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Madame la Présidente, pour bien comprendre là où nous en sommes, il faut voir d'où nous sommes partis.
Le projet de loi est le fruit du travail de la commission Yale, qui a travaillé pendant près d'une année et demie. Cette commission avait été mise en place par mes prédécesseurs. Elle a traversé tout le pays afin de recueillir les avis des experts et des groupes intéressés par ces questions, notamment les groupes artistiques de la musique, des arts visuels, de la télévision et du cinéma.
La commission Yale a reçu près de 2 000 mémoires et son rapport a été présenté au début de 2020. Forts de cet exercice de consultations et de réflexions d'un groupe d'éminents experts canadiens, dont l'ancienne directrice générale du CRTC, Mme Yale, nous avons commencé à travailler sur le projet de loi . Nous y avons travaillé avec assiduité afin de faire ce que la dernière modification de la Loi sur la radiodiffusion, au début des années 1990, avait fait. C'était une loi qui avait été modernisée par le gouvernement conservateur. Cette loi avait été créée pour protéger les artistes, les organisations et les entreprises canadiennes de l'invasion culturelle américaine.
Nous savons toutes et tous que l'invasion culturelle américaine est un rouleau compresseur très puissant, qui fait pression sur l'ensemble des cultures de la planète. J'ai eu des conversations sur ces questions avec des ministres en Europe, en Asie, en Afrique et en Amérique latine. L'enjeu de la souveraineté culturelle est un enjeu auquel un très grand nombre de pays de la planète sont confrontés.
C'est donc dans cet esprit que nous avons déposé le projet de loi . À l'époque, j'étais le premier à dire que ce projet de loi pouvait être perfectible, amélioré et amendé. Je rappelle que, lors de la dernière modification de la Loi sur la radiodiffusion, le gouvernement de l'époque avait oublié une question très importante, soit celle de la propriété des entreprises de radiodiffusion canadiennes. La Loi a été modifiée au début des années 1990 et le gouverneur en conseil est revenu avec un décret en 1997, quelques années plus tard, pour protéger la propriété des entreprises de radiodiffusion canadiennes, parce que cela avait été un oubli.
Tout cela pour dire que lorsque l'on propose un projet de loi, on fait de son mieux pour que le projet de loi représente le meilleur de ce que l'on pense. Je tiens à rappeler à tous les députés de la Chambre que le dépôt du projet de loi a été salué par les organisations culturelles d'un bout à l'autre du pays. Selon plusieurs personnes, l'adoption de ce projet de loi représentait une journée historique.
[Traduction]
Non seulement le dépôt du projet de loi a‑t‑il été salué d’un océan à l’autre, mais l’Assemblée nationale du Québec s’est prononcée à l’unanimité en sa faveur. Elle a dit que nous avions besoin de ce projet de loi et que c’était une bonne mesure législative, notamment parce qu’il favoriserait la langue française et aiderait les producteurs, les artistes et les compositeurs francophones à mieux se distinguer dans leur propre environnement. Un autre avantage du projet de loi C‑10 est le fait qu’il aiderait et soutiendrait davantage les créateurs, les artistes et les producteurs autochtones de diverses manières, contrairement à la version précédente.
Ce projet de loi ne porte pas sur la modération du contenu. Au cours de ses décennies d’existence, le CRTC n’a jamais dit à Shaw, à CBC/Radio-Canada ou à TVA qu’ils pouvaient produire telle émission, mais pas telle autre. Le CRTC n’a jamais eu ce pouvoir.
J’ai entendu un député parler des vastes pouvoirs du CRTC. Le CRTC n’est pas au-dessus des lois. Il doit se conformer à nos lois et à nos règlements. C’est un organisme de réglementation. Nous avons de nombreux organismes de réglementation dans différents secteurs, et le CRTC, de ce point de vue, n’est pas différent des autres. Ce que le projet de loi cherche à faire, c’est de s’assurer que les géants du Web paient leur juste part.
Comme je l’ai dit à maintes reprises à la Chambre ainsi qu’au comité du patrimoine canadien, les fonctionnaires indépendants et professionnels du ministère du Patrimoine canadien prévoient qu’en demandant aux géants du Web de payer leur juste part, nous ajouterions des revenus de plus de 800 millions de dollars par année aux sommes destinées à nos créateurs, nos artistes, nos producteurs indépendants et nos musiciens. Il s’agit d’un chiffre estimatif seulement et non exact, car il faudrait adopter le projet de loi et mettre en œuvre le règlement pour savoir à combien il s’élèverait exactement.
Je tiens à souligner qu’au moment où le comité du patrimoine canadien a entrepris ses travaux sur le projet de loi, les choses se passaient très bien. Le comité a pu examiner une vingtaine d’amendements à chacune de ses réunions. Le gros défi a été de comprendre le Parti conservateur.
En gros, quatre partis à la Chambre reconnaissent la nécessité de moderniser la Loi sur la radiodiffusion et s’entendent sur les objectifs. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais au sein des verts, des néo-démocrates, des bloquistes et des libéraux, je pense qu’il existe un large consensus sur ce qu’il faut faire.
J’essaie honnêtement de comprendre la position du Parti conservateur à ce sujet, parce qu’il n’a cessé de changer d’idée. Au début, les conservateurs ont dit que le projet de loi n’allait pas assez loin parce que nous ne nous en prenions pas à YouTube ou que nous n'intégrions pas ces grosses entreprises dans le projet de loi. Nous l’avons donc modifié. Puis, ils ont encore changé d’idée soudainement. Le projet de loi n’était plus assez bon. Non seulement il n’était pas assez bon, mais les conservateurs ne souscrivaient plus à leur position initiale.
Ensuite, ils ont commencé à lancer l’idée que le projet de loi mènerait à la censure, ce que les fonctionnaires indépendants et professionnels du ministère de la Justice ont nié avec preuves à l’appui. La sous-ministre est venue témoigner au comité du patrimoine à ce sujet et a produit des analyses qui démontraient que le projet de loi ne contrevenait pas à la Charte canadienne des droits et libertés. En fait, certains éléments du projet de loi et des lois du CRTC même stipulent que le CRTC doit respecter la Charte des droits et libertés.
Les conservateurs ont donc alors prétendu qu’il s’agissait d’une atteinte à la neutralité du Net. Nous avons essayé d’expliquer en quoi consiste la neutralité du Net et ce qu’elle n’est pas. Essentiellement, la neutralité du Net concerne les télécommunications. Il s’agit du matériel électronique et de la capacité qu’ont les gens d’accéder aux réseaux. Le projet de loi ne vise pas cela. Il ne porte pas du tout sur les télécommunications.
Je pense que nous devons maintenant faire face au fait qu’à cause du Parti conservateur, nous avons perdu des mois de travail sur le projet de loi . Pour chaque mois qui passe, les artistes, les créateurs, les musiciens et les techniciens du pays perdent environ 70 millions de dollars par mois. Nous devons donc adopter le projet de loi . Des artistes, des musiciens et des organismes de partout au pays nous le demandent.
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Madame la Présidente, je suis vraiment content de prendre la parole aujourd'hui. Tantôt, j'écoutais le ministre du Patrimoine s'exprimer sur le projet de loi , qu'il a déposé, et j'ai failli m'étouffer à plusieurs reprises.
Il a souligné dès le départ qu'il était important de faire l'historique de tout ce qui s'était passé pour bien comprendre où on en est aujourd'hui. Je vais donner une autre version des faits pour toutes les personnes qui nous écoutent, que j'invite tout le monde à valider en consultant les comptes rendus non révisés, les « bleus », des différentes discussions qu'il y a eu au Comité permanent du patrimoine canadien. Les gens pourront voir si mes propos sont justes et éclairés et s'ils reflètent la réalité de ce qu'on a vécu tout au long de cette saga du projet de loi C-10 jusqu'à aujourd'hui.
Le ministre a bien fait de le souligner: cela faisait plus d'un an et demi qu'il avait en mains toutes les ressources nécessaires pour proposer son projet de loi C-10 et faire l'unanimité dès le début. Le ministre fait des amalgames en parlant des géants du Web et en laissant sous-entendre comment il va gérer cela et leur faire payer leur juste part. L'objectif ultime était d'en arriver à une législation qui assure une compétition égale et un fonctionnement équitable entre les radiodiffuseurs numériques comme Disney Plus, Spotify et Netflix et les radiodiffuseurs conventionnels comme TVA, Radio-Canada/CBC, Global ou CTV.
Le ministre a même fait le choix de laisser de côté des éléments importants que tout le monde demandait à voir, dont les droits d'auteur et le mandat de Radio-Canada/CBC, expliquant qu'il avait scindé ses défis en trois parties et qu'il n'en déposait qu'une à la Chambre des communes pour que le Comité permanent du patrimoine canadien puisse y travailler.
