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PROC Rapport du Comité

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Rapport sur le Rapport au Parlement : Prorogation d’août 2020 – Pandémie de COVID-19

Introduction

i.     Étude du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre sur les motifs de la prorogation du Parlement par le gouvernement en août 2020

Le 28 octobre 2020, l’honorable Pablo Rodriguez, leader du gouvernement à la Chambre des communes, a déposé un rapport au Parlement auprès du greffier de la Chambre, conformément au paragraphe 32(7) du Règlement[1]. Ce rapport, intitulé Rapport au Parlement : Prorogation d’août 2020 – Pandémie de COVID-19, décrit les motifs qui ont mené à la prorogation de la première session de la 43e législature le 18 août 2020. Conformément à l’article 32(7) du Règlement, le rapport a été renvoyé au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes (le Comité) pour examen.

À la première réunion du Comité de la présente session, le 28 septembre 2020, une motion visant les préparatifs en vue de cette étude a été proposée, mais, le 6 octobre 2020, la présidente l’a déclarée irrecevable[2]. La présidente a expliqué que, puisque le rapport dans lequel étaient exposés les motifs invoqués par le gouvernement pour la prorogation n’avait pas été renvoyé au Comité ou déposé à la Chambre lors de la présentation de la motion, le moment n’était pas opportun de réaliser une étude portant sur le sujet. De plus, la présidente a ajouté que, même si d’aucuns pourraient soutenir que l’étude de la prorogation faisait partie du mandat du Comité, et qu’une étude sur le sujet pourrait donc être menée avant réception d’un ordre de renvoi de la Chambre, certains aspects de la motion dépassaient la portée de ce mandat, car une partie des documents demandés ne permettaient pas « d’établir clairement un lien » avec ce mandat. Ainsi, la présidente a établi que la motion, « sous sa forme actuelle », était irrecevable. Une motion visant à contester la décision de la présidente a par la suite été présentée et rejetée.

Le 5 novembre 2020, le Comité a adopté le premier rapport du Sous-comité du programme et de la procédure, qui contenait le point à l’ordre du jour suivant :

Que le Comité, au terme de son étude sur la conduite d’une élection fédérale pendant la pandémie de COVID-19, entreprend une étude sur le document présenté à la Chambre conformément à l’article 32(7) du Règlement puis renvoyé au Comité, expliquant les raisons du gouvernement de proroger le Parlement en août 2020. Lors d’une prochaine réunion, le Comité prévoit un point de travail pour discuter de la date à laquelle il commencera cette étude[3].

Le 10 décembre 2020, le Comité a amorcé son étude sur les motifs de la prorogation du Parlement par le gouvernement en août 2020, conformément à l’article 32(7) et à la motion adoptée par le Comité le 5 novembre 2020.

Il a tenu 9 réunions et entendu 12 témoins. Le Comité tient à remercier chaleureusement aux témoins pour leurs commentaires et leur précieuse contribution à l’étude.

ii.   Autres décisions notables prises par le Comité pour son étude

Des membres du Comité ont proposé plusieurs motions notables au sujet de leur étude :

  • Le 28 janvier 2021, Mme Karen Vecchio, députée d’Elgin—Middlesex—London, a proposé que les témoins suivants comparaissent devant le Comité dans le cadre de cette étude pendant au moins une heure dans les 14 jours suivant l’adoption de la motion : le premier ministre Justin Trudeau, l’honorable Pablo Rodriguez, leader du gouvernement à la Chambre des communes, Katie Telford, chef de cabinet du premier ministre, et Bill Morneau. En outre, le Comité s’est réservé le droit d’inviter d’autres témoins à mesure que l’étude se poursuivrait. La motion a été débattue, mais n’a pas fait l’objet d’un vote.
  • Le 2 février 2021, les membres du Sous-comité du programme et de la procédure ont présenté leur troisième rapport au Comité. Ils y recommandaient que les témoins suivants soient invités à comparaître : M. Trudeau, l’honorable Chrystia Freeland, l’honorable Bardish Chagger, M. Morneau, Mme Telford, Ian Shugart, Ian McCowan, Craig Kielburger, Marc Kielburger, Farah Perelmuter et Martin Perelmuter. La motion annulait la motion proposée le 28 janvier 2021. Des invitations ont été transmises à tous les témoins le 2 février 2021.
  • Le 23 février 2021, Mme Vecchio a présenté une autre motion, visant la comparution des mêmes témoins. Lors de la présentation de la motion, les témoins dont le Comité avait demandé la comparution dans sa motion du 2 février 2021 soit n’avaient pas répondu à sa demande, soit avaient refusé de comparaître[4]. À ce titre, dans la motion du 23 février 2021, ont été renouvelées les invitations faites à M. Trudeau, à Mme Freeland, à Mme Chagger, à M. Morneau, à Mme Telford, à Craig Kielburger, à Marc Kielburger, à Farah Perelmuter et à Martin Perelmuter. Ces témoins devaient accepter de comparaître dans la semaine suivant l’adoption de la motion, sans quoi la présidente était habilitée à faire rapport de la question en recommandant d’assigner les témoins, ou, dans le cas des députés, à faire dûment rapport de l’affaire à la Chambre des communes, en recommandant que le Comité soit habilité à contraindre chaque témoin à comparaître dans un certain délai. De plus, la motion visait à ordonner la communication de tous les documents et les dossiers (en format électronique ou imprimé) provenant du Cabinet du premier ministre et du Bureau du Conseil privé, remontant au 25 juin 2020 et liés à la prorogation d’août 2020, de même que de l’organisme UNIS (ou de ses organismes affiliés), de Craig Kielburger, de Marc Kielburger ou de Speakers' Spotlight, ainsi que des communications entre ces personnes ou entités et le gouvernement. Ces documents devaient être publiés dès que possible sur le site Web du Comité dans les deux langues officielles. Cette motion a suscité un débat.
  • Le 25 mai 2021, M. Daniel Blaikie, le député d’Elmwood—Transcona, a proposé que la motion du 23 février 2021 de Mme Vecchio soit amendée par substitution de l’alinéa a) par ce qui suit : « a) renouvelle l’invitation faite au premier ministre de comparaître devant le Comité, sous réserve que, si celui-ci refuse, dans la semaine suivant l’adoption de la présente motion, de comparaître pendant au moins une heure, la présidence recommande immédiatement à la Chambre que le Comité ait le pouvoir d’ordonner de temps à autre sa comparution », et par suppression des alinéas b) à h). L’amendement proposé par M. Blaikie a été adopté le 27 mai 2021.
  • Le 27 mai 2021, M. Stéphane Lauzon, secrétaire parlementaire de la ministre des Aînés, a proposé que la motion amendée de Mme Vecchio soit de nouveau amendée par substitution des mots suivant « une heure » par les suivants : « le défaut de comparaître du premier ministre soit ajouté à une annexe du rapport principal au sujet de l’étude sur les motifs invoqués par le gouvernement pour la prorogation du Parlement en août 2020”. Cet amendement a suscité un débat.
  • Le 27 mai 2021, M. Blaikie a proposé un sous-amendement à l’amendement de M. Lauzon, visant à ajouter les mots suivants après « Motifs de la prorogation du Parlement par le gouvernement en août 2020 » : et que toutes les questions nécessaires à la finalisation et au dépôt du rapport soient réglées avant la fin de la journée du 8 juin 2021, et que le rapport final soit déposé au plus tard le 11 juin 2021. Le 1er juin 2021, le Comité a adopté le sous‑amendement de M. Blaikie.
  • Le 3 juin 2021, M. Alain Therrien, député de La Prairie, a proposé un sous‑amendement à l’amendement modifié de M. Lauzon pour modifier les dates. Le sous-amendement de M. Therrien prévoyait que toutes les questions nécessaires à la finalisation et au dépôt du rapport soient réglées avant la fin de la journée du 15 juin 2021, et que le rapport final soit déposé au plus tard le 18 juin 2021. Le 3 juin 2021, le Comité a adopté le sous-amendement de M. Therrien, de même que l’amendement modifié de M. Lauzon et la motion amendée de Mme Vecchio.

Le Comité note également que M. Trudeau, Mme Freeland, Mme Chagger et Mme Telford ne lui ont pas répondu au sujet de leur invitation à comparaître, et qu’ils n’ont pas non plus comparu devant le Comité. La non-comparution de M. Trudeau devant le Comité est notée à l'annexe A. M. Morneau, Craig Kielburger, Marc Kielburger, Farah Perelmuter et Martin Perelmuter ont refusé l’invitation à se présenter devant le Comité. Le Comité reconnaît que M. McCowan a par la suite assumé de nouvelles responsabilités, et que M. Shugart est en congé de maladie (et il tient à lui souhaiter un prompt rétablissement).

Enfin, le Comité note que, le 23 février 2021, une motion visant à assurer un suivi de ces invitations et à obtenir les documents pertinents a été proposée, mais a fait l’objet d’obstruction systématique jusqu’au 3 juin 2021. Le Comité regrette profondément que trois mois et demi, qu’il aurait pu consacrer à la réalisation de cette étude et d’autres, aient été perdus à cause de la protection partisane assurée au premier ministre.

Contexte

A.   La prérogative royale

La prérogative royale est un ensemble de pouvoirs de réserve détenus et exercés par la Couronne. Ces pouvoirs sont accordés à la Couronne par la common law et constituent une branche de la common law, car les décisions des tribunaux ont déterminé leur existence et leur étendue[5].

Par le passé, les monarques britanniques possédaient les pouvoirs nécessaires pour préserver le royaume contre les ennemis extérieurs. Les pouvoirs de prérogative de la Couronne étaient exercés par le monarque régnant selon sa propre discrétion. Au fil du temps, il s’est avéré que l’essentiel des pouvoirs de prérogative ne pouvait être exercé que par l’intermédiaire et sur les conseils des ministres responsables devant le Parlement. Malgré des siècles de développement de la monarchie constitutionnelle, la prérogative royale reste une partie intégrante du système parlementaire de Westminster.

Il n’existe pas de définition unique et reconnue des pouvoirs de prérogative ni de liste exhaustive de ces pouvoirs. Il est admis que la Couronne ne peut pas inventer de nouveaux pouvoirs de prérogative. En outre, le Parlement peut annuler et remplacer une prérogative par une loi, ou, dans certains cas possibles, par des modifications constitutionnelles[6].

B.   L’origine de la prorogation et son usage au Parlement du Canada

Le Comité a appris que le pouvoir de proroger le Parlement a été utilisé la première fois en 1530 en Angleterre[7]. Il a été noté que le concept de prorogation « ne découle pas des plus nobles intentions[8] ». Avant 1530, le monarque britannique convoquait le Parlement lorsque des crédits (c’est-à-dire des fonds publics) étaient nécessaires, après quoi le Parlement était dissous. Cependant, chaque fois que le Parlement était dissous, sa composition changeait.

En 1530, le roi Henri VIII a inventé le concept de prorogation comme solution de rechange à la dissolution lorsqu’il trouvait un parlement dont les membres l’appuyaient. Plutôt que de devoir dissoudre le parlement et de congédier ses membres, le roi pouvait, grâce à la prorogation, autoriser le retour des mêmes personnes[9].

