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CIIT Rapport du Comité

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Imposition de droits antidumping et compensateurs sur certains produits canadiens de bois d’œuvre

Introduction

Depuis 1982, le Canada et les États-Unis ont eu cinq différends sur le bois d’œuvre. Les États-Unis nous ont imposé périodiquement des droits antidumping et compensateurs sur certains de nos produits de bois d’œuvre.

L’image comporte une ligne du temps qui montre les différends sur le bois d’œuvre résineux entre le Canada et les États-Unis depuis 1982. Il y a tout d’abord celui de 1982 à 1983, puis celui de 1986, celui de 1991 à 1944, celui de 2001 à 2006 et enfin celui de 2016 à 2023. Au 12 septembre 2023, le dernier différend se poursuivait toujours.

Remarque : La ligne rouge indique une période au cours de laquelle le Canada et les États-Unis ont eu un différend commercial au sujet du bois d’œuvre. Cette période commence lorsque le département du Commerce américain ouvre une enquête sur les droits antidumping ou les droits compensateurs et se termine lorsque le département du Commerce prend l’une des deux mesures suivantes : il révoque les droits antidumping ou les droits compensateurs appliqués à l’importation de certains produits canadiens de bois d’œuvre ou, si les droits n’ont pas été appliqués, il met fin à son enquête sur les droits antidumping ou sur les droits compensateurs. La ligne grise indique une période pendant laquelle les deux pays n’avaient pas de différend commercial bilatéral relatif au bois d’œuvre.

Source : Schéma préparé par la Bibliothèque du Parlement.

En octobre 2022, le Comité permanent du commerce international de la Chambre des communes (le Comité) a publié un rapport, qui portait essentiellement sur deux thèmes liés au commerce entre les deux pays : le bois d’œuvre et les voitures électriques. Le chapitre consacré au commerce du bois d’œuvre se compose du résumé des observations formulées par les témoins, ainsi que les recommandations du Comité à l’intention du gouvernement du Canada. Depuis octobre 2022, certaines mesures américaines continuent à nuire au commerce du bois d’œuvre avec le Canada.

En particulier, le département du Commerce et la Commission du commerce international des États-Unis ont entamé, le 1er décembre 2022, leur réexamen à l’extinction des droits antidumping et compensateurs sur certains produits canadiens de bois d’œuvre. Selon le mécanisme de recours commerciaux des États-Unis, le réexamen à l’extinction se solde par l’abrogation de l’ordonnance en matière de droits antidumping ou compensateurs sauf dans deux éventualités. En effet, il n’y a pas d’abrogation lorsque, de l’avis du département du Commerce, elle entraînerait vraisemblablement la continuation ou la réapparition de mesures de dumping ou de subventions passibles de droits compensateurs et si, de l’avis de la Commission du commerce international, elle causerait vraisemblablement la continuation ou la réapparition d’un préjudice sensible aux producteurs états-uniens. Les 24 et 31 mars 2023, le département du Commerce a jugé que l’abrogation des ordonnances en matière de droits compensateurs [en anglais] et de droits antidumping [en anglais] respectivement, aurait entraîné la continuation ou la réapparition de subventions passibles de droits compensateurs et de mesures de dumping. Bien qu’elle prenne souvent jusqu’à un an pour mener à bien ses réexamens à l’extinction, la Commission du commerce international a décidé [en anglais] le 18 avril 2023 de consacrer 90 jours supplémentaires pour son réexamen.

Le 1er août 2023, le département du Commerce a pour sa part rendu publics les résultats définitifs de son quatrième examen annuel des ordonnances en matière de droits antidumping [en anglais] et des droits compensateurs [en anglais] liés à certains produits canadiens de bois d’œuvre. Il a par ailleurs établi le taux moyen de droits antidumping et compensateurs à 6,20 % et à 1,79 % respectivement. Le 8 septembre 2023, ce même département a augmenté [en anglais] le taux des droits antidumping pour le faire passer à 6,26 %. Les taux de droits définitifs ne sont imposés qu’aux produits canadiens de bois d’œuvre visés par l’examen. En général, le département du Commerce inclut des entreprises à son examen lorsqu’un exportateur canadien, le gouvernement du Canada ou encore un producteur ou importateur américain de bois d’œuvre en fait la demande. En retour, le gouvernement du Canada a annoncé le 1er septembre 2023 son intention de contester la décision sur les droits antidumping devant le Tribunal de commerce international des États-Unis et celle sur les droits compensateurs par le mécanisme de règlement des différends prévu au chapitre 10 de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique (l’ACEUM).

