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AGRI Rapport du Comité

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Trouver l’équilibre : exigences concernant les dispositifs de consignation électronique ayant une incidence sur le transport des animaux

Introduction

Le 12 juin 2021, les modifications apportées au Règlement sur les heures de service des conducteurs de véhicule utilitaire (règlement sur les heures de service), qui exigent que les conducteurs d’autocars et de camions utilitaires sur long parcours soumis à la réglementation fédérale installent et utilisent des dispositifs de consignation électronique (DCE) dans leurs véhicules, sont entrées en vigueur[1]. Les DCE sont des appareils connectés au moteur du véhicule qui enregistrent automatiquement les heures de conduite afin, notamment, de surveiller que les conducteurs commerciaux respectent le nombre maximal d’heures de conduite autorisé. Les autorités appliquent ces limites dans le but de réduire le risque de fatigue du conducteur et d’améliorer la sécurité routière. Auparavant, les conducteurs de véhicule enregistraient manuellement leurs heures de travail quotidiennes dans des carnets de bord en papier, qui pouvaient être facilement falsifiés ou rendus incomplets, ou utilisaient des dispositifs d’enregistrement électronique de première génération, dont les spécifications techniques variaient.

Certains conducteurs de véhicules utilitaires spécialisés dans le transport de bétail ont souligné que, bien que le règlement sur les heures de service autorise les conducteurs qui doivent faire face à une « situation d’urgence » ou à de « mauvaises conditions de circulation » à prolonger les heures de conduite permises, il ne prévoit aucune disposition précise visant les conducteurs de bétail qui sont confrontés à une situation d’urgence liée à la santé ou au bien‑être d’un animal dont ils ont la charge pendant leur transport.

En plus du règlement sur les heures de service, les conducteurs qui transportent du bétail sont également soumis à la Loi sur la santé des animaux et à son règlement d’application, aux termes desquels ils sont responsables de la santé et de la sécurité des animaux qu’ils transportent, ce qui les oblige à leur fournir des aliments, du repos et de l’eau à des intervalles réguliers. Ces conducteurs expliquent que cette obligation leur impose parfois de prolonger leurs heures de conduite au-delà des heures autorisées.

Bien que les DCE permettent aux conducteurs de consigner le motif du dépassement des heures autorisées dans le carnet de bord numérique, ceux-ci s’inquiètent que la décision d’établir si le fait d’assurer le bien-être d’un animal constitue ou non une situation d’urgence aux termes du règlement sur les heures de service est à la seule discrétion des agents d’application de la loi, sachant que ces agents ne connaissent peut-être pas toujours les exigences spécifiques au transport des animaux. Si un agent décide que de telles actions ne constituent pas une situation d’urgence, le conducteur fautif et son employeur pourraient être passibles d’une lourde amende et d’autres pénalités.

Afin de mieux comprendre ce problème, le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes (le Comité) a adopté la motion suivante le 19 octobre 2023 :

Que, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, le Comité entreprenne une étude sur la réglementation du transport des animaux et ses incompatibilités avec la nouvelle réglementation sur les dispositifs de consignation électronique (DCE); que le Comité tienne au minimum deux réunions pour entendre le ministre des Transports et des témoins; et que le Comité fasse rapport de ses conclusions à la Chambre.

Le Comité a tenu trois réunions sur le sujet entre le 26 octobre et le 9 novembre 2023. Lors de ces réunions, il a entendu 18 témoins, dont des représentants du gouvernement fédéral, des représentants des secteurs du bétail et du transport ainsi que des défenseurs du bien-être des animaux.

Contexte

Cadre réglementaire

La sécurité routière est une responsabilité que se partagent le gouvernement fédéral ainsi que les gouvernements provinciaux et territoriaux. Bien que le paragraphe 92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 accorde au Parlement le pouvoir exclusif de légiférer sur des questions relatives au transport interprovincial et international, le gouvernement fédéral délègue aux provinces et aux territoires le pouvoir de faire respecter les lois dans ce domaine, en particulier la Loi sur les transports routiers et son règlement d’application.

Pour que soient appliquées uniformément les normes de sécurité des véhicules partout au Canada, les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux des Transports ont établi le Code canadien de sécurité pour les transporteurs routiers (CCSTR) en 1988. Ce code est tenu à jour par le Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé (CCATM), qui est un regroupement des autorités responsables de la surveillance du transport dans leur territoire respectif. La norme 9 du CCSTR énonce les exigences relatives aux heures de service des conducteurs de véhicule utilitaire et à l’utilisation des DCE, qui sont fondées sur les articles pertinents du règlement sur les heures de service. Le CCATM publie également des consignes destinées aux agents provinciaux et territoriaux qui appliquent la réglementation sur les véhicules motorisés afin qu’ils interprètent et appliquent les lois de la même manière.