Lorsqu'il a déposé le projet de loi, le Comité a travaillé rondement et avec collégialité pour l'améliorer. En effet, ce projet de loi était manifestement imparfait malgré tout le temps que le ministre avait eu pour le préparer avec ses experts. Plus de 120 amendements ont été proposés par tous les partis. À la grande surprise, ces amendements ne provenaient pas que du Parti conservateur, mais aussi du Parti vert — qui avait reçu l'autorisation d'en proposer —, du Bloc québécois, du NPD, des députés libéraux du Comité, et même du gouvernement. En effet, même le gouvernement et le Parti libéral ont présenté près de 30 amendements, sans compter tous les sous-amendements soumis en cours de route, pour tenter de colmater toutes les brèches qu'il y avait dans ce projet de loi.
Comme le ministre l'a souligné, l'étude du projet de loi allait relativement rondement en comité, ce que je confirme avec toute mon énergie et avec honnêteté. Nous avions même travaillé avec le ministre et son personnel, qui disaient à qui voulait entendre que les conservateurs ralentissaient le processus, ce qui était totalement faux. Tous les membres du Comité s'étaient même entendus pour effectuer une étude préliminaire et en utiliser les témoignages lors de l'étude officielle du Comité, afin d'éviter de retarder le travail.
En aucun cas dans le processus législatif le projet de loi n'a-t-il été retardé, malgré ce que le ministre et son personnel politique ont laissé sous-entendre. Je le dis avec toute honnêteté et je mets quiconque au défi de prendre le temps d'aller consulter tous les discours et tout ce qui s'est passé jusqu'à ce fameux vendredi où le ministre, en catimini et sans aucun avertissement, a retiré du projet de loi l'article 4.1 qu'il proposait de rajouter à la Loi sur la radiodiffusion. Ce faisant, il a fait de ce projet de loi un tout autre projet de loi, intégrant les réseaux sociaux qui en étaient absents au départ.
Pourquoi dis-je cela? Je dis cela parce que lorsque nous avons fait notre travail de parlementaires en toute bonne foi, chacun des partis a eu la possibilité de convoquer des témoins pour venir nous parler de divers aspects du projet de loi . Ceci nous a permis d'obtenir le maximum d'information pour faire du mieux que nous pouvions avec nos connaissances respectives et notre personnel, pour nous donner un bon point de vue dans notre étude de ce projet de loi afin de tenter de l'améliorer. C'est notre travail de législateurs et j'en suis extrêmement fier.
Le problème est que le avait exclu les réseaux sociaux de la version initiale du projet de loi C‑10. De plus, contrairement à ce que dit le ministre depuis le début, comme quoi il s'agit supposément d'un projet de loi historique, un seul organisme l'a dit, à ma connaissance. Les autres organismes ont souligné des bons coups du projet de loi et ont dit qu'il était effectivement temps de moderniser la Loi et d'harmoniser le traitement du numérique avec celui des radiodiffuseurs dits conventionnels. Par contre, tout le monde — parce que j'ai rencontré tous les organismes dont le ministre a parlé — nous a fait part de plusieurs éléments du projet de loi C‑10 qui font peur.
Le ministre du Patrimoine canadien a dit que les conservateurs avaient retardé les choses et fait de l'obstruction parlementaire. Je le prie de m'excuser, mais ce ne sont pas les conservateurs qui l'ont fait. Les conservateurs n'ont été que les porte-voix d'un ensemble d'organismes, d'individus et d'experts qui ont mis en évidence des lacunes dans le projet de loi C‑10. Le ministre peut bien faire son partisan à l'approche d'une élection pour essayer de faire peur à tout le monde et en essayant de faire croire que les conservateurs sont contre le milieu culturel. Cependant, c'est du grand n'importe quoi, de la mise en scène, au même niveau que notre , qui est un grand acteur de théâtre.
Le ministre du Patrimoine devrait arrêter de jouer ce petit jeu parce que personne n'est contre la culture. Au contraire, nous sommes contre la censure, contre cette attaque et la brèche que le ministre a ouverte dans la liberté d'expression en retirant un vendredi l'article 4.1 que le projet de loi voulait ajouter à la Loi sur la radiodiffusion.
C'est à ce moment-là qu'a commencé ce qu'on pourrait effectivement qualifier d'obstruction parlementaire ou de ralentissement des travaux du Comité. On parle d'un maximum de trois semaines sur plus de six ans de gouvernement libéral. Ces trois semaines sont supposément une catastrophe, mais les libéraux font de l'obstruction dans plusieurs autres comités au sujet des scandales de corruption qui les ont visés, qu'il s'agisse de l'ancienne ministre de la Justice, de SNC‑Lavalin, de l'organisme UNIS ou du Comité permanent de la santé où nous demandons accès aux rapports d'approvisionnement en vaccins. Nous avons donc eu droit à pas mal d'obstruction de la part des libéraux.
Pourquoi y a-t-il eu de l'obstruction parlementaire pendant environ trois semaines? Le ministre du Patrimoine avait raison: faisons l'historique de tout cela. Il est important de bien comprendre afin que les gens sachent pourquoi nous en sommes là aujourd'hui, bâillonnés par les libéraux avec l'appui du Bloc québécois.
En ayant modifié le projet de loi un vendredi après-midi, le ministre du Patrimoine a déclenché des sonnettes d'alarme un peu partout. Pendant la fin de semaine, des experts en droit et des professeurs d'université ont allumé des signaux d'alarme en disant de faire attention, car on était en train de faire quelque chose qui ouvrait une brèche dans la liberté d'expression.
Qu'ont fait les conservateurs? Nous avons tout simplement demandé à réentendre le ministre du Patrimoine et à obtenir un avis juridique du nous confirmant que les droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés n'avaient pas été brimés par la suppression de l'article 4.1.
En réaction, les libéraux se sont objectés sans arrêt pendant plus de deux semaines, jusqu'à ce que le député de dépose une nouvelle mouture de motion pour demander exactement ce que nous avions proposé, c'est-à-dire que les ministres de la Justice et du Patrimoine viennent nous expliquer la situation et répondre à nos questions, et que nous puissions entendre l'autre côté de la médaille, c'est-à-dire le point de vue des experts qui avaient des inquiétudes en lien avec le projet de loi C‑10.
Ils ont fini par venir. Là, on a pu mettre fin au blocage de trois semaines qui faisait qu'on était dans un cul-de-sac au comité. Voilà la réalité en ce qui concerne le blocage, au sujet duquel le ministre déchire sa chemise sur la place publique.
On se demande vraiment si le veut faire adopter le projet de loi , parce que la réalité, c'est que les travaux de la Chambre se termineront dans à peine 10 jours. Lorsqu'il sera adopté par la Chambre en troisième lecture, le projet de loi va devoir aller au Sénat. Le Sénat devra examiner le projet, dont 40 % des amendements n'auront même pas été discutés au Comité permanent du patrimoine canadien. Je trouve cela assez rocambolesque quand j'entends le ministre nous faire la leçon compte tenu de son comportement.
Tantôt, le ministre a dit qu'une trentaine d'organismes au pays ont souligné l'importance de ce projet de loi pour le milieu culturel. Ils ont raison, c'est un projet qui est important pour le milieu culturel, mais cela ne veut pas dire qu'on n'a pas une obligation de s'assurer de protéger la liberté d'expression. Je vois déjà le ministre me dire que oui, mais que le ministre de la Justice a déposé son rapport avec ses experts. Je suis désolé, mais il a déposé un document explicatif, ce qui n'était pas dans la motion que nous avions présentée à ce moment-là.
Donc, nous n'avons pas eu de réponses à nos questions et les gens ont commencé à s'ouvrir. Le Comité a reçu d'anciens commissaires du CRTC: Timothy Denton, ancien commissaire du CRTC de 2009 à 2013; Konrad von Finckenstein, ancien président du CRTC de 2007 à 2012; Peter Menzies, vice-président des télécommunications du CRTC de 2013 à 2018; Michel Morin, commissaire national du CRTC de 2008 à 2012; Philip Palmer, conseiller juridique au ministère de la Justice et chef du contentieux au ministère des Communications de 1987 à 1994. Le ministre du Patrimoine ne les nomme jamais. Or, tous ces gens ont dit que ce que le ministre faisait n'avait aucun bon sens.
Je vais citer Peter Menzies qui a été aussi loin que de dire qu'il s'agissait d'une attaque à part entière contre la liberté d'expression et les fondements de la démocratie. Selon lui, il est difficile de comprendre le niveau d'orgueil ou d'incompétence, ou les deux, qui peut mener quelqu'un à croire qu'un tel empiètement sur les droits est justifiable.