La prorogation émane des prérogatives de la Couronne en vertu du modèle parlementaire de Westminster[10]. Au moment de la Confédération, en 1867, le pouvoir de la Reine, par l’intermédiaire de son représentant, le gouverneur général, de proroger le Parlement était implicitement inclus dans la Constitution du Canada, qui, selon le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, repose « sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni ». De plus, l’article 38 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que :

Le gouverneur général convoquera, de temps à autre, la Chambre des Communes au nom de la Reine, par instrument sous le grand sceau du Canada[11].

En 1947, les Lettres patentes constituant la charge de Gouverneur général du Canada reconnaissaient le pouvoir du gouverneur général à proroger le Parlement :

Et Nous autorisons en outre Notre gouverneur général à exercer tous les pouvoirs que Nous possédons validement en ce qui concerne la convocation, la prorogation ou la dissolution du Parlement du Canada[12].

Toutefois, la procédure et la pratique entourant le pouvoir de proroger le Parlement ne sont pas explicitement énoncées dans la Constitution ni dans les lois fédérales. La prorogation est une prérogative de la Couronne qui, comme toute autre prérogative de la Couronne, est exercée sur la base de conventions constitutionnelles.

En ce qui concerne l’utilisation d’un pouvoir de prérogative, par convention, le gouverneur général conserve ses pouvoirs de réserve. L’acte de prorogation, y compris la date à laquelle la prorogation doit avoir lieu et sa durée, est exercé par le gouverneur général sur l’avis du premier ministre. La capacité de conseiller directement le gouverneur général sur la prorogation est une prérogative spéciale du premier ministre[13]. En ce qui concerne la durée de la prorogation, le Comité a entendu que la seule limite imposée par la loi est d’un an, comme le prévoit l’article 5 de la Loi constitutionnelle de 1982[14]. Selon un ancien usage, le Parlement n'est habituellement pas prorogé pendant plus de 40 jours à la fois, bien que la prorogation puisse être renouvelée[15].

En vertu d’un principe constitutionnel, un gouverneur général est tenu de suivre l’avis d’un premier ministre qui jouit de la confiance de la Chambre des communes[16]. Par conséquent, selon le concept de gouvernement responsable, le premier ministre, en tant que chef du gouvernement, assume la responsabilité des décisions du gouverneur général qui suivent la recommandation du premier ministre. Au Canada, il n’y a jamais eu de cas où un gouverneur général a refusé la demande de prorogation d’un premier ministre[17].

Concrètement, le processus de prorogation au Canada commence lorsque le premier ministre signale au Bureau du Conseil privé (BCP) que le gouvernement a l’intention de proroger le Parlement et que le gouverneur général est informé qu’une demande officielle sera présentée. Le BCP demande au premier ministre des instructions officielles sur la date de fin de la session parlementaire en cours et sur la date de la nouvelle session parlementaire. Une fois ces dates communiquées au BCP, celui-ci rédige un instrument d’avis et un projet de proclamation à soumettre à l’approbation du gouverneur général. Une fois approuvée, la proclamation est publiée dans la Gazette du Canada[18].

Selon un témoin, les pouvoirs et les règles entourant la prorogation devraient être codifiés juridiquement et rendus exécutoires par les tribunaux[19]. Cependant, un autre témoin a déclaré au Comité que la constitution non écrite est une grande force du système canadien[20].

C.    Les effets de la prorogation sur les travaux parlementaires

Les effets de la prorogation sur les travaux parlementaires sont considérables. À la Chambre des communes, tous les travaux en cours à ce moment-là prennent fin, y compris les séances, les projets de loi et les motions, les ordres sessionnels, les résolutions, les travaux et la composition des comités (à l’exception de la composition du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre).

Seul un petit ensemble circonscrit d’affaires parlementaires est reporté d’une session à l’autre. Les documents demandés par un ordre de la Chambre ou les adresses au gouverneur général survivent à la prorogation, à condition qu’ils n’aient pas été déposés à la Chambre avant la prorogation. Les demandes de réponses du gouvernement aux rapports des comités et aux pétitions survivent également à la prorogation.

De plus, les projets de loi et les motions d’initiative parlementaire sont rétablis à l’étape d’examen où ils se trouvaient au moment de la prorogation. Par exemple, un projet de loi d’initiative parlementaire qui a fait l’objet d’une première heure de débat en troisième lecture au moment de la prorogation est rétabli à l’étape de la troisième lecture à la nouvelle session.

D.   Aperçu de certaines prorogations passées au Parlement fédéral

Au Parlement fédéral du Canada, les prorogations font partie intégrante du cycle parlementaire depuis la Confédération (veuillez consulter l'annexe B pour plus d'informations sur toutes les prorogations passées du Parlement du Canada). Le Comité a été informé que, d'un point de vue historique, les prorogations ont rarement retenu l’attention et le mot lui-même ne faisait pas partie du vocabulaire général[21]. Au contraire, les prorogations étaient considérées comme une procédure de routine pour mettre fin à une session parlementaire. En même temps, le Comité a également entendu que la prorogation survient souvent « dans un contexte politiquement chargé, car c’est une mesure d’ordre politique[22] ».

Le nombre de prorogations pendant la durée de vie d’une législature varie depuis la Confédération. Il y a eu des occasions où la durée d’une législature a comporté aussi peu qu’aucune prorogation et jusqu’à sept. Le Comité a appris que, par le passé, environ quatre sessions par législature étaient la norme[23].

En ce qui concerne la durée d’une prorogation, le Comité a entendu que la durée moyenne est généralement de 40 jours[24]. Toutefois, au cours des dernières décennies, la durée des prorogations a varié. Le Comité a appris que, par exemple, en 2002, la prorogation entre la 1re et la 2e session de la 37e législature a duré 14 jours; en 2007, la prorogation entre la 1re et la 2e session de la 39e législature a duré 32 jours; et en 2009, la prorogation entre la 2e et la 3e session de la 40e législature a duré 63 jours[25]. La durée d’une prorogation dépend des circonstances.

Au cours de l’étude, des témoins ont porté à l’attention du Comité certains exemples de prorogations considérés comme dignes d’intérêt sur le plan historique. Il s’agit des exemples suivants :

1873 (3e législature, prorogation entre la 1re et la 2e session) – Le premier ministre Sir John A. Macdonald a demandé et obtenu une prorogation du gouverneur général Lord Dufferin lorsqu’il a été confronté à une perte d’appui à la Chambre des communes au cours d’un scandale politique qui allait être surnommé le Scandale du Pacifique[26]. Le Comité a appris que la prorogation de 1873 a mis fin à une enquête de comité sur la question, mais que la controverse sur le scandale a repris au cours de la session parlementaire suivante. Sir John a démissionné quelques semaines après la reprise des travaux parlementaires[27].
2002 (37e législature, prorogation entre la 1re et la 2e session) – Le premier ministre Jean Chrétien a demandé et obtenu une prorogation de la part de la gouverneure générale Adrienne Clarkson à un moment où émergeaient les détails d’un scandale politique qui allait être surnommé le scandale des commandites[28]. La prorogation a empêché la présentation à la Chambre d’un rapport du Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes sur le scandale des commandites[29].
2003 (37e législature, prorogation entre la 2e et la 3e session) - M. Chrétien a prorogé le Parlement jusqu'en février 2004. Le dépôt par la vérificatrice générale du rapport sur le scandale des commandites, qui devait être effectué en novembre, a donc été retardé jusqu'après que M. Chrétien eut quitté ses fonctions[30].
2008 (40e législature, prorogation entre la 1re et la 2e session) – Le premier ministre Stephen Harper a demandé et obtenu une prorogation de la gouverneure générale Michaëlle Jean en décembre 2008. La prorogation a eu lieu alors qu’une crise financière mondiale venait de débuter. Cependant, la prorogation a également permis au gouvernement de reporter une motion de censure à la Chambre que demandaient le Parti libéral, le Nouveau Parti démocratique, qui avait proposé une coalition, et le Bloc Québécois, qui avait convenu d’appuyer la coalition en vertu d’une entente sur les crédits et la confiance. Il a été mentionné que la gouverneure générale a accédé à la demande de prorogation, mais seulement après plusieurs heures de réflexion[31]. Au moment où la Chambre a repris ses travaux, en janvier 2009, la coalition de l’opposition s’était effondrée. Selon un témoin, ces circonstances étaient attribuables à une interruption de la saine gouvernance au sein du Caucus libéral[32].
2010 (40e législature, prorogation entre la 2e et la 3e session) – Le premier ministre Harper a demandé et obtenu une prorogation de la gouverneure générale Michaëlle Jean, de janvier 2010 à mars 2010. La raison de la durée de trois mois de la prorogation était de permettre au Parlement de faire une pause pour les Jeux olympiques d’hiver à Vancouver. Cependant, la prorogation a également reporté l’examen par le Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan de la Chambre des communes des allégations de mauvais traitements infligés aux détenus afghans pendant leur détention[33].

E.    Raisons historiques pour proroger le Parlement

Pendant l’étude, des témoins ont expliqué au Comité que diverses raisons peuvent amener un premier ministre et le gouvernement à demander une prorogation du Parlement. Il a été noté que la Constitution n’exige pas qu’une prorogation ait lieu pendant la durée de vie d’un Parlement[34].

Voici quelques motifs de prorogation exprimés par les témoins :

  • La prorogation est un acte politique accompli pour des raisons politiques. Cependant, les raisons politiques pour les décisions politiques sont parfaitement légitimes[35].
  • La prorogation met fin à toutes les procédures parlementaires et remet à zéro l’ordre du jour du Parlement. Ainsi, ce sont les effets de la prorogation qui importent réellement[36].
  • La prorogation donne au gouvernement l’occasion de réinitialiser son programme législatif et de prononcer un discours du Trône. C’est aussi un outil qu’utilise le gouvernement pour se protéger et qui peut être considéré comme une tactique de retardement[37].
  • La prorogation peut être utilisée pour éviter ou retarder un vote de censure, réinitialiser les comités qui mènent des enquêtes politiquement préjudiciables au gouvernement, et éviter ou retarder les procédures parlementaires visant à demander des comptes au gouvernement[38].
  • Le gouvernement peut vouloir proroger le Parlement lorsqu’il y a un changement au conseil des ministres au sein d’un Parlement, afin que le nouveau gouvernement puisse faire table rase de la législation et définir son programme[39].
  • Si la session parlementaire dure depuis longtemps et que le gouvernement souhaite prendre un nouveau départ, un événement important pourrait inciter le gouvernement à se doter d’un nouvel ensemble de mesures législatives, ou le gouvernement pourrait souhaiter présenter un nouveau programme parlementaire en prévision d’élections générales[40].
  • La prorogation peut servir de mécanisme de réinitialisation lorsque le gouvernement est incapable de poursuivre son programme dans une impasse parlementaire. Une pause dans les travaux de la Chambre peut permettre aux passions de s’apaiser et à un débat raisonné d’avoir lieu après la prorogation[41].
  • Ce n’est pas parce qu’il y a une explication politique à la décision de proroger qu’il ne peut y avoir, parallèlement, une autre explication qui a plutôt à voir avec la planification de politiques. Elles ne s’excluent pas mutuellement[42].
  • Le premier ministre, étant la personne qui détient le pouvoir de conseiller la prorogation, d’un point de vue constitutionnel, n’a pas besoin d’avoir de bonnes raisons pour proroger. Cependant, les prorogations peuvent susciter une réaction du public et c’est à ce même public de déterminer s’il accepte la version du gouvernement quant aux motifs de la prorogation[43].

