce que l'on appelle le programme de jumelage du gouvernement. Dans le cadre de ce programme, des provinces de Chine continentale sont associées à des régions particulières du XUAR. Chaque programme de jumelage a une orientation sectorielle fondée sur les besoins des entreprises continentales jumelées, y compris les secteurs du textile, de l'électronique et de l'agriculture. Les entreprises qui participent au programme de jumelage subissent des pressions visant à les inciter à ouvrir des usines dans la région du XUAR, et elles peuvent être invitées à accueillir des travailleurs issus des minorités, tant au sein de la région du XUAR que dans leurs usines implantées dans le reste de la Chine. Certains de ces travailleurs ont été rééduqués, d'autres le sont dans des centres de détention et d'autres encore font partie de la lutte contre la pauvreté. Je précise encore une fois que, comme nous n'avons pas accès à la région, il est vraiment difficile de connaître l'ampleur du recours au travail forcé dans le cadre de ces programmes et au sein des entreprises qui participent au programme de jumelage.
    Nous avons fait des recherches sur ce qui est produit au XUAR. C'est une importante région productrice de coton, mais elle fabrique et exporte également un certain nombre d'autres produits, notamment de l'électronique et de la machinerie, du plastique, des vêtements et des produits agricoles. Ces secteurs sont tous prioritaires dans le programme de jumelage. La question est de savoir si cela crée aussi un risque de travail forcé dans ces autres chaînes d'approvisionnement, et cela mérite des recherches plus approfondies.
    Je voudrais juste évoquer brièvement le rôle du XUAR dans les chaînes d'approvisionnement mondiales, en examinant en particulier les textiles et les vêtements à titre d'étude de cas, car nous comprenons mieux ces liens. Je voudrais faire observer que d'autres secteurs peuvent également intégrer un nombre substantiel de composants provenant du XUAR.
    La région du XUAR produit environ 20 % du coton mondial, et elle est la troisième région productrice de cachemire en importance en Chine. La Chine est le plus grand producteur de cachemire du monde. Nous avons constaté que le XUAR exporte directement peu de produits dans le monde. Ses produits sont plutôt transformés en Chine, dans de nombreux cas. Les vêtements représentaient 25 % des exportations internationales du XUAR en 2019, et les chaussures, 10 % supplémentaires, mais cela minimise fortement le rôle du XUAR dans les chaînes d'approvisionnement. La majeure partie du coton que la région produit, par exemple, est expédié vers d'autres régions de Chine pour être par la suite incorporé dans des fils, des textiles, etc., ce qui est beaucoup plus difficile à retracer.
    L'une des difficultés est que la Chine est l'un des deux plus grands producteurs de coton du monde, le plus grand producteur de fil du monde, son plus grand producteur de textiles et son plus grand producteur de vêtements. Comme le coton du XUAR et, de plus en plus souvent, le fil sont incorporés...
(1610)
    Merci, madame Lehr.
    Merci.
    Je suis sûr que vous aurez l'occasion d'en dire davantage au cours des séries de questions.
    Nous allons maintenant céder la parole à Mme Elise Anderson pendant six minutes.
    Salutations aux membres du Sous-comité. Je suis très honorée de témoigner aujourd'hui. Je me présente devant vous en tant que défenseure des droits de la personne ouïghours et en tant qu'universitaire dont les recherches portent sur l'expression culturelle ouïghoure depuis plus de 10 ans.
    Ce mois-ci, l'analyse des experts sur la crise des droits de la personne ouïghours a connu un changement significatif. Des institutions et des experts faisant autorité ont commencé à qualifier ce qui se passe là-bas de campagne probable de crimes contre l'humanité, et de génocide probable. Pendant de nombreuses années, le Parti communiste chinois, ou PCC, a systématiquement détruit les institutions qui ont longtemps servi à maintenir et à transmettre le savoir culturel ouïghour. Les entreprises de publication de revues en langue ouïghoure ont été fermées. Des poètes et des musiciens ont disparu par centaines. Des mosquées ont été rasées par des bulldozers, et plus d'un million de personnes vivantes ont été emmenées massivement dans des camps et des prisons.
    De récentes enquêtes sur le travail forcé et la stérilisation forcée, notamment la statistique alarmante selon laquelle la croissance démographique des Ouïghours dans deux préfectures a diminué de 84 % entre 2015 et 2018, ont fait la lumière sur la campagne de répression totale du gouvernement.
    Le PCC prétend qu'il doit assimiler la population ouïghoure pour réprimer les troubles et les activités terroristes, mais ce sont des excuses qui masquent les horreurs qui se produisent sous nos yeux. En endoctrinant politiquement et en assimilant de force les Ouïghours, le PCC tente de leur faire abandonner leur loyauté envers toute source d'autorité autre que le PCC lui-même. En enrôlant les Ouïghours dans des programmes de travail forcé et en transformant la région ouïghoure en un centre manufacturier bénéficiant d'une main-d'œuvre bon marché, le PCC s'assure le contrôle des terres ouïghoures à des fins d'extraction des ressources et de commerce international en déchirant en même temps les familles et les communautés ouïghoures. En d'autres termes, la relation entre le PCC et la région ouïghoure est essentiellement une relation coloniale, rappelant les histoires sombres et douloureuses des relations que les démocraties libérales telles que les États-Unis, l'Australie et le Canada entretiennent avec leurs peuples autochtones.
    Le PCC commet un génocide parce qu'il est un colonisateur. La terre et l'asservissement des populations locales sont deux prix à gagner dans son jeu final. Le PCC a cherché à contrôler totalement la région ouïghoure depuis son arrivée au pouvoir en 1949. Il a instauré l'autonomie dans la région en 1955, mais cette autonomie était et reste une imposture.
    De nombreux Ouïghours, quant à eux, professent un lien presque spirituel avec cette terre, leur patrie, ce que les observateurs extérieurs négligent trop souvent dans leurs analyses. Dans les années 1990, par exemple, alors que l'État chinois incitait les agriculteurs ouïghours à vendre leurs terres, le musicien folklorique bien-aimé Küresh Küsen a exhorté ses frères à ne pas le faire, en chantant: « La terre est merveilleuse. La terre est puissante. La terre est la source de la vie. Frère agriculteur, je t'en prie, ne vends pas ta terre. »
    Pendant que je vivais dans la région ouïghoure au cours de la dernière décennie, j'ai été frappée par la façon dont les notions de terre et de patrie semblaient encore façonner la vie quotidienne des Ouïghours. En 2015, une de mes connaissances et sa tante nous ont emmenées, moi et ma mère, qui était en visite, sur la tombe d'un érudit ouïghour vénéré, près de Kashgar. Ce tombeau a longtemps été un lieu de pèlerinage sacré, mais il est maintenant un lieu touristique désigné par l'État. Sur la tombe, un cheikh nous a décrit l'histoire, et nous nous sommes promenées sur le terrain où, au loin, au-delà de la tombe et du musée d'État qui s'y rattache, se trouve un cimetière sur une montagne de sable. Des peupliers d'un vert profond, qui marquent de façon typique les villes oasis de la région, contrastent fortement avec la mer de sable qui s'étend encore plus loin.
    Ma connaissance nous a conduites à un ruisseau d'eau de source claire et pure, et nous nous sommes accroupies ensemble. Elle m'a demandé: « Tu ne vois pas pourquoi les gens considèrent ce lieu comme sacré? », alors qu'elle transvasait de l'eau de source dans une bouteille. Je pouvais le voir.
    Pour les Ouïghours, leur terre a une signification sacrée en tant que source de vie et de sens. Cette terre ainsi que la patrie qu'elle inspire et les vies mêmes qui s'y jouent sont aujourd'hui gravement menacées. La crise ouïghoure est actuellement l'une des préoccupations humanitaires les plus urgentes de la planète, et elle exige une réponse politique multidimensionnelle de la part des gouvernements et des acteurs multilatéraux du monde entier.
    J'ai plusieurs recommandations à faire au Canada, des recommandations que je développerai pendant les séries de questions, si vous souhaitez les prendre en compte.
    Tout d'abord, il faut se concentrer sur l'admission de réfugiés. Deuxièmement, il faut dissuader les gens de harceler les Canadiens d'origine ouïghoure et punir les auteurs de harcèlement. Troisièmement, il faut bloquer les importations de produits du travail forcé. Quatrièmement, il faut interdire aux entreprises d'exporter des outils de haute technologie vers la Chine. Cinquièmement, il faut imposer aux coupables des sanctions coordonnées et ciblées. Sixièmement, il faut déterminer légalement si la crise ouïghoure constitue un génocide.
(1615)
    Il est temps que le gouvernement du Canada prenne des mesures pour tenir la promesse qui a été faite à l'échelle mondiale en déclarant « jamais plus ».
    Merci.
    Merci, madame Anderson.
    Nous allons maintenant entendre M. Guy Saint-Jacques, ancien ambassadeur du Canada en Chine.
    Vous disposez de six minutes, monsieur.