Le 5 octobre 2023, un groupe spécial chargé du règlement des différends dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain (l’ALENA) a publié un rapport [en anglais] au sujet de la décision définitive sur l’existence de dumping rendue en 2017 par le département du Commerce à l’égard de certains produits canadiens de bois d’œuvre. Le rapport a confirmé certains éléments de la décision et a demandé au département du Commerce de procéder à un réexamen ou de fournir plus d’informations pour expliquer d’autres aspects de cette décision. Par exemple, le département devrait fournir des compléments d’information au sujet de sa décision de déduire des taxes à l’exportation du prix de certaines exportations canadiennes de bois d’œuvre.

Le 30 janvier 2023, le Comité a adopté une motion visant à entreprendre une nouvelle étude sur les droits antidumping et compensateurs imposés par les États-Unis. La motion évoque un accord bilatéral sur le bois d’œuvre possible (ci-après un nouvel accord bilatéral) et des implications des droits antidumping et compensateurs que les États-Unis imposent au Canada. Lors des deux réunions tenues les 11 mai et 12 juin 2023, des fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ainsi que les représentants d’une entreprise, d’un syndicat et de trois associations commerciales sont venus témoigner. Le BC Lumber Trade Council et Affaires mondiales Canada ont d’ailleurs soumis un mémoire et quatre documents respectivement.

Le présent rapport contient un résumé des observations formulées par ces témoins, des remarques extraites du mémoire et des documents ainsi que des enseignements que le Comité a tirés de sa mission d’étude à Washington en mai 2023. La première section comporte une vue d’ensemble des répercussions qu’ont les droits antidumping et compensateurs des États-Unis sur les producteurs canadiens de bois d’œuvre. Les cinq sections suivantes portent sur les points de vue des témoins sur les mesures courantes et envisagées du gouvernement du Canada pour régler le différend sur le bois d’œuvre entre le Canada et les États-Unis (ci-après le différend en cours). Ces sections font surtout état du mécanisme de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (l’OMC); des procédures en ce sens prévues par l’ALENA et par l’ACEUM; d’un nouvel accord bilatéral; du plaidoyer et de la collaboration; et des soutiens fédéraux destinés au secteur forestier. Les observations des témoins sur le règlement des différends ont pour premier objectif de voir à l’existence d’une procédure juste, impartiale et capable d’aboutir rapidement à des décisions, notamment sur le bois d’œuvre. Le rapport se termine par les réflexions et recommandations du Comité.

Répercussions des droits états-uniens sur les producteurs canadiens de bois d’œuvre

Les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont signalé qu’au 11 mai 2023, les États-Unis ont imposé un taux cumulé de 8,59 % des droits antidumping et compensateurs sur les importations de certains articles offerts par la plupart des producteurs canadiens de bois d’œuvre. Ils ont par ailleurs fait valoir que les États-Unis ajustent tous les ans les taux de droits antidumping et compensateurs, ce qui « se traduit par un environnement commercial imprévisible [pour ces producteurs] et par des milliards de dollars de droits injustement perçus ». De même, le Syndicat des Métallos a déclaré ces droits « injustes et préjudiciables ».

Selon les New Brunswick Lumber Producers, le différend en cours s’avère « l’un des plus longs et des plus coûteux de l’histoire du Canada ». L’organisme a estimé qu’au 12 juin 2023, les producteurs canadiens de bois d’œuvre ont versé des dépôts en espèces totalisant plus de 8 milliards de dollars tout au long du différend et que ses membres ont payé plus de 500 millions de dollars[1].

Les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont dit que les exportations canadiennes de bois d’œuvre se révèlent essentielles « pour combler les déficits de production aux États‑Unis et pour résoudre les problèmes d’accessibilité au logement ». Ils ont ajouté qu’en 2021, les producteurs états-uniens fournissaient environ 70 % de la demande intérieure des produits de bois d’œuvre, « ce qui a entraîné un déficit de 30 %, lequel a été largement comblé par les produits […] canadiens ». Dans son mémoire, le BC Lumber Trade Council a indiqué que les importations de produits européens aux États-Unis, d’ailleurs libres de droits antidumping et compensateurs, sont « de plus en plus utilisés pour combler le vide » lorsque les exportations canadiennes vers ce pays ne suffisent pas.