F.    Étude antérieure de la prorogation par le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre

Le Comité a déjà étudié la prorogation et son rôle dans le cycle parlementaire. Le 11 mars 2010, il a adopté la motion suivante :

Que, conformément à l’article 108(3)a) du Règlement, le Comité entreprenne immédiatement l’étude de toutes questions pertinentes relatives à la prorogation, notamment les circonstances dans lesquelles une demande de prorogation du Parlement serait justifiée ou injustifiée, et la nature de toute modification aux règles (par voie du Règlement de la Chambre ou par voie législative ou les deux) qui puisse être nécessaire pour empêcher tout nouveau recours abusif à la prorogation.

Le Comité a tenu 10 réunions et a entendu 16 témoins, dont le légiste et conseiller parlementaire de l’époque, des spécialistes du droit et de la Constitution, ainsi que des témoins ayant une expérience de la politique et de la procédure parlementaire. Le Comité n’a pas adopté de rapport à la suite de l’étude de 2010.

G.   Nouvel article du Règlement de la Chambre des communes – article 32(7)

Le 20 juin 2017, la Chambre des communes a adopté une motion visant à modifier son Règlement. Parmi les changements apportés au Règlement, on retrouve l’ajout de l’article 32(7) du Règlement qui énonce :

Au plus tard vingt jours de séance après le début de la deuxième session d’une législature ou d’une de ses sessions subséquentes, un ministre de la Couronne dépose sur le Bureau un document expliquant les raisons de la récente prorogation. Ce document est réputé renvoyé au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre dès sa présentation à la Chambre.

Aucune obligation de ce genre n’avait été imposée au Cabinet, que ce soit dans la législation fédérale canadienne ou dans la procédure de la Chambre des communes, avant la création de l’article 32(7) du Règlement.

La 42e législature a été dissoute le 11 septembre 2019 sans avoir été prorogée. La première prorogation depuis la création de l’article 32(7) du Règlement a eu lieu le 18 août 2020. Après la prorogation, la législature a été convoquée le 23 septembre 2021. Le 28 octobre 2020, le premier rapport au titre de l’article 32(7) du Règlement a été déposé à la Chambre des communes.

H.   Résumé du rapport du gouvernement intitulé Rapport au Parlement : Prorogation d’août 2020 – Pandémie de COVID-19

Le 28 octobre 2020, dans les 20 jours de séance prescrits, le gouvernement a déposé à la Chambre des communes un rapport intitulé Rapport au Parlement : Prorogation d’août 2020 – Pandémie de COVID-19 (voir l'annexe C pour le rapport complet). Le rapport indique que le gouvernement a prorogé la première session de la 43e législature le 18 août 2020 afin de réinitialiser l’approche du gouvernement pour se remettre des effets sociaux et économiques néfastes de la pandémie de COVID-19 et d’obtenir la confiance de la Chambre à la suite d’un discours du Trône.

Le rapport est divisé en six sections : Introduction, Pandémie de COVID-19, Prorogation, Discours du Trône, Aller de l’avant, et Conclusion. Un résumé de ces sections se trouve ci‑après. De plus, le rapport compte deux annexes : la transcription de l’allocution du premier ministre Justin Trudeau à la population canadienne prononcée le 18 août 2020, et la transcription du discours du Trône prononcé par Son Excellence la très honorable Julie Payette, le 23 septembre 2020.

Bien que le Comité estime que le contenu du rapport ne constitue pas un compte rendu complet des raisons ayant motivé la prorogation, un résumé en est donné ci-dessous pour le bénéfice du lecteur, puisque le gouvernement n'a pas rendu le rapport facilement accessible au public.

i.     Introduction

Le rapport indique que le nouvel article 32(7) du Règlement a été introduit en 2015 pour s’assurer que les futurs gouvernements fédéraux restent transparents dans leur gouvernance, y compris dans le recours à la prorogation. À cette fin, le rapport visait à apporter plus de clarté à la prorogation d’août 2020. Il note que le discours du Trône prononcé en décembre 2019 a reçu la confiance de la Chambre. Le discours contenait des engagements importants pour le gouvernement, comme l’élimination nette des émissions d’ici 2050, l’adoption d’une loi sur la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, la promotion du commerce libre et équitable et l’investissement dans des logements abordables dans tout le pays. Toutefois, le rapport indique que la pandémie de COVID-19 a modifié le contexte pour gouverner à l’été 2020.

ii.    Pandémie de COVID-19

Le rapport indique que le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé a déclaré que la COVID-19 était une pandémie mondiale. Il fournit des données sur les effets néfastes de la pandémie sur l’économie canadienne au printemps 2020[44].

En réponse à la pandémie, le gouvernement a mis en place une série de programmes d’urgence au printemps 2020 pour « atténuer les répercussions que les familles et les entreprises canadiennes subissent[45] ». Le rapport fournit des informations sur ces programmes, notamment la Prestation canadienne d’urgence, un crédit pour taxe sur les produits et services, des programmes d’aide financière destinés aux personnes âgées, aux personnes handicapées, aux Autochtones et aux étudiants, des mesures d’aide financière pour les petites, moyennes et grandes entreprises ainsi que pour les six agences de développement régional du Canada, et un accord de financement fédéral avec les provinces et les territoires.

Le rapport note qu’au cours des mois d’été 2020, les Canadiens ont ralenti la propagation de la COVID-19, et que le nombre de personnes nécessitant des soins — qui avait atteint son apogée — a été réduit.

Toutefois, en août 2020, les taux d’infection ont recommencé à augmenter dans certaines provinces. Selon le rapport, les responsables de la santé publique avaient clairement indiqué qu’une « deuxième vague » d’augmentation des cas de pandémie se produirait pendant les mois plus froids qui suivraient. Le gouvernement a donc décidé d’élaborer et de mettre en place un plan pour faire face à cette deuxième vague et s’assurer de conserver la confiance de la Chambre.

iii.   Prorogation

Le 18 août 2020, le premier ministre s’est adressé aux Canadiens au sujet de la prorogation. Il a déclaré que le discours du Trône de 2019 ne faisait aucune mention de la COVID-19; qu’après la prorogation de 2020, le Parlement se réunirait comme prévu en septembre 2020; que le gouvernement avait besoin de réinitialiser son approche de la reprise en présentant un plan ambitieux au Parlement; et que ce plan devait gagner la confiance de la Chambre[46].

Le rapport fournit des informations sur les éléments du plan du gouvernement pour faire face à la deuxième vague. Ces éléments comprennent l’augmentation du financement des écoles, l’élargissement de l’accessibilité au programme d’assurance-emploi et la garantie des vaccins. Selon le rapport, pour préparer le plan, on a évalué les efforts déployés par le gouvernement jusqu’à cette date et on a consulté des dirigeants communautaires, des groupes de travailleurs, des employeurs et des particuliers[47].

iv.   Discours du Trône

Le rapport note que le 6 octobre 2020, l’Adresse en réponse au discours du Trône a été adoptée par la Chambre.

v.     Aller de l’avant

Le rapport note que, malheureusement, la deuxième vague de COVID-19 était en cours au moment de son dépôt à la Chambre. Il donne un aperçu des effets néfastes de cette deuxième vague sur la santé de la population, y compris les communautés vulnérables, et de la fermeture temporaire des entreprises.

Selon le rapport, le gouvernement voulait s’assurer qu’il avait la confiance de la Chambre pour offrir le soutien auquel les Canadiens s’attendent, et il continuera à travailler avec le Parlement pour réaliser son plan.

vi.   Conclusion

Selon le rapport, en août 2020, il était clair pour le gouvernement qu’il devait « revoir [son] programme et obtenir la confiance de la Chambre pour aller de l’avant[48] ». Ayant obtenu la confiance de la Chambre, le gouvernement a considéré que sa tâche consistait à donner suite aux engagements qu’il avait pris dans le discours du Trône.

vii.  Lacunes du rapport

Le Comité fait toutefois remarquer qu’Allen Sutherland, secrétaire adjoint du Cabinet a répondu sobrement ce qui suit lorsqu’on lui a demandé si le rapport était « entièrement exact » : « Il ne m'est pas possible de formuler des commentaires au sujet du rapport qui a été déposé. On y trouve les motifs évoqués par le gouvernement[49]. »

Plus précisément, le Comité observe que le rapport passe complètement  sous silence de nombreux aspects du contexte politique et de gouvernance, y compris les quatre enquêtes menées par des comités sur le scandale de l’organisme UNIS, la démission du ministre des Finances la nuit précédant la prorogation, le dépôt de milliers de documents largement caviardés sur le scandale auprès du Comité permanent des finances de la Chambre des communes dans les minutes précédant la prorogation, le remaniement du Cabinet en même temps que la prorogation et l’ordonnance de production de documents délivrée par le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique de la Chambre des communes qui aurait pu être très préjudiciable sur le plan politique pour le premier ministre, puisque le délai était fixé le jour suivant la prorogation.

I.     Aperçu chronologique des principaux événements concernant l’établissement de la Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant

Le Comité reproduit ici un tableau qui faisait partie du deuxième rapport du Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique de la Chambre des communes, intitulé Questions de conflits d'intérêts et de lobbying en relation avec les dépenses liées à la pandémie. Des dates ont été ajoutées au tableau 1 par le Comité.

Tableau 1 — Chronologie des principaux événements concernant l’établissement et l’administration de la Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant avant l’étude du Comité

Date

Événement

Octobre 2007 à septembre 2017

Justin Trudeau participe à huit Journées UNIS. Il n’est pas payé pour ses interventions.

Février 2012 à mai 2020

Sophie Grégoire-Trudeau participe à huit activités de l’organisme UNIS et reçoit en 2012, en tant que conférencière, des honoraires de 1 500 $ versés en une seule fois. Elle a pour 24 000 $ de dépenses couvertes et reçoit 240 $ en cadeaux. À partir de 2018, Mme Grégoire‑Trudeau fait du bénévolat pour l’organisme UNIS comme « ambassadrice et alliée », travail qui est permis par le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique.

Juin et décembre 2017

Bill Morneau, à l’époque ministre des Finances, son épouse et sa fille font un voyage au Kenya, en juin 2017, pour connaître les projets d’écoles de l’organisme UNIS et, en décembre 2017, ils vont en Équateur pour appuyer la construction d’écoles par cet organisme. Le ministre Morneau affirme que l’organisme UNIS n’a pas délivré de reçus pour les dépenses encourues dans le cadre de ces activités, et qu’il avait l’intention de les payer lui-même. L’organisme UNIS déclarera par la suite avoir communiqué oralement le montant de ces dépenses au personnel du ministre Morneau.

Avril 2018 et juin 2020

L’épouse du ministre Morneau fait deux dons à l’organisme UNIS de 50 000 $ chacun.

Mars 2020

L’organisme UNIS commence à mettre des employés à pied, entrevoyant des difficultés financières dues à la pandémie; 197 de ses 390 employés perdent leur emploi.

Début avril 2020

L’organisme UNIS remplace tous les membres de son conseil d’administration, sauf un au Canada et deux aux États-Unis.

5 avril 2020

Le premier ministre Trudeau et le ministre Morneau discutent des mesures d’aide aux étudiants, évoquant la possibilité d’utiliser Service jeunesse Canada et le programme Emplois d’été Canada.

6 avril 2020

Le premier ministre annonce l’application prochaine de mesures de soutien destinées aux étudiants.

7 avril 2020

Mary Ng, ministre de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international appelle Craig Kielburger, de l’organisme UNIS, pour lui faire part de sa volonté d’aider les jeunes dans la création de petites entreprises.