[Français]

    Bonjour, mesdames et messieurs. Je vous remercie de m'avoir invité à participer à cette séance.
    Aujourd'hui, j'aimerais surtout vous parler de la répression qui s'est accrue depuis que Xi Jinping est devenu le secrétaire général du Parti communiste chinois, en 2012. Je vais ensuite vous entretenir de la politique du gouvernement canadien à l'égard de la Chine.
    Comme vous le savez, j'ai passé 13 ans en Chine, au cours des années 1980 et 1990, et j'y ai occupé le poste d'ambassadeur de 2012 à 2016. J'ai donc pu observer l'évolution de la Chine et de sa croissance économique et la façon dont elle gère ses minorités ethniques. Depuis la conquête du Xinjiang par la dynastie Qing, au XVIIIe siècle, il y a toujours eu des tensions. En fait, les mesures qui ont été prises par les Chinois ont accru les tensions, qui ont culminé en 2009 avec les émeutes d'Urumqi, la capitale du Xinjiang. Par la suite, le gouvernement chinois a été très inquiet devant l'émergence du groupe État islamique.
     Il faut rappeler qu'à partir de 2013, la Chine a fait face à une vague d'attentats sans précédent sur son territoire. Parmi les plus importantes attaques, on retient entre autres l'attentat suicide à la voiture piégée du 28 octobre 2013, qui a eu lieu sur la place Tiananmen, à Pékin, et qui a fait 2 morts et 40 blessés, ainsi que l'attaque au couteau perpétrée en mars 2014 à la gare de Kunming, qui a fait une trentaine de morts. Il y avait donc un problème de terrorisme que le président Xi Jinping voulait régler. Il a alors invoqué une menace grave à la stabilité sociale, de façon à imposer des mesures sécuritaires extrêmement strictes au Xinjiang, notamment l'installation de caméras, l'établissement de points de contrôle, la fermeture et la destruction de mosquées, l'interdiction du port de la barbe ou du voile, des contrôles étroits sur les déplacements, et ainsi de suite.
    Bien sûr, depuis que Chen Quanguo a été nommé secrétaire général du Parti communiste chinois au Xinjiang en août 2016, on assiste à une répression, entre autres avec l'ouverture de ces camps de rééducation et le confinement d'au moins 1 million de musulmans.
(1620)

[Traduction]

     Je voudrais maintenant parler de l'expérience canadienne au Xinjiang. Lorsque l'ACDI exerçait ses activités, elle mettait en oeuvre un très important programme d'aide au développement qui était principalement axé sur la conservation et l'utilisation durable des ressources naturelles, mais qui aidait également les femmes à se lancer dans les affaires. Un certain nombre de ces projets ont été couronnés de succès au Xinjiang.
    Nous avons également connu une très triste affaire consulaire dans la mesure où un citoyen canadien, M. Huseyincan Celil, a été arrêté en Ouzbékistan au printemps 2006 et extradé vers la Chine. Nos agents consulaires n'ont jamais été en mesure d'avoir accès à lui. Bien entendu, malgré cela, ils ont rencontré des membres de sa famille au cours de leurs visites au Xinjiang.
    Je me suis rendu au Xinjiang avec une délégation dirigée par le sénateur Plett en mai 2013 dans le cadre des activités de l'Association législative Canada-Chine. Nous avons soulevé nos préoccupations relatives au cas des Ouïghours. Nous avons eu des réunions au centre islamique, mais il était clair que tout cela était une mise en scène. Après le départ de la délégation, je me suis rendu à Kashgar. J'ai rencontré la famille de M. Celil. J'ai également fait des démarches auprès des autorités locales afin d'essayer d'améliorer la situation de M. Celil — tout cela en vain.
    J'ajouterais qu'il est devenu très difficile de discuter des questions des droits de la personne avec la Chine depuis l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping. Nous avons maintenant affaire à une Chine qui est très confiante, déterminée et agressive, une Chine qui refuse de recevoir des listes de cas préoccupants et qui rejette ce qu'elle considère comme une ingérence étrangère dans ses affaires. En outre, elle a réussi à exercer un contrôle sur le Conseil des droits de l'homme des Nations unies, où même les pays musulmans refusent de condamner la Chine pour ses actions au Xinjiang.
    Que devrait faire le gouvernement canadien? Selon moi, il est désormais impossible de demeurer ambivalent par rapport à la Chine, après avoir vu ce qu'elle fait au Xinjiang, à Hong Kong, dans la mer de Chine méridionale, sans parler du lourd tribut que nous payons depuis l'arrestation de Meng Wanzhou. Nous savons très bien où Xi Jinping veut mener la Chine, comme il l'a indiqué au 19e congrès du parti, en octobre 2017. Il a déclaré que la Chine a réussi sans adopter les valeurs occidentales, et il a présenté la Chine comme modèle pour le monde entier.
    Bien entendu, nous devons continuer de dialoguer avec la Chine pour régler les grands problèmes mondiaux tels que les pandémies ou les changements climatiques. Toutefois, comme nous avons perdu confiance en la Chine, il est temps de prendre davantage de mesures pour indiquer que nous adopterons une approche plus réaliste dans nos relations avec la Chine, une approche fondée sur la protection et la défense de nos intérêts et de nos valeurs telles que la liberté d'expression et de religion et l'égalité des chances pour tous.
    Nous devrions également réagir rapidement aux cas d'intimidation ou d'ingérence perpétrés à l'encontre de Canadiens d'origine chinoise, ou d'Ouïghours ou de Tibétains vivant au Canada. Nous devrions n'avoir aucune tolérance pour des actions de ce genre.
    Bien sûr, nous devons également travailler plus étroitement avec des pays qui partagent nos vues afin de renforcer le système multilatéral et à tous de souligner que les règles s'appliquent de la même manière. Nous devrions également nous mettre d'accord sur des positions communes et des réactions similaires lorsque la Chine agit comme un tyran ou s'engage dans une diplomatie reposant sur des otages. Cela vaut également pour la question de savoir si des sanctions doivent être appliquées à l'encontre de fonctionnaires chinois. Nous devons être en bonne compagnie.
    Le message adressé à la Chine devrait être simple: nous vous invitons à jouer un rôle plus important sur la scène internationale, mais vous devez respecter tous les traités internationaux et toutes les règles internationales, et vous devez cesser de jouer les tyrans.
    C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions. Merci.
    Merci.
    Je vous remercie tous d'avoir fait vos déclarations.
    Nous passons maintenant à la première série de questions. Chaque intervenant aura droit à sept minutes.
    Nous commençons par M. Sweet.
    Merci beaucoup, monsieur le président.

[Français]

     Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Saint-Jacques.
(1625)

[Traduction]

