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ACVA Rapport du Comité

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Équité dans les services offerts aux vétérans francophones, aux femmes et aux membres de la communauté 2SLGBTQ+

Introduction

Dans un rapport de septembre 2018 intitulé Répondre aux attentes : Décisions opportunes et transparentes pour les vétérans malades ou blessés du Canada, le bureau de l’ombudsman des vétérans avait découvert que les francophones et les femmes « attendent plus longtemps que d’autres et que les différences semblent arbitraires et non fondées sur une différence dans les besoins » (p. 15). Le Comité avait étudié sommairement ces questions dans son rapport sur l’arriéré des demandes de prestations d’invalidité. Il avait repris les constats du bureau de l’ombudsman et les réponses offertes par Anciens Combattants Canada (ACC) et d’autres organisations, et avait recommandé « Qu’Anciens Combattants Canada augmente ses efforts de recrutement d’arbitres bilingues et francophones à travers le Canada, y compris au Québec », et que le ministère « développe un plan permettant de faire face à l’augmentation prévue du nombre de femmes vétéranes dans les années à venir. »

Dans sa réponse déposée en chambre le 25 mars 2021, le ministère s’était engagé à augmenter l’embauche de nouveaux employés francophones, et de créer une unité chargée du traitement des demandes de prestations en français. De plus, un gestionnaire désigné est désormais chargé de surveiller les délais d’exécution quant aux demandes provenant de femmes vétérans et de vétérans francophones. Les membres du Comité ont voulu assurer le suivi de ces questions et les élargir afin d’y inclure les membres de la communauté 2SLGBTQ+.

La première section du présent rapport rappelle les conclusions de l’étude du bureau de l’ombudsman des vétérans et fait le point sur les données disponibles quant à l’état de l’arriéré dans le traitement des demandes de prestations d’invalidité provenant des francophones. La deuxième section aborde les iniquités qui peuvent découler du manque de connaissances quant aux particularités des blessures que subissent les femmes lors de leur service militaire, ainsi que des initiatives prises par ACC afin de reconnaître les conséquences des traumatismes sexuels vécus durant le service. La troisième section traite des barrières que doivent surmonter les vétérans 2SLGBTQ+, ainsi que les efforts nécessaires pour mieux sensibiliser le personnel d’ACC aux conséquences des purges 2SLGBTQ+.

Quatorze témoins ont été entendus dans le cadre des trois réunions consacrées à cette étude. Les membres du Comité les remercient chaleureusement de leur contribution.

État de l’arriéré des demandes soumises en français

Dans son rapport de septembre 2018 intitulé Répondre aux attentes : Décisions opportunes et transparentes pour les vétérans malades ou blessés du Canada, le bureau de l’ombudsman des vétérans avait analysé un échantillon aléatoire de 300 demandes au cours de l’exercice 2016–2017. Les résultats montraient que les demandes soumises en français avaient obtenu une décision après 45 semaines en moyenne, alors que les demandes soumises en anglais avaient obtenu une décision après 24 semaines en moyenne. Lorsque les mêmes dossiers étaient comparés en fonction de la médiane (50 % des dossiers ont un délai supérieur et 50 % des dossiers ont un délai inférieur), le délai augmentait à 52 semaines pour les demandes en français contre 19 semaines pour les demandes en anglais. La majorité des demandes rédigées en français ont pris plus de 48 semaines à traiter contre 20 semaines pour la majorité des demandes rédigées en anglais.

ACC avait répondu à ce constat en affirmant que sa propre analyse de toutes les premières demandes de prestation d’invalidité déposées en 2016–2017 donnait des écarts moins prononcés : 28 semaines en moyenne pour les francophones contre 21 semaines pour les anglophones, et une médiane de 26 semaines pour les francophones contre 18 semaines pour les anglophones[1].

En octobre 2020, Steven Harris, sous-ministre adjoint à la prestation des services d’ACC, avait affirmé que « la parité entre francophones et anglophones devrait être atteinte d’ici la fin de 2021[2] ». Cette amélioration anticipée était due au fait que « près de 28 % de nos employés qui prennent ces décisions ont le français comme langue maternelle ou sont bilingues. Cela inclut ceux que nous avons embauchés récemment, et nous embauchons toujours[3]. »

Dans sa réponse déposée en chambre le 25 mars 2021, le ministère s’était engagé à :

  • a)      garantir que 25 % des nouveaux employés seraient francophones ou bilingues;
  • b)      créer une unité bilingue chargée du traitement des demandes de prestations en français;
  • c)      surveiller plus attentivement les délais d’exécution pour les demandes en français par l’embauche d’un gestionnaire dédié à cette tâche.

Selon un document déposé au Comité par le ministère en février 2022[4] [voir Annexe A, réponse du ministre au Comité de février 2022], la différence entre les délais des demandes soumises en français et celles soumises en anglais se serait presque entièrement résorbée. En effet, selon ce document, du 1er avril au 31 décembre 2021, le délai de traitement moyen pour les anglophones aurait été de 32,2 semaines (21 en 2016–2017), alors qu’il aurait été de 40,5 pour les francophones (28 en 2016–2017). Lors de son témoignage, Mme Meunier, d’ACC, a affirmé « qu’en date de décembre 2021, nous avons réduit […] les délais de traitement moyens des demandes des francophones de 3,2 semaines dans l’ensemble[5]. »

Ironiquement, cette tendance à l’équité aurait été rendue possible grâce à une augmentation du temps d’attente, entre mars 2017 et décembre 2021, d’environ 12 semaines, peu importe que les demandes aient été soumises en français ou en anglais. Autrement dit, la croissance importante de l’arriéré entre 2017 et 2021 aurait atténué les différences entre le temps de traitement des demandes soumises dans l’une ou l’autre langue officielle.

Ces données à première vue encourageantes furent toutefois difficiles à réconcilier avec d’autres données publiées dans le Rapport sommaire sur le traitement des demandes de prestations d’invalidité[6]. Le ministère y indique en effet que pour le trimestre du 1er juillet au 30 septembre 2021, le temps de traitement moyen pour les demandes soumises en anglais était de 42,4 semaines, alors qu’il était de 59,8 semaines pour les demandes soumises en français. Cela signifierait que pour ce seul trimestre, les délais auraient été plus élevés de 31,7 % (+10,2 semaines) chez les anglophones que pour la moyenne des trois premiers trimestres de 2021, et de 47,6 % (+19,3 semaines) chez les francophones pour la même période.

