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Madame la Présidente, je soulève une question de privilège.
Le Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique a déposé aujourd'hui son deuxième rapport. Pour faire suite à l'avis que j'ai donné aujourd'hui après le dépôt du rapport, je voudrais présenter, madame la Présidente, cette question de privilège.
Le deuxième rapport est le résultat de l'étude menée par le comité de l'éthique sur les dérapages éthiques du gouvernement libéral, créé sous le prétexte fallacieux d'aider les Canadiens pendant la pandémie de COVID‑19, et illustre une forte tendance à la corruption. Mais je laisse cela de côté pour l'instant.
Ce rapport communique également à la Chambre ce que j'estime être plusieurs outrages ou atteintes au privilège. Je remercie à l'avance la présidence pour son indulgence, car je dois souligner avec regret que le deuxième rapport expose pas moins de sept questions de privilège. Heureusement, plusieurs d'entre elles peuvent être regroupées sous un même thème, ce qui devrait nous aider à les aborder plus rapidement.
Dans l'intérêt de tous, et à mon avis, il y a trois atteintes au privilège liées au défaut de comparaître devant le comité de l'éthique sur ordre de la Chambre le 25 mars 2021. Ensuite, il y en a trois autres relatives à la directive du gouvernement de défier l'ordre de la Chambre. Enfin, il y a la question des propos trompeurs ou de l'ingérence de la par rapport aux preuves fournies aux comités.
Je commencerai par le défaut de comparaître des témoins. Comme l'indiquent les pages 699 et 700 des Journaux du 25 mars 2021, la Chambre a adopté un ordre qui se lit comme suit:
Que, eu égard au pouvoir des comités de mener leurs importantes enquêtes sur des questions d’intérêt public:
a) en ce qui concerne l’étude du Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique sur les questions de conflits d’intérêts et de lobbying en relation avec les dépenses liées à la pandémie.
Puis:
(ii) Rick Theis, le directeur des politiques et des affaires du Cabinet du premier ministre, soit cité à comparaître devant le Comité le lundi 29 mars 2021, à 14 heures,
(iii) Amitpal Singh, le conseiller en politiques auprès de la vice-première ministre, soit cité à comparaître devant le Comité le mercredi 31 mars 2021, à 14 heures,
(iv) Ben Chin, le conseiller principal du premier ministre, soit cité à comparaître devant le Comité le jeudi 8 avril 2021, à 14 heures.
Et plus loin:
c) si le premier ministre devait comparaître devant les comités mentionnés aux paragraphes a) et b), à l’une ou l’autre des dates et heures mentionnées, durant au moins trois heures, à la place du témoin cité à comparaître et de tout autre témoin devant comparaître plus tard devant le même comité, ces témoins soient déchargés de leur obligation de comparaître conformément à cet ordre.
Cette façon de procéder, par laquelle la Chambre adopte un ordre pour appuyer les délibérations du comité, est peut-être inhabituelle, mais pas irrégulière. Par exemple, à la page 51 de la 14e édition de l'ouvrage Odgers' Australian Senate Practice, on souligne ceci: « Le Sénat peut ordonner à certains témoins de comparaître devant les comités [...] Le Sénat peut également ordonner que des documents soient produits pour les comités. »
De toute façon, l'annexe A du deuxième rapport nous informe que le comité a accepté de signaler à la Chambre, au moyen de cette annexe, que les trois témoins ne se sont pas présentés aux heures prévues. De plus, l'annexe A confirme que le n'a pas comparu au nom des trois témoins comme la Chambre l'avait autorisé dans son ordre.
Il est bien connu qu'une question de privilège doit être soulevée à la première occasion. Étant donné que la décision de la Chambre du 25 mars fait en sorte que la création hybride d'un ordre de la Chambre appuie exclusivement les délibérations d'un comité, on se demande quelle est la bonne façon de présenter une plainte concernant toute violation.
Selon nos ouvrages de procédure, lorsque des comités sont concernés, la question doit d'abord être présentée à la Chambre au moyen d'un rapport de comité. Les pages 152 et 153 de la troisième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes de Marc Bosc et André Gagnon le confirment. On y lit: « La présidence a toujours eu pour politique, sauf dans des circonstances extrêmement graves, de n’accueillir des questions de privilège découlant de délibérations de comités que sur présentation, par le comité visé, d’un rapport traitant directement de la question et non lorsqu’elles étaient soulevées à la Chambre par un député ».
Le 12 avril, soit le premier jour de séance suivant celui où les témoins étaient absents, le légiste et conseiller parlementaire a comparu devant le comité de l'éthique, et je lui ai demandé son avis lors de cet échange.
À la page 22 du compte rendu, je lui ai posé la question suivante:
Monsieur Dufresne, dans ce cas précis, alors que la Chambre a ordonné la comparution de certaines personnes devant le Comité et la présentation ou la remise de documents au Comité, quelle est la marche à suivre? Le président du Comité doit-il d'abord en saisir la Chambre ou, étant donné qu'il s'agit d'un ordre de la Chambre, un député peut-il simplement soulever le problème directement auprès du Président de la Chambre des communes?
Le légiste a répondu:
Normalement, selon les décisions antérieures de Présidents de la Chambre, si une question concerne un comité et des renseignements devant lui être remis, il est généralement d'usage d'attendre que le comité ait d'abord examiné la question, ce qui lui donne l'occasion de déterminer s'il est satisfait.
Compte tenu de cet avis, j'ai attendu que le comité de l'éthique finisse son travail avant de soulever cette question à la Chambre des communes, comme je le fais maintenant.
Avant de passer à un autre sujet, il y a un autre aspect lié au moment choisi pour soulever la question dont je devrais parler, puisque je m'attends à ce que les libéraux en parlent lorsqu'ils répondront à ces arguments. Le comité a convenu de demander une réponse du gouvernement au rapport, au titre de l'article 109 du Règlement. Selon cette disposition, on ne peut pas proposer de motion portant adoption du rapport avant le dépôt de la réponse ou, le cas échéant, jusqu'à l'expiration de la période de 120 jours suivant la présentation du rapport.
L'ouvrage de Bosc et Gagnon, par exemple, est muet sur la question. Par ailleurs, l'article 48(1) du Règlement indique clairement l'obligation suivante: « Quand la question de privilège est posée, elle doit être immédiatement prise en considération. »
La page 80 de l'ouvrage de Bosc et Gagnon décrit l'atteinte aux privilèges et l'outrage au Parlement de la façon suivante:
Tout acte tenant du mépris ou constituant une attaque contre les droits, pouvoirs et immunités de la Chambre et de ses députés, soit par une personne ou un organisme de l'extérieur, soit par un de ses députés, est considéré comme une « atteinte aux privilèges » et est punissable par la Chambre. Il existe toutefois d'autres affronts contre la dignité et l'autorité du Parlement qui peuvent ne pas constituer une atteinte aux privilèges comme telle. Ainsi, la Chambre revendique le droit de punir au même titre que l'outrage tout acte qui, sans porter atteinte à un privilège précis, nuit ou fait obstacle à la Chambre [...] ou transgresse l'autorité ou la dignité de la Chambre, par exemple la désobéissance à ses ordres légitimes [...]
