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PROC Rapport du Comité

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Question de privilège concernant la campagne d’intimidation contre le député de Wellington — Halton Hills et d’autres députés

 

Introduction

Le 10 mai 2023, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre (le Comité) a reçu l’ordre de renvoi suivant de la Chambre des communes :

Que l’outrage fondé de prime abord concernant la campagne d’intimidation orchestrée par Wei Zhao envers le député de Wellington—Halton Hills et d’autres députés soit renvoyé au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.

Le 16 mai 2023, le Comité a entrepris son étude. Le même jour, il a adopté une motion qui prévoyait entre autres que relativement à l’ordre de renvoi du 10 mai 2023, le Comité :

utilise, aux fins de la présente étude, les éléments de preuve reçus dans le cadre de son étude sur l’ingérence électorale étrangère, sans limiter les témoins qui peuvent être appelés à comparaître.

Par ailleurs, au cours de la réunion 87, qui s’est déroulée sur trois jours (26 septembre, 28 septembre et 5 octobre 2023), il a adopté une motion en vue d’élargir l’étude. Plus précisément, il a été convenu que le Comité :

élargisse la portée de cette étude, à la suite de la décision du Président du mercredi 31 mai 2023 et du témoignage de la greffière intérimaire de la Chambre le jeudi 8 juin 2023, pour inclure les questions soulevées à la Chambre par l’honorable Erin O’Toole le mardi 30 mai 2023[1].

Dans le cadre de cette étude, le Comité a entendu 35 témoins lors de 14 réunions. Il tient à remercier tous les témoins qui ont participé à cette étude, en particulier les personnes qui ont subi des manœuvres d’intimidation de la part d’États étrangers et qui, malgré le risque de représailles, ont partagé leur expérience et leurs vues.

Enfin, le Comité note que le gouvernement du Canada a institué, le 7 septembre 2023, la Commission d’enquête publique sur l’ingérence étrangère dans les processus électoraux et les institutions démocratiques fédéraux. Cette enquête sera dirigée par la juge Marie‑Josée Hogue, qui a été nommée commissaire[2]. Conformément aux décrets ayant établi la Commission et aux délais fixés pour la réalisation des travaux, la commissaire doit avoir accès à certains documents confidentiels du Cabinet, et la Commission doit déposer deux rapports : un rapport intérimaire avant le 3 mai 2024 et un rapport final d’ici le 31 décembre 2024.

Contexte

A. Décision rendue le 8 mai 2023 par la présidence concernant la question de privilège soulevée par l’honorable Michael Chong, C.P., député

Le 8 mai 2023, le Président de la Chambre des communes s’est prononcé sur la question de privilège soulevée par l’honorable Michael Chong, C.P., député de Wellington–Halton Hills à la Chambre le 2 mai 2023. Cette question concernait des allégations d’intimidation dont lui et sa famille auraient fait l’objet de la part du gouvernement de la République populaire de Chine (RPC)[3].

M. Chong a déclaré à la Chambre qu’il avait appris, en lisant un article publié dans le Globe and Mail le 1er mai 2023, que lui et sa famille avaient été la cible d’actes d’intimidation de la part de M. Wei Zhao, un diplomate représentant la RPC au Canada. Selon cet article, ces actes d’intimidation ont été commis en représailles à une motion que M. Chong avait proposée le 18 février 2021[4], laquelle demandait à la Chambre de reconnaître le génocide perpétré par le gouvernement de la RPC contre les Ouïghours et d’autres musulmans turciques vivant en Chine.

M. Chong a affirmé que les gestes allégués de M. Zhao étaient de l’intimidation à son égard, en tant que député, et de l’ingérence dans les délibérations parlementaires ce qui, selon lui, constituait des atteintes aux privilèges de la Chambre.

Dans sa décision, le Président a fait les trois remarques suivantes au sujet de la question de privilège soulevée par M. Chong :

  • M. Chong a soulevé sa question de privilège à un moment raisonnablement opportun.
  • L’argument selon lequel les actes d’intimidation présumés de M. Zhao n’ont pas été corroborés et se sont peut-être produits à l’extérieur du Canada était, selon le Président, sans importance pour conclure que la question était fondée de prime abord. Le Président a déterminé qu’à cette étape du processus, la question était suffisamment grave pour mériter d’être débattue de manière prioritaire.
  • Le droit des parlementaires canadiens d’exercer leurs fonctions parlementaires sans obstruction, ingérence, intimidation et brutalité est garanti par la Constitution et reconnu par un précédent de procédure à la Chambre.

Pour ces raisons, le Président a conclu qu’à son avis, la question soulevée par M. Chong était suffisamment grave pour qu’on en débatte en priorité, avant toute autre affaire parlementaire. Il a déclaré que le fait qu’une entité étrangère ait tenté d’intervenir dans le déroulement des travaux de la Chambre en usant de représailles contre un député et sa famille touche directement les privilèges et les immunités qui sous-tendent la capacité collective de la Chambre de remplir ses fonctions parlementaires sans entraves.

B. Décision rendue le 31 mai 2023 par la présidence concernant la question de privilège soulevée par l’honorable Erin O’Toole, C.P., député

Le 31 mai 2023, le Président s’est prononcé sur une question de privilège soulevée la veille à la Chambre par l’honorable Erin O’Toole, C.P. et député de Durham[5]. M. O’Toole a soutenu que des fonctionnaires et des agents de la RPC menaient une campagne contre lui depuis la 43e législature (décembre 2019 à août 2021) et encore aujourd’hui. Il a déclaré que sa question de privilège était distincte de celle soulevée par M. Chong, car la campagne de la RPC dans son cas ne s’en tenait pas à un seul incident (comme dans le cas de la motion d’opposition présentée le 18 février 2021). Il a ajouté que cette soi-disant campagne d’ingérence était si vaste qu’elle avait porté atteinte non seulement à ses privilèges, mais aussi à ceux de nombreux députés.

Dans sa décision, le Président a souligné l’extrême sérieux des points soulevés par M. O’Toole et a convenu qu’il fallait les examiner comme il se doit. Il a toutefois précisé que, dans l’affaire soulevée le 8 mai 2023, sa décision, à savoir qu’il s’agissait de prime abord une question de privilège, concernait des gestes posés par une « entité étrangère », et non une « personne en particulier », à l’endroit d’un député[6].

Pour cette raison, le Président a déclaré qu’à son avis, le Comité, ayant déjà été instruit de se pencher sur l’ingérence étrangère, était mieux placé pour tenir des discussions plus approfondies sur la question de privilège soulevée par M. O’Toole. Il a donc invité celui-ci, et tous les autres députés concernés, à présenter leurs observations au Comité dans le cadre de l’étude sur la campagne d’intimidation menée par la RPC contre certains députés[7].

C. Le privilège parlementaire au Canada et le droit des députés d’exercer leurs fonctions sans obstruction, ingérence, intimidation et brutalité

Le Parlement du Canada et les parlementaires jouissent de droits, d’immunités et de privilèges, désignés collectivement par le terme « privilège parlementaire », depuis des siècles dans la tradition parlementaire. Le privilège parlementaire existe pour donner à l’institution et à ses membres l’indépendance requise pour leur permettre de s’acquitter de leurs fonctions constitutionnelles sans entraves.

Au Canada, le privilège parlementaire est consacré par le préambule et l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, et réaffirmé à l’article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada. Grâce à ces instruments, les deux chambres du Parlement du Canada et leurs parlementaires ont revendiqué les privilèges parlementaires dont jouissaient les membres de la Chambre des communes du Royaume-Uni au moment de la Confédération, de même que d’autres privilèges ayant été établis depuis.

Il y a toute une liste reconnue de droits et d’immunités, en vertu du privilège parlementaire, que possède la Chambre à titre collectif et les députés à titre individuel. Entre autres, les députés ont le droit de s’acquitter librement de leurs fonctions parlementaires, sans faire l’objet de menaces, d’intimidation, d’ingérence ou d’autres formes d’obstruction.

Ce privilège a été clairement exprimé et réitéré par les autorités parlementaires. Selon La procédure et les usages de la Chambre des communes :

Les voies de fait, les menaces et les insultes à l’égard d’un député au cours des délibérations du Parlement, ou alors qu’il circule dans l’enceinte parlementaire, constituent une atteinte aux droits du Parlement. Toute forme d’intimidation envers un député en raison de ses agissements au cours des délibérations du Parlement peut être considérée comme un outrage[8].

D’après Le privilège parlementaire au Canada de Maingot :

Les députés ont le droit de se livrer à leurs activités parlementaires sans être dérangés. Les voies de fait, les menaces et les insultes à l’égard d’un député sur le parquet de la Chambre ou lorsqu’il se rend à la Chambre ou en revient, ou encore à cause de son attitude au cours des délibérations du Parlement, constituent une atteinte aux droits du Parlement. Toute forme d’intimidation […] envers quiconque en raison de son attitude au cours des délibérations du Parlement peut être considérée comme un outrage[9].

Bien qu’il existe une liste des droits et privilèges découlant du privilège parlementaire, il n’y a pas de liste exhaustive des cas d’outrage au Parlement. Par conséquent, la Chambre « peut considérer toute inconduite comme un outrage et la traiter en conséquence[10] ».

Parmi les décisions passées de la présidence, mentionnons, à titre d’exemple, celle rendue le 19 septembre 1973 par le Président Lamoureux, qui a affirmé à la Chambre des communes que « le privilège parlementaire comprend le droit pour un député de s’acquitter de ses fonctions de représentant élu sans avoir à subir aucune menace ou tentative d’intimidation[11] ».

Par ailleurs, la Chambre pourrait considérer comme un outrage toute manœuvre visant à influencer ou à entraver par des moyens inappropriés les députés dans l’exercice de fonctions directement liées à leur travail parlementaire. La décision sur ce qu’on entend par « moyens inappropriés » dépend des circonstances propres à chaque cas[12].

D. Rôle de différents organismes en matière d’ingérence étrangère

Le 30 janvier 2019, le gouvernement fédéral a annoncé un plan d’action ayant pour objectif de la sauvegarde des élections et institutions démocratiques canadiennes, et ce en prévision des élections générales d’octobre de la même année. Depuis cette date, certains aspects du plan ont fait l’objet d’évaluations, et des mesures ont été renouvelées ou modifiées en prévision des élections suivantes. Le plan d’action comprend quatre grands axes :

  • améliorer l’état de préparation des citoyens;
  • renforcer la préparation organisationnelle;
  • lutter contre l’ingérence étrangère;
  • bâtir un écosystème de l’information sain.

Le troisième de ces axes se décline notamment par :

  • la mise en place du Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignement visant les élections (le Groupe de travail), qui cherche à empêcher et prévenir l’influence sur le processus électoral d’activités « secrètes, clandestines ou criminelles »;
  • la mise en œuvre du mécanisme de réponse rapide du G7, une initiative ayant pour objectif de « renforcer la coordination à l’échelle du G7 pour déceler, prévenir et contrer les menaces » à l’encontre des processus démocratiques des différents membres;
  • la collaboration avec différents partenaires issus du milieu universitaire, de l’industrie et de la société civile afin de cerner les menaces étrangères aux processus électoraux.

Plusieurs organismes de sécurité et de renseignements se partagent les responsabilités en matière de menace à l’encontre les institutions démocratiques canadiennes. Le rôle et les activités des intervenants qui forment le Groupe de travail sont reproduits au tableau 1.

Tableau 1 — Rôles des partenaires du Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignements visant les élections

Partenaire

Mandat/Rôle

Activités

Centre de la sécurité des télécommunications (CST)

Sécurité de la technologie de l’information :

  • Fournir des conseils, de l’orientation et des services pour aider à assurer la protection de l’information électronique et des systèmes importants.

Renseignements étrangers :

  • Recueillir des renseignements étrangers destinés au gouvernement du Canada sur les auteurs de menaces.

Soutien au SCRS et à la GRC :

  • Fournir de l’assistance pour les opérations techniques.
  • Fournir des renseignements et des cyberévaluations sur les intentions, activités et capacités des auteurs étrangers de menaces.
  • Protéger les systèmes et les réseaux du gouvernement liés aux élections à l’aide de mesures de cyberdéfense.
  • Fournir des conseils et une orientation en matière de cybersécurité aux partis politiques, aux provinces et aux autres institutions qui contribuent aux processus démocratiques.

Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS)

Renseignements et réduction des menaces :

  • Recueillir des renseignements sur les activités influencées par l’étranger qui nuisent aux intérêts du Canada, sont clandestines ou trompeuses, ou représentent une menace pour quiconque.
  • Contrecarrer de telles activités par des mesures de réduction des menaces.

Évaluation des renseignements :

  • Fournir des conseils, des rapports de renseignement et des évaluations de renseignements au gouvernement du Canada sur les activités influencées par l’étranger.
  • Fournir des comptes rendus de menaces et des rapports de renseignement à Élections Canada et au commissaire aux élections fédérales.
  • Fournir aux décideurs du gouvernement du Canada une évaluation des méthodes et des capacités utilisées pour mener des activités hostiles à l’État.

Affaires mondiales Canada (AMC)

Mécanisme de réponse rapide du G7 :

  • Effectuer des recherches en libre accès sur les tendances et les données mondiales concernant les menaces pour la démocratie.
  • Établir des partenariats avec les pays du G7 afin d’échanger des renseignements et de coordonner les réponses aux menaces, au besoin.
  • Effectuer des recherches sur les campagnes de désinformation ciblant le Canada et menées par des acteurs étrangers.
  • Rendre compte des tendances, des mesures et des incidents mondiaux.
  • Coordonner l’attribution des incidents.

Gendarmerie royale du Canada (GRC)

Sécurité nationale :

  • Principale organisation chargée de prévenir, de détecter et de repousser les menaces criminelles liées à la sécurité nationale au Canada et d’y répondre.
  • Enquêter sur les actes criminels liés au terrorisme, à l’espionnage, aux cyberattaques et aux activités influencées par l’étranger.
  • Constituer, pour Élections Canada, le principal organe d’enquête si une activité criminelle est suspectée.
  • Enquêter sur toute activité criminelle visant à entraver ou à influencer les processus électoraux du Canada.
  • Travailler en étroite collaboration avec les organismes de renseignement, d’application de la loi et de réglementation.

Source : Tableau préparé par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de gouvernement du Canada, Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignements visant les élections.

E. Documents et autres points mentionnés dans le rapport du Comité

La présente section contient des explications au sujet de documents, rapports et points soulevés dans le cadre de l’étude et mentionnés dans le présent rapport.

Note de gestion des enjeux de mai 2021 du Service canadien du renseignement de sécurité : Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a établi une marche à suivre lui permettant de produire un certain type de document lorsqu’il observe une question de haute importance qui doit être portée à l’attention, à tout le moins, au ministère de la Sécurité publique et au Bureau du Conseil privé. Les témoins ont désigné ce document par le terme « note de gestion des enjeux ». Ces notes sont envoyées à des personnes travaillant pour le ministère visé, lesquelles peuvent accéder à la note, l’imprimer et la remettre à d’autres[13].

Selon le Premier rapport — Le très honorable David Johnston, Rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère, dans sa note de gestion des enjeux de mai 2021, le SCRS indiquait qu’il détenait des renseignements selon lesquels la RPC avait l’intention de cibler M. Chong et un autre député, de même que tout membre de leur famille en Chine. Le premier rapport signalait également que :

  • le SCRS souhaitait donner à M. Chong et à l’autre député un breffage sur la sécurité défensive;
  • la note avait été transmise au ministre de la Sécurité publique d’alors, son chef de cabinet et son sous-ministre, mais ni ministre ni chef de cabinet ne l’ont reçue;
  • La note ne visait qu’à informer le ministre, sans recommander d’intervention particulière ou demander d’instruction au ministre[14].

Évaluation du renseignement du 20 juillet 2021 du SCRS : Le SCRS produit des rapports qui contiennent une analyse du renseignement à sa disposition sur une question donnée, par opposition aux rapports contenant du renseignement brut[15]. Les témoins ont alors parlé d’« évaluations du renseignement ». Ces rapports sont transmis à des membres du personnel du ministère de la Sécurité publique, qui colligent l’information aux fins d’examen par le ministre. Or, il revient au personnel ministériel de décider des informations qui seront transmises à ce dernier[16].

En ce qui concerne l’évaluation du renseignement du SCRS datée du 20 juillet 2021, le Comité a entendu que ce document visait à sensibiliser les destinataires aux questions qui y étaient abordées et qu’il n’avait pas pour but de les inciter à prendre des mesures. En outre, aucun député n’était nommé dans l’évaluation[17].

Note de juin 2017 du Bureau du Conseil privé : Au sein du Bureau du Conseil privé (BCP), l’équipe du conseiller à la sécurité nationale et au renseignement rédige des notes de service lorsque « suffisamment d’éléments ont évolué, ce qui fait que le premier ministre doit en être informé ou que des recommandations doivent être formulées[18] ».

Le Comité a entendu que la note de service de juin 2017 du BCP avait été rédigée par Daniel Jean, qui était alors le conseiller à la sécurité nationale et au renseignement. Ce dernier se souvient l’avoir produite parce que son équipe était de plus en plus préoccupée par « toutes sortes d’activités d’ingérence étrangère » menées par la Chine. De plus, à ce moment, les élections américaines de 2016 venaient d’avoir lieu, et l’ingérence étrangère cybernétique était devenue un sujet brûlant[19].

Le Canada déclare Zhao Wei persona non grata[20] : Le 8 mai 2023, l’honorable Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères, a publié une déclaration pour signaler que Zhao Wei avait été déclaré persona non grata an Canada. La déclaration précisait que :

  • le Canada ne tolérerait aucune forme d’ingérence étrangère dans ses affaires internes;
  • les diplomates au Canada avaient été avertis que s’ils adoptaient ce type de comportement, ils seraient renvoyés chez eux;
  • la décision avait été prise à la suite d’un examen minutieux de tous les facteurs en jeu.

Témoignages

A. Témoignages des députés qui ont soulevé les questions de privilège

1.     Témoignage de l’honorable Michael Chong, C.P., député

a) Chronologie des événements selon M. Chong

M. Chong a indiqué au Comité que le 24 juin 2021, il avait été informé par le SCRS de l’existence d’activités d’ingérence étrangère dans le cadre d’une séance d’information de nature générale. Il a déclaré qu’il avait reçu à cette occasion des informations très utiles sur les tactiques employées par des régimes autoritaires, comme la RPC, et que tous les députés gagneraient à assister à une telle séance. Il a précisé qu’il n’avait alors pas été question de Wei Zhao, un agent consulaire de la RPC travaillant au Consulat général de la Chine à Toronto[21].

M. Chong a précisé qu’il avait rencontré le SCRS à trois reprises (le 5 août 2021, le 25 février 2022 et le 18 juillet 2022) dans les 13 mois suivant la séance d’information initiale afin de lui fournir de l’information sur les menaces ou activités connexes de la RPC dont il pensait avoir été la cible[22].

M. Chong a déclaré qu’il avait appris que M. Zhao recueillait de l’information sur sa famille et lui en lisant un article publié dans le Globe and Mail le 1er mai 2023. Selon cet article, M. Zhao rassemblait de l’information dans le but éventuel de sanctionner M. Chong et de faire pression sur lui et d’autres députés dans le contexte de débats qui avaient cours à la Chambre des communes[23].

Enfin, M. Chong a indiqué que David Vigneault, le directeur du SCRS, l’avait informé le 2 mai 2023 que M. Zhao s’employait à recueillir des renseignements à son sujet[24].

b) Répercussions de la campagne d’intimidation de la RPC sur le député

M. Chong a indiqué au Comité que les menaces et la campagne d’intimidation chinoises dont il avait été la cible avaient été éprouvantes pour sa famille et lui au Canada[25]. Il a toutefois ajouté qu’il ne voulait pas entrer dans les détails sur les menaces brandies contre lui au cours des dernières années.

En ce qui concerne les membres de sa famille vivant à Hong Kong, il a signalé qu’il avait décidé, il y a longtemps, de cesser de communiquer avec eux par excès de prudence, ajoutant que bien des Canadiens ayant de la famille dans des États autoritaires vivent des situations semblables. Il a d’ailleurs souligné qu’il n’était que l’un des nombreux Canadiens qui étaient menacés en sol canadien par des personnes agissant au nom de gouvernements autoritaires et qui cachaient leurs souffrances[26]. Il a déclaré que, pendant trop longtemps, le gouvernement canadien n’a pas agi pour défendre ces Canadiens.

Il a indiqué qu’il espère que la campagne d’intimidation menée contre lui débouchera sur de véritables changements et que l’on renforcera les services canadiens de sécurité nationale et de renseignement afin de mieux protéger nos citoyens et nos institutions.

c) Observations au sujet du système canadien de sécurité nationale et de renseignement

Dans le cadre de son témoignage, M. Chong a partagé avec le Comité ses vues sur différents sujets liés au fonctionnement du système canadien de sécurité nationale et de renseignement.

Selon M. Chong, la divulgation non autorisée de renseignements aux médias porte atteinte à la sécurité nationale et érode la confiance des alliés du Groupe des cinq[27] à l’égard des services de renseignement canadiens.

Toujours d’après lui, ce genre de fuites ne se produirait pas si le système de sécurité nationale et de renseignement fonctionnait comme il se doit. M. Chong a reproché au gouvernement canadien de ne pas communiquer des informations en temps opportun et de manière contrôlée au Parlement et à ses comités[28]. Il a fait remarquer qu’au Royaume‑Uni et aux États-Unis, les législateurs reçoivent depuis longtemps des responsables de la sécurité des séances d’information sur des questions délicates liées à la sécurité nationale et au renseignement. Il a souligné que les législateurs utilisent et communiquent ces informations de manière responsable et efficace.

M. Chong était d’avis que le chef du gouvernement (c’est-à-dire le très honorable Justin Trudeau) est l’unique responsable des échecs du système canadien de sécurité nationale et de renseignement, expliquant que le document du Conseil privé intitulé Pour un gouvernement ouvert et responsable précise que la responsabilité de l’appareil gouvernemental incombe strictement au premier ministre.

M. Chong a soutenu que si M. Trudeau n’était pas courant du dossier, c’est parce qu’il y a une défaillance au sein de l’appareil gouvernemental dont le premier ministre est responsable. Il considérait comme inexplicable que le gouvernement ait eu cette information et qu’il n’ait pas agi[29].

En ce qui a trait aux produits de renseignement préparés par le SCRS, M. Chong a indiqué que, d’après ce qu’il avait compris, l’agence transmet ces documents à 17 points de contact en matière de sécurité nationale au sein des divers ministères et organismes fédéraux, dont le BCP. Il a informé le Comité qu’il existe un système permettant de faire le suivi de la transmission de ces documents[30]. À son avis, il est important de vérifier à quel ministère ou organisme l’évaluation du renseignement du SCRS datée du 20 juillet 2021 a été communiquée afin de déterminer où il y a des problèmes systémiques et de les régler.

Parlant de M. Zhao, M. Chong a mentionné que l’article du Globe and Mail précisait que le SCRS avait « déjà un important dossier de renseignement sur lui » à son arrivée au Canada en 2018[31] et qu’Affaires mondiales Canada savait depuis trois ans que M. Zhao ciblait M. Chong de même que d’autres députés.

M. Chong a affirmé que le gouvernement doit utiliser tous les outils à sa disposition pour combattre l’ingérence étrangère, soulignant que l’expulsion d’un seul diplomate est « inutile » vu l’étendue du problème[32]. Il a fait remarquer que les alliés démocratiques du Canada sont beaucoup plus disposés à expulser les diplomates d’États autoritaires qui se livrent à des activités incompatibles avec leur statut diplomatique ou consulaire.

d) Ingérence étrangère lors d’élections fédérales ou provinciales antérieures

En réponse à une question au sujet de l’ingérence étrangère durant le mandat du très honorable Stephen Harper, M. Chong a fait part au Comité de ses souvenirs de l’ingérence étrangère lors d’élections canadiennes passées. Il a dit se rappeler qu’à l’ère de Harper, le SCRS avait été autorisé à transmettre de l’information sur les menaces d’ingérence étrangère aux gouvernements de Dalton McGuinty et de Kathleen Wynne en Ontario[33].

M. Chong a aussi fait observer que l’information sur l’ingérence étrangère provenant de Richard Fadden, le conseiller en matière de sécurité nationale à ce moment, aurait dû être transmise au premier ministre, mais qu’il savait que « des mesures ont été prises à la suite de cette ingérence étrangère, qui a suscité une certaine controverse à l’époque[34] ».

Par ailleurs, selon M. Chong, la nature même de la RPC a profondément changé lorsque le président Xi Jinping a entamé un deuxième mandat (mars 2018). M. Chong a déclaré ce qui suit à ce sujet :

C’est à ce moment‑là que ses actions sont devenues beaucoup plus claires. Il est devenu évident qu’il s’agissait d’un état beaucoup plus autoritaire ayant recours à des activités de menace d’ingérence étrangère pour promulguer son modèle de gouvernance autoritaire à l’étranger et défendre ses intérêts[35].
e) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

M. Chong a présenté au Comité les recommandations suivantes[36] :

  • Que M. Zhao soit censuré par la Chambre des communes pour avoir mené des activités d’ingérence étrangère contre un parlementaire canadien.
  • Que le Comité obtienne les documents et les dossiers de suivi relatifs à l’évaluation du renseignement du SCRS du 20 juillet 2021 intitulée People’s Republic of China Foreign Interference in Canada : A Critical National Security Threat.
  • Que le SCRS informe directement et de façon détaillée les députés concernés de toute activité d’ingérence étrangère précise dirigée contre eux et leur famille, notamment de l’identité des personnes impliquées dans l’activité en question.
  • Que le SCRS informe le Président de la Chambre des communes de l’identité de quiconque au Canada est mêlé à des activités d’ingérence étrangère dirigées contre des députés et leur famille afin que le Président puisse divulguer l’identité de ces individus à tous les députés de la Chambre. M. Chong a souligné qu’en 2022, le Président de la Chambre des communes du Royaume-Uni a reçu du MI5 de l’information au sujet d’une agente de la RPC qui s’adonnait à des activités d’ingérence étrangère et qu’il avait informé par courriel tous les députés au sujet de cet individu.
  • Que le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (CPSNR) devienne un comité mixte, comme il en existe au Royaume-Uni et aux États-Unis.
  • Que le gouvernement adopte une loi établissant un registre des agents étrangers.
  • Que le gouvernement s’engage à mener une enquête publique sur les activités d’ingérence étrangère de la RPC.
  • Que le gouvernement entreprenne dès que possible un examen relatif à la sécurité nationale.

M. Chong a également signalé que les définitions d’ingérence étrangère dans la Loi sur la protection de l’information et la Loi sur le Service canadien de renseignement (Loi sur le SCRS) étaient différentes et qu’il fallait les harmoniser. Dans la même veine, il a expliqué que la définition de ce terme variait au sein de la communauté du renseignement et qu’il faudrait l’arrimer à celle utilisée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC)

Enfin, M. Chong a ajouté qu’il faut veiller à ce que la GRC dispose des ressources dont elle a besoin pour porter des accusations dans les affaires d’ingérence étrangère et d’espionnage. À son avis, une multitude de mesures auraient dû être prises par le passé pour protéger les Canadiens de l’ingérence étrangère et de l’espionnage[37].

2.     Témoignage de l’honorable Erin O’Toole, C.P., ancien député

a) Définir les menaces d’ingérence étrangère et comprendre les motifs

L’honorable Erin O’Toole, chef du Parti conservateur du Canada (PCC) d’août 2020 à février 2022 et ancien député de Durham, a utilisé la définition d’ingérence étrangère donnée par Richard Fadden, l’ancien directeur du SCRS, lors de sa comparution devant un comité parlementaire en 2010, soit une tentative par des agents d’un État étranger d’influer sur l’opinion, les points de vue et les décisions des Canadiens dans le but d’obtenir un avantage politique, stratégique ou économique[38].