Le Règlement sur les heures de service des conducteurs de véhicule utilitaire

Le règlement sur les heures de service impose aux conducteurs d’autocar et de véhicule utilitaire se déplaçant à plus de 160 kilomètres de leur gare d’attache de ne pas conduire plus de 13 heures par jour et de limiter leurs heures de service totales (ce qui comprend le chargement et le déchargement des véhicules) à 14 heures par jour. Les conducteurs peuvent répartir ces heures de travail sur une période de 16 heures avant de devoir prendre 8 heures de repos consécutives. Les conducteurs peuvent suivre un cycle de travail de 7 ou de 14 jours et, lorsqu’ils ont accumulé le nombre maximal d’heures au cours de ces périodes, doivent prendre 36 ou 72 heures consécutives de repos respectivement avant d’entreprendre un nouveau cycle.

Le paragraphe 76(1) du règlement sur les heures de service exempte de ces exigences le conducteur confronté à une « situation d’urgence » qui met en péril la sécurité de son véhicule, de ses occupants ou de son chargement ou encore la sécurité des autres usagers de la route.

Les exigences relatives aux heures de conduite, aux heures de service et aux heures de repos du présent règlement ne s’appliquent pas en situation d’urgence au conducteur qui a besoin de plus d’heures de conduite pour atteindre une destination assurant la sécurité des occupants du véhicule utilitaire et des autres usagers de la route ou la sécurité du véhicule utilitaire et de son chargement [mise en relief ajoutée].

De même, le paragraphe 76(2) prévoit du temps additionnel pour le conducteur confronté à de mauvaises conditions de circulation afin qu’il puisse terminer son trajet :

Le conducteur qui fait face à de mauvaises conditions de circulation au cours d’un trajet au sud de 60° de latitude N. peut prolonger les 13 heures de conduite permises visées aux articles 12 et 13 et retrancher les 2 heures de repos journalier exigées au paragraphe 14(3) par le temps nécessaire pour terminer son trajet si les conditions suivantes sont réunies :
a) les heures de conduite, les heures de service et le temps écoulé pendant le cycle qu’il suit sont prolongés d’au plus 2 heures;
b) le conducteur prend toujours les 8 heures de repos consécutives qui sont exigées;
c) le trajet aurait pu être terminé dans des conditions normales de circulation sans retrancher ces heures.

Le règlement ne définit pas ce qu’est une « situation d’urgence », mais définit les « mauvaises conditions de circulation » :

Conditions météorologiques ou routières défavorables, notamment la neige, le grésil et le brouillard, qui n’étaient pas connues ou n’auraient pu vraisemblablement être connues du conducteur ou du transporteur routier qui a autorisé le conducteur à partir, immédiatement avant que celui-ci n’ait commencé à conduire

Dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation accompagnant la publication du règlement imposant les DCE dans la Gazette du Canada, le gouvernement fédéral explique qu’en apportant ces modifications, son intention était de mieux faire respecter le nombre maximal d’heures de service autorisées dans le règlement par les conducteurs de véhicule utilitaire, dans le but de réduire la fatigue du conducteur et le risque associé de collisions routières[2]. Le gouvernement fédéral y souligne également l’importance d’harmoniser les exigences prévues dans la réglementation canadienne dans ce secteur avec celles des États‑Unis, qui ont commencé à imposer l’utilisation de DCE aux véhicules utilitaires en décembre 2017[3].

Préoccupations liées au transport d’animaux

Des représentants de l’industrie du bétail ont expliqué que les conducteurs transportant des animaux sont confrontés à des difficultés exceptionnelles dans le cadre de leur travail. Ils ont insisté sur le fait que, même si tous les conducteurs sont exposés à des retards imprévisibles, causés par exemple par des accidents de la route, des phénomènes météorologiques soudains ainsi que des fermetures de route et de pont, ces types de retards sont particulièrement difficiles pour les conducteurs de bétail qui sont en plus responsables de la santé et du bien-être des animaux qu’ils transportent.

Même si Mme Melanie Vanstone, de Transports Canada, a qualifié le règlement sur les heures de service d’« agnostique » par rapport à la charge transportée, des témoins du secteur du transport du bétail ont expliqué que, lorsqu’ils ont atteint le nombre maximal d’heures de service, les conducteurs ne peuvent pas – contrairement à ceux qui transportent d’autres types de marchandises – se reposer durant huit heures consécutives puisqu’ils ont l’obligation légale de continuer à prendre soin des animaux dont ils ont la charge[4]. Des témoins ont relevé plusieurs exemples de ce qui est, selon eux, des obstacles uniques, souvent imprévisibles, auxquels se heurtent les transporteurs de bétail dans le cadre de leur travail que ne connaissent pas les conducteurs d’autres types de marchandises.