9 avril 2020

Craig Kielburger envoie à la ministre Ng une proposition existante de programme d’entrepreneuriat pour les jeunes. Ce document est transmis à au moins 17 ministres, personnel ministériel et hauts fonctionnaires.

10 avril 2020

Dans un courriel qu’il adresse au ministre Morneau, M. Craig Kielburger dit que la ministre lui a suggéré de soumettre une proposition d’élargissement du programme d’entrepreneuriat pour les jeunes de l’organisme UNIS, dans le cadre des efforts destinés à atténuer les difficultés économiques causées par la pandémie.

16 avril 2020

Dans un échange de courriels incluant des représentants du ministère des Finances du Canada (ministère des Finances) et d’EDSC, Rachel Wernick, sous-ministre adjointe principale, Direction générale des compétences et de l’emploi à EDSC et MichelleKovacevic, sous-ministre adjointe à la Direction des relations fédérales-provinciales et de la politique sociale du ministère des Finances discutent des organisations fédérales et tierces parties potentielles pour offrir un programme de soutien aux étudiants. Mme Wernick lance l’idée d’un jumelage de bénévoles donnant droit à un crédit d’impôt pour frais de scolarité par l’intermédiaire d’un organisme comme l’organisme UNIS.

17 avril 2020

Craig Kielburger et Sofia Marquez, alors responsable des relations avec le gouvernement et les intervenants au sein de l’organisme UNIS, appellent Bardish Chagger, ministre de la Diversité et de l’Inclusion et de la Jeunesse, afin de discuter de la proposition d’entrepreneuriat social de l’organisme UNIS.

18 avril 2020

À l’occasion d’une séance d’information, des fonctionnaires disent au ministre Morneau qu’il faudrait un administrateur tiers pour la BCBE, et évoquent l’organisme UNIS, entre autres, comme exemple d’organisme faisant un travail semblable. La proposition d’entrepreneuriat de l’organisme UNIS est jointe aux documents d’information à l’attention du ministre.

19 avril 2020

Mme Wernick appelle Craig Kielburger et présente les grandes lignes d’un programme de bénévolat pour les jeunes en cours d’élaboration. Craig Kielburger décrit également la proposition initiale d’entrepreneuriat pour les jeunes qu’il a envoyée précédemment à la ministre Ng.

19 avril 2020

EDSC envoie la proposition d’entrepreneuriat de l’organisme UNIS à Mme Kovacevic, qui la fait parvenir à Amitpal Singh, conseiller principal en politique au cabinet du ministre des Finances. Cette proposition est jointe en annexe au dossier d’information destiné ce soir-là au ministre Morneau, sans recommandation ni analyse.

20 avril 2020

M. Singh communique avec l’organisme UNIS pour discuter de la capacité de l’organisme à offrir des possibilités de bénévolat. Il dit dans un courriel à des collègues au gouvernement que l’organisme UNIS souhaite retravailler sa proposition concernant 10 semaines d’été pour la rendre conforme à l’objectif de la politique gouvernementale sur le bénévolat national. M. Singh ne fait aucune promesse à l’organisme UNIS, mais, la même journée, il laisse entendre que ses collègues devraient intégrer UNIS dans le processus une fois les politiques approuvées.

20 avril 2020

Mme Marquez envoie un courriel à un fonctionnaire d’EDSC résumant sa conversation du 17 avril 2020 avec Craig Kielburger et la ministre Chagger. Elle y dit que la ministre Chagger était intéressée à l’idée d’adapter la proposition concernant l’entrepreneuriat soumise à la ministre Ng, et qu’elle a suggéré d’ouvrir un volet sur le bénévolat des jeunes. Mme Marquez se dit prête à modifier la proposition de l’organisme UNIS si on lui donne les objectifs stratégiques appropriés.

20 avril 2020

Un courriel de Mme Kovacevic à un destinataire non identifié dit que le Cabinet du premier ministre (CPM) s’est exprimé au sujet de la version de la proposition de l’organisme UNIS envoyée au ministre des Finances le 18 avril 2020. Le premier ministre a déclaré par la suite que son personnel avait travaillé avec le BCP et d’autres ministères, et que ceux-ci savaient que la proposition de l’organisme UNIS était à l’étude. Il n’a toutefois jamais parlé avec son personnel de l’implication éventuelle de l’organisme UNIS avant le 8 mai 2020.

21 avril 2020

Le ministre Morneau approuve verbalement les grandes lignes de la BCBE et l’intervention possible d’une tierce partie. Il indiquera plus tard qu’aucune tierce partie n’avait été choisie à ce moment-là. Sans l’approbation du ministre, M. Singh demande à Mme Kovacevic d’inclure 12 millions de dollars pour la proposition d’entrepreneuriat social de l’organisme UNIS dans un document de décision destiné au ministre Morneau.

22 avril 2020

Le premier ministre annonce le lancement d’une BCBE de 912 millions de dollars.

22 avril 2020

Après l’annonce du premier ministre, Craig Kielburger communique une deuxième proposition de programme de bénévolat pour étudiants avec divers ministres, employés ministériels et hauts fonctionnaires. Mme Marquez s’est souvenue par la suite que la proposition était basée sur des paramètres et des lignes directrices générales que Mme Wernick avait transmis à M. Kielburger le 19 avril 2020.

23 avril 2020

Le ministère des Finances et EDSC discutent de la possibilité que l’organisme UNIS offre des stages de bénévolat virtuels et administre éventuellement la BCBE.

24 avril 2020

Mmes Kovacevic et Wernick appellent Craig Kielburger et Mme Marquez pour parler de l’organisme UNIS et de ses capacités. Le seul engagement que prend EDSC, c’est de faire un suivi auprès de l’organisme UNIS.

24 avril 2020 au 1er mai 2020

Du personnel d’EDSC, du ministère des Finances et du cabinet du ministre des Finances discutent de la proposition de l’organisme UNIS, y compris avec le personnel de l’organisme, afin de développer une proposition-cadre pour la BCBE.

5 mai 2020

La ministre Chagger présente la proposition de BCBE au Comité du Cabinet chargé de la réponse fédérale à la maladie à coronavirus, incluant la recommandation des fonctionnaires que l’organisme UNIS administre la BCBE.

8 mai 2020

Le premier ministre apprend que des fonctionnaires ont recommandé l’organisme UNIS. Il retire la BCBE des discussions du Cabinet de cette journée-là et demande que les fonctionnaires fassent preuve de plus de diligence raisonnable pour s’assurer que l’organisme UNIS est la meilleure ou la seule organisation pouvant administrer la BCBE.

22 mai 2020

Le Cabinet ratifie la BCBE, sous réserve de l’approbation finale du financement, y compris la participation de l’organisme UNIS. Ni le premier ministre ni le ministre des Finances ne se récusent de cette décision.

3 juin 2020

Le ministre Morneau donne son approbation finale à la décision de financement révisée de la BCBE.

23 juin 2020

La WE Charity Foundation signe avec EDSC l’accord de contribution concernant la BCBE, antidaté au 5 mai 2020.

25 juin 2020

Le premier ministre annonce que l’organisme UNIS a été choisi pour administrer la BCBE.

3 juillet 2020

L’organisme UNIS annonce son retrait de la BCBE et en transfère les responsabilités opérationnelles au gouvernement fédéral.

3 juillet 2020

Mario Dion, commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, entreprend un examen sur de possibles contraventions aux dispositions 6(1), 7 et 21 de la Loi sur les conflits d’intérêts de la part du premier ministre.

13 juillet 2020

Le premier ministre et l’ancien ministre des Finances présentent tous les deux des excuses pour ne pas s’être récusés des discussions du Cabinet sur l’attribution à l’organisme UNIS de l’accord de contribution concernant la BCBE.

16 juillet 2020

M. Dion commence un examen sur de possibles contraventions aux dispositions 6(1) et 21 de la Loi sur les conflits d’intérêts de la part du ministre Morneau.

16 juillet 2020

Le Comité permanent des finances de la Chambre des communes entreprend une étude intitulée Dépenses engagées par le gouvernement, mouvement UNIS et la bourse canadienne pour le bénévolat étudiant.

22 juillet 2020

Le ministre Morneau verse 41 366 $ à l’organisme UNIS à titre de remboursement des frais de voyage et d’hébergement pour sa famille et lui-même. Il a déclaré être surpris de découvrir qu’il n’avait pas déjà payé ces dépenses.

29 juillet 2020

M. Dion élargit son examen concernant le ministre Morneau pour inclure de possibles contraventions aux dispositions 11(1) et 12 de la Loi sur les conflits d’intérêts.

29 juillet 2020

Conformément à une motion adoptée le 22 juillet 2020, date limite pour la comparution des témoins et la présentation de documents au Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique de la Chambre des communes.

30 juillet 2020

Le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique de la Chambre des communes entreprend une étude intitulée Examen des mesures pour prévenir les conflits d’intérêts dans les politiques de dépenses du gouvernement fédéral.

8 août 2020

Conformément à une motion adoptée le 7 juillet 2020, date limite de présentation des documents au Comité permanent des finances de la Chambre des communes.

9 août 2020

Conformément à une motion adoptée le 30 juillet 2020, date limite de présentation des documents au Comité permanent des finances de la Chambre des communes.

12 août 2020

Le Comité permanent des langues officielles adopte la motion suivante : Que le président soit autorisé à établir le calendrier pour l’étude sur l’affaire UNIS et à le planifier dès que possible. Aucune étude n’a cependant été entreprise sur cette question.

13 août 2020

Le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires de la Chambre des communes tient une réunion sur la question suivante :  Administration de la Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant et de l’Organisme UNIS.

17 août 2020

Le ministre Morneau démissionne de son poste de ministre des Finances et de son siège de député de Toronto-Centre.

18 août 2020

Le Parlement du Canada est prorogé.

19 août 2020

Conformément à une motion adoptée le 22 juillet 2020, date limite pour la présentation de documents au Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique de la Chambre des communes.

Source : Tableau produit par la Bibliothèque du Parlement à l’aide de renseignements tirés de Comité permanent des finances de la Chambre des communes (FINA), Témoignages, 1re session, 43e législature, 16 juillet 2020; FINA, Témoignages, 1re session, 43e législature, 22 juillet 2020; FINA, Témoignages, 1re session, 43e législature, 28 juillet 2020; FINA, Témoignages, 1re session, 43e législature, 30 juillet 2020; ministère des Finances Canada, réponse écrite au Comité permanent des finances de la Chambre des communes au sujet de l’organisme UNIS; Organisme UNIS, Media Statement – WE Charity, 3 juillet 2020.

Discussion

A.   Prorogation d’août 2020

Dans le cadre des réunions du Comité portant sur la présente étude, les témoins se sont exprimés sur les caractéristiques particulières de la prorogation d’août 2020, notamment dans une perspective comparative avec des prorogations antérieures. La durée moyenne d’une prorogation au sein du Parlement fédéral du Canada a également été discutée.

En outre, la majorité des témoins ont abordé la question des justifications qui sous-tendraient la décision de proroger le Parlement en août 2020. Selon certains témoins, cette prorogation se justifiait aux vues de la crise sanitaire causée par la pandémie de COVID-19 et de la déconnexion entre le contexte de la pandémie et le discours du trône de décembre 2019. Certains d’entre eux ont affirmé que la prorogation d’août 2020 ne se distinguait pas de manière marquante des autres prorogations ayant eu cours au Canada par le passé. Enfin, plusieurs ont fait valoir que la décision de proroger, qui demeure une décision politique, revient au premier ministre.