Quand le ministre attaque les conservateurs, il attaque aussi tous ces individus. Je ne nomme pas les milliers de Canadiens et de Canadiennes qui nous ont fait part de leur soutien pour que nous continuions à questionner le ministre au sujet de son projet de loi et son empiètement sur cette partie-là.
Ce sont des faits, et je ne parle pas de Michael Geist, nommé très souvent professeur émérite en droit à l'Université d'Ottawa. Il est même soutenu par le gouvernement libéral pour ses travaux de recherche dans le domaine, tellement son expertise est recherchée. Il a été l'un des grands porte-parole au pays pour dénoncer l'attitude du gouvernement libéral dans ce projet, et par ricochet celle du Bloc québécois qui a appuyé les libéraux dans leur démarche pour imposer un bâillon. Imaginons: un bâillon, qu'on n'a jamais vu en 20 ans, que jamais le Parti conservateur pendant 10 ans au pouvoir n'a utilisé, un bâillon de la Chambre des communes du gouvernement sur un comité alors que les leaders de la Chambre s'époumonent à dire que les comités sont indépendants chaque fois qu'on les remet en question.
Plus jamais les libéraux ne pourront dire qu'un comité est indépendant avec ce qu'ils viennent de faire au Comité permanent du patrimoine canadien. C'est quelque chose d'unique. Même lorsque des gens ont utilisé cette mesure dans le passé, ils accordaient un minimum de 10 heures pour travailler sur le document; là, nous avons eu droit à cinq heures.
Donc, ce professeur de droit, Michael Geist, n'est pas seul. Il y en a d'autres en provenance d'autres universités. Je n'ai pas les documents avec moi, mais je les ai cités à plusieurs reprises. Les gens peuvent aller vérifier.
Je répète donc que, quand le ministre attaque les conservateurs, il attaque toutes ces personnes qui parlaient via les réseaux sociaux, via des communiqués de presse, via des correspondances écrites, via certains discours, via des entrevues dans les médias et qui disaient que ce que le ministre faisait n'avait pas de bon sens.
Est-ce que cela veut dire que nous sommes contre la culture? Non, absolument pas.
Est-ce que cela veut dire que le ministre a gaffé dans son projet? La réponse est oui.
Si le travail avait été bien fait dès le départ, nous n'en serions pas là aujourd'hui. C'est à cause de tout le retard qu'on se retrouve devant ce gâchis qui fait qu'on n'arrivera sûrement pas à assurer une certaine équité entre les radiodiffuseurs numériques et les radiodiffuseurs conventionnels.
La question posée par mon confrère du NPD au ministre était donc tout à fait justifiée. C'est ce qui s'est produit et c'est la réalité.
Au début du processus entourant l'étude du projet de loi, le gouvernement nous avait offert un grand partenariat. Il est donc drôle que les partis d'opposition n'aient jamais reçu d'appel téléphonique pour les avertir que l'article 4.1 serait retiré du projet de loi, devenant l'élément névralgique qui allait déclencher cette crise.
Toutes les autres discussions visant à travailler en partenariat n'ont jamais soulevé de problème lorsqu'elles étaient dans l'intérêt du gouvernement libéral. Je ne peux pas en parler puisqu'elles se sont déroulées en privé, mais j'y ai effectivement pris part à plusieurs reprises.
Il est malheureux de voir où nous sommes rendus. Il est malheureux que le ministre fasse preuve maintenant de partisanerie dans ce dossier et qu'il lance des attaques aux conservateurs. Je répète que nous ne sommes que les porte-parole de tous ces acteurs du milieu, qui ont voulu travailler à protéger la neutralité du Web, à protéger la liberté d'expression et à éviter ces failles qui vont sûrement finir par être contestées devant les tribunaux.
Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes a maintenant de plus grands pouvoirs et d'anciens commissaires et présidents qui y ont déjà travaillé disent que donner de tels pouvoirs au CRTC n'a pas de bon sens: ce n'est pas des blagues!
Le ministre a parlé en début d'allocution de 70 millions de dollars par mois, un montant approximatif dont les calculs vont se faire plus tard. Or, il faut dire la vérité aux gens. Le CRTC a maintenant neuf mois pour nous dire sur quel pourcentage il va se baser pour faire les calculs, car personne ne le sait. En effet, la seule réponse obtenue du ministre est que, si le CRTC utilise les mêmes calculs que dans le cas des radiodiffuseurs conventionnels, les montants vont se situer entre 800 millions de dollars et 1,1 milliard de dollars, ce qui laisse une marge de 300 millions. Nous n'en savons rien, cependant, et nous ignorons si le CRTC va utiliser les mêmes règles. Une fois le projet de loi adopté, nous n'aurons plus de contrôle là-dessus.
Voilà la réalité actuelle de ce projet de loi. Un bâillon nous a été imposé et, au courant de la dernière semaine, nous avons été obligés de tenir beaucoup de votes sur des amendements, sans que les gens qui nous écoutaient en séance publique aient accès au texte de près de 40 % d'entre eux. Imaginons ce scénario, alors que tout ce que les gens entendaient était le numéro de l'amendement, préfixé par l'abréviation du parti qui le proposait, et suivi de la question demandant si les membres du comité étaient pour ou contre. Quelle transparence! Les libéraux ont répondu que les gens allaient avoir accès au texte à la fin, quand tout serait fini. Or, ce sera trop tard et nous ne pourrons plus avancer.
Quand le ministre dit que nous avons retardé le processus, j'aimerais lui répondre que le comité a accepté de tenir autant de rencontres que le président le souhaitait. Nous avons même tenu des rencontres tous les jours de la semaine de relâche où nous aurions dû travailler dans nos circonscriptions. Certaines rencontres ont été prolongées jusqu'à quatre ou cinq heures, avec à peine une heure de préavis. C'est la réalité, mais le ministre n'en parle jamais lorsqu'il parle de son projet de loi.
Au fond de moi, cela me blesse parce que c'est toute la classe politique qui est entachée par cette façon de faire de la politique. Nous sommes à quelques jours de la fin de la session. Nous savons très bien que les libéraux vont déclencher des élections avant que nous revenions en Chambre. Le seul objectif du ministre est de faire de la politique. Il veut que son projet de loi figure dans sa plateforme électorale parce qu'il sait très bien qu'il ne réussira pas à le mener à terme.
Le Bloc québécois a aidé les libéraux à se sortir un peu du trouble. Je pense qu'on n'a jamais vu un parti d'opposition soutenir le gouvernement dans l'imposition d'un bâillon. Les députés du Bloc en sont fiers et se pètent les bretelles à dire qu'ils ont soutenu un bâillon. C'est fou quand on y pense.
Par moments, je me suis demandé dans quelle histoire nous nous trouvions. Nous étions dans l'histoire que le ministre nous a montée, une histoire qui ne se tient pas et qui a eu l'air d'une histoire d'horreur pendant un bon moment. Nous avons tenté de notre mieux de faire notre travail de législateur. Malheureusement, cela a été extrêmement difficile.
Le ministre, par son travail, s'est attaqué à la neutralité du Web. Il a ouvert une brèche. Ce n'est peut-être pas une grande brèche, mais une brèche a été ouverte. Cela va être contesté, c'est évident. En plus, on vient de donner des pouvoirs accrus au CRTC. Voilà la réalité.
Si les personnes qui m'écoutent pensent que mon histoire n'est pas vraie et que j'ai menti, si elles pensent, comme le l'a sous-entendu à la Chambre, que j'ai induit les gens en erreur, je les invite à aller voir l'historique, puisque tout est écrit.
Les gens savent que les choses se sont passées de cette façon. Ils savent que, au départ, tout le monde était de bonne foi, jusqu'à ce vendredi du retrait de l'article 4.1 par le ministre du Patrimoine canadien sans aucun avertissement. On sait très bien comment les choses se passent quand cela se fait le vendredi: cela signifie que l'on veut que cela passe en douce. Après toute la mise en scène pour essayer de faire croire que nous étions contre le milieu artistique, ce qui est faux, car c'est à la censure que nous nous opposons, voilà ce que le gouvernement libéral a réussi à faire: nous censurer en nous bâillonnant.
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Madame la Présidente, je reviens sur la prémisse de mon discours, la campagne de 2019 au cours de laquelle tous les candidats du Bloc québécois faisaient une promesse très importante aux électeurs, un engagement que nous avons pris solennellement et avec conviction: c'était qu'à tout moment, lorsque nous allions siéger à la Chambre, nous allions prendre des décisions, nous allions prendre des positions, nous allions soutenir des projets de loi et des motions à la condition qu'ils défendent les intérêts et les valeurs des Québécoises et des Québécois.