Le Syndicat des Métallos a fait valoir que le Canada exporte « de moins en moins » de bois d’œuvre vers les États-Unis, car les pays européens concurrents ne sont pas frappés par les « énormes » droits antidumping et compensateurs des États-Unis. De même, les New Brunswick Lumber Producers ont avancé que les droits antidumping et compensateurs des États-Unis réduisent « considérablement » leur « capacité à concurrencer » les producteurs américains et européens.

Dans son mémoire, le BC Lumber Trade Council a mis en évidence « l’impact négatif » de ces droits américains sur les producteurs canadiens de petite ou moyenne taille spécialisés dans les produits de bois d’œuvre « de grande valeur ». Celles-ci n’ont pas « la capacité financière ou la capacité d’emprunt nécessaire pour se lancer dans des litiges prolongés ». Abondant dans le même sens, l’entreprise Gorman Bros. Lumber a affirmé que nombre d’entreprises canadiennes exportant ces produits vers les États-Unis sont de petite ou de moyenne taille et qu’elles « n’ont pas toujours la même capacité financière et d’emprunt que les grands producteurs » de bois d’œuvre. De l’avis de l’entreprise, bien des petites et moyennes entreprises canadiennes spécialisées dans le bois d’œuvre « seraient soumises à des tensions qui dépasseraient les limites de l’acceptable » si le différend en cours se prolongeait pendant « plusieurs années ».

Les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont insisté sur le « préjudice » causé par les droits antidumping et compensateurs des États-Unis aux producteurs canadiens et à leurs employés. De l’avis du Syndicat des Métallos, ces droits peuvent dicter si oui ou non ses membres restent en activité et si les producteurs canadiens restent « à flot ».

Action gouvernementale : Régler les différends à l’Organisation mondiale du commerce

Les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont déclaré que le gouvernement du Canada continue de « défendre vigoureusement » les intérêts du pays par le mécanisme de règlement des différends de l’OMC et de la procédure au titre du chapitre 19 de l’ALENA et du chapitre 10 de l’ACEUM. Ils ont signalé qu’en date du 11 mai 2023, le gouvernement du Canada, en partenariat avec des producteurs canadiens de bois d’œuvre et d’autres parties, avait lancé 10 poursuites liées au bois d’œuvre à l’OMC et conformément aux deux accords commerciaux. Par ailleurs, ils ont indiqué que le gouvernement cherche à obtenir « le remboursement intégral » des sommes payées par les producteurs canadiens à cause des droits antidumping et compensateurs « injustifiés et injustifiables » des États-Unis.

Pour ce qui est de la procédure à l’OMC, les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont fait remarquer que le Canada a obtenu une issue favorable dans deux des litiges récents contre les États-Unis, à savoir « un résultat très solide au groupe spécial » pour l’ordonnance des droits compensateurs et « un résultat un peu plus mitigé » pour celle des droits antidumping. Ils ont expliqué que le Canada et les États-Unis ont tous les deux interjeté appel des décisions portant sur les droits antidumping et compensateurs, respectivement, auprès de l’organe d’appel de l’OMC, qui n’atteint pas en ce moment le quorum voulu à cause de la tendance des États‑Unis à bloquer la nomination de nouveaux membres.

Les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont fait observer que, lors de la 12e Conférence ministérielle de l’OMC, les membres, dont les États-Unis, ont convenu de travailler au rétablissement d’un mécanisme de règlement des litiges « pleinement opérationnel » d’ici 2024. Ils ont souligné qu’au 11 mai 2023, les membres de l’OMC sont rendus « à l’étape des solutions » des négociations sur la réforme du mécanisme. Par ailleurs, ils ont soulevé que le Canada et des membres aux vues similaires font « des propositions » dans le but de rétablir « un processus d’arbitrage efficace et impartial au sein de l’OMC ». Le Conseil canadien des affaires s’est dit encouragé que les membres de l’OMC, y compris les États-Unis, ont convenu de rétablir « la pleine fonctionnalité » du mécanisme de règlement des différends d’ici 2024.