À la page suivante, le Bosc et Gagnon fait référence au rapport de 1999 du Joint Committee on Parliamentary Privilege du Royaume-Uni, qui a dressé une liste de certains types d’outrage. Le huitième point de la liste est « sans excuse valable, ne pas se présenter devant la Chambre ou un comité après avoir été cité à comparaître ». Il est suivi par le dixième point « sans excuse valable, désobéir à un ordre légal de la Chambre ou d’un comité ».
L'argument est présenté de façon encore plus succincte au paragraphe 15.5 du Treatise on The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament d'Erskine May, qui stipule que « des témoins qui refusent de comparaître peuvent être coupables d'outrage. »
Voici ce que dit le paragraphe 15.7:
Peut donner lieu à une accusation d'outrage la désobéissance à une règle précise, à savoir le refus ou la négligence d'un témoin ou d'une autre personne de se présenter devant l'une ou l'autre des Chambres ou un comité après avoir été cité à comparaître.
Ces questions sont au cœur des privilèges du Parlement, un ensemble de lois qui nous permettent de nous acquitter de nos devoirs et responsabilités au nom de nos concitoyens et dont les origines remontent loin et sont ancrées dans la Constitution canadienne.
À la page 137 de Bosc et Gagnon se trouve l'observation suivante:
Selon le préambule et l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement jouit du droit de procéder à des enquêtes, d’exiger la comparution de témoins et d’ordonner la production de documents, des droits essentiels à son bon fonctionnement. Ces droits sont d’ailleurs aussi anciens que le Parlement lui-même [...]
Voici ce qu'on peut lire au paragraphe 234 du rapport britannique de 1999 que je viens de mentionner: « Depuis au moins l'époque élisabéthaine, les comités examinent des questions en faisant comparaître des témoins. » Je tiens à préciser qu'il ne s'agit pas ici de notre souveraine actuelle, mais de la reine d'Angleterre de 1558 à 1603, dont Sa Majesté porte le nom.
L'ancien député libéral Derek Lee, pour sa part, affirme à la page 6 de son ouvrage de 1999, intitulé The Power of Parliamentary Houses to Send for Persons, Papers & Records, que l'origine de ce pouvoir remonte au règne du roi Édouard III pendant la moitié du XIVe siècle.
Voici ce qu'écrit, en 1840, Alpheus Todd, ancien bibliothécaire parlementaire, à la page 313 de son ouvrage intitulé The Practice and Privileges of the Two Houses of Parliament: « Les deux Chambres du Parlement peuvent convoquer des témoins — privilège essentiel et incontesté qu'elles ont en commun avec tous les tribunaux — afin de les interroger sur tous les sujets sur lesquels elles peuvent avoir besoin d'information pour orienter leurs débats. »
La portée de ces pouvoirs qui prennent racine dans le rôle de grand enquêteur de la nation est décrite aux pages 198 et 199 de la deuxième édition de l'ouvrage Le privilège parlementaire au Canada, de Joseph Maingot: « La seule limitation que la Chambre pourrait elle-même s'imposer serait que l'enquête doive se rapporter à un sujet relevant de la compétence législative du Parlement, en particulier lorsque des témoins doivent être entendus et qu'on envisage de recourir à la compétence pénale du Parlement. Cette restriction est conforme au droit des Chambres du Parlement de convoquer une personne et de l'obliger à témoigner sur un sujet relevant de leur compétence respective. »
Il y a un instant, j'ai mentionné le principe selon lequel toute violation de privilège concernant les travaux des comités doit d'abord être rapportée par le comité. Le Bosc et Gagnon fournit des exemples de telles violations à la page 153:
La plupart des incidents signalés par les comités ont trait à la conduite de députés, de témoins ou du public ou encore au non-respect d’un ordre de comité. Les comités ont eu l’occasion de faire rapport à la Chambre du refus de témoins de comparaître lorsqu’on les y avait convoqués; du refus de témoins de répondre à des questions; du refus de témoins de fournir des documents ou des dossiers; du refus de certaines personnes d’obéir aux ordres d’un comité; de la divulgation de faits survenus durant une réunion à huis clos; de la divulgation de projets de rapports et de la présentation de faux témoignages devant un comité. Les comités peuvent également faire rapport de cas d’outrage, par exemple de comportement irrespectueux à l’endroit de l’autorité ou des activités d’un comité, d’intimidation de membres ou de témoins ou de refus de témoins de prêter serment.
Maingot, à la page 250, décrit comment le fait de désobéir à un ordre de la Chambre, comme l'ont fait MM. Theis, Singh et Chin par rapport à l'ordre du 25 mars, constitue un outrage:
La désobéissance aux règles ou aux ordres constitue un affront à la dignité de la Chambre, qui peut donc y donner suite, non seulement pour sa propre satisfaction, mais pour veiller à ce qu'on lui témoigne le respect nécessaire à la sauvegarde de son autorité et à défaut duquel la Chambre ne pourrait remplir sa mission. C'est pourquoi la désobéissance peut être considérée comme un outrage, mais la Chambre tient toujours compte des circonstances pour atténuer la sanction à imposer.
La désobéissance aux règles ou aux ordres est un outrage évident; il peut s'agir du refus de comparaître à la barre de la Chambre sur ordre de celle-ci, du refus de se présenter en personne et de produire les documents exigés par un comité (l'outrage n'est alors prononcé officiellement que lorsque le comité fait rapport de l'incident à la Chambre et que celle-ci y donne suite) [...]
Comme je l'ai indiqué, il est inhabituel de présenter un ordre de la Chambre pour qu'un témoin comparaisse en comité. Cela dit, il est déjà arrivé que l'on fasse fi d'ordres de comparaître à la Chambre.
Quelques exemples sont présentés aux pages 130 à 132 de Bosc et Gagnon. Les deux premiers exemples concernant la question de privilège dont nous sommes saisis se trouvent à la page 130:
Le 31 mars et le 1er avril 1874, Louis Riel (Provencher) reçoit l’ordre de comparaître de son siège devant la Chambre pour s’être dérobé à la justice dans l’affaire de la rébellion de la rivière Rouge et du meurtre de Thomas Scott. Il fait fi de cet ordre et se fait par la suite expulser de la Chambre [...]