D'ailleurs, encore aujourd'hui, c'est la première question que nous nous posons au moment de choisir la direction à prendre, que ce soit ici ou en comité. Une motion d'attribution de temps, un bâillon, un gag order, appelons cela comme on le veut, il n'y a pas de bon mot pour cette formule, nous donne tous un peu froid dans le dos, puisque la liberté de parole, le privilège parlementaire, c'est fondamental. C'est une chose que nous respectons absolument et à tout prix, y compris celle de ce matin, qui a passé de façon un peu serrée.
Le Bloc québécois est un parti qui défend ardemment cette idée depuis sa fondation et, demain, cela fera 30 ans que le Bloc québécois existe. Je pense que nous avons appuyé plus souvent une attribution de temps depuis deux semaines que dans les 30 années d'existence de mon parti.
Parfois, des situations nous obligent à faire fi, à se piler un peu sur les orteils, en fonction des valeurs que nous souhaitons défendre, et parfois, c'est justifiable.
Dans le coffre à outils des parlementaires, il y a un autre outil qui est tout aussi discutable, à mon avis, et c'est une opinion qui est probablement partagée par une foule de collègues. Il s'agit de l'obstruction systématique des débats, que ce soit ici, à la Chambre, ou en comité. C'est ce qu'on appelle un filibuster et qui consiste à parler sans cesse, à meubler le temps des débats pour empêcher la tenue d'un vote ou pour empêcher quelque chose qui est contraire a nos convictions d'aboutir. À ce moment-là, l'autre manœuvre qui est tout aussi discutable, celle du bâillon, devient tout aussi justifiée.
Dans les derniers mois, nous avons appuyé des bâillons, effectivement, sur le projet de loi et sur l'aide médicale à mourir, un sujet qui était extrêmement sensible et qui faisait consensus au Québec. Des gens attendaient après cette loi. Ils attendaient après cette décision de la Chambre des communes. Ils éprouvaient des souffrances insupportables en raison desquelles ils voulaient avoir le loisir de choisir à quel moment ils allaient pouvoir y mettre un terme.
À ce moment-là, nous nous sommes posé la même question. Nous nous sommes demandé si nous allions accepter le bâillon, si cela représentait la volonté, les valeurs et les intérêts des Québécoises et des Québécois. La question étant simple, la réponse étant oui, nous considérons avoir le devoir de faire ce qu'il faut pour que ces projets de loi et ces motions soient adoptés.
Le projet de loi est important aussi pour des entreprises, il est important pour la relance, afin de permettre à des entrepreneurs dans nos régions de se remettre sur pied après la pandémie. Évidemment, nous aurions souhaité que le processus démocratique suive son cours normal, mais, quand il est évident qu'on se met à retarder ce processus par tous les moyens possible, pour des motifs souvent purement idéologiques, pour plaire à sa base ou pour collecter des fonds en pinçant les cordes sensibles de certains groupes de Canadiens, nous pensons qu'il est de notre devoir de contrer ces manœuvres par un autre outil parlementaire. Nous pensons qu'à ce moment-là, cela devient raisonnable.
Cela a été le cas avec le projet de loi . Comment en sommes-nous arrivés là? Mon collègue de en a parlé un petit peu plus tôt. C'est vrai que, au début, quand le projet de loi est arrivé, nous trouvions qu'il y avait beaucoup de trous dans ce projet de loi. Ce n'était même pas un gruyère, c'était une peinture à numéro, sans peinture dans la boîte. Il a fallu six ans de préparation pour arriver avec un projet de loi sur lequel il y avait toujours autant de travail à faire.
Je ne veux pas lancer le blâme à l'un ou à l'autre, mais je pense que, à partir du moment où nous avons reçu ce projet de loi, les partis de l'opposition ont été à peu près unanimes pour dire qu'il manquait beaucoup trop d'affaires là-dedans pour être acceptable. Le milieu était content parce que, enfin, un projet de loi était déposé pour revoir la Loi sur la radiodiffusion désuète depuis plusieurs années et qui était en vigueur depuis 1991, à une époque où on enregistrait encore nos chansons sur des cassettes à quatre pistes de la radio.
Comme on était pas mal en retard, c'est normal que l'industrie applaudisse le dépôt d'un projet de loi visant la révision de la Loi sur radiodiffusion. D'ailleurs, une telle révision aurait dû être faite il y a 20 ans et il y a 10 ans; cela devrait être fait beaucoup plus régulièrement.
Nous avons rapidement réalisé à quel point il y avait du travail à faire à cet égard. D'une certaine façon, quand un député de la Chambre décide de voter en faveur du projet de loi, afin que ce dernier soit étudié en comité, il prend un engagement. Il s'engage à dire que certains éléments ne sont pas très bons et qu'il y a du travail à faire. C'est nous qui devons faire ce travail; c'est plate, mais il faut que nous le fassions. Nous devons améliorer le projet de loi C‑10, parce que l'industrie culturelle, nos médias et le monde de la radiodiffusion au Canada ont beaucoup changé. L'industrie de la radiodiffusion d'aujourd'hui n'a rien à voir avec celle de 1991, lors de la dernière mouture de la Loi sur la radiodiffusion. À cette époque, je faisais de la radio. Quand j'entre dans un studio de radio, en 2021, je suis complètement perdu et il faut que l'on me fasse faire le tour du propriétaire, car je n'y comprends rien. Tout est différent aujourd'hui, mis à part le micro, qui n'a à peu près pas changé.
Quand on accepte de travailler sur un projet de loi en comité, on s'engage à améliorer les choses. Évidemment, cela fait que l'on se retrouve avec plus de 100 amendements. Au départ, il y en avait environ 120, proposés par le NPD, le Parti vert, le Parti conservateur, le Parti libéral et le Bloc québécois.
Avant de proposer ces amendements, nous avons consulté des gens. Nous avons entendu les gens qui étaient intéressés à nous faire part de leurs préoccupations. Plusieurs personnes voulaient nous en parler, puisque cela touchait énormément de gens: les radios et télévisions communautaires, les radiodiffuseurs, les câblodistributeurs, les artistes et les entreprises en ligne. Plusieurs personnes voulaient nous faire part de leurs préoccupations et nous dire de ne pas oublier d'inclure certains éléments au projet de loi.
Les diffuseurs indépendants dépendent également de la diffusion de leur contenu par les entreprises en ligne et par les entreprises traditionnelles de radiodiffusion, comme les entreprises de câblodistribution traditionnelles. Bref, nous avons entendu une foule de témoignages. À un certain moment, nous nous sommes rendu compte que la tâche était énorme. S'il y avait 120 amendements, ce n'est pas pour rien. Il y avait du travail à faire, et nous l'avons fait.
J'ai rencontré des gens de l'industrie culturelle. Nous avons échangé de nombreux messages, de nombreux courriels et de nombreux appels, et nous avons tenu plusieurs réunions. Ces gens représentent plus de 200 000 artistes, créateurs, artisans et auteurs ainsi que d'autres gens qui vivent de cette industrie aux retombées importantes. L'industrie culturelle canadienne génère des milliards de dollars en retombées économiques. Ce n'est pas banal; on ne doit pas la laisser tomber. On aime la culture, les arts, nos artistes et notre distinction culturelle, mais on aime aussi l'argent. Il s'agit d'une industrie payante qui ne nous coûte pas une fortune; nous ne la traînons pas comme un boulet, nous en profitons. Elle nous différencie et nous identifie. Il y avait 120 amendements, mais ils n'étaient pas « broche à foin », ils étaient importants. Nous avons travaillé fort; puis est arrivé ce qui est arrivé, à la fin d'avril.
A‑t‑on fait les choses de la manière la plus habile qui soit? Avec le recul, on peut se poser la question. Est‑ce que l'on a bien fait de retirer l'article 4.1? Peut‑être que non. Le résultat est‑il celui que les conservateurs prétendent? La réponse est non.
Dans le projet de loi C‑10, il y a des dispositions qui protègent clairement les utilisateurs des médias sociaux. C'était important de protéger les utilisateurs des médias sociaux, mais c'était tout aussi important d'assujettir les médias sociaux à la réglementation. Les médias sociaux jouent un rôle et ont des activités de radiodiffusion. Ils ont un impact sur le système de radiodiffusion. YouTube est le plus important diffuseur de musique en ligne au Canada.
On ne peut pas dire à Apple Music qu'il sera soumis à la réglementation, mais que YouTube ne le sera pas. Or il s'agit aussi d'un service de média social. C'est un non-sens. Apple Music aurait eu raison de nous lancer des tomates, de nous dire que nous avons vraiment mal fait notre travail et que nous devons retourner à la table à dessin.