Observant que le Canada est un pays diversifié et libre, M. O’Toole a dit craindre que la diversité et les libertés au Canada puissent « être retournées contre nous en cette époque sans précédent de perturbations, de désinformation et de réalignement géopolitique[39] ». À son avis, le Canada doit adopter une approche non partisane pour lutter contre l’ingérence étrangère.

b) Menaces et campagne d’intimidation contre M. O’Toole

M. O’Toole a informé le Comité des quatre types de menaces dirigées par la RPC contre lui qu’avait relevées le SCRS. Il a ajouté qu’il n’irait pas dans les détails pour ne pas divulguer des éléments pouvant nuire aux opérations canadiennes de collecte du renseignement. Ces menaces sont[40] :

  • le financement étranger destiné à saper ses perspectives électorales et celles du PCC, dont il était le chef;
  • l’utilisation de personnes sur le terrain au Canada par l’intermédiaire du Département du travail du Front uni;
  • l’utilisation de messages sur les médias sociaux contrôlés et dirigés par des étrangers pour diffuser de la désinformation auprès des électeurs canadiens sur des canaux en langue étrangère, comme WeChat;
  • les efforts de suppression de vote par la Chine dans une circonscription du Canada.

M. O’Toole a affirmé qu’il avait été une cible de la RPC, précisant que ce terme peut également désigner l’observation et la surveillance, et non seulement des actions plus agressives. Selon lui, toute forme de ciblage est préoccupante. On l’a également informé qu’il continuera d’être ciblé par ce pays en raison des préoccupations qu’il a soulevées au sujet du régime de Pékin.

Lorsqu’on lui a demandé si le fait d’être ciblé par la RPC avait miné sa capacité de s’acquitter de ses fonctions parlementaires, M. O’Toole a répondu qu’il est important que tout député soit libre de s’exprimer sans limites[41]. Il a affirmé que tout député :

mérite de pouvoir prendre lui-même la décision d’exercer ou non son privilège de député […] je m’efforçais toujours de faire passer le bien public et ce qui était dans l’intérêt supérieur du Canada en premier. Je pense que chaque député a le droit de prendre cette décision. S’il existe un dossier concernant un député, je pense que c’est une atteinte à son privilège qu’il n’en soit pas informé au moment où le ministre responsable en prend connaissance[42].
c) Observations au sujet du système canadien de sécurité nationale et de renseignement

M. O’Toole a présenté au Comité ses vues sur différents aspects du système et du milieu de la sécurité et du renseignement au Canada :

  • Le fait que ni lui, ni M. Chong ou Jenny Kwan, députée de Vancouver-Est, n’aient été informés des menaces constitue une défaillance de l’appareil gouvernemental et « l’un des pires manquements à l’obligation de rendre des comptes en ce qui concerne les renseignements sensibles relatifs aux députés » dont il a eu connaissance[43].
  • M. O’Toole aimerait que le premier ministre Trudeau « assume davantage de responsabilités » pour cette défaillance. Il estimait que ce dernier aurait dû réagir au comportement plus agressif affiché par la RPC après 2017. Selon lui, les Canadiens devraient être inquiets de n’apprendre que des années plus tard ce dont M. Trudeau devait avoir été informé[44].
  • À son avis, le Rapport sur l’évaluation du Protocole public en cas d’incident électoral majeur pour 2021 comportait de nombreuses lacunes, ce qui en fait « un échec colossal ». Entre autres, le fait que son auteur, Morris Rosenberg, n’ait pas parlé lui-même avec les deux personnes désignées ayant fait l’objet d’un contrôle de sécurité, ainsi qu’avec Kenny Chiu, l’ancien député de Steveston—Richmond Est, « rend son rapport totalement incomplet, au point de constituer une négligence professionnelle », à son avis. M. O’Toole jugeait également très suspect que l’on ait publié ce rapport moins de deux semaines après la parution de l’article sur l’ingérence étrangère dans le Globe and Mail[45].
  • Il faudrait examiner la conduite du groupe des cinq hauts fonctionnaires, car les incidents d’ingérence étrangère survenus en 2019 atteignaient, selon M. O’Toole, le seuil permettant d’informer, au début des élections de 2021, les partis qu’il y avait des risques au sein de l’environnement. Selon M. O’Toole, c’était une erreur de ne pas informer les partis. Il a affirmé que lui et le PCC ont été amenés à croire qu’il n’y avait pas eu de problèmes graves avec les élections générales de 2019[46]. Il a également signalé que l’on avait fait fi des préoccupations que lui et son parti avaient soulevées auprès des responsables de la sécurité et du renseignement[47].
  • Jody Thomas, conseillère à la sécurité nationale et au renseignement, a affirmé « qu’on avait bien répondu aux préoccupations de [son] parti, mais c’est faux. Elle ne nous a jamais envoyé la lettre[48]. »
  • M. Blair, qu’il décrit comme un « des ministres importants », « ne vérifi[ait] pas [ses] courriels, ne lis[ait] pas les bulletins de renseignement[49] ».
  • Le rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère, le très honorable David Johnston, une personne pour laquelle M. O’Toole a beaucoup de respect, l’a « profondément déçu ». M. O’Toole a déclaré qu’il avait appris, lors de sa rencontre avec M. Johnston, que le projet de rapport était à l’étape de la traduction, ce qui lui a donné l’impression que cette rencontre n’était « qu’une case à cocher sur une liste ». Il a ajouté que selon lui, M. Johnston n’avait reçu qu’une partie du renseignement et que les conclusions du rapport étaient prédéterminées[50].
d) Observations concernant la République populaire de Chine

M. O’Toole a affirmé que les relations du Canada avec la Chine ont

toujours constitué un défi pour les gouvernements libéraux et conservateurs. En effet, ce pays présentait des opportunités économiques très importantes, ce qui signifiait que l’on risquait de ne pas tenir compte de certains comportements de la Chine à l’intérieur et à l’extérieur du pays[51].

Il a utilisé la métaphore de la grenouille dans la marmite pour décrire le Canada : de multiples gouvernements des deux factions n’ont pas tenu compte des avertissements des services canadiens du renseignement, qui disaient que l’eau en provenance de la Chine devenait chaude. Selon M. O’Toole, le Canada a commencé à sentir la soupe chaude au cours des dernières années.

M. O’Toole a rappelé que durant sa première année comme député, il avait parlé pour la première fois de la Chine lors d’un débat sur les produits de contrefaçon. Il avait alors déclaré que tous les partis politiques étaient au courant des risques liés à la Chine, mais que l’on accordait la priorité aux relations économiques avec ce pays[52].

Il a déclaré que son approche en ce qui concerne les relations du Canada avec la RPC a toujours été sérieuse et non partisane, comme le démontre la motion qu’il a présentée en 2019 en vue de la création d’un comité spécial sur les relations sino-canadiennes. Pour lui, cette motion visait à plaider pour que l’on fasse une pause et que l’on redéfinisse les intérêts et les valeurs de notre pays relativement à ses relations avec la Chine. Il a dit que cette motion « était le fruit de nombreuses années de questions sur la façon dont le premier ministre Trudeau avait géré cette relation[53] ».

e) Enquête publique sur l’ingérence étrangère

M. O’Toole a indiqué au Comité qu’il souhaitait soulever certaines questions que pourrait examiner la juge Marie-Josée Hogue, qui a été chargée de diriger une enquête publique sur l’ingérence étrangère. Voici ces questions[54] :

  • Si le SCRS avait signalé des préoccupations concernant un haut fonctionnaire élu du Parti libéral de l’Ontario en 2010, pourquoi a‑t‑il fallu quatre mois au ministre Blair pour approuver un mandat du SCRS à l’égard de cette personne en 2021?
  • Pourquoi M. Rosenberg, le responsable choisi par le premier ministre et le Bureau du Conseil privé pour effectuer une évaluation du Protocole public en cas d’incident électoral majeur, n’a‑t‑il pas interrogé le chef du Parti conservateur ou son président de campagne, qui était son représentant désigné et possédait une cote de sécurité?
  • Qui a pris la décision de déclarer qu’il n’y avait pas de raison significative de s’inquiéter pour les élections de 2021? La question se pose puisque le public sait maintenant que des rapports des services de renseignement ont été produits sur le financement clandestin des élections de 2019 par la Chine; que de nombreux renseignements ont été communiqués à M. Trudeau en 2021; qu’il existait une évaluation de la menace concernant un fonctionnaire de l’ambassade de Chine et la famille de Michael Chong juste avant l’élection de 2021; que d’autres députés ont été ciblés et que le Secrétariat du CPSNR l’avait signalé en 2019.
f) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

M. O’Toole a recommandé au Comité plusieurs mesures pour combattre l’ingérence étrangère, soit[55] :

  • créer un registre des agents étrangers, comme l’ont fait les alliés du Canada;
  • établir un mécanisme pour communiquer aux députés les risques d’ingérence étrangère;
  • faire en sorte qu’il y ait un mécanisme pour signaler les menaces à l’endroit de parlementaires canadiens émanant d’États étrangers, pour les informer de ces menaces, les outiller et les protéger.

B. Témoignage de membres du Cabinet

1.     Témoignage de l’honorable Bill Blair, C.P., député, ministre de la Protection civile

L’honorable Bill Blair, C.P., député et ministre de la Protection civile d’octobre 2021 à juillet 2023, a comparu à deux reprises devant le Comité dans le cadre de la présente étude : la première fois le 1er juin 2023 en tant que ministre de la Protection civile, et la deuxième, le 23 octobre 2023, à titre de ministre de la Défense nationale.

a) Observations liées à la question de privilège touchant la campagne d’intimidation contre le député de Wellington—Halton Hills et d’autres députés

Lors de sa première comparution, M. Blair a souligné qu’à son avis, aucun parlementaire et aucun membre de sa famille ne devrait être menacé pour avoir défendu ses croyances[56].

Il a expliqué qu’il avait eu vent pour la première fois des menaces contre M. Chong en lisant l’article publié par le Globe and Mail le 1er mai 2023[57]. Il a soutenu que s’il avait été informé d’une menace à l’endroit d’un parlementaire, il aurait rapidement renvoyé l’affaire aux autorités policières[58].

M. Blair a indiqué que le SCRS avait exprimé des inquiétudes au sujet de l’ingérence étrangère à l’endroit de députés[59]. Il a discuté à plusieurs reprises de la question avec le directeur du SCRS, et de façon particulière des activités de la RPC, mais il n’a jamais reçu d’information indiquant qu’un député en particulier était ciblé[60]. Lorsqu’il a pris connaissance de l’existence possible de menaces d’ingérence étrangère, il a demandé au SCRS de tenir des séances d’information avec les parlementaires visés[61].

M. Blair a expliqué que le SCRS ne communiquait pas par courriel avec lui ou le personnel de son bureau. Le Service lui transmettait des informations en personne dans des locaux sécurisés, ou encore l’information lui était envoyée sur un terminal sécurisé[62]. Cette information était alors imprimée et remise à M. Blair[63].

M. Blair a déclaré qu’il n’avait jamais vu la note de l’Unité de gestion des enjeux de mai 2021 portant sur les menaces touchant M. Chong et sa famille[64]. D’après ce qu’il a compris, le SCRS avait permis qu’on lui transmette cette note, mais lui-même ne l’a jamais reçue. M. Blair a ajouté que le SCRS n’a jamais tenu de séance d’information à ce sujet[65]. Il a dit au Comité que s’il avait été informé de la menace à l’endroit de M. Chong, ou de n’importe quel député, il aurait communiqué avec les services de police et pris des mesures pour assurer leur protection[66].

Lors de sa deuxième comparution, M. Blair a réitéré en grande partie ce qu’il avait dit la première fois devant le Comité. Plus précisément, il a déclaré sans équivoque qu’il n’avait jamais vu la note de gestion des enjeux portant sur les menaces touchant M. Chong qui avait été envoyée au terminal sécurisé. Il a précisé que ni lui, ni aucun de ses employés, n’ont les justificatifs de connexion pour accéder à ce terminal, qui se trouve dans un bureau du ministère de la Sécurité publique[67]. Enfin, il a souligné que ni le SCRS ni le ministère de la Sécurité publique n’avaient pris des mesures pour l’informer de cette note[68].

b) Observations au sujet du système canadien de sécurité nationale et de renseignement

Lors de sa première comparution, M. Blair a expliqué que le renseignement peut prendre diverses formes. Il a noté que le SCRS est chargé de recueillir le renseignement, d’en déterminer la crédibilité et de décider si le gouvernement doit prendre des mesures en conséquence[69]. M. Blair a signalé qu’il ne peut agir que sur la base des informations qui lui sont communiquées[70].

Selon M. Blair, bien que la transparence soit très importante au sein du système du renseignement, il n’est pas toujours possible de l’assurer si l’on veut protéger l’information et les gens[71].

Peu après la nomination de M. Blair au poste de ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, la pandémie de COVID-19 a frappé. M. Blair a expliqué que dans les années qui ont suivi « [l]es activités des acteurs étrangers malveillants qui tentent de s’ingérer dans les intérêts nationaux du Canada se sont accrues[72] ».

M. Blair a eu à répondre à des questions au sujet de reportages indiquant qu’il avait pris quatre mois pour approuver le mandat présenté par le SCRS pour surveiller Michael Chan, ancien membre de l’Assemblée législative de l’Ontario. Il a expliqué qu’il avait prêté le serment de ne pas discuter des détails de ces processus, ajoutant toutefois que ces informations étaient foncièrement incorrectes[73].

Lors de sa deuxième comparution, M. Blair a souligné que le système canadien du renseignement recueille et détient une vaste quantité d’informations[74]. À son avis, le rôle de l’agent du renseignement est d’évaluer la crédibilité de la source, puis de déterminer ce qui se passe afin d’éclairer les décideurs quant aux mesures à prendre[75].

c) Mesures prises pour neutraliser les menaces d’ingérence étrangère touchant les processus démocratiques

Lors de sa première comparution, M. Blair a exposé certains des efforts déployés par le gouvernement pour combattre l’ingérence étrangère, y compris les suivantes :

  • La création du CPSNR afin de fournir aux parlementaires un aperçu des renseignements reçus et des mesures prises en conséquence[76].
  • Dans le budget de 2023, l’affectation de 48,9 millions de dollars à la GRC pour renforcer la capacité de l’organisme de protéger les Canadiens contre les acteurs hostiles[77].
  • Dans le budget de 2023, l’affectation de 13,5 millions de dollars en vue de l’établissement du Bureau national de lutte contre l’ingérence étrangère à Sécurité publique Canada[78].
  • La tenue de consultations sur la création d’un registre visant à assurer la transparence en matière d’ingérence étrangère[79].

De plus, en décembre 2020, M. Blair a envoyé à tous les parlementaires une lettre dans laquelle il décrivait les pratiques d’ingérence étrangère de la RPC. Cette lettre a également été déposée devant le Parlement et affichée en ligne (voir annexe A)[80].

Lors de sa deuxième comparution, M. Blair a signalé au Comité que le premier ministre avait créé, depuis son témoignage précédent, un nouveau comité du Cabinet, appelé Conseil de la sécurité nationale, qui sera régulièrement informé de documents très secrets et confidentiels[81].

d) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

Lors de sa première comparution, M. Blair a fait remarquer que la Loi sur le SCRS, qui remonte à 1984, doit être modernisée pour tenir compte des enjeux nouveaux et émergents[82]. De plus, dans son témoignage du 24 octobre 2023, il a déclaré qu’il serait avantageux pour le Canada d’avoir un registre des agents étrangers et que cette mesure aiderait à protéger les intérêts du pays[83].

2.     Témoignage de l’honorable Marco Mendicino, C.P., député, ministre de la Sécurité publique d’alors

a) Définir les menaces d’ingérence étrangère et comprendre les motifs

Dans son mot d’ouverture, l’honorable Marco Mendicino, C.P., député, et ministre de la Sécurité publique d’octobre 2021 à juillet 2023, a indiqué au Comité que les acteurs hostiles, comme la Fédération de Russie, la RPC et la République islamique d’Iran, continuent de chercher à porter atteinte aux intérêts nationaux et à menacer la sécurité de notre pays.

b) Mesures prises pour neutraliser les menaces d’ingérence étrangère touchant les processus démocratiques

M. Mendicino a informé le Comité que le gouvernement avait en place un plan pour combattre l’ingérence étrangère et que ce plan repose sur quatre piliers : la prévention, la protection, la rigueur et la transparence[84].

En ce qui concerne la prévention, M. Mendicino a attiré l’attention du Comité sur l’Initiative de citoyen numérique, un programme qui « vise à renforcer la démocratie et l’inclusion sociale au Canada en développant la résilience des citoyens quant à l’ingérence étrangère et à la désinformation en ligne, ainsi qu’en établissant des partenariats pour soutenir un écosystème d’information sain[85] ». Il a signalé que, dans le cadre de ce programme, le Système canadien des médias numériques mène des activités pour aider les Canadiens à devenir plus résilients et à cultiver leur pensée critique concernant les informations qu’ils consomment en ligne. Il a aussi indiqué qu’en 2020, l’honorable Bill Blair, dans son rôle de ministre de la Sécurité publique, avait envoyé une lettre à tous les parlementaires pour leur transmettre des renseignements et des ressources utiles, ajoutant que le SCRS continue d’offrir des séances d’information aux parlementaires.

Pour ce qui est de la protection, M. Mendicino a mentionné qu’un montant additionnel de 48,9 millions de dollars avait été injecté dans le budget de la GRC en vue « de protéger les Canadiens contre le harcèlement et l’intimidation de la part d’acteurs étrangers, d’accroître la capacité d’enquête et d’appuyer de façon proactive les communautés qui courent le plus grand risque d’être ciblées ». Il a ajouté que son ministère travaillait avec le sergent d’armes et le Service de protection parlementaire (SPP) en vue d’accroître la sécurité des parlementaires et de leur personnel et qu’il avait récemment créé un nouveau poste, celui de coordonnateur national de la lutte contre l’ingérence étrangère.

Au sujet de la rigueur envers les acteurs hostiles, M. Mendicino a signalé que la GRC avait fermé tous les postes de police illégaux de la RPC en territoire canadien et avait lancé une centaine d’enquêtes sur ces activités. Il a aussi rappelé au Comité que l’honorable Mélanie Joly, C.P., députée et ministre des Affaires étrangères, avait expulsé M. Zhao du Canada et que ce ministère « appliquait un régime de sanctions rigoureuses contre le régime iranien[86] ». Enfin, il a indiqué que le gouvernement cherchait à créer un régime de transparence des influences étrangères.

En ce qui a trait à la transparence, M. Mendicino a rappelé que son ministère avait créé le poste de coordonnateur national de la lutte contre l’ingérence étrangère et qu’il s’efforçait de mettre en place un régime de transparence des influences étrangères. Il a aussi souligné les efforts du CPSNR et de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (OSSNR), ainsi que le travail accompli par le très honorable David Johnston, rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère, dans son premier rapport. Selon M. Mendicino, « l’ouverture sans précédent de notre gouvernement et de nos organismes de sécurité nationale sur les menaces auxquelles nous sommes confrontés est la meilleure façon de protéger et de renforcer notre démocratie[87] ».

c) Postes de police étrangers illégaux au Canada et de gestion des enjeux du SCRS datée de mai 2021

Lors de la comparution de M. Mendicino, des membres du Comité ont soulevé deux points distincts : les déclarations qu’il avait faites précédemment au sujet des postes de police étrangers en territoire canadien et la mémoire de gestion des enjeux produite par le SCRS en mai 2021.

Lors de sa comparution du 27 avril 2023 devant le Comité, M. Mendicino a soutenu que tous les postes de police illégaux que la RPC avait ouverts au Canada étaient maintenant fermés. Or, selon certains membres du Comité, des témoignages ultérieurs contredisaient cette affirmation. À leur avis, la déclaration du ministre était inexacte et incomplète.

En guise de réponse, M. Mendicino a affirmé que « ses propos devant le Comité étaient justes » et que la « GRC s’est exprimée de façon claire et cohérente sur les activités étrangères liées aux soi-disant postes de police[88] ». Il a par ailleurs reconnu que ces activités de la RPC avaient mis à jour des problèmes et qu’il avait fallu renforcer les protocoles de lutte contre l’ingérence étrangère[89]. Il a fait observer que la GRC fait face à un défi lorsqu’il s’agit de distinguer entre les activités légitimes et les éventuels actes d’ingérence étrangère. À ce sujet, il a noté que la RPC déploie une vaste gamme de tactiques en matière d’ingérence étrangère, non seulement en passant par ces présumés postes de police, mais aussi en ciblant notre économie, nos universités et nos institutions démocratiques[90].

Les membres du Comité ont également interrogé M. Mendicino sur le fait que ni lui, ni ses prédécesseurs n’avaient pas reçu la note de gestion des enjeux de mai 2021 que le SCRS avait envoyée au sous‑ministre de la Sécurité publique. Celui-ci a répondu en disant que son ministère avait « réglé cette question au moyen de la directive ministérielle, qui exige que le SCRS informe directement moi-même et le premier ministre lorsqu’il y a ingérence étrangère auprès des parlementaires[91] ».

d) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

Lors de sa comparution, M. Mendicino a présenté aux membres du Comité des suggestions en vue de renforcer la capacité du Canada de lutter contre l’ingérence étrangère, y compris les suivantes[92] :

  • Présenter un projet de loi créant un nouveau registre des agents étrangers le plus tôt possible.
  • Renforcer la gouvernance interne en ce qui concerne l’échange d’information et du renseignement.
  • Étudier un moyen législatif, plus particulièrement par l’entremise de la Loi sur la preuve au Canada, de convertir le renseignement en élément de preuve. À ce sujet, il a signalé que des dispositions de cette loi permettent d’intenter des poursuites « au cours desquelles les juges ont accès à des renseignements classifiés et rendent des décisions en fonction des privilèges que le gouvernement peut invoquer pour protéger la sécurité nationale et les personnes qui travaillent au sein de ces institutions. Ces éléments de preuve ont la pertinence et la probité nécessaires pour ensuite être utilisés dans le cadre d’audiences publiques. »
  • Dialoguer directement avec les diasporas dans le cadre de forums tels que le Groupe sur la transparence de la sécurité nationale et la Table ronde transculturelle sur la sécurité.
  • Travailler en étroite collaboration avec le SCRS afin d’apporter un soutien supplémentaire aux parlementaires et à leurs bureaux en ce qui a trait à l’ingérence étrangère. À ce propos, il a fait remarquer qu’en 2022, le SCRS avait fourni des renseignements à 49 parlementaires fédéraux pour les aider à se protéger. Il a d’ailleurs ajouté que ce genre d’informations sera mis à la disposition des candidats durant les élections.

C. Le très honorable David Johnston, rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère

1.     Premier rapport — le très honorable David Johnston, rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère

M. Johnston a présenté au Comité une vue d’ensemble des observations contenues dans son premier rapport sur l’ingérence étrangère dans les élections et a répondu à des questions sur le contenu et les conclusions de ce rapport.

M. Johnston a indiqué qu’il avait produit son rapport après avoir étudié avec soin pendant huit semaines des documents de niveau très secret et avoir mené des entrevues auprès d’élus et de hauts fonctionnaires responsables du renseignement et de la sécurité. Il conclut, dans ce rapport, que des gouvernements étrangers, y compris la RPC, « travaillent de façon hostile et clandestine pour miner notre démocratie[93] ».

De plus, le rapport expose de graves lacunes au sein des systèmes canadiens lorsqu’il s’agit de combattre l’ingérence étrangère. Il précise que ces systèmes doivent être examinés et révisés en profondeur. Plus particulièrement, il faut mieux savoir comment procéder lorsqu’un renseignement est considéré comme signe d’une menace. M. Johnston a déclaré que le système actuel « ne trait[e] tout simplement pas l’information aussi efficacement que nous devrions le faire[94] ».

M. Johnston a indiqué que le rapport présente ce qui pouvait être rendu « public », tout en respectant pleinement la confidentialité des renseignements classifiés, précisant qu’il est accompagné d’une annexe qui explique certains des renseignements classifiés qui lui ont permis de tirer ses conclusions. Cette annexe a été transmise à l’OSSNR et au CPSNR[95]. Les chefs des partis représentés à la Chambre ont également été invités à parcourir cette annexe, pourvu qu’ils obtiennent la cote de sécurité nécessaire. M. Johnston a indiqué que ce second regard sur l’annexe a pour but de permettre à d’autres de vérifier s’il s’est trompé dans ses conclusions et s’il avait commis une erreur en n’évaluant pas la responsabilité où elle se trouve[96].

M. Johnston a encouragé les membres du Comité à lire le rapport et à se concentrer sur ses conclusions, à savoir l’ingérence manifeste, présente et envahissante d’acteurs étrangers dans le système électoral canadien.

Certains membres du Comité ont soulevé diverses questions, y compris les suivantes :

  • Que même si la désinformation concernant la plateforme du Parti conservateur du Canada avait été rediffusée sur des comptes liés à des médias sociaux parrainés par la RPC, M. Johnston avait conclu dans son rapport qu’il avait été impossible de relier cette désinformation à un seul acteur étatique. En guise de réponse, M. Johnston a indiqué qu’il était arrivé à cette conclusion en s’appuyant sur le renseignement du SCRS dont il disposait à ce moment, de même que d’autres sources, et que toute cette information ne lui avait pas permis de déterminer que ces activités pouvaient être attribuées à une source parrainée par l’État[97].
  • Que, selon le rapport, une note de gestion des enjeux du SCRS avait été transmise en mai 2021 à M. Blair, qui était alors ministre de la Sécurité publique, mais que ce dernier ne l’avait pas reçue parce que son personnel n’avait pas accès au réseau de messagerie très secret[98]. Or, lors de sa comparution devant le Comité, M. Blair a affirmé qu’il n’y avait pas de tel courriel. En guise de réponse, M. Johnston a indiqué que, d’après ce qu’il avait compris, M. Blair n’avait pas reçu le courriel, même si le message était adressé à son nom ou à son bureau, ce qui représentait à son avis « une faille très importante dans la façon de cristalliser l’information et de l’acheminer aux destinataires qui sont habilités à la traiter[99] ».
  • Que M. O’Toole a déclaré qu’on lui avait dit, lors d’une séance d’information du SCRS, qu’il était la cible d’une campagne sophistiquée de mésinformation et de suppression de votes orchestrée par la RPC avant et pendant les élections générales de 2021. Or, selon le rapport, rien ne prouve que cette campagne était parrainée par un État. Dans sa réponse, M. Johnston a expliqué que les éléments d’information dont il disposait à ce moment l’avaient mené à une telle conclusion[100].
  • Que le rapport signale que des irrégularités avaient été observées dans la nomination du candidat du Parti libéral du Canada pour Don Valley North en 2019 et qu’on soupçonnait qu’elles étaient liées au Consulat de la RPC de Toronto. Le rapport ne dit pas que le premier ministre aurait dû agir. En guise de réponse, M. Johnston a indiqué que le premier ministre avait connaissance de la situation. Il a aussi fait remarquer que le SCRS n’accordait pas beaucoup d’attention aux courses à l’investiture, car elles sont régies par les règles de chacun des partis. Il a ajouté que ces activités sont très difficiles à réguler et que « l’on s’attend à ce que chaque parti se dote de règles appropriées[101] ».

2.     Rôle du rapport spécial indépendant sur l’ingérence étrangère

M. Johnston a informé le Comité que le gouvernement l’avait nommé rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère[102]. Le 15 mars 2023, lui conférant ainsi un important mandat : « évaluer l’ampleur de l’ingérence étrangère et […] formuler des recommandations sur les façons de mieux protéger notre démocratie[103] ».

Lors de sa comparution, il a souligné qu’il procédait par étape dans la réalisation de son mandat. Pendant les huit semaines qu’a duré la première étape, il a étudié des documents et des dossiers, interviewé les témoins concernés et préparé son premier rapport.

M. Johnston a déclaré qu’à la prochaine étape, qui devrait durer environ cinq mois, il tiendrait des audiences publiques afin d’entendre des fonctionnaires du gouvernement, des agents responsables de la sécurité et du renseignement, ainsi que des membres des diasporas. Il sera alors épaulé par trois conseillers spéciaux qui sont des experts des domaines de la sécurité nationale, du renseignement, du droit et des questions relatives aux diasporas[104].