De plus, pour le même trimestre du 1er juillet au 30 septembre 2021, si on mesure l’écart médian, au lieu de l’écart moyen, la différence s’accentue de manière significative. En effet, durant cette période, le délai de traitement médian des demandes soumises en anglais a été de 20,4 semaines, alors qu’il a été de 76 semaines pour les demandes soumises en français, un écart de 55,6 semaines.

Ces données inquiétantes ont fait ressortir la difficulté de suivre l’évolution des tendances puisque les statistiques sont publiées de manière sporadique et portent sur des périodes différentes. C’est pourquoi, le 25 mars 2022, le Comité a fait parvenir une lettre au ministre des Anciens combattants, l’hon. Lawrence MacAulay, demandant que lui soient fournies les données désagrégées par trimestre depuis 2018 concernant le temps de traitement des demandes soumises en français, en anglais, par un vétéran masculin et par un vétéran féminin (voir Annexe B).

Figure 1 – Temps d'attente moyen, décision pour une première demande de prestation d'invalidité

Le graphique 1 compare la norme de service établie par Anciens Combattants Canada pour le temps d’attente concernant une première demande de prestation d’invalidité, et le temps réel d’attente afin d’obtenir une réponse. La norme de service est de 16 semaines pour 80 % des nouvelles demandes. En 2018, le temps d’attente réel variait entre 25 et 30 semaines. Il a augmenté à 44 semaines en 2019. Depuis, le temps d’attente moyen oscille entre 38 et 47 semaines.

Source : Anciens Combattants Canada, données compilées par la Bibliothèque du Parlement.

Dans un premier temps, ces données confirment l’augmentation du temps d’attente moyen depuis 2018 pour toutes les demandes et sa stabilisation depuis le premier trimestre de 2020[7]. Sachant que la norme de service du ministère est de 16 semaines pour 80 % des demandes, le temps d’attente moyen s’est stabilisé à entre 40 et 45 semaines durant les deux années de la pandémie.

Lors de sa comparution, le ministre des anciens combattants, l’hon. Lawrence MacAulay, a affirmé que l’arriéré dans le traitement des demandes était de 11 000, alors qu’il était de 23 000 il y a quelques années[8]. Étant donné que le temps d’attente n’a pas diminué depuis deux ans, on pourrait s’étonner de cette réduction de l’arriéré. Deux facteurs principaux peuvent expliquer cette amélioration malgré ce temps d’attente élevé. D’abord, le nombre de décisions rendues a augmenté de manière significative en 2021. Ensuite, le nombre de demandes reçues a diminué de moitié durant la première année de la pandémie, et est remonté ensuite pour atteindre des sommets à la fin de 2021. Il faudra donc voir si le ministère sera en mesure de traiter efficacement ce nouvel afflux de demandes.

Figure 2 – Nombre de nouvelles demandes de prestations d'invalidité par trimestre

Le nombre de nouvelles demandes de prestations d’invalidité est demeuré stable avant la pandémie. Il a oscillé entre 9 000 et 12 000 nouvelles demandes. À partir de mars 2020, le nombre de nouvelles demandes a chuté pour atteindre 5 687 nouvelles demandes durant le deuxième trimestre de 2020. Le nombre de nouvelles demandes a par la suite crû graduellement pour atteindre la moyenne historique d’environ 10 000 nouvelles demandes par trimestre, et s’est mis à croître pour atteindre près de 15 000 nouvelles demandes à la fin de 2021.

Source : Anciens Combattants Canada, données compilées par la Bibliothèque du Parlement.

Les données fournies par le ministère montrent que le temps d’attente a augmenté tant pour les demandes soumises en français que pour celles soumises en anglais.

Figure 3 – Temps d'attente selon la langue pour les premières demandes de prestations d'invalidité

Le graphique adoucit les fluctuations en prenant pour chaque point la moyenne de deux trimestres. Entre 2018 et le milieu de 2019, le temps d’attente moyen pour les demandes soumises en français est passé d’environ 40 semaines à environ 52 semaines. Il est demeuré stable par la suite. Pour les demandes soumises en anglais, le temps d’attente moyen est passé d’environ 25 semaines en 2018 à 40 semaines à la fin de 2019, et est demeuré stable par la suite.

Source : Anciens Combattants Canada, données compilées par la Bibliothèque du Parlement.

Les demandes soumises en français représentent environ 15 % de toutes les demandes. L’écart entre les deux groupes s’était beaucoup rétréci à la fin de 2020, mais s’est de nouveau élargi à un écart stable selon lequel, depuis la fin de 2019, les demandes soumises en français prennent environ 15 semaines de plus à obtenir une décision.

Debbie Lowther, de VETS Canada, un organisme qui vient en aide aux vétérans sans abri ou à risque, a mentionné que les difficultés pour les francophones à recevoir des services en français étaient particulièrement critiques pour les vétérans francophones qui n’habitent pas au Québec[9]. Cela les oblige, selon elle, à communiquer en anglais avec leurs gestionnaires de cas : « Lorsque les anciens combattants sont dans une situation stressante, le fait de ne pas pouvoir recevoir de soutien dans la langue de leur choix ne fait qu'ajouter au stress[10]. »

Le problème est devenu à ce point sérieux que les vétérans se font parfois recommander de présenter leur demande en anglais afin d’obtenir une réponse plus rapide. Mme Brigitte Laverdure, qui se présente comme paire aidante pour les vétérans et vétéranes des Forces armées canadiennes faisant partie de la communauté 2SLGBTQ+, a affirmé que cette recommandation avait même été formulée par des employés d’ACC[11]. Elle a donc décidé de tester ce qui aurait pu sembler n’être qu’une rumeur :

Le printemps dernier, j'ai aidé un vétéran qui demeurait tout près de la frontière entre l'Outaouais et l'Ontario. Je lui ai demandé s'il voyait une objection à ce que nous fassions sa demande d'indemnité en anglais afin que je teste le système. Il m'a répondu qu'il n'y voyait aucun problème. Il a reçu une réponse positive en moins de sept semaines. On lui a répondu en moins de sept semaines, alors que, de notre côté, nous attendons pendant des années. C'est le cas pour moi, personnellement, et également pour mon conjoint[12].

Mme Laverdure a toutefois fait remarquer que les délais pour les décisions liées à des problèmes de santé mentale avaient raccourci[13].

Il est difficile d’identifier une cause spécifique qui expliquerait ces délais. Selon Mme Meunier, « il y a près de 200 personnes qui occupent un poste pour lequel le bilinguisme ou le français est essentiel. Je ne peux pas vous donner le chiffre exact, mais je dirais qu'il y a environ de 40 à 45 postes pour lesquels le français est essentiel. […] La majorité des postes est au Québec : à Québec et à Saint-Jean, de même qu'à Montréal[14]. » Sur un personnel total d’environ 3 500 équivalents temps plein, cette proportion semble faible, mais on ne sait pas si elle désigne l’ensemble du personnel du ministère, ou seulement le nombre de postes dont les fonctions consistent à étudier les demandes de prestations d’invalidité.