Prolongation des trajets

Des témoins ont mentionné que le regroupement dans le secteur de la transformation de la viande a mené à la fermeture de nombreuses usines d’abattage et de transformation, ce qui a pour effet de prolonger la durée de transport des animaux[5]. Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation accompagnant les modifications apportées en 2019 au Règlement sur la santé des animaux dans la Gazette du Canada reconnaît le phénomène, citant des données qui montrent que le nombre d’abattoirs de bovins sous réglementation fédérale au Canada avait considérablement décliné au cours des décennies précédentes, passant de 400 en 1976 à 30 en 2015[6].

Cette réalité a également pour effet de prolonger l’attente et les retards des conducteurs qui acheminent du bétail aux usines restantes. M. Don Shantz, de la Canadian Livestock Transporters’ Alliance, a exposé de quelle façon ces retards peuvent fréquemment amener les conducteurs à dépasser le nombre maximal d’heures de service :

Il arrive qu’il y ait des pannes dans les usines de Conestoga ou Sofina et les camions attendent à la file de pouvoir décharger les animaux. Il fait 30 °C dehors. Les animaux ont chaud. Tout le monde sait qu’ils ont besoin de ventilation. L’usine demande que les camions quittent les lieux et aillent prendre la route pour faire circuler un peu d’air dedans pendant, peut-être, une demi‑heure avant de revenir à l’usine. Cela ajoute du temps de conduite à l’emploi du temps déjà serré des chauffeurs ce jour‑là. Ils retournent à l’usine — en espérant que tout fonctionne à nouveau — pour décharger le bétail. Il est possible que le chauffeur ait terminé ses heures de service entretemps. Quand cela se produit, en général, le chauffeur n’est pas autorisé à stationner à l’usine et il doit partir. Il peut arriver qu’il doive dépasser ses heures de service quand il quitte l’usine à ce moment‑là.

L’intégration des secteurs canadien et américain du bétail s’est accrue dans les trois dernières décennies, et de nombreux producteurs canadiens vendent leur bétail à des acheteurs des États-Unis. Les animaux d’élevage qui traversent la frontière sont inspectés par un vétérinaire de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) ou du département de l’Agriculture des États-Unis, ce qui s’ajoute au temps de déplacement. Des témoins ont mentionné que les longues attentes imprévues à la frontière canado‑américaine sont une source de retard fréquente pour les conducteurs de bétail qui se rendent à l’extérieur du pays[7].

Des témoins ont également exprimé leur inquiétude quant au fait qu’étant donné que les DCE fonctionnent dès qu'un véhicule atteint un seuil de vitesse de huit kilomètres par heure[8], les longues attentes aux points de production au début de leurs trajets peuvent amener les conducteurs à dépasser facilement leurs heures de service. Comme l'a expliqué M. David Fehr, de l’Association nationale des engraisseurs de bovins:

Que vous soyez prêt à reculer jusqu'à une rampe de chargement et à charger ou que vous soyez simplement en train de tourner et de reculer, votre journée a commencé. Tous ces facteurs sont importants. Il se peut que vous chargiez en groupe, donc si vous traversez la frontière, vous devez traverser la frontière en groupe. Si vous devez prendre votre chargement en même temps qu'un autre groupe de camionneurs, vous pouvez attendre là pendant 45 minutes ou plus. Il se peut que vous soyez le premier arrivé, de sorte que votre journée a déjà commencé depuis une heure.

Peu d’options pour fournir des aliments, de l’eau et des périodes de repos sur la route

La Partie XII du Règlement sur la santé des animaux exige que les transporteurs commerciaux d’animaux fournissent aux animaux dont ils ont la charge des aliments, de l’eau salubre et des périodes de repos aux intervalles suivants :

  • 12 heures pour les animaux fragilisés (animaux présentant certaines affections qui limitent leur aptitude au transport);
  • 24 heures pour que les poulets à griller, les poules pondeuses de réforme et les lapins aient accès à de l’eau salubre et 28 heures pour qu’ils aient accès à des aliments et se reposent;
  • 28 heures pour les équidés et les porcins;
  • 36 heures pour tous les autres animaux.