D’autres témoins ont au contraire exprimé l’opinion que les justifications énoncées dans le rapport d’octobre 2020 ne reflètent pas la réalité, et que la décision de proroger le Parlement était attribuable à des considérations politiques plutôt qu’à la pandémie de COVID-19. Plusieurs ont souligné que la décision de proroger le Parlement coïncidait avec l’étude par plusieurs comités parlementaires de la décision du gouvernement d’octroyer un contrat à l’organisme UNIS pour la gestion du programme de Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant. La prorogation a mis fin aux activités parlementaires en cours, y compris les études de ces comités.

Le Comité se rappelle des propos d’un témoin, qui a indiqué que lorsque le Parlement est majoritaire, la prorogation est une occasion pour le gouvernement de remettre à zéro le programme législatif et de prononcer un discours du Trône, mais que lorsque le Parlement est minoritaire, elle est utilisée par le gouvernement pour se défendre et peut être vue comme une tactique dilatoire[50].

1.    Témoignage du leader du gouvernement à la Chambre des communes

Dans le cadre de son témoignage devant le Comité, M. Rodriguez a tout d’abord abordé la modification de 2017 du Règlement de la Chambre des communes par l’adoption de l’article 32(7). Tel que mentionné ci-haut, ce changement procédural crée une obligation pour le gouvernement de déposer à la Chambre un document exposant les raisons ayant motivé la décision de proroger, document réputé renvoyé au Comité dès sa présentation. M. Rodriguez postule que le dépôt du rapport en octobre 2020 en vertu de l’article 32(7) constitue une preuve « de transparence et d’ouverture » de la part du gouvernement[51]. Or, lorsqu’on lui a demandé de remettre volontairement au Comité des documents pertinents, il a refusé[52].

M. Rodriguez s’est ensuite penché sur les raisons justifiant la prorogation qui sont présentées dans ce même rapport. Il a rappelé qu’en décembre 2019, le discours du trône suivant la 43e élection générale fédérale ne comportait aucune mention de la future pandémie de COVID-19, qui a bouleversé les priorités gouvernementales quelques mois plus tard. Il a par ailleurs souligné l’adoption de mesures législatives « sans précédent » par le Parlement depuis mars 2020 pour pallier les impacts économiques de la pandémie sur les Canadiens[53].

Il a poursuivi en indiquant qu’à l’été 2020, pour le gouvernement, il apparaissait clair que le plan et les priorités annoncés dans le cadre du discours du Trône de décembre 2019 ne reflétaient plus la réalité vécue par les Canadiens. Toutefois, lorsqu’on lui a demandé de préciser le moment où le gouvernement est arrivé à ce constat, il n’a pas été en mesure de donner une date[54]. Selon lui, il s’agit de la raison pour laquelle le gouvernement s’est engagé à présenter au Parlement un nouveau discours du Trône, d’autant plus qu’il était « essentiel » que les députés puissent se prononcer sur ce plan au moyen d’un vote. Il souligne que ce discours du trône a ensuite été entériné par la Chambre des communes[55].

M. Rodriguez a conclu sa déclaration préliminaire en indiquant qu’à son avis, le Parlement a été prorogé pour une seule raison, soit de « présenter un nouveau plan pour faire face à la plus grande crise sanitaire et économique de notre temps [56]».

À la question de savoir si la prorogation était liée à l’étude par certains comités parlementaires du contrat octroyé à l’organisme UNIS, le leader du gouvernement à la Chambre a indiqué au Comité qu’il ne faisait pas une telle lecture de la situation, et qu’à son avis, la prorogation était amplement justifiée par la pandémie[57]. Quant à la période requise pour rédiger le discours du trône, M. Rodriguez a affirmé qu’il s’agit d’un processus long nécessitant de mener des consultations et de s’entretenir avec des experts[58]. Cependant, il n’a présenté aucun argument qui ait convaincu le Comité de la nécessité de proroger le Parlement – pendant cinq semaines, de surcroît – pour planifier le nouveau programme ou mener des consultations à cet égard.

2.    Témoignages de fonctionnaires du Bureau du Conseil privé

M. Sutherland et M. Donald Booth, directeur de la politique stratégique et secrétaire canadien de la Reine, ont témoigné sur les étapes entreprises par le Bureau du Conseil privé une fois la prorogation mise en branle en 2020.

Selon M. Sutherland, les fonctionnaires se sont attelés à la rédaction du discours du Trône dès l’instant où le Parlement a été prorogé en août 2020. Le groupe des priorités et de la planification au Bureau du Conseil privé a été mobilisé et divers ministères ont collaboré afin de définir les initiatives et les thèmes du discours du Trône. Tout comme M. Rodriguez, M. Sutherland a souligné les efforts consultatifs liés à cette rédaction. Les principaux thèmes qui ont finalement été retenus ont également été intégrés dans l’énoncé économique de l’automne du gouvernement et dans les lettres supplémentaires de mandat de janvier 2021 pour les ministres du cabinet[59].

En réponse à certaines questions relatives au processus de rédaction du discours du Trône, M. Sutherland a indiqué qu’il arrive que ce discours soit entièrement rédigé par le Cabinet du premier ministre tandis que, en d’autres occasions, c’est plutôt la fonction publique qui s’en charge[60]. Il a affirmé qu’il s’agit d’un discours très particulier qui exige un certain temps afin d’être rédigé adéquatement[61]. Pour le discours de septembre 2020, il a expliqué au Comité que tous les ministères fédéraux ont donné leurs idées de thématiques ou de programmes phares à aborder dans le cadre du discours. Les consultations auraient commencé vers la fin août et au début de mois septembre, après quoi il y a eu beaucoup d’échanges entre le Cabinet du premier ministre et le Bureau du Conseil privé[62].

À la question de savoir si le Bureau du Conseil privé avait recommandé la prorogation d’août 2020, M. Sutherland a indiqué qu’à sa connaissance, les conseils du Bureau du Conseil privé ont été sollicités sur les modalités de la prorogation, et non pas sur l’occasion de proroger.[63] Il a par la suite précisé que le Bureau du Conseil privé se limite à suivre les étapes requises afin de veiller à ce que la prorogation respecte les traditions constitutionnelles canadiennes[64]. M. Sutherland a également affirmé que les conséquences de la prorogation sur les comités, sur les questions inscrites au feuilleton et, dans une moindre mesure, sur les projets de loi d’initiative parlementaire étaient bien connues au moment de la prorogation du Parlement[65]. M. Sutherland et M. Booth ont indiqué que le Conseil privé a commencé à préparer la prorogation du 18 août 2021 à partir du 16 ou du 17 août[66].

Ils ont aussi tous deux abordé la question de la durée des prorogations passées du Parlement du Canada. M. Sutherland a ainsi souligné qu’historiquement, certaines prorogations ont une durée relativement courte, tandis que d’autres ont été beaucoup plus longues. Selon lui, la durée de la prorogation d’août 2020 entre dans la moyenne établie par les prorogations antérieures[67]. Il a également rappelé que la seule limite légale pour la durée d’une prorogation est celle de 365 jours, puisque le Parlement doit siéger à un minimum d’une fois l’an en vertu de la Constitution[68]. M. Sutherland a également indiqué qu’il ne s’agit pas de la plus longue prorogation à laquelle il a assisté, et que du point de vue formel, elle n’avait rien de particulier[69]. Pour sa part, M. Booth a expliqué que dans le cadre de la rédaction de la proclamation de prorogation, le premier ministre doit fixer la date de retour du Parlement, et que la prorogation s’étale normalement sur une période d’environ 40 jours. Cette période aurait cependant passablement varié au cours des dernières décennies[70].

À la question de savoir s’il aurait été possible de proroger le Parlement pour une période très courte, par exemple en prorogeant le vendredi, 18 septembre 2020 et en convoquant le Parlement le mercredi suivant pour la lecture du discours du Trône, M. Sutherland a indiqué que cela aurait été possible, mais qu’à son avis, cela aurait affecté la capacité de mener les consultations relatives à la rédaction du discours du Trône de la même manière[71]. En réponse à des questions posées par un membre du Comité, M. Sutherland a déclaré que même si le budget exige de vastes consultations, il ne recommanderait pas la prorogation du Parlement durant la période précédant le budget.

M. Sutherland et M. Booth ont tous deux souligné que la décision de proroger est une décision fondamentalement politique découlant de circonstances particulières[72]. M. Sutherland a également souligné qu’après un discours du trône, une motion de confiance était inévitable et nécessaire[73].

3.    Perspective universitaire

a)   Les motivations sous-tendant la prorogation d’août 2020

[74]Le Comité a entendu les points de vue de témoins issus du milieu universitaire sur les raisons de la prorogation d’août 2020. La plupart ont remis en question les raisons évoquées dans le rapport d’octobre 2020 pour proroger le Parlement, postulant qu’il s’agissait plutôt d’une décision prise en raison du climat politique de l’époque. À l’opposé, d’autres étaient d’avis que la crise sanitaire et économique provoquée par la pandémie de COVID-19 justifiait une prorogation afin que le gouvernement puisse réorienter ses priorités. Certains ont également indiqué que plus d’une motivation aurait pu orienter la décision. Finalement, une majorité d’entre eux a souligné que le choix de proroger le Parlement demeure une décision politique aux conséquences politiques.

Daniel Turp, professeur associé à la faculté de droit de l’Université de Montréal, est de ceux qui considèrent que le Parlement a été prorogé afin de mettre fin aux études des comités parlementaires sur le contrat octroyé à l’organisme UNIS. Il souligne que cette raison n’est pas évoquée dans le rapport d’octobre 2020, et il considère que cette omission constitue une forme « d’hypocrisie » de la part du gouvernement. Il remet également en question les motivations qui sont évoquées dans ce même rapport. Selon lui, il n’était pas nécessaire de proroger afin de revoir le programme gouvernemental, indiquant que le gouvernement aurait pu le faire tout en respectant le calendrier parlementaire usuel. En outre, il avance qu’en date du 18 août 2020, le gouvernement jouissait de la confiance de la Chambre des communes, et qu’il n’était donc pas nécessaire de proroger afin de soumettre le gouvernement à une motion de confiance[75].

Duane Bratt, professeur de science politique à l’Université Mount Royal, est d’un avis similaire. Dans le cadre de son témoignage, il a tout d’abord indiqué au Comité que la pandémie de COVID-19 serait en elle-même une raison valable qui justifierait la prorogation du Parlement. Cependant, s’il croit que la pandémie a probablement fait partie du processus décisionnel, il remet en doute l’affirmation selon laquelle il s’agissait de la motivation principale pour proroger. M. Bratt croit plutôt que la motivation principale était l’arrêt des études des comités parlementaires sur l’organisme UNIS[76]. Il a même dit que la prorogation « constituait plutôt une tentative soigneusement élaborée visant à détourner l’attention des Canadiens d’un scandale politique[77] ».

Pour étayer son argumentaire, M. Bratt soulève deux éléments. En premier lieu, il indique que le fait d’avoir attendu jusqu’au mois d’août, plutôt qu’au printemps, pour proroger est un signe que la prorogation n’aurait pas été motivée par la crise sanitaire liée à la COVID‑19. À ce sujet, il a également signalé que la prorogation coïncidait avec la démission du ministre des Finances, ajoutant :

Le choix du moment est tout à fait important. On ne peut pas faire abstraction du lien entre la démission de M. Bill Morneau et son implication dans le scandale UNIS. On n’a qu’à penser à cette réunion de comité où il a annoncé qu’il avait fait un chèque de 45 000 $ à l’organisme quelques heures avant son témoignage. C’est assez accablant[78].