Il faut également que le personnel bilingue soit affecté aux fonctions qui pourront faire une différence sur les délais de traitement. Comme le soulignait Mme Meunier, « Nous ne pouvons pas nous fier seulement à des gens bilingues. Il nous faut des infirmières et d'autres personnes qui rendent les décisions et qui sont tout à fait compétentes en français et très à l'aise avec les termes médicaux[15]. »

Finalement, le ministère doit tenir compte des demandes qui sont déposées en anglais, mais qui, en raison de l’endroit où les demandeurs étaient affectés, peuvent contenir de nombreux documents en français[16].

On peut espérer que les fonds alloués pour maintenir 168 postes temporaires à temps plein durant l’année financière 2022–2023 contribueront à réduire ces délais[17], mais les tendances actuelles des statistiques semblent montrer que malgré les efforts du ministère, la situation ne s’améliore pas. C’est d’ailleurs ce qu’a confirmé l’analyse de la Vérificatrice générale qui arrive à des conclusions similaires à celles qui sont présentés dans le présent rapport. Comme on verra dans la section suivante, le traitement prioritaire des demandes déposées par des femmes a réduit le temps d’attente, si bien que les femmes n’attendent désormais pas plus longtemps que les hommes. Étant donné les interventions énergiques que requièrent les écarts importants dans le temps d’attente pour les demandes déposées en français, le Comité recommande :

Recommandation 1

Qu’Anciens Combattants Canada mette en place un processus de traitement prioritaire des demandes déposées en français, tout comme il l’a fait avec succès pour les demandes déposées par des femmes.

Recommandation 2

Qu’Anciens Combattants Canada compile et rende publiques et accessibles, sous forme de rapports sommaires, des données désagrégées par trimestre concernant le temps de traitement des premières demandes de prestation d’invalidité soumises en français, en anglais, par un vétéran masculin et par un vétéran féminin, ainsi que le nombre de demandes soumises par chaque groupe par trimestre.

Recommandation 3

Qu'Anciens Combattants Canada offre des postes permanents à temps plein, plutôt que des postes temporaires, aux employés chargés de traiter les demandes de prestations d'invalidité.

Recommandation 4

Qu’Anciens Combattants Canada publie le temps d’attente total moyen et médian des premières demandes de prestation d’invalidité à partir de la date où la demande est reçue jusqu’à la date à laquelle, dans le cas d’une décision favorable, le paiement est émis, ou, dans le cas d’une décision défavorable, la date à laquelle la décision est communiquée au vétéran.

Recommandation 5

Qu’Anciens Combattants Canada mette en œuvre l’ensemble des recommandations contenues dans le Rapport 2 — Le traitement des prestations d’invalidité pour les vétérans de 2022 du Bureau de la vérificatrice générale du Canada.

Équité dans les services offerts aux femmes

Dans l’étude de 2018 du bureau de l’ombudsman, les écarts constatés entre le temps de traitement des demandes provenant de femmes et celles provenant d’hommes étaient moins prononcés que les écarts linguistiques, mais étaient tout de même significatifs : « Les femmes faisant partie de notre échantillon ont attendu en moyenne 32 semaines, soit 3,6 semaines de plus que les hommes qui ont attendu 28 semaines en moyenne. Le délai médian pour rendre une décision était de 23 semaines pour les hommes et de 31 semaines pour les femmes, soit une différence de huit semaines. » (p. 19) Malgré la petitesse de l’échantillon, ces écarts ont été confirmés par l’analyse plus exhaustive faite par le ministère en réponse au rapport.

Dans les statistiques du dernier trimestre de 2021, l’écart dans les délais moyens était demeuré similaire, à 2,5 semaines, alors que le temps d’attente moyen passait de 32 semaines en 2017 à 41,3 semaines entre octobre et décembre 2021. Chez les hommes, le temps d’attente moyen, 28 semaines en 2017 selon l’ombudsman, était passé à 43,8 semaines entre octobre et décembre 2021.

Lors de son témoignage, Amy Meunier, d’ACC avait affirmé que, grâce à une équipe qui se consacre exclusivement au traitement des demandes des femmes, « en date de décembre 2021, nous avons réduit les délais de traitement moyens des demandes des femmes de 6,9 semaines dans l’ensemble[18]. »

Les données concernant la médiane du temps d’attente confirment ce retournement. En effet, contrairement aux données touchant les francophones, la médiane révèle que l’écart s’est inversé en faveur des femmes. Selon cette médiane, les hommes vétérans attendent maintenant huit semaines de plus que les femmes vétérans. Entre octobre et décembre 2021, le délai médian pour les hommes a été de 33 semaines, alors qu’il a été de 25,6 semaines chez les femmes.

On ne peut donc plus affirmer, comme le faisait Sayward Montague, de l’Association nationale des retraités fédéraux à partir de données plus anciennes, que « ce sont les femmes francophones qui attendent le plus[19]. »

Figure 4 – Délai moyen d'exécution par sexe pour les premières demandes de prestations d'invalidité

Le graphique montre que le temps d’attente pour les demandes soumises par des femmes était d’environ deux semaines de plus en 2018 que pour les demandes soumises par des hommes, et cet écart a atteint dix semaines en 2020. Depuis, les écarts ont rétréci et se sont complètement résorbés depuis le milieu de l’année 2021.

Source : Anciens Combattants Canada, données compilées par la Bibliothèque du Parlement.

Les demandes soumises par des femmes représentaient environ 15 % des demandes au début de 2018, alors qu’elles représentent maintenant presque 20 % des demandes. Les efforts déployés par le ministère pour traiter ces demandes en priorité semblent donc avoir porté fruit.

Il demeure quand mêmes certaines inquiétudes quant à la méconnaissance de certains problèmes de santé qui semblent affecter davantage les femmes vétérans. Dans son témoignage de février 2020, Michel Doiron, ancien sous-ministre adjoint aux services d’ACC, avait dit :

Les cas [touchant les femmes vétérans] sont donc, souvent, plus complexes. Je ne les aborderai pas tous, mais permettez-moi d’en citer un. La semaine passée, j’ai été surpris, au cours d’une réunion de breffage, d’entendre parler de cas liés aux organes reproducteurs. Les hommes peuvent aussi avoir ce type de problème. Par exemple, dans les cas de syndrome de stress post-traumatique, c’est assez facile de comprendre en quoi cela peut mener à des problèmes d’impuissance. Cependant, chez les femmes, cela se manifeste de différentes façons, qui sont méconnues[20].