M. Jack Chaffe, de l’Association canadienne des bovins, a souligné que peu d’options s’offrent aux conducteurs pour fournir aux animaux des aliments, de l’eau et des périodes de repos sur les routes d’un bout à l’autre du Canada. Lors de son témoignage, il a mentionné que les seules stations conçues à cette fin (« The Barn » à Thunder Bay [Ontario]) sont situées sur la route très achalandée entre les exploitations agricoles de bétail dans les Prairies et les usines de transformation en Ontario, et qu’elles sont « utilisées au maximum de leur capacité ». Le Comité a entendu le propriétaire et exploitant de The Barn, M. Andrew Livingston, qui a expliqué que le temps que passent en moyenne les camionneurs à son installation est passé de 8 à 36 heures à la suite de l’entrée en vigueur de l’utilisation obligatoire du DCE. M. Livingston a également signalé qu’il a observé une augmentation des animaux blessés et morts à leur arrivée à ses installations, ce qu’il a attribué à l’incapacité des conducteurs de surveiller adéquatement la santé des animaux durant leur transport en raison de contraintes de temps.

Mme Carlena Patterson, de la Fédération canadienne du mouton, a dit craindre que des conducteurs soient forcés d’utiliser les aires de repos publiques en bordure de route lorsqu’ils atteignent le nombre maximal d’heures de service autorisées. Elle a prévenu le Comité que l’utilisation de ces aires de repos par les conducteurs de bétail pourrait créer une perception négative du secteur parmi les membres de la population:

Le problème est le suivant : ces camions s’arrêtent dans les relais routiers, tout comme le font les cargos et les remorques de marchandises, et restent là […] [Le] public […] sort pour se dégourdir les jambes et se promener. Maintenant, vous avez une remorque pleine d’animaux à 30 degrés Celsius sans ventilation, arrêtée parce qu’elle a atteint le maximum de ses heures de service et qu’il n’y a pas d’autres endroits pour le faire. Les gens regardent les animaux, s’inquiètent et essaient de leur donner de l’eau […]

Circulation d’air

La plupart des remorques des camions utilitaires transportant des animaux sont ventilées « passivement », et la température y est contrôlée par l’intermédiaire d’évents qui font circuler de l’air provenant de l’extérieur. Or, comme l’a mentionné M. Shantz dans l’exemple plus haut, ces systèmes d’aération ne fonctionnent que si le véhicule se déplace à une vitesse normale. Un camion stationné durant une période prolongée, par exemple lorsque le conducteur est immobilisé dans la circulation ou qu’il y a des retards à un point de production, peut par conséquent poser une menace pour la santé des animaux transportés, particulièrement lors des journées chaudes[9]. Certains témoins ont expliqué au comité que, lorsqu'ils sont confrontés à de telles circonstances, les conducteurs continuent à conduire au-delà de leurs heures de service prévues pour s'assurer que les animaux reçoivent de l'air frais et ne surchauffent pas.

Stress et blessures durant le chargement et le déchargement des animaux

Plusieurs témoins ont souligné que le chargement et le déchargement sont des moments stressants, voire dangereux, pour les animaux en transit[10]. Le comportement imprévisible des animaux durant cette partie du trajet peut retarder les producteurs ainsi qu’être une source de stress et de blessures pour les animaux. M. Eric Schwindt, d’Ontario Pork, a expliqué que le chargement des animaux dans de nouvelles installations les rend plus susceptibles à la contraction ou à la propagation de maladies infectieuses :

Chaque fois que nous chargeons et déchargeons un porc dans de nouvelles installations, il y a un risque accru, par exemple, de pneumonie à mycoplasme et d'autres maladies nocives pour l'animal. Je ne saurais trop insister sur le fait que le chargement et le déchargement de l'animal constituent les moments les plus difficiles du voyage. Chaque fois que nous devons nous arrêter une fois de plus, le remède est pire que le mal en ce qui concerne le stress et les conséquences pour l'animal.

Mme Patterson a expliqué que son secteur a investi dans des outils de traçabilité afin de mieux surveiller et de mieux protéger la santé des animaux durant leur transport. L’un de ces outils, AgroLedger, utilise la technologie de la chaîne de blocs pour enregistrer et stocker de façon numérique les données sur l’historique de déplacement d’un animal, assurant la facilité d’accès des données tout au long de la chaîne d’approvisionnement.