Il espère s’attaquer à diverses questions, notamment[105] :

  • mettre l’accent sur l’urgence de combattre l’ingérence étrangère;
  • encourager les institutions parlementaires canadiennes à élaborer et à mettre en place des réformes appropriées afin de renforcer la confiance du public dans la démocratie au Canada;
  • jeter véritablement de la lumière sur les menaces qui pèsent sur les diasporas;
  • trouver des façons plus efficaces d’outiller les Canadiens et les agences de renseignement du Canada pour mieux combattre les menaces;
  • informer les Canadiens du fait qu’un grand nombre de membres des diasporas sont victimes malgré elles d’États étrangers;
  • examiner si le CPSNR a été correctement constitué en tant que comité exécutif plutôt qu’en tant que comité du Parlement;
  • étudier si l’OSSNR est efficace dans son rôle d’organe de surveillance.

M. Johnston a signalé que son mandat « n’est qu’une partie de l’ensemble des efforts et des initiatives visant à détecter, prévenir et combattre l’ingérence étrangère ». Dans cette optique, il a encouragé d’autres groupes, notamment le Comité, le CPSNR et l’OSSNR, à apporter leur contribution afin de donner au Canada les moyens de détecter et de combattre efficacement l’ingérence étrangère et de dissuader ceux qui s’y livrent.

Par ailleurs, M. Johnston a confirmé qu’il était au courant des résultats du vote sur la motion déposée à la Chambre des communes le 31 mai 2023, qui demandait entre autres qu’il

se retire « de ses fonctions de rapporteur spécial[106] », ajoutant qu’il avait « un profond respect pour la Chambre des communes et pour son droit d’exprimer une opinion sur [son] travail[107] ». Il a indiqué qu’il avait clairement entendu que certains s’opposaient à sa décision de ne pas recommander une enquête publique et remettaient en question son intégrité et son indépendance. Il a toutefois affirmé que ces allégations étaient fausses et que le fait de les répéter ne les rendrait pas véridiques.

Lors de la comparution de M. Johnston, des membres du Comité ont soulevé des questions sur sa nomination à titre de rapporteur spécial, de même que d’autres points connexes. Certains étaient d’avis qu’en acceptant ce rôle, M. Johnston se trouvait dans une situation de conflit d’intérêts. Ils ont donné des exemples à l’appui, citant des articles des médias au sujet de la relation entre M. Johnston et M. Trudeau, ainsi que sa famille et famille élargie[108]. Par exemple, il a été dit que M. Trudeau avait décrit M. Johnston comme un ami de la famille de longue date. Dans sa réponse, M. Johnston a indiqué au Comité qu’il avait été l’ami du très honorable Pierre Trudeau tout au long de sa vie politique. En revanche, il a affirmé qu’il n’avait pas eu de rencontre, de souper ou de contact particulier avec M. Justin Trudeau sur une période de près de 40 ans[109].

De plus, des membres du Comité ont soulevé les points suivants :

  • Le fait que M. Johnston était associé à la Fondation Pierre Elliott Trudeau. Dans sa réponse, M. Johnston a précisé qu’il n’avait pas été membre de conseil d’administration de la Fondation, mais bien un simple membre, ce qui équivaut, à son avis, à un actionnaire lors d’une assemblée générale. Il a informé le Comité qu’il avait démissionné en mars 2023, lorsqu’il a été nommé rapporteur spécial[110].
  • L’avis juridique obtenu par M. Johnston, selon lequel son acceptation du rôle de rapporteur spécial ne le mettait pas en situation de conflit d’intérêts et le fait que cet avis avait été préparé par Frank Iacobucci, juge à la retraite de la Cour suprême du Canada qui est était alors membre de la Fondation Pierre Elliott Trudeau. M. Johnston a répondu que M. Iacobucci et lui s’étaient lié d’amitié à la mi-vingtaine, lorsqu’ils étaient professeurs de droit à l’Université de Toronto[111].
  • Le choix, par M. Johnston, de Sheila Block comme conseillère principale auprès du rapporteur spécial. Des membres du Comité étaient d’avis que Mme Block était « une donatrice et une partisane à vie du Parti libéral, [ayant] participé récemment à des activités de financement avec le premier ministre[112] ». Voici ce que M. Johnston a déclaré à ce sujet[113] :
  • Il a pleinement confiance en Mme Block, une avocate éminente réputée pour la qualité de son travail.
  • il ne croit pas que le rôle de Mme Block en tant que conseillère principale auprès du rapporteur spécial l’ait mis en situation de conflit d’intérêts;
  • Mme Block a contribué non seulement au Parti libéral, mais aussi à d’autres partis, tout en servant le Canada avec brio.
  • Il a eu la chance inouïe de pouvoir compter sur les compétences et l’intégrité de Mme Block et sa détermination à améliorer ce que fait le Canada pour lutter contre l’ingérence étrangère.
  • Mme Block l’a servi fidèlement en tant qu’avocate principale lorsqu’il a été invité par M. Harper, qui était alors premier ministre, à examiner les allégations concernant les relations entre Karlheinz Schreiber et l’ancien premier ministre, le très honorable Brian Mulroney.

Quant à la remise en question de son intégrité et impartialité, M. Johnston a déclaré au Comité qu’il espérait en avoir fait la preuve durant ses 55 ans de vie publique, citant son mandat comme gouverneur général et sa participation, en tant que membre ou président, à des douzaines de comités consultatifs.

Il a souligné que sa nomination en tant que rapporteur spécial marquait la première fois que l’on remettait en question son impartialité et son intégrité ou qu’on laissait entendre qu’il se trouvait dans une situation de conflit d’intérêts. Sur ce point, il a recommandé aux Canadiens d’examiner ses états de service et de tirer leurs propres conclusions. Il a ensuite prié le Comité de se concentrer sur le problème de l’ingérence étrangère et son rapport[114] :

Mis à part les changements de position des gens sur la question de savoir si mon intégrité s’est évaporée il y a trois ou quatre ans, pour une raison quelconque, avec le changement de gouvernement, je tiens à ce que nous nous attaquions au vrai problème, c’est‑à‑dire l’ingérence étrangère[115].

3.     Raison de tenir des audiences publiques plutôt qu’une enquête publique

M. Johnston a expliqué au Comité pourquoi il avait décidé de tenir des audiences publiques plutôt que de recommander une enquête publique, notant qu’il avait réfléchi longuement à la question.

À son avis, le nœud du problème tient au traitement de l’information classifiée : il n’est pas possible d’en discuter en public ni de l’inclure dans les rapports. Il a fait remarquer que ce problème s’est posé lors d’enquêtes passées, donnant à titre d’exemple la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar. À la fin de son enquête, le commissaire chargé de cette enquête, Dennis R. O’Connor, a observé que les enquêtes publiques menées dans le cadre de la Loi sur les enquêtes :

sont des outils très difficiles à utiliser dans les cas où il faut faire la lumière sur des situations, particulièrement des situations de négligence et ainsi de suite. Comme elles sont dirigées par des avocats et comportent des contre-interrogatoires, il est difficile d’obtenir des renseignements classifiés. Cela ne peut pas se faire dans le domaine public. Cela est aussi très coûteux et prend beaucoup de temps et, souvent, cela ne permet pas de faire toute la lumière sur la question[116].

M. Johnston a déclaré qu’il avait l’intention, lors de ses audiences publiques, de proposer aux témoins de comparaître à huis clos et de leur assurer la protection voulue. Il prévoyait également des séances à huis clos pour les fonctionnaires ayant des renseignements classifiés à communiquer[117], ajoutant que les personnes mal à l’aise à l’idée de prendre la parole à une audience publique pourront lui faire parvenir un mémoire. Il a indiqué qu’il avait déjà reçu environ une demi-douzaine de mémoires de groupes de la diaspora, qui expliquent de façon éloquente le fardeau qu’ils portent et l’aide dont ils ont besoin[118].

Les membres du Comité ont exprimé divers points de vue sur l’éventuelle participation de témoins craignant des représailles à des audiences sur l’ingérence étrangère.

  • Certains ont affirmé qu’aux yeux des témoins, les audiences publiques offrant la possibilité de témoigner à huis clos sont assimilables aux travaux d’une enquête publique, laquelle leur offrirait vraisemblablement la possibilité de présenter leurs témoignages publiquement ou à huis clos.
  • Certains espéraient que M. Johnston trouve des moyens de faire en sorte que les familles des diasporas se sentent suffisamment en sécurité pour se présenter aux audiences publiques et y participer.
  • Certains ont dit à M. Johnston qu’ils connaissaient des témoins qui ne participeraient pas à des audiences publiques par crainte de représailles. Ils préféraient qu’une commission d’enquête soit saisie de la question, car elle pourrait tenir des séances à huis clos, convoquer des gens et ordonner la production de documents.

Enfin, certains ont fait valoir auprès de M. Johnston que le coût d’une commission d’enquête n’avait pas d’importance à leurs yeux. L’un d’eux a demandé quels étaient le prix et la valeur de la démocratie?

4.     Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

Lors de sa comparution, M. Johnston a présenté au Comité ses vues sur la manière de renforcer le régime canadien de lutte contre l’ingérence étrangère. Voici certaines de ses suggestions[119] :

  • examiner le rôle et la structure du CPSNR et de l’OSSNR afin de les renforcer et de cimenter leurs travaux;
  • envisager des modifications à la Loi sur le SCRS qui pourraient faciliter la lutte contre l’ingérence étrangère;
  • former un comité du Cabinet chargé de la sécurité nationale pour combattre l’ingérence étrangère au plus haut niveau, avec un sentiment d’urgence et d’importance;
  • tirer des leçons d’autres administrations, en particulier celles du Groupe des cinq, qui ont acquis une expérience considérable de la gestion d’enjeux semblables.

En ce qui concerne l’appareil gouvernemental, il a recommandé ce qui suit :

  • améliorer les processus de transmission du renseignement aux hauts dirigeants (soit les personnes aux échelons supérieurs de la fonction publique et de la politique), ce qui comprend une plus grande rigueur pour que les bonnes personnes aient accès au renseignement approprié;
  • mettre en place des protocoles de suivi pour qu’il soit possible de retracer quelles personnes ont vu quels renseignements et à quel moment;
  • établir les lignes de responsabilité pour que l’on sache clairement qui peut recommander les actions à prendre par rapport au renseignement communiqué;
  • lancer un processus mené par le gouvernement (et non par un organisme) pour la déclassification de l’information afin d’améliorer la transparence.

D. Témoignages de représentants de la Chambre des communes

1.     Eric Janse, greffier intérimaire de la Chambre des communes

a) Privilège parlementaire et rôle du Comité

Le greffier intérimaire de la Chambre des communes, Eric Janse, a transmis au Comité de l’information sur le privilège parlementaire. Il a cité un rapport produit par le Comité spécial sur les droits et immunités des députés au cours de la 30e législature (de septembre 1974 à mars 1979) indiquant que « [l]e privilège parlementaire a pour objet de permettre aux députés de la Chambre des communes de remplir sans entraves indues, leurs fonctions en tant que représentants des électeurs[120] ».

M. Janse a expliqué que le Président, lorsqu’il doit trancher sur une question de privilège, n’a pas pour rôle de se prononcer sur les faits[121], mais bien de déterminer si l’affaire porte atteinte aux privilèges des députés « d’une manière suffisamment grave pour mériter d’être examinée en priorité par la Chambre[122] ». Il a souligné qu’en effectuant un renvoi au Comité, la Chambre avait déterminé que l’affaire exigeait un examen plus approfondi[123].

M. Janse a exposé la façon dont procède généralement un comité chargé de se pencher sur une question de privilège. Il a expliqué que normalement, le comité cherche à établir les faits, puis évalue si les événements survenus constituent une violation des privilèges des députés ou un outrage à la Chambre, et enfin examine les mesures correctives proposées[124].

M. Janse a exhorté le Comité à rédiger ses recommandations avec soin s’il décide de faire rapport à la Chambre, expliquant que ces mesures « devraient être formulées de manière à être réalisables et s’inscrire clairement dans le mandat du Comité[125] ».

b) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

M. Janse a indiqué que l’Administration de la Chambre peut aider à coordonner la transmission de l’information entre tout organisme de renseignement et les députés[126]. Il a souligné qu’un protocole d’entente avait été conclu le 30 mars 2023 entre la Chambre et le SCRS, mais que les détails n’étaient pas encore à point[127].

2.     Michel Bédard, légiste et conseiller parlementaire intérimaire, Chambre des communes

a) Privilège parlementaire et rôle du Comité

Michel Bédard, légiste et conseiller parlementaire par intérim à la Chambre des communes, a déclaré que de façon générale, les privilèges parlementaires sont enracinés et reconnus dans la Constitution[128]. Il a expliqué que les comités de la Chambre ont entre autres pour privilège de pouvoir demander des documents, y compris ceux traitant de la sécurité nationale[129].

M. Bédard a informé le Comité que le Bureau du légiste et conseiller parlementaire a les moyens et des locaux pour passer en revue des documents de niveau très secret et les caviarder au besoin, et que des membres de son personnel ont la cote de sécurité requise pour le faire[130]. Il a précisé que son bureau a déjà examiné et caviardé des documents classifiés, mais qu’il n’avait pas eu à gérer des documents contenant des renseignements liés à la sécurité nationale[131].

M. Bédard a insisté sur le fait que le pouvoir de la Chambre et de ses comités se limite au territoire canadien et ne s’étend pas à des personnes se trouvant à l’extérieur du pays[132]. Il a précisé qu’au Canada, aucun comité n’a jamais obligé de diplomate à comparaître[133]. Par ailleurs, il a laissé entendre que même s’il était possible de le faire au titre du droit et de la procédure parlementaire, il faudrait prendre en compte d’autres facteurs stratégiques importants avant de prendre une telle décision[134].

3.     Patrick McDonell, sergent d’armes et dirigeant de la sécurité institutionnelle, Chambre des communes

a) Observations au sujet du système canadien de sécurité nationale et de renseignement

Patrick McDonell, sergent d’armes et dirigeant de la sécurité institutionnelle à la Chambre des communes, a informé le Comité que le SCRS pourrait passer par son bureau s’il décidait de transmettre de l’information aux députés[135]. Par contre, si le SCRS a des préoccupations liées à l’ingérence étrangère concernant un député en particulier, il communiquerait directement avec cette personne ou son personnel au lieu de passer par son bureau[136].

Décrivant la participation de son bureau aux séances d’information sur les menaces d’ingérence étrangère données par le SCRS aux députés, M. McDonell a dit que les membres de son équipe étaient en sorte des « agents de logistique » facilitant la tenue de ces séances[137].

b) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

M. McDonell a mentionné un protocole d’entente intervenu entre la Chambre et le Centre intégré d’évaluation de la menace du SCRS[138]. Il a signalé que la Chambre et le SCRS avaient consulté le Groupe des cinq au moment de mettre au point les détails de ce protocole[139].

M. McDonell a exposé le plan d’action de son bureau, qui consiste à organiser des séances d’information pour les députés, lesquelles seraient suivies de séances de sensibilisation périodiques[140]. Il a également l’intention d’inclure plus d’information sur la sécurité nationale et l’ingérence étrangère dans les documents d’orientation fournis aux députés nouvellement élus[141].

E. Témoignages d’administrateurs électoraux

Stéphane Perrault, directeur général des élections (DGE), a comparu à trois reprises dans le cadre de l’étude connexe du Comité portant sur l’ingérence étrangère, soit le 1er novembre 2022, le 22 novembre 2022 ainsi que le 2 mars 2023[142]. Lors de sa première comparution, il était accompagné de Serge Caron, sous-dirigeant principal des élections et chef de la sécurité, Secteur de la transformation numérique, Élections Canada[143].

Pour sa part, Caroline Simard, commissaire aux élections fédérales (CEF), a comparu à deux reprises dans le cadre de l’étude sur l’ingérence étrangère du Comité, soit le 1er novembre 2022 et le 2 mars 2023[144]. Lors de sa première comparution, elle était accompagnée de Marc Chénier, sous‑commissaire et premier conseiller juridique du Bureau du CEF[145].

Le DGE et la CEF exercent des rôles distincts, mais complémentaires en matière électorale et référendaire. Le DGE est chargé, au niveau fédéral, de l’administration des élections et des référendums et d’autres aspects de l’infrastructure électorale. Pour sa part, la CEF veille au respect et à l’application de la Loi électorale du Canada (LEC) et de la Loi référendaire. Elle mène ses enquêtes de manière indépendante d’Élections Canada, du gouvernement et de la fonction publique[146].

1.     Définitions et cadre juridique

a) Cadre actuel

M. Perrault a indiqué au Comité que l’expression « ingérence étrangère » renvoie à des menaces pouvant prendre des formes variées, telles que les cyberattaques, le financement illégal de candidats, partis ou tiers, la désinformation ou l’intimidation. La lutte contre l’ingérence étrangère dans le contexte électoral nécessite des efforts concertés entre différents organismes et ministères en raison de la diversité de formes et de la mise en cause de relations interétatiques. M. Perrault a par ailleurs précisé que la LEC ne comprend aucune définition de ce qui constitue de l’ingérence étrangère[147].

Comme l’a expliqué M. Perrault, la LEC interdit plutôt divers gestes par lesquels une pression étrangère pourrait s’exercer sur les élections, particulièrement dans le cadre du régime de financement politique. Certaines infractions peuvent par ailleurs entraîner diverses sanctions, pouvant aller jusqu’à une peine d’emprisonnement de cinq ans[148]. Sous le régime juridique actuel, il demeure cependant possible pour les étrangers d’exercer une certaine influence, par exemple en faisant des déclarations visant à encourager les électeurs à voter pour ou contre un candidat ou un parti donné, ou en exprimant une opinion[149].

M. Perrault a donné des exemples d’infractions :

  • la LEC prévoit que seuls les citoyens et résidents permanents sont autorisés à apporter une contribution financière;
  • la LEC interdit aux étrangers de s’enregistrer comme tiers;
  • la LEC interdit aux tiers de financer leurs activités réglementées par des fonds de l’étranger;
  • la LEC interdit certaines activités qui constituent une « influence indue par des étrangers », notamment le fait d’engager des dépenses pour favoriser ou contrecarrer directement un candidat ou un parti pendant une période électorale[150]. Cette interdiction est limitée à la période électorale[151].

S’il existe de l’information susceptible d’appuyer une enquête relative à des contributions illégales provenant d’une entité étrangère, celle-ci devrait être acheminée à la CEF[152].

2.     Recommandations relatives au cadre juridique

M. Perrault a affirmé que le régime de financement politique canadien est « très robuste[153] », et « fait l’envie[154] » de plusieurs pays. Le régime comprend une part de financement public et de financement privé, des règles strictes en matière de divulgation et de faibles limites de contribution. Il réglemente également un large éventail d’entités politiques, y compris les candidats à la course à l’investiture, les associations de circonscription, les partis politiques et les candidats à la direction.

M. Perrault considère que l’une des forces du régime de financement politique canadien est qu’il fait l’objet de révisions périodiques, notamment par l’entremise de l’étude, par le Comité, des recommandations formulées par le DGE après chaque élection. Par ailleurs, le caractère indépendant de l’administration des élections, qui s’articule notamment par la nomination du DGE par la Chambre des communes et non le gouvernement, constituerait une force du régime actuel[155].

Dans le cadre de son témoignage, M. Perrault a abordé certaines des propositions visant à améliorer le cadre juridique électoral présentées dans son plus récent rapport de recommandations. M. Perrault a ainsi indiqué qu’il est possible, selon le régime législatif actuel, que des fonds étrangers se retrouvent entre les mains de partis politiques. Ainsi, bien que les tiers soient tenus divulguer la provenance du financement utilisé pour une activité réglementée, il est possible pour un tiers de recevoir des fonds de l’étranger à des fins générales et d’ensuite faire circuler l’argent par l’entremise d’une tierce partie. À ce sujet, M. Perrault a souligné avoir formulé une proposition visant à résoudre cette brèche potentielle dans son plus récent rapport de recommandations. Il suggère que les groupes recevant un certain seuil de financement sous forme de contributions soient tenus d’utiliser, aux fins d’activités réglementées par la LEC, uniquement des contributions provenant d’un compte bancaire qui ne comprendrait que des dons provenant de donateurs canadiens admissibles[156].

Dans la LEC, il existe certaines interdictions relatives à l’ingérence étrangère en période électorale. M. Perrault a recommandé dans son plus récent rapport que la période d’application de ces interdictions soit étendue à la période préélectorale. Il a cependant indiqué au Comité que ces interdictions pourraient être rendues applicables en tout temps[157].

M. Perrault a également souligné avoir formulé une recommandation visant à accroître la transparence des plateformes numériques dans un contexte électoral. Selon M. Perrault, les Canadiens auraient davantage confiance dans le processus électoral si les politiques internes des plateformes de médias sociaux quant au traitement de l’information inexacte, de la désinformation et du contenu illégal étaient publiques[158].

Pour sa part, M. Chénier a précisé que la LEC interdit de contourner l’interdiction d’utiliser des fonds étrangers, et que par suite de l’adoption de la Loi sur la modernisation des élections en 2018, de nouvelles mesures visant à renforcer le système électoral et à réduire la possibilité que de l’argent provenant de l’étranger entre dans le système ont été mises en œuvre. M. Chénier a également indiqué que le prédécesseur de Mme Simard, Yves Côté, avait recommandé que le Parlement élargisse la notion d’« influence indue » dans la LEC. Selon le cadre législatif actuel, il y a influence indue lorsque des dépenses sont engagées afin de favoriser ou de contrecarrer un parti ou un candidat, ou bien lorsqu’une activité qui est menée en vue de promouvoir ou de contrecarrer un parti ou un candidat contrevient à une loi fédérale ou provinciale. M. Côté avait donc recommandé que la LEC reconnaisse une troisième possibilité, soit lorsqu’une personne ou une entité étrangère sème de la confusion ou diffuse sciemment de la désinformation[159].

En réponse à une question, Mme Simard a indiqué que depuis l’adoption de la Loi sur la modernisation des élections en 2018, des pouvoirs additionnels ont été accordés à la CEF en matière de sanctions administratives pécuniaires. Elle a toutefois affirmé qu’il lui faudrait davantage de pouvoirs administratifs, notamment en matière de préservation et de communication de la preuve[160]. Elle a par ailleurs indiqué que les sanctions administratives actuelles sont « nettement insuffisantes[161] »; à titre d’exemple, les sanctions concernant les entités sont plafonnées à 5 000 $.

3.     Définir les menaces d’ingérence étrangère et comprendre les motifs

M. Perrault a affirmé qu’Élections Canada n’a constaté aucune atteinte à son infrastructure de TI ni ingérence dans ses activités électorales dans le cadre des élections générales de 2019 et de 2021. Aucune tentative d’entrave à la capacité de voter des électeurs n’aurait par ailleurs été portée à la connaissance de l’organisme[162]. S’il n’y a pas eu de brèches dans l’infrastructure TI de l’organisme, M. Perrault a toutefois indiqué que, « comme toutes les institutions[163] », Élections Canada est la cible de cyberattaques quotidiennes; aucun mécanisme ne permet de savoir si ces attaques proviennent d’acteurs locaux ou étrangers.

M. Perrault a par ailleurs indiqué au Comité que dans le cadre des préparatifs pour les élections de 2019, des agences de sécurité nationale ont pris part à une rencontre du Comité consultatif des partis politiques, qui est chapeauté par Élections Canada, afin de sensibiliser les partis aux risques que des acteurs étatiques étrangers s’ingèrent dans les élections. Selon lui, les partis politiques, les associations de circonscription et les campagnes locales ont aussi des rôles cruciaux à jouer afin de contrer l’ingérence étrangère[164]. Il a souligné que les élections présidentielles américaines de 2016 ont clairement fait ressortir les risques en matière d’ingérence étrangère[165].

Quant aux articles parus dans les médias faisant état d’ingérence étrangère alléguée dans les élections de 2019 et de 2021, M. Perrault a dit qu’il n’était pas être en mesure de se prononcer sur l’exactitude de ce qui a été publié, et qu’il ne connaissait pas de détails relatifs à une campagne d’ingérence de Pékin, sauf ce qu’il a pu lire dans les journaux. Il a précisé que cette information ne lui a pas été communiquée, ni avant la parution des articles ni depuis, et qu’il n’a pas eu de rencontres avec le cabinet du premier ministre à ce sujet. Il a également affirmé ne pas avoir reçu de rapport au sujet de cas précis de non-conformité à la loi ou d’ingérence de la Chine dans les élections[166]. En réponse à une question, il a indiqué n’avoir aucune raison de croire que les élections de 2019 et de 2021 n’étaient pas « libres et justes[167] », selon les informations à sa disposition, bien que des renseignements erronés au sujet du processus de vote aient été diffusés.

M. Perrault a affirmé qu’il faut faire preuve de prudence avant d’utiliser l’information qui paraît dans les médias pour se prononcer sur l’équité d’une élection. Sans remettre en cause le travail des journalistes, M. Perrault a rappelé qu’il n’y a pas eu d’enquêtes sur les faits allégués, qu’on ignore ce qui est arrivé ou les circonscriptions qui auraient été visées. Il a fait valoir que de tirer des conclusions prématurément risque de décrédibiliser le processus électoral sans bonne raison. M. Perrault a par ailleurs rappelé que la CEF décidera de mener une enquête si elle juge qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour le faire, et qu’elle prendra les mesures qui s’imposent selon l’issue de l’enquête[168].

Selon M. Perrault, il est « extrêmement difficile[169] » d’établir un lien de causalité entre l’existence d’irrégularités financières dans le processus électoral et le résultat d’une élection. Il serait selon lui « très spéculatif » de conclure à l’existence de conséquences sur les résultats alors qu’on parle de contributions financières à des candidats dans les articles de journaux. M. Perrault a rappelé que toutes sortes d’irrégularités sont commises au cours d’une élection, sans qu’elles minent pour autant l’intégrité globale des élections. Cependant, si une personne croit que les résultats d’une élection ont été influencés, la LEC prévoit un mécanisme permettant de trancher la question : la contestation de l’élection devant un tribunal[170].

En outre, M. Perrault a affirmé que s’il même n’est pas possible de « tracer une ligne droite » entre l’existence d’influence étrangère et le résultat d’une élection donnée, les actes d’ingérence étrangère portent atteinte à l’équité du processus électoral et doivent être contrés afin de protéger la démocratie canadienne[171].

M. Perrault a rappelé au Comité qu’il remet, après chaque élection, un rapport au Parlement. Il a affirmé qu’il n’hésiterait jamais à faire rapport de préoccupations concernant l’équité de l’élection, et des aspects qui ont plus ou moins bien fonctionné[172].

Lors de sa première comparution devant le Comité, Mme Simard a pour sa part affirmé qu’elle n’avait observé, dans le cadre des deux dernières élections générales, aucun changement en ce qui concerne le nombre d’enjeux donnant lieu à des plaintes sur des questions d’ingérence étrangère[173]. Son bureau a bel et bien reçu des plaintes relatives à de l’ingérence, mais aucune mesure officielle n’a été appliquée[174]. Elle a également indiqué ne pas être en mesure de discuter des détails de cas faisant ou ayant fait l’objet d’une plainte[175]. Elle a cependant indiqué que dans le cadre de la 44e élection générale, 13 situations d’ingérence étrangère ont été portées à l’attention de son bureau par l’entremise de 16 plaintes, sur un total de 4 000 dossiers. M. Chénier a par ailleurs précisé que pour la 43e élection générale, il y a eu des plaintes concernant 10 situations pouvant relever de l’ingérence étrangère. L’existence d’une plainte, et donc d’allégations d’ingérence, ne signifie pas que les faits à l’origine de la plainte ont été prouvés[176].

Lors de sa deuxième comparution devant le Comité, Mme Simard a indiqué que depuis novembre 2022, des allégations d’ingérence étrangère ont circulé dans l’environnement public et ont mené au dépôt de nouvelles plaintes à son bureau. Elle a affirmé que son bureau procède à un examen rigoureux et minutieux de chaque plainte et renseignement ayant été porté à leur attention en ce sens, et que cet examen était toujours en cours afin de déterminer s’il existe des éléments de preuve tangibles démontrant que des conduites répréhensibles couvertes par la LEC ont été commises. Elle n’était pas en mesure, au moment de comparaître, de fournir des détails supplémentaires concernant l’examen en cours, les plaintes ou tout autre renseignement reçu, son bureau étant tenu à la confidentialité afin de préserver la présomption d’innocence et de ne pas compromettre les enquêtes[177].