En ce qui concerne le groupe ministériel d’Ottawa sur la réforme de l’OMC (le Groupe d’Ottawa), les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont souligné que, depuis sa fondation en 2018, le Groupe d’Ottawa a discuté des « perspectives de transformation et de modernisation » du mécanisme de règlement des différends de l’OMC « lors de quelques […] rencontres ». Le Conseil canadien des affaires a exhorté les membres du Groupe d’Ottawa à « travailler en étroite collaboration avec les États-Unis [en 2023] afin de surmonter les préoccupations de longue date et de rétablir cet important » mécanisme de règlement des différends de l’OMC. À son avis, l’absence d’un mécanisme fonctionnel a entravé les efforts déployés pour régler le différend en cours entre le Canada et les États-Unis concernant le bois d’œuvre.

Action gouvernementale : Régler des différends sous le régime des accords commerciaux

Les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont fait observer que les groupes spéciaux établis au titre du chapitre 19 de l’ALENA et du chapitre 10 de l’ACEUM déterminent si les droits antidumping et compensateurs des États-Unis sont conformes à la législation de ce pays. Ils ont déclaré qu’à la mise sur pied des groupes spéciaux de l’ALENA, on s’attendait à ce que le groupe spécial sur les droits antidumping tienne sa première rencontre en juin 2023 et à ce que celui sur les droits compensateurs fasse de même en septembre 2023. Ils ont également indiqué que le Canada et les États-Unis ont « commencé à constituer les groupes spéciaux de l’ACEUM [pour le] premier examen [annuel] » des droits antidumping et compensateurs. Ils ont ajouté qu’à l’issue d’un examen annuel, le Canada a la possibilité d’en contester les résultats.

Toutefois, les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont attiré l’attention sur les « retards et problèmes » dans la nomination des membres des groupes spéciaux de règlement des différends au titre de l’ALENA et de l’ACEUM, de même que sur la détermination du gouvernement du Canada à collaborer avec son homologue américain en vue de garantir l’impartialité des membres nommés. Ils ont aussi dit que ces membres doivent être « bien qualifiés, impartiaux et [capables] de rendre un jugement objectif ».

L’Alberta Forest Products Association est d’avis que les États-Unis se montrent « exceptionnellement lents » à nommer des personnes qui siégeront aux groupes spéciaux sur le règlement des différends de l’ALENA et de l’ACEUM et que les personnes nommées manquaient d’indépendance et d’impartialité. Elle a prôné « un engagement accru » aussi bien d’Ottawa que de Washington pour former « des groupes spéciaux [de règlement des différends] qui fonctionnent très bien ».

Dans son mémoire, le BC Lumber Trade Council a avancé que, tout au long du différend en cours, les contestations judiciaires devant les groupes spéciaux chargés du règlement des différends de l’ALENA et de l’ACEUM ont été « retardées pendant plusieurs années parce que les États-Unis n’ont pas nommé de membres ». Il a également indiqué que le gouvernement du Canada doit avant tout rencontrer l’administration Biden et remédier au « refus des États-Unis de nommer en temps opportun les membres des groupes spéciaux ».

Les New Brunswick Lumber Producers ont invité le gouvernement du Canada à insister pour que les États-Unis se conforment aux « procédures [de règlement des différends] de l’ALENA et l’ACEUM dans l’objectif de respecter tous les délais de décision, comme le précisent les accords commerciaux ». Ils ont aussi prédit une issue « favorable » des décisions prises par les groupes spéciaux, en plus de s’attendre au remboursement d’une « partie importante des dépôts en espèces » aux producteurs de bois d’œuvre canadiens.

L’Alberta Forest Products Association a avancé que les décisions des groupes spéciaux de l’ALENA et de l’ACEUM sont « essentielles » aux intérêts du Canada, « car elles ont directement force de loi aux États-Unis ». Elle a aussi fait valoir que de telles décisions peuvent constituer « l’outil le plus efficace dont dispose le Canada » pour contester les ordonnances des droits antidumping et compensateurs prises par les États-Unis.

Action gouvernementale : Négocier un nouvel accord bilatéral

Les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont souligné qu’Ottawa poursuivait ses discussions et ses engagements de manière régulière avec Washington en ce qui a trait au commerce du bois d’œuvre. Il ne s’agit pas « de négociations officielles » d’un nouvel accord bilatéral ni d’un indice laissant croire que les États-Unis sont « ouverts à ce type de négociations ». D’ailleurs, le gouvernement du Canada « a fait savoir à plusieurs reprises » à l’administration américaine qu’il était prêt à entamer « des discussions sérieuses pour trouver des solutions réalistes et acceptables pour les deux parties ».