Abeilles

M. Ron Greidanus, de l’Alberta Beekeepers Commission, a expliqué que beaucoup d’apiculteurs transportent leurs propres colonies d’abeilles puisque de nombreux transporteurs commerciaux refusent d’assumer ce risque. Il a également précisé que les abeilles sont souvent désorientées lorsqu’on les déplace de leurs ruches et que, le jour, elles tentent fréquemment de sortir du véhicule pour effectuer des « vols d’orientation » pour trouver des zones de butinage. Afin que les abeilles ne s’échappent pas et qu’elles ne surchauffent pas, la plupart des apiculteurs choisissent de les transporter la nuit. Les écarts par rapport à cet horaire, comme ceux causés par les dépassements des heures de service et les périodes de repos obligatoires du conducteur, pourraient, a prévenu M. Greidanus, poser un risque pour la sécurité du public puisque les abeilles s’échappent fréquemment de l’endroit où elles sont confinées durant ces pauses.

M. Greidanus a expliqué que, même si l’alinéa 2a) du règlement sur les heures de service exempte les producteurs transportant leurs propres produits des exigences relatives aux heures de service s’ils conduisent un camion à deux ou trois essieux, bon nombre d’apiculteurs utilisent des semi‑remorques ou d’autres gros véhicules pour transporter leurs colonies d’abeilles, ce qui les rend inadmissibles à cette exemption. Il a recommandé d’étendre l’exemption afin de tenir compte de cette situation.

Bien-être animal

Le Comité a également entendu des représentants de deux groupes de défense du bien‑être animal, qui ont remis en question la mesure dans laquelle les raisons citées par l’industrie du bétail, comme les longues attentes aux postes frontaliers ou aux usines de transformation, étaient réellement imprévisibles. Ils se sont demandé si ces retards ne découlaient pas plutôt de problèmes systémiques au sein du secteur canadien de l’élevage auxquels l’industrie devrait s’attaquer. Selon Mme Barbara Cartwright, d’Animaux Canada, les retards de ce type ne sont pas en soi des situations d’urgence en matière de bien-être animal, mais des circonstances prévisibles auxquelles l’industrie pourrait s’attaquer, notamment au moyen d’une planification améliorée, de l’accroissement de la capacité de transformation locale et de la climatisation des véhicules. Mme Lynn Kavanagh, de Protection mondiale des animaux, a dit craindre qu’une souplesse accrue des règles pour les conducteurs de bétail ait pour effet de prolonger des trajets déjà longs pour les animaux plutôt que d’inciter le secteur à investir dans des solutions[11].

Solutions proposées

Des représentants du gouvernement fédéral ont expliqué que l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) et Transports Canada avaient collaboré afin que les intervalles prévus dans le Règlement sur la santé des animaux pour fournir des aliments, de l’eau et des périodes de repos aux animaux ne soient pas incompatibles avec le règlement sur les heures de service[12]. Mme Melanie Vanstone, de Transports Canada, a également précisé que l’entrée en vigueur de l’exigence relative au DCE n’a pas modifié le nombre maximal d’heures de service des conducteurs de camion, qui sont restées inchangées depuis 2007, mais qu’elle a uniquement imposé à ces derniers de consigner avec plus d’exactitude leur conformité aux normes. Lors de son témoignage, Mme Vanstone a également mentionné que, selon les données de Transports Canada, les véhicules à moteur utilitaires ont été impliqués, en moyenne, dans 7 % des collisions avec des véhicules à moteur au Canada entre 2012 et 2021, mais que ces collisions étaient à l’origine de 19 % des décès sur la route et de 10 % des blessures graves. Elle a insisté sur le fait que la fatigue des conducteurs est reconnue dans le monde comme un « facteur de risque critique » associé aux accidents de la route.

Les représentants du secteur du bétail ont reconnu la validité de la position du gouvernement fédéral, à savoir que le DCE n’a pas modifié le nombre maximal d’heures de service pour les conducteurs de bétail, et ont dit clairement être au fait des dangers causés par la privation de sommeil et avoir fait des efforts pour éduquer leurs employés à reconnaître les signes de fatigue dans le cadre de leur travail et à prendre des mesures en cas de fatigue[13].

Ces témoins ont précisé qu’ils ne réclamaient pas une exemption générale des obligations imposées au secteur aux termes du règlement sur les heures de service ou du Règlement sur la santé des animaux. Ils ont plutôt demandé au gouvernement fédéral de formuler des directives nationales stipulant qu'un risque pour le bien-être des animaux constitue une situation d'urgence[14]. Certains témoins ont également recommandé qu’à long terme, des modifications législatives ou réglementaires soient apportées dans le même sens.