Il fallait que nous puissions assujettir les médias sociaux pour leurs activités de radiodiffusion, tout en protégeant les utilisateurs de ces mêmes médias sociaux. C'est ce qui est clairement énoncé dans ce projet de loi et c'est ce qui va ressortir, à terme, de cette loi revisée sur la radiodiffusion.
Il n'a jamais été question de brimer la liberté d'expression des Québécois et des Canadiens. C'est une valeur qui nous est chère, à tout le monde, tous partis confondus. Nous n'irons pas faire le concours d'à qui la liberté d'expression tient le plus à cœur. C'est fondamental pour nous, pour les Québécois et pour les Canadiens. Il n'y a aucun doute là-dessus.
Quel parti à la Chambre aurait voté aveuglément sur un projet de loi qui aurait brimé réellement la liberté d'expression? Cela ne tient pas. Cela devient simplement une question idéologique, une question de souffler sur des braises et des sensibilités. Peut-être est-ce payant. Je ne le sais pas.
En comité, quand ce problème est arrivé et que cette question a été soulevée, les conservateurs ont dit qu'il fallait absolument convoquer le et le . Il fallait que ceux-ci fassent un énoncé de la Charte, qu'ils voient cette affaire. Il fallait avoir une garantie de la part du ministre que le projet de loi était encore conforme à la Charte canadienne des droits et libertés et, tant qu'à faire cela, il fallait recevoir des experts. Ils ont demandé que nous réinvitions des experts.
Nous étions en train de perdre du temps dans un projet de loi pour lequel nous n'en avions déjà pas beaucoup. Nous nous sommes demandé ce qu'il fallait faire avec cela. Réflexion faite, je suis convaincu que ce qui est mis dans le projet de loi protège la liberté d'expression et les utilisateurs des médias sociaux, c'est-à-dire les individus, les personnes. Nous nous sommes dit que, s'il y avait un doute, il fallait aller au fond des choses, et que nous avions le devoir de le faire. Nous étions au début du mois de mai, nous perdions du temps, mais, tant pis, il fallait le faire. Nous l'avons donc fait. Nous avons reçu les experts que les conservateurs voulaient nous faire entendre. Nous avons reçu des professeurs de droit et des gens qui sont d'avis que ce projet de loi va à l'encontre de cette disposition de la Charte des droits et libertés et qui prétendent qu'il y a un risque pour la liberté d'expression. Moi, je veux entendre tout le monde pour me faire une opinion.
Toutefois, nous avons aussi reçu d'éminents spécialistes comme Pierre Trudel, un professeur de droit reconnu partout au pays. Il est une sommité, lui aussi, et il avait une opinion complètement divergente. Nous avons reçu Mme Yale, la présidente de cette grande étude qui a donné naissance au rapport Yale, il y a presque un an et demi. Elle est venue témoigner aussi, nous faire part de son opinion là-dessus. Pour Mme Yale non plus, il n'y avait pas de danger.
C'est correct d'émettre des doutes et de dire que certains experts pensent ainsi, mais, à un moment donné, il faut respecter le processus démocratique. Nous avons écouté tout le monde et avons fait preuve de bonne volonté et de bonne foi. D'autres experts sont venus dire autre chose et le comité, en votant, a décidé que nous allions finalement de l'avant et qu'il n'y avait pas de danger. Le processus démocratique va des deux bords et nous devons le respecter. Or, nos collègues conservateurs ont décidé de continuer à faire de l'obstruction au comité, à faire des discours-fleuve, et nous avons assisté à des débordements.
Je trouve d'ailleurs très malheureux les propos de la députée de , qui, dans le Lethbridge Herald, parlait des artistes québécois comme des artistes nichés qui sont coincés dans les années 1990, qui n'ont pas été capables de s'adapter et qui vivent aux crochets du gouvernement à l'aide des subventions. J'ai passé 30 ans dans les médias, à la radio, à la télé, à côtoyer ces gens, à en faire partie. S'il me restait encore suffisamment de cheveux, je pense qu'ils seraient tous tombés. Cela m'a scié les jambes. Je ne peux pas croire qu'on n'ait pas eu droit à des excuses senties, à la Chambre, de la part du chef de l'opposition officielle ou de la députée elle-même. Pour moi, ces propos-là, qui ont d'ailleurs été dénoncés par les organisations, sont tristes et terriblement malheureux.
Quand nous avons commencé l'étude du projet de loi C‑10, je me suis dit que j'allais faire exactement ce que le Bloc québécois avait promis de faire en 2019 en campagne électorale au Québec. Je vais paraphraser mon collègue de Jonquière, qui m'avait dit un jour que, si je voulais vraiment être proche de mon monde et branché sur ma réalité pour savoir quoi soutenir et appuyer, je devais chausser mes bottes, aller sur le terrain et écouter les gens de ma circonscription me dire ce qu'il faut que je défende. C'est exactement ce que j'ai fait.
Depuis le début, j'ai été en contact avec l'industrie culturelle, surtout du Québec, mais, par débordement, du Canada aussi puisque les associations qui représentent les artistes et l'industrie au Québec représentent aussi l'industrie du Canada.
Nous avons également écouté les communautés francophones hors Québec, qui trouvaient elles aussi qu'elles avaient besoin de protection dans ce projet de loi. Nous les avons écoutées, nous sommes allés de l'avant, et nous avons proposé des amendements pour la protection de la culture francophone et québécoise, dont la plupart ont été acceptés.
Nous avons fait un travail acharné pour améliorer ce projet de loi. Quand nous arrivons au bout de la route, à la fin d'une session parlementaire comme c'est le cas actuellement, et que nous avons obtenu des gains importants pour les milieux culturels, ce n'est certainement pas le moment de baisser les bras et de nous arrêter en chemin sous prétexte que nous n'aurons pas suffisamment de temps.
Cette industrie a souffert pendant la pandémie. Cette industrie attend un projet de loi, une révision de la Loi sur la radiodiffusion, depuis trop longtemps. Rappelez-vous la situation en 1991. L'Internet n'était pas à grande vitesse. Quand nous nous branchions, cela ne fonctionnait pas toujours. Nous entendions un bruit semblable à celui d'un télécopieur pendant à peu près sept minutes. Quand nous parvenions à nous connecter, il n'était pas question de télécharger une photo: il fallait s'y prendre la veille pour l'avoir le lendemain matin. Nous étions donc bien loin de la diffusion de musique en continu, des vidéos à télécharger et des émissions que nous regardons en ligne aujourd'hui. La Loi sur la radiodiffusion était complètement déconnectée de la réalité depuis longtemps.
Comme je le disais, il reste peu de temps pour boucler la boucle sur ce projet de loi d'une telle importance pour l'industrie culturelle, pour le milieu culturel, mais aussi pour les radiodiffuseurs, les diffuseurs indépendants et les créateurs, et pour l'identité propre que nous avons ici avec notre culture. Qu'il s'agisse du Québec ou du Canada anglais, nous ne sommes pas pareils aux États‑Unis et nous avons des différences marquées avec la culture américaine.
Que faire? Allons-nous laisser les géants du Web engranger des milliards, déjà que nous ne leur demandons pas grand-chose? Allons-nous dire que ce n'est pas grave s'ils ne proposent pas nos émissions, que c'est un libre marché, que nous les laisserons s'installer avec leurs milliards et leurs moyens de production et que nous les laisserons faire ce qu'ils veulent? Voyons, cela n'a aucun sens!
Le rapport Yale le mentionnait l'année passée, et c'est tout aussi pertinent maintenant: il y a urgence d'agir. Or, quand il y a urgence d'agir, il faut prendre les moyens pour atteindre des résultats, pour arriver à nos fins.
Le Bloc québécois a pris une décision inhabituelle, mais nécessaire, en appuyant le bâillon pour le projet de loi C‑10 en comité. C'est une mesure rare et j'espère que cela ne se reproduira pas, mais c'était nécessaire. Nous nous sommes engagés à travailler pour le Québec, pour l'industrie culturelle, pour nos médias. Nous nous sommes engagés aussi à ne pas laisser mourir notre culture. Au Québec, nous avons l'habitude depuis un bon bout de temps de nous battre pour notre culture. C'est peut-être la différence: nous nous retroussons les manches depuis plus longtemps. Nous n'allons pas lâcher le combat.
Quoi qu'en pensent nos collègues conservateurs, ce projet de loi est essentiel et il est urgent. Nous le devons à notre industrie culturelle, ainsi qu'à nos médias québécois et canadiens.
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Monsieur le Président, j'ai le plaisir de prendre la parole à la Chambre aujourd'hui au sujet d'un projet de loi qui me tient à cœur. Ce n'est pas tellement le projet de loi en tant que tel, mais ce qu'il implique et le milieu auquel il touche. C'est un projet de loi qui pourrait, pour l'avenir, changer énormément de choses.