Afin de s’assurer que la compréhension des problèmes de santé pouvant affecter les femmes vétérans ne soit pas amoindrie par le fait que seulement 12 % des vétérans soient des femmes, mais qu’elles comptent maintenant pour près de 20 % des nouvelles demandes, le Comité avait recommandé qu’ACC « développe un plan permettant de faire face à l’augmentation prévue du nombre de femmes vétérans dans les années à venir. »

Dans sa réponse, ACC avait affirmé « qu’étant donné que la grande majorité des clients d’Anciens Combattants Canada — environ 88 % — sont des hommes, moins de recherches ont été menées au sujet des répercussions du service militaire sur les femmes. Par conséquent, un effort de recherche résolu est justifié. » Paul Ledwell, sous‑ministre d’ACC, lors de son témoignage, a expliqué que l’un des freins à ce traitement équitable des problèmes de santé des femmes était la Table des invalidités. Celle-ci régit l’interprétation que font les évaluateurs d’ACC du degré d’invalidité qu’entraînent la plupart des blessures et des maladies qui peuvent découler du service militaire. « La table des invalidités est un héritage que nous avons. Elle a en grande partie été établie à l'époque où l'écrasante majorité de ceux qui avaient servi étaient des hommes. Nous modernisons cette table pour nous assurer qu'elle reflète vraiment les besoins de tous les vétérans, et surtout des femmes vétérans[21]. »

Selon Sandra Perron, fondatrice de The Pepper Pod, un centre de retraite pour les femmes vétérans à Chelsea, au Québec, les services offerts par ACC se sont améliorés[22], mais il reste plus difficile pour les femmes de prouver que leurs problèmes de santé sont liés au service militaire :

Cela est dû en partie au fait qu'elles n'ont pas eu d'accident. Je peux vous dire que lorsque vous portez un équipement conçu pour les hommes et dont le poids repose sur les épaules plutôt que sur les hanches, vous vous blesserez au dos à long terme. C'est la même chose pour les bottes qui ne sont pas adaptées et les autres pièces d'équipement, comme les gilets pare-balles qui n'ont pas été conçus pour les poitrines des femmes. Je voudrais vous dire qu'il faut faire mieux pour répondre à ces réclamations[23].

Selon Oliver Thorne, du Réseau de transition pour les vétérans, un organisme qui fournit chaque année du counseling intensif à près de 200 vétérans qui souffrent de problèmes de santé mentale à travers le pays, et dont plus du quart sont des femmes, il faut également beaucoup mieux comprendre comment le contexte militaire affecte la santé mentale des femmes et les vétérans 2SLGBTQ+[24].

C'est différent d'une blessure causée par l'institution. Par exemple, prenons les traumatismes sexuels militaires qui, dans nos programmes pour femmes, sont le principal élément évoqué le plus souvent quand on parle des obstacles à la transition et des blessures traumatiques. Souvent, ces blessures, ces traumatismes ont été causés et perpétrés par des personnes qui font partie de l'organisation et qui occupent un poste haut gradé ou de supervision.
[…]
La blessure qui en résulte peut vraiment briser le sentiment de confiance d'une personne et sa capacité à faire confiance à des institutions comme les forces armées canadiennes et le gouvernement. Cela a pour conséquence directe de teinter la façon dont une blessure traumatique se manifeste, les symptômes qu'elle cause et aussi la façon dont nous pouvons aider la personne à traverser cette épreuve. Par ailleurs, comme je l'ai déjà mentionné, cela influence la façon dont elle ira chercher de l'aide[25].

La question des traumatismes sexuels militaires constitue donc un enjeu clé dans l’évaluation qu’on peut faire du travail d’ACC avec les femmes vétérans. Dans son rapport de juin 2017 sur la santé mentale, le Comité avait abordé rapidement cette question à partir d’un témoignage de Mme Marie-Claude Gagnon, de l’organisation « C’est juste 700 ». Elle s’était réjouie des progrès réalisés par ACC dans son traitement des demandes d’indemnisation liées à des traumatismes sexuels :

Le ministère commence à accepter que le traumatisme sexuel en milieu militaire puisse être un cas valable. Par ailleurs, si l'acte s'est produit, disons, après le travail, mais qu'on a subi des répercussions au travail, preuves à l'appui, alors ces cas pourront également être pris en considération. Avant, si l'acte se produisait, disons, lors d'un dîner régimentaire, alors on n'était pas couvert. Aujourd'hui, le ministère cherche à déterminer s'il faut dédommager les gens qui ont été agressés dans les casernes ou au cours de dîners régimentaires obligatoires tenus le soir. Pour l'instant, ce n'est pas le cas. Ces questions sont en cours d'examen[26].

Le Comité avait alors recommandé qu’Anciens Combattants Canada « procède à une évaluation du protocole de suivi et des services de soutien offerts aux victimes de traumatismes sexuels militaires, et offre la formation nécessaire au sujet des traumatismes sexuels militaires. » Depuis, ACC a choisi de traiter ces dossiers en priorité. Selon Amy Meunier :

Nous avons une unité spécialisée qui a traité en priorité plus de mille de demandes de survivants et de survivantes de traumatismes sexuels militaires. Plus de 105 millions de dollars leur ont été remis à titre d'indemnité pour souffrance et douleur. Nous avons généralement réussi à rendre ces décisions dans un délai de 30 jours[27].

Des témoins, dont Mme Laverdure, ont également signalé cette amélioration[28]. La création du Bureau de la condition féminine et du secrétariat 2SLGBTQ+ a amélioré les communications entre le ministère, les femmes vétérans et les vétérans membres de communauté 2SLGBTQ+. Par exemple, selon Mme Douglas, directrice du Fonds LGBTQ, « l'organisme et le bureau tiennent beaucoup à s'améliorer, et ils font du bon travail. Nous pouvons nous adresser à eux pour des cas précis si nous en avons besoin, et j'en suis bien reconnaissante[29]. »

Recommandation 6

Qu’Anciens Combattants Canada élargisse et améliore le Bureau des femmes vétérans et vétérans 2LGBTQ+ afin de mieux cerner et régler les problèmes systémiques, et qu’il poursuive la tenue de forums annuels sur les femmes vétérans afin de réunir des vétérans, des chercheurs, des experts et des dirigeants d'organismes pour discuter des défis particuliers auxquels font face les femmes et de la façon dont Anciens Combattants Canada peut continuer à améliorer les soutiens et les services offerts.