4.     Mesures prises pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

a) Rôles des administrateurs électoraux

M. Perrault a expliqué au Comité que le rôle d’Élections Canada est d’assurer la conduite des élections et de protéger le processus électoral contre les menaces de toutes provenances. L’organisme doit prendre les mesures appropriées pour assurer la protection de l’infrastructure informatique électorale, sur avis et avec l’appui des différents partenaires de sécurité. Selon M. Perrault, Élections Canada a réalisé d’importants progrès depuis quelques années en matière de sécurité informatique, et bénéficie de l’appui du Centre canadien pour la cybersécurité pour assurer la surveillance de son infrastructure[178].

Élections Canada veille en outre à transmettre aux Canadiens les bonnes informations sur le processus électoral, notamment pour permettre aux électeurs de s’inscrire et de voter, mais aussi pour accroître la confiance du public envers le processus électoral et les résultats. M. Perrault a indiqué qu’Élections Canada assure une surveillance continue de l’information accessible au public, et ce afin de contrer la diffusion d’informations électorales inexactes d’origine canadienne et étrangère. L’organisme surveille ainsi 67 plateformes de médias sociaux dans 15 langues[179]. Dans le cadre de cette surveillance, l’organisme cible le contenu portant sur les processus de vote et l’administration des élections, n’ayant pas pour mandat de surveiller l’information erronée circulant sur les programmes de partis politiques ou les candidats[180].

M. Perrault a aussi indiqué qu’Élections Canada préfère parler d’information « inexacte » plutôt que de « désinformation ». Il a encouragé les partis politiques à diriger les électeurs vers Élections Canada en cas de doute sur l’information partagée sur le processus de vote. Il a par ailleurs précisé qu’Élections Canada n’est pas équipé pour déterminer l’étendue des activités étrangères visant à influencer les élections; il est notamment impossible à l’organisation de déterminer l’origine de certaines critiques à l’égard de partis et de candidats[181].

M. Perrault a également indiqué que certains des groupes d’électeurs sont plus vulnérables à la désinformation que d’autres, notamment parce qu’ils ne connaissent pas les institutions politiques fédérales et le processus électoral dans son ensemble. Par conséquent, certaines activités de sensibilisation d’Élections Canada sont axées sur ces groupes. À titre d’exemple, Élections Canada travaille sur un projet pilote avec les collectivités autochtones du Nord de l’Ontario afin de mettre sur pied un programme d’éducation civique adapté aux peuples autochtones[182].

M. Perrault a ajouté que si Élections Canada a des raisons de croire ou même de soupçonner qu’il y a contravention à la loi, l’organisme renvoie le dossier à la CEF afin qu’elle puisse décider si les faits justifient le déclenchement d’une enquête ou d’un examen. Ce processus peut mener à diverses sanctions, allant de sanctions administratives pécuniaires jusqu’à des poursuites pénales[183].

Pour sa part, Mme Simard a indiqué que son rôle à titre de CEF consiste à veiller au respect et à l’application de la LEC, y compris des dispositions interdisant certaines activités qui pourraient constituer des tentatives d’ingérence étrangère[184]. Le libellé des obligations et des interdictions prévues à la LEC définit la portée du travail que peut accomplir son bureau. Mme Simard a en outre informé le Comité que l’implication d’activités, d’individus ou d’entités extérieures à la frontière canadienne peut augmenter significativement la complexité d’une enquête[185]. Elle a aussi souligné que son organisation fonctionne principalement sur la base de plaintes formulées par le public, et qu’elle ne joue pas un rôle de prévention; elle a donc encouragé les Canadiens à formuler une plainte lorsqu’ils constatent une infraction potentielle à la LEC[186]. Les enquêtes sont menées de manière confidentielle; toutefois, certaines informations deviennent publiques lorsque des mesures officielles sont prises[187].

b) Collaboration avec différents partenaires

Selon M. Perrault, assurer la sécurité des élections constitue un travail d’équipe nécessitant une approche pangouvernementale. Il a affirmé qu’Élections Canada collabore activement avec différents organismes gouvernementaux de sécurité et du renseignement, notamment le SCRS et le Centre de la sécurité des télécommunications (CST). Les différents partenaires ont élaboré des protocoles et pratiques communs afin de discuter des menaces aux élections, d’échanger de l’information et de veiller à ce que chacun joue son rôle pour assurer la sécurité électorale[188]. Élections Canada reçoit également des séances générales d’information de la part des services de sécurité sur le contexte global, notamment sur l’intérêt porté par certains pays aux élections canadiennes[189]. L’information fournie lors de ce type de séance est « de très haut niveau[190] ». M. Perrault a indiqué qu’une grande partie du travail nécessaire pour assurer la sécurité des élections consiste à clarifier les responsabilités pour que chacun sache à qui s’adresser en cas de problème[191].

De plus, M. Perrault a précisé qu’Élections Canada collabore avec divers partenaires étrangers, notamment avec son organisme homologue australien. Lors de la dernière campagne électorale australienne, un registre identifiant les fausses déclarations circulant sur le processus électoral a été créé. Selon M. Perrault, les autorités australiennes ont estimé que ce registre constituait un ajout précieux à leur programme. Élections Canada envisage par conséquent la mise sur pied d’un registre semblable dans le cadre des élections canadiennes[192].

De même, Mme Simard a affirmé travailler de concert avec plusieurs organisations de contrôle d’application de la loi, de sécurité nationale et de renseignement, ce qui permet d’assurer une communication efficace et une meilleure compréhension des menaces touchant les élections[193]. Des protocoles d’ententes encadrant l’échange de renseignements et l’assistance avec le SCRS et la GRC sont notamment en place[194].

Mme Simard a également affirmé que, conformément à son rôle d’observation et de contrôle d’application de la LEC, le bureau du CEF a amorcé un dialogue avec des représentants de diverses plateformes de diffusion en ligne, dialogue qui serait, jusqu’à maintenant, « extrêmement positif[195] ». Elle a indiqué qu’à la demande de son bureau, certains contenus ont pu être retirés de ce type de plateformes.

5.     Autres considérations

M. Perrault a dû répondre à des questions sur certains votes postaux qui n’auraient pas été comptés dans le cadre de la plus récente élection fédérale générale, ce qui a fait dire à certains que le résultat de l’élection aurait pu être autre si ces votes avaient été dépouillés. M. Perrault a indiqué que rien n’indique que les bulletins de vote postaux aient eu un effet sur le résultat des élections; par ailleurs, les 200 000 bulletins en question ne sont pas incomptés; il s’agit plutôt de bulletins de votes qui n’ont pas été reçus ou déposés. Selon M. Perrault, il est possible que les électeurs auxquels appartiennent ces bulletins soient venus voter en personne, n’aient pas envoyé leur bulletin, ou encore que les bulletins aient été reçus en retard ou aient été remplis d’une manière invalide[196].

F. Témoignages d’anciens et d’actuels hauts responsables de la sécurité

1.     Tara Denham, directrice générale, Bureau des droits de la personne, des libertés et de l’inclusion, ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement

a) Mesures prises pour surveiller les menaces d’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

Tara Denham, directrice générale du Bureau des droits de la personne, des libertés et de l’inclusion au ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, a brièvement expliqué au Comité le fonctionnement du Mécanisme de réponse rapide du G7 (MRR) créé en 2018. Elle a signalé que ce mécanisme[197] :

  • est dirigé en permanence par le Canada et est appuyé par un secrétariat à Affaires mondiales Canada;
  • renforce, chez les partenaires du G7, la compréhension collective des menaces étrangères touchant la démocratie et les capacités de chacun de contrer celles‑ci;
  • repose sur des techniques de renseignement de sources ouvertes, dans le respect d’un cadre éthique et méthodologique;
  • détecte les tactiques ou les campagnes utilisées par des États étrangers, dégage l’information pertinente et produit des mises à jour;
  • appuie, en périodes électorales, le Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignements visant les élections (Groupe de travail MSRE) et le Protocole public en cas d’incident électoral majeur en surveillant l’environnement informationnel en ligne pour y déceler des signes de manipulation de l’information et d’ingérence par des acteurs étrangers.

Mme Denham a indiqué que le but du MRR était de comprendre l’environnement de l’information et de mieux connaître les tactiques utilisées dans cette espace[198]. Elle a précisé que les campagnes d’information et de désinformation menées par des États étrangers ne sont pas nécessairement assez importantes en soi pour influer sur les résultats d’une élection et que le seuil à atteindre pour en arriver là est très élevé[199]. Elle a également souligné que le MRR n’avait pas pour fonction de contrer les campagnes de désinformation, mais bien de jeter la lumière sur ces activités et les tactiques utilisées.

Mme Denham a noté que le Canada et les Pays-Bas avaient collaboré à la création d’une déclaration sur l’intégrité de l’information, qui appelle les pays à ne pas faire la promotion des campagnes de désinformation et invite les entreprises à faire montre de plus de transparence à ce chapitre[200].

b) Élections partielles fédérales de juin 2023

Mme Denham a informé le Comité qu’à l’été 2023, le Groupe de travail MSRE avait surveillé pour la première fois des élections partielles fédérales et en avait fait rapport, tâche dont il s’était acquitté par le passé seulement dans le cadre d’élections générales. Le Comité signale que des représentants du Groupe de travail MSRE et de l’équipe du MMR ont comparu dans le cadre de son étude sur l’ingérence étrangère dans les élections.

Lors des élections partielles de juin 2023, le Groupe de travail MSRE a été appelé à détecter des incidents potentiels d’ingérence étrangère et d’extrémisme violent dans l’environnement de l’information. Il a produit un bulletin quotidien dans lequel il rapportait ses observations ainsi qu’un rapport final public après les élections. Selon Mme Denham, il n’a observé aucune ingérence étrangère ou aucun extrémisme violent à cette occasion[201].

Par contre, Mme Denham a signalé que l’équipe canadienne du MRR avait découvert, dans le cadre de sa surveillance des élections partielles, une activité de manipulation potentielle de l’information ciblant M. Chong. Cette activité, qui n’avait aucun lien avec les élections partielles, s’est déroulée du 4 au 13 mai 2023. Il est important de noter que M. Chong n’était pas candidat aux élections partielles de juin 2023[202].

Une enquête a eu lieu afin de confirmer qu’une activité suspecte avait été découverte. L’équipe du MRR a ensuite alerté les partenaires concernés du milieu canadien de la sécurité et du renseignement. Le 9 août 2023, Affaires mondiales Canada a publié une déclaration indiquant que l’équipe du MRR avait détecté une opération d’information visant un député[203].

Entre autres activités suspectes détectées par cette équipe, des récits faux ou trompeurs ont été diffusés au sujet de M. Chong, des informations ont été manipulées et de l’ingérence s’est produite aux mains d’acteurs étrangers (p. ex., coordination du contenu et des dates de publication, changements anormaux dans le volume et la portée des activités en ligne et dissimulation de la participation de l’État).

Comme l’a indiqué Mme Denham, une fois son enquête terminée, Affaires mondiales Canada a informé M. Chong de ces activités d’ingérence étrangères, a signalé ses inquiétudes à l’ambassadeur de la République populaire de Chine (RPC) au Canada et a parlé de la situation aux représentants de Tencent, la société mère de WeChat[204]. Sur ce dernier point, Mme Denham a fait remarquer que, très souvent, les campagnes de désinformation étrangères contreviennent aux conditions de service des plateformes de médias sociaux et qu’il revient à ces entreprises d’en assurer le respect[205].

Répondant à des questions concernant les difficultés éprouvées par l’équipe du MRR pour déterminer si la campagne de désinformation était parrainée par un État et sur la célérité des résultats, Mme Denham a expliqué qu’il doit y avoir des signes solides de l’existence de liens entre la manipulation d’information par des acteurs étrangers et une entité gouvernementale, ajoutant qu’il n’est pas rare de trouver des sites de nouvelles affiliés à un État et affichant de la désinformation. Or, pour établir que la campagne de désinformation découle d’activités de manipulation parrainées par un État, l’équipe du MRR doit établir qu’il y a un lien entre les éléments de la campagne et que des efforts concertés ont été déployés pour amplifier artificiellement la désinformation pour la rendre plus virulente et lui donner l’apparence d’une conversation naturelle[206].

c) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

Mme Denham a indiqué que son ministère accorde une grande importance à la protection des parlementaires contre l’ingérence étrangère. Elle a signalé que, pendant la période électorale, les partis politiques reçoivent continuellement des informations de représentants des services de sécurité et du renseignement. Elle a ajouté que son ministère continuera à chercher des moyens d’améliorer la communication d’information[207].

Enfin, elle a souligné que la population canadienne n’a pas été exposée aux campagnes de désinformation dans la même mesure que celle d’autres pays, mais que l’ingérence étrangère suscite actuellement beaucoup de dialogues. Elle a ajouté qu’il serait avantageux pour tout le pays que les gens comprennent mieux les tactiques d’ingérence étrangères et sachent comme les repérer[208].

2.     Michael Duheme, commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, et Mark Flynn, sous-commissaire de la Gendarmerie royale du Canada

a) Définir les menaces d’ingérence étrangère et comprendre les motifs

Le commissaire de la GRC, Michael Duheme, a déclaré au Comité que la GRC considère comme de l’ingérence étrangère les activités entreprises par un État étranger pour promouvoir ses intérêts stratégiques, y compris les menaces de violence, la coercition ou la surveillance du public.

Les groupes culturellement et linguistiquement divers, les défenseurs des droits de la personne, les dissidents politiques, les partisans de la démocratie et les politiciens à tous les niveaux, y compris les parlementaires, peuvent être la cible de ces activités[209]. Un certain nombre d’États pratiquent l’ingérence, notamment la RPC, la Fédération de Russie et la République islamique d’Iran.

M. Duheme a souligné que l’ingérence étrangère représente une menace complexe pour la sécurité du Canada et des Canadiens. Pour cette raison, la GRC utilise activement tous les outils à sa disposition pour la combattre. Il a parlé du rôle de la GRC à cet égard, qui consiste à intervenir lorsque l’ingérence tombe dans le domaine criminel, ce qui distingue la Gendarmerie du SCRS, qui a pour mission de recueillir du renseignement. Il a souligné les difficultés auxquelles se bute la GRC lorsqu’il s’agit de convertir le renseignement en élément de preuve[210].

b) Mesures prises pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

M. Duheme a informé le Comité que la GRC avait ouvert une enquête sur les allégations d’intimidation visant l’hon. Michael Chong[211]. Le sous-commissaire de la GRC, Mark Flynn, a ajouté qu’il n’avait pas lancé d’enquêtes relativement aux allégations d’intimidation touchant M. O’Toole et Mme Kwan, précisant que la GRC avait été informée de ces affaires par l’entremise de mécanismes de divulgation publique[212].

De plus, M. Flynn a signalé que, conformément à un protocole d’entente, la GRC avait communiqué avec le commissaire aux élections fédérales afin de lui offrir son aide dans le cadre des enquêtes de son équipe sur des allégations d’intimidation touchant des députés.

M. Duheme a ajouté que la GRC comptait une centaine de dossiers actifs en matière d’ingérence étrangère. Il a précisé qu’il s’agit d’un vaste problème, qui dépasse le cadre électoral et englobe, entre autres, le vol de la propriété intellectuelle[213].

M. Duheme a déclaré que son organisme a de nombreux outils à sa disposition pour lutter contre l’ingérence étrangère. Il a signalé que les équipes d’enquêteurs de la GRC se penchent sur des infractions prévues au Code criminel (p. ex., menaces de violence, de harcèlement et d’intimidation) ou dans la Loi sur la protection de l’information (p. ex., acceptation de communiquer secrètement des renseignements, intimidation, harcèlement criminel et menaces ou violences pour le compte d’une entité étrangère) qu’auraient commises des acteurs étatiques. De plus, la GRC travaille étroitement avec le SCRS dans le cadre d’un accord de coopération entre les deux organismes. Elle collabore aussi avec des partenaires nationaux et internationaux des secteurs de l’application de la loi, de la sécurité et du renseignement, pour l’aider à s’adapter aux méthodes criminelles utilisées par les acteurs étrangers[214].

Au sujet des postes de police illégaux de la RPC en territoire canadien, M. Duheme a affirmé que la GRC était convaincue que les activités policières menées à partir de ces endroits avaient été interrompues, précisant toutefois que les enquêtes à ce sujet se poursuivaient. Il a toutefois rappelé que ces activités étaient parfois menées à partir de centres communautaires[215].

M. Duheme a déclaré que pour prévenir l’ouverture d’autres postes de police illégaux au Canada, la GRC doit nouer des liens plus étroits avec les diasporas[216]. Selon M. Flynn, la GRC a accru sa visibilité dans les communautés touchées en multipliant les agents en uniforme et les voitures de police, ce qui faisait partie de son approche pour fermer les postes de police illégaux. Le but était de gagner la confiance des résidents pour qu’ils se sentent à l’aise de signaler toute activité illicite. Or, comme l’a indiqué M. Flynn, l’un des problèmes qui se posent, tant pour la GRC que les diasporas, c’est que les menaces à leur endroit et envers leur famille viennent de l’extérieur du pays[217].

c) Mesures proposées pour neutraliser les menaces d’ingérence étrangère touchant les processus démocratiques

M. Duheme a informé le Comité que la GRC continue à chercher une solution au problème opérationnel clé de la conversion du renseignement en élément de preuve. Il a expliqué que ce sont les renseignements donnant un droit d’action qui permettent à l’organisme de lancer une enquête. Or, pour pouvoir porter des accusations, la GRC, dans ses fonctions d’application de la loi, doit pouvoir transmettre les informations ou le renseignement l’ayant poussé à enquêter[218].

M. Duheme a signalé qu’en 2018, il y a eu un Examen relatif à l’amélioration opérationnelle, qui portait sur les défis liés à l’utilisation du renseignement comme élément de preuve. Des 76 recommandations issues de cet exercice, 18 n’ont pas encore été pleinement mises en œuvre pour faciliter l’utilisation complète du renseignement dans des poursuites criminelles[219].

3.     Cherie Henderson, directrice adjointe, Exigences, Service canadien du renseignement de sécurité

a) Observations au sujet du système canadien de sécurité nationale et de renseignement

Cherie Henderson, directrice adjointe, Exigences, au Service canadien du renseignement de sécurité, a indiqué au Comité que les séances d’information sur la sécurité défensive du SCRS visent à informer les députés concernés et à sensibiliser les gens à l’ingérence étrangère[220].

Mme Henderson a expliqué au Comité que le SCRS a mis en place les notes de gestion des enjeux en 2015 pour s’assurer « de pouvoir renseigner sur un élément précis à un moment donné[221] ». Elle a précisé que les notes de gestion des enjeux sont envoyées à des personnes précises au sein d’un ministère[222]. Les ministres et sous-ministres n’ont pas accès au système qui reçoit les notes de gestion des enjeux. Mais si le SCRS détermine qu’un ministre devrait voir une note de gestion des enjeux, une note l’indiquant est jointe au document[223].

Mme Henderson a indiqué au Comité que le SCRS détermine s’il doit communiquer des renseignements en évaluant chaque élément en fonction de ses mérites propres et en examinant la façon dont il s’inscrit dans le contexte général[224]. Elle a ajouté que transmettre de l’information sans l’avoir préalablement examinée attentivement pourrait nuire à la crédibilité de l’organisation[225].

4.     Daniel Jean, ancien conseiller du premier ministre en matière de sécurité nationale et de renseignement

a) Définir les menaces d’ingérence étrangère et comprendre les motifs

Daniel Jean, qui a été conseiller auprès du premier ministre en matière de sécurité nationale et de renseignement du 16 mai 2016 au 22 mai 2018, a indiqué au Comité qu’à son avis, l’ingérence étrangère est « une question beaucoup plus large que la question électorale[226] ». Il a affirmé que l’une de ses grandes préoccupations demeure la surveillance, l’intimidation et le harcèlement des membres des diasporas vivant au Canada. Il a souligné qu’il y avait eu récemment une hausse du nombre des membres de ses communautés qui osent parler, surtout depuis que les médias ont révélé qu’un parlementaire avait été la cible d’activités d’ingérence étrangère.

b) Observations au sujet du système canadien de sécurité nationale et de renseignement

M. Jean a signalé qu’il avait contribué à la rédaction de deux rapports récents sur l’état actuel de la stratégie du Canada en matière de sécurité nationale. Les auteurs de ces rapports mentionnent le manque de culture du Canada en ce qui concerne la sécurité nationale et le renseignement. Il a expliqué que les auteurs se demandaient pourquoi il y avait seulement un intérêt politique pour ces deux questions en période de crise. À son avis, le Canada doit faire preuve de plus de maturité lorsqu’il s’agit de la sécurité nationale[227].

En ce qui concerne le Groupe des cinq, M. Jean a fait remarquer que le Canada ne sera jamais en mesure de contribuer autant que les États-Unis ou le Royaume-Uni, car il n’a pas les ressources pour le faire. Il a toutefois précisé que dans les conversations qu’il avait eues avec ces partenaires, il a toujours insisté sur le fait que la qualité du travail d’un pays est aussi importante que le volume[228].

c) Questions diverses relatives à la sécurité nationale et au renseignement

M. Jean a transmis au Comité de l’information au sujet de la note de service de juin 2017 du BCP, dont il était l’auteur final. Il a indiqué que cette note avait été transmise au premier ministre et qu’elle avait ensuite été divulguée sans permission à Global News.

Il a expliqué que l’équipe du conseiller en matière de sécurité nationale et de renseignement rédige des notes de service lorsqu’une question doit être examinée par le BCP et que « suffisamment d’éléments ont évolué, ce qui fait que le premier ministre doit en être informé ou que des recommandations doivent être formulées[229] ».

Selon M. Jean, son équipe et lui ont préparé la note de juin 2017 parce qu’ils étaient de plus en plus préoccupés par certaines activités de la RPC. Ils étaient particulièrement préoccupés à l’époque par la sécurité économique et le fait que la RPC cherchait à acquérir des technologies sensibles[230].

Par ailleurs, M. Jean a rappelé que le président Xi Jinping menait à l’époque une vaste campagne anticorruption. Des gens du milieu de la sécurité croyaient que les rivaux politiques du président figuraient parmi les cibles de cette campagne. Pour ces raisons, l’équipe de M. Jean voulait qu’il soit clair que la RPC ne devait pas, de quelque manière que ce soit, intervenir au Canada, par exemple en pourchassant des personnes qu’elle considérait comme des fugitifs. M. Jean a mentionné qu’il avait eu plusieurs discussions avec la RPC sur l’importance de passer par les voies diplomatiques[231].

En réponse à une question d’un membre du Comité sur l’omission apparente d’une phrase dans la note de service de juin 2017 du BCP dans une version par rapport à une autre, M. Jean a répondu qu’à l’époque, le SCRS « n’avait pas encore commencé à nommer la Chine dans son rapport annuel sur l’ingérence étrangère. Ce n’est que récemment qu’il a commencé à le faire[232] ».

d) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

Lors de sa comparution, M. Jean a présenté aux membres du Comité des suggestions à étudier en vue de renforcer le système canadien de lutte contre l’ingérence étrangère. En voici certaines[233] :

  • Mettre à jour la Loi sur le SCRS : Le SCRS était peut-être très limité dans ce qu’il pouvait communiquer à M. Chong en raison de l’absence de mesures législatives à cet égard, ce que M. Jean jugeait préoccupant. Ce témoin a par ailleurs mentionné que d’autres pays mettent à jour leur loi sur la sécurité nationale tous les trois ou quatre ans. Enfin, il a fait remarquer que si l’on va « trop loin au moyen d’une directive ministérielle sans légiférer, à un moment donné, des gens, les tribunaux, diront que vous avez peut-être dépassé les limites ».
  • Établir un registre des agents étrangers : M. Jean a toutefois souligné qu’un tel registre n’est pas une panacée en soi, ajoutant qu’il ne doit pas y avoir « d’énormes » exemptions et que les sanctions – de nature criminelle ou monétaire — applicables aux personnes qui ne respecteront pas les règles doivent avoir un réel effet dissuasif. Il a aussi proposé que le registre soit calqué sur le modèle de la Loi sur le lobbying.
  • Créer un mécanisme pour convertir le renseignement en élément de preuve : M. Jean a proposé de « commencer par quelque chose de limité et voir si cela fonctionne ».
  • Changer la culture au sein du SCRS lorsqu’il s’agit de communiquer avec les gens qui, à sa connaissance, sont la cible d’activités d’ingérence étrangère afin de s’assurer qu’ils sont en mesure de se défendre.
  • Mettre en place un espace sécuritaire pour que les Canadiens qui se font harceler et intimider puissent s’exprimer.

En outre, M. Jean a relaté les mesures prises par l’Australie pour lutter contre l’ingérence étrangère. En 2017, le pays a fait appel à John Garnaut, un journaliste qui était un expert sur la Chine. M. Garnaut a travaillé avec l’équivalent australien du SCRS pour produire un rapport classifié secret. Ce rapport était à l’origine des mesures prises par les Australiens, « qu’il s’agisse de leurs politiques, de leur registre d’agents étrangers, de leurs pénalités plus sévères pour l’ingérence étrangère ou des mesures visant à protéger les représentants élus[234] ».

5.     Michel Juneau-Katsuya, ancien chef du bureau Asie-Pacifique, Service canadien du renseignement de sécurité

a) Définir les menaces d’ingérence étrangère et comprendre les motifs

Michel Juneau-Katsuya, ancien chef du bureau Asie-Pacifique au SCRS, a expliqué au Comité que de nombreuses agences de renseignement occidentales, notamment le SCRS, ont encore de la difficulté à comprendre les rouages des services de renseignement et du gouvernement de la RPC. Il a indiqué que le SCRS a tendance à adopter une perspective eurocentrique ou axée sur la Russie pour analyser ce qui se passe dans le monde du renseignement. Or, à son avis, la RPC opère différemment, car le gouvernement n’est pas élu, ce qui signifie que certaines activités de renseignement peuvent s’échelonner sur 5, 10, 15 et même 20 ans[235].

M. Juneau-Katsuya a affirmé que dès le milieu des années 1990, le SCRS avait observé des activités d’ingérence étrangère provenant de l’ambassade de Chine au Canada. Se fondant sur son expérience au SCRS, il a estimé que plus de 70 % du personnel de l’ambassade de la RPC étaient des espions[236].

Une membre du Comité a lu un extrait de la Loi de 2017 sur le renseignement national de la RPC : « Tant que les institutions actives dans le domaine du renseignement national respectent les pouvoirs qui leur ont été conférés dans l’exercice de leurs fonctions, elles peuvent, conformément à l’article 14, "demander aux organes, aux organisations et aux citoyens compétents de leur assurer le soutien, l’aide et la coopération nécessaires"[237] ». Selon M. Juneau-Katsuya, cette loi envoie un message menaçant aux autres pays et à tous les membres de la diaspora chinoise, pour qui cette loi signifie qu’ils doivent collaborer avec la RPC, peu importe s’ils doivent trahir le pays où ils résident[238].

M. Juneau-Katsuya a expliqué que les Canadiens doivent comprendre que les services du renseignement de la RPC relèvent directement ou presque du Comité central communiste, qui leur ordonne quoi faire.

De plus, M. Juneau-Katsuya a souligné que d’après des allégations provenant des médias, certaines personnes résidant au Canada étaient à la solde de la RPC. Ainsi, l’ingérence étrangère au Canada n’est pas seulement attribuable à des diplomates étrangers, mais aussi à des Canadiens qui aident d’autres pays en commettant des actes qui reviennent presque à de la trahison[239].

b) Observations au sujet du système canadien de sécurité nationale et de renseignement

M. Juneau-Katsuya a fait part au Comité de ses vues sur les problèmes de communication au sein du système canadien de sécurité nationale et de renseignement et des difficultés liées à la conversion du renseignement en élément de preuve.

Il a indiqué que les problèmes de communication sont à la fois horizontaux et verticaux. À l’horizontale, l’information n’est pas communiquée comme elle le devrait entre les organismes de sécurité et du renseignement[240], ce qui, à son avis, porte atteinte à la sécurité nationale. Il a donné des exemples où le SCRS, la GRC et d’autres organismes n’ont pas communiqué les uns avec les autres, notamment les affaires du vol 182 d’Air India, d’Adil Charkaoui, d’Ahmed Ressam et de Jeffrey Delisle.

En ce qui concerne la communication verticale, il a déclaré que l’information n’est pas transmise de manière efficace à partir des agences vers les personnes en position de leadership (comme le Cabinet du premier ministre ou les ministres concernés).