Toujours en 1891, le Comité des comptes publics mentionne dans son rapport qu’André Senécal, un employé du Bureau de l’imprimerie du gouvernement, a fait défaut de se soumettre à une citation à comparaître devant le Comité. La Chambre adopte une motion lui enjoignant de se présenter à la barre de la Chambre. Il omet de le faire et la Chambre ordonne qu’il soit mis sous la garde du sergent d’armes, qui ne parvient pas à le retrouver. Les choses en restent là.
Ce dernier cas — qui concerne M. Senécal, un fonctionnaire occupant le poste de surintendant de l'imprimerie — commence, dans le recueil des débats de la Chambre, à la page 454 des Journaux du 27 août 1891, lorsque le comité des comptes publics déclare que M. Senécal ne s'est pas présenté après avoir été appelé à comparaître. Ce témoin recherché aurait prétendu suivre les conseils du médecin et avoir, de plus, démissionné de son poste au sein de la fonction publique.
L'ouvrage de Bosc et Gagnon indique qu'aucune autre mesure n'a été prise à l'endroit de M. Senécal, mais certains efforts ont tout de même été faits en ce sens. Le sous-sergent-d'armes, le lieutenant-colonel Henry Smith, informe la Chambre de ce qui suit le 1er septembre 1891, comme on peut le lire à la colonne 4852 des Débats de la Chambre des communes:
M. l'Orateur, j'ai l'honneur de faire rapport que le témoin André Senécal a quitté Ottawa le ou vers le 24 du mois dernier et, bien que j'aie fait des recherches minutieuses, je n'ai pu découvrir le lieu de sa retraite. En conséquence, l'ordre lui enjoignant de comparaître à la barre de la chambre cette après-midi a été signifié à un membre de sa famille à sa résidence, à Ottawa.
Un autre incident, concernant un député qui faisait l'objet d'une enquête pour un scandale de corruption, est raconté dans l'ouvrage de Bosc et Gagnon à la page 136, en ces termes:
En 1891, Israël Tarte, de Montmorency, accuse Thomas McGreevy, de Québec-Ouest, de corruption relativement aux travaux d’amélioration au port de Québec. La Chambre renvoie l’affaire au Comité des privilèges et élections. Lors de sa comparution devant le Comité, M. McGreevy refuse de répondre aux questions qui lui sont posées. Le Comité fait rapport à la Chambre le 12 août 1891 et lui demande de prendre la décision qu’elle jugerait appropriée. Le 13 août, la Chambre ordonne à M. McGreevy d’être présent à son siège le 18 août. Constatant ce jour-là l’absence de M. McGreevy, la Chambre ordonne qu’il soit commis à la garde du sergent d’armes.
Les comptes rendus de la Chambre concernant cette affaire montrent que les ordres de la Chambre n'étaient pas que de vains mots imprimés sur papier. Comme on peut le lire à la colonne 4079 des Débats, lorsque M. McGreevy ne s'est pas présenté à l'heure convenue le 18 août 1891, monsieur le Président Peter White a fait le point devant la Chambre. Il a déclaré:
Le greffier m'a appris qu'une copie de l'ordre de la Chambre de jeudi dernier, dûment signée par lui, avait été expédiée par la poste vendredi dernier à l'honorable Thomas McGreevy, à Québec, lorsqu'on eut appris qu'il n'était pas à Ottawa, et qu'un télégramme lui faisant part de l'ordre lui avait en même temps été envoyé à Québec. Le gérant de la compagnie de télégraphe North-Western à Québec a informé le greffier que le télégramme avait été dûment remis à l'honorable Thomas McGreevy, vendredi dernier, à 2.45 heures p.m., au bureau de la compagnie de navigation Richelieu et Ontario.
Lorsque la Chambre a ordonné que M. McGreevy soit placé sous garde, le lieutenant-colonel Smith ne s'est pas contenté de mettre la copie de l'ordre dans sa poche. Il a sauté dans un train et s'est mis à la poursuite du député déserteur. À la page 422 des Journaux du 20 août 1891, on peut lire:
M. l'Orateur informe la Chambre que, conformément à l'ordre de la Chambre du 18 courant, il a adressé son mandat au sergent d'armes intérimaire lui ordonnant de prendre sous sa garde l'honorable Thomas McGreevy, et qu'il a reçu le rapport suivant de cet officier: —
Monsieur, — J'ai l'honneur de faire rapport que je suis arrivé à Québec, hier, à 3 p.m., et que je me suis mis immédiatement à la recherche de M. Thomas McGreevy, à son domicile, à son bureau et ailleurs, mais que je n'ai pu le trouver. Plus tard, j'ai appris, de bonne source, autant que je sache, qu'il avait quitté Québec par le chemin de fer le Grand-Tronc, mais il m'a été impossible de savoir pour quelle destination. Je n'ai aucun doute qu'il a quitté Québec plusieurs heures avant mon arrivée en cette cité.
J'ai l'honneur d'être, monsieur,
Votre obéissant serviteur,
Sergent d'armes intérimaire, C. des C.
Finalement, le comité des privilèges, qui enquêtait sur les allégations de corruption portées contre M. McGreevy, a terminé ses travaux et en a fait rapport à la Chambre. On peut lire l'issue de l'affaire à la page 136 de Bosc et Gagnon:
Le 29 septembre, la Chambre adopte une résolution déclarant M. McGreevy coupable de mépris envers l'autorité de la Chambre pour avoir omis de se présenter à son siège comme on le lui avait ordonné, ainsi que de certaines autres infractions. La Chambre adopte ensuite une seconde résolution expulsant M. McGreevy.
Ces mesures ont été prises à la suite des conclusions du comité des privilèges.
Revenons à la liste de Bosc et Gagnon, que j'ai mentionnée plus tôt. Aux pages 131 et 132, on parle d'un autre cas pertinent. On y lit ceci:
En 1894, Jean Baptiste Provost et Omer Édouard Larose négligent de se soumettre à une citation à comparaître comme témoins devant le Comité des privilèges et élections. Le Comité en fait rapport à la Chambre et lui demande d’« agir en conséquence ». La Chambre adopte alors une motion enjoignant aux deux témoins de comparaître à la barre de la Chambre. Constatant leur absence, la Chambre ordonne au sergent d’armes de les mettre en état d’arrestation afin de les forcer à comparaître à la barre de la Chambre. Ils comparaissent finalement, répondent aux questions et sont libérés.