    J'aimerais tout d'abord vous remercier d'avoir servi le Canada. Nous vous sommes grandement reconnaissants.
    Vous avez mentionné la différence observée en Chine depuis que Xi Jinping est devenu chef du PCC. J'aimerais vous poser la même question que j'ai posée hier à un autre groupe de témoins.
    Nous n'avons pas vu quelqu'un qui ressemble autant à Mao Zedong que Xi Jinping. Mao, qui a tenté de se faire l'émule du grand « Empereur jaune » et de réussir le Grand Bond en avant, Mao, auteur de nombreuses purges, de la campagne de Cent Fleurs et de toutes les autres initiatives qui ont causé la mort de millions de personnes. Je me demande si vous êtes du même avis.
    Je le suis. En fait, au cours des dernières années, depuis que Xi Jinping a accédé au pouvoir, on assiste à un retour à l'époque maoïste sur le plan de la propagande. De plus, il a démantelé le legs de Deng Xiaoping pour ce qui est du déroulement de la succession. Il a ralenti les réformes économiques et à l'instar de Staline, il effectue des purges régulières des gens qui l'opposent.
    Cependant, il reste toujours des éléments dans le parti qui s'expriment contre lui. C'est la raison pour laquelle je pense que si nous prenons des mesures pour nous opposer à la Chine, nous aiderons ces éléments à lutter contre le parti communiste et à réorienter le pays. Bon nombre de gens sont très inquiets de la direction qu'a prise le pays sous Xi Jinping.
    Madame Anderson, vous avez deux doctorats et énormément de connaissances dans le domaine des études asiatiques. Avez-vous remarqué un lien entre le traitement brutal infligé aux Ouïghours musulmans par le PCC et les Rohingyas musulmans, qui ont été malmenés et expulsés du Myanmar?
    Il serait fort intéressant et utile d'effectuer la comparaison structurelle des deux situations. Bien franchement, vu mon domaine d'expertise, je ne serais pas à l'aise de me prononcer là-dessus aujourd'hui, mais je suis prête à dire qu'il s'agit de crimes contre l'humanité atroces et horrifiants qui n'ont aucune raison d'être au XXIe siècle. Il incombe aux gouvernements des pays comme le Canada, les États-Unis et à d'autres acteurs du monde, comme les institutions multilatérales, d'agir, car les crimes commis dans ces deux pays sont absolument odieux.
    Madame Lehr, vous vous êtes rendue sur le terrain au Myanmar au courant de votre carrière.
    Notre ancien ambassadeur, M. Saint-Jacques, a évoqué le silence des pays arabes. Je vous revois au témoignage de l'un de nos témoins qui a dit que le silence est attribuable à l'initiative de la route de la soie, et que bon nombre des pays musulmans ont reçu de généreux investissements du Parti communiste chinois et ont été muselés ainsi. Avez-vous un avis là-dessus?
    La différence entre la réaction de la majorité du monde musulman à l'égard de la situation des Rohingyas par rapport à celle que l'on observe au Xinjiang est très intéressante.
    Dans le cas des Rohingyas, on a intenté une procédure devant la Cour internationale de la justice, procédure financée par l'Organisation de la coopération islamique. Le contraste est saisissant. La Chine, grand acteur sur la scène mondiale actuelle, participe à des projets de construction partout au monde et consent des prêts, ce qui a une incidence sur le sort des Ouïghours. Vu les circonstances, il faudra déployer beaucoup plus d'efforts. Autant il a fallu lutter contre la situation au Myanmar, autant il faudra, pour changer les choses au Xinjiang, coordonner la participation d'une vaste gamme d'acteurs pour viser le secteur privé, allant des gouvernements comme celui du Canada aux institutions multilatérales.
(1630)
    Monsieur Saint-Jacques, nous avons entendu plus tôt le champion de la loi de Sergeï Magnitski, Bill Browder, qui était de l'avis que le Canada pouvait se servir de cette loi de façon très efficace afin de nommer les personnes qui participent à la brutalisation des Ouïghours et leur imposer des sanctions. Seriez-vous d'accord?
    Je répondrai en disant qu'il s'agit d'un outil fort utile en théorie, mais si l'on songe aux points chauds du monde, on s'aperçoit que le gouvernement canadien a été très réticent à y recourir.
    J'ajouterais que nous savons bien sûr que la Chine peut être vindicative; nous avons déjà payé un lourd tribut. Je crois que le gouvernement canadien devra considérer un recours uniforme à la loi. C'est la raison pour laquelle j'ai dit plus tôt que nous devrions collaborer de beaucoup plus près avec nos alliés afin de présenter des réponses communes ainsi qu'un front commun.
    Compte tenu de toutes les preuves que nous avons actuellement sur la situation au Xinjiang, nous devons prendre des mesures communes. Il faudra notamment décider si nous devrions imposer des sanctions à l'égard des représentants chinois, et dans cette éventualité, sachez que la Chine usera probablement de représailles. C'est la raison pour laquelle j'ai dit plus tôt que nous ne devrions pas faire cavalier seul.
    Merci.
    Au tour maintenant de Mme Khalid, qui disposera de sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie nos invités de leurs témoignages fort intéressants. J'aimerais obtenir quelques éclaircissements.
    Madame Anderson, vous avez désigné, autant dans votre recommandation que dans votre déclaration, que les violences faites à la communauté ouïghoure constituent des crimes contre l'humanité, et vous recommandez notamment une enquête pour déterminer s'il s'agit d'un génocide.
    Pouvez-vous expliquer la distinction entre ces deux crimes, s'il vous plaît?
    Les crimes contre l'humanité et le génocide sont deux concepts juridiques distincts. Je vous rappelle que je ne suis pas juriste, mais d'après ce que je comprends, les crimes contre l'humanité visent des circonstances qui pourraient mener, par exemple, au massacre d'un grand nombre de personnes, alors que le génocide ne comporte pas forcément de massacre. Il peut y avoir des meurtres, mais le génocide porte précisément sur la destruction de groupes et les circonstances ou conditions qui mènent à la destruction de groupes particuliers.
    Si les deux autres témoins se sentent davantage en mesure de répondre à la question, je leur céderai volontiers la parole.
    Merci.
    Madame Lehr, vous avez utilisé les mêmes termes que Mme Anderson. Avez-vous quelque chose à ajouter?
    Sur le plan sémantique, la différence, c'est que les crimes contre l'humanité comportent des attaques généralisées et concertées contre une population civile, sans forcément tenir compte de l'identité d'un groupe.
    Dans le cas d'un génocide, on tente de détruire un groupe partiellement ou complètement, et il y a volonté de le faire.
    Voilà la distinction juridique existe. Il peut être difficile d'établir l'élément de la volonté dans le cas du génocide, en particulier.
    Merci.
    Madame Lehr, vous avez parlé du travail forcé dans votre déclaration. Nous avons reçu de nombreuses recommandations d'autres témoins sur la façon d'aborder le problème coriace des chaînes d'approvisionnement.
    Nous avons reçu essentiellement deux types de recommandations. L'une concerne la mise en poste récente par le Canada de l'ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises. Nous nous demandons si cette fonction sera un moyen efficace de surveiller les chaînes d'approvisionnement.
    La deuxième recommandation est liée au fait que l'ACEUM prévoit actuellement des dispositions qui interdisent le recours au travail forcé dans les chaînes d'approvisionnement.
    Que recommandez-vous au Canada afin qu'il puisse surveiller ses chaînes d'approvisionnement et s'assurer qu'elles ne sont pas entachées par le travail forcé, notamment pour ce qui est de la communauté ouïghoure?
(1635)
    Afin de bien comprendre les enjeux et les risques, il faudrait idéalement viser non seulement les exportations directes vers le Canada, ou encore du Xinjiang vers le Canada, mais également l'incidence indirecte sur vos chaînes d'approvisionnement. C'est cela qui est plus difficile.
    Selon mon expérience, il vous faut quelqu'un qui maîtrise très bien le mandarin écrit, et qui ait d'excellentes capacités de recherche en mandarin, afin de pouvoir examiner les documents des entreprises chinoises et les déclarations gouvernementales et repérer les entreprises qui participent au programme de jumelage, qui reçoivent des subventions pour la rééducation des gens, etc. Cela exige de la recherche.
    Pour ce qui est de votre ombudsman... la personne aura besoin de fonds pour recruter un employé qui ait les connaissances nécessaires. Les recherches en anglais ne suffisent pas. L'employé pourrait alors aider à dresser des listes d'entreprises à surveiller ainsi que des secteurs suspects. Je crois que ce serait très utile.
    Je vous suggère également que votre loi Magnitski et les sanctions correspondantes doivent être utilisées à l'échelon multilatéral, comme l'a dit l'ambassadeur. D'après ce que nous savons des sanctions, c'est à cet échelon-là qu'elles sont efficaces. Vous pouvez cibler des entreprises ou des représentants gouvernementaux, du moins nous pouvons le faire avec la loi Magnitski américaine. Voilà une autre possibilité. Bien franchement, les représentants des entreprises se préoccupent peut-être beaucoup plus de pouvoir venir aux États-Unis et au Canada que les membres du PCC... quelque part au Xinjiang. Voilà une piste.
    Une autre idée, qui s'étendrait au-delà du Xinjiang, ce serait d'interdire les biens produits au moyen du travail forcé, comme l'ont fait les États-Unis. Encore une fois, vous pourriez le faire en [Difficultés techniques]. Ce n'est pas une attitude anti-Chine; on cherche plutôt à lutter contre le travail forcé à l'échelle mondiale.
    Bien évidemment, je crois qu'il est essentiel de discuter avec les entreprises afin de les encourager à examiner de façon proactive leurs chaînes d'approvisionnement. Nous observons une forte volonté dans ce sens aux États-Unis qui se manifestera au cours des prochaines semaines.
    J'espère que j'ai pu répondre à certaines de vos questions.
    Merci, madame Lehr.
    J'ai une dernière question.
    Monsieur Saint-Jacques, vous avez décrit les nombreuses fois que vous aviez tenté de communiquer avec M. Celil, qui était emprisonné en Chine.
    Lorsque vous tentiez de défendre M. Celil et de lui offrir des services consulaires, quelle réponse avez-vous reçue du gouvernement chinois?
    Malheureusement, la réponse était toujours la même. M. Celil aurait obtenu la citoyenneté canadienne illégalement, et de ce fait, il était Chinois. On me disait également que M. Celil n'avait pas officiellement renoncé à sa nationalité chinoise, bien que la loi sur la citoyenneté chinoise indique que si un citoyen obtient une citoyenneté étrangère, il perd d'office la nationalité chinoise. Malgré les dispositions de la loi chinoise, les représentants ont continué à m'affirmer que M. Celil était Chinois.
    Les représentants chinois ont toujours refusé nos demandes de le voir et de lui offrir les services d'un avocat. On nous a toujours fait de l'obstruction, même lorsque le premier ministre Harper est venu pendant mon mandat d'ambassadeur. C'était en 2014, je crois, qu'il a soulevé le dossier de M. Celil, pour se faire dire que...
    Merci.
    Au tour maintenant de M. Brunelle-Duceppe, qui dispose de sept minutes.

[Français]

     Je tiens à remercier les témoins qui sont avec nous aujourd'hui. Nous en sommes très heureux, car le travail de ce comité est très important.
    Ma première question s'adresse à M. Saint-Jacques.
    Hier, nous avons reçu M. Irwin Cotler, un ancien ministre de la Justice très impliqué dans la défense des droits de la personne, entre autres. Il nous a dit que le Canada devrait déclarer que ce qui se passe au Xinjiang est un génocide et qu'il faudrait cesser d'être passif.
    Je vous pose la question directement: êtes-vous partisan de cette approche, monsieur Saint-Jacques?
(1640)
    Personnellement, je pense que ce qui se passe au Xinjiang est un génocide. Il est difficile de tirer une autre conclusion quand on sait ce qu'est un génocide et quand on voit toutes les mesures de contrôle mises en place par le gouvernement chinois pour limiter la fertilité des femmes, de même que la détention et le traitement des Ouïghours dans ces supposés camps de rééducation.
    Cependant, avant de pouvoir déclarer qu'il s'agit d'un génocide, il faut travailler avec ses partenaires. C'est dommage que les efforts qui ont été faits au Conseil des droits de l'homme des Nations unies, à Genève, n'aient pas abouti. Cela reflète la difficulté actuelle de traiter de ces questions. Rappelons que la Chine contrôle ce conseil.
    Je pense qu'il faut travailler avec nos alliés. Si nous sommes en bonne compagnie, non seulement nous pourrons déclarer qu'il s'agit d'un génocide, mais nous pourrons aussi prendre des mesures similaires en même temps.
     Cependant, si jamais le Canada le déclarait seul avant de le faire avec des partenaires bilatéraux ou multilatéraux, à votre avis, quel serait l'effet d'une telle déclaration sur les relations entre le Canada et la Chine?
    Il y aurait une plus grande détérioration. Nos relations n'ont jamais été aussi mauvaises depuis qu'on a établi ces relations diplomatiques, il y a près de 50 ans. L'approche traditionnelle de la Chine consiste à punir quiconque ose la critiquer. Il faudrait s'attendre à des mesures très sévères à l'endroit du Canada, et la Chine le ferait pour faire peur à d'autres pays.
    C'est pourquoi je pense qu'il faut travailler de concert avec d'autres pays pour développer une position commune. Ce sont toutes nos valeurs occidentales qui sont en cause.
    Dans un autre ordre d'idées, en 2018, il a été décidé que le président Xi Jinping serait en place jusqu'à sa mort, contrairement à ce qui se faisait avant, lorsqu'il y avait une alternance des chefs d'État en Chine.
    À votre avis, comment les choses pourront-elles changer compte tenu de la permanence de Xi Jinping?
    C'est très difficile d'envisager des changements, parce qu'il a réussi à éliminer ses opposants avec la campagne anticorruption. Il s'en est servi pour éliminer des successeurs potentiels. Cela dit, il y a encore des noyaux de résistance au sein du Parti communiste chinois, comme je l'ai mentionné plus tôt. Il faut essayer de développer des approches pour encourager ces gens.
    Il y a beaucoup de grogne au sein de la Chine. Beaucoup de gens se plaignent de la situation économique et de la politique poursuivie par Xi Jinping, qui nuit aux intérêts de la Chine.
    Encore une fois, il faudrait trouver des façons d'aider ces forces, mais en pensant que Xi Jinping risque d'être présent pendant de nombreuses années.
    Je vous remercie beaucoup, monsieur Saint-Jacques.
    Madame Lehr, dans votre témoignage, vous avez parlé de la chaîne d'approvisionnement.
    À votre connaissance, peut-on déjà nommer des compagnies privées occidentales qui participent à cette chaîne d'approvisionnement au Xinjiang?