En deuxième lieu, il indique que le contenu même du discours du Trône laisse à penser que la crise sanitaire n’était pas la justification première pour proroger. Selon lui, si le Parlement avait été prorogé à cause de la pandémie, le discours du Trône aurait présenté de nouveaux programmes et de nouvelles politiques à cet effet[79]. À son avis, le discours ressemblait plutôt à un discours de campagne en prévision des prochaines élections[80]. M. Bratt croit par ailleurs que si le gouvernement désirait se soumettre à un vote de confiance, il n’avait pas besoin de proroger le parlement pour se faire; une résolution à la Chambre des communes en ce sens aurait suffi[81].

Dans un même ordre d’idée, Ian Brodie, professeur agrégé en science politique à l’Université de Calgary, croit que l’argument selon lequel la prorogation se justifie par la nécessité de relancer le programme gouvernemental se conteste lorsque l’on constate qu’il n’y a eu aucune prorogation pendant la 42e législature. Selon lui, l’arrêt des études des comités parlementaires sur le contrat octroyé à l’organisme UNIS s’avère la seule raison pour la prorogation d’août 2020[82]. À son avis, les prorogations de 2008 et de 2020 étaient toutes les deux le résultat d’éclatements et de crises au sein du caucus libéral[83].

Dans le cadre de son témoignage, Philippe Lagassé, professeur agrégé en affaires internationales à l’Université Carleton, a proposé un cadre d’analyse qui permettrait de distinguer les « prorogations acceptables » des « prorogations dommageables et tactiques ». Selon lui, une prorogation peut s’avérer judicieuse ou nécessaire dans certaines circonstances, par exemple lorsqu’une session parlementaire dure depuis longtemps et que le gouvernement souhaite prendre un nouveau départ ou encore lorsqu’un événement important incite le gouvernement à se doter d’un nouvel ensemble de mesures législatives. Par contre, une prorogation s’avérerait « tactique » dans d’autres circonstances, par exemple lorsque le gouvernement cherche à retarder un vote de censure. Il croit en outre que les prorogations doivent être aussi courtes que possible pour s’avérer acceptables et judicieuses. Les contextes politique et parlementaire seraient également à prendre en considération afin de qualifier la prorogation de tactique[84]. Il souligne aussi que le gouvernement n’a pas communiqué de façon convaincante les raisons pour lesquelles il a prorogé le Parlement[85].

En appliquant ces critères à la prorogation d’août 2020, M. Lagassé affirme que la pandémie constitue un événement important pouvant conduire le gouvernement à vouloir revoir son programme et ses priorités, ce qui laisse entrevoir un but légitime. Cependant, il croit que certains facteurs contextuels penchent plutôt en faveur d’une prorogation tactique, notamment en raison de la durée de la récente prorogation et de son impact sur les comités parlementaires étudiant le contrat octroyé à l’organisme UNIS[86].

Il indique en outre qu’il revient à l’opposition de critiquer la nature tactique d’une prorogation et au gouvernement d’expliquer pourquoi la prorogation était nécessaire. Ce sera finalement aux électeurs de décider de quel côté ils se rangeront aux prochaines élections. À ses yeux, toutefois, le gouvernement n’a pas réussi à communiquer efficacement les raisons qui justifieraient la prorogation d’août 2020. Il souligne cependant que cela ne signifie pas nécessairement que la prorogation était inutile, mais plutôt que le message transmis par le gouvernement n’était pas convaincant. Selon lui, l’utilité de proroger aurait été plus manifeste si le Parlement avait siégé de manière régulière pendant la pandémie[87].

Pour Patrick Taillon, professeur à la faculté de droit de l’Université Laval, la prorogation est un instrument controversé en droit parlementaire canadien, qui permettrait à certaines occasions de « dénaturer le fonctionnement du système parlementaire[88] ». Il critique par ailleurs le recours à la prorogation par le gouvernement en août 2020, faisant valoir que le gouvernement a confondu ses intérêts légitimes avec les intérêts supérieurs de la fédération[89]. À son avis, cette prorogation a eu pour effet de faire passer les intérêts à court terme du gouvernement avant les intérêts supérieurs de la nation, qui correspondraient ici à ne pas se priver du Parlement pendant la crise sanitaire. Selon lui, les intérêts du gouvernement pour proroger étaient multiples, permettant à la fois de réorienter le programme gouvernemental et de dissoudre les comités parlementaires. Il croit qu’il aurait été plus avisé de ne pas proroger le Parlement ou, si la prorogation était requise, de le proroger pour une période très limitée, par exemple pour une seule journée. Comme M. Lagassé, M. Taillon rappelle que la question de savoir si la prorogation est controversée revient ultimement aux parlementaires et aux électeurs[90].

Barbara Messamore, professeure au département d’histoire de l’Université Fraser Valley, est plutôt d’avis que la prorogation d’août 2020 était « totalement justifiée[91] ». Bien qu’elle affirme qu’il est regrettable que la prorogation ait interrompu les travaux parlementaires entourant l’organisme UNIS – une suspension qui « pose problème[92] », dit-elle –, elle indique que la pandémie justifie la décision de proroger afin de préparer un nouveau discours du Trône. Elle considère la prorogation comme une procédure routinière permettant d’établir un programme gouvernemental[93].

Pour sa part, Kathy Brock, professeure à l’école d’études politiques de l’Université Queen’s, a souligné que lorsqu’un gouvernement donne l’impression d’éviter les audiences des comités en optant pour la prorogation, il risque d’occasionner de la désillusion et du cynisme chez le public[94]. Elle indique par ailleurs que la prorogation, de façon générale, est un mécanisme permettant de « repartir à zéro » et de mettre l’accent sur les nouvelles priorités gouvernementales. En août 2020, le gouvernement était fatigué et sous pression, et « [c]'est à ce moment qu’un gouvernement fait des erreurs très graves, qui sont montrées à la population comme des échecs ou des méfaits de quelque nature que ce soit[95] », fait-elle observer. La prorogation a permis au gouvernement et à la fonction publique de « reprendre leur souffle[96] ». Cependant, à son avis, cette prorogation n’était pas absolument nécessaire[97].

De son côté, Lori Turnbull, professeure agrégée et directrice de la School of Public Administration de l’Université Dalhousie, a souligné que le gouvernement ne fait pas mention dans son rapport d’octobre 2020 des études menées par les comités parlementaires sur l’affaire UNIS, alors qu’elle croit que cela constituait une raison importante pour proroger[98]. Elle croit par ailleurs que la prorogation d’août 2020 n’était pas nécessaire[99]. Elle souligne cependant qu’il est très difficile d’analyser si une prorogation est nécessaire d’un point de vue constitutionnel ou juridique, et indique que ce n’est pas parce qu’il y a une explication politique qu’il ne peut y avoir, parallèlement, une autre explication qui a plutôt à voir avec la planification de politiques. Dans les circonstances actuelles, dit-elle : « Le gouvernement est libre d’expliquer les raisons de la prorogation, mais je ne pense pas qu’il soit possible d’examiner la situation et de ne pas tenir compte de l’autre explication qui dominait à l’époque.[100] » Elle rappelle aussi que même si, conformément au Règlement, le gouvernement a l’obligation de faire rapport à la Chambre sur les raisons sous-tendant la prorogation, d’un point de vue constitutionnel, le premier ministre n’a pas besoin d’avoir de bonnes raisons pour demander une prorogation[101].

À la question de savoir si la prorogation d’août 2020 constituait un abus de pouvoir de la part du gouvernement, les opinions divergeaient. M. Lagassé et Mme Brock ont indiqué que la prorogation était regrettable ou encore problématique, mais pas abusive. Mme Messamore a indiqué qu’il ne s’agissait pas d’un abus de pouvoir. Pour M. Turp, la prorogation constituait un abus de pouvoir, vu le contexte politique l’entourant[102].

b)   Durée de la prorogation

Plusieurs témoins ont abordé la question de la durée de la prorogation. M. Turp, M. Lagassé et M. Bratt étaient tous d’avis que la prorogation d’août 2020 était inutilement longue[103]. Selon M. Turp, il n’était pas nécessaire de proroger pendant plusieurs semaines, le discours du Trône pouvant être préparé assez rapidement[104]. M. Bratt a quant à lui rappelé qu’il est possible de ne proroger qu’une ou deux journées, et que cela s’est fait par le passé[105].

M. Taillon croit également qu’il aurait été tout à fait possible de proroger pour une période plus courte pour atteindre les mêmes objectifs. Selon lui, l’aspect le plus critiquable de la prorogation d’août 2020 était sa durée de six semaines dans un contexte de crise[106]. Par ailleurs, M. Brodie a indiqué qu’il est habituellement préférable de proroger le Parlement la veille de la convocation du nouveau Parlement, afin de minimiser la période pendant laquelle le Parlement ne siège pas[107]. Finalement, Hugo Cyr, professeur à la faculté de science politique et de droit de l’Université du Québec à Montréal, a également soutenu qu’une « prorogation raisonnable » ne dure pas longtemps afin de maintenir le rôle et les fonctions du Parlement[108].

c)    Témoignage du premier ministre

Quelques témoins ont indiqué que le témoignage du premier ministre serait utile à l’étude du Comité.

Ainsi, M. Brodie a indiqué que l’étude du Comité permet de créer un précédent qui dictera la façon dont les rapports sur les prorogations à venir seront traités, et a dit souhaiter que le premier ministre comparaisse devant le Comité pour établir ce précédent.

Dans son témoignage, il a formulé des questions qu’il recommande au Comité de poser au premier ministre au sujet de la prorogation[109]. En premier lieu, M. Brodie a suggéré de demander au premier ministre s’il ne craignait pas de limiter le travail de la Chambre des communes en prorogeant le Parlement en août 2020, notamment aux vues du nombre limité de jours de séance au printemps 2020 en raison de la pandémie de COVID-19. Ensuite, M. Brodie a affirmé que la durée de la prorogation aurait pu limiter la possibilité d’adopter des projets de loi en urgence. Il a donc recommandé au Comité de demander au premier ministre quels étaient ses plans pour réduire le risque de devoir adopter un projet de loi en urgence pendant la prorogation. En troisième lieu, M. Brodie a conseillé au Comité de questionner le premier ministre sur l’impact de la prorogation sur le débat entourant le projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir). Finalement, la prorogation du Parlement ayant mis fin aux études de comités parlementaires, M. Brodie a suggéré de questionner le premier ministre sur les mesures qu’il serait prêt à prendre pour « dissiper le doute sur cet aspect de sa décision »[110].

Pour leur part, M. Bratt, M. Taillon, Mme Turnbull et M. Cyr estiment tous que la comparution du premier ministre devant le Comité serait utile à la présente étude[111]. Comme l’a dit Mme Turnbull : « Si cette réforme doit être couronnée de succès, ne serait-il pas plus logique que le premier ministre vienne vous le dire? Il a ses raisons.[112] »

B.   Réformes

Quelques témoins ont abordé la possibilité de réformer certains aspects constitutionnels ou procéduraux entourant le processus de prorogation, notamment pour clarifier les conventions actuelles et, dans certains cas, pour encadrer le rôle du premier ministre à cet égard.