Cette affaire se rapporte à deux épiciers de Québec qui, en 1894, ne se sont pas soumis à une citation à comparaître devant un comité qui entreprenait une enquête sur des allégations de corruption contre un député. Ils ont expliqué leur refus en disant qu'on ne leur avait pas avancé de l'argent pour leurs frais de déplacement. Les témoins ont persisté dans leur refus, même lorsque la Chambre des communes a émis un ordre de comparaître. Cependant, comme je l'ai souligné, la Chambre a ordonné au sergent d’armes de les mettre en état d’arrestation, et il s'est exécuté.
Lorsqu'ils ont comparu à la barre, M. Provost et M. Larose ont tous les deux dû répondre aux deux mêmes questions de la part du premier ministre, sir John Thompson. Ces deux questions, qui figurent aux pages 299 et 300 des Journaux du 13 juin 1894, sont les suivantes:
1. Avez-vous quelque chose à dire pour expliquer pourquoi vous avez désobéi à la sommation du comité des Privilèges et Élections de cette Chambre de vous présenter devant le comité, et à l’ordre de la Chambre vous enjoignant de comparaître à la barre de la Chambre?
2. Êtes-vous prêt à promettre à la Chambre que si vous êtes mis en liberté, vous comparaîtrez devant le comité des privilèges et Élections à sa première séance, pour y donner votre témoignage, ainsi qu’à chaque séance subséquente, jusqu’à ce que vous soyiez dispensé de ce faire?
Après une réponse positive des deux témoins à la dernière question, la Chambre les a libérés de la garde du sergent d’armes.
En ce qui concerne un témoin qui refuserait de comparaître, à la page 548 de l’ouvrage d’Odgers, ce dernier indique que les ordres du Sénat australien de cette nature ont été traités différemment de celui du 25 mars. Je le cite:
Dans tous les cas de cette nature, les ordres ont été respectés et les témoins ont comparu, et dans un cas, les documents nécessaires ont été présentés. Les témoins étaient tous des titulaires de charge publique; cette procédure n’a pas été appliquée pour de simples citoyens.
En revanche, la Chambre des communes du Royaume-Uni s'est retrouvée, tout récemment, dans une situation qui rappelle beaucoup la nôtre. En 2018, le comité du numérique, de la culture, des médias et du sport de ladite Chambre a indiqué à la Chambre en question que, dans le cadre de son étude sur les fausses nouvelles, elle avait invité Dominic Cummings, qui avait été le directeur de la campagne en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, Vote Leave, lors du référendum sur le Brexit de 2016, à venir témoigner puis le lui avait ordonné.
M. Cummings a ignoré l'ordre qui lui avait été donné et, le 5 juin 2018, le comité a signalé à la Chambre que son absence « constituait une entrave grave au fonctionnement du présent comité en l'empêchant de s'acquitter de la tâche qui lui avait été assignée par la Chambre. »
En réponse, le 7 juin 2018, la Chambre des communes du Royaume-Uni a adopté les motions suivantes inscrites aux pages 1 et 2 des Procès-verbaux:
Il est résolu que la Chambre prenne note du troisième rapport spécial du comité du numérique, de la culture, des médias et du sport (HC 1115);
Il est ordonné que M. Dominic Cummings s'engage auprès du comité, au plus tard le 11 juin 2018 à 18 heures, à comparaître devant le comité au plus tard le 20 juin 2018.
La page 5 des Procès-verbaux du 20 juin 2018 montre que le président du comité a signalé à la Chambre que M. Cummings n'a pas respecté les ordres de la Chambre. Puis, le 28 juin 2018, la Chambre a renvoyé l'affaire à son comité des privilèges. Après que le comité des privilèges eut fait son rapport à la Chambre des communes...
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Madame la Présidente, malgré l'emportement du député de , je signale que, par courtoisie pour la Chambre, je vais combiner de multiples questions de privilège en une seule intervention. Si la présidence le préfère, je peux soulever chaque question séparément, mais cela risque certainement de prendre plus de temps. Bref, j'ai plusieurs questions de privilège. Votre décision confirme que ceci a effectivement préséance sur l'ordre du jour. C'est important pour le fonctionnement de cet endroit. Je poursuis.
Tandis que le député de continue de m'interrompre et se dit très préoccupé au sujet des citoyens de ma circonscription, Leeds—Grenville—Thousand Islands et Rideau Lakes, je peux lui assurer que les Canadiens sont très déçus que le gouvernement ait fait de l'obstruction pendant 43 heures au comité de l'éthique, pendant 73 heures au comité de la procédure et des affaires de la Chambre et pendant 35 heures au Comité permanent des finances. Les libéraux ont également mis un terme à l'étude du comité de la défense nationale en faisant de l'obstruction pendant plus de 16 heures. Je pourrais poursuivre l'énumération. Ainsi, alors que le député de Kingston et les Îles continue d'interrompre les délibérations de la Chambre pour donner son opinion sur la durée de mon intervention, je crois que les décisions antérieures de la présidence et les ordres antérieurs de cet endroit sont plutôt clairs et qu'il est extrêmement important que je soulève les multiples atteintes au privilège de la Chambre, lesquelles remontent à une époque où nous n'étions pas encore nés, voire jusqu'à la Constitution. Je vais donc poursuivre.
En réponse, la Chambre des communes du Royaume-Uni a adopté, le 7 juin 2018, la motion suivante, consignée aux pages 1 et 2 des Procès-verbaux:
Il est résolu que la Chambre prenne note du troisième rapport spécial du comité du numérique, de la culture, des médias et du sport (HC 1115);
Il est ordonné que M. Dominic Cummings s'engage auprès du comité, au plus tard le 11 juin 2018 à 18 heures, à comparaître devant le comité au plus tard le 20 juin 2018.
À la page 5 des Procès-verbaux pour le 20 juin 2018, on peut lire que le président du comité a signalé à la Chambre que M. Cummings ne s’était pas conformé à l’ordre de celle-ci.
Puis, le 20 juin 2018, la Chambre a renvoyé la question à son comité des privilèges. Après que ce dernier eut fait rapport à la Chambre des communes, celle-ci a adopté, le 2 avril 2019, une motion sur la recommandation du comité déclarant M. Cummings coupable d’outrage et l’a réprimandé, comme le rapporte la page 1 des Procès-verbaux.
Au début de cette partie de mon intervention, j’ai fait référence à l’ouvrage de Bosc et Gagnon en ce qui a trait à la réserve de « sans excuse valable ». À mon avis, il est possible de traiter très rapidement le cas qui nous occupe puisqu’aucun des trois témoins n’a offert d’excuse, quelle qu'elle soit, pour son absence.
Je reconnais que deux ministres ont écrit au président du comité de l’éthique pour l’informer qu’ils comparaîtraient au nom des témoins, mais cela ne constitue pas une excuse de la part des témoins eux-mêmes. Je dirais donc que cela ne constitue pas une excuse valable.