Purge 2SLGBTQ+

« J’ai tout encaissé. […] Pour me protéger, j'ai dû tout encaisser[30]. […] J'ai passé les 13 dernières années à […] expliquer qui je suis[31]. »

Nina Usherwood, vétérane transgenre avec 42 ans de service militaire

À partir des années 1950, des mesures systématiques et délibérées ont été mises en œuvre au sein du gouvernement du Canada afin d’empêcher les personnes 2SLGBTQ+ de travailler au sein de certains secteurs de l’administration fédérale, en particulier celles qui étaient membres des forces armées canadiennes, mais également d’autres qui étaient membres de la Gendarmerie royale du Canada et de la fonction publique. Des milliers de personnes ont été directement visées par des enquêtes, des transferts, des mesures disciplinaires, de l’intimidation et des congédiements. Malgré la décriminalisation de l’homosexualité en 1969 et l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, dont l’article 15 garantissant le droit à l’égalité, est entré en vigueur en avril 1985, ces mesures se sont poursuivies jusqu’au milieu des années 1990.

L’ordonnance 19–20 des Forces armées canadiennes intitulée Homosexualité — Enquêtes sur la déviation sexuelle, a été abrogée le 27 octobre 1992, en application d’une décision de la Cour fédérale. Dans un mémorandum, le chef d’état-major de la Défense, le général John de Chastelain, écrivait :

La Cour fédérale du Canada — section de première instance a déclaré que les politiques excluant les homosexuels des FC étaient contraires aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés. Par conséquent, l’[Ordonnance administrative des Forces canadiennes] 19–20 et toutes les politiques provisoires s’y rattachant sont abrogées sur-le‑champ.
Je sais que cette décision ne sera pas facile à accepter pour certains membres des FC. Toutefois, j’aimerais que vous compreniez que j’appuie entièrement l’abrogation de la Politique des FC sur l’homosexualité.

Le 13 mars 2017, Todd Edward Ross, Martine Roy et Alida Satalic, trois vétérans, ont déposé un recours collectif « omnibus » qui a fusionné leurs recours séparés déposés en 2016 au nom de toutes les personnes affectées par ces politiques, globalement désignées sous le vocable de « Purge LGBT ». Des excuses officielles ont été présentées par le premier ministre Justin Trudeau le 28 novembre 2017 et une entente de règlement définitive a été approuvée par la Cour fédérale le 22 juin 2018, et assortie d’une enveloppe maximale de 110 millions de dollars en indemnités. Ces dernières prévoient trois niveaux d’indemnisation : 1) 5 000 $ ou 2) 25 000 $ pour des enquêtes ou des sanctions selon leur gravité, et 3) 50 000 $ pour un congédiement ou une libération. 719 demandeurs se sont prévalus de cette entente, dont 629 vétérans, 78 membres de la fonction publique, et 12 membres de la Gendarmerie royale du Canada.

De plus, un fonds de 15 millions de dollars a été prévu pour les activités d’un Groupe spécial pour les mesures de réconciliation et de commémoration, rebaptisé Fonds Purge LGBT. Ce Fonds sera responsable entre autres d’une exposition au Musée canadien des droits de la personne et de la création d’un monument national qui commémorera la discrimination historique envers les Canadiens 2SLGBTQ+.

Michelle Douglas est aujourd’hui la directrice de ce Fonds. Elle est entrée dans les FAC en 1986 et a été libérée en 1989 parce qu’elle ne pouvait pas « être employée avantageusement à cause de son homosexualité » [32]. Mme Douglas est à l’origine des démarches judiciaires qui ont mené à l’abrogation de l’Ordonnance des Forces canadiennes sur l’homosexualité en 1992. Lors de son témoignage, elle a insisté sur l’importance de faire connaître les drames individuels qui ont été vécus :

Nous savons que les purges LGBT ont eu un effet dévastateur sur environ 9 000 Canadiens, des gens qui essayaient de servir leur pays dans les Forces armées canadiennes, la fonction publique et la GRC. Ces gens se sont donnés à fond et, dans certains cas, ils ont sacrifié leur vie pour servir les Canadiens et le Canada et, pourtant, ils ont été traités horriblement par l'État. Je pense que nous faisons tout ce que nous pouvons pour essayer de raconter ces histoires.
[…]
Nous allons raconter cette histoire par l'entremise du monument national et au moyen d'une exposition au Musée canadien des droits de la personne. Nous pourrons ainsi aller au‑delà des apparences et montrer qu'il est faux de croire que tout allait bien. Ce n'était pas le cas, et nous devons raconter ces récits difficiles[33].

Mme Douglas a plaidé pour la nécessité d’une formation systématique de tous les employés d’ACC sur les conséquences de la purge, en particulier pour les gestionnaires de cas qui ont la responsabilité de coordonner les soins pour les vétérans dont les traumatismes sont sévères : « Lorsqu'un gestionnaire de cas a reçu une formation lui permettant de comprendre ce qu'ont été les purges LGBT, ce que ces personnes ont pu vivre, ou d'autres types de discrimination et, franchement, d'oppression qui étaient littéralement inscrits dans les livres du gouvernement canadien, cela l'aide beaucoup à comprendre l'histoire de ce que la personne a vécu[34]. »

Une telle formation contribuerait à limiter certains épisodes malheureux décrits par Mme Douglas : « J'ai entendu parler d'un certain nombre de cas où ce premier appel téléphonique ne s'est pas bien passé. Il y avait du doute, ou même des moqueries à l'occasion. Ces personnes n'ont plus jamais appelé au ministère des Anciens Combattants. Elles se sont senties tellement humiliées et honteuses; c'est comme si elles revivaient leur traumatisme[35]. »

Malgré les difficultés, il faut souligner les efforts déployés par ACC pour adapter ses procédures d’accueil :

Après notre expérience avec le recours collectif concernant la purge, nous avons travaillé en très étroite collaboration avec des survivants de cette purge et en avons ainsi beaucoup appris sur ce que nous pourrions changer pour devenir une organisation beaucoup mieux informée sur les traumatismes. Nous avons déjà mis en place une formation sur les traumatismes pour tous nos décideurs et le personnel de première ligne, et cet effort se poursuivra[36].