Des consignes claires à l’intention des agents d’application de la loi

Cathy Jo Noble, vice-présidente de l’Association nationale des engraisseurs de bovins a expliqué que bien que Transports Canada ait indiqué au secteur que le règlement HOS répondait déjà aux préoccupations du secteur du transport du bétail, elle souhaitait obtenir des orientations plus spécifiques dans ce domaine :

Transports Canada a laissé entendre que nos préoccupations étaient déjà couvertes par l'article 76. Nous pensons que cet article est trop vague et laissé à l'interprétation à chaque agent chargé de l'application. C'est pourquoi nous demandons des directives concernant le bien-être des animaux. Nos secteurs et nos conducteurs veulent être assurés qu'une menace pour le bien-être des animaux est considérée comme une situation d'urgence et que la définition des « mauvaises conditions » inclut les accidents de la route, mais aussi des situations telles que le retard à la frontière pour une inspection vétérinaire de l'ACIA ou des problèmes de comportement inattendus et inhabituels des animaux.

Plusieurs témoins ont mentionné que le CCATM fournit des consignes écrites aux agents d’application de la loi afin de les aider à évaluer les infractions possibles aux règles de sécurité des véhicules à moteur. Ils ont encouragé Transports Canada, qui est membre du CCATM, à demander à l’organisme de publier des consignes écrites énonçant que les conducteurs qui excèdent leurs heures de service parce qu’ils ont dû répondre à un incident imprévu lié au bien‑être des animaux soient admissibles à la disposition concernant les situations d’urgence du règlement sur les heures de service[15]. Selon eux, ce type de consignes préciserait l’emploi du terme « situations d’urgence », qu’ils considèrent comme pouvant être ambigu, et apporterait des éclaircissements à l’intention des agents d’application de la loi, dont certains, comme l’ont signalé des témoins, ne sont peut-être pas au fait des questions entourant l’agriculture et le bien-être des animaux[16].

Mme Vanstone a expliqué que, bien qu’il soit « moins compliqué sur le plan administratif » de réviser les consignes du CCATM destinées aux agents d’application de la loi que de modifier la réglementation, il faudrait néanmoins obtenir le consensus des membres du CCATM pour procéder à une telle révision et que tout changement devrait respecter « l’intention » du règlement sur les heures de service et ne pourrait « avoir préséance sur les paramètres » définis dans ce règlement. Elle a expliqué que le règlement, sous sa forme actuelle, limite la mesure dans laquelle le Conseil peut fournir des éclaircissements supplémentaires aux agents d’application de la loi:

Les changements dans les orientations doivent respecter les paramètres du règlement, où il est très clair que l'article 76 porte sur les mauvaises conditions de circulation et les circonstances imprévisibles. Le fait qu'un conducteur transporte du bétail ou qu'il puisse y avoir des retards à la frontière, etc., tout cela est, dans une certaine mesure, prévisible. Certains retards et différents éléments se produisent généralement, et ils doivent être inclus dans les plans d'urgence. Nous sommes heureux, et je pense que mes homologues provinciaux et territoriaux seraient heureux, de parler avec l'industrie à propos d'autres types de scénarios qui pourraient s'appliquer pour clarifier les orientations.

Modifications à la réglementation

Des témoins ont expliqué être également ouverts à l’idée que le règlement sur les heures de service ou la loi habilitante soit modifié afin de donner une plus grande certitude au secteur du bétail relativement à la réglementation. Ils ont toutefois reconnu que toute modification législative ou réglementaire prendrait probablement des années.

Certains témoins des secteurs du bétail et des transports ont recommandé au gouvernement fédéral de réviser les exigences relatives aux heures de service pour conducteurs de bétail au début et à la fin de leurs trajets puisque bon nombre des retards qu’ils subissent, qui sont notamment attribuables aux difficultés de chargement et de déchargement des animaux ou à la congestion aux points de production, se produisent à ces moments-là. Plusieurs témoins ont encouragé le Canada à adopter une disposition offrant plus de flexibilité aux conducteurs de bétail lorsqu’ils se trouvent dans un rayon d’une certaine distance de leur point d’origine et d’arrivée, inspirée du modèle en vigueur aux États-Unis[17].

En effet, depuis décembre 2017, les États-Unis imposent l’utilisation d’un DCE aux conducteurs de camions utilitaires circulant dans ce pays, une exigence qui s’applique également aux conducteurs canadiens traversant la frontière. Le Code of Federal Regulations des États-Unis exempte les conducteurs de bétail de l’obligation de consigner leurs heures de service lorsqu’ils conduisent dans un rayon de 150 milles aériens (172,6 milles terrestres ou approximativement 277 kilomètres) du point d’origine et de destination de leur cargaison[18]. Des témoins ont fait observer qu’une exemption similaire au Canada accorderait une plus grande flexibilité aux conducteurs de bétail et harmoniserait la réglementation des secteurs américain et canadien du bétail.