Avant de parler des principes et de l'orientation générale du projet de loi , et comme nous discutons officiellement en ce moment d'une super motion pour accélérer les travaux et le cours des choses à la Chambre, j'aimerais revenir sur la question que j'ai posée à mon collègue de Drummond, il y a quelques minutes, à savoir comment nous en sommes arrivés là.
Comment en sommes-nous arrivés à un projet de loi qui touche tout de même à notre souveraineté culturelle, à nos capacités de produire du contenu culturel québécois et canadien, et donc à toute une industrie représentant des milliards de dollars, des milliers d'emplois et de gens touchés dans toutes les régions du Québec et du Canada, une industrie tellement cruciale et importante, sur laquelle nous étions très en retard?
Il faut dire que non seulement le projet de loi est en retard, mais le gouvernement l'est également dans sa gestion des affaires de l'État à la Chambre et en comités parlementaires. Nous en aurons vu de toutes les couleurs avec le projet de loi C‑10. Je fais ce travail depuis quelques années, mais il s'est passé des choses que j'avais rarement vues, y compris des rebondissements, une mauvaise gestion, des problèmes de communication, des pauses, des questions, des avis et beaucoup de témoignages. J'ai parfois vu des choses contradictoires et des processus un peu étranges, notamment cette chose faite par les conservateurs, que j'ai rarement vue se produire: de l'obstruction systématique dans le but de faire perdre du temps au comité, mais également sur des amendements des conservateurs. Quand on dépose un amendement, on veut normalement qu'il soit adopté, car on pense que cela améliorera le projet de loi. Toutefois, les conservateurs ont eu le culot de faire de l'obstruction sur leurs propres amendements. C'est assez particulier.
Nous arrivons à la fin. Personne ne veut que des élections soient déclenchées, mais tout le monde pense que ce sera le cas. Il faut donc se dépêcher et faire vite, parce que nous serons peut-être en campagne électorale en août ou en septembre. Ce sera aux libéraux de le décider.
Nous pourrions revenir et travailler sur le projet de loi. Nous aurions la possibilité de le faire, mais des indices nous montrent que les libéraux veulent se dépêcher. Ils souhaitent maintenant aller tellement vite qu'ils ont imposé le bâillon sur les travaux d'un comité parlementaire. Dans toute l'histoire, en plus de 150 ans, c'est seulement la quatrième fois que cela se produit, et, cette fois, il ne s'agit pas de limiter la durée des débats à dix heures, mais à cinq heures.
Afin d'utiliser ces cinq heures le plus efficacement possible, le NPD et d'autres partis ont accepté d'ajouter des plages horaires pour que le comité puisse se rencontrer plus souvent que ce qui était prévu. Ainsi, la semaine dernière, au lieu de se rencontrer deux fois, le comité s'est rencontré cinq fois, si ma mémoire est bonne. Malgré cela, les libéraux arrivent avec une super motion pour encore une fois accélérer les choses.
La seule conclusion à laquelle j'arrive, c'est que le gouvernement s'est traîné les pieds. Malgré le discours qu'il tenait, selon lequel la culture et le secteur culturel sont vraiment importants, c'était tout croche, le projet de loi était plein de trous, des choses n'étaient pas claires, le n'était lui-même souvent pas clair, et on n'a pas mis assez tôt et assez souvent à l'ordre du jour le projet de loi C‑10 pour lui permettre de cheminer.
On a beau jouer du violon aux artistes et leur dire qu'on les aime, qu'on les soutient, que c'est important et qu'il faut moderniser le projet de loi, on arrive trop tard à la fin avec un paquet d'amendements que nous n'avons même pas eu la possibilité d'étudier alors que certains auraient été pertinents et qu'ils auraient dû être inclus dans le projet de loi C‑10.
C'est la réalité à laquelle nous sommes souvent confrontés en fin de session parlementaire. C'est dommage. Si le gouvernement libéral avait été sérieux sur les questions de culture et de souveraineté culturelle, il aurait fait cela bien avant, et ce n'est pas parce que le rapport Yale a été déposé en 2018. On aurait pu mettre davantage l'accent sur le projet de loi C‑10 pendant les travaux de la Chambre, ce que les libéraux n'ont pas fait.
Pourquoi est-ce nécessaire de s'attaquer à la Loi sur la radiodiffusion? C'est parce qu'elle est devenue, au fil du temps et en raison des changements et des progrès technologiques, complètement caduque et désuète.
À mon avis, c'est important de rappeler que les diffuseurs traditionnels ont l'obligation, par l'entremise du CRTC, de contribuer à la production de contenu culturel, qu'il soit québécois ou canadien, de langue française ou de langue anglaise. Nous reparlerons de l'importance d'avoir des œuvres, des films et des émissions en français. L'écosystème de la diffusion de contenu a beaucoup changé au cours des dernières années.
Le député de a parlé, entre autres, de l'accès à Internet — certaines personnes se rappelleront que c'était beaucoup plus difficile d'y avoir accès il y a 10 ou 15 ans. Aujourd'hui, notre système est complètement asymétrique et inéquitable, ce qui fait que le secteur culturel s'en va vers un mur. Cela met en danger le secteur culturel. Année après année, les câblodistributeurs perdent des abonnés. Pourquoi? C'est parce que la technologie a changé et que les distributeurs traditionnels se font dépasser par les diffuseurs numériques, qui prennent de plus en plus de place. C'était le cas avant la pandémie, mais cette dernière nous a démontré que les Netflix, Disney+ et Crave de ce monde occupent une place prépondérante.
Je vais être clair: tous ces grands diffuseurs numériques, tous les médias sociaux et les géants du Web ne participent pas à l'investissement collectif nécessaire pour créer du contenu culturel canadien ou québécois, de langue française ou de langue anglaise. C'est là où le bât blesse. C'est là où les conservateurs et les libéraux se sont traîné les pieds au cours des dernières années. La loi sur la radiodiffusion aurait dû être modifiée il y a bien longtemps.
Évidemment, les néo-démocrates accueillent favorablement l'idée que les nouveaux joueurs apportent leur contribution. Ils commencent à être moins nouveaux, mais ils prennent une place considérable. Le pot commun dans lequel les diffuseurs traditionnels mettent de l'argent pour créer du contenu culturel québécois ou canadien rapetisse avec le temps. Il faut absolument que ces nouveaux joueurs numériques y participent, pour que l'on puisse avoir plus de moyens pour créer plus d'œuvres qui vont raconter les histoires d'ici et raconter ce qui se passe dans nos communautés, dans nos villes, dans nos régions et dans nos villages.
C'est tellement important aux yeux du NPD que nous avons fait campagne à ce sujet, entre autres. Je me permets de lire un extrait de la plateforme de 2019:
La plupart des Canadiennes et Canadiens s'informent maintenant sur Facebook, et Netflix est devenu le plus grand diffuseur du pays. Or, ces géants du Web ne paient pas d'impôts et ne contribuent pas au financement du contenu canadien de la même façon que les médias traditionnels. Le cinéma, la télévision et les médias canadiens sont confrontés à un raz‑de‑marée de contenu américain généreusement financé, et les libéraux ont refusé de prendre des mesures pour égaliser le terrain de jeu [cette notion est très importante].
C'est pourquoi nous veillerons à ce que Netflix, Facebook, Google et les autres entreprises de médias numériques respectent les mêmes règles que les diffuseurs canadiens. Cela signifie payer des impôts [cela ne figure pas au projet de loi C-10. C'est dans le budget, mais il semble qu'il faut attendre à l'année prochaine], appuyer le contenu canadien dans les deux langues officielles et assumer la responsabilité de ce qui apparaît sur leur plateforme, comme c'est le cas pour les autres médias.
[...] Les néo‑démocrates veilleront à ce que les talents canadiens puissent s'épanouir sur les plateformes numériques et traditionnelles, ici comme ailleurs dans le monde. Nous croyons que les artistes doivent pouvoir vivre décemment de leur art et que le gouvernement a un rôle important à jouer pour s'assurer qu'une diversité de voix puisse raconter notre histoire [et nos histoires].
Comme on peut le voir, nous savions déjà qu'il fallait moderniser la Loi. Trente ans après son adoption, elle est désuète.
C'est vrai qu'il y a un appétit réel et bien fondé de la part du milieu culturel, que ce soit le secteur de la télévision, du cinéma ou de la musique, pour un changement tant attendu. Sur le plan de la musique, YouTube est devenu la plateforme que les gens utilisent le plus. C'est donc vraiment important d'inclure un média social comme YouTube dans le giron de ce qu'il est possible de surveiller et de réguler.