Todd Ross est l’un des trois plaignants ayant initié le recours collectif contre la purge 2SLGBTQ+. Il a fondé Vétérans Arc-En-Ciel du Canada pour combler l’absence d’organisme soutenant les vétérans membres de la communauté 2SLGBTQ+. Il a tenu à souligner les progrès faits par le ministère :

Les survivants de la purge sont généralement plus âgés et présentent un taux élevé de problèmes de santé mentale. Après des années d'homophobie et de transphobie dans la société, beaucoup d'entre nous évitaient le ministère des Anciens Combattants, car nous ne pensions pas pouvoir faire confiance à ACC, et nous avions peur de ne pas être en sécurité, mais nous avons constaté un changement radical ces dernières années.
Anciens Combattants a créé un numéro 1‑800 et a affecté du personnel pour les vétérans LGBT à peu près en même temps que les excuses présentées à la Chambre des communes. Nous avons été témoins de l'excellent travail d'ACC depuis les excuses. Nous avons remarqué le leadership du ministre pour travailler avec les anciens combattants 2SLGBTQ+, et nous sommes très reconnaissants du travail de la nouvelle direction des femmes et des vétérans 2SLGBTQ+. Ces efforts permettent d'éliminer bon nombre des obstacles aux services qui existaient auparavant[37].

Tout comme Douglas, M. Ross a insisté sur l’importance d’offrir de la formation pour sensibiliser le personnel d’ACC à la réalité des vétérans de la communauté 2SLGBTQ+. L’organisme qu’il a fondé a d’ailleurs participé à une formation offerte à plusieurs centaines d’employés du ministère[38]. S’appuyant sur ces témoignages, le Comité recommande :

Recommandation 7

Qu’Anciens Combattants Canada offre à tous ses employés une formation sur la purge LGBT, afin de les sensibiliser aux particularités des traumatismes qui en ont découlé pour les vétérans qui ont subi les répercussions de cette discrimination institutionnelle.

Le témoignage de la sergente Nina Charlene Usherwood, une vétérane transgenre qui compte 42 années de service dans les FAC, a mis en évidence les souffrances qui ont découlé des politiques d’exclusion, ainsi que les conséquences durables qu’elles ont eues sur la santé mentale et physique des vétérans qui en ont été les victimes :

Ce n'est pas un événement en particulier, c'est le fait que cela n'arrête jamais. Comme une personne qui est venue témoigner ici me l'a dit, ce sont de petits irritants constants, et cela n'arrête jamais... Ce n'est pas un gros événement. C'est le fait que c'est sans fin, et c'est le traumatisme avec lequel je dois composer à l'heure actuelle[39].

Mme Usherwood sera libérée pour raisons médicales en août prochain. Malgré l’abandon de ces politiques formelles de discrimination, certains irritants bureaucratiques ne facilitent pas la transition harmonieuse des vétérans transgenres :

Lorsque j'ouvre une session dans Mon dossier ACC, le système affiche mon ancien dossier avec mon ancien nom et mon ancien sexe. Mes dossiers médicaux ne contiennent ni ce nom, ni ce sexe. Il a fallu plusieurs appels téléphoniques, des messages sécurisés et deux téléchargements de mes documents juridiques pour que mon nom et mon sexe soient corrigés à ACC et correspondent à mon nom et à mon sexe légaux. Chaque fois, j'ai dû expliquer à une nouvelle personne d'Anciens Combattants Canada pourquoi mon nom et mon sexe étaient incorrects[40].

L’une des raisons invoquées pour expliquer ces difficultés est le formulaire d’autoidentification DND 1209. Ce dernier permet aux militaires en service d’indiquer s’ils sont autochtones, membres d’une minorité visible ou handicapés, mais rien n’y est inscrit qui permettrait aux membres de la communauté 2SLGBTQ+ de s’y faire reconnaître. Selon Mme Usherwood, « l'armée n'a aucune idée du nombre de membres qui font partie de la communauté 2SLGBTQ+. De même, le ministère des Anciens Combattants n'a aucune idée du nombre d'anciens combattants qui font partie de la communauté 2SLGBTQ+[41]. » M. Harris, d’ACC, a confirmé que le ministère ne recueillait pas d’information sur les vétérans de la communauté 2SLGBTQ+, et donc que le Bureau de la condition féminine et des vétérans 2SLGBTQ+ devait se contenter des échos que leur transmettent les groupes d’intervenants[42]. Considérant qu’il est important, tant pour les FAC que pour ACC, d’être informés sur le nombre de militaires et de vétérans membres de la communauté 2SLGBTQ+, le Comité recommande :

Recommandation 8

Que le ministère de la Défense nationale modifie le formulaire d’auto-identification DND 1209 afin d’y inclure une question sur l’appartenance à la communauté 2SLGBTQ+.

Recommandation 9

Qu'Anciens Combattants Canada permette aux vétérans 2SLGBTQ+ de s'auto-identifier dans le cadre de ses enquêtes sur la vie après le service et autres outils de collecte de données.

Un suivi plus personnalisé des demandes

Lors de son témoignage, Mme Laverdure a suggéré qu’ACC crée des postes d’agents de liaison dont la responsabilité principale serait d’assurer le suivi des demandes auprès des vétérans. Cette suggestion a été inspirée des difficultés vécues par les vétérans membres de la communauté 2SLGBTQ+, mais son utilité pourrait s’étendre à l’ensemble des clients du ministère. Selon Mme Laverdure :

Ces agents seraient appelés à communiquer avec le vétéran ou la vétérane afin de l'informer de l'état d'avancement de son dossier. Ce serait le moins que le ministère pourrait faire, et les vétérans se sentiraient moins laissés à eux-mêmes. Les gestionnaires de cas ne peuvent certainement pas tout voir; ils ne prennent pas les décisions relatives aux demandes d'indemnités[43].

La proposition s’appliquerait d’abord aux quelques 15 000 vétérans — sur les 120 000 clients que compte ACC — dont les services sont coordonnés par des gestionnaires de cas, c’est-à-dire les clients dont les besoins sont complexes[44]. Il pourrait y avoir de petites équipes organisées au sein de chaque bureau de district qui seraient chargées d’entretenir les communications avec les vétérans, et même de se déplacer au besoin[45].

M. Harris, sous-ministre adjoint à la prestation des services, s’est montré ouvert à une telle initiative :

Je pense que les agents au service des vétérans jouent déjà un peu ce rôle pour l’instant. Ce n’est peut-être pas aussi clair que le rôle de l'agent de liaison que vous avez décrit, mais je pense qu’il y a déjà au ministère ce genre de rôle dans les différents domaines. C’est vrai qu’on est toujours à l’écoute de meilleures idées. S’il y a une autre façon de fournir les prestations des services, on aimerait la considérer[46].