Mme Vanstone a toutefois souligné que le Canada autorise déjà dans sa réglementation des heures de conduite, des journées de travail et des heures de service plus longues que les États-Unis. Elle a aussi prévenu le Comité que l’exemption des conducteurs qui se trouvent dans un rayon de 150 milles aériens n’est pas conforme à l’étude scientifique sur la fatigue des conducteurs et que cette exemption a été relevée par le National Transportation Safety Board des États-Unis comme un facteur potentiel ayant contribué à un accident de la route mortel[19].

Conclusion

Toutes les formes de transport par camion exigent une formation et le respect des directives de sécurité, mais le transport d’animaux et d’insectes par camion est particulièrement complexe et nécessite une planification détaillée et une connaissance adéquate des exigences relatives au bien-être animal pour assurer un voyage réussi. Durant cette étude, le Comité a entendu que beaucoup d’intervenants du secteur du transport animal trouvent que le régime fédéral actuel des heures de service réglementaires ne leur offre pas assez de flexibilité pour effectuer leur travail efficacement et en toute sécurité. Ces témoins reconnaissent que ces règles contribuent de façon importante à combattre la fatigue des conducteurs et à assurer la sécurité routière, mais ont demandé que le gouvernement fédéral apporte de la clarté, qui prendrait la forme de consignes aux agents provinciaux et territoriaux d’application de la loi ou de modifications réglementaires, afin de mieux résoudre les difficultés propres au travail dans ce secteur.

Observations et Recommandations

Le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes recommande que le gouvernement du Canada, conformément aux compétences provinciales et territoriales :

Recommandation 1

Prenne les mesures suivantes relatives aux paragraphes 76(1) et (2) du Règlement sur les heures de service des conducteurs de véhicule utilitaire concernant les circonstances imprévisibles et les situations d’urgences afin d’assurer la flexibilité nécessaire pour permettre la livraison des animaux à destination tout en assurant des consignes claires pour qu’il n’y ait pas de variation dans l’interprétation du règlement :

  • Dresse une liste exhaustive de ce qui constitue précisément une situation d’urgence;
  • Tienne compte des préoccupations liées au bien-être des animaux lorsqu’il s’agit de permettre aux conducteurs de prolonger leurs heures de conduite autorisées en cas de situations d’urgence ou de mauvaises conditions de circulation;
  • Collabore dans les plus brefs délais avec le Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé afin de fournir des consignes claires à tous les agents d’application de la loi concernant l’interprétation de l’article 76 du règlement sur les heures de service, et d’y préciser qu’un risque pour le bien-être des animaux est considéré comme une situation d’urgence afin qu’il n’y ait pas de variation dans l’interprétation du règlement;
  • Offre une formation aux inspecteurs du gouvernement donnée par le secteur canadien du transport de bétail sur la façon de définir adéquatement les scénarios liés au bien-être des animaux qui nécessiteraient une exemption des exigences relatives à la consignation des heures de service au moyen d’un dispositif de consignation électronique.

Recommandation 2

Étudie la possibilité de réviser le Règlement sur les heures de service des conducteurs de véhicule utilitaire afin de permettre aux conducteurs commerciaux transportant du bétail ou des insectes une plus grande flexibilité au début et à la fin de leur voyage, sans compromettre la santé ou la sécurité des animaux et en tenant compte des conditions et des distances locales

Recommandation 3

Envisage de modifier le paragraphe 2(1) du Règlement sur les heures de service des conducteurs de véhicule utilitaire afin d’élargir ses exemptions aux producteurs, notamment les apiculteurs, qui utilisent des tracteurs semi-remorques pour transporter leurs propres produits.

Recommandation 4

Prenne les mesures suivantes en ce qui a trait au transport des animaux :

  • Favorise le développement d’aires de repos et de relais routiers où les camionneurs peuvent s’arrêter pour fournir des aliments et du repos au bétail qu’ils transportent et collecte de meilleures données sur les itinéraires de transport du bétail;
  • Encourage l’adoption de nouveaux systèmes de traçabilité du bétail comme le système AgroLedger, conçu par la Fédération canadienne du mouton;
  • Encourage l’adoption de technologies novatrices permettant d’améliorer la ventilation des camions transportant des animaux lors des fortes chaleurs dans un contexte d’augmentation des températures et de la fréquence des phénomènes climatiques extrêmes.