Au sujet de la conversion du renseignement en élément de preuve, M. Juneau-Katsuya a signalé que c’est un problème qui existe depuis la création du SCRS. Selon lui, le Service a été créé historiquement pour les mauvaises raisons, vu l’ordre de ne jamais se placer dans une situation où un agent doit témoigner devant un tribunal[241].

Dans les affaires citées, où des informations n’ont pas été transmises d’un organisme à l’autre, M. Juneau-Katsuya a déclaré que la faute incombait au SCRS, car ses agents n’avaient pas voulu témoigner ou donner des informations. Il a indiqué que lorsque le SCRS transmet de l’information à la GRC pour une instance judiciaire, la GRC doit pouvoir préciser d’où vient celle-ci. Or, le SCRS évite à tout prix de témoigner devant un tribunal.

c) Ingérence étrangère lors d’élections fédérales ou provinciales antérieures

M. Juneau-Katsuya a dit au Comité que chaque premier ministre, depuis M. Mulroney, « a été compromis d’une façon ou d’une autre, ce qui a mené à des décisions discutables en ce qui a trait aux intérêts du Canada[242] ». Selon lui, cette situation est « attribuable à l’agent d’influence qui a réussi à accéder au processus décisionnel[243] ». Par conséquent, à son avis, même si M. Harper a pris de mauvaises décisions, il n’était pas le seul premier ministre à l’avoir fait.

M. Juneau-Katsuya a également indiqué au Comité ce qu’il pensait de la décision du gouvernement d’interdire la société Huawei Technologies de participer à la mise en place du réseau sans fil de cinquième génération au Canada. Il a souligné que les partenaires du Groupe des cinq, qui devait comme le Canada prendre une décision concernant Huawei, ont choisi assez rapidement d’ostraciser la société. Le Canada, quant à lui, a tardé à en arriver à une décision. Selon lui, l’ambivalence du Canada dans cette affaire explique pourquoi on parle de l’existence d’une opération en provenance des États‑Unis qui s’appelait Dragon Lord et remontait au milieu des années 1990. Cette opération visait à surveiller les activités et les actions politiques au Canada, car on soupçonnait que le pays était influencé ou avait été infiltré par l’étranger, ou n’était pas capable de prendre des mesures adéquates pour protéger l’alliance du Groupe des cinq, et par conséquent pour assurer la sécurité canadienne en général. Selon ce témoin, l’affaire Huawei semble démontrer que le partenaire de sécurité américain doit surveiller les décisions du Canada[244].

d) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

M. Juneau-Katsuya a présenté une recommandation au Comité : que tous les candidats participant à une élection fédérale signent une déclaration, sur la foi de leur honneur, qui dit qu’ils n’ont pas été influencés par un État étranger ou qu’ils n’agissent pas sous l’autorité d’un État étranger. Il a proposé que le personnel des candidats signe la même déclaration[245].

6.     Mike MacDonald, sous-ministre adjoint principal, Bureau du dirigeant principal de l’information, Secrétariat du Conseil du Trésor

a) Observations au sujet du système canadien de sécurité nationale et de renseignement

Mike MacDonald, sous-ministre adjoint principal du Bureau du dirigeant principal de l’information au Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT), a parlé au Comité de son expérience au sein du milieu canadien de la sécurité nationale et du renseignement. De 2020 à 2023, il a occupé le poste de secrétaire adjoint du Secrétariat de la sécurité et du renseignement au Bureau du Conseil privé. En 2021, il a été conseiller à la sécurité nationale et au renseignement par intérim pour une période de deux semaines et demie (du 15 juillet au 3 août 2021), ce qui coïncide avec la distribution de l’évaluation du renseignement du SCRS datée du 20 juillet CSIS concernant les menaces à l’endroit de M. Chong[246].

M. MacDonald a exposé son rôle actuel au sein du SCT, qui consiste à conseiller et à soutenir la conseillère à la sécurité nationale et au renseignement ainsi qu’à remplir des fonctions de gestion pour les comités interministériels de sécurité et du renseignement.

Selon lui, le Canada dispose d’outils solides pour combattre l’ingérence étrangère dans les élections, y compris le Protocole public en cas d’incident électoral majeur, qui a mené à la création du groupe de cinq hauts fonctionnaires et du Groupe de travail MSRE. En outre, ce témoin a signalé que l’OSSNR et le CPSNR menaient des études sur l’ingérence étrangère[247].

Cependant, M. MacDonald a déclaré qu’il « ne devrait pas y avoir de doute », dans l’esprit des Canadiens, « quant au risque d’interférence étrangère dans nos institutions démocratiques[248] ». En effet, vu la gravité de ces menaces, il importe de faire preuve d’une très grande diligence. M. MacDonald a par ailleurs souligné qu’il faut également maintenir un équilibre entre les faits et les mesures à prendre dans le contexte des opérations de sécurité et de renseignement. Il a dit qu’il faut faire preuve de jugement pour déterminer s’il faut passer à l’action ou continuer de surveiller la situation, de l’évaluer et de donner des conseils[249].

M. MacDonald était également d’avis que l’on pouvait affirmer avec confiance que les élections fédérales de 2019 et de 2021 étaient libres et équitables[250].

b) Évaluation du renseignement du Service canadien du renseignement de sécurité datée du 20 juillet 2021

Lors de la comparution de ce témoin, le Comité a soulevé des questions au sujet de l’évaluation du renseignement préparée le 20 juillet 2021 par le SCRS. M. MacDonald a reconnu qu’il était conseiller par intérim à la sécurité nationale et au renseignement auprès du premier ministre lorsque ce rapport a été produit. Il en a toutefois appris l’existence en parcourant le reportage publié par le Globe and Mail le 1er mai 2023.

M. MacDonald a fait savoir au Comité qu’il avait regardé dans ses dossiers personnels datant de sa période de travail au BCP et il a confirmé qu’il n’avait pas reçu directement le rapport du 20 juillet 2021 du SCRS. Il a déclaré qu’il ne savait pas à quels bureaux le rapport avait été transmis. Il a présumé que l’information « s’est retrouvée à différents endroits au Bureau du Conseil privé, car c’est là que le renseignement est habituellement envoyé pour être distribué ou imprimé dans des trousses de lecture et ainsi de suite[251] ».

Se fondant sur son expérience de travail dans le milieu de la sécurité nationale, M. MacDonald a expliqué que le renseignement est acheminé et échangé de différentes façons, notamment les suivantes[252] :

  • par l’entremise du système électronique ou du système classifié « très secret »;
  • directement par les analystes du renseignement;
  • dans des trousses d’information;
  • à sa demande : l’agent du CST responsable des relations avec les clients préparait des documents de renseignement et d’information sur des questions d’actualité en fonction de ses besoins.

M. MacDonald a indiqué que l’affaire du rapport du 20 juillet 2021 du SCRS a fait ressortir qu’à ce moment, le processus de communication était inadéquat et qu’il y avait eu une défaillance. Il a précisé que des systèmes ont depuis été mis en place pour corriger la situation[253].

Enfin, il a souligné le fait que des quantités énormes de renseignements sont produites par le Canada, soit plus de 60 000 rapports par année, ce à quoi il faut ajouter les rapports provenant du Groupe des cinq. Il a déclaré qu’il est difficile de tout revoir et décortiquer[254].

c) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

M. MacDonald a communiqué au Comité les leçons qu’il avait apprises de cadres supérieurs du milieu de la sécurité et du renseignement, à savoir que les députés[255] :

  • en tant que consommateurs de renseignement, devaient remettre en question le renseignement qu’ils avaient reçu, parce que celui-ci donne rarement un tableau complet, jetant tout simplement de la lumière sur un moment précis;
  • devaient évaluer et contextualiser le renseignement qu’ils avaient reçu pour se faire une meilleure idée de la situation et dresser un portrait d’ensemble de ce qu’il révélait ou non;
  • devaient donner des conseils éclairés sur ce que signifie le renseignement et présenter des options aux décideurs de haut niveau.

Pour terminer, il a fait remarquer qu’il faut améliorer la façon dont le renseignement est communiqué, ainsi que la manière dont il est porté à l’attention des gens lorsque la situation l’exige[256].

7.     David Morrison, sous-ministre des Affaires étrangères, ministre des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement

a) Évaluation du renseignement du Service canadien du renseignement de sécurité datée du 20 juillet 2021

David Morrison, sous-ministre des Affaires étrangères au ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, a agi comme conseiller en matière de sécurité nationale et de renseignement pour une période de six mois (du début juillet 2021 au 21 janvier 2022). Il a précisé qu’il avait assumé ce rôle tout en étant conseiller en matière de politique étrangère et de défense.

M. Morrison a transmis au Comité des informations sur l’évaluation du renseignement du SCRS portant sur l’ingérence étrangère par la Chine, qui avait été diffusée le 20 juillet 2021 et qui a été divulgué sans autorisation au Globe and Mail en mai 2023. Il a ensuite répondu à des questions à ce sujet.

Il a déclaré que les documents du Bureau du Conseil privé indiquent que l’évaluation du renseignement du SCRS datée du 20 juillet 2021 était dans son dossier de lecture du 17 août 2021, mais a précisé qu’il ne se « souvien[t] pas de l’avoir reçu ou de l’avoir lu à ce moment‑là[257] ». Il se rappelle plutôt qu’il était complètement accaparé par le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan le 15 août 2021 et les évacuations subséquentes.

M. Morrison a précisé qu’il a lu le rapport en question lorsque la situation en Afghanistan est devenue plus stable. Il a alors demandé un document de suivi aux analystes du BCP afin d’obtenir le portrait le plus complet possible de l’ingérence étrangère de la RPC au Canada[258]. Demandée à titre d’information et non afin de décider de mesures à prendre, la note en question n’a pas été produite avant que M. Morrison cesse ses fonctions de conseiller intérimaire à la sécurité nationale et au renseignement. Ce dernier a toutefois reconnu qu’une grande partie de son contenu avait été rapporté par Global News. Il a déclaré qu’il savait que le département du Travail du Front uni de la RPC existait sous une forme ou une autre au Canada depuis les années 1950 et qu’il souhaitait en savoir plus sur ses activités[259].

De plus, selon M. Morrison, deux aspects importants de l’évaluation du renseignement du SCRS datée du 20 juillet 2021 semblent avoir été mal compris de la plupart[260] :

  • D’abord, le rapport avait pour but d’informer les lecteurs des questions qui y étaient abordées et non de les amener à prendre des mesures. Il visait à établir « une base de référence pour comprendre l’intention, les motifs et la portée de l’ingérence étrangère de Pékin au Canada ». Le rapport ne nommait aucun député. Selon M. Morrison, les rapports de cette nature du SCRS sont des évaluations périodiques approfondies produites pour aider les lecteurs à comprendre des questions complexes. « Ce n’est certainement pas quelque chose dont je me serais empressé d’aller parler au premier ministre », a-t-il précisé.
  • Deuxièmement, toute personne ayant lu « un tel rapport aurait pu présumer sans crainte de se tromper que toute mesure nécessaire sur l’un ou l’autre des points précis soulevés avait déjà été prise ». C’était d’ailleurs le cas en ce qui concerne les actions de la RPC contre des députés qui étaient mentionnées dans le rapport.

Pour donner un peu de contexte sur le rapport du 20 juillet 2021 du SCRS, M. Morrison a expliqué que la RPC avait établi des profils et envisagé des mesures à prendre à l’endroit de M. Chong et d’autres députés après le dépôt d’une motion le 18 février 2021 par M. Chong demandant à la Chambre de reconnaître que la RPC était coupable de génocide envers les Ouïghours et les autres musulmans turcs en Chine.

M. Morrison a signalé que lorsque le renseignement au sujet de l’existence d’une menace à l’endroit des députés a fait surface pour la première fois en février et en mars 2021, l’information était alarmante, mais il n’était pas question de menace physique. Il a déclaré qu’il revenait aux autres intervenants du système de sécurité et de renseignement de déterminer, à ce moment, à quel point la situation était alarmante et quelles mesures s’imposaient[261].

Compte tenu des activités de la RPC, le SCRS a préparé une note de gestion des enjeux en mai 2021 à l’intention du ministre de la Sécurité publique. Cette note visait à l’informer que le Service avait l’intention de fournir une séance de breffage sur la sécurité défensive aux députés qui, d’après le renseignement, étaient ciblés par la RPC. Cette note n’avait pas pour but de demander une décision au ministre[262].

De façon générale, M. Morrison estimait que le système de sécurité et de renseignement avait fonctionné conformément aux protocoles en place à ce moment-là. Il a signalé que des changements ont été apportés au système depuis. Entre autres, une nouvelle directive ministérielle a été donnée le 16 mai 2023 afin de veiller à ce que tout renseignement concernant des députés en particulier soit transmis aux ministres[263]. M. Morrison a ajouté que l’attention accordée au rapport du 20 juillet 2021 était mal placée, car avant même sa publication, des mesures avaient été prises par les autorités compétentes à l’égard du ciblage des députés[264].

Des membres du Comité se sont dits sidérés que M. Morrison, en sa qualité de conseiller intérimaire à la sécurité nationale et au renseignement et après avoir lu qu’un député et sa famille étaient ciblés par la RPC, n’ait pas veillé à ce que le député en question soit informé de la situation et qu’il n’en ait pas informé le ministre concerné et le premier ministre. Dans la même veine, certains se sont dit préoccupés par le fait que M. Morrison, qui a pourtant été membre du groupe d’experts responsable du Protocole public en cas d’incident électoral majeur pour les élections générales de 2021, ne semblait pas avoir noté l’importance de la note de service concernant l’existence de menaces à l’endroit de politiciens qui lui avait été transmise deux jours après le déclenchement des élections aux vues des informations sur les activités suspectes qu’il avait reçues durant la période électorale.

M. Morrison a répondu que les rapports et notes qu’il avait reçus dans son rôle de conseiller intérimaire à la sécurité nationale et au renseignement et celui de sous-ministre, lui avaient été soumis à titre d’information, et non pour qu’il décide des mesures à prendre.

b) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

M. Morrison a expliqué au Comité qu’à son avis, le système canadien de sécurité nationale est structuré actuellement pour combattre le terrorisme. Il a précisé que ce système a été mis en place autour de 1989 et qu’après les attentats de septembre 2001, la principale menace a été considérée comme provenant des terroristes. Il a indiqué que malgré l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le terrorisme demeure la principale menace pour le Canada[265].

8.     Dan Stanton, ancien directeur exécutif, Service canadien du renseignement de sécurité

a) Observations au sujet du système canadien de sécurité nationale et de renseignement

Dan Stanton, ancien directeur exécutif du SCRS, a déclaré devant le Comité qu’il tire une très grande fierté de ses 30 années au service du SCRS et de l’important travail que fait cette organisation pour garder les Canadiens en sécurité[266]. Il croit cependant que le système ne fonctionne pas. M. Stanton a affirmé qu’on aurait dû informer en priorité M. Chong que sa famille et lui-même étaient ciblés par le régime chinois dès que le SCRS a eu connaissance d’informations crédibles à ce sujet[267]. En fait, M. Stanton croit que le SCRS aurait dû aviser M. Chong directement, plutôt que d’attendre que l’information lui soit transmise par l’appareil gouvernemental[268].

M. Stanton s’inquiète de la manière dont l’information circule, ou pas, entre le SCRS et les ministres. Il croit qu’il y a des lacunes à combler dans le processus de communication du renseignement. Il a insisté sur la nécessité de transmettre les informations importantes aux ministres pour leur permettre de prendre des décisions[269].

En ce qui concerne M. Chong, M. Stanton a cru comprendre que le SCRS a colligé les renseignements, estimé que des mesures immédiates s’imposaient et transmis l’information en suivant le processus habituel, mais que cette information n’a pas été lue[270]. Il a dit que pour avoir travaillé pendant 32 ans dans le domaine de la collecte d’informations, il trouvait cela « désolant[271] ». Comme la production de rapports de renseignements comporte des risques et des dépenses considérables, ces rapports devraient être lus[272].

Si M. Stanton considère que les mécanismes de transmission de l’information ne fonctionnent pas, il a également mis en garde contre un système dans lequel les agences influeraient sur l’argumentaire en disant aux décideurs quoi lire[273].

M. Stanton a aussi fait part de ses préoccupations au sujet des fuites de renseignements[274]. Il croit que la méfiance que les Canadiens éprouvent à l’égard de l’institution crée l’impression chez les auteurs de fuites que leurs gestes sont « nobles ». Il veut que l’on mette fin aux fuites[275].

b) Mérites d’une enquête publique

De l’avis de M. Stanton, une enquête publique est nécessaire pour que les Canadiens regagnent confiance dans leurs services de renseignement[276]. M. Stanton n’est pas convaincu par l’argument selon lequel une enquête publique dérangerait le Groupe des cinq[277]. Il a dit au Comité qu’il avait travaillé avec neuf des douze agences du renseignement partenaires du Groupe des cinq, et qu’elles ont une grande estime pour les agences et les infrastructures de renseignement et de sécurité nationale du Canada[278]. Si des rapports du Groupe des cinq devaient être cités dans le cadre d’une enquête publique, ils pourraient être « caviardés » avant divulgation[279]. De plus, si une enquête publique devait traiter d’informations sensibles, on pourrait tenir les discussions à huis clos pour protéger ces informations[280].

M. Stanton a indiqué au Comité qu’il y avait des précédents en matière d’enquête publique sur les questions de sécurité nationale, en rappelant la commission d’enquête menée par le juge John Major sur l’attentat à la bombe contre le vol 182 d’Air India[281].

c) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

M. Stanton a expliqué que le SCRS, le CST et les Forces armées canadiennes (FAC), entre autres, sont soumis à un examen annuel pour évaluer leur rendement et leur conformité aux politiques en vigueur[282]. Il a laissé entendre que le même type d’examen devrait s’appliquer aux décideurs qui obtiennent des renseignements[283]. M. Stanton a plaidé en faveur d’une plus grande responsabilité ministérielle, chaque ministère étant chargé de transmettre l’information en matière de renseignement[284].

9.     Rob Stewart, sous-ministre, Commerce international, ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement

a) Mesures prises pour neutraliser les menaces d’ingérence étrangère touchant les processus démocratiques

Rob Stewart, sous-ministre du Commerce international au ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, a dit au Comité que l’ingérence étrangère est constante, que des efforts clandestins et trompeurs sont déployés dans le but d’influencer nos processus démocratiques. Il a affirmé qu’il s’agit d’un problème grave qui doit être pris très au sérieux[285].

M. Stewart a déclaré que dans son rôle de sous-ministre de la Sécurité publique lors des élections générales de 2021, il avait fait partie du groupe des cinq hauts fonctionnaires chargés d’appliquer le Protocole public en cas d’incident électoral majeur[286].

Il a rappelé au Comité que pour les élections générales fédérales de 2019 et 2021, ce groupe avait conclu que l’ingérence étrangère n’avait pas eu d’incidence sur l’intégrité des élections. Il a toutefois déclaré que les menaces qui pèsent sur la démocratie canadienne sont réelles[287].

M. Stewart a transmis de l’information sur le plan mis en place par le gouvernement pour protéger la démocratie canadienne à l’approche des élections fédérales générales de 2019, un plan qui faisait intervenir l’ensemble de la société. Il a commencé par souligner que le Protocole public en cas d’incident électoral majeur joue un rôle essentiel en vue d’informer les Canadiens d’événements qui ont un impact sur la capacité du Canada de tenir des élections libres et équitables pendant la période où la convention de transition est en vigueur (c.-à-d. durant la période électorale).

Il a expliqué que ce protocole est administré par un groupe de cinq hauts fonctionnaires. S’appuyant sur des sources d’information et de renseignement de l’intérieur et de l’extérieur de la fonction publique, le groupe doit faire preuve de beaucoup de jugement pour déterminer si un incident ou une série d’incidents atteignent le seuil exigeant une annonce publique. Ce seuil est élevé, et l’annonce est considérée comme un dernier recours. Le groupe prend ces décisions de manière consensuelle[288].

Par ailleurs, M. Stewart a souligné que le groupe avait compris que son travail consistait à déterminer s’il y avait une menace à l’intégrité des élections en général, et non s’il y avait une menace aux élections dans une circonscription donnée. Dans cette optique, le groupe est informé « d’activités douteuses dans diverses circonscriptions[289] ».

Le Comité souligne qu’il a des inquiétudes quant à la manière dont sont fixés les critères établissant le seuil à atteindre pour qu’une annonce soit faite au public, et quant à savoir si ce seuil, appliqué lors des deux dernières élections générales, est trop élevé. De même, il est préoccupé par le fait que le groupe d’experts a été informé d’activités suspectes dans plusieurs circonscriptions, mais qu’aucune des parties concernées n’en ait été informée en temps utile ou, pire encore, ait tout simplement été avisé.

Au sujet des sources d’information et de renseignement, M. Stewart a déclaré que lors des élections de 2021, le groupe avait reçu des documents d’information du Groupe de travail MSRE, lequel est composé de représentants du CST, du SCRS, de la GRC et de l’équipe du MRR d’Affaires mondiales Canada[290].

b) Observations au sujet du système canadien de sécurité nationale et de renseignement

M. Stewart a transmis au Comité de l’information sur la collecte d’information et de renseignement au Canada et sur les rapports qui sont produits à partir de ceux-ci. Il a indiqué qu’au pays, les organismes canadiens recueillent deux types de renseignements : le renseignement humain (soit de sources humaines) et le renseignement d’origine électromagnétique (soit les transmissions électroniques).

Il a expliqué que la véracité du renseignement, surtout à l’état brut, varie, allant de quelque chose qui donne une certaine certitude à quelque chose qui semble très hypothétique. Pour cette raison, il faut en évaluer la crédibilité. Il a fait remarquer que les gens du milieu de la sécurité et du renseignement utilisent l’expression « selon notre évaluation, c’est le cas », plutôt que « nous savons que c’est vrai[291] ».

M. Stewart a indiqué que le renseignement humain et le renseignement de source électromagnétique sont présentés sous deux formes : les rapports contenant le renseignement brut et ceux contenant le renseignement évalué. Dans le deuxième cas, le renseignement est distillé et analysé pour en déterminer la crédibilité et la vérifiabilité. Il a ajouté que « quelques unités du gouvernement » préparent des documents de renseignement autonomes qui présentent des points de vue sur le monde; il s’agit de documents étayés par des renseignements très secrets et contenant de telles informations. Enfin, le Canada obtient du renseignement du réseau du Groupe des cinq, et ces produits proviennent des divers organismes de ces pays.

M. Stewart a déclaré que le renseignement obtenu de ces sources est colligé dans un cartable tous les deux ou trois jours. Il a dit, que dans un rôle de sous-ministre de la Sécurité publique, on « parcourt [le cartable] et on essaie de dégager des tendances ou des questions d’intérêt. Elles sont généralement du point de vue de la sécurité publique, les plus importantes[292]. »

M. Stewart a ajouté que le renseignement tiré des médias sociaux est très opaque et loin d’être facile à comprendre. Il est difficile d’évaluer avec certitude ce renseignement, car « [o]n ne peut pas être sûr de la façon dont [les médias sociaux] fonctionnent et on ne peut pas savoir qui fait quoi[293] ». Il a expliqué que c’est pour cette raison que lorsqu’une situation survient, le milieu de la sécurité et du renseignement doit prendre le temps de faire une enquête approfondie à l’aide de leurs outils.

c) Note de gestion des enjeux de mai 2021 et évaluation du renseignement du 20 juillet 2021 du Service canadien du renseignement de sécurité

Lors de sa comparution, M. Stewart a répondu à des questions sur ce qu’il savait de la note de gestion des enjeux de mai 2021 et de l’évaluation du renseignement de juillet 2021 du SCRS, la première contenant de l’information sur le ciblage, par la RPC, de M. Chong et d’autres députés.

Au sujet de la note de gestion des enjeux de mai 2021, M. Stewart a déclaré au Comité qu’il l’avait probablement lue en mai 2021. Il n’en a pas informé M. Blair, car il incombe généralement au SCRS de présenter ces notes aux hauts dirigeants, dans le cadre de leurs discussions avec les représentants de Sécurité publique Canada. Il a également précisé qu’il n’était pas au courant d’une décision opérationnelle de ne pas informer M. Blair au sujet de la note de gestion des enjeux[294].

Pour ce qui est du rapport du 20 juillet 2021, M. Stewart a indiqué que ses fonctions de sous‑ministre de la Sécurité publique n’incluaient pas d’informer les nombreuses personnes au Canada qui sont couramment la cible d’activités d’ingérence étrangère. Il a précisé qu’il y a des processus en place pour informer ces personnes et qu’il ne contrôlait pas ce que les autres faisaient à ce chapitre.

M. Stewart a aussi dit au Comité qu’au Canada, le renseignement est diffusé au moyen de technologies de communication sécurisées, précisant que les points d’arrivée de ces systèmes se trouvent dans des espaces sécurisés. D’ordinaire, un ministre ou son personnel n’ont pas accès à ces systèmes, car l’« accès est rigoureusement contrôlé et généralement géré par des bureaucrates[295] ».

Par ailleurs, M. Stewart a souligné que les systèmes de communication sécurisés ne sont pas des systèmes de messagerie conventionnels : il y a du courriel dans ces systèmes, mais il est contenu à l’intérieur de ceux-ci. Pour cette raison, il ne croyait pas que l’on ait transmis par courriel à M. Blair la note de gestion des enjeux de mai 2021 du SCRS. Cette note aurait plutôt été envoyée dans un système très secret, puis téléchargée, imprimée et ensuite mise dans une trousse d’information à l’intention de M. Blair. M. Stewart a précisé qu’à Sécurité publique Canada, le renseignement est circulé sur papier. Il a dit au Comité qu’il recevait régulièrement des cahiers d’information sur le contenu du renseignement provenant de divers systèmes[296].

10.     Jody Thomas, conseillère à la sécurité nationale et au renseignement, Bureau du Conseil privé

a) Observations au sujet du système canadien de sécurité nationale et de renseignement

Jody Thomas, conseillère à la sécurité nationale et au renseignement au Bureau du Conseil privé pour la période allant du 11 janvier 2022 au 26 janvier 2024, a dit au Comité que les organismes de sécurité du Canada recueillent entre 3 000 et 4 000 éléments de renseignement par mois[297]. S’ajoutent à cela les renseignements que le Canada reçoit du Groupe des cinq[298]. Mme Thomas a expliqué que les organismes de renseignement ne peuvent pas transmettre toute l’information qu’ils détiennent[299]. Ce sont plutôt les responsables des relations avec les clients qui choisissent et diffusent les renseignements[300].

À titre de conseillère à la sécurité nationale et au renseignement, Mme Thomas reçoit quotidiennement un dossier de lecture qui peut contenir entre 50 et 100 éléments de renseignement[301]. Mme Thomas a fait remarquer que, dans certains cas, le renseignement lui est transmis directement et qu’elle décide ensuite à qui il devrait être communiqué au sein du BCP[302].

Mme Thomas a expliqué qu’elle reçoit différents types de renseignements dans le cadre de ses fonctions. Parfois, elle obtient des renseignements qui ont été évalués par la Direction de l’évaluation du renseignement du BCP[303]. À d’autres moments, elle peut recevoir des éléments de renseignement non corroborés de source unique[304]. Lors de son témoignage devant le Comité, Mme Thomas a expliqué qu’un seul élément de renseignement est rarement une preuve tangible[305]. Les éléments de renseignement racontent une histoire qui se construit avec le temps et qu’il faut analyser[306].

Les membres du Cabinet du premier ministre (CPM) reçoivent chaque jour des dossiers de lecture sur le renseignement semblables à ceux qui sont remis à Mme Thomas. Les trousses de documents destinées au CPM sont préparées par les agents des relations avec la clientèle. En plus de ces dossiers de lecture quotidiens, Mme Thomas et le Secrétariat de l’évaluation du renseignement au BCP envoient aux membres du CPM des notes d’information hebdomadaires sur une série de questions[307].

Mme Thomas a dit au Comité que les élections canadiennes ont été libres, ouvertes et sûres[308]. De l’avis de Mme Thomas, les organismes canadiens du renseignement font un bon travail de collecte et d’analyse de l’information, mais ne conseillent pas le gouvernement de manière adéquate[309]. Elle a indiqué que l’élément essentiel du renseignement, c’est ce que l’on en fait; cela veut dire qu’il faut discuter pour savoir ce qu’il signifie et comment l’utiliser[310].