Comme l’a souligné Mme Lowther :

Les gestionnaires de cas et les agents des services aux vétérans sont souvent d'une grande utilité et parfaitement disposés à fournir de l'information sur les avantages et les services offerts aux anciens combattants. Il arrive néanmoins qu'un ancien combattant qui ne pose pas les bonnes questions ne sache pas à quoi il a droit. Les anciens combattants en crise, qui sont peut-être aux prises avec des problèmes de santé mentale, sur le point de devenir sans abri ou qui le sont peut-être déjà, ne sont pas dans un bon état d'esprit pour s'y retrouver dans le processus de demande de prestations, surtout s'ils ne savent pas en quoi consistent ces prestations[47].

Désirant favoriser toute initiative pouvant améliorer les communications entre les vétérans et ACC, en particulier dans un contexte où les délais d’attente sont longs, le Comité recommande :

Recommandation 10

Qu’Anciens Combattants Canada crée des postes d’agents de liaison dont le rôle serait de fournir un suivi régulier de l’état des demandes de prestations, ainsi que des démarches entreprises par les gestionnaires de cas dans la mise en œuvre du plan de traitement des vétérans dont les besoins sont complexes.

Recommandation 11

Qu’Anciens Combattants Canada (ACC) priorise l’utilisation d’une liste de vérification détaillée — conçue en consultation avec des vétérans — lors de la réception des demandes (comme Le navigateur des avantages d’ACC), et qu’ACC déploie des efforts concertés pour prioriser l’établissement de rapports personnels avec les vétérans, surtout ceux qui n’ont pas gestionnaire de cas et qui téléphonent souvent pour obtenir des services, mais qui ne parlent jamais deux fois à la même personne ou qui sont redirigés vers un site Web.

Conclusion

Les travaux du Bureau de l’ombudsman ont permis de tirer trois leçons importantes : d’abord, les iniquités n’apparaissent que si on cherche à les découvrir; ensuite, on a pu constater, avec la situation des femmes vétérans, que des interventions énergiques peuvent permettre de régler ces iniquités; finalement, par voie de conséquence, il est impossible d’agir de manière cohérente si on ne possède pas l’information qui nous permettrait de le faire, situation qui prévaut dans le cas des vétérans membres de la communauté 2SLGBTQ+. Le temps d’attente pour obtenir une décision concernant une demande de prestation d’invalidité est devenu la première source d’insatisfaction manifestée au Bureau de l’ombudsman des vétérans, et est devenue la priorité numéro d’Anciens Combattants Canada. Le résultat de cette décision peut entraîner des conséquences importantes sur toute la vie future des vétérans qui doivent en moyenne attendre presque un an, alors qu’Anciens Combattants Canada s’était engagé à leur fournir en moins de quatre mois.

L’attente est donc lourde et stressante, en particulier pour les vétérans dont c’est la première demande. Comme l’a souligné l’ombud des vétérans, ce premier contact avec le ministère, s’il est négatif, risque de forger une forte impression chez les vétérans qu’ils sont rejetés par un système supposé les aider. Au cours des dernières années, en plus de ce stress vécu par tous les vétérans qui ont déposé une demande, les francophones et les femmes ont vécu une injustice supplémentaire. Dans le cas des membres de la communauté 2SLGBTQ+, en plus d’une injustice systématique vécue depuis des décennies, la pression de devoir expliquer et réexpliquer toute leur histoire à ACC en a poussé plusieurs à renoncer à toute démarche.

Les questions d’équité apparaissent lorsque toute caractéristique personnelle devient une source d’injustice. Cette injustice peut être volontaire et délibérée, et mérite alors à juste titre d’être qualifiée de discriminatoire et systémique. Elle peut aussi être un effet involontaire de règles ou de processus qui sont mis en place en ne considérant que les caractéristiques les plus communes des personnes auxquelles ils s’appliquent.

La plupart des iniquités ont une origine historique où l’injustice initiale était volontaire et systémique. La prise de conscience de cette injustice, lorsqu’elle finit par faire l’objet d’un consensus social assez large, entraîne la volonté correspondante de la réparer. C’est ce souci de réparation qui motive ensuite la collecte de données fiables qui permettent de savoir si certaines iniquités persistent, malgré une volonté affirmée par les autorités gouvernementales de les voir disparaître. Ces statistiques permettent ainsi de mesurer l’efficacité des actions gouvernementales contre des formes persistantes d’injustice involontaire.

En 2018, année sur laquelle portait l’étude du Bureau de l’ombudsman des vétérans, les vétérans francophones et les femmes vétérans attendaient plus que les anglophones et les hommes vétérans. Cette injustice n’est pas volontaire, mais ses effets n’en sont pas moins réels. On reconnaît aisément que le fait que 85 % des vétérans déposent leur demande en anglais, et que 85 % des vétérans soient des hommes, constitue la cause principale et involontaire de cette iniquité.

Six ans plus tard, les vétérans francophones attendent encore plus longtemps que les vétérans anglophones, mais l’écart entre les femmes et les hommes vétérans s’est complètement résorbé. Cela démontre qu’une action gouvernementale ciblée et systématique peut réussir en quelques années à corriger une iniquité. C’est pourquoi le Comité demande à Anciens Combattants Canada de mettre en œuvre une initiative tout aussi systématique afin de régler les délais supplémentaires que doivent endurer les vétérans francophones.

L’analyse des raisons qui ont fait que les femmes vétérans attendaient plus a également permis de découvrir que la Table des invalidités dont se sert le ministère était inéquitable. Cette table sert à évaluer le degré d’invalidité auquel conduit une blessure ou une maladie liée au service militaire. Les hommes ayant traditionnellement formé la quasi-totalité des effectifs militaires, elle contient très peu d’informations sur les blessures et les maladies auxquelles les femmes vétérans sont exposées, dont les conséquences psychologiques des traumatismes sexuels, ce qui a pu contribuer aux délais supplémentaires. Le Comité se réjouit de la décision du ministère de procéder à la révision de ce document.

Les membres de la communauté 2SLGBTQ+ ont dû faire face à une injustice volontaire, discriminatoire et systémique de la part des Forces armées canadiennes. Dans leur cas, les contraintes réglementaires n’ont été levées qu’en 1992, et bien des aspects institutionnels discrets de cette discrimination ont continué de prévaloir par la suite. Il semble difficile d’affirmer que la prise de conscience de cette injustice ait atteint un large consensus social. Le processus de réparation est en route, mais est encore loin d’être achevé. Les Forces armées canadiennes ne colligent aucune information sur les membres de la communauté 2SLGBTQ+ dans leurs rangs. On voit donc difficilement comment une action systématique de réparation pourrait être mise en œuvre lorsque l’information minimale est manquante. C’est pourquoi le Comité recommande que cette information soit recueillie dans le formulaire d’autoidentification que les militaires doivent remplir.