De même, les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont fait remarquer que des négociations entre les deux pays sur le commerce du bois d’œuvre ont eu lieu en 2016 et en 2017, dans le but de renouveler ou de prolonger l’accord bilatéral conclu en 2006. Or, ils ont ajouté que le gouvernement américain n’a pas montré de volonté depuis 2016 « de prolonger l’accord en vigueur, de le renouveler » ou encore de négocier un nouvel accord bilatéral. Au cours de son passage à Washington en mai 2023, le Comité a appris qu’après l’expiration de l’accord de 2006 en 2015, le Canada n’avait aucun intérêt à négocier les contingents qui s’appliqueraient sur les exportations canadiennes de bois d’œuvre vers les États‑Unis.

Le Conseil canadien des affaires est d’avis que, malgré les tentatives du Canada de relancer les négociations d’un nouvel accord bilatéral ces dernières années, il est nécessaire que « les efforts soient renouvelés ». Le Conseil a bien exprimé sa déception face à l’absence tant d’un accord que de la tenue de « négociations actives » d’un tel accord. D’après lui, un nouvel accord bilatéral représente « la seule solution viable à long terme qui pourrait apporter certitude et stabilité » aux producteurs canadiens de bois d’œuvre.

Le Conseil canadien des affaires a soutenu qu’en 2022, certains membres du Congrès américain ont appelé le gouvernement des États-Unis à négocier un nouvel accord bilatéral. Dans les circonstances, il a proposé qu’en 2023, Ottawa cherche « à intensifier [ses] efforts auprès de partenaires américains d’optique commune » afin de faire progresser les négociations d’un tel accord. Les New Brunswick Lumber Producers ont laissé entendre que le gouvernement du Canada doit « encourager » la représentante au Commerce des États-Unis « à entamer des négociations sérieuses » pour le règlement du différend en cours.

Les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont indiqué que, selon la Tariff Act of 1930 des États-Unis, les producteurs américains de bois d’œuvre peuvent exercer une certaine influence quant au « moment où les négociations pourraient être entreprises » en vue d’un nouvel accord bilatéral. En effet, cette loi américaine confère à toutes les industries du pays le droit d’adresser une pétition à leur gouvernement « pour que l’on fasse enquête sur de présumées pratiques commerciales déloyales pouvant inclure des subventions et du dumping ». Ils ont émis l’hypothèse que la négociation d’un tel accord « ne serait bon[ne] pour personne » si les producteurs américains de bois d’œuvre ont « le droit d’entamer une toute nouvelle série d’enquêtes [sur les droits antidumping et compensateurs] dès le lendemain ».

Les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont également souligné qu’un « accord à long terme » exigerait que la coalition américaine du bois d’œuvre suspende le droit d’adresser « une pétition au gouvernement américain en vue d’obtenir réparation pour des pratiques commerciales déloyales ». Ils ont signalé que l’industrie américaine du bois d’œuvre semblait fermée à l’idée de négocier un règlement à long terme au 11 mai 2023. Au cours de sa mission d’étude à Washington, le Comité a appris que le règlement du différend en cours est impossible tant que les producteurs états-uniens ne renonceront pas à leur droit d’adresser une pétition à leur gouvernement afin d’entamer des enquêtes sur les droits antidumping et compensateurs. L’entreprise Gorman Bros. Lumber a dit comprendre et reconnaître les droits des producteurs états-uniens conférés par la loi. Elle a néanmoins ajouté qu’il faut « travailler de manière constructive pour […] négocier une solution à ce différend ».

En ce qui concerne les dispositions à ajouter dans le nouvel accord bilatéral, les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont fait observer que tout accord doit protéger les intérêts des producteurs de bois d’œuvre de partout au pays. Gorman Bros. Lumber a fait valoir que le différend en cours « porte principalement sur les matériaux de construction »; par conséquent, les produits de bois d’œuvre de grande valeur « doivent être pris en compte avec soin à l’avenir et recevoir le même niveau d’attention » que lors des négociations de l’accord bilatéral de 2006. Les New Brunswick Lumber Producers ont indiqué qu’en 2006, les États-Unis ont remboursé une partie ou la totalité des dépôts en espèces concernant les droits compensateurs aux producteurs canadiens de bois d’œuvre. Les New Brunswick Lumber Producers ont plaidé en faveur d’une telle approche dans le contexte du différend en cours.