Bien que j’aie l’intention d’aborder la position du gouvernement selon laquelle les membres du personnel ne sont pas des témoins contraignables lorsque je présenterai mon argument selon lequel l’ingérence du gouvernement dans l’ordre que la Chambre a donné le 25 mars constitue de prime abord un outrage, je souhaite à ce stade-ci souligner quelques points.
Premièrement, le gouvernement, par l’entremise de son leader parlementaire, a fait valoir sa position lors du débat à la Chambre le 25 mars et néanmoins, la Chambre a adopté la motion qui renfermait cet ordre.
Deuxièmement, l’ordre de la Chambre permettait effectivement à une personne de comparaître à titre de remplaçant au nom de la responsabilité ministérielle, c’est-à-dire le . Cependant, celui-ci n’a pas comparu comme l’ordre le permettait.
Troisièmement, le comité de l’éthique n’a pas accepté la position du gouvernement. Cela ressort des commentaires consignés dans le deuxième rapport et dans le compte rendu des réunions auxquelles les témoins devaient assister.
Quatrièmement, si la présidence est d’avis que l’on peut encore considérer cette position comme une excuse valable, j’affirmerais que la meilleure façon de le faire à ce stade est de proposer un amendement à toute motion de privilège qui pourrait découler de ces délibérations, en partant du principe que le gouvernement peut mettre à l’épreuve la volonté de la Chambre pour obtenir son point de vue sur ces questions.
Dans ce cas-ci, c’est très clair. La Chambre a adopté un ordre et cet ordre a été complètement ignoré. Les témoins n’ont fait aucun effort pour s’y conformer de quelque façon que ce soit et n’ont présenté aucune excuse que la Chambre ou le comité aurait pu évaluer avant de présenter ses conclusions. Par conséquent, en ce qui concerne les trois premières questions de privilège, soit les absences de MM. Theis, Singh et Chin, je vous soumets respectueusement, madame la Présidente, que vous devriez conclure qu’il y a, de prime abord, un cas d’outrage.
En ce qui concerne la question de privilège suivante, je souhaite aborder le rôle qu'a joué le gouvernement pour empêcher MM. Theis, Singh et Chin de comparaître comme témoins devant le comité. Le gouvernement a volontairement reconnu avoir tenu cette ligne de conduite, tant au préalable qu’au moment des comparutions prévues.
Dans son intervention à la Chambre le 25 mars, le a déclaré, comme on peut le lire à la page 5 234 des Débats de la Chambre des communes:
[...] j’informe la Chambre que les ministres enjoindront désormais à leurs employés à ne pas témoigner lorsqu’ils seront convoqués par un comité. Le gouvernement enverra les ministres à leur place afin qu’ils rendent des comptes sur leur travail.
Bien que je trouve méprisante cette attitude de défi flagrante, je parlerai des cas précis d’ingérence en ce qui concerne les trois témoins.
Avant la réunion du comité de l’éthique du 29 mars, le a envoyé une lettre au président du comité de l’éthique, pour faire suite à sa déclaration à la Chambre la semaine précédente, et voici ce qu’il lui écrivait:
En conséquence, M. Rick Theis, directeur des politiques auprès du premier ministre, a reçu l'ordre de ne pas se présenter devant le comité. À sa place, j'assisterai à la réunion au nom du gouvernement le lundi 29 mars.
Nous ne parlons plus de vols de trains.
Le 3 mai, à une réunion du comité de l’éthique initialement prévue pour le 23 avril, le comité a adopté une motion qui se trouve à l’annexe A du deuxième rapport, qui dit, au paragraphe 5, que le comité a pris note que le leader du gouvernement à la Chambre a comparu devant lui le 29 mars 2021 à la place de Rick Theis, « qui s’est conformé aux instructions du gouvernement voulant que les membres du personnel ne comparaissent pas devant les comités, instructions dont il a été question pendant le débat en Chambre le 25 mars 2021 ».
J’aimerais ajouter que le comité de l’éthique n’a pas accepté que le remplace un témoin pour satisfaire à l’ordre. D’ailleurs, à la réunion du 29 mars, le comité a adopté une motion ainsi libellée: « […] dans le cadre de l’étude des questions de conflits d’intérêts et de lobbying en relation avec les dépenses liées à la pandémie, le Comité invite [le ministre] à comparaître. » Il a été traité comme un témoin séparé, invité indépendamment de l’ordre de la Chambre du 25 mars et sans aucun lien avec cet ordre.
Quand le s’est présenté devant le comité, il a déclaré, à la page 13 des Témoignages:
Selon la directive que j’ai donnée l’autre jour, il était clair pour M. Theis et pour d’autres personnes qu’ils ne se présenteraient pas aux réunions du Comité et qu’ils seraient remplacés par les ministres responsables...
Le ministre a même reconnu, à la page 8 des Témoignages, que cet arrangement n’était pas satisfaisant pour la majorité de la Chambre, lorsqu’il a déclaré:
Je suis conscient que certains membres du Comité auraient préféré entendre M. Rick Theis, un membre du personnel du Cabinet du premier ministre. Cependant, comme je l’ai déclaré à la Chambre des communes la semaine dernière, et je tiens à ce que ce soit bien clair, nous sommes profondément en désaccord avec la décision...
À la page 22, quand on lui demande si M. Theis aurait été renvoyé s’il avait passé outre à la directive du gouvernement et obéi à l’ordre de la Chambre des communes, le a répondu par la négative, mais il a ajouté sur la défensive, « Pourquoi me demandez-vous cela? »
À présent, nous passons aux deux autres témoins: M. Singh et M. Chin.
Dans une lettre adressée au président du comité le 30 mars, la a écrit:
En conséquence, M. Amitpal Singh a reçu l'ordre de ne pas se présenter devant le comité. À sa place, j'assisterai à la réunion au nom du gouvernement le mercredi 31 mars 2021.
Dans une autre lettre adressée au président du comité le 7 avril, la sous-ministre associée a écrit:
[...] M. Ben Chin a reçu l'ordre de ne pas se présenter devant le comité. À sa place, j'assisterai à la réunion au nom du gouvernement le jeudi 8 avril 2021.
La même motion adoptée par le Comité le 3 mai et consignée à l’annexe A du deuxième rapport reconnaît, au paragraphe 6, que le Comité a pris note que la ministre associée des Finances avait également demandé de comparaître le mercredi 31 mars et le jeudi 8 avril 2021 au nom des témoins Amitpal Singh et Ben Chin qui ont suivi les consignes du gouvernement selon lesquelles le personnel ne devait pas comparaître devant les comités, consignes qui ont été exposées lors du débat à la Chambre le jeudi 25 mars 2021.