Cette absence d’information a des répercussions sur la capacité d’Anciens Combattants Canada de traiter avec équité et efficacité les dossiers des vétérans membres de la communauté 2SLGBTQ+. Leur dossier médical militaire ne contenant aucune référence à cette identité, les vétérans doivent répéter leur histoire à chaque nouvelle personne qui doit se pencher sur leur cas, et surmonter du même coup des préjugés encore persistants, même s’ils n’ont plus la vigueur délibérée d’avant. C’est pourquoi le Comité recommande une formation plus systématique sur les injustices subies par les membres de la communauté 2SLGBTQ+.

Le processus de réparation des injustices est un processus permanent, toujours inachevé. Dans quelques années, nous en découvrirons d’autres, certaines volontaires, certaines fortuites, auxquelles nous contribuons peut-être aujourd’hui sans même nous en apercevoir. Nous devons agir de manière à anticiper les effets possiblement injustes des décisions qui sont prises chaque jour, nous devons agir d’une manière qui contribuera à la réparation des injustices que nous n’avons pas pu anticiper, et nous devons nous assurer que les gouvernements en feront autant.

Les membres du Comité tiennent à souligner les efforts énergiques et sincères déployés par Anciens Combattants Canada afin de lutter contre les injustices qui ont été portées à son attention. Il reste encore des lacunes à combler et nous sommes confiants que le gouvernement posera les actions appropriées pour les combler.


[1]              Ombudsman des vétérans, Répondre aux attentes : Décisions opportunes et transparentes pour les vétérans malades ou blessés du Canada, septembre 2018, p. 17, note 12.

[2]              Chambre des communes, Comité permanent sur les affaires des vétérans (ACVA), Témoignages, 27 octobre 2020, 1620, M. Steven Harris (sous-ministre adjoint, Secteur de la prestation des services, ministère des Anciens Combattants).

[3]              Ibid.

[4]              « Réponse à une question posée par M. Désilets lors de la réunion du 1er février 2022 », document déposé à ACVA.

[5]              ACVA, Témoignages, 4 mars 2022, 1305 (Mme Amy Meunier, directrice générale, Direction des opérations centralisées, ministère des Anciens Combattants).

[6]              Ce rapport est publié après chaque trimestre et présente des statistiques sur le traitement des demandes de prestations d’invalidité. Cela permet de suivre avec précision la progression du nombre de demandes reçues, du temps d’attente moyen et du nombre de décisions rendues. Cette information est très utile quand on veut aborder l’enjeu des arriérés de manière globale. En ce qui concerne plus particulièrement le traitement des dossiers par langue, par genre ou par nature du service, l’information est présentée différemment d’un trimestre à l’autre, ce qui rend tout suivi impossible. Par exemple, les données publiées tout récemment pour le trimestre se terminant le 31 mars 2022 ne présentent les données par langue et par genre que pour ce dernier trimestre. Les rapports précédents ne figurent plus sur le site dès qu’un nouveau a été publié, qui empêche de faire le suivi.

[7]              En l’absence de données brutes, le graphique présente, pour toutes les premières demandes pour lesquelles une décision a été rendue depuis 2018, le temps d’attente moyen tel que pondéré en fonction du poids relatif de chaque catégorie présentée dans les tableaux du ministère.

[8]              ACVA, Témoignages, 6 mai 2022, 1300 (l’hon. Lawrence MacAulay, ministre des anciens combattants).

[9]              ACVA, Témoignages, 29 mars 2022, 1850 (Mme Debbie Lowther, présidente-directrice générale et cofondatrice, VETS Canada).

[10]            Ibid., 1940.

[11]            ACVA, Témoignages, 22 mars 2022, 1925 (Mme Brigitte Laverdure, à titre personnel).

[12]            Ibid., 1905.

[13]            Ibid., 2000.

[14]            ACVA, Témoignages, 4 mars 2022, 1310 (Meunier).

[15]            Ibid., 1320 (Harris).

[16]            Ibid., 1325 (Meunier).

[17]            Ibid., 1310.

[18]            Ibid., 1305.

[19]            ACVA, Témoignages, 29 mars 2022, 1855 (Mme Sayward Montague, directrice, Défense des intérêts, Association nationale des retraités fédéraux).

[20]            ACVA, Témoignages, 27 février 2020, 1020 (M. Michel Doiron).

[21]            ACVA, Témoignages, 6 mai 2022, 1345 (M. Paul Ledwell, sous-ministre, Anciens Combattants Canada).

[22]            ACVA, Témoignages, 22 mars 2022, 1915 (Mme Sandra Perron, fondatrice et présidente-directrice générale, Le Pepper Pod).

[23]            Ibid., 1845.

[24]            ACVA, Témoignages, 4 mars 2022, 1415 (M. Oliver Thorne, directeur général, Réseau de transition des vétérans).

[25]            Ibid., 1430.

[26]            ACVA, Témoignages, 6 février 2017, 1605 (Mme Marie-Claude Gagnon, fondatrice, C’est Juste 700).

[27]            ACVA, Témoignages, 4 mars 2022, 1305 (Meunier).

[28]            ACVA, Témoignages, 22 mars 2022, 2000 (Laverdure).

[29]            ACVA, Témoignages, 22 mars 2022, 2010 (Mme Michelle Douglas, directrice exécutive, Fonds Purge LGBT).

[30]            ACVA, Témoignages, 22 mars 2022, 1850 (Sergente Nina Charlene Usherwood, à titre personnel).

[31]            Ibid., 1900.

[32]            Ibid., 1840 (Douglas).

[33]            Ibid., 2005.

[34]            Ibid., 1850.

[35]            Ibid., 1930.

[36]            ACVA, Témoignages, 4 mars 2022, 1330 (Meunier).

[37]            ACVA, Témoignages, 4 mars 2022, 1410 (M. Todd Ross, co-président, Vétérans Arc-En-Ciel du Canada).

[38]            Ibid., 1440.

[39]            ACVA, Témoignages, 22 mars 2022, 1910 (Usherwood).

[40]            Ibid., 1835.

[41]            Ibid.

[42]            ACVA, Témoignages, 4 mars 2022, 1355 (Harris).

[43]            ACVA, Témoignages, 22 mars 2022, 1945 (Laverdure).

[44]            Ibid., 2015.

[45]            Ibid., 2025.

[46]            ACVA, Témoignages, 13 mai 2022, 1525 (Harris).

[47]            ACVA, Témoignages, 29 mars 2022, 1850 (Lowther).