Enfin, Mme Thomas a dit également au Comité que le SCRS est limité par sa loi, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Elle a expliqué que le SCRS ne peut communiquer de l’information que dans le cadre d’une mesure officielle de réduction de la menace[311].

b) Mesures prises pour contrer les menaces d’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

Mme Thomas a indiqué au Comité qu’il ne devrait pas y avoir de point de défaillance unique dans le système de renseignement[312]. Elle a ajouté que dans le cas de M. Chong, non seulement le processus a échoué, mais qu’en plus, il était insuffisant[313]. Mme Thomas a expliqué que des mesures ont été prises depuis pour régler les problèmes survenus dans ce cas. Elle a dit au Comité que le 6 avril 2023, l’honorable Dominic LeBlanc, qui a été ministre des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des Collectivités d’octobre 2021 à juillet 2023, et le greffier du Conseil privé ont présenté au premier ministre un rapport décrivant les mesures qui avaient été prises[314].

  • Au printemps 2023, Sécurité publique Canada a mené des consultations publiques sur la création d’un registre visant la transparence en matière d’influence étrangère.
  • On travaille à l’élaboration de propositions législatives visant à moderniser la loi, afin que les services de renseignement et les organismes d’application de la loi puissent mieux détecter les menaces, aider les Canadiens à s’en protéger et demander des comptes aux acteurs responsables de l’ingérence étrangère.
  • Le Groupe de travail MSRE a commencé à exercer une surveillance accrue et à faire une évaluation plus serrée des menaces d’ingérence étrangère pendant les élections partielles.
  • Il y a des améliorations dans la façon dont le renseignement est communiqué et coordonné au sein du gouvernement.
  • Sécurité publique Canada a nommé un coordonnateur national de la lutte contre l’ingérence étrangère, qui pilotera la réponse proactive du gouvernement face à la menace d’ingérence étrangère.
  • Le comité des sous-ministres chargé des interventions en matière de renseignement qui a été créé aura pour mandat d’examiner le renseignement, de déterminer la réponse appropriée et de formuler des conseils à l’intention du gouvernement.
  • Le ministre de la Sécurité publique du Canada a publié une directive selon laquelle les parlementaires doivent être informés, dans la mesure du possible et dans le respect de la loi et de l’intégrité des enquêtes, de toute menace dirigée contre eux[315].

En ce qui concerne ce dernier point, Mme Thomas a expliqué que le premier ministre et le ministre Mendicino ont donné des instructions claires au SCRS et aux autres organismes du renseignement selon lesquelles ils s’attendent à ce que les députés soient mis au courant de tous les renseignements les concernant, peu importe la qualité, la gravité ou la fiabilité de ces renseignements[316]. De plus, à l’avenir, les renseignements faisant référence aux députés seront transmis directement au CSNR et aux sous-ministres[317].

Mme Thomas a indiqué au Comité qu’outre le fait qu’il fallait informer les parlementaires concernés, le premier ministre avait ordonné que tout renseignement faisant référence à de l’ingérence étrangère et à un député soit transmis à l’échelon supérieur, peu importe le niveau de crédibilité de ce renseignement[318]. Cela a été officialisé dans une directive ministérielle prise par le ministre Mendicino[319].

Mme Thomas a déclaré devant le Comité que lorsqu’on organise des séances de breffage avec les députés au sujet du renseignement, on doit avoir confiance que ces parlementaires ne divulgueront pas les informations qui leur ont été communiquées[320].

c) Observations au sujet de la question de privilège concernant la campagne d’intimidation contre le député de Wellington—Halton Hills et d’autres députés

Mme Thomas a expliqué au Comité qu’en 2021, lorsque le SCRS a identifié les menaces visant M. Chong, elle n’occupait pas le poste de conseillère à la sécurité nationale et au renseignement[321]. Elle a appris que M. Chong était ciblé en lisant un article du Globe and Mail, au printemps 2023[322]. Elle a ajouté qu’elle avait appris que Mme Kwan et M. O’Toole étaient aussi visés à peu près à la même époque[323].

Lorsque le fait que M. Chong était ciblé a été rendu public, le premier ministre a organisé une réunion entre M. Chong et Mme Thomas, au cours de laquelle cette dernière a fourni des informations[324]. Après cette rencontre, Mme Thomas a fait une recherche pour savoir à qui la note de service du SCRS de juillet 2021 avait été envoyée[325]. Ce faisant, elle a appris que la note avait était transmise au BCP en juillet 2021 et présentée au conseiller à la sécurité nationale et au renseignement par intérim en août de la même année[326]. De plus, la note de service en question avait été envoyée aux sous-ministres de la Sécurité publique, des Affaires étrangères et de la Défense nationale du Canada, mais communiquée à aucun ministre[327]. Mme Thomas a informé M. Chong des résultats de l’enquête[328].

En juillet 2021, Mme Thomas était sous-ministre de la Défense et, à ce titre, elle faisait partie des sous-ministres à qui avait été envoyée la note de service du SCRS de juillet 2021[329]. Or, il se trouve que Mme Thomas était en congé à cette période. Mme Thomas a expliqué qu’au ministère de la Défense nationale, la seule personne autorisée à lire la note de service est le sous-ministre de la Défense[330]. La note de service aurait été détruite en suivant les processus de destruction habituels et n’aurait jamais été lue par Mme Thomas[331]. Mme Thomas a fait remarquer que si la note de service du SCRS de juillet 2021 « avait été pertinente [pour] les activités du ministère de la Défense nationale », quelqu’un d’autre qu’elle, au Ministère, l’aurait lue et aurait pris des mesures en son absence[332].

d) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

Mme Thomas a dit croire qu’il fallait améliorer le système de gestion des renseignements envoyés aux bureaux des sous-ministres, des ministres et du CSNR pour permettre à ces derniers d’informer adéquatement le premier ministre et les ministres[333]. Elle a aussi insisté sur le fait que la communication de renseignements n’est qu’un élément. Le deuxième élément important est que les organismes du renseignement donnent des conseils sur quoi faire avec l’information recueillie[334].

Mme Thomas croit que la Loi sur le SCRS limite ce que le SCRS peut communiquer aux parlementaires, aux partis d’opposition et aux autres ordres de gouvernement[335]. Pour cette raison, elle estime qu’il serait « extraordinairement utile » de moderniser cette loi et d’étendre la capacité du SCRS à transmettre des informations[336].

11.     David Vigneault, directeur, Service canadien du renseignement de sécurité

a) Observations au sujet de la question de privilège concernant la campagne d’intimidation contre le député de Wellington—Halton Hills et d’autres députés

David Vigneault, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, a dit au Comité qu’en mai 2021, le SCRS avait transmis à Bill Blair, qui était alors ministre de la Sécurité publique du Canada, une note de gestion des enjeux l’avertissant que M. Chong et sa famille étaient visés par le régime chinois[337]. La note de gestion des enjeux était accompagnée d’une directive précise demandant que la note soit transmise au ministre[338]. Lorsqu’on lui a demandé si l’information contenue dans la note de gestion des enjeux de mai 2021 contenait des renseignements que M. Blair n’avait pas besoin de connaître, M. Vigneault a déclaré que « le fait que nous ayons rédigé une note sur la gestion des enjeux montre bien que nous voulions mettre l’accent sur ces renseignements[339] » pour les porter à l’attention du ministre[340]. Par contre, M. Vigneault a cru comprendre qu’il était clair que M. Blair n’avait jamais vu la note de gestion des enjeux et il n’avait aucune raison d’en douter[341].

M. Vigneault a expliqué que lui-même ou d’autres hauts responsables du SCRS rencontraient M. Blair pour lui parler d’informations qui, selon eux, devaient être portées à sa connaissance. Dans certains cas, ces informations ont également été transmises dans des documents[342]. Ces documents sont envoyés électroniquement au ministère, qui les imprime et les met à la disposition du ministre[343]. M. Vigneault a indiqué qu’il n’avait pas eu d’échanges particuliers avec M. Blair au sujet de la note de gestion des enjeux de mai 2021.

M. Vigneault estime que le SCRS peut envoyer jusqu’à trois notes de gestion des enjeux par semaine, mais parfois aucune[344].

Il considère que cette situation a permis de mettre en lumière le fait que les processus en place à l’époque ne fonctionnaient pas[345]. Il a fait remarquer que le SCRS et d’autres organismes de renseignement prennent des risques pour recueillir de l’information, et qu’il est important que cette information soit mise à la disposition des bonnes personnes[346].

En mai 2023, le SCRS a organisé une séance d’information sur la réduction de la menace à l’attention de M. Chong au cours de laquelle des renseignements classifiés lui ont été communiqués, ce qui lui a permis de prendre conscience des menaces qui pesaient contre lui[347].

b) Observations au sujet du système canadien de sécurité nationale et de renseignement

M. Vigneault a expliqué au Comité comment le SCRS collecte, analyse et transmet les renseignements. Pour commencer, le SCRS recueille de l’information auprès de sources ouvertes, au moyen d’interceptions techniques, en faisant appel à des sources humaines et à des partenaires, dans le cadre d’entrevues ou grâce à d’autres techniques d’enquête[348]. Ensuite, les professionnels du renseignement analysent l’information ainsi recueillie et, au fil du temps, dressent un tableau de la situation[349]. Cette analyse comporte plusieurs étapes, dont une évaluation de la source et de la fiabilité des informations, de la capacité à les corroborer, ainsi que des tendances passées et du contexte[350]. Enfin, le SCRS détermine quelle information peut être communiquée et à qui[351]. Il arrive que le SCRS transmette de l’information « à l’état brut » ou des produits de renseignement qui permettent de mieux comprendre la situation dans son ensemble[352]. M. Vigneault a expliqué que la « communication de renseignements et la prestation de conseils sont assujetties à des seuils dont l’établissement n’est pas une science exacte[353] ». Pour prendre une décision, le SCRS tient compte des priorités et des exigences du gouvernement en matière de renseignement. Les produits de renseignement sont transmis pour éclairer le gouvernement du Canada dans ses décisions.

M. Vigneault a expliqué que les notes de gestion des enjeux sont un type de produit généré par le SCRS. Cet outil a été créé pour permettre au SCRS de porter des informations à l’attention de certaines personnes, parfois des ministres, mais souvent d’autres membres du personnel de la fonction publique fédérale[354]. M. Vigneault a indiqué que les notes de gestion des enjeux peuvent contenir des renseignements ou un autre message que l’on souhaite transmettre à certaines personnes[355].

Il a expliqué au Comité que le Canada a l’avantage de faire partir d’un certain nombre d’organisations de défense collective, comme l’OTAN[356]. De plus, le SCRS a une composante internationale importante, avec des agents postés partout dans le monde[357].

M. Vigneault a fait observer que le SCRS enquête sur l’ingérence étrangère depuis sa création, en 1984[358]. C’est ce qui permet au SCRS d’informer depuis longtemps les Canadiens de la menace que représentent les activités d’ingérence étrangère, notamment celles menées par la RPC[359]. En réponse à ces menaces constantes, le SCRS fait état de l’ingérence étrangère depuis 30 ans dans son rapport annuel opérationnel et public. En outre, il a rendu publics des rapports non classifiés, dont le rapport intitulé L’ingérence étrangère et vous, en plus de sept langues[360]. Le SCRS a également mené des campagnes d’information et de sensibilisation auprès des collectivités, des universités et du secteur de la recherche[361].

Le SCRS se donne comme priorité de fournir aux élus des informations adaptées à leurs circonstances particulières[362]. M. Vigneault a indiqué que le SCRS s’efforce de communiquer aux représentants élus tout ce qu’ils doivent savoir pour atténuer les menaces avec lesquelles ils doivent composer[363]. Des séances d’information sur la sécurité défensive sont données par des agents du renseignement professionnels formés[364]. Si la sécurité personnelle d’un élu est menacée, les forces de l’ordre et les autorités compétentes en sont immédiatement avisées[365].

M. Vigneault s’est dit inquiet des fuites provenant de la communauté du renseignement. Il a indiqué que les fuites ont porté atteinte au moral et à la réputation de l’organisation[366]. Il a expliqué que des enquêtes sont en cours et a émis le souhait que les résultats de ces enquêtes soient rendus publics[367].

En réponse à une question sur le budget du SCRS, M. Vigneault a confirmé que le budget de 2021–2022 a été amputé de 20 millions de dollars par rapport à celui de 2020–2021[368].

c) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

M. Vigneault a dit au Comité que la révision et la modernisation de la Loi sur le SCRS bénéficiaient d’un large soutien. Il a précisé que les ministres Mendicino et LeBlanc, le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (CPSNR), l’honorable Paul Rouleau (qui a dirigé la Commission sur l’état d’urgence) et la Cour fédérale ont tous dit qu’il était nécessaire de moderniser cette loi. M. Vigneault est d’accord sur ce point et estime qu’une modernisation de la Loi sur le SCRS serait une occasion, pour le SCRS, de répondre plus adéquatement aux attentes des parlementaires[369]. Le SCRS a notamment besoin de pouvoirs élargis pour communiquer l’information[370].

12.     Artur Wilczynski, ancien sous-ministre adjoint et directeur général, opérations de renseignement, Centre de la sécurité des télécommunications

a) Observations au sujet du système canadien de sécurité nationale et de renseignement

Artur Wilczynski, ancien sous-ministre adjoint et directeur général, Opérations de renseignement, au Centre de la sécurité des télécommunications, a dit au Comité que « la diffusion, la consommation et l’utilisation du renseignement au Canada doivent être modernisées[371] ».

M. Wilczynski a expliqué au Comité qu’au Canada, le renseignement est produit par un large éventail d’intervenants incluant le SCRS, le Commandement du renseignement des Forces canadiennes, le CANAFE, l’ASFC, le Bureau du Conseil privé ainsi qu’Affaires mondiales Canada, et que l’on a également accès à d’autres renseignements provenant du Groupe des cinq, de l’OTAN et d’autres partenaires[372].

M. Wilczynski a dit au Comité qu’il était « presque impossible de gérer […] efficacement » le fort volume d’informations classifiées que reçoivent les utilisateurs de renseignements[373]. Il a laissé entendre que le Canada doit investir davantage dans l’évaluation et l’utilisation de ces renseignements[374].

b) Mérites d’une enquête publique

M. Wilczynski s’est prononcé en faveur d’une enquête indépendante afin d’instaurer la confiance dans notre démocratie et nos institutions[375]. Il a fait remarquer qu’il y a déjà eu des cas d’enquêtes publiques impliquant le traitement de documents classifiés, et que cela ne devrait pas dissuader de procéder à une enquête indépendante[376].

Par ailleurs, M. Wilczynski a fait part de son inquiétude à l’égard du fait que le personnel de la Chambre des communes ait la responsabilité de revoir et de caviarder des documents classifiés. Il a laissé entendre qu’il serait plus approprié que cela se fasse dans le cadre d’une enquête publique[377].

c) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

Lors de sa comparution, M. Wilczynski a dit qu’il fallait une plus grande transparence à l’égard du renseignement au Canada, et que ce rôle devrait incomber au bureau du CSNR[378].

Toujours selon M. Wilczynski, les sous-ministres devraient rendre plus de comptes sur la façon dont leur organisation utilise les renseignements demandés[379]. Il a indiqué que les utilisateurs de renseignements devraient communiquer avec les organisations qui collectent l’information pour leur dire quelle utilisation ils en font[380]. M. Wilczynski a fait remarquer qu’en l’absence d’une rétroaction adéquate, les clients reçoivent un volume d’informations plus important[381].

Il a dit également au Comité que le Canada doit moderniser et améliorer la coordination des agents des relations avec la clientèle. Il a expliqué que le rôle de ces agents consiste à rencontrer les clients pour s’assurer qu’ils obtiennent l’information en temps opportun[382]. Il estime que ces agents sont trop peu nombreux et qu’ils devraient être classés à un niveau supérieur pour pouvoir discuter adéquatement avec les sous‑ministres et les hauts fonctionnaires[383].

M. Wilczynski a parlé de l’importance d’établir des critères pour la communication de l’information aux parlementaires[384]. Il a dit que lorsqu’une personne fait face à une menace, il faudrait se demander si le fait de communiquer avec cette personne l’aiderait à gérer le risque[385].

G. Universitaires, observateurs de l’arène politique, anciens fonctionnaires et représentants de groupes de la société civile

1.     Peter German, président du comité consultatif, Institut de lutte contre la corruption de Vancouver

a) Observations sur la littéracie en matière de sécurité nationale

Peter German, président du comité consultatif de l’Institut de lutte contre la corruption de Vancouver, a dit au Comité de ne pas sous-estimer la littéracie en matière de sécurité nationale des Canadiens. À son avis, tous les membres de la population ont une opinion au sujet de la sécurité nationale, surtout les personnes appartenant aux diasporas ciblées par les gouvernements autoritaires des pays où ils habitaient auparavant. M. German a indiqué qu’il vivait dans la région de Vancouver, où les membres des importantes diasporas iraniennes et chinoises connaissent très bien les ramifications de l’ingérence étrangère et ont pris des positions sur ces questions[386].

b) Observations sur le blanchiment d’argent

M. German a indiqué que même si les organismes nationaux et internationaux d’application de la loi ne savent pas nécessairement comment les États étrangers déplacent leur argent, il est important d’en suivre la trace. À cette fin, les organismes d’application de la loi ont besoin de l’expertise et des ressources nécessaires pour remonter à la source, ce qui n’est toutefois pas possible dans le cas d’argent comptant[387]. Parlant de la Chine, M. German a indiqué que le gouvernement chinois est intransigeant à l’égard du crime organisé et de la criminalité liée à la drogue sur son territoire. Il en fait toutefois très peu pour poursuivre les citoyens ou personnes d’origine chinoise qui commettent ces crimes à l’extérieur de son territoire. Par conséquent, il semble y avoir beaucoup de membres du crime organisé à l’extérieur de la Chine qui ont des liens avec leur pays d’origine.

c) Accès des parlementaires aux documents confidentiels

Lorsqu’on lui a demandé si les députés qui se voient offrir l’occasion d’examiner les renseignements confidentiels mentionnés par M. Johnston devraient saisir celle-ci, M. German a répondu que oui. Il a toutefois précisé qu’un député qui jugerait le renseignement utile dans le cadre de son travail devrait certainement profiter de l’occasion qui lui est offerte[388], mais que les ententes de confidentialité lui interdiront de dévoiler les informations sensibles qu’il aura obtenues.

d) Propositions présentées au Comité

Lors de sa comparution, M. German a présenté au Comité une suggestion pour aider à renforcer le régime canadien de lutte contre l’ingérence étrangère. Selon lui, le Parlement devrait accroître la capacité du commissaire aux élections fédérales d’enquêter sur les cas d’ingérence électorale. À son avis, l’unité d’enquête du commissaire ne dispose pas des outils nécessaires pour mener une enquête sur le blanchiment d’argent. À titre exemple, il a indiqué que s’il a bien compris, le commissaire aux élections fédérales n’est pas autorisé à recevoir de renseignements provenant du CANAFE, et ce, en raison de différentes restrictions. Il ne pensait pas non plus qu’il puisse faire de l’écoute électronique[389].

2.     Thomas Juneau, professeur agrégé, École supérieure d’affaires publiques et internationales, Université d’Ottawa

a) Observations au sujet du système canadien de sécurité nationale et de renseignement

Thomas Juneau, professeur agrégé à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa, a communiqué au Comité ses vues sur plusieurs aspects du système canadien de sécurité nationale et de renseignement, y compris les problèmes systémiques minant le fonctionnement des ministères et organismes canadiens responsables de ces deux dossiers et la relation entre le milieu de la sécurité et du renseignement, le Parlement et le public.

Selon M. Juneau, il continue d’y avoir un fossé entre le milieu national du renseignement et les parlementaires. Il a soutenu que, d’une part, le milieu du renseignement valorise une culture qui est encore trop insulaire, trop fermée et trop réfractaire au changement et que les gens de ce milieu ont une connaissance limitée des politiques. D’autre part, les consommateurs de produits du renseignement, y compris les parlementaires et les fonctionnaires, ne sont pas en position optimale pour demander un soutien adéquat en matière de renseignement et ont aussi une connaissance limitée du domaine du renseignement[390].

Pour corriger la situation, M. Juneau a recommandé que l’on améliore la formation au sein du milieu du renseignement, ajoutant que les programmes de formation des organismes sont souvent médiocres et qu’il y a peu de suivi des dépenses en la matière. Il a également préconisé d’accroître les détachements et les échanges de personnel d’un secteur stratégique à l’autre, ce qui, à son avis, pourrait contribuer à éliminer les vases clos et à favoriser la compréhension mutuelle.

M. Juneau jugeait également qu’il y a une « épidémie de surclassification » des documents par les partenaires canadiens chargés de la sécurité nationale, ce qu’il considérait comme « un obstacle de taille au partage d’informations entre les clients et le monde du renseignement[391] ».

M. Juneau a également soulevé des problèmes notés de manière anecdotique lors de ses recherches, plus particulièrement en ce qui concerne les ressources humaines dans le milieu de la sécurité nationale, comme le recrutement, le maintien et le moral des effectifs et le cheminement professionnel. Il a aussi observé d’importants retards dans l’obtention des habilitations de sécurité, les enquêtes de sécurité pour les nouveaux employés pouvant prendre de six mois à un an[392].

M. Juneau a recommandé que les organismes de sécurité nationale au Canada établissent « des critères plus ambitieux en matière de diversité d’expériences », pour les promotions à des niveaux plus bas[393]. Il a signalé qu’au sein de plusieurs organismes du renseignement, des gens montent jusqu’à des niveaux de sous-ministre adjoint sans jamais avoir travaillé ailleurs.

Par ailleurs, selon M. Juneau, le milieu canadien du renseignement ne consulte pas « autant » qu’il le devrait les membres de la société civile, les chercheurs et les médias,[394] et que lorsqu’il le fait, ces consultations sont plutôt vues comme une occasion de cocher une case. M. Juneau a soutenu qu’il doit y avoir un véritable dialogue entre le milieu du renseignement et les diasporas canadiennes touchées par l’ingérence étrangère. Toujours dans la même veine, il a souligné que le milieu du renseignement doit améliorer ses interactions, en termes de quantité et de qualité, avec les médias nationaux et locaux pour parler d’ingérence étrangère. Selon son expérience, les médias doivent attendre plusieurs jours une réponse des services de renseignement et lorsqu’ils la reçoivent, « il s’agit toujours de points de vue généraux, sans véritable signification[395] ». D’après lui, cette approche est contre-productive, car une population informée, appuyée par des médias qui jouent un rôle important de courroie de transmission, aide le pays à mieux se défendre contre l’ingérence étrangère.

M. Juneau a affirmé qu’à son avis et de manière générale, le Canada lutte activement contre l’ingérence étrangère. Il a mentionné qu’il avait entendu des témoins et des membres du public dire que le Canada ne faisait rien, ce qui n’est pas vrai, qu’on parle du gouvernement actuel ou du précédent[396].

b) Mérites d’une enquête publique

M. Juneau a indiqué au Comité qu’il aurait été possible de tenir une enquête publique tout en assurant la confidentialité des informations de nature délicate. Il ne trouvait pas vraiment convaincant l’argument selon lequel il est préférable de ne pas tenir une telle enquête, car celle-ci révélerait trop d’information de nature délicate[397].

Il estimait toutefois qu’une enquête publique aurait fait une « différence assez mince » et aurait « une plus-value limitée[398] ». Il a ajouté que les défenseurs d’une enquête publique en exagèrent les avantages possibles et sous-estiment la contribution que peuvent apporter le Comité, le CPSNR, l’OSSNR et d’autres organismes.

En réponse à une question où l’on comparait les avantages de l’étude réalisée par le Comité à ceux que procurerait une enquête publique, M. Juneau a fait remarquer que l’étude du Comité était à la fois nécessaire et publique, mais que des audiences publiques seraient moins politisées puisqu’elles ne seraient pas menées par des élus. De plus, les audiences publiques susciteraient un débat. Il ne pensait pas, par contre, que les audiences publiques auraient un effet important[399].

c) Autres observations

M. Juneau a dit qu’il n’était pas surpris d’apprendre qu’un ministre n’utilisait pas son système de messagerie électronique très secret. Faisant remarquer que le système n’était pas encore à point, il préférait appliquer le terme « absence de perfectionnement » plutôt qu’« incompétence » pour décrire les personnes concernées[400]. Selon lui, le problème est le suivant : les hauts fonctionnaires et les politiciens s’intéressent très peu aux questions liées au renseignement.

En revanche, il a indiqué que si l’on compare la situation actuelle à celle d’il y a 10 ou 20 ans, le système de sécurité nationale et de renseignement a fait des progrès et fonctionne mieux. Il n’a toutefois pas encore atteint le niveau recherché.

Enfin, M. Juneau était d’avis que les discussions sur l’ingérence étrangère sont trop axées sur la Chine. Bien que ce pays soit la principale source d’ingérence étrangère, d’autres pays posent une menace, notamment l’Iran, la Russie, la Turquie et l’Arabie saoudite[401].

d) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

Lors de sa comparution, M. Juneau a présenté au Comité des suggestions de réforme du système actuel de sécurité nationale et de renseignement, y compris les suivantes[402] :

  • Créer un registre des agents étrangers : M. Juneau a suggéré de procéder prudemment.
  • Former, au sein du Cabinet, un comité sur la sécurité nationale qui assurerait une attention soutenue au niveau politique à l’égard de questions relatives à la sécurité nationale. Selon M. Juneau, ce comité aurait besoin d’un soutien bureaucratique solide, ce qui est possible si l’on renforce le poste de conseiller en matière de sécurité nationale et de renseignement.
  • Procéder à un examen complet de la sécurité nationale : M. Juneau a rappelé que le dernier examen remonte à 2004 et qu’il est urgent de le faire à nouveau. Selon lui, un tel examen comporte de nombreux avantages, car il permettrait entre autres de répondre à des questions sur les menaces actuelles, de réagir face à celles-ci et d’évaluer la gouvernance des institutions et les ressources humaines. En outre, un tel examen montrerait à la population canadienne et à nos alliés que notre pays prend très au sérieux la sécurité nationale, sans compter qu’il susciterait un débat plus éclairé sur le sujet.
  • Accroître la capacité de formulation de politiques de Sécurité publique Canada, vu son important rôle de coordination : selon M. Juneau, il faut que l’ensemble du gouvernement, de même que l’ensemble de la société, s’attaque aux principales menaces auxquelles fait face le Canada, y compris l’ingérence étrangère.

3.     Margaret McCuaig-Johnston, agrégée supérieure, École supérieure d’affaires publiques et internationales, Université d’Ottawa

a) Observations sur le premier rapport du très honorable David Johnston, rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère

Margaret McCuaig-Johnston, agrégée supérieure à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa, a exposé au Comité ses vues sur le premier rapport du très honorable David Johnston, rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère. Elle s’est dite à la fois surprise et déçue de la décision de M. Johnston de ne pas recommander la tenue d’une enquête publique indépendante[403]. Elle a mentionné les motifs donnés dans le rapport pour rejeter une telle enquête, à savoir qu’il n’était pas possible selon M. Johnston de procéder à un examen public de documents ayant fait l’objet de fuites en raison du degré de sensibilité du renseignement. Or, comme l’a indiqué cette témoin, c’est exactement ce que fait M. Johnston dans son rapport, ce qui prouve qu’une personne peut analyser le renseignement et en parler publiquement[404].

Mme McCuaig-Johnston a ajouté ce qui suit au sujet du rapport de M. Johnston[405] :

  • Le rapport propose que des membres des diasporas au Canada, notamment des Ouïghours, des Tibétains, des adeptes du Falun Gong, des Hongkongais, participent aux audiences publiques proposées, ce qui mettrait toutefois leur sécurité encore plus en danger.
  • En concluant dans son rapport qu’il faudrait tenir des audiences publiques, M. Johnston montre qu’il ne comprend pas que les membres des diasporas refuseront d’y participer.
  • Le rapport est lacunaire, car il ne recommande aucune mesure à l’encontre de la RPC. De même, le gouvernement canadien néglige jusqu’à maintenant d’agir plus fermement pour combattre l’ingérence étrangère au Canada.
  • Même si, dans son rapport, M. Johnston affirme avoir confiance dans l’intégrité des résultats des deux dernières élections générales, Mme McCuaig-Johnston a déclaré que « si une seule circonscription a été touchée par l’ingérence chinoise, cela remet en doute le système électoral canadien dans son ensemble, et cela ne devrait plus jamais se reproduire ».