Plus tôt dans mon intervention, j’ai cité la page 81 de Bosc et Gagnon à propos d’une description du privilège, qui s’applique également à la question de privilège qui nous occupe. Dans la liste, dont j’ai parlé et qui se trouve à la page 82, je renvoie la présidente aux 11e et 13e points: « empêcher ou entraver une personne qui exécute un ordre légal de la Chambre ou d’un comité » et « empêcher ou retenir quelqu’un de témoigner ou de témoigner de façon exhaustive, devant la Chambre ou un comité, ou user d’intimidation en ce sens ».
Manifestement, M. Theis, M. Singh et M. Chin ont été empêchés, et peut-être même entravés dans leur capacité à se soumettre à un ordre légitime de la Chambre des communes, à savoir témoigner devant le comité d’éthique.
Pour sa part, Maingot fait remarquer à la page 277:
Le fait de s’opposer à l’exécution des ordres de la Chambre ou d’un comité, d’y faire obstacle ou de l’empêcher équivaut à aider ou à inciter un individu à commettre une infraction. Toute mesure visant à empêcher l’exécution d’un ordre de la Chambre peut constituer un outrage car elle représente également un affront à l’autorité de la Chambre.
Voici ce qu'on peut lire à la page 774 de la quatrième édition de l’ouvrage de McGee, intitulé Parliamentary Practice in New Zealand:
Toute tentative d’intimider, d’empêcher ou d’entraver un témoin de donner un témoignage complet à la Chambre ou à un comité peut être considéré comme un outrage. L’intimidation ou l’entrave en question peut être manifeste (par exemple empêcher physiquement un témoin de se présenter et de témoigner) ou moins manifeste (par exemple, soudoyer un témoin pour qu’il fasse un faux témoignage, ou intenter une action en justice pour empêcher un témoin de témoigner ou de produire toutes les preuves en sa possession).
À la page 1080, Bosc et Gagnon ajoutent: « Le fait de soudoyer un témoin ou de chercher de quelque manière que ce soit à le décourager de témoigner peut constituer une atteinte au privilège parlementaire ».
Voici ce qu'on peut lire au paragraphe 15.21 de l'ouvrage d'Erskine May: « Toute manœuvre visant à empêcher d'éventuels témoins de comparaître devant la Chambre ou un comité constitue un outrage. » On retrouve le même argument au paragraphe 38.59, et le concept est développé au paragraphe 15.22:
Au début de chaque session, la Chambre des communes avait pour habitude d'adopter une résolution voulant que la subornation de témoins devant comparaître devant une des deux Chambres ou un comité d'une des deux Chambres et toute tentative, directe ou indirecte, d'empêcher toute personne de comparaître ou de présenter un témoignage constitue un outrage. Toutefois, à la suite d'un rapport du Comité de la procédure qui avait conclu que même si elle avait une certaine valeur à titre de déclarations d'intention, l'adoption d'une telle résolution chaque session n'accordait à la Chambre aucun pouvoir supplémentaire pour régler les cas d'outrage ou (dans les cas de subornation de témoins ou de faux témoignages en étant sous serment) de pouvoirs législatifs particuliers, la Chambre a accepté d'abandonner cette pratique en 2004.
Il y a eu de nombreux cas de punitions pour de telles infractions dans le passé. La corruption et l'intimidation, bien qu'elles soient souvent présentes, ne sont pas des ingrédients essentiels de cette infraction. Toute tentative de persuader un témoin de ne pas se présenter, de dissimuler des preuves ou de falsifier son témoignage constitue également un cas d'outrage.
En 1935, un comité des Communes s'est penché sur la question. De l'avis de ce comité, donner des conseils à un témoin sous forme de pression ou d'entrave à sa liberté d'exprimer honnêtement ses propres opinions à la lumière de tous les faits connus de lui constituait un cas d'outrage. La Chambre a accepté le rapport du comité.
Les résolutions annuelles dont il est question dans ce passage remontent aussi loin qu'au 21 février 1700, lorsque la Chambre des communes du Royaume-Uni a adopté une résolution, consignée à la page 350 des Journaux, qui se lit comme suit:
S'il apparaît qu'une personne a soudoyé un témoin en rapport avec le témoignage qu'il devait rendre en cette Chambre ou dans l'un de ses comités, ou qu'elle a directement ou indirectement tenté de dissuader ou d'empêcher une personne de comparaître ou de témoigner, il s'agit d'un délit qualifié de crime grave et de méfait, et cette Chambre sévira avec la plus grande sévérité contre le contrevenant.
Les remontrances que le Président Shaw-Lefevre a servies à un témoin à la barre de la Chambre des communes du Royaume-Uni le 22 mars 1842 — qui sont consignées à la page 143 des Journaux — donnent une idée de la gravité d'un tel geste, même si le contrevenant a exprimé de la contrition. Le Président dit:
John Ashworth, l'interruption des délibérations de la Chambre, ou d'un comité de la Chambre, ne peut être considérée que comme un outrage à l'autorité du Parlement, et votre faute est considérablement aggravée par les circonstances dans lesquelles elle a été commise. En vous ingérant dans le témoignage d'une personne interrogée, vous avez fait tout en votre pouvoir pour empêcher que la vérité soit mise au jour et que justice soit rendue. Une telle inconduite doit nécessairement être dénoncée; mais la Chambre, toujours désireuse de faire preuve de clémence, et prenant en compte la contrition que vous avez exprimée, et estimant que votre faute n'était pas préméditée, m'a enjoint de vous réprimander et de vous mettre en garde pour l'avenir; j'ose espérer que ces réprimandes serviront d'avertissement pour que tous sachent que la Chambre ne sera pas aussi clémente si une autre personne commet une faute de cette nature. Vous êtes dorénavant exclu de toute participation à la Chambre.
Évidemment, dans le cas qui nous intéresse aujourd'hui, il y a eu mépris plutôt que contrition, et planification coordonnée plutôt que gestes non prémédités.
Maingot, à la page 247, traite de la protection accordée aux témoins et à d'autres personnes, mis à part les députés et les officiers de la Chambre, lorsqu'ils participent à des délibérations ou à des comités parlementaires. Il dit:
Il ne semble pas y avoir au Canada de précédents dans ce domaine. Cependant, la Chambre des communes n’est pas limitée par l’absence de précédents et après avoir examiné les faits particuliers à chaque cas, elle peut décider qu'une personne est coupable d'outrage.
Dans la décision très célèbre que le Président Milliken a rendue sur les documents relatifs aux détenus afghans le 27 avril 2010 et dont nous avons entendu parler ces derniers jours, il fait des commentaires moins connus sur des questions relatives aux témoins, notamment à la page 2 041 des Débats, où il déclare que « les ouvrages de procédure mentionnent clairement que l’ingérence exercée auprès des témoins peut constituer un outrage à la Chambre ».