À la question de savoir si des modifications constitutionnelles devraient être apportées au processus de prorogation, M. Sutherland a souligné que l’appareil gouvernemental est très réticent à proposer des changements qui s’écarteraient des conventions et des traditions du système parlementaire canadien[113].

Selon M. Turp, il faudrait réviser le droit constitutionnel canadien pour encadrer le pouvoir de proroger. Il soutient que plusieurs gouvernements auraient abusé de ce pouvoir, et qu’une réforme permettrait de protéger l’institution parlementaire. Selon lui, il serait également possible d’entreprendre certaines réformes sans nécessairement passer par une modification constitutionnelle. Il recommande en outre au Comité d’entreprendre une étude comparative des tentatives d’encadrement du pouvoir de proroger dans d’autres législatures[114].

Similairement, M. Taillon croit que le caractère flou des conventions constitutionnelles entourant la prorogation constitue une lacune dans le système parlementaire canadien. Il indique que ce manque de clarté accentue parfois les crises politiques au lieu de les atténuer. Il incite les parlementaires à évaluer la possibilité de mieux codifier ou mettre sur papier ces règles non écrites, comme c’est notamment le cas Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni. Il convient toutefois que la capacité de réforme est limitée, et croit que la réforme la plus efficace consisterait à imposer une limite quant à la durée de la prorogation dans le but de créer un nouvel usage[115].

M. Cyr propose quant à lui de modifier le Règlement pour y prévoir que le gouvernement est réputé avoir perdu la confiance de la Chambre s’il soumet un avis au gouverneur général selon lequel il devrait proroger le Parlement sans avoir au préalable fait adopter une résolution en ce sens par la Chambre. Selon lui, ce changement au Règlement permettrait d’assurer qu’une majorité de députés soit convaincue de la pertinence de procéder à une prorogation dans les circonstances[116].

M. Lagassé indique pour sa part qu’il y aura toujours des failles dans les mesures encadrant le pouvoir de proroger, et qu’il n’y a pas de solution claire à celles-ci. Il souligne qu’au Royaume-Uni, les efforts visant à retirer ces pouvoirs ou à les transférer à la Chambre des communes ont entraîné plusieurs problèmes[117].

Mme Turnbull a quant à elle tenu à rappeler qu’aucune disposition du Règlement ne peut priver le premier ministre de la possibilité de donner son avis au gouverneur général sur l’exercice des pouvoirs constitutionnels[118]. Elle soutient par ailleurs qu’elle ne connaît aucun système, notamment dans les régimes fondés sur le modèle de Westminster, doté d’un « fantastique » mécanisme de reddition de comptes en cas de prorogation[119].

Dans son mémoire, Mme Brock suggère au Parlement de considérer trois avenues possibles relativement au processus de prorogation. Premièrement, elle suggère que le Parlement pourrait s’assurer de la tenue d’un débat et d’un examen vigoureux du rapport du gouvernement sur la prorogation, ce qui rehausserait le rôle du Parlement et sa légitimité en tant que défenseur de la démocratie dans l’esprit du public. Deuxièmement, elle recommande au Parlement d’examiner l’usage des ententes multipartites ainsi que leurs effets sur la capacité de la Chambre de tenir le gouvernement responsable. Finalement, elle conseille au Parlement d’établir si les travaux des comités doivent cesser lors d’une prorogation ou s’il y a lieu de concevoir un mécanisme qui permettrait à certains comités de poursuivre leurs travaux dans ce genre de situation[120].

Finalement, le mémoire de M. Brodie propose de réformer la procédure relative au rapport sur la prorogation, en exigeant notamment que le premier ministre dépose le rapport et comparaisse devant le Comité pour le défendre, et que le rapport fasse l’objet d’un débat à la Chambre des communes[121].

C.    Rôle des tribunaux

Quelques témoins ont fait référence à la décision de la Cour suprême du Royaume-Uni dans l’arrêt R (Miller) v The Prime Minister and Cherry v Advocate General for Scotland, aussi connu sous le nom de Miller II. Dans cette affaire était remise en cause la légalité du conseil donné par le premier ministre à la Reine en août 2019, selon lequel il convenait de proroger le Parlement du Royaume-Uni. La Cour suprême du Royaume-Uni a jugé à l’unanimité que le conseil du premier ministre était illégal, puisque la prorogation aurait eu pour effet d’empêcher le Parlement d’exercer ses fonctions constitutionnelles, et ce sans justification raisonnable. Certains témoins estiment que ce jugement pourrait être un précédent intéressant pour le Canada, car il ouvrirait la porte à une révision judiciaire des motifs sous-tendant une prorogation et des effets de celle‑ci.

Selon M. Turp, si la prorogation d’août 2020 avait été contestée judiciairement et que la Cour suprême du Canada avait choisi d’appliquer les mêmes principes que la Cour suprême du Royaume-Uni, cette prorogation aurait pu être déclarée illégale[122]. M. Cyr a également abordé l’arrêt Miller II, et indique qu’il est difficile de prévoir comment une telle décision pourrait être appliquée au Canada. Toutefois, il souligne qu’il existe des précédents à une révision judiciaire des prérogatives de la Couronne, notamment dans le cadre de l’arrêt Khadr[123].

À l’opposé, M. Lagassé a mis en garde les tribunaux canadiens de suivre l’exemple de la Cour suprême du Royaume-Uni, indiquant qu’à son avis, la prorogation devrait être considérée comme une question politique non justiciable[124].

Finalement, M. Bratt a indiqué qu’il pourrait être intéressant pour le Comité d’inviter un expert britannique à témoigner sur cette décision, surtout compte tenu des similitudes entre le système britannique et le système canadien[125].

Constatations et recommandations

À la lumière des preuves qu’il a obtenues et des témoignages qu’il a entendus au cours de cette étude, le Comité est heureux de présenter les constatations et les recommandations suivantes.

Constatations

(a)  La pandémie de COVID-19

Le Comité reconnaît :

Que l’Organisation mondiale de la Santé a déclaré une pandémie le 11 mars 2020 et que cette pandémie se poursuit encore à ce jour, ayant touché 175,5 millions de personnes, causé 3,8 millions de décès et engendré des pertes économiques mondiales évaluées à 22 billions de dollars américains[126].

Que la pandémie de COVID-19 représente la plus grave crise de santé publique depuis la grippe espagnole de 1918 et qu’il « a fallu neuf mois pour franchir la barre du million de décès; quatre mois pour arriver à deux millions et trois mois pour atteindre trois millions[127] » et qu’en raison « de nouveaux variants qui viennent aggraver ‎des flambées explosives, cette pandémie est loin d’être terminée[128] ».

Que 2020-2021 a été très difficile pour le Canada, qui a connu plus de 1,4 million de cas de COVID-19, et qu’il ne faut pas oublier les près de 26 000 personnes qui ont perdu la vie en raison de ce virus et le sacrifice des travailleurs du domaine de la santé et de première ligne, qui mettent leur propre santé en danger pour protéger leurs collectivités.

Que le 18 août 2020, plus de 360 cas d’infections au nouveau coronavirus ont été détectés au Canada, portant le total au pays à plus de 123 000, et que le 2 juin 2021, plus de 2 000 nouveaux cas avaient été signalés, portant ce total à 1,4 million de cas.

Que près de dix-huit mois « après le début de la crise sanitaire qui marquera notre époque, le monde se trouve toujours dans une situation très préoccupante[129] », le nombre de cas signalés à ce jour en 2021 dépassant le total des cas survenus en 2020.

(b) Motifs de la prorogation d’août 2020

Le Comité reconnaît :

Que la prorogation est un outil utile qui peut remplir une fonction importante au sein de notre démocratie parlementaire.

Que le rapport du gouvernement présente une explication biaisée, incomplète et laudative de la prorogation du Parlement et constitue la preuve ironique de l’échec de la réforme visant à assurer la reddition de comptes que le gouvernement en question a prétendu apporter en ajoutant le paragraphe 32(7) du Règlement.

Que rien n’empêchait le gouvernement de mener des activités de planification ou de consultation sur le renouvellement de son programme stratégique sans proroger le Parlement, raison qu’il a toutefois invoquée pour justifier sa décision, alors qu’il avait réussi à éviter de le faire pendant les quatre années de la 42e législature.

Que la pandémie constituait bel et bien, à première vue, une bonne raison de proroger le Parlement à un certain moment après la première vague. Or, compte tenu de la nature, du moment et de la durée de la prorogation, il est clair que la décision du premier ministre de proroger le Parlement en août 2020 était surtout motivée par les circonstances entourant le scandale de l’organisme UNIS, y compris les quatre enquêtes parlementaires, dans une volonté de protéger les intérêts partisans du premier ministre et de son gouvernement.

Que le paragraphe 32(7) du Règlement a été proposé par le premier ministre lui-même pour éviter que l’on abuse du pouvoir de proroger le Parlement et estime que le comportement de ce dernier témoigne du caractère inadéquat de cette proposition.

(c)  Étude du Comité sur la prorogation de 2020 et témoignages du premier ministre

Le Comité constate :

Que le Comité est profondément déçu des tactiques partisanes libérales employées pendant trois mois et demi pour bloquer les propositions visant à recueillir des éléments de preuve que la majorité des membres du Comité jugeaient nécessaires pour bien comprendre les raisons réelles de la prorogation.

Le Comité estime que pour étudier adéquatement les motifs de la prorogation, il doit être possible de poser des questions à l’unique décideur. Vu le refus du premier ministre de comparaître, le Comité n’a pas pu bien faire son travail. Les efforts déployés par le Comité pour évaluer les raisons de la prorogation ont aussi été entravés par le fait que les hauts conseillers du gouvernement et les témoins impliqués dans le scandale de l’organisme UNIS ont décliné l’invitation du Comité à comparaître. L’étude du Comité était donc incomplète pour ces deux raisons.

Que le premier ministre a manqué à ses obligations envers le Parlement et le public canadien en ne comparaissant pas devant le Comité pour expliquer les raisons de la prorogation du Parlement en août 2020.

Recommandations

(a)  Réformes législatives ou statu quo

Le Comité recommande :

Que le pouvoir de prorogation ne soit pas limité étant donné qu’il peut être utilisé dans de nombreuses circonstances, notamment à des fins politiques, législatives, de planification stratégique ou autre.

Qu’il n’est pas souhaitable de chercher à apporter des modifications constitutionnelles au pouvoir du gouvernement général de convoquer, de proroger ou de dissoudre le Parlement.

(b) Réformes procédurales

Le Comité recommande :

Que l’article 32(7) du Règlement soit remplacé par ce qui suit :

(7) Au plus tard 20 jours de séance après le début de la deuxième session d’une législature ou d’une de ses sessions subséquentes, le premier ministre dépose sur le bureau un document expliquant les raisons de la récente prorogation. Ce document est réputé renvoyé en permanence au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre dès sa présentation à la Chambre.

En outre, le Comité recommande :

Que, dans un souci de transparence et afin de promouvoir et de favoriser la démocratie et les principes qui en découlent tels que la reddition de compte, le premier ministre signe et dépose lui-même devant la Chambre le rapport sur la prorogation prévu par l’article 32(7) du Règlement, et qu’il comparaisse en personne devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre dans le cadre de toute étude entreprise par le Comité concernant la prorogation.