Le Conseil canadien des affaires a dit être favorable à la nomination éventuelle par le gouvernement du Canada d’« une ou plusieurs personnes » qui « fassent en sorte de convaincre les décideurs américains de négocier » un règlement du différend actuel sur le bois d’œuvre. Faisant remarquer que la décision de désigner un représentant ou un envoyé canadien pour le bois d’œuvre implique diverses considérations, les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont rappelé que le gouvernement avait connu « un succès plutôt mitigé » lorsqu’il avait nommé un tel émissaire pour régler des différends par le passé.

Action gouvernementale : Dialoguer et collaborer

Les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont dit que le premier ministre Justin Trudeau et la ministre du Commerce international, de la Promotion des exportations, de la Petite Entreprise et du Développement économique du Canada[2], Mme Mary Ng, « ont notamment soulevé la question » du différend en cours auprès du président Joe Biden. Les deux politiciens canadiens ont bien fait ressortir le « préjudice » que les droits antidumping et compensateurs des États-Unis causent aux producteurs canadiens de bois d’œuvre et à leurs employés, à leurs collectivités et aux consommateurs américains.

Dans l’un des documents soumis par Affaires mondiales Canada, le Ministère a signalé que la ministre Ng discute à la moindre occasion du différend avec la représentante au Commerce des États‑Unis, en plus de prôner son règlement auprès de nombreux législateurs américains. D’après le Business Council of Canada, certains législateurs américains favorables à la négociation d’un nouvel accord bilatéral constituent « des alliés clés » pour le Canada, car ils « peuvent faire pression sur l’administration [américaine] en interne ».

Selon les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada, le gouvernement du Canada a déjà travaillé avec des groupes de pression états-uniens qui défendent le logement abordable, de même qu’« avec des détaillants à grande surface, comme Home Depot » afin de les approvisionner adéquatement en produits canadiens de bois d’œuvre. Le Conseil canadien des affaires a mis en évidence que « [d]e nombreux acteurs politiques et responsables [aux États‑Unis] se concentrent sur l’abordabilité » et que le gouvernement devrait « recadrer » sa stratégie de sensibilisation aux États-Unis « dans le contexte de l’amélioration de l’abordabilité [des habitations] ».

L’Alberta Forest Products Association a soutenu que le règlement du différend en cours nécessitera un « engagement politique au plus haut niveau » de la part du Canada, notamment par le premier ministre Trudeau dans ses pourparlers avec le président Biden. L’Alberta Forest Products Association a aussi fait valoir que cet engagement doit principalement servir à garantir que la procédure de règlement des différends de l’ALENA et de l’ACEUM fonctionne comme les parties en ont convenu, en particulier l’impartialité des membres et la rapidité de la prise de décisions.

Pour ce qui est de la collaboration, les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont attiré l’attention sur les « excellents contacts » que le gouvernement du Canada entretient avec la National Association of Home Builders aux États-Unis. Ils ont également indiqué que la National Association of Home Builders appuie sans réserve le point de vue du Canada sur la levée de l’imposition de droits antidumping et compensateurs par les États-Unis. Ils ont ajouté que le soutien de l’industrie américaine de la construction ne suffit pas à inciter le gouvernement des États-Unis à régler le différend en cours. Lors de sa mission d’étude à Washington, le Comité a appris que les consommateurs et les constructeurs d’habitation aux États-Unis n’ont pas eu la possibilité de participer directement à la procédure liée au différend sur le commerce du bois d’œuvre.

Selon les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada, le gouvernement du Canada va « continuer à travailler en étroite collaboration » avec le secteur canadien du bois d’œuvre ainsi qu’avec « les provinces et les territoires afin de maintenir une approche concertée » pour résoudre le différend en cours. Lors de son passage à Washington, le Comité a appris que les provinces canadiennes adoptaient des points de vue divergents sur le différend, cette divergence étant au bénéfice des producteurs états-uniens de bois d’œuvre. Les New Brunswick Lumber Producers ont proposé que le gouvernement travaille de concert avec les producteurs canadiens de bois d’œuvre et leurs associations commerciales du secteur forestier, ainsi qu’avec « toutes les parties prenantes de chaque province » afin d’« élaborer une stratégie de négociation » pour un nouvel accord bilatéral.