Au-delà de la question des soi-disant « consignes » données par le gouvernement, à la page 13 des Témoignages de la réunion du 29 mars du comité de l’éthique, le leader du gouvernement à la Chambre a affirmé que « sur la base de la responsabilité ministérielle, un ministre peut remplacer l’employé qui, lui, ne relève pas du Parlement, mais du ministre ».
Ce n’est tout simplement pas le cas. En réalité, à mon avis, il s’agit d’une déformation grossière de plusieurs principes constitutionnels. Même si elle était acceptée, la position du leader du gouvernement à la Chambre tombe devant les faits. Deux des témoins sont des employés du et relèvent de lui, tandis que le troisième est un employé de la . Aucun de ces deux ministres n’a proposé de remplacer ses employés. Bien sûr, la Chambre a même envisagé la possibilité que le se présente au nom de ses employés, ce qu’il n’a pas fait, ni conformément à l’ordre de la Chambre ni conformément à la politique énoncée par le leader du gouvernement à la Chambre.
Le personnel ministériel ne jouit d’aucun statut spécial en droit. Aux pages 981 et 982, Bosc et Gagnon disent très clairement que:
Le Règlement ne prévoit pas de limitation explicite à ce pouvoir. En théorie, il peut s’appliquer à tout individu se trouvant au Canada […] Dans la pratique, on reconnaît quelques limitations au pouvoir d’ordonner la comparution d’individus. Puisque ses pouvoirs sont sans effet à l’extérieur du territoire canadien, un comité ne peut sommer à comparaître un individu qui se trouve à l’étranger. La reine, qu’elle soit au Canada ou à l’étranger, le gouverneur général et les lieutenants-gouverneurs des provinces ne peuvent pas non plus être sommés de comparaître.
Il en est de même pour les parlementaires d’autres chambres législatives au Canada puisque chacune de ces chambres, tout comme la Chambre des communes, possède le privilège parlementaire de contrôler la présence de ses membres et de toutes questions les touchant. Cette même logique explique également pourquoi un comité permanent ne peut ordonner la comparution d’un député de la Chambre des communes ou d’un sénateur. Ce qui est en cause dans tous ces exemples est le pouvoir d’ordonner la comparution; rien n’empêche ces individus de comparaître volontairement devant un comité suivant une simple invitation, si ce n’est l’obligation, pour certains d’entre eux, d’obtenir l’autorisation de comparaître de la part des chambres dont ils relèvent […]
Bien qu’ils puissent ordonner la comparution de certaines personnes, les comités permanents ne disposent pas de pouvoirs leur permettant de sanctionner l’irrespect des ordres qu’ils adoptent à cet égard. En effet, seule la Chambre des communes dispose de pouvoirs disciplinaires nécessaires pour punir ce genre d’offense. Le recours que les comités peuvent utiliser lorsqu’un témoin refuse d’obéir ou contrevient à un ordre de comparution est celui d’en faire dûment rapport à la Chambre. Une fois saisie de la question, la Chambre prend les mesures qu’elle juge appropriées.
Le personnel ministériel et, de façon plus générale, le personnel politique ne font pas partie de la liste des personnes exclues. De plus, un ministre ne dispose pas du pouvoir de se présenter à un comité à titre de remplaçant, mais je rappelle que la Chambre, en rédigeant l'ordre du 25 mars, a tenu compte de la responsabilité ministérielle en permettant au de témoigner au nom de ses employés.
Pour faire ressortir l'approche sélective du gouvernement à l'égard de la responsabilité parlementaire de ceux qui travaillent pour lui, examinons le cas de M. Senécal, le fonctionnaire dont j'ai parlé tout à l'heure, qui remonte à 1891. Dans cette affaire, le ministre de M. Senécal a témoigné au comité où ce dernier avait été convoqué. Selon le procès-verbal et les témoignages du comité des comptes publics du 27 août 1891, le ministre n'a pas invoqué un quelconque principe supérieur de responsabilité ministériel pour justifier l'absence du témoin. Le ministre a indiqué ceci:
En rapport avec la lettre du surintendant de l'Imprimerie, qui vient d'être lue, je dois dire que je n'ai eu aucune communication avec M. Sénécal, ni avec sa famille, et que je ne savais même pas que cette lettre serait adressée au président du comité. Cependant, en justice pour un homme qui est absent, et contre lequel, je suppose, il faudrait faire les démarches nécessaires pour le forcer à comparaître ici [...]
Je désire qu'il soit bien compris, comme je l'ai déjà dit, que je ne sais pas où est M. Sénécal. Je ne veux pas le justifier d'avoir écrit cette lettre, ou d'être parti. Je pense seulement que c'est rendre justice à un homme absent, de déclarer ce que je sais être la vérité [...]
En 1994, Diane Davidson, une ancienne avocate générale de la Chambre, a écrit ceci dans un document présenté au Comité mixte permanent d'examen de la réglementation...
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Madame la Présidente, une ancienne avocate générale de la Chambre, Diane Davidson, a écrit, en 1994, dans un document qui a été transmis au Comité mixte permanent d'examen de la réglementation:
Quant au statut des fonctionnaires et des ministres en tant que question de droit stricte, je souscrirais à la conclusion à laquelle est parvenue la Commission de réforme du droit de l'Ontario dans un rapport datant de 1981 et intitulé « Report on Witnesses Before Legislative Committees » [...] selon laquelle ces témoins se trouvent dans la même position que tout autre témoin — c'est-à-dire qu'ils peuvent en théorie être forcés à témoigner lors de toute enquête, à répondre à toute question ou à produire tout document. Ils ne bénéficient d'aucune immunité légale vis-à-vis du vaste pouvoir du Parlement d'exiger la production d'informations et aucun statut légal ne leur est donc conféré.
La Chambre des représentants de la Nouvelle‑Zélande partage ce point de vue, comme le note M. McGee à la page 494:
Le pouvoir de convoquer des témoins et d'ordonner la production de documents n'est pas limité, dans son application, à des fonctionnaires, à des instances gouvernementales ou à d'autres administrations publiques. Il s'étend aux personnes physiques ou morales et aux organismes privés qui peuvent être convoqués devant la Chambre ou un comité pour témoigner [...]