(c)  Prolongation de l’étude du Comité sur la prorogation de 2020

Le Comité recommande :

Que le premier ministre rectifie le tir en prenant de son propre chef l’initiative de se présenter devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre dans les dix jours suivant l’adoption du présent rapport par la Chambre afin de donner des explications et de répondre aux questions du Comité sur les motifs l’ayant mené à prendre la décision de proroger le Parlement le 18 août 2020 alors que les Canadiens et les Québécois faisaient face à la pandémie de la COVID-19, et ce, dans la foulée de l’affaire UNIS (Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant) et de la démission de son ministre des Finances.

Qu’il agisse ainsi en cohérence avec les motifs l’ayant mené à entreprendre la modification du Règlement de la Chambre en 2017 concernant les dispositions visant à assurer plus de transparence dans le processus de prorogation du Parlement, et qu’il exprime sa volonté de créer un précédent, par le fait de sa présence devant le Comité, afin que les futurs premiers ministres qui prendront la décision de proroger le Parlement en fassent de même.

(d) Étude future sur le Règlement de la Chambre des communes

Le Comité recommande :

Que le Comité soit chargé, dans le cadre de l’examen général prochain de la procédure de la Chambre et de ces comités, conformément aux articles 51(2) et 108(3)a)(iii), d’examiner d’éventuelles mesures procédurales visant à dissuader le gouvernement de proroger le Parlement, y compris les suivantes :

a) modifications à la Loi sur le Parlement du Canada, conformément à l’article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, autorisant un ou plusieurs comités à se réunir durant une prorogation, tout comme le Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration est autorisé à le faire en vertu du paragraphe 19.1(2) de la Loi sur le Parlement du Canada;

b) modifications à l’article 49 du Règlement, qui a pour effet de renouveler automatiquement les ordres ou adresses de la Chambre à la suite d’une prorogation, afin qu’il en soit de même pour les ordres des comités portant production de documents;

c) modifications à l’article 81(10)b) du Règlement, qui réduit le nombre de jours désignés (de l’opposition) lorsque la Chambre ne siège pas tel que prévu dans le calendrier, afin de préserver le nombre de jours désignés qui seraient éliminés en raison de la prorogation;

d) modifications à l’article 81(10)a) du Règlement, qui établit le nombre de jours désignés (de l’opposition) pendant la période de subsides, afin de prévoir l’ajout de journées désignées à la suite d’une prorogation;

e) modifications à l’article 54 du Règlement, qui exige un avis de 48 heures avant l’examen d’une motion, afin d’exiger un délai supplémentaire pour toute motion du gouvernement ayant pour effet de rétablir les travaux du gouvernement annulés par suite d’une prorogation;

f) modifications au Règlement en général, afin de prévoir plus de temps pour l’examen des affaires émanant des députés, à la place des ordres émanant du gouvernement, dans les jours suivant une deuxième session de la législature ou des sessions subséquentes;

g) modifications additionnelles au l’article 32(7) du Règlement afin d’obliger le premier ministre à comparaître devant le présent Comité à la suite de la présentation d’un rapport sur la prorogation.


[1]              Chambre des communes, Journaux, 28 octobre 2020.

[2]              Chambre des communes, procès-verbal, 6 octobre 2020.

[3]              Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes, Procès-verbal, 5 novembre 2020.

[4]              Plus d’information sur les réponses des témoins à l’invitation à se présenter devant le Comité pour participer à cette étude figure plus bas dans cette section.

[5]              Peter Hogg, « 1.9 Prerogative », Constitutional Law of Canada, 5e édition, 2007 [en anglais seulement].

[6]              L’article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui traite des modifications constitutionnelles avec le consentement unanime du Sénat, de la Chambre des communes et de l’Assemblée législative de chaque province, est la formule employée pour les changements concernant la charge de Reine, celle de gouverneur général et celle de lieutenant‑gouverneur.

[7]              Chambre des communes, Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignages, 2e session, 43e législature, réunion 20, 28 janvier 2021, 1125 (Lori Turnbull, professeure agrégée, Dalhousie University). Mme Turnbull a mentionné dans son témoignage que l’information provenait d’un essai de Bruce Hicks intitulé « British and Canadian Experience with the Royal Prerogative ».

[8]              Ibid.

[9]              Ibid.

[10]            Chambre des communes, Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignages, 2e session, 43e législature, réunion 17, 10 décembre 2020, 1215 (Kathy Brock, professeure, Université Queen’s).

[11]            Ibid.

[12]            Lettres patentes constituant la charge de Gouverneur général du Canada (1947), art 6.

[13]            Décret C.P. 1935-3374.

[14]            Brock, 1215.

[15]            Sir John Bourinot, Parliamentary Procedure and Practice in the Dominion of Canada, 4e édition, 1916, p. 81 et 82.

[16]            Chambre des communes, Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignages, 2e session, 43e législature, réunion 20, 28 janvier 2021, 1130 (Hugo Cyr, Professor, Université du Québec à Montréal).

[17]            Turnbull, 1130.

[18]            Chambre des communes, Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignages, 2e session, 43e législature, réunion 23, 16 février 2021, 1200 (Allen Sutherland, secrétaire adjoint du Cabinet, Bureau du sous-secrétaire du Cabinet (Gouvernance), Bureau du Conseil privé).

[19]            Chambre des communes, Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignages, 2e session, 43e législature, réunion 24, 18 février 2021, 1120 (Patrick Taillon, professeur, Université Laval); et Chambre des communes, Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignages, 2e session, 43e législature, réunion 17, 10 décembre 2020, 1210 (Daniel Turp, professeur agrégé, Université de Montréal).

[20]            Chambre des communes, Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignages, 2e session, 43e législature, réunion 24, 18 février 2021, 1145 (Duane Bratt, professeur, Science politique, Mount Royal University).

[21]            Chambre des communes, Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignages, 2e session, 43e législature, réunion 17, 10 décembre 2020, 1225 (Barbara J. Messamore, professeure, University of the Fraser Valley).

[22]            Sutherland, 1250.

[23]            Messamore, 1225.

[24]            Chambre des communes, Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignages, 2e session, 43e législature, réunion 23, 16 février 2021, 1220 (Donald Booth, directeur de la politique stratégique et secrétaire canadien de la Reine, Appareil gouvernemental).

[25]            Ibid.

[26]            Pour en savoir plus sur le Scandale du Pacifique, voir : L’Encyclopédie canadienne, Scandale du Pacifique.

[27]            Messamore, 1225.

[28]            Pour en savoir plus sur le Scandale du Pacifique, voir : CBC.ca, Federal Sponsorship Scandal[en anglais seulement].

[29]            Messamore, 1225 et Bratt, 1110.

[30]            Messamore, 1225.

[31]            Cyr, 1145 et Bratt, 1110.

[32]            Chambre des communes, Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignages, 2e session, 43e législature, réunion 20, 28 janvier 2021, 1100 (Ian Brodie, professeur agrégé, University of Calgary).

[33]            Messamore 1225.

[34]            Brodie, 1100.

[35]            Brodie, 1100 et 1115.

[36]            Taillon, 1205.

[37]            Ibid., 1135.

[38]            Chambre des communes, Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignages, 2e session, 43e législature, réunion 17, 10 décembre 2020, 1210 (Philippe Lagassé, professeur agrégé, Université Carleton) et Brock, 1215.

[39]            Lagassé, 1210.

[40]            Ibid.

[41]            Brock, 1210.

[42]            Turnbull, 1200.

[43]            Ibid., 1205 et 1210.

[44]            Pour de plus amples renseignements sur les effets de la pandémie de COVID-19 sur l’économie et la société au Canada à l’automne 2020, veuillez consulter : Les répercussions sociales et économiques de la COVID-19 : Le point après six mois, disponible sur le site Web de Statistique Canada.

[45]            Canada, Parlement, Document parlementaire no 8560-432-1261-01, « Rapport au Parlement : Prorogation d’août 2020 – Pandémie de COVID-19 », Journaux, 28 octobre 2020.

[46]            Ibid., p. 7 et 8.

[47]            Ibid., p. 9.

[48]            Ibid., p. 14.

[49]            Sutherland, 1255.

[50]            Taillon, 1135.

[51]            Rodriguez, 1105.

[52]            Ibid., 1115.

[53]            Ibid.

[54]            Ibid., 1135.

[55]            Ibid.

[56]            Ibid., 1110.

[57]            Ibid., 1110, 1120, 1135, 1140, 1200.

[58]            Ibid., 1130, 1145.

[59]            Sutherland, 1200.

[60]            Ibid., 1240.

[61]            Ibid., 1255.

[62]            Ibid., 1300.

[63]            Ibid., 1210.

[64]            Ibid., 1225.

[65]            Ibid., 1210.

[66]            Sutherland et Booth, 1235.

[67]            Sutherland, 1210.

[68]            Ibid., 1215.

[69]            Ibid., 1220, 1255.

[70]            Booth, 1220.

[71]            Sutherland, 1220, 1225.

[72]            Sutherland, 1215; Booth, 1220.

[73]            Sutherland, 1215.

[74]            Le Comité tient à signaler que le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique a publié deux rapports le 13 mai 2021 : le Rapport Trudeau III et le Rapport Morneau II.

[75]            Turp, 1205.

[76]            Bratt, 1110, 1125.

[77]            Ibid., 1115.

[78]            Ibid., 1140.

[79]            Ibid., 1110, 1115.

[80]            Ibid., 1115.

[81]            Ibid., 1130.

[82]            Brodie, 1100, 1110.

[83]            Ibid., 1100.

[84]            Lagassé, 1210, 1215.

[85]            Ibid., 1235.

[86]            Ibid.

[87]            Ibid., 1235.

[88]            Taillon, 1115.

[89]            Ibid.

[90]            Ibid.

[91]            Messamore, 1225.

[92]            Ibid., 1235.

[93]            Ibid., 1225, 1255, 1330.

[94]            Brock, 1230.

[95]            Ibid., 1255.

[96]            Ibid., 1255.

[97]            Ibid., 1330.

[98]            Turnbull, 1130, 1210.

[99]            Ibid., 1255.

[100]          Ibid., 1245.

[101]          Ibid., 1200, 1205.

[102]          Lagassé, 1325, Brock, 1325; Messamore, 1325; Turp, 1255.

[103]          Turp, 1245; Lagassé, 1215; Bratt, 1130.

[104]          Turp, 1245.

[105]          Bratt, 1130, 1140.

[106]          Taillon, 1130, 1140.

[107]          Brodie, 1100.

[108]          Cyr, 1215.

[109]          Brodie, 1100.

[110]          Ibid., 1105.

[111]          Bratt, 1125, 1150; Taillon, 1145; Turnbull, 1225; Cyr, 1225.

[112]          Turnbull, 1230.

[113]          Sutherland, 1225.

[114]          Turp, 1245, 1255.

[115]          Taillon, 1120, 1150, 1205.

[116]          Cyr, 1150, 1235; Hugo Cyr, La prérogative relative à la prorogation et son encadrement, Mémoire, 28 janvier 2021, p. 7.

[117]          Lagassé, 1310.

[118]          Turnbull, 1230.

[119]          Ibid., 1230.

[120]          Kathy L. Brock, Prorogation : Les pouvoirs constitutionnels et juridiques du gouvernement, Mémoire, 10 décembre 2020, p. 7.

[121]          Ian Brodie, Allocution devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes, 28 janvier 2021, p. 5.

[122]          Turp, 1210, 1240.

[123]          Cyr, 1150.

[124]          Lagassé, 1215.

[125]          Bratt, 1145.