[Traduction]

    Il est certainement possible d'identifier les entreprises qui utilisent cette chaîne d'approvisionnement. Il suffit de faire des recherches. Encore une fois, j'ignore la qualité de vos données sur les importations. Pour moi, la tâche est simple; il suffit que je verse un petit montant et je peux consulter une base de données commerciale qui m'indique tous les biens expédiés directement du Xinjiang. Je peux également en voir les destinataires. C'est très facile aux États-Unis. Je sais cependant que ce genre de données ne sont pas toujours publiques dans d'autres pays. J'ignore quel est l'état des choses au Canada.
    Voilà une première étape, qui est simple. Il est facile pour les entreprises d'éviter d'importer directement du Xinjiang. Toutes les entreprises devraient justement y réfléchir actuellement. Les entreprises ont été prévenues. Il faut alors examiner de plus près la chaîne pour y déceler les entreprises qui s'approvisionnent en passant par quatre ou cinq intermédiaires. Cela exige le type de recherche que j'ai mentionné plus tôt.
(1645)

[Français]

    Je vous remercie.
    Vous semblez avoir eu accès à beaucoup de témoignages de survivants concernant ce qui s'est passé au Xinjiang.
    Pouvez-vous nous détailler les sévices subis par les populations là-bas?

[Traduction]