De plus, à son avis, il est fort possible que l’ingérence de la RPC explique l’écart de 3 500 voix entre le candidat en premier rang et le suivant lors des élections de 2015 dans la circonscription fédérale de Steveston—Richmond Est. Il importe toutefois de souligner qu’un membre du Comité a réfuté avec ardeur la véracité de cette affirmation de Mme McCuaig-Johnston[406].

b) Avantages d’une enquête publique par rapport aux audiences publiques

Mme McCuaig-Johnston a dit au Comité qu’elle préférait une enquête publique aux audiences publiques proposées dans le rapport de M. Johnston pour les raisons ci‑dessous[407] :

  • Dans le cas d’une enquête publique, il est possible d’exiger la production de documents.
  • Il serait possible d’obtenir beaucoup plus de renseignements de la part du SCRS et du Centre de la sécurité des télécommunications (CST) dans le cas d’une enquête publique, ce qui permettrait d’analyser et d’évaluer l’étendue des activités d’ingérence étrangère au Canada et de déterminer dans quelle mesure le Parlement et le public doivent en être informés.
  • Les audiences publiques seront perçues, d’après elle, comme étant superficielles et n’abordant pas en profondeur les problèmes exposés par le SCRS et d’autres.
  • Selon elle, les audiences publiques consisteraient en des réunions publiques et mèneraient à des recommandations sur les processus d’échange du renseignement et les structures de gouvernance, sans vraiment aller dans le détail au sujet des activités d’ingérence menées par la Chine au Canada.

Enfin, Mme McCuaig-Johnston a souligné que le rapport du CPSNR sur l’ingérence étrangère dans les élections pourrait connaître le même sort que les autres rapports de ce comité, dont on a fait fi des recommandations. Elle a également fait remarquer que le CPSNR rend compte au premier ministre, et non à la Chambre des communes ou au Parlement.

c) Observations sur la divulgation non autorisée de documents de niveau très secret aux médias

Mme McCuaig-Johnston a exprimé sa reconnaissance envers les fonctionnaires qui ont transmis aux médias les documents très secrets sur l’ingérence étrangère chinoise au Canada, et ce au péril de leur carrière et de leur liberté. Elle a déclaré que sans cette fuite, le public serait toujours inconscient de la menace. À son avis, la diffusion de ces documents « n’a pas causé le grand préjudice aux intérêts canadiens que M. Johnston a évoqué[408] ».

d) Observations concernant la diaspora chinoise et les consulats de la RPC au Canada

Mme McCuaig-Johnston a comparé le nombre de diplomates chinois au Canada (soit 176) et aux États-Unis (178). Elle a exposé que le Canada compte 1,4 million de Canadiens ayant des racines en Chine, à Hong Kong et à Taïwan. Elle a demandé pourquoi la Chine accorde tant d’attention au Canada. Selon elle, c’est parce que la RPC tente d’utiliser la diaspora comme un prolongement de « la mère patrie » pour l’amener à soutenir les positions qu’elle adopte et ne rien faire pour les ébranler[409].

e) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

Lors de sa comparution, Mme McCuaig-Johnston a présenté aux membres du Comité des suggestions en vue de renforcer le régime canadien de lutte contre l’ingérence étrangère dans les élections, notamment[410] :

  • former un comité sur la sécurité nationale au sein du Cabinet, qui se réunirait périodiquement pour recevoir du renseignement du SCRS et qui serait composé du premier ministre et d’autres ministres;
  • créer un registre des agents étrangers qui met l’accent sur les pays jugés « problématiques » par le Canada.

4.     Andrew Mitrovica, rédacteur

a) Observations au sujet du système canadien de sécurité nationale et de renseignement

Andrew Mitrovica, rédacteur, a fait part de ses préoccupations concernant les fuites de renseignements émanant de la communauté du renseignement. Il a fait remarquer que M. Johnston disait vrai, dans son rapport, lorsqu’il a écrit que les fuites comportaient des « spéculations non étayées », qu’elles se fondaient sur des « renseignements limités » et qu’il y avait « absence de contexte »[411].

M. Mitrovica a laissé entendre également que les agents du renseignement peuvent commettre des erreurs et qu’ils en commettent[412]. Il a indiqué que l’information doit être examinée dans son contexte et corroborée[413].

b) Autres observations

M. Mitrovica a recommandé au Comité de faire preuve de moins de déférence envers les responsables de la sécurité qui comparaissent devant lui[414].

5.     Vincent Rigby, professeur invité, École de politiques publiques Max Bell, Université McGill

a) Observations au sujet du système canadien de sécurité nationale et de renseignement

Vincent Rigby, professeur invité de l’École de politiques publiques Max Bell de l’Université McGill, a dit qu’il condamnait la ou les personnes ayant divulgué des renseignements hautement classifiés[415]. Il a insisté sur le fait que les fuites de renseignements portent atteinte à la sécurité nationale du Canada et peuvent mettre des vies en danger[416]. De plus, M. Rigby a fait remarquer que des renseignements isolés sans contexte pouvaient donner un portrait trompeur et incomplet des préoccupations du Canada en matière de sécurité nationale[417].

M. Rigby a été conseiller à la sécurité nationale et au renseignement du 22 janvier 2020 à juin 2021. Il a dit au Comité qu’à ce titre, il s’est entretenu avec M. Trudeau au sujet de l’ingérence étrangère à au moins une occasion[418]. M. Rigby a fait remarquer que dans le cadre de ses fonctions, il avait compris que l’ingérence étrangère au Canada était un problème qui durait depuis longtemps et qui prenait de l’ampleur[419].

M. Rigby estime qu’au cours de ses 18 mois de service comme CSNR, il a lu entre 5 000 et 7 000 rapports de renseignement. Il a ajouté que « la majorité » de ces documents faisaient état de menaces contre la démocratie canadienne[420].

M. Rigby a expliqué que le rapport de juillet 2021 sur le ciblage de M. Chong et d’autres députés a été produit et distribué après qu’il eut quitté son poste de CSNR[421]. Il a précisé devant le Comité qu’il n’était pas surpris que cette information n’ait pas été portée à l’attention des politiciens. De l’avis de M. Rigby, le Canada n’a pas de système officiel lui permettant de signaler les renseignements importants[422]. Selon M. Rigby, le système de transmission de l’information fonctionnait de façon « ponctuel[le] et incohérent[e][423] ». Il a dit craindre par ailleurs qu’en communiquant trop d’informations sur l’ingérence étrangère, on « risquerait de ralentir le système[424] ».

M. Rigby a déclaré devant le Comité que lorsqu’il était CSNR, les documents qu’on lui remettait sur le renseignement étaient en format papier[425]. Il a ajouté qu’il ne savait pas quel était le fonctionnement au bureau de M. Blair.

Lorsque M. Rigby était CSNR, le premier ministre recevait des rapports quotidiens et hebdomadaires sur le renseignement préparés spécialement pour lui[426]. M. Rigby se souvient avoir fourni des renseignements au premier ministre sur l’ingérence étrangère, mais ne se rappelle pas de l’avoir informé d’éléments en particulier[427].

M. Rigby a dit que les reportages dans les médias selon lesquels le ministre de la Sécurité publique du Canada n’aurait pas vu une note de juillet 2021 contenant des renseignements sur l’ingérence étrangère l’avaient préoccupé[428].

M. Rigby a fait état de deux rapports publiés entre décembre 2021 et mai 2022, l’un écrit par Wesley Wark et Aaron Shull, et l’autre par Thomas Juneau et lui-même. M. Rigby a indiqué au Comité que les deux rapports étaient arrivés à des conclusions identiques, à savoir que la structure de la sécurité nationale au Canada était en danger et qu’il fallait que les choses changent[429].

b) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

Lors de sa comparution, M. Rigby a recommandé la mise en œuvre des mesures suivantes :

  • créer un poste, au sein du BCP, dont le titulaire aurait le pouvoir de signaler au premier ministre et à d’autres ministres des renseignements importants;
  • mettre en place un comité du Cabinet sur la sécurité nationale, présidé par le premier ministre, qui se réunirait régulièrement pour recevoir de l’information et discuter des réponses appropriées;
  • promouvoir la transparence en produisant des évaluations annuelles des menaces publiques, répondre aux rapports du CPSNR, publier les priorités en matière de renseignement et communiquer plus d’informations aux parlementaires[430].

M. Rigby a proposé également que le poste de CSNR soit revu et renforcé[431]. Il a laissé entendre que l’actuelle CSNR devrait envisager la création d’un comité qui se concentrerait sur les renseignements exploitables[432].

6.     Wesley Wark, agrégé supérieur, Centre for International Governance Innovation

a) Observations sur le système canadien de sécurité nationale et de renseignement

Wesley Wark, agrégé supérieur au Centre for International Governance Innovation, a indiqué au Comité que pour renforcer le système canadien de la sécurité nationale et de renseignement, il faut évaluer trois aspects : la collecte du renseignement, l’analyse du renseignement et la production de rapports. Il a affirmé que les améliorations à l’appareil gouvernemental ne suffiront pas à combler les lacunes de ce cycle plus vaste du renseignement[433].

Il a également fait des observations sur les défis auxquels fait face le milieu canadien du renseignement dans le cadre de la lutte contre l’ingérence étrangère. Il a souligné qu’il est nécessaire de comprendre les intentions et les capacités des auteurs de menaces ainsi que les ouvertures qu’ils exploitent, précisant qu’il s’agit d’éléments distincts. Il a souligné que les intentions ne se traduisent pas systématiquement par des capacités sur le terrain, ajoutant que le renseignement en temps opportun est clé[434].

Selon M. Wark, un pays a une culture du renseignement lorsque les ministres, le personnel ministériel et les citoyens comprennent qu’un renseignement de qualité est essentiel à la prise de décisions et qu’ils prennent cette réalité au sérieux. Il a déclaré que le Canada ne prend le renseignement au sérieux que de façon épisodique, ce qui le laisse en « porte-à-faux » avec ses partenaires du Groupe des cinq[435].

À son avis, le SCRS aurait dû en faire plus pour informer le Parlement au sujet de l’ingérence étrangère dans les élections. Il a souligné que la Loi sur le SCRS confère à l’organisme des pouvoirs lui permettant d’appliquer des mesures de réduction de la menace contre ceux qui font de l’ingérence étrangère, y compris dans des secteurs sensibles, comme l’arène politique. M. Wark a indiqué que si le SCRS avait adopté cette approche, il aurait agi un peu comme l’avait fait le service de sécurité britannique en janvier 2022, lorsque le MI5 a alerté le Parlement britannique au sujet des activités d’une agente d’influence chinoise[436].

M. Wark a fait valoir qu’il incombe aux organismes du renseignement d’indiquer clairement dans leurs rapports et analyses ce qu’ils jugent important. Il a décrit le rapport du SCRS signalant d’éventuelles activités d’ingérence étrangère ciblant M. Chong comme étant une analyse du renseignement de neuf pages au milieu de laquelle était enfoui l’avertissement concernant le ciblage de députés sans nom. Selon lui, on ne peut pas s’attendre à ce qu’un ministre, un membre du personnel ou un sous-ministre chevronné réalisent, à mi-chemin de leur lecture, l’importance de la vague allusion auquel ils auraient dû prêter attention, alors que personne ne leur a demandé de le faire[437].

M. Wark a souligné que le système de renseignement n’est pas simple : les quantités de renseignements acheminées sont énormes et il existe de multiples systèmes classifiés pour gérer les différents niveaux de classification. Il a toutefois déclaré qu’il est inacceptable que du renseignement se perde[438].

Il a également soulevé une préoccupation hypothétique au sujet de la directive ministérielle délivrée le 16 mai 2023 par le ministre de la Sécurité publique[439]. Aux termes de cette directive, le SCRS doit enquêter sur toutes les menaces à la sécurité du Canada dirigées contre le Parlement et les parlementaires et informer, dans la mesure du possible, les parlementaires directement de ces menaces. M. Wark considérait cette directive comme une expression appropriée de la responsabilité ministérielle, mais redoutait la politisation du renseignement qui pourrait en découler si un ministre de la Sécurité publique prenait à la lettre son rôle décisionnel à cet égard.

b) Avantages d’une enquête publique par rapport aux audiences publiques

M. Wark a indiqué au Comité qu’il préconisait les audiences publiques, plutôt qu’une enquête judiciaire, lorsqu’il s’agit de mener une enquête sur l’ingérence étrangère et de présenter des recommandations pour la combattre[440]. À son avis, les Canadiens ne sont pas bien renseignés sur la sécurité nationale, et la tenue d’audiences publiques sur la question pourrait corriger ces lacunes et accroître le degré de compréhension et de sensibilisation du public à l’égard de cet aspect de la gouvernance.

Selon M. Wark, les audiences publiques prévues par M. Johnston offraient une excellente occasion de recueillir de nouvelles idées sur la réforme du système canadien du renseignement[441].

Ce témoin a indiqué que les enquêtes judiciaires sont des instruments importants ayant des fins précises et qu’il s’agit de recherches approfondies qui prennent beaucoup de temps[442].

De plus, M. Wark a signalé qu’il y a des enjeux très importants de protection de la confidentialité des renseignements dans une enquête judiciaire, précisant que certaines des révélations des médias fondées sur des documents très secrets compromettaient manifestement des sources et des méthodes canadiennes[443]. En effet, ces documents révélaient entre autres que le service de sécurité nationale avait intercepté des communications entre des diplomates chinois au Canada.

c) Observations sur le poste de conseiller en matière de sécurité nationale et de renseignement

M. Wark a fait remarquer que le poste de conseiller en matière de sécurité nationale et de renseignement a fait l’objet « d’une certaine rotation » au cours des dernières années[444]. Il a souligné que d’excellentes personnes avaient occupé ce poste, mais qu’elles n’y étaient pas restées assez longtemps.

Il a ajouté qu’à l’heure actuelle, le bureau du conseiller en matière de sécurité nationale et de renseignement était aux prises avec un problème plus grave, ne disposant que d’une très petite équipe et de ressources inadéquates. Or, ce bureau doit gérer un vaste flux de renseignement. Il n’était donc pas surpris d’apprendre que des éléments de renseignement puissent être manqués[445].

M. Wark a déclaré que le Canada devrait s’inspirer de l’équivalent au Royaume-Uni s’il décide d’apporter des changements à ce bureau. Dans ce pays, le conseiller en matière de sécurité nationale et de renseignement est un haut fonctionnaire au sommet de sa carrière, qui ne se soucie donc pas de son avancement professionnel. Son rôle est de conseiller le Cabinet.

d) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

Lors de sa comparution, M. Wark a présenté aux membres du Comité des suggestions en vue d’améliorer la relation entre le Parlement et l’appareil de sécurité nationale. En voici certaines[446] :

  • offrir aux parlementaires, en particulier les nouveaux députés, ainsi qu’à leur personnel, une formation officielle sur la sécurité nationale;
  • donner aux députés, aux sénateurs et à leur personnel accès à plus d’informations non classifiées sur la sécurité nationale et le renseignement;
  • élaborer une stratégie relative à la sécurité nationale qui expose la gamme connue des menaces à la sécurité nationale auxquelles fait face le pays, les interventions permettant de lutter contre ces menaces et la manière dont la stratégie s’inscrit dans un cadre démocratique au sein d’une société combattant ces menaces.

7.     Michael Wernick, titulaire de la Chaire Jarislowsky sur la gestion dans le secteur public, Université d’Ottawa

a) Observations au sujet du Bureau du Conseil privé

Michael Wernick, titulaire de la Chaire Jarislowsky sur la gestion dans le secteur public à l’Université d’Ottawa, a été greffier du Conseil privé du Canada de janvier 2016 à avril 2019[447]. Il a expliqué qu’au sein du BCP, le CSNR agit en tant que coordonnateur entre les différentes agences de sécurité et de renseignement[448]. Les renseignements parviennent jusqu’au CSNR, qui décide ensuite quoi communiquer et à qui en fonction des domaines d’intérêt et des cotes de sécurité[449]. En tant que greffier, M. Wernick rencontrait le CSNR à peu près une fois par semaine et avait confiance dans le fait qu’il lui communiquerait les informations dont il avait besoin[450].

M. Wernick a expliqué que le BCP fait un suivi des documents qu’il envoie au CPM. Ces documents sont envoyés pour information ou pour obtenir une décision[451]. Le premier ministre fait part de ses décisions dans la réponse qu’il renvoie[452].

Comme le premier ministre ne peut pas tout lire, les services du renseignement, les fonctionnaires et le personnel politique exercent leur jugement pour déterminer ce qui devrait être porté à son attention[453]. Le CSNR, le greffier et le chef de cabinet doivent aussi mettre en place des processus qui réduisent le risque d’erreurs[454]. M. Wernick croit que cette situation a révélé des lacunes qu’il convient de combler[455]. En particulier, M. Wernick a déclaré que les notes de service du SCRS évoquant les menaces contre M. Chong auraient dû être portées à l’attention du premier ministre[456].

b) Observations au sujet du système canadien de sécurité nationale et de renseignement

De manière générale, M. Wernick croit qu’il y a un manque de confiance dans les processus et les institutions démocratiques au Canada[457]. M. Wernick redoute particulièrement que des fuites au sein de la communauté du renseignement ne nuisent à la réputation du SCRS auprès des partenaires du Groupe des cinq[458]. Il craint que les alliés hésitent à nous transmettre des informations s’ils n’ont pas confiance qu’elles seront protégées[459].

c) Mérites d’une enquête publique

M. Wernick s’est prononcé en faveur de la tenue d’une enquête publique, en insistant sur la nécessité de choisir la bonne personne pour diriger une telle enquête. Il a laissé entendre que la bonne personne pourrait se trouver à l’étranger[460].

De l’avis de M. Wernick, la tenue d’une enquête publique ne devrait pas empêcher le gouvernement de régler les problèmes déjà constatés[461]. Toujours selon lui, on pourrait mener une enquête publique et, en même temps, mettre en place les mécanismes de défense nécessaires; les deux pourraient se faire en parallèle[462].

d) Mesures proposées pour combattre l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques

D’après M. Wernick, le Canada doit se doter d’une loi complète sur l’ingérence étrangère[463]. On inscrirait dans cette loi le rôle du conseiller à la sécurité nationale et au renseignement. La loi préciserait également les pouvoirs du conseiller et donnerait à cette personne la responsabilité de faire circuler l’information afin que les problèmes de communication comme ceux que l’on a connus ne se reproduisent plus[464]. M. Wernick a ajouté que le mandat du CSNR devrait être d’une durée de cinq ans[465].

M. Wernick a indiqué par ailleurs qu’il faudrait que davantage de députés, tant fédéraux que provinciaux, obtiennent des autorisations de sécurité pour avoir accès à plus d’informations[466].

Discussion et recommandations

Pendant que le Comité menait son étude, MM. Chong et O’Toole ont déclaré qu’ils avaient appris par le SCRS que le régime chinois les ciblait, en tant que députés, avec des menaces destinées à les intimider.

Dans le cas de M. Chong, ces menaces le visaient non seulement lui, mais aussi sa famille. Pour sa part, M. O’Toole a fait l’objet de menaces visant à compromettre ses perspectives électorales et celles du Parti conservateur du Canada, à coordonner l’utilisation de personnes sur place au Canada par l’intermédiaire du Département du travail du Front uni de la RPC et le recours à la désinformation dans les médias sociaux, ainsi qu’à empêcher des électeurs de voter.

De nombreux observateurs et responsables actuels et passés de la sécurité et du renseignement ont parlé au Comité de la menace réelle, immédiate et périlleuse que représente pour la démocratie canadienne l’ingérence étrangère dans les élections. À aucun moment pendant son étude, le Comité n’a entendu de témoignages selon lesquels MM. Chong et O’Toole ainsi que d’autres députés n’étaient pas visés par une campagne d’intimidation de la part de la RPC.

MM. Chong et O’Toole ainsi que tous les députés de la Chambre des communes ont des privilèges fondés sur le droit prééminent de la Chambre de protéger les services de ses députés contre toute intimidation, obstruction ou ingérence. Dans l’exercice de leurs fonctions et obligations, les députés ne doivent pas être menacés, défiés, intimidés ou soumis à quelque autre forme d’obstruction que ce soit. Ces comportements peuvent les empêcher de faire leur travail parlementaire et peuvent de ce fait constituer des outrages au Parlement.

Les menaces proférées par M. Zhao et d’autres personnes de la RPC ne visent pas que MM. Chong et O’Toole, mais bien l’ensemble des députés de la Chambre de communes et, par le fait même, la démocratie canadienne.

Par conséquent, le Comité ne peut que conclure, hors de tout doute, que la campagne menée par M. Zhao constitue un outrage au Parlement. Le Comité condamne donc avec la plus grande fermeté les actions des personnes impliquées.

A. Formation sur l’ingérence étrangère et séances d’information pour les députés et leurs employés

Le Comité recommande :

Recommandation 1

Que des séances d’information et de formation obligatoires sur les menaces, activités et tactiques d’ingérence étrangère soient offertes à tous les députés et à leur personnel par la Chambre des communes, dans le cadre du Programme d’orientation des députés et sur une base continue. Que ces séances soient mises au point par le Bureau du sergent d’arme et de la sécurité institutionnelle, travaillant de concert avec des organismes et partenaires du milieu de la sécurité nationale et du renseignement de même que les partis reconnus.

Recommandation 2

Qu’une personne-ressource soit désignée par la Chambre des communes pour assurer la liaison avec les députés sur toute question portant sur l’ingérence étrangère.

Recommandation 3

Que le gouvernement travaille avec les whips des partis reconnus pour faciliter les habilitations de sécurité, au niveau secret ou supérieur, des membres du caucus qui ne sont pas des conseillers privés (en particulier ceux et celles qui siègent à des comités ayant des mandats concernant les affaires étrangères, la défense nationale et la sécurité nationale), qui satisfont aux exigences du « besoin de savoir », afin de s’assurer qu’ils peuvent être informés de manière adéquate sur les questions importantes de sécurité nationale, y compris les activités des services de renseignement étrangers qui sont dirigées contre le Parlement, les partis ou les membres des caucus et qui constituent de menaces.

B. Échange d’information entre le Service canadien du renseignement de sécurité, la Chambre des communes et les parlementaires

Le Comité recommande:

Recommandation 4

Que le gouvernement demande au Service canadien du renseignement de sécurité de fournir un soutien élargi et supplémentaire au Parlement et travaille de près avec celui-ci dans cette optique.

Recommandation 5

Lorsqu’une menace est exposée, que le Service canadien du renseignement de sécurité informe immédiatement et directement les députés des activités d’ingérence étrangère les ciblant directement ou indirectement, notamment en leur communiquant de l’information sur l’identité des personnes ou sur les entités impliquées. L’information transmise doit également préciser les mesures prises pour assurer leur sécurité. Des séances doivent être offertes périodiquement pour faire le point, et ce tant que la menace plane.

Recommandation 6

Que le Président, sous les conseils du sergent d’armes, établisse un protocole clair ainsi qu’un seuil raisonnable à partir duquel il est nécessaire d’informer les whips des partis reconnus des menaces d’ingérence étrangère qui, à leur tour, en aviseront les députés. Le Président devra tenir les députés indépendants informés de la situation tant que dure la menace. En outre, il faudrait fournir du soutien additionnel aux députés et à leur équipe.

C. Le Service canadien du renseignement de sécurité

Le Comité recommande :

Recommandation 7

Que le Service canadien du renseignement de sécurité entreprenne d’améliorer et d’accroître ses activités de sensibilisation auprès des communautés de la diaspora les plus touchées par l’ingérence étrangère et l’intimidation, afin d’accroître la confiance du public et la transparence et de créer un espace où les Canadiens qui sont harcelés et intimidés par des entités étrangères puissent se manifester.

Recommandation 8

Que le gouvernement encourage un changement de culture au sein du Service canadien du renseignement de sécurité en ce qui concerne la communication sur les activités d’ingérence étrangère constituant une menace afin de mieux permettre aux personnes et aux groupes de la diaspora ciblés, ainsi qu’à tous les Canadiens, de détecter, d’atténuer et de surmonter ces menaces, et que le Service canadien du renseignement de sécurité fasse rapport à la Chambre de ses progrès quant à la réalisation du changement culturel recommandé dans son rapport annuel au Parlement conformément au paragraphe 20.2(1) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.

D. Révision de la classification des documents de renseignement

Le Comité recommande :

Recommandation 9

Que le gouvernement réponde aux préoccupations concernant la « surclassification » systémique des produits et analyses de renseignement en révisant ses niveaux et processus de classification de ces documents, afin d’être plus en phase avec les pratiques de transparence et de divulgation des partenaires du Canada du Groupe des cinq, et que le gouvernement fasse rapport à la Chambre, dans un an, sur les progrès réalisés.

Recommandation 10

Que le gouvernement entreprenne de diriger un processus sur la déclassification des informations afin d’améliorer la transparence.

E. Création d’un registre des agents étrangers

Le Comité recommande :

Recommandation 11

Que le gouvernement présente d’urgence un projet de loi établissant un registre des agents étrangers dans le but de favoriser la transparence en ce qui concerne l’influence étrangère en sol canadien, pour veiller à ce que les gouvernements, les élus et les citoyens aient accès à ce registre.

F. Examen de la politique et de la stratégie de sécurité nationale

Le Comité recommande :

Recommandation 12

Que le gouvernement entreprenne un examen approfondi de la sécurité nationale et élabore une stratégie de sécurité nationale actualisée qui décrive l’éventail des menaces à la sécurité nationale auxquelles le Canada fait face, les mesures prises en réponse à ces menaces et la manière dont la stratégie s’inscrit dans un cadre démocratique pour une société luttant contre ces menaces.

Recommandation 13

Que le gouvernement collabore avec les organismes chargés de la sécurité nationale et de l’application de la loi pour clarifier et concilier la définition des menaces d’ingérence étrangère.

G. Révision et mise à jour de lois en vigueur : Loi sur la preuve au Canada, Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, Loi sur le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et Loi sur l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement.

Le Comité recommande :

Recommandation 14

Que le gouvernement procède à un examen de la législation afin de moderniser la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité en mettant l’accent sur les menaces d’ingérence étrangère qui pèsent sur la sécurité nationale et les institutions démocratiques

Recommandation 15

Que l’examen législatif de la Loi sur le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, qui n’a que trop tardé, soit immédiatement entrepris par un comité de la Chambre en vue de transformer ce comité en un comité parlementaire mixte, à la manière de comités similaires au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Recommandation 16

Que le gouvernement présente un projet de loi visant à modifier la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité afin de permettre un plus grand échange d’informations sur les activités d’ingérence étrangère visant les institutions et les processus démocratiques avec les deux chambres du Parlement, leurs comités, les parlementaires individuels, les partis politiques fédéraux reconnus, les gouvernements provinciaux et les administrations municipales.

Recommandation 17

Que le gouvernement envisage de toute urgence des mesures afin de permettre l’utilisation du renseignement comme élément de preuve dans la législation, les politiques et les opérations, afin que les accusations d’infractions liées à l’ingérence étrangère puissent être poursuivies plus efficacement et plus fréquemment, et que le gouvernement fasse rapport à la Chambre, dans un an, des progrès accomplis dans le rapport annuel au Parlement du Service canadien du renseignement de sécurité, conformément au paragraphe 20.2(1) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.

H. Conseiller à la sécurité nationale et au renseignement

Le Comité recommande :

Recommandation 18

Que le gouvernement revoie la position de conseiller ou conseillère à la sécurité nationale et au renseignement et envisage de créer un comité chargé de se concentrer sur le renseignement donnant matière à des poursuites.

Recommandation 19

Que le gouvernement envisage d’établir un mandat fixe de cinq ans pour le rôle de conseiller ou conseillère à la sécurité nationale et au renseignement.

I. Le gouvernement et organe exécutif et questions de sécurité et de renseignement

Le Comité recommande :

Recommandation 20

Qu’un comité du Cabinet sur la sécurité nationale et l’ingérence étrangère discute régulièrement de questions relatives aux intérêts du Canada en matière de sécurité.