Par contre, il ne faut pas réguler les usagers, ces citoyens et ces citoyennes qui mettent leurs propres vidéos sur cette plateforme. Il faut viser ici l'utilisation professionnelle de cette plateforme à des fins commerciales.
Je reviendrai aux questions qui ont surgi en cours de route dans cette vaste aventure du projet de loi . Pour assurer la pérennité de notre écosystème culturel, nous, au NPD, étions évidemment prêts à travailler de bonne foi, à améliorer le projet de loi et à le bonifier en partant de la prémisse selon laquelle la vielle loi actuelle a fait son temps puisqu'elle met en danger ce secteur, nos capacités et le maintien de certains emplois.
Au NPD, que cherchions-nous, exactement? Nous voulions voir un système de radiodiffusion qui demeure essentiellement canadien, avec des propriétés québécoises et canadiennes. Nous voulions des œuvres québécoises et canadiennes facilement identifiables et accessibles. Nous voulions des émissions et du contenu de chez nous. C'est un aspect que nous avons étudié de très près.
Nous voulions aussi un système de radiodiffusion qui reconnaît clairement l'importance de la langue française dans cet écosystème. Malheureusement, le gouvernement libéral avait connu une expérience difficile en signant un accord avec Netflix il y a quelques années. Nous voulions éviter qu'une telle brèche puisse se représenter parce que nous n'avons jamais eu de garantie réelle du pourcentage de l'entente convenue entre les libéraux et Netflix consacré à la production de contenu en langue française.
Nous voulions aussi un système équitable, mais sans niveler par le bas. Si le Canada demande une certaine participation financière des géants du Web et des diffuseurs numériques, il ne faut pas que cela signifie un passe-droit pour les diffuseurs traditionnels et que, en fin de compte, on se retrouve sans plus de revenus pour nos artistes et la production culturelle.
Nous voulions enfin nous assurer de productions en langues autochtones pour les peuples autochtones et pour les Premières Nations. C'était un élément que nous surveillions et que nous voulions retrouver dans le projet de loi . Voilà donc les principes qui nous ont guidés dans ces travaux.
Nous nous retrouvons à la fin du processus avec un projet de loi fort imparfait, mais qui vise une bonne intention. Cela peut créer tout un dilemme pour les députés et les parlementaires que nous sommes, alors que nous aurions voulu avoir le temps de bien faire tout le travail, de boucher tous les trous et de nous assurer que le projet de loi ne pourra pas être contesté devant les tribunaux.
Le gouvernement doit accepter beaucoup de responsabilité pour les quiproquos, les malentendus et les inquiétudes tout à fait légitimes des gens pour leur liberté d'expression, sujet dont je veux maintenant parler.
Est-ce que la liberté d'expression est menacée? Cela a fait beaucoup jaser, beaucoup de gens ont réagi, beaucoup de gens ont appelé, ont écrit, et il y a évidemment eu des articles et des éditoriaux à ce sujet. Il faut savoir que les experts sont divisés sur cette question, mais que l'un des deux groupes est plus minoritaire que l'autre. Le député de en parlait tantôt. Au Québec, on n'a qu'à penser à Pierre Trudel et à Monique Simard, qui sont des voix fortes et qui ont une opinion très tranchée là-dessus.
Il est également important de savoir qu'il y a déjà des garanties, trois dispositions dans la Loi, les articles 2, 35 et 46, qui protègent la capacité des citoyens et des citoyennes, des simples usagers, de publier et de diffuser du contenu dans les médias sociaux.
Évidemment, la Charte canadienne des droits et libertés existe toujours. À deux reprises, on a demandé des avis de conformité à la Charte canadienne des droits et libertés au ministère de la Justice; une fois avant et une autre fois après le retrait de l'article 4.1. Dans les deux cas, on nous a dit que c'était conforme à la Charte canadienne des droits et libertés.
Pour s'assurer que cette question importante est bien réglée et qu'on a toutes les garanties possibles, le NPD demande aussi au gouvernement un renvoi à la Cour suprême pour s'assurer que les droits des citoyens à la liberté d'expression sont protégés dans le projet de loi.
Il y a les articles du projet de loi, il y a l'avis majoritaire des experts, il y a les deux avis de conformité à la Charte du ministère de la Justice. En plus, nous demandons un renvoi à la Cour suprême pour nous assurer que les utilisateurs et les utilisatrices ne peuvent pas être réglementés par le CRTC. C'est bien important, le CRTC va réglementer les compagnies de diffusion et non pas les individus.
Je crois qu'un député en a fait mention aussi, mais, si j'avais un doute quant à la possibilité que mes enfants ou mes adolescents soient visés par le CRTC ou restreints dans leur liberté d'expression sur les médias sociaux et en ligne, cela m'inquiéterait énormément, et ce n'est pas quelque chose que je laisserais passer.
Pourquoi est-ce si important de s'occuper du secteur culturel, de nos artistes et de nos artisans? On peut vouloir le faire pour des raisons économiques, parce que ce secteur représente des milliers d'emplois et que ce sont des industries qui fonctionnent généralement bien. Cela a été plus difficile dans le contexte de la pandémie et c'est plus difficile pour le secteur culturel de sortir de la crise. De plus, le secteur culturel n'est pas uniforme; certains vont plutôt bien alors que, pour d'autres, c'est un peu plus difficile. Je pense notamment aux festivals, à tous les arts vivants, aux théâtres et aux spectacles de musique. Il faudra un peu plus de temps à ces secteurs pour se remettre sur pied. Pour ce qui est de la télévision et du cinéma, les activités ont toujours continué, mais il faut assurer une pérennité de notre système afin que nous soyons capables de continuer de créer nos émissions de télévision, nos films, de raconter nos histoires et d'embaucher nos créateurs, nos artisans, nos techniciens et nos techniciennes d'ici. Il y a donc l'argument économique, puisque le secteur culturel est un moteur économique important.
Or, le secteur culturel représente plus que cela. C'est aussi quelque chose qui, dans une société, nous rassemble. Cela forge une identité, une vision du monde et cela amène également des éléments de beauté, de tendresse et d'humanité dans nos vies. C'est ce qui fait que le secteur culturel est différent de n'importe quel autre secteur économique. Il change qui nous sommes comme êtres humains, il change la manière dont nous voyons le monde. Les œuvres qui sont produites en disent beaucoup sur une société, que ce soit des œuvres télévisuelles, de la danse, de la peinture, des performances, des livres ou des poèmes. La culture permet de changer le monde.
Je vais lire un court extrait d'un texte de Jacques Prévert.
Le soleil brille pour tout le monde, il ne brille pas dans les prisons, il ne brille pas pour ceux qui travaillent dans la mine,
ceux qui écaillent le poisson
ceux qui mangent de la mauvaise viande
ceux qui fabriquent des épingles à cheveux
ceux qui soufflent vides les bouteilles que d'autres boiront pleines
ceux qui coupent le pain avec leur couteau
ceux qui passent leurs vacances dans les usines
ceux qui ne savent pas ce qu'il faut dire
ceux qui traient les vaches et ne boivent pas le lait
ceux qu'on n'endort pas chez le dentiste
ceux qui crachent leurs poumons dans le métro
ceux qui fabriquent dans les caves les stylos avec lesquels d'autres
écriront en plein air que tout va pour le mieux
ceux qui en ont trop à dire pour pouvoir le dire
ceux qui ont du travail
ceux qui n'en ont pas
ceux qui en cherchent
ceux qui n'en cherchent pas
[...]
ceux qui croupissent
ceux qui voudraient manger pour vivre
ceux qui voyagent sous les roues
ceux qui regardent la Seine couler
ceux qu'on engage, qu'on remercie, qu'on augmente, qu'on diminue, qu'on manipule, qu'on fouille qu'on assomme
ceux dont on prend les empreintes
[...]
ceux qui jettent le sel sur la neige moyennant un salaire absolument dérisoire
ceux qui vieillissent plus vite que les autres
ceux qui ne se sont pas baissés pour ramasser l'épingle
ceux qui crèvent d'ennui le dimanche après-midi parce qu'ils voient venir le lundi
et le mardi, et le mercredi, et le jeudi, et le vendredi
et le samedi
et le dimanche après-midi.
:
Monsieur le Président, je vais partager mon temps de parole avec le député de .
La semaine dernière s’est terminée par un outrage phénoménal à la démocratie, quand les députés ont été forcés de voter sur des amendements qui n’avaient pas été rendus publics et sur des articles du projet de loi sans en avoir débattu auparavant. Il y avait absence totale d'ouverture et de responsabilité, et c’était tout à fait inadmissible.