    Nos entretiens portaient essentiellement sur la question du travail forcé, mais nous avons pu dresser un portrait plus général. Nous avons également discuté des conditions de détention. Nous avons parlé à des gens, de simples citoyens. Ils n'étaient pas tous Ouïghours. Ils venaient de divers groupes ethniques musulmans. C'étaient des mères et des pères, des gens ordinaires qui ont été la cible d'une rafle et mis en détention, parfois dans plusieurs centres de détention. Certains ont été victimes de violences physiques, selon le centre. Parfois, on les frappait avec des bâtons de bois parce qu'ils faisaient des erreurs en mandarin, on leur interdisait d'aller aux toilettes sans être accompagnés d'un gardien, et ainsi de suite. C'est un traitement humiliant, épuisant et horrifiant. On met ensuite ces gens au travail forcé.
    Encore une fois, c'est sur cet aspect que nous nous sommes concentrés. Nous avons appris que ces gens travaillaient sans être payés ou encore recevaient pour une année de travail un salaire équivalent à une paie mensuelle. Ces gens étaient sous surveillance constante et vivaient dans des dortoirs avec des gardiens. Chaque jour, ils devaient monter à bord d'autobus accompagnés de gardiens jusqu'aux usines. Il y avait également de la surveillance aux usines et des dispositifs de sécurité. Les gens n'avaient aucune idée quand cela prendrait fin ni comment. Tous leurs appareils étaient surveillés.
    Nous n'avons jamais vu un tel contrôle et une telle surveillance étatiques dans l'histoire du monde.
    Merci.
    Au tour maintenant de Mme McPherson, qui a sept minutes.
    Je vous remercie de vos témoignages aujourd'hui. C'est fort intéressant.
    J'ai des questions pour vous trois. La première est destinée à Mme Lehr.
    Vous avez beaucoup parlé du travail forcé, et je sais que nous vous avons coupé la parole pendant votre déclaration. J'aimerais vous donner un peu plus de temps. Vous avez notamment souligné les efforts de réduction de la pauvreté qui servent de prétexte. Pouvez-vous nous en dire plus, s'il vous plaît?
    Bien sûr, avec plaisir.
    Nos connaissances sur les efforts de réduction de la pauvreté proviennent surtout de documents publics, mais également des entrevues que nous avons effectuées. C'est un programme qui, de prime abord, ne fait pas sourciller. On cherche à déplacer les membres des minorités, qui sont arriérées et pauvres et vivent en région rurale, afin qu'ils travaillent dans les usines, en présumant que c'est ce que ces gens veulent. Les fonctionnaires doivent respecter certains quotas.
    En tant que juriste spécialisée dans les droits de la personne, je dirais que lorsque des quotas semblables sont imposés et que les fonctionnaires sont punis pour ne pas les avoir respectés, il en découle des situations terribles. Dans le présent cas de figure, nous craignons que les gens soient forcés à participer au programme de réduction de la pauvreté et soient déplacés pour le travail contre leur volonté parce que les fonctionnaires tentent de respecter leurs quotas.
    Nous avons obtenu la confirmation de certains faits grâce à nos entrevues. À l'époque, nous n'étions pas à la recherche de gens qui avaient participé au programme de réduction de la pauvreté, mais il nous est arrivé de parler à des personnes qui avaient travaillé aux côtés de gens qui participaient au programme et qui avaient été déplacés vers les usines. C'était comme pour les anciens détenus. Ces gens se faisaient payer le salaire minimum d'un mois pour toute une année de travail, et devaient vivre dans des dortoirs loin de leur famille, sous une surveillance constante, contre leur gré. On leur a dit que s'ils ne participaient pas au programme et ne travaillaient pas, on les enverrait à un centre de détention.
    J'ai une petite question de suivi. Lorsque ces gens participent au programme de réduction de la pauvreté... ou au travail forcé, ou vivent dans ces dortoirs, je présume que leurs enfants sont abandonnés. Que leur arrive-t-il?
    Je crois que Adrian Zenz, qui a peut-être déjà témoigné devant vous, a effectué plus de recherches à ce sujet.
    L'une des grandes préoccupations, c'est que ces enfants sont abandonnés, sans personne pour s'en occuper, car il paraît que dans certaines régions, les villages sont presque vides. Il n'y a personne pour s'occuper des enfants qui deviennent pupilles de l'État et sont envoyés à des écoles de l'État.
    J'ai une dernière question pour vous avant de passer à un autre témoin.
    Vous avez parlé de la nécessité de vérifier que les entreprises soient sûres de leurs chaînes d'approvisionnement. Il me semble plutôt optimiste que les entreprises le feraient de leur propre gré, notamment certaines sociétés multinationales. Quelles mesures pourrions-nous prendre afin de manier un peu plus le bâton et moins la carotte?
(1650)
    Une première tactique serait d'exiger que les entreprises fassent preuve de diligence raisonnable pour ce qui est de leurs chaînes d'approvisionnement, en exigeant qu'elles dressent des rapports qui indiquent les divers maillons et l'existence éventuelle de liens avec le Xinjiang. On pourrait également exiger une transparence entière, ce qui déjà pourrait être utile, car les entreprises ne voudront pas déclarer qu'elles ont trouvé un lien avec le Xinjiang quelque part dans leur chaîne d'approvisionnement. Aux États-Unis, nous avons une loi sur les tarifs douaniers, la Tariff Act, dont on peut se servir pour saisir des biens produits au moyen du travail forcé à tout moment dans la chaîne d'approvisionnement. C'est un outil très puissant aux États-Unis. Je ne sais pas si le Canada a des dispositions semblables, mais vu la forte prise de position de votre gouvernement contre le travail forcé, je vous suggère d'y songer de façon générale.
    Ce sont certaines mesures qui pourraient vous permettre d'au moins commencer à exiger des comptes des entreprises, et vous pourriez leur serrer la vis si elles ne se conforment pas.
    Parfait.
    J'aimerais poser une petite question à Mme Anderson.
    Vous avez parlé de l'extraction des ressources dans la région. J'imagine qu'il existe des preuves du travail forcé pour cette activité. Vous pourriez peut-être nous en parler, et ensuite nous dire si des sociétés canadiennes ou internationales participent également à l'extraction des ressources dans la région.
    Nous avons effectivement connaissance d'une participation de longue date de la part des sociétés internationales. Je n'ai pas de certitude quant à la présence de sociétés canadiennes en particulier, mais les sociétés internationales y sont certes, notamment dans le secteur du charbon et d'autres filières énergétiques.
    Cependant, la plupart du travail forcé que nous observons dans le cadre de la campagne actuelle est lié aux industries nommées par Mme Lehr. Les textiles, les appareils électroniques, l'agriculture, la production alimentaire, les tomates et même la sauce ketchup, qui sont exportés partout au monde, sont directement concernés par ces programmes de travail forcé, et non pas juste par l'entremise d'un intermédiaire. Nous voyons divers secteurs.
    Toutefois, le secteur d'extraction des ressources que j'ai évoqué plus tôt est intimement lié à un type de colonialisme qui se répand de plus en plus dans la région depuis l'arrivée du PCC au pouvoir. Ce phénomène se manifeste par l'arrivée de gens non ouïghours, non kazakhs, non kirghiz et non autochtones de l'extérieur de la région qui travaillent pour une société d'État quasi paramilitaire chargée d'extraire les ressources comme le charbon et le pétrole. C'est un système apparenté, mais qui présente quelques différences.
    Il me reste seulement 40 secondes. Pouvez-vous confirmer rapidement que le secteur des minéraux et des ressources de la région est de toute évidence lui aussi un facteur lié aux phénomènes que vous observez?
    Il va sans dire que les minéraux et les autres ressources sont un facteur.
    Merci.
    Nous en sommes maintenant à la deuxième série de questions. Chaque intervenant aura cinq minutes.
    Nous commencerons par M. Zuberi.
    J'aimerais d'abord remercier tous nos invités pour leur participation et leurs excellents témoignages.
    Approfondissons les choses. Nous avons parlé des chaînes d'approvisionnement et de la province du Xinjiang. Nous n'avons pas parlé du peuple ouïghour et des autres minorités qui sont expulsés de la province vers la Chine continentale et l'incidence sur les chaînes d'approvisionnement. Pouvez-vous nous en dire plus?
    Permettez-moi de commencer.
    Le Australian Strategic Policy Institute, l'ASPI, a publié un rapport important détaillé à ce sujet.
    J'ai indiqué plus tôt que ces programmes de jumelage permettent de jumeler les sociétés de la Chine continentale avec les diverses régions du Xinjiang et comportent des volets de réduction de la pauvreté et de déplacement de la main-d’œuvre.
    Nous avons observé que certaines minorités sont déplacées en grand nombre, voire des dizaines de milliers de personnes, vers d'autres régions de la Chine pour travailler dans les usines des fournisseurs. Le rapport de l'ASPI a indiqué que certaines usines font partie des chaînes d'approvisionnement des grandes marques internationales. Il y a donc un nouveau risque qui doit être mieux compris et les sociétés doivent certainement être en mesure de saisir la situation et de la rectifier.
(1655)
    Le rapport nomme 83 sociétés, de grandes sociétés de marque.
    Lorsque nous regardons ce qui est produit dans la province, nous devrions également tenir compte dans notre analyse de ce qui est produit à l'extérieur de la province grâce au travail forcé.
    C'est exact.
    Comme je l'ai dit, l'une des choses que nous cherchons à mieux comprendre, c'est le programme de jumelage, au titre duquel certaines provinces chinoises ont des entreprises qui y participent et ont voix au chapitre quant au choix des secteurs visés par le programme. Ainsi, on pourrait dire que dans une certaine province, le risque le plus élevé sera présenté par les appareils électroniques et la production alimentaire, mais dans une autre province, ce sont peut-être les vêtements. En faisant la recherche, on trouve certains indicateurs de risque.
    D'accord.
    Pouvez-vous nous parler de la technologie canadienne ou occidentale en général qui est utilisée pour surveiller les minorités dans la province?
    Si vous me le permettez, je vais répondre,et il se peut qu'un autre témoin veuille compléter mes propos.
    C'est une excellente question qui mérite d'être approfondie, bien franchement. Nous savons qu'à l'heure actuelle, la surveillance se fait essentiellement dans la province par des entreprises chinoises et qu'il s'agit, d'une certaine façon, de leur laboratoire expérimental. Les entreprises reçoivent beaucoup de fonds de l'État, et elles deviennent fort compétentes dans les domaines comme la reconnaissance faciale et l'apprentissage machine. Toutefois, elles ont besoin de certains composants de l'Occident, comme les séquenceurs d'ADN. Elles obtiennent donc probablement leurs pièces et composants de l'Occident, et le gouvernement américain a pris une série de mesures pour les en empêcher aussi récemment qu'hier.
    De plus, on ne songe pas suffisamment aux bâilleurs de fonds de ces entreprises chinoises ni au fait que du capital de risque américain ou canadien est versé aux entreprises chinoises qui participent directement aux violations.
    Je ne sais pas si les autres témoins veulent y mettre leur grain de sel, mais j'ai une autre question en attendant. Pouvons-nous faire le lien entre la recherche chinoise et la façon dont de nouveaux renseignements ont montré que le programme est chapeauté par les dirigeants. Pouvez-vous en tenir compte dans votre réponse, s'il vous plaît?
    Je répondrai pour vous parler de la technologie et des outils de pointe.
    Bon nombre des entreprises chinoises, comme l'a indiqué Mme Lehr, participent directement à la surveillance dans le cadre du programme. Elles ont des liens serrés avec des universités, des instituts de recherche et d'autres chercheurs partout au monde. Nous avons vu des cas où des scientifiques de laboratoires de recherche américains ont collaboré sans se rendre compte qu'ils participaient à des activités aussi sinistres.
    Le Uyghur Human Rights Project est d'avis qu'il faut absolument s'assurer que les entreprises technologiques chinoises qui participent à de telles activités et qui contribuent au système ne peuvent acheter des composants de sociétés étrangères. Voilà une façon d'endiguer le mal.
    Au tour maintenant de M. Genuis, qui dispose de cinq minutes.
    Merci, monsieur le président, et merci également aux témoins.
    Je vais reprendre là où nous en étions avec Mme Lehr.
    De nombreuses sociétés chinoises comme Nuctech, Dahua et Hikvision entretiennent des liens serrés avec l'État chinois et jouent un rôle pour ce qui est de fournir la technologie de surveillance. Nous le savons. En fait, nous savons également que le gouvernement du Canada a, dans certains cas, songé à acheter la technologie de ces sociétés. De plus, notre fonds de pension a investi dans Dahua et Hikvision. Pouvez-vous nous recommander une mesure simple afin d'interdire ce type d'activité à l'avenir?
    Je présume que votre fonds de pension a des critères sociaux et environnementaux dont il se sert pour ses placements, et il me semble que s'il prenait ces critères au sérieux, il y aurait une incidence sur ce type d'investissement et ce serait l'occasion d'agir.
    Je crois qu'il vaudrait la peine de regarder ce que font les États-Unis au chapitre du contrôle des exportations, car comme vous le savez probablement, les États-Unis ont passé les exportations au crible en ciblant la vente de certains types de technologies à des sociétés de surveillance et de technologie utilisés pour violer les droits de la personne au Xinjiang. Voilà deux possibilités évidentes.
    Merci.
    Nous avons prévu des critères et le contrôle des exportations. J'aimerais aller plus loin et parler des approvisionnements en composants. Ainsi, dans le cas d'une société comme Immervision, qui fournit des pièces pour les caméras de Hikvision, pensez-vous que nous devrions également tenter de limiter les investissements dans les sociétés qui fournissent des pièces aux entreprises dont la technologie est utilisée à des fins de répression?
(1700)
    Mme Anderson voudra peut-être répondre à la question elle aussi, mais je vous conseille une approche stratégique. Les États-Unis tentent de cibler certaines technologies essentielles et les cas où les sociétés américaines risquent de jouer un rôle important pour ce qui est de l'approvisionnement. Il ne nous sera peut-être pas possible de bloquer chaque pièce qui pourrait possiblement être utilisée par Hikvision, mais on pourra cibler les pièces essentielles.
    Merci.
    Outre les dispositions juridiques, toute personne qui nous écoute et regarde devrait essayer d'éviter d'investir dans les composants, car il y a aussi la question de la responsabilité individuelle pour ce qui est d'éviter ce type d'investissement.
    Madame Anderson, avez-vous d'autres commentaires?
    Je crois que Mme Lehr a été éloquente.
    Merci. J'ai une autre question pour vous.
    Dans certaines régions de la Chine, on constate des efforts visant à perturber les pratiques religieuses et à les contrôler, notamment dans le cas de la communauté chrétienne. L'État chinois indique que le peuple peut avoir des églises, mais il faut enlever les crucifix et les remplacer par des images de Xi Jinping. L'État s'immisce-t-il dans le contexte des musulmans, ou s'agit-il plutôt d'efforts directs de destruction?
    Mon organisation, le Uyghur Human Rights Project, a documenté la destruction physique de nombreuses mosquées et d'autres sites saints au cours des dernières années depuis le début de la plus récente campagne d'atrocités.
    L'État a enlevé les étoiles et les croissants des toits des mosquées, ainsi qu'une signalisation importante. Il a détruit certaines mosquées et les a remplacées par de nouvelles structures. Les cimetières ont été transformés en terrains de stationnement, et ainsi de suite. Des outrages semblables ont lieu dans l'ensemble de la société ouïghoure.
    Monsieur Genuis, il vous reste 30 secondes.
    Merci beaucoup.
    Madame Lehr, vous avez parlé de données sur les importations, et je crois que nous devrions vérifier ce qui peut être consulté ici au Canada. Existe-t-il cependant la possibilité de mettre en commun de façon plus efficace les données sur les importations des pays aux valeurs semblables, afin de tirer profit des données que recueillent les États-Unis, par exemple, et de coordonner notre réponse au chapitre du suivi de nos chaînes d'approvisionnement?
    Ce serait très utile. Ce n'est pas facile d'effectuer un suivi des chaînes d'approvisionnement mondiales. Nous avons constaté essentiellement que nous pouvons savoir d'où provient ce qui est importé aux États-Unis, à tout le moins directement, mais nous n'avons aucune idée de ce qui se passe en Europe, et je ne pense pas qu'à l'heure actuelle nous ayons accès aux données qui concernent le Canada. Il se peut toutefois que nous n'ayons pas tenté de les acheter.
    Je pense en outre que certains produits sont expédiés au Canada en passant par les États-Unis, alors vous pourriez à tout le moins avoir ces renseignements. Oui, ce serait une idée.
    Merci.
    Madame Vandenbeld, vous avez cinq minutes.
    Merci beaucoup à tous nos témoins.
    Je vais commencer par l'ambassadeur Saint-Jacques.
    Vous avez dit dans votre exposé que si nous décidons d'agir, nous devons être en bonne compagnie, nous devons travailler avec des pays aux vues similaires aux nôtres comme le Groupe des cinq.
    Avez-vous des suggestions sur la façon de procéder pour jouer un rôle actif et mobiliser les efforts à l'échelle multilatérale? Nous avons vu dernièrement, par exemple, que même la Nouvelle-Zélande n'a pas signé la déclaration au sujet de Hong Kong comme nous l'avons fait avec nos partenaires du Groupe des cinq. Existe-t-il une façon d'y arriver?
    Vous avez parlé, par ailleurs, du problème qui se pose si les pays font cavalier seul, car ils deviennent alors le signal d'alarme pour les autres pays. Les pays doivent donc agir de concert. Comment procède-t-on concrètement?
    Il faut déployer des efforts pour sensibiliser tous les pays au fait que nous sommes tous dans le même bateau et que nous avons beaucoup à perdre. Vous avez peut-être entendu l'idée que la Chine nous change plus que nous ne la changeons, et je suis fermement convaincu que c'est ce qui est en train de se passer.
    Dans le cas du Canada, si vous examinez la stratégie d'engagement du gouvernement fédéral depuis un an et demi, soit depuis les arrestations de Michael Kovrig et Michael Spavor, vous vous rendrez compte que la Chine a réussi à faire taire la voix du Canada. Nous avons critiqué du bout des lèvres la situation au Xinjiang et les gestes posés par la Chine à Hong Kong ou dans la mer de Chine méridionale.
    C'est pourquoi je disais qu'il faut déployer plus d'efforts pour tenter de renforcer le système multilatéral. Cela ne s'applique pas seulement au commerce international, mais aussi aux droits de la personne, car nous assistons actuellement à une érosion graduelle de ces droits. La Chine est très présente et connaît beaucoup de succès avec son initiative la Ceinture et la Route, que certains d'entre vous ont appelé la « route de la soie ». Elle fournit des prêts et force les pays à ne pas critiquer la Chine.
    Je crois, encore une fois, que nous avons beaucoup à perdre. Nous devons nous servir de preuves comme celles que nous avons entendues aujourd'hui pour dire aux autres pays que nous ne pouvons pas rester les bras croisés devant la situation au Xinjiang. Discutons sérieusement des mesures que nous pouvons prendre ensemble pour forcer la Chine à réfléchir sérieusement avant d'agir de la sorte.
    Les dirigeants chinois sont très préoccupés par l'image de la Chine, même si sous Xi Jinping, nous découvrons une Chine beaucoup plus agressive, arrogante et sûre d'elle. Ils sont toutefois encore préoccupés par leur image. Ils ont besoin des autres pays, car 19 % du PIB de la Chine reposent sur le commerce international. Encore une fois, notre message devrait être qu'ils doivent changer leurs façons de faire et cesser de se comporter en tyran; autrement, nous n'aurons plus confiance en vous et nous allons limiter nos contacts.
(1705)
    Merci beaucoup.
    Madame Lehr, vous avez mentionné diverses recommandations à la fin de votre exposé. Vous les avez énoncées rapidement, et je me demandais si vous vouliez en profiter pour nous en dire plus sur certaines d'entre elles.
    Je l'ai fait dans quelques-unes de mes réponses aux questions. Je suis désolée. Je pensais avoir un peu plus de temps pour présenter mon exposé.
    Comme je sais qu'il existe une version canadienne de la Global Magnitsky Act — on parle de la GloMag aux États-Unis —, une de mes suggestions est de réfléchir à la façon d'en étendre la portée pour qu'elle ne s'applique pas seulement aux représentants du PCC impliqués dans des actes illicites, mais potentiellement aussi aux entreprises et à leurs représentants en Chine. C'est une stratégie baptisée les « sanctions du réseau ». Nous sommes nombreux à penser que c'est vraiment ainsi que les sanctions peuvent être efficaces.
    J'ai aussi pensé qu'il serait utile d'avoir et de tenir à jour des listes publiques d'entreprises à surveiller, en particulier les entreprises chinoises, qui sont connues pour avoir recours au travail forcé dans la Région autonome ouïghoure du Xinjiang, ou qui sont soupçonnées de le faire. Si vous consultez notre rapport d'octobre 2019, nous décrivons comment vous pourriez procéder, selon nous, pour la créer.
    Encore une fois, je pense que les entreprises qui ont recours au travail forcé, y compris au Xinjiang, vont y penser à deux fois avant de courir le risque de voir leurs produits saisis. Les pratiques d'approvisionnement du gouvernement seraient aussi une avenue que vous pourriez explorer. J'aimerais bien voir le gouvernement américain s'y intéresser davantage également. D'où viennent vos produits? Viennent-ils du Xinjiang? C'est un élément sur lequel le gouvernement a le contrôle. A-t-on eu recours au travail forcé pour les fabriquer?
    Vous pouvez prendre les mesures que vous voulez pour modifier le comportement des entreprises, mais je crois qu'il faut surtout se demander comment travailler avec nos alliés. Comment pouvons-nous nous doter d'une approche multilatérale ou à tout le moins, à multiples facettes, pour vraiment commencer à produire les effets que nous devons avoir? Les États-Unis ont souvent agi seuls, et cela n'a pas, de toute évidence, donné les résultats que chacun espérait. Nous avons vraiment besoin de tout le monde.
    Merci, madame Lehr.
    Nous passons à M. Brunelle-Duceppe pendant cinq minutes.