En 2013, le comité mixte sur le privilège parlementaire du Parlement du Royaume‑Uni a examiné un livre vert du gouvernement sur le privilège parlementaire qui, entre autres, demandait s'il fallait mettre fin au pouvoir du Parlement de contraindre des députés, des fonctionnaires et des juges à témoigner. Le comité, au paragraphe 87, s'est prononcé avec force contre l'idée d'exempter les employés du gouvernement de l'obligation de répondre à des convocations:
Limiter le pouvoir des comités de convoquer des fonctionnaires causerait un déséquilibre dans la relation entre le législatif et l'exécutif, qui avantagerait l'exécutif. Les règles d'Osmotherly, qui guident la conduite des fonctionnaires dans leurs interactions avec les comités des deux Chambres, ont été édictées par l'exécutif, et non par le Parlement. En principe, rien ne justifie que les fonctionnaires soient traités différemment du reste de la population.
Le légiste et conseiller parlementaire a soutenu lors de son témoignage devant le comité de l'éthique, le 12 avril, que les membres du personnel des ministres n'ont droit à aucune immunité. Le comité a d'ailleurs considéré qu'il était approprié d'inclure un résumé de ce témoignage à l'annexe A de son deuxième rapport:
Néanmoins, M. Dufresne a précisé que les fonctions du personnel politique et des fonctionnaires ne leur confèrent aucune immunité contre les citations à comparaître devant les comités parlementaires. Les sujets de discussion et les différents rôles joués par les ministres et le personnel politique sont autant de facteurs qui permettent de déterminer quelle personne est la plus apte à témoigner sur un sujet donné.
À ce sujet, les ouvrages de référence parlent d'une certaine déférence à l'endroit des fonctionnaires, parce que, dans un régime de gouvernance responsable, ce sont les ministres qui, avec raison, doivent rendre des comptes au Parlement quant aux décisions politiques et à l'administration du gouvernement en général.
Dans la présente affaire, nous ne cherchons pas à ce que MM. Theis, Singh et Chin expliquent les mérites de l’aide aux jeunes Canadiens pendant une pandémie, et nous ne cherchons pas non plus à discuter du concept de la Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant dans son application la plus générale comme véhicule de cette aide. Ils sont, sans ambages, des témoins de faits qui ont directement participé à un certain nombre de transactions qui ont conduit à la conception, au développement et à l'établissement du partenariat entre l’organisme UNIS et le gouvernement libéral. Ils sont personnellement au courant de diverses transactions et pourraient aider le comité à relier bon nombre des points que les ministres et les hauts fonctionnaires, les preuves et les documents ont exposés.
Revenant à l’annexe A, le comité de l’éthique a également noté:
M. Dufresne a fait valoir que, puisque la Chambre des communes a ordonné aux témoins de comparaître, elle seule a le pouvoir d’absoudre un témoin de cet ordre.
Dans les débats de cette année, le gouvernement a cherché à se comparer à son prédécesseur. Cette question a également été abordée avec le légiste lors de sa comparution devant le comité de l’éthique le 12 avril, dont le résumé figure à l’annexe A:
En réponse aux questions des membres, M. Dufresne a expliqué qu’une situation semblable s’est produite en 2010, lorsqu’un comité parlementaire a ordonné à du personnel politique de comparaître. À l’époque, les ministres ont comparu à la place du personnel politique, sous prétexte que les ministres étaient les témoins appropriés pour répondre au comité selon les principes du gouvernement responsable. Cependant, il a fait remarquer que cette situation reposait sur un ordre du comité et non de la Chambre des communes.
J’irais également plus loin et soulignerais que le comité en question, également le comité de l’éthique, a délibéré sur la possibilité de faire de l’absence de trois témoins du personnel l’objet d’un rapport à la Chambre, mais le 7 octobre 2010, par un vote de cinq contre trois, il a rejeté la motion visant la préparation d’un tel rapport.
Dans ces circonstances, je soutiens que, en 2010, le Comité de l’éthique a accepté, par un vote majoritaire, la substitution des ministres aux témoins internes. En effet, comme l’a fait remarquer le légiste, l’auteur de l’ordre, le comité saisi de cette affaire, a jugé qu’il était respecté et, en votant contre la prise de mesures subséquentes, il a démontré qu’il était satisfait.
En bref, seul l’auteur d’un ordre peut en évaluer la conformité ou y renoncer. Les ministres ou même les premiers ministres n’ont certainement pas le pouvoir de renoncer aux ordres de la Chambre concernant les témoins, comme peut le prétendre le leader parlementaire du gouvernement.
Harry Evans, ancien greffier du Sénat de l’Australie, a écrit ce qui suit dans une note de service datée du 29 janvier 1993 adressée au président du comité spécial du Sénat sur les pouvoirs, les fonctions et le fonctionnement du Conseil australien du prêt, qui constitue l’annexe 5 du rapport provisoire de mars 1993 de ce comité:
Vous avez demandé conseil sur l’hypothèse selon laquelle […] le premier ministre aurait pu exercer une ingérence à l’endroit d’un témoin éventuel devant le comité en ordonnant à cette personne, à savoir le Trésorier, de ne pas aider le comité ou de ne pas comparaître devant lui, ou en l’encourageant à ne pas le faire. Le premier ministre ne jouit d’aucune immunité particulière par rapport à l’ingérence exercée à l’endroit des témoins […] La preuve qu’un ministre souhaitait aider un comité et qu’il en a été dissuadé, par exemple, par des menaces de révocation, pourrait donner lieu à une accusation d’outrage […]
Depuis lors, le Sénat australien a acquis une certaine expérience en ce qui concerne les ordres de comparution du personnel ministériel devant les comités. Aux pages 566 et 567 du récit d’Odgers, on peut lire:
La question s'est parfois posée quant à savoir si les comités du Sénat peuvent sommer le personnel ministériel et les agents de liaison ministériels de comparaître devant eux et de témoigner. Ces personnes n'ont aucune immunité contre la sommation de comparaître et de témoigner, que ce soit en vertu du Règlement du Sénat ou de la loi. Les agents de liaison ministériels n'appartiennent pas à une catégorie différente de celle des autres agents ministériels. On a occasionnellement laissé entendre que le personnel ministériel fait partie d'une catégorie spéciale et ne devait pas témoigner devant les comités parlementaires. Cependant, des membres de ce personnel ont déjà comparu devant des comités sénatoriaux et témoigné, tant volontairement que sur convocation. En février 1995, le ministre des Finances de l'époque, M. Beazley, a refusé d'autoriser le directeur du National Media Liaison Service, ou NMLS, à comparaître devant un comité sénatorial pour témoigner des activités du NMLS sous prétexte qu'il était membre du personnel ministériel. Le Sénat a adopté une résolution ordonnant au directeur de comparaître devant le comité, et le directeur s'est ensuite présenté et a témoigné en conséquence. Le préambule de la résolution du Sénat soulignait que le NMLS était financé par des fonds publics et il a été déclaré lors du débat que la résolution ne créait pas de précédent pour la convocation du personnel ministériel, mais l'adoption de la résolution indique...