Qui plus est, les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont fait remarquer que la ministre Ng a « tenu un certain nombre de tables rondes » avec les producteurs canadiens de bois d’œuvre « au cours des dernières années ». Ils ont cité en exemple la table ronde tenue le 9 mars 2023 sur « les tendances de l’industrie » et sur les répercussions du différend en cours sur les producteurs canadiens de bois d’œuvre.

Les New Brunswick Lumber Producers ont indiqué que, depuis l’automne 2022, se sont tenues deux tables rondes auxquelles la ministre Ng a participé, ainsi que des consultations « directes » du gouvernement du Canada avec les producteurs canadiens de bois d’œuvre et leurs associations sectorielles. L’entreprise Gorman Bros. Lumber a déclaré qu’elle « continuer[a] à travailler en étroite collaboration » avec la ministre Ng afin que les « produits [de bois d’œuvre] de grande valeur soient explicitement reconnus dans tout processus ou toute avancée à venir » en ce qui a trait aux droits antidumping et compensateurs des États-Unis.

Action gouvernementale : Fournir des soutiens fédéraux

Les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont fait ressortir que le gouvernement du Canada appuyait le secteur forestier du pays en « encourageant la diversification des marchés, en appuyant la gestion durable des forêts et en promouvant le rôle du secteur forestier dans la lutte contre les changements climatiques ». Ils ont ajouté que, « [g]ouvernement après gouvernement [du Canada], beaucoup d’argent et d’efforts ont été investis dans le développement de marchés étrangers » pour les produits canadiens de bois d’œuvre.

En ce qui a trait aux soutiens fédéraux destinés au secteur canadien du bois d’œuvre, les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont recensé les programmes administrés par Ressources naturelles Canada et par Affaires mondiales Canada. Ils ont toutefois dit qu’il fallait faire preuve de prudence avec un programme de soutien fédéral visant à payer les droits antidumping et compensateurs des États-Unis pour les producteurs canadiens de bois d’œuvre touchés par ces droits. Le paiement effectué dans le cadre du programme serait alors « pris en compte » lors de la prochaine révision administrative des ordonnances en matière de droits antidumping et de droits compensateurs par les États-Unis, et « il n’en résulterait que des droits plus élevés à l’avenir ».

Pour finir, les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont exprimé leur espoir que le différend en cours serait résolu, ce qui rendrait superflue une division du bois d’œuvre résineux. En ce qui concerne les 51 millions de dollars promis dans le budget fédéral de 2023 et affectés à la réponse d’Affaires mondiales Canada aux droits antidumping et compensateurs, ils ont expliqué que ces fonds ne serviront aucunement à financer « des programmes » ou « une campagne de sensibilisation » menée aux États-Unis.

Réflexions et recommandations du Comité

Comme le Comité l’a rapporté en juin 2016 et en octobre 2022, le secteur forestier du Canada contribue sensiblement au produit intérieur brut du pays, en plus de représenter un moteur important de l’activité économique dans certaines agglomérations et régions. Sa rentabilité est tributaire de son accès aux marchés étrangers, en particulier les États‑Unis. Les droits antidumping et compensateurs que les États-Unis imposent en ce moment sur certains produits canadiens de bois d’œuvre entraînent des effets considérables sur les deux pays. D’une part, ils entravent la prospérité du secteur du bois d’œuvre ainsi que sa capacité à effectuer des investissements et à créer des emplois au Canada. D’autre part, ils pourraient nuire à l’abordabilité des habitations aux États-Unis.

En général, une procédure de règlement des différends a pour mission de résoudre des litiges d’une façon juste, impartiale et rapide. Le Comité reconnaît que la paralysie affectant l’organe d’appel de l’OMC en ce moment de même que les retards, causés par les États-Unis, dans la nomination de membres qualifiés et impartiaux aux groupes spéciaux au titre du chapitre 19 de l’ALENA et du chapitre 10 de l’ACEUM ne font que prolonger le différend en cours sur le bois d’œuvre. Des décisions justes et rendues rapidement par les groupes spéciaux de l’OMC et les groupes binationaux impartiaux chargés du règlement des différends ont la force de favoriser la prospérité des producteurs canadiens de bois d’œuvre, en plus de permettre au gouvernement du Canada de consacrer ses ressources à d’autres priorités.