[Français]

     Je vous remercie, monsieur le président.
    J'aimerais faire profiter ce sous-comité de votre expérience diplomatique, monsieur Saint-Jacques.
    Je ne sais pas si vous avez lu la lettre d'un diplomate chinois, qui est parue hier dans La Presse, au sujet de Hong Kong et de la loi sur la sécurité, qui touche aussi les Ouïghours. C'est troublant. Je soupçonne que ce geste de prise de parole vise à changer le discours médiatique occidental sur la Chine.
    À votre connaissance, des officiels chinois ont-ils pris la parole dans d'autres médias occidentaux? Selon votre expérience, cela signifie-t-il que la pression diplomatique sur la Chine commence à être forte?
    Je pense que la pression diplomatique commence à être forte.
    Vous avez peut-être entendu l'expression anglaise « wolf warriors », les guerriers loups. Cela reflète les stratégies beaucoup plus agressives employées par des diplomates chinois. On l'a vu au Canada, alors que l'ancien ambassadeur, M. Lu Shaye, avait critiqué le premier ministre Trudeau et Mme Freeland, quand elle était ministre des Affaires étrangères. C'est une diplomatie beaucoup plus agressive.
    En ce qui concerne la lettre de M. Chen Xueming parue dans La Presse, une excellente réponse a été préparée aujourd'hui, et elle contredit ce qui est dit dans cette lettre. Bien sûr, il y a beaucoup de faussetés dans la lettre de M. Xueming. Il n'y a jamais eu de vraies consultations à Hong Kong sur cette loi. On ne permet pas aux opposants d'exprimer leurs points de vue.
    Le malheur, dans tout cela, c'est que cela se passe aussi aux États-Unis. La publication China Daily a des encarts dans le Washington Post et dans d'autres grands quotidiens américains. Les Chinois utilisent la liberté de parole qui existe dans nos sociétés, alors qu'il est impossible pour nos diplomates de faire paraître un éditorial ou une opinion dans les journaux chinois. Il y a un abus de ce côté fait par les diplomates chinois.
(1710)
    Toujours sur le plan diplomatique, on a vu la Grande-Bretagne rayer Huawei de son territoire. Pensez-vous qu'il serait possible de faire la même chose ici? Cela aurait-il une incidence sur le plan diplomatique ou d'un autre ordre?
    Le gouvernement fédéral va finalement devoir prendre une décision à ce sujet. L'éditorialiste de La Presse M. Alexandre Sirois écrivait en fin de semaine que le Canada pourrait adopter l'approche de la Nouvelle-Zélande, qui, sans déclarer officiellement une interdiction d'utilisation des produits, refuse aux compagnies, une par une, l'utilisation de l'équipement de Huawei.
    De toute façon, la confiance est perdue. Mon opinion a changé sur cette question. Il y a quelques années, je pensais que nous pouvions faire affaire avec Huawei. Maintenant, compte tenu de tout ce que nous savons sur ce qui se passe en Chine, nous ne pouvons pas courir le risque de rendre nos installations vulnérables. Il faut donc interdire à ce pays de participer au développement de la technologie 5G au Canada.
     Je vous remercie.
    Madame Anderson, il me reste un peu de temps pour vous poser une question.
    Au fil des témoignages que nous avons reçus ici, au Sous-comité, nous avons appris, entre autres choses, qu'il n'y avait pas seulement un génocide, mais aussi un génocide culturel. Nous en avions déjà des preuves. Le gouvernement chinois veut absolument assimiler les populations locales, comme les Hans, les Ouïghours, ainsi que les autres minorités au Xinjiang.
    Avez-vous une idée de la situation actuelle des artistes et de la culture ouïghours au Xinjiang?

[Traduction]

    Je vous remercie de poser la question.
    Au cours des dernières années, j'ai pu constater à distance que beaucoup de musiciens et d'autres artistes du spectacle ont disparu dans diverses formes de détention extrajudiciaire. Certains ont été envoyés dans des camps, d'autres en prison. Récemment, un d'entre eux, selon ce qui a été rapporté, a été condamné à 15 ans de prison lors d'un procès à huis clos pour lequel il n'existe absolument aucune documentation nulle part. Nous constatons que les musiciens et l'élite culturelle disparaissent au côté de gens de tous les milieux dans la société ouïghoure.
    Je constate une diminution de l'activité musicale. Ma recherche portait principalement sur la musique. Les concerts publics ont presque tous disparu. Les ensembles professionnels ne se produisent plus. Il n'y a plus vraiment de vie culturelle publique. C'est une situation très alarmante, car auparavant, la vie culturelle publique servait de lieu et de tribune pour assurer la survie des traditions ouïghoures, de la langue ouïghoure, etc. Beaucoup de ces lieux ont disparu.

[Français]

    Je vous remercie beaucoup.

[Traduction]