Recommandation 5

Facilite la transition des abattoirs de moyenne et petite taille qui le souhaitent vers les normes d’inspection fédérales  et réduise les difficultés réglementaires afin d’en réduire les coûts, réduisant ainsi les distances que les conducteurs doivent parcourir pour transporter les animaux ce qui contribuera à garantir que les exigences du Règlement sur les heures de service des conducteurs de véhicule utilitaire puissent être respectées, même lorsque les conducteurs sont confrontés à des circonstances extraordinaires.


[1]              Transports Canada ainsi que les autorités de transport provinciales et territoriales ont accordé au secteur du camionnage une période de transition suivant l’entrée en vigueur de ces modifications. Les autorités ont commencé à imposer activement l’exigence relative au DCE à compter du 1er janvier 2023.

[3]              Ibid.

[4]              Chambre des communes, Comité permanent de l’agriculture (AGRI), Témoignages, 44e législature, 1re session : M. René Roy (président, Conseil canadien du porc) et Mme Susan Fitzgerald (directrice exécutive, Canadian Livestock Transporters’ Alliance).

[5]              AGRI, Témoignages : M. Roy (Conseil canadien du porc), Mme Lynn Kavanagh (directrice de campagne, Protection mondiale des animaux) et M. Jack Chaffe (agent sans fonction fixe, Association canadienne des bovins).

[6]              Gouvernement du Canada, Règlement modifiant le Règlement sur la santé des animaux : DORS/2019-38, Gazette du Canada, Partie II, volume 153, numéro 4, 1er février 2019.

[7]              AGRI, Témoignages : Mme Cathy Jo Noble (vice-présidente, Association nationale des engraisseurs de bovins), Mme Fitzgerald (Canadian Livestock Transporters’ Alliance) et M. David Fehr (dirigeant principal des finances, Van Raay Paskal Farms ltée et membre, Association nationale des engraisseurs de bovins).

[8]              Conseil Canadien des administrateurs en transport motorisé, Norme canadienne en matière de dispositifs de consignation électroniques — Foire aux questions.

[9]              AGRI, Témoignages : M. Roy (Conseil canadien du porc), Mme Fitzgerald (Canadian Livestock Transporters’ Alliance), Mme Mary Jane Ireland (directrice exécutive, Direction santé des animaux, vétérinaire en chef pour le Canada, Agence canadienne d’inspection des aliments) et M. Raymond Reynen (président sortant, Association canadienne des vétérinaires bovins).

[10]            AGRI, Témoignages : M. Eric Schwindt (directeur, Ontario Pork), M. Roy (Conseil canadien du porc) et Mme Fitzgerald (Canadian Livestock Transporters’ Alliance).

[11]            Le Comité note que les témoins du secteur de l'élevage entendus lors de cette étude n'ont pas demandé d'exemption aux exigences du Règlement sur la santé des animaux en matière de transport d'animaux. Le présent rapport et ses recommandations portent uniquement sur l'allongement des temps de trajet des conducteurs de bétail en cas d'urgence, afin de leur permettre de livrer les animaux à leur destination aussi rapidement et sûrement que possible.

[12]            AGRI, Témoignages : Mme Ireland (ACIA) et Mme Melanie Vanstone (directrice générale, Programmes multimodaux et de sécurité routière, ministère des Transports).

[13]            AGRI, Témoignages : M. Fehr (Van Raay Paskal Farms ltée) et Mme Fitzgerald (Canadian Livestock Transporters’ Alliance).

[14]            AGRI, Témoignages : Mme Noble (Association nationale des engraisseurs de bovins),

[15]            AGRI, Témoignages : M. Chaffe (Association canadienne des bovins), M. Roy (Conseil canadien du porc), Mme Noble (Association nationale des engraisseurs de bovins), Mme Fitzgerald (Canadian Livestock Transporters’ Alliance) et M. Scott Ross (directeur exécutif, Fédération canadienne de l’agriculture).

[16]            AGRI, Témoignages : M. Roy (Conseil canadien du porc) et Mme Noble (Association nationale des engraisseurs de bovins).

[17]            AGRI, Témoignages : M. Chaffe (Association canadienne des bovins), M. Roy (Conseil canadien du porc), Mme Noble (Association nationale des engraisseurs de bovins), Mme Fitzgerald (Canadian Livestock Transporters’ Alliance), M. Ross (Fédération canadienne de l’agriculture), Mme Corlena Patterson (directrice exécutive, Fédération canadienne du mouton) et M. Ron Greidanus (délégué pour le Conseil canadien du miel et directeur, Alberta Beekeepers Commission).

[18]            États-Unis, Code of Federal Regulations, 49 CFR § 395.1(k).

[19]            National Transportation Safety Board, Driver Fatigue leads to Deadly Phoenix Milk Truck Crash, NTSB Finds, 28 mars 2023.