Un nouvel accord régissant le commerce canado-américain des produits de bois d’œuvre contribuerait à garantir au Canada un accès adéquat et stable au marché états-unien, sans compter qu’il amènerait les États‑Unis à rembourser aux producteurs canadiens de bois d’œuvre au moins une partie des sommes perçues par la voie des droits antidumping et compensateurs. Le Comité est bien conscient que les provinces et agglomérations, de même que certains producteurs de bois d’œuvre et leurs employés, ne partagent peut-être pas tous le même avis sur les dispositions à ajouter à un nouvel accord bilatéral ni les mêmes priorités.

Enfin, des entreprises et législateurs américains souhaitent, à l’instar du Canada, la levée, ou à tout le moins la réduction, des droits antidumping et compensateurs des États-Unis. Même si ces entreprises et individus ont peu de possibilités de participer directement à une procédure de règlement des différends, le Comité est convaincu qu’une collaboration entre le gouvernement du Canada et ces particuliers et secteurs états-uniens qui l’appuient améliorerait l’accès des producteurs canadiens de bois d’œuvre au marché américain; l’issue serait avantageuse pour les deux pays, notamment par la construction de logements davantage abordables pour la population états-unienne.

Dans le contexte de ce qui précède, le Comité recommande :

Recommandation 1

Que le gouvernement du Canada continue et renforce ses pourparlers avec le gouvernement des États-Unis au sujet des droits antidumping et compensateurs des États-Unis imposés en ce moment sur certains produits canadiens de bois d’œuvre. Les pourparlers devraient porter notamment sur les efforts à déployer pour que la procédure de règlement des différends, tant celle à l’Organisation mondiale du commerce que celles prévues par l’ALENA et l’ACEUM, demeure juste, impartiale et capable de rendre des décisions rapidement.

Recommandation 2

Que le gouvernement du Canada poursuive et intensifie sa collaboration avec des secteurs des États-Unis qui appuient la levée des droits antidumping et compensateurs actuellement imposés sur certains produits canadiens de bois d’œuvre. Dans le cadre de cette collaboration, le gouvernement devrait discuter des moyens pour défendre efficacement ses intérêts aux États‑Unis, et soutenir des mesures qui aideraient ces secteurs à davantage participer directement à la procédure de règlement des différends.

Recommandation 3

Que le gouvernement du Canada nomme un émissaire officiel du Canada pour le bois d’œuvre résineux qui serait chargé de dialoguer avec les responsables américains afin de soutenir les efforts du Canada visant à amener l’administration américaine à négocier un règlement du différend actuel sur le bois d’œuvre.

Recommandation 4

Que le gouvernement du Canada reconnaisse que la conclusion d’un accord commercial avec les États-Unis sur les produits de bois d’œuvre résineux ne pourra se faire, en fin de compte, que par le biais d’une négociation directe entre chefs de gouvernement. Les efforts pour parvenir à un règlement juste, raisonnable et durable du différend actuel sur le bois d’œuvre devraient être une priorité de haut niveau dans les relations avec le gouvernement américain, aux plus hautes sphères du pouvoir.

Recommandation 5

Que le gouvernement du Canada établisse une stratégie d’investissement dans les transformations à valeur ajoutée du bois au Canada.

Recommandation 6

Que le gouvernement du Canada fasse reconnaître les caractéristiques particulières du régime forestier québécois, qui — depuis l’adoption par le Québec en 2013 de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier — a mis en place un système axé sur le marché pour l’établissement du prix du bois et des produits connexes provenant des forêts publiques du Québec, et a permis de respecter pleinement les règles du libre-échange nord-américain.

Recommandation 7

Que le gouvernement du Canada prenne immédiatement des mesures pour s’assurer que les produits provenant de forêts privées du Canada ne sont pas soumis aux droits antidumping ou compensateurs des États-Unis.


[1]                  Les droits que les États-Unis imposent sur les importations du Canada sont payés par l’importateur officiel, à savoir la personne physique ou morale chargée de transmettre les documents de douane sur le produit importé. Le Service des délégués commerciaux du Canada a affirmé que l’importateur officiel peut être un exportateur ou son destinataire, l’acquéreur du produit importé ou le courtier en douane. En ce qui a trait aux produits de bois d’œuvre, Affaires mondiales Canada a indiqué que, dans la majorité des cas, l’exportateur canadien est enregistré à titre d’importateur officiel.

[2]                  Le titre de Mme Ng a été modifié le 26 juillet 2023 : elle est désormais « ministre de la Promotion des exportations, du Commerce international et du Développement économique ».