    Merci.
    Nous passons à Mme Khalid pendant cinq minutes.
    Puis-je partager le temps qui m'est alloué?
    Le président: Oui. Monsieur Zuberi, allez-y.
    Mme Iqra Khalid: Merci.
    Ma question s'adresse à quiconque veut y répondre. Elle peut s'adresser à l'ambassadeur, mais elle s'adresse à quiconque se sent à l'aise d'y répondre.
    Avant 2019, nous n'entendions parler que de faits anecdotiques. Nous savons que des documents du gouvernement chinois ont été divulgués en 2019. Selon le New York Times et un consortium de journalistes indépendants, les documents qui ont fait l'objet d'une fuite ont mis au jour un programme.
    Pouvez-vous nous en parler? Au début, il s'agissait de faits anecdotiques, mais nous disposons maintenant d'information concrète en provenance de l'organisation centrale indiquant qu'un programme est en place.
(1715)
    Permettez-moi de commencer.
    Oui, en effet, il s'agissait d'une révélation importante et cela rejoint ce que je disais plus tôt: il n'y a pas d'unanimité au sein du peuple chinois. Beaucoup d'intellectuels chinois dénoncent ce qui se passe au Xinjiang et au Tibet.
    Je crois que dans le cas que vous avez mentionné, il s'agissait d'un document très bien gardé et à circulation restreinte. Nous devons présumer que c'était quelqu'un au sein du Parti communiste qui a décidé d'en couler une copie. Sachant cela et après tous les rapports qui ont été publiés, je pense qu'il est impossible en quelque sorte de rester ambivalent au sujet de la Chine.
    Si je peux me permettre d'intervenir pour répondre moi aussi à la question, je suis tout à fait d'accord. Je pense qu'il était remarquable que la fuite provienne de quelqu'un au sein même du Parti communiste.
    Je pense qu'il importe également de mentionner très clairement qu'une bonne partie de ce que nous savons au sujet de ce qui se passe, nous l'avons appris dans des documents émanant du gouvernement. Les chercheurs analysent les données du gouvernement, les documents du gouvernement. Nous analysons les dossiers qui se trouvent sur Internet et qui sont diffusés dans les médias sociaux.
    Nous obtenons de temps en temps... Il y a eu trois fuites très médiatisées. Il y a eu celle au New York Times. Puis, et je crois que c'était en novembre l'an dernier, nous avons vu les télégrammes chinois du Consortium international des journalistes d'investigation, puis en février, il y a eu le document Karakax avec la liste Karakax.
    Il y a beaucoup de preuves, et elles proviennent de la bouche même de représentants du gouvernement chinois.
    Merci.
    Ce sont des preuves très importantes, car nous pensons souvent que les faits sont anecdotiques. Ce n'est pas anecdotique. C'est l'élément que j'essaie de faire ressortir ici.
    Je suis d'accord, oui.
    Madame Khalid, avez-vous autre chose à ajouter, ou devrais-je passer à Mme McPherson?
     Me reste-t-il du temps?
    Il vous reste environ une minute, mais nous aurons une autre série de questions.
    D'accord. Non, allez-y.
    Nous passons à Mme McPherson. Après les cinq minutes dont dispose Mme McPherson, nous aurons une dernière série de questions. Chaque parti pourra poser une ou deux questions et les témoins auront l'occasion de nous en dire plus. Si vous voulez soulever un point dont nous n'avons pas parlé, nous vous demandons d'en parler dans la dernière série de questions. Merci.
    Madame McPherson, vous avez cinq minutes.
    Merci, monsieur le président. J'ai quelques questions pour M. Saint-Jacques.
    Je remercie encore une fois tous nos témoins de leurs remarques. Elles sont très utiles.
     Monsieur Saint-Jacques, vous m'avez un peu intriguée lorsque vous avez parlé de l'ACDI et du financement destiné au développement international, qui a pris fin, je crois, en 2013. Vous ne recommanderiez pas que nous rétablissions le financement destiné à la société civile dans ce cadre, n'est-ce pas?
    Je vous remercie de me donner l'occasion d'en dire plus à ce sujet, car je ne pouvais pas tout dire ce que j'avais à dire en six minutes.
    À l'époque, la situation était très différente. Je crois que le gouvernement chinois n'avait pas entrepris sa campagne d'assimilation, d'anéantissement de la culture ouïghoure. En fait, le gouvernement chinois aidait même les femmes ouïghoures à se lancer en affaires pour développer un peu le commerce.
    Outre les programmes officiels de l'ACDI, je dois ajouter que nous disposons à l'ambassade du Fonds canadien d'initiatives locales que nous pouvons utiliser pour financer de petits projets. Lorsque j'étais ambassadeur, nous accordions parfois des subventions de 20 000 $ ou 50 000 $ pour aider les gens à mettre en place une coopérative ou pour lutter contre la discrimination basée sur le genre. Nous avons obtenu de bons résultats. Nous avions quelques projets au Xinjiang.
    Je dois dire qu'après que le gouvernement a changé la loi sur les ONG en Chine pour les empêcher de recevoir des fonds étrangers, il est devenu presque impossible de financer ces projets. Le gouvernement chinois craignait beaucoup que certains d'entre eux provoquent de l'instabilité sociale.
(1720)
    Je vous remercie de votre réponse.
    À ce sujet, vous aviez parlé du fait que nombre de pays musulmans ne s'élèvent pas contre cette atrocité et que leur silence pose problème en quelque sorte.
    Nous avons vu aussi que la Chine est très active en Afrique subsaharienne. La Chine y a, de toute évidence, de grandes ambitions et veut continuer de coloniser cette région et d'y accroître son influence.
    Existe-t-il, ou pourrait-il y avoir, une façon de travailler avec nos alliés au sein des pays de l'Afrique subsaharienne pour contrer cela? Créer des alliances serait-il une autre avenue à emprunter?
    Oui, je suis d'accord avec vous. En fait, n'oublions pas que le Canada a déjà été très présent en Afrique. C'est vraiment dommage que cette présence ait été considérablement réduite au cours des 10 dernières années. Nous disposons encore là-bas d'un important capital de sympathie. Les gens n'ont pas oublié tous les bons projets qui ont été entrepris.
    N'oublions pas non plus que l'on trouve beaucoup de pays ayant une importante population musulmane en Afrique subsaharienne. En fait, quelques initiatives ont vu le jour, notamment une à laquelle participent les États-Unis, le Canada et le Japon et qui vise à créer un fonds international pour faire concurrence au fonds proposé par la Chine.
    J'ajouterais que l'attitude de certains pays africains a commencé à changer après avoir vu comment la Chine a géré la pandémie de la COVID-19 et les rapports sur les mauvais traitements réservés aux ressortissants africains, en particulier à Guangzhou dans le Sud de la Chine.
    Nous devons prêter attention aux agissements de la Chine en Afrique, car encore une fois, elle force ces pays à appuyer leurs positions. C'est une région où nous devrions investir un peu plus pour offrir plus de choix à ces pays.
    Je crois fermement en l'importance d'accroître l'aide au développement outremer, et je ne peux m'empêcher de penser que cela nous placerait dans une meilleure position pour contrer certaines avancées du PCC dans la région.
    Merci beaucoup.
    Merci.
    Nous allons maintenant entamer notre dernière série de questions. Comme je l'ai mentionné un peu plus tôt, chaque parti pourra poser une question, peut-être deux. Une fois que tous les députés des différents partis auront terminé de poser leurs questions, les témoins auront l'occasion d'ajouter leurs dernières observations pendant les 30 ou 60 secondes restantes.
    Sur ce, je cède la parole à Mme Khalid.
    Merci, monsieur le président.
    J'ai une petite question, et je crois que Mme Vandenbeld en a une aussi.
    Monsieur Saint-Jacques, vous avez parlé brièvement dans votre exposé des activités terroristes qui ont eu lieu en Chine en 2013 et 2014, et qui ont mené à un accroissement de la surveillance de la communauté musulmane au pays, en particulier dans la province du Xinjiang.
    Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Je crois comprendre — et j'espère que vous me corrigerez si j'ai tort — qu'il y avait déjà de la surveillance avant ces événements.
    Pourriez-vous nous dire ce qu'il en est, s'il vous plaît? Merci.
    Vous avez raison. En fait, la surveillance s'est accrue. Ce qui s'est passé après... Il y a eu quatre attaques.
    Tout a commencé, bien sûr, par les graves émeutes qui ont eu lieu à Urumqi, la capitale du Xinjiang, en 2009. Par la suite, en 2013 et 2014 — j'étais en Chine à l'époque —, il y a eu la première attaque sur la place Tiananmen en octobre à Pékin, et une attaque horrible, au couteau, à la gare de Kunming le 1er mars 2014. Il y a eu ensuite une explosion à la gare d'Urumqi, et enfin un attentat suicide à la voiture piégée dans un marché ouvert à Urumqi le 22 mai 2014.
    J'ai eu une discussion avec des représentants du Parti communiste en Chine après ces événements et je leur ai dit que ces attaques étaient le fruit de leur politique et qu'ils devaient changer leur attitude. Je me souviens avoir dit à des gens au ministère des Affaires étrangères de suivre l'exemple du Canada, où un Canadien français comme moi peut devenir ambassadeur dans l'un des pays les plus importants du monde, et je leur ai demandé si la Chine avait un ambassadeur ouïghour, ou tibétain, qui occupait ce poste quelque part dans le monde.
    Je leur ai dit qu'ils devaient offrir de meilleures possibilités à leurs citoyens et leur permettre de protéger leur culture, que leurs gestes trahissaient une forme de désespoir et que tout le ressentiment que la population éprouvait à leur égard reviendrait les hanter.
    Nous avons eu ensuite, bien entendu, des discussions très difficiles, mais ils n'étaient pas disposés à suivre quelque conseil que ce soit.
(1725)
    Nous passons à M. Genuis, qui posera une question.
    J'ai une observation et deux questions. Merci, monsieur le président.
    Je pense que le point soulevé par l'ambassadeur Saint-Jacques au sujet de la réponse énergique des dirigeants africains au racisme dirigé contre les ressortissants africains pendant la pandémie de la COVID, en particulier dans le Sud de la Chine, nous donne un exemple éloquent de ce que des pays qui sont même potentiellement très vulnérables aux efforts de colonialisme de la Chine ont pu faire pour se défendre et résister, et cela a eu un effet réel. Je pense que c'est un modèle que nous devons suivre.
    Ma première question s'adresse à Mme Anderson et porte encore une fois sur le colonialisme.
    Vous avez parlé du colonialisme, et nous constatons que la République populaire de Chine déploie des efforts en ce sens à l'intérieur et à l'extérieur de ses frontières. Il est important, à mon avis, que les autres pays, à tout le moins, refusent de s'associer à ces efforts. Toutefois, beaucoup de pays, y compris le Canada, sont membres par exemple de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures, qui fait partie de la vaste initiative la Ceinture et la Route.
    Je me demande si vous pourriez nous parler de cette banque, de ce que vous pensez du fait que divers pays en sont membres, et nous dire dans quelle mesure cela donne sans doute l'impression de légitimer cette initiative.
    C'est une question très épineuse et naturellement très importante.
    À mon point de vue et à celui de mon organisation, cela revient fondamentalement à la question suivante: quand allons-nous, collectivement et à l'échelle mondiale, passer à l'action pour protéger ces valeurs auxquelles nous disons tenir? Quand allons-nous accorder la priorité aux droits de la personne, pas nécessairement au détriment des avantages économiques, mais en leur accordant à tout le moins la même importance?
    Pour nombre d'entre nous, nos valeurs et les droits de la personne ne sont que des voeux pieux et ne se reflètent pas en pratique dans nos politiques et dans nos interactions avec des pays comme la Chine. Je comprends très bien que certains pays et certains gouvernements sont mal pris et voient les gains potentiels qu'ils peuvent tirer de leurs liens avec la Chine, mais ma question est, à quel prix?
    Je crois qu'un des arguments que l'on entend du gouvernement au sujet de sa participation à la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures est qu'il est préférable pour le Canada d'avoir une voix à la table des discussions. Nous représentons moins de 1 % des votes au sein de cette tribune néocoloniale. J'ai l'impression que le fait d'avoir une voix à la table dans une prétendue banque de développement dont le modus operandi est de diffuser le colonialisme étatique de la Chine passe complètement à côté de l'objectif que cette banque s'est donné. J'aimerais bien savoir ce que vous en pensez.
    Vous avez moins d'une minute.
    C'est exact, et si vous avez une voix, mais que vous ne dites en fait jamais rien, ou si vous avez une voix, mais que vous vous contentez d'approuver ce qui est dit, alors à quoi bon en avoir une?
    Merci.
    Si je dispose d'une petite minute encore, j'aimerais lui poser une question au sujet du prélèvement d'organes...
    Nous cédons maintenant la parole à M. Brunelle-Duceppe.