Comment en sommes-nous arrivés là? Il y a quelques semaines, les libéraux ont proposé un amendement à leur propre projet de loi pour supprimer un article qui protégeait le contenu publié par des particuliers en ligne. La suppression de cet article a provoqué de grands remous au comité, et un long débat s’en est suivi.
Les Canadiens doivent pouvoir être protégés, faire entendre leur voix et faire respecter leurs libertés. Lorsque cet article a été supprimé, les conservateurs, bien entendu, sont montés au créneau. Cela n’a pas vraiment plu aux libéraux, qui ont réagi en présentant une motion d’attribution de temps à la Chambre des communes, ce qui a limité le débat en comité à cinq heures.
Résultat: nous n’avons eu que cinq heures pour examiner des centaines de pages de documents, après quoi les membres du comité ont été forcés de voter sur le projet de loi, y compris ses amendements et ses sous-amendements. Encore une fois, ces amendements n’avaient pas été rendus publics et aucun débat n’avait été autorisé.
Ce n’est pas tout à fait ce qu’on appelle de la démocratie. C’était plutôt une parodie de démocratie, et ce n’est pas de cette façon qu’on adopte de bonnes lois au Canada. Ce n'est pas cela, la démocratie.
La Chambre est maintenant à nouveau saisie du projet de loi. Même s’ils n’ont pas proposé de motion d’attribution de temps, les libéraux ont décidé encore une fois de limiter la durée du débat.
Le projet de loi sera ensuite envoyé au Sénat où il fera l’objet d’un autre débat. J’espère sincèrement que le Sénat aura la possibilité d’examiner ce projet de loi et de convoquer des témoins. J’espère plus particulièrement qu’il convoquera notamment des créateurs de plateformes numériques parce que ces derniers ont été écartés du débat alors que ce sont eux qui sont les plus touchés par le projet de loi.
J'aimerais expliquer ce que ce projet de loi propose de faire. Il a deux objectifs. Le premier, comme le prétend le gouvernement, consiste à uniformiser les règles du jeu pour les géants de la diffusion en continu et les radiodiffuseurs traditionnels. Le deuxième, toutefois, vise à censurer le contenu que nous affichons en ligne.
En ce qui concerne des règles du jeu égales, le ministre prétend que l’objectif est de faire payer les géants du Web, mais si c’est de la TPS dont il parle, la question est déjà réglée puisque l'initiative qui entrera en vigueur en juillet va exiger des entreprises comme Disney+, Netflix, Spotify, Crave, etc., qu’elles paient la TPS, ce qui assurera des règles du jeu égales.
Or, le projet de loi va bien au-delà. Avec l’appui d’un grand nombre de groupes de lobbyistes, il exige que 30 % des revenus de ces entreprises soient consacrés chaque année à des émissions canadiennes. Non seulement cela va faire augmenter les coûts des géants de la diffusion en continu, mais ces augmentations vont être répercutées sur le consommateur. Selon les experts, les coûts pourraient augmenter d’environ 50 %.
Les Canadiens, qui comptent déjà parmi ceux qui paient les tarifs les plus élevés au monde, peuvent s'attendre à payer encore plus cher à cause du projet de loi . Bien entendu, cela ne fera que diminuer encore davantage leur revenu disponible. De plus, le projet de loi aura un impact sur le contenu que les Canadiens pourront poster et consulter, ce qui m’amène à mon deuxième point, qui concerne la censure.
Quand je parle de censure, je parle de l’intervention du gouvernement dans ce qui peut et ne peut pas être posté en ligne. Le gouvernement est en train de mettre en place un tsar de l’Internet.
Peter Menzies, l’ancien président du CRTC, a dit que le projet de loi « non seulement entrave la libre expression, mais constitue une attaque en règle contre les fondements de la démocratie ». Voilà ce qu'il a dit et qui mérite réflexion.
Le projet de loi est une violation directe de l'article 2b) de la Charte, en vertu duquel les Canadiens ont le droit de s’exprimer et de se faire entendre. Et une grande partie de ces échanges ont lieu aujourd’hui dans un nouveau forum public, celui que constitue Internet.
Le projet de loi dont nous sommes saisis entrave la liberté des Canadiens de s’exprimer librement en ligne. De plus, le projet de loi limite les droits de ceux qui veulent consulter des contenus en ligne, ce qui signifie que le droit de s’exprimer et le droit d’être entendu seront mis à mal si le projet de loi est adopté.
S’agissant des internautes, ils consultent Internet pour avoir accès aux contenus qu’ils désirent. Ils vont par exemple sur YouTube pour voir une vidéo sur la façon de réparer une chaîne de bicyclette ou pour lire des documents sur la guerre de 1812. Autrement dit, ils cherchent des contenus qui répondent à leurs besoins.
Or, si le projet de loi est adopté, ils vont se rendre sur YouTube, mais le gouvernement déterminera ce dont ils ont besoin. Il dictera le type de contenus auxquels ils pourront avoir accès, selon que ce contenu est canadien ou pas.
Le gouvernement veut réglementer ce que nous pouvons ou ne pouvons pas voir en déterminant l’ordre dans lequel les contenus vont apparaître dans la liste, ce qui signifie que l’internaute devra parfois aller jusqu’à la page 27 de sa recherche sur YouTube pour trouver le contenu qu’il veut, alors que, selon les algorithmes actuels, ce contenu devrait normalement se trouver en première page. Le gouvernement porte donc atteinte à la liberté de l’internaute d’avoir accès à cette information en faisant figurer cette information à la page 27 plutôt qu’à la page 1, ce qui est un procédé dictatorial et antidémocratique.
Les Canadiens savent ce qu'ils aiment regarder et comment le trouver. Des plateformes comme YouTube sont configurées de façon à amener les gens vers des contenus qui leur plaisent. Lorsqu’un internaute cherche un contenu, YouTube le lui donne et il lui en suggère souvent d’autres similaires. Mais avec ce projet de loi, les choses ne se passeront plus ainsi. Le gouvernement orientera les internautes vers les contenus qu’il veut leur faire voir, par l’entremise de son tsar de l’Internet.
J’aimerais dire quelques mots sur les créateurs. Ils sont extraordinaires. Au Canada, nous avons de petits génies qui sont très forts pour trouver un auditoire avec des plateformes non traditionnelles. Ils font connaître leur talent, leurs compétences et leurs aptitudes au monde entier. Ce sont des internautes de l’étranger qui regardent les contenus canadiens dans une proportion de 90 %. C’est incroyable.
Je pense à Justin Bieber et à la popularité qu’il s’est taillée sur la scène internationale. Il a commencé sur YouTube, une plateforme non traditionnelle. Mais avec le projet de loi , Justin Bieber n’aurait jamais pu se hisser à ces sommets, parce que les algorithmes que le gouvernement veut imposer par l’entremise de son tsar de l’Internet l’auraient relégué aux oubliettes. Pourquoi? Tout simplement parce que son contenu n’aurait pas été assez canadien. Encore une fois, c’est inadmissible.
S’agissant de diversité, le gouvernement se plaît à en faire l’éloge, mais pensons à tous ces créateurs numériques autochtones ou à ceux qui sont membres de groupes minoritaires. Au lieu de pouvoir se faire un nom par eux-mêmes et de suivre les protocoles qui existent déjà, ils seraient assujettis au contrôle du gouvernement car c’est le tsar de l’Internet qui déterminera si oui ou non leur contenu peut être vu.
Certains députés vont peut-être se demander qui est ce tsar de l’Internet. Ce n’est nul autre que le CRTC, qui est l’organisme de réglementation du gouvernement. Qui sont les membres du CRTC? Ce sont six hommes blancs, qui vont déterminer quel type de contenu est canadien et quel type ne l’est pas.
Ce sont eux qui vont déterminer si les contenus de créateurs autochtones peuvent être vus ou non. Ce sont eux qui vont déterminer si les contenus de membres des minorités visibles peuvent être vus ou non. Ce sont ces six hommes blancs qui vont décider si les contenus que ces gens mettent en ligne peuvent être vus par les Canadiens.
Depuis que j’ai été élue pour la première fois en 2015, je n’ai jamais vu un projet de loi aussi dictatorial. C’est un texte à la fois inadmissible et antidémocratique, qui nuit aux intérêts des créateurs, mais aussi des millions d’internautes qui utilisent des platesformes comme YouTube pour avoir accès à de l’information et participer à des forums en ligne.
Le projet de loi est un mauvais projet de loi, et je demande qu’il soit retiré. C’est le moins qu’on puisse faire. Quand ils en seront saisis, j’invite les sénateurs à redoubler de prudence, à l’examiner avec attention et à convoquer des témoins que nous n’avons pas entendus, à savoir les artistes.