[Français]

     Je vais m'adresser à vous pour la dernière fois, monsieur Saint-Jacques, alors je vous remercie beaucoup d'avoir participé aux travaux du Sous-comité et de vous être présenté aujourd'hui. J'ai encore une question à vous poser.
     Plus tôt, vous nous avez parlé de l'approche néo-zélandaise. Vous êtes le seul témoin à nous en avoir parlé. Pourriez-vous préciser davantage ce qu'est l'approche néo-zélandaise?
(1730)
    La Nouvelle-Zélande n'a jamais dit officiellement qu'elle interdisait à Huawei de participer au développement. Cependant, quand des compagnies néo-zélandaises font une demande d'autorisation pour l'utilisation de produits de la compagnie Huawei, on la leur refuse. Donc, sans avoir dû dire publiquement que Huawei ne pouvait pas participer au développement, la Nouvelle-Zélande, dans les faits, suit cette politique.
    Je dirais aussi, de façon plus générale, en ce qui concerne les cas d'ingérence et d'intimidation, que nous avons beaucoup à apprendre de pays comme la Nouvelle-Zélande et l'Australie. L'Australie, pour sa part, a adopté quatre lois pour empêcher l'interférence dans les questions internes. Je pense qu'il faudrait s'inspirer de ce qu'elle a fait pour mettre à jour nos propres lois.
    Cela signifie-t-il que, dans le cas de victimes ou d'activistes qui sont maintenant des réfugiés et qui pourraient être agressés ou surveillés par des agents chinois, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont un comportement différent?
    Oui. En fait, l'Australie a adopté une loi pour essayer d'enrayer les possibilités d'interférence. Il y en avait déjà eu dans le système politique.
    Elle a notamment interdit tous les dons provenant de l'étranger. Elle oblige toutes les personnes qui travaillent pour des puissances étrangères, dont d'anciens ministres, d'anciens hauts fonctionnaires et des ambassadeurs, à déclarer le travail qu'ils font.
    Elle a aussi renforcé les règles entourant les cas d'intimidation auprès d'Australiens d'origine ouïghoure ou tibétaine ou de réfugiés. Elle poursuit les personnes qui commettent ces actes d'intimidation.
    C'est le message qu'il faut envoyer à la Chine: il n'y a aucune tolérance à cet égard.
    Je vous remercie énormément.

[Traduction]

    Nous allons céder la parole à Mme McPherson pour poser la dernière question. Chaque témoin disposera ensuite d'une minute environ pour conclure, si quelque chose nous a échappé.
    À titre de représentante du Nouveau Parti démocratique, j'ai le privilège d'être toujours la dernière à poser mes questions aux témoins. J'aimerais vous donner à chacun le temps de résumer vos observations ou de soulever les points que vous n'avez pas eu l'occasion de soulever précédemment. J'ai pensé orienter un peu le tout.
    Y a-t-il quelque chose de plus que nous devrions faire, que les parlementaires au Canada devraient faire, que le Comité devrait faire? Y a-t-il quelque chose sur lequel nous devrions déployer plus d'efforts à l'échelle multilatérale? Enfin, y a-t-il quelque chose de plus que nous devons faire pour aider les gens qui se trouvent en Chine, les forces intérieures que nous pourrions utiliser pour contrer son offensive?
    Si vous êtes d'accord, j'aimerais que vous répondiez tous les trois.
    Madame Anderson, j'ai vraiment beaucoup aimé votre argument au sujet du fait d'avoir une voix, mais de ne rien dire. Vous pourriez peut-être commencer.
    J'essaie de rassembler mes idées. Je voulais intervenir sur plusieurs points, mais je n’en ai pas vraiment eu la chance.
    Pour ce qui est d'agir sur une base multilatérale, nous effectuons de la surveillance au sein de notre organisation et nous avons été heureux de constater que les choses bougent un peu, qu'il y a un peu d'action. Le 26 juin, plus de 50 experts des Nations unies ont publié une déclaration condamnant le bilan de la Chine au chapitre des droits de la personne, en particulier le traitement réservé aux Ouïghours et aux Tibétains, de même que la détérioration de la situation à Hong Kong.
    Le 29 juin, l'Alliance interparlementaire sur la Chine, qui réunit des parlementaires provenant de 15 pays, a demandé à ce qu'une résolution soit présentée aux Nations unies expressément sur la situation dans la région des Ouïghours. Je presse les législateurs canadiens de prendre part à ce genre de déclarations qui sont faites actuellement. Certaines choses bougent et certaines mesures sont prises sur une base multilatérale en ce moment.
    J'ai aussi mentionné quelques éléments dans ma liste de recommandations stratégiques que j'ai citée très rapidement et dont je n'ai pas eu le temps de discuter. Le Canada peut prendre des mesures pour accueillir des réfugiés ouïghours apatrides. Les Ouïghours apatrides de la diaspora ouïghoure dans le monde sont en situation de crise. Le Canada pourrait poser un geste très positif en offrant un havre sûr à ces réfugiés, et il enverrait par la même occasion un message à la Chine. Ce serait une façon pour le Canada de faire entendre sa voix. Le Canada devrait décourager et punir le harcèlement des Canadiens d'origine ouïghoure qui vivent à l'intérieur et à l'extérieur de ses frontières.
    Je sais que j'ai pris un peu de temps, alors je vais céder la parole à un autre témoin. Merci.
(1735)
    Merci beaucoup.
    Monsieur Saint-Jacques, vous êtes la prochaine personne sur mon écran.
    Je sais que la situation n'est pas facile sur la scène internationale, mais encore une fois, et comme l'a dit Mme Anderson, les choses ont commencé à bouger. J'ai été très heureux de voir cette alliance interparlementaire sur la Chine prendre forme. Nous devons multiplier ce genre d'alliance. Cela nécessitera beaucoup de travail, beaucoup d'efforts, mais je pense que nous n'avons pas d'autre choix si nous ne voulons pas voir disparaître nos valeurs.
    Au pays, nous pouvons prendre diverses mesures pour limiter les cas d'ingérence. Par exemple, lorsque quelqu'un du consulat chinois intervient auprès d'une université pour annuler une discussion sur la situation au Xinjiang ou à Hong Kong, ou si les réfugiés ouïghours ou les Canadiens d'origine ouïghoure qui vivent au Canada se font harceler, nous devons examiner nos lois pour voir ce que nous pouvons faire pour prévenir cela.
    J'approuve également l'idée que nous devons faire preuve de souplesse pour accueillir plus de réfugiés au Canada. Je pense que nous devrions également regarder ce qui peut être fait du côté de la chaîne d'approvisionnement pour nous assurer que les produits qui sont le fruit du travail forcé n'entrent pas au Canada. Je pense que nous pouvons réfléchir à diverses mesures que nous pouvons prendre pour envoyer le message à la Chine que nous ne tolérerons pas ce genre de comportement.
    Merci.
    Je serai brève. Je veux simplement appuyer ce que Mme Anderson a dit au sujet des réfugiés.
    Un des défis pour nous est de trouver des gens à qui parler. Nous avons tous ces documents gouvernementaux qui sont des plans, mais il était important pour moi de trouver des gens pour nous dire si les politiques ont, en fait, été mises en œuvre. Nous en avons trouvé quelques-uns, mais c'est très difficile de trouver des Ouïghours qui sont prêts à parler de leur expérience, car ils sont tellement inquiets. Ils ne sont pas protégés. Ce sont des réfugiés et ils n'ont aucun statut où ils se trouvent. Je pense qu'il s'agit d'un élément vraiment fondamental. Je sais que le Canada en particulier accueille des réfugiés depuis fort longtemps, alors je veux simplement appuyer cette recommandation.
    Il serait sans doute utile également d'avoir une organisation internationale — et ce serait difficile à faire — qui effectuerait des recherches sur la situation au Xinjiang et qui émettrait un avis juridique sur la question. Je crois savoir que le Haut Commissariat aux droits de l'homme a, par le passé, mené des études lorsqu'il n'était pas autorisé à se rendre dans une région. Je ne pense pas que ce soit totalement impossible de le faire, mais cela nécessiterait bien entendu de la volonté politique. Le Canada pourrait prêter son concours dans ce dossier.
    Je pense avoir déjà abordé la question du contrôle des exportations, des sanctions, etc.
    Enfin, et d'un point de vue très général, il sera très important de continuer à soutenir de façon très dynamique et à long terme les efforts déployés dans le monde pour lutter contre la corruption quand, encore une fois, on parle de l'initiative la Ceinture et la Route, etc. On y voit une source de corruption à l'échelle mondiale, et si vous arrivez à contrer cette corruption, certains dirigeants n'y verront pas autant d'intérêt.
    Je vais m'arrêter ici. Je vous remercie beaucoup encore une fois de m'avoir invitée aujourd'hui.
    Merci beaucoup.
    Merci.
    Avant de passer à huis clos, en tant que président et au nom de tous les membres du Comité, de même que de la greffière, des analystes, de nos interprètes, du personnel, des techniciens et de tous ceux qui ont mis la main à la pâte au cours de ces deux jours, j'aimerais remercier très sincèrement nos témoins. Vous êtes des experts, des pédagogues, des porte-parole et des chercheurs extraordinaires. Nous avons entendu de nombreux récits personnels. Au cours des deux derniers jours, nous avons entendu des témoignages détaillés et convaincants qui nous aideront à éclairer le travail que nous devons faire.
    Nous ne pourrons jamais vous remercier assez. Au nom des membres de ce sous-comité des affaires étrangères, merci beaucoup.
    La séance est suspendue.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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