Recommandation 21

Que le gouvernement et ses organismes de renseignement et de sécurité nationale renforcent la gouvernance interne et le processus de reddition de comptes en ce qui concerne l’échange d’informations et du renseignement avec les ministres concernés et le premier ministre.

Recommandation 22

Que le gouvernement travaille avec ses organismes de sécurité nationale pour établir clairement des lignes de responsabilité et des recommandations quant à la façon de réagir au renseignement et au flux d’informations lorsque le renseignement révèle une menace.

Recommandation 23

Que le gouvernement mette en place un processus plus clair d’acheminement du renseignement vers les hauts fonctionnaires (c’est-à-dire les niveaux les plus élevés de la fonction publique et de l’arène politique), y compris une plus grande responsabilité pour s’assurer que les bonnes personnes voient les bons renseignements.

Recommandation 24

Que le gouvernement mette en place des protocoles de suivi afin de pouvoir reconstituer qui a vu quel document et à quel moment.

Recommandation 25

Que le gouvernement envisage de créer un poste au sein du Bureau du Conseil privé dont le ou la titulaire aura le pouvoir de signaler les renseignements importants au premier ministre et à d’autres ministres.

J. Mesures en lien avec les élections fédérales

Le Comité recommande :

Recommandation 26

Que l’on étudie le processus approprié pour fournir des informations sur la sécurité et du renseignement aux candidats aux élections.

Recommandation 27

Qu’Élections Canada envisage de mettre en œuvre une campagne de sensibilisation pour rassurer les électeurs et le public canadien sur le fait que le processus électoral au Canada est sécuritaire et que des mesures sont en place pour lutter contre toute tentative d’ingérence étrangère. Que l’on informe également les citoyens sur la manière de détecter l’ingérence étrangère et de signaler toute activité suspecte.

Recommandation 28

Que les personnes participant aux travaux du Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignements visant les élections et du groupe chargé du Protocole public en cas d’incident électoral majeur, ou de tout organe qui leur succéderait, soient dûment informées, avant les élections générales, des activités d’ingérence étrangère en cours ou récentes ciblant les parlementaires, afin qu’elles puissent mieux comprendre le contexte des activités qui pourraient se poursuivre pendant une période électorale.

Recommandation 29

Que le gouvernement modifie la Directive du Cabinet sur le Protocole public en cas d’incident électoral majeur afin de donner aux fonctionnaires non partisans chargés d’appliquer ce protocole une plus grande latitude pour informer ou non le public sur des activités ou des incidents d’ingérence étrangère ainsi qu’une plus grande autorité pour ordonner aux organismes de sécurité nationale d’informer directement les candidats, les partis politiques ou Élections Canada, selon le cas, qui sont touchés par ces activités ou incidents.


[1]              Chambre des communes, Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre (PROC), Procès‑verbal, 26 septembre 2023.

[2]              Gouvernement du Canada, Commission sur l’ingérence étrangère. La Commission a été mise sur pied en vertu du décret 2023-0882.

[3]              Chambre des communes, Débats, 8 mai 2023 (l’honorable Anthony Rota), 1540. En outre, le Comité signale que les termes RPC, Chine et régime chinois sont utilisés de manière interchangeable dans le présent rapport.

[4]              Chambre des communes, Journaux, 18 février 2021.

[5]              Chambre des communes, Débats, 31 mai 2023, 1620 (L’honorable Anthony Rota).

[6]              Ibid.

[7]              Le Comité tient à signaler que seuls MM. Chong et O’Toole ont décidé de présenter des observations dans le cadre de l’étude sur la campagne d’intimidation menée par la RPC. Toutefois, Kenny Chiu, l’ancien député de Steveston—Richmond-Est, a témoigné devant le Comité le 9 mai 2023, dans le cadre de l’étude connexe portant sur l’ingérence étrangère dans les élections.

[8]              Marc Bosc et André Gagnon, dir., « Chapitre 3 : Les privilèges et immunités – La protection contre l’obstruction, l’ingérence, l’intimidation et la brutalité », La procédure et les usages de la Chambre des communes, 3éd., 2017.

[9]              J. P. Joseph Maingot, Le privilège parlementaire au Canada, 2éd., 1997, p. 230 à 231.

[10]            Marc Bosc et André Gagnon, dir., « Chapitre 3 : Les privilèges et immunités – Le privilège et l’outrage ».

[11]            Chambre des communes, Débats, 19 septembre 1973 (L’honorable Lucien Lamoureux), p. 6709.

[12]            Ibid., p. 235.

[13]            PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 83, 13 juin 2023 (David Vigneault, directeur, Service canadien du renseignement de sécurité), 1850; et PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 83, 13 juin 2023 (Cherie Henderson, directrice adjointe, Exigences, Service canadien du renseignement de sécurité), 1945.

[15]            PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 83, 13 juin 2023 (David Vigneault, directeur, Service canadien du renseignement de sécurité), 1935.

[16]            Ibid., 1850.

[17]            PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 82, 13 juin 2023 (David Morrison, sous-ministre des Affaires étrangères, ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 1105.

[18]            PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 84, 15 juin 2023 (Daniel Jean, ancien conseiller du premier ministre en matière de sécurité nationale et de renseignement, à titre personnel), 1245.

[19]            Ibid., 1215.

[20]            Gouvernement du Canada, Le Canada déclare Zhao Wei persona non grata.

[21]            PROC, Témoignages, 1re session, 44législature, réunion 74, 16 mai 2023 (L’honorable Michael Chong, C.P., député), 1835 et 1900.

[22]            Ibid., 1930.

[23]            Ibid., 1835.

[24]            Ibid., 1905.

[25]            Ibid., 1835 et 1850.

[26]            Ibid., 1835 et 1930.

[27]            Le Groupe des cinq est une alliance en matière de renseignement regroupant l’Australie, le Canada, la Nouvelle‑Zélande, le Royaume-Uni et les États-Unis.

[28]            Chong, 1835.

[29]            Ibid., 1905.

[30]            Ibid.

[31]            Ibid.

[32]            Ibid., 1910.

[33]            Ibid., 1935.

[34]            Ibid.

[35]            Ibid.

[36]            Ibid., 1835 et 1925.

[37]            Ibid., 1920.

[38]            PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 91, 26 octobre 2023 (L’honorable Erin O’Toole, président, ADIT North America, à titre personnel), 1115.

[39]            Ibid., 1110.

[40]            Ibid., 1115.

[41]            Ibid., 1200.

[42]            Ibid., 1130.

[43]            Ibid., 1125.

[44]            Ibid.

[45]            Ibid., 1205.

[46]            Ibid., 1145.

[47]            Ibid., 1135.

[48]            Ibid., 1220.

[49]            Ibid.

[50]            Ibid., 1140 et 1205.

[51]            Ibid., 1110.

[52]            Ibid.

[53]            Ibid.

[54]            Ibid., 1115.

[55]            Ibid., 1140 et 1145.

[56]            PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 79, 1er juin 2023 (L’honorable Bill Blair, C.P. député, ministre de la Protection civile),1200.

[57]            Ibid., 1er juin 2023.

[58]            Ibid., 1er juin 2023.

[59]            Ibid., 1er juin 2023, 1205.

[60]            Ibid.

[61]            Ibid., 1er juin 2023, 1230.

[62]            Ibid., 1er juin 2023, 1210.

[63]            Ibid.

[64]            Ibid.

[65]            Ibid.

[66]            Ibid., 1er juin 2023, 1230.

[67]            PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 90, 24 octobre 2023 (L’honorable Bill Blair, C.P., député, ministre de la Défense nationale), 1205.

[68]            Ibid., 24 octobre 2023, 1205.

[69]            PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 79, 1er juin 2023 (L’honorable Bill Blair, C.P. député, ministre de la Protection civile), 1215.

[70]            Ibid.

[71]            Ibid., 1er juin 2023, 1225.

[72]            Ibid., 1er juin 2023, 1200.

[73]            Ibid., 1er juin 2023, 1235 et 1250.

[74]            PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 90, 24 octobre 2023 (L’honorable Bill Blair, C.P., député, ministre de la Défense nationale), 1240.

[75]            Ibid.

[76]            PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 79, 1er juin 2023 (L’honorable Bill Blair, C.P. député, ministre de la Protection civile), 1240.

[77]            Ibid.

[78]            Ibid.

[79]            Ibid.

[80]            Ibid., 1er juin 2023, 1255.

[81]            PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 90, 24 octobre 2023 (L’honorable Bill Blair, C.P., député, ministre de la Défense nationale), 1210.

[82]            PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 79, 1 juin 2023 (L’honorable Bill Blair, C.P., député, ministre de la Protection civile), 1245.

[83]            PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 90, 24 octobre 2023 (L’honorable Bill Blair, C.P., député, ministre de la Défense nationale), 1220.

[84]            PROC, Témoignages, 1re session, 44législature, réunion 84, 15 juin 2023 (L’honorable Marco Mendicino, C.P., député, ministre de la Sécurité publique), 1105 et 1110.

[85]            Ibid., 1105.

[86]            Ibid., 1110.

[87]            Ibid.

[88]            Ibid., 1115.

[89]            Ibid., 1130.

[90]            Ibid., 1120.

[91]            Ibid., 1115.

[92]            Ibid., 1135, 1150, 1155 et 1200.

[93]            PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 80, 6 juin 2023, 1115 (Le très honorable David Johnston, rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère), 1055.

[94]            Ibid., 1150.

[95]            Ibid., 1030.

[96]            Ibid., 1120.

[97]            Ibid., 1140 et 1145.

[98]            Le Comité signale que d’après les documents qu’il a reçus, la note de gestion des enjeux du SCRS datée de mai 2021 a été transmise à M. Blair, ainsi qu’au sous-ministre et chef de cabinet de ce dernier. Il a également appris que les systèmes de communication sécurisée du SCRS ne sont pas des systèmes de messagerie électronique traditionnels. Il faut garder cette réalité à l’esprit lorsqu’un témoin dit que le SCRS utilise un réseau de « courrier électronique » très secret.

[99]            PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 80, 6 juin 2023, 1115 (Le très honorable David Johnston, rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère), 1215.

[100]          Ibid., 1100.

[101]          Ibid., 1200.

[102]          Le décret C.P. 2023-O323 nomme M. Johnston en tant que conseiller spécial auprès du premier ministre, un rôle portant le titre de rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère.

[103]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 80, 6 juin 2023, 1115 (Le très honorable David Johnston, rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère), 1005.

[104]          Ibid., 1005 et 1035.

[105]          Ibid., 1005, 1050, 1055 et 1130.

[106]          Chambre des communes, Journaux, 31 mai 2023.

[107]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 80, 6 juin 2023, 1115 (Le très honorable David Johnston, rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère), 1010.

[108]          Ibid.

[109]          Ibid., 1010 et 1015.

[110]          Ibid., 1100.

[111]          Ibid., 1020.

[112]          Ibid., 1025.

[113]          Ibid., 1023, 1200 et 1210.

[114]          Ibid., 1105.

[115]          Ibid., 1025.

[116]          Ibid., 1040.

[117]          Ibid., 1155.

[118]          Ibid., 1055.

[119]          Ibid., 1125 et 1240.

[120]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 81, 8 juin 2023 (Eric Janse, greffier intérimaire de la Chambre des communes), 1215.

[121]          Ibid.

[122]          Ibid.

[123]          Ibid.

[124]          Ibid.

[125]          Ibid.

[126]          Ibid., 1235.

[127]          Ibid., 1240.

[128]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, Réunion 81, 8 juin 2023 (Michel Bédard, légiste et conseiller parlementaire intérimaire, Chambre des communes), 1220.

[129]          Ibid.

[130]          Ibid., 1225 et 1245.

[131]          Ibid., 1250.

[132]          Ibid., 1225.

[133]          Ibid., 1245.

[134]          Ibid.

[135]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, Réunion 81, 8 juin 2023 (Patrick McDonell, sergent d’armes et dirigeant de la sécurité institutionnelle, Chambre des communes), 1230    .

[136]          Ibid.

[137]          Ibid., 1240.

[138]          Ibid., 1235.

[139]          Ibid.

[140]          Ibid., 1300.

[141]          Ibid.

[142]          PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada); PROC, Témoignages, réunion 41, 22 novembre 2022 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada); et PROC, Témoignages, réunion 56, 2 mars 2023 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada).

[143]          PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Serge Caron, sous-dirigeant principal des élections et chef de la sécurité, Secteur de la transformation numérique, Élections Canada).

[144]          PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Caroline Simard, commissaire aux élections fédérales, Bureau du commissaire aux élections fédérales); et PROC, Témoignages, réunion 56, 2 mars 2023 (Caroline Simard, commissaire aux élections fédérales, Bureau du commissaire aux élections fédérales).

[145]          PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Marc Chénier, sous-commissaire et premier conseiller juridique, Bureau du commissaire aux élections fédérales).

[146]          PROC, Témoignages, réunion 56, 2 mars 2023 (Caroline Simard, commissaire aux élections fédérales, Bureau du commissaire aux élections fédérales), 1030.

[147]          PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1100.

[148]          PROC, Témoignages, réunion 56, 2 mars 2023 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1050.

[149]          PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1100; et PROC, Témoignages, réunion 56, 2 mars 2023 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1020.

[150]          PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1100.

[151]          PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Caroline Simard, commissaire aux élections fédérales, Bureau du commissaire aux élections fédérales), 1105.

[152]          PROC, Témoignages, réunion 41, 22 novembre 2022 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1205.

[153]          Ibid., 1215.

[154]          Ibid., 1220.

[155]          Ibid., 1255.

[156]          Ibid., 1245; et PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1110.

[157]          PROC, Témoignages, réunion 41, 22 novembre 2022 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1235.

[158]          PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1140.

[159]          PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Marc Chénier, sous-commissaire et premier conseiller juridique, Bureau du commissaire aux élections fédérales), 1115, 1120 et 1125.

[160]          PROC, Témoignages, réunion 56, 2 mars 2023 (Caroline Simard, commissaire aux élections fédérales, Bureau du commissaire aux élections fédérales), 1020.

[161]          Ibid.

[162]          PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1100.

[163]          Ibid., 1155.

[164]          PROC, Témoignages, réunion 56, 2 mars 2023 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1005.

[165]          PROC, Témoignages, réunion 41, 22 novembre 2022 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1205 et 1250.

[166]          Ibid., 1205; et PROC, Témoignages, réunion 56, 2 mars 2023 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1005 et 1040.

[167]          PROC, Témoignages, réunion 41, 22 novembre 2022 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1210 et 1215.

[168]          Ibid., 1220 et 1240.

[169]          Ibid., 1235.

[170]          Ibid.

[171]          PROC, Témoignages, réunion 56, 2 mars 2023 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1010.

[172]          PROC, Témoignages, réunion 41, 22 novembre 2022 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1230.

[173]          PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Caroline Simard, commissaire aux élections fédérales, Bureau du commissaire aux élections fédérales), 1105.

[174]          Ibid., 1120.

[175]          Ibid., 1105.

[176]          Ibid., 1145; et PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Marc Chénier, sous-commissaire et premier conseiller juridique, Bureau du commissaire aux élections fédérales), 1150.

[177]          PROC, Témoignages, réunion 56, 2 mars 2023 (Caroline Simard, commissaire aux élections fédérales, Bureau du commissaire aux élections fédérales), 1005 et 1030.

[178]          PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1100; et PROC, Témoignages, réunion 41, 22 novembre 2022 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1215.

[179]          PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1100 et 1120.

[180]          Ibid., 1100.

[181]          Ibid., 1120, 1125 et 1135.

[182]          Ibid., 1130.

[183]          PROC, Témoignages, réunion 41, 22 novembre 2022 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1215 et 1240.

[184]          PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Caroline Simard, commissaire aux élections fédérales, Bureau du commissaire aux élections fédérales), 1105.

[185]          Ibid.

[186]          Ibid., 1105; et PROC, Témoignages, réunion 56, 2 mars 2023 (Caroline Simard, commissaire aux élections fédérales, Bureau du commissaire aux élections fédérales), 1025.

[187]          PROC, Témoignages, réunion 56, 2 mars 2023 (Caroline Simard, commissaire aux élections fédérales, Bureau du commissaire aux élections fédérales), 1045.

[188]          PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1100.

[189]          Ibid., 1115 et 1135.

[190]          Ibid., 1135.

[191]          Ibid., 1115.

[192]          Ibid., 1130.

[193]          PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Caroline Simard, commissaire aux élections fédérales, Bureau du commissaire aux élections fédérales), 1105.

[194]          PROC, Témoignages, réunion 56, 2 mars 2023 (Caroline Simard, commissaire aux élections fédérales, Bureau du commissaire aux élections fédérales), 1015 et 1020.

[195]          PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Caroline Simard, commissaire aux élections fédérales, Bureau du commissaire aux élections fédérales), 1130.

[196]          PROC, Témoignages, réunion 37, 1er novembre 2022 (Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada), 1115.

[197]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 88, 17 octobre 2023 (Tara Denham, directrice générale, Bureau des droits de la personne, des libertés et de l’inclusion, ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 1105 et 1130.

[198]          Ibid., 1115.

[199]          Ibid., 1135.

[200]          Ibid., 1125.

[201]          Ibid., 1105.

[202]          Ibid., 1115.

[203]          Ibid., 1105.

[204]          Ibid.

[205]          Ibid., 1120.

[206]          Ibid., 1140.

[207]          Ibid., 1135.

[208]          Ibid., 1130.

[209]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 82, 13 juin 2023 (Michael Duheme, commissaire, Gendarmerie royale du Canada (GRC)), 1005.

[210]          Ibid., 1020.

[211]          Ibid., 1005.

[212]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 82, 13 juin 2023 (Mark Flynn, sous-commissaire, GRC), 1010.

[213]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 82, 13 juin 2023 (Michael Duheme, commissaire, GRC), 1055.

[214]          Ibid., 1005.

[215]          Ibid., 1010.

[216]          Ibid., 1020.

[217]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 82, 13 juin 2023 (Mark Flynn, sous-commissaire, GRC), 1030.

[218]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 82, 13 juin 2023 (Michael Duheme, commissaire, GRC), 1040.

[219]          Ibid., 1005.

[220]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 83, 13 juin 2023 (Cherie Henderson, directrice adjointe, Exigences, Service canadien du renseignement de sécurité), 1925.

[221]          Ibid., 1945.

[222]          Ibid.

[223]          Ibid., 1950.

[224]          Ibid., 2020.

[225]          Ibid.

[226]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 84, 15 juin 2023 (Daniel Jean, ancien conseiller du premier ministre en matière de sécurité nationale et de renseignement, à titre personnel), 1210.

[227]          Ibid., 1230.

[228]          Ibid.

[229]          Ibid., 1245.

[230]          Ibid., 1215.

[231]          Ibid., 1220.

[232]          Ibid., 1240.

[233]          Ibid., 1235, 1300 et 1305.

[234]          Ibid., 1250.

[235]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 84, 15 juin 2023 (Michel Juneau-Katsuya, ancien chef du Bureau Asie-Pacifique, Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS)), 1250.

[236]          Ibid., 1305.

[237]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 84, 15 juin 2023 (Sherry Romanado, députée de Longueuil—Charles-LeMoyne), 1245.

[238]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 84, 15 juin 2023 (Michel Juneau-Katsuya, ancien chef du Bureau Asie-Pacifique, SCRS), 1250.

[239]          Ibid., 1235.

[240]          Ibid., 1205.

[241]          Ibid.

[242]          Ibid., 1225.

[243]          Ibid.

[244]          Ibid.

[245]          Ibid., 1235.

[246]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 88, 17 octobre 2023 (Mike MacDonald, sous‑ministre adjoint principal, Bureau du dirigeant principal de l’information, Secrétariat du Conseil du Trésor), 1205 et 1215.

[247]          Ibid., 1205.

[248]          Ibid.

[249]          Ibid., 1225.

[250]          Ibid., 1205.

[251]          Ibid., 1210.

[252]          Ibid.

[253]          Ibid., 1215.

[254]          Ibid.

[255]          Ibid., 1220.

[256]          Ibid., 1235.

[257]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 82, 13 juin 2023 (David Morrison, sous-ministre des Affaires étrangères, ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 1105.

[258]          Ibid.

[259]          Ibid., 1225.

[260]          Ibid., 1105.

[261]          Ibid., 1140.

[262]          Ibid., 1110.

[263]          Ibid.

[264]          Ibid.

[265]          Ibid., 1135.

[266]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 77, 30 mai 2023 (Dan Stanton, ancien directeur exécutif, Service canadien du renseignement de sécurité), 1105.

[267]          Ibid.

[268]          Ibid.

[269]          Ibid.

[270]          Ibid.

[271]          Ibid.

[272]          Ibid.

[273]          Ibid., 1115.

[274]          Ibid., 1140.

[275]          Ibid., 1155.

[276]          Ibid., 1130.

[277]          Ibid.

[278]          Ibid., 1105.

[279]          Ibid.

[280]          Ibid., 1145.

[281]          Ibid.

[282]          Ibid., 1115.

[283]          Ibid.

[284]          Ibid.

[285]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 89, 19 octobre 2023 (Rob Stewart, sous‑ministre, Commerce international, ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 1115.

[286]          Ibid., 1100.

[287]          Ibid.

[288]          Ibid.

[289]          Ibid., 1125.

[290]          Ibid., 1100.

[291]          Ibid., 1115.

[292]          Ibid., 1110.

[293]          Ibid., 1120.

[294]          Ibid., 1105.

[295]          Ibid., 1110.

[296]          Ibid.

[297]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 79, 1er juin 2023 (Jody Thomas, conseillère à la sécurité nationale et au renseignement, Bureau du Conseil privé), 1010.

[298]          Ibid.

[299]          Ibid.

[300]          Ibid.

[301]          Ibid.

[302]          Ibid.

[303]          Ibid.

[304]          Ibid.

[305]          Ibid.

[306]          Ibid.

[307]          Ibid., 1040.

[308]          Ibid., 1020.

[309]          Ibid.

[310]          Ibid., 1025.

[311]          Ibid., 1030. De plus, selon le SCRS, une mesure de réduction de la menace est une « [m]esure opérationnelle prise par le Service conformément à l’article 12.1 de la Loi sur le SCRS, dont l’objectif principal est de réduire une menace envers la sécurité du Canada au sens de l’article 2 de la Loi sur le SCRS ».” Pour plus d’information, voir Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, Examen des activités de réduction de la menace du SCRS : Divulgation de renseignements à des entités externes.

[312]          Ibid., 1105.

[313]          Ibid., 1010.

[314]          Ibid., 1000.

[315]          Ibid., 1000.

[316]          Ibid., 1010.

[317]          Ibid., 1045.

[318]          Ibid., 1015.

[319]          Ibid.

[320]          Ibid., 1055.

[321]          Ibid., 1005.

[322]          Ibid.

[323]          Ibid.

[324]          Ibid., 1030.

[325]          Ibid., 1035.

[326]          Ibid., 1100.

[327]          Ibid.

[328]          Ibid.

[329]          Ibid.

[330]          Ibid., 1045.

[331]          Ibid., 1100.

[332]          Ibid.

[333]          Ibid., 1005.

[334]          Ibid.

[335]          Ibid., 1110.

[336]          Ibid.

[337]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 83, 13 juin 2023 (David Vigneault, directeur, Service canadien du renseignement de sécurité), 1845.

[338]          Ibid., 1910.

[339]          Ibid., 1850

[340]          Ibid.

[341]          Ibid.

[342]          Ibid., 1845.

[343]          Ibid.

[344]          Ibid., 1915.

[345]          Ibid.

[346]          Ibid., 1930.

[347]          Ibid., 1940.

[348]          Ibid., 1835.

[349]          Ibid.

[350]          Ibid.

[351]          Ibid.

[352]          Ibid.

[353]          Ibid.

[354]          Ibid., 1940.

[355]          Ibid.

[356]          Ibid., 1900.

[357]          Ibid., 2025.

[358]          Ibid., 1850.

[359]          Ibid., 1835.

[360]          Ibid.

[361]          Ibid.

[362]          Ibid.

[363]          Ibid.

[364]          Ibid., 1905.

[365]          Ibid., 1835.

[366]          Ibid., 2025.

[367]          Ibid.

[368]          Ibid., 2015.

[369]          Ibid., 1945.

[370]          Ibid., 1850.

[371]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 77, 30 mai 2023 (Artur Wilczynski, ancien sous-ministre adjoint et directeur général, Opérations de renseignement, Centre de la sécurité des télécommunications), 1110.

[372]          Ibid.

[373]          Ibid.

[374]          Ibid.

[375]          Ibid., 1130.

[376]          Ibid., 1135.

[377]          Ibid., 1145.

[378]          Ibid.

[379]          Ibid.

[380]          Ibid.

[381]          Ibid., 1125.

[382]          Ibid.

[383]          Ibid.

[384]          Ibid., 1140.

[385]          Ibid.

[386]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 78, 30 mai 2023 (Peter German, président du Comité consultatif, Institut de lutte contre la corruption de Vancouver), 2010.

[387]          Ibid., 2020.

[388]          Ibid., 2025.

[389]          Ibid., 2030.

[390]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 78, 30 mai 2023 (Thomas Juneau, professeur agrégé, École supérieure d’affaires publiques et internationales, Université d’Ottawa), 1835.

[391]          Ibid.

[392]          Ibid., 1845.

[393]          Ibid., 1855.

[394]          Ibid., 1905.

[395]          Ibid., 1925.

[396]          Ibid., 1850.

[397]          Ibid., 1845 et 1925.

[398]          Ibid.

[399]          Ibid., 1845.

[400]          Ibid.

[401]          Ibid., 1850.

[402]          Ibid., 1835 et 1850.

[403]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 78, 30 mai 2023 (Margaret McCuaig-Johnston, agrégée supérieure, École supérieure d’affaires publiques et internationales, Université d’Ottawa), 1940.

[404]          Ibid., 1940.

[405]          Ibid., 1950, 2005 et 2025.

[406]          Ibid., 2025.

[407]          Ibid., 1955 et 2005.

[408]          Ibid., 1940.

[409]          Ibid., 1955.

[410]          Ibid., 2010 et 2015.

[411]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 77, 30 mai 2023 (Andrew Mitrovica, rédacteur), 1210.

[412]          Ibid.

[413]          Ibid.

[414]          Ibid., 1225.

[415]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 81, 8 juin 2023 (Vincent Rigby, professeur invité, École de politiques publiques Max Bell, Université McGill), 1305.

[416]          Ibid.

[417]          Ibid.

[418]          Ibid.

[419]          Ibid.

[420]          Ibid., 1205.

[421]          Ibid., 1105.

[422]          Ibid.

[423]          Ibid.

[424]          Ibid., 1155.

[425]          Ibid., 1110.

[426]          Ibid.

[427]          Ibid.

[428]          Ibid., 1115.

[429]          Ibid., 1125.

[430]          Ibid., 1155.

[431]          Ibid., 1150.

[432]          Ibid., 1155.

[433]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 78, 30 mai 2023 (Wesley Wark, agrégé supérieur, Centre for International Governance Innovation), 1830.

[434]          Ibid., 1830.

[435]          Ibid., 1900.

[436]          Ibid., 1830.

[437]          Ibid., 1915.

[438]          Ibid., 1910.

[439]          Ibid., 1830.

[440]          Ibid., 1855.

[441]          Ibid., 1830.

[442]          Ibid., 1915.

[443]          Ibid.

[444]          Ibid., 1900.

[445]          Ibid.

[446]          Ibid., 1905.

[447]          PROC, Témoignages, 1re session, 44e législature, réunion 77, 30 mai 2023 (Michael Wernick, titulaire de la Chaire Jarislowsky sur la gestion dans le secteur public, Université d’Ottawa).

[448]          Ibid., 1220.

[449]          Ibid.

[450]          Ibid.

[451]          Ibid.

[452]          Ibid.

[453]          Ibid.

[454]          Ibid., 1240.

[455]          Ibid.

[456]          Ibid., 1220.

[457]          Ibid., 1230.

[458]          Ibid., 1225.

[459]          Ibid.

[460]          Ibid.

[461]          Ibid., 1230.

[462]          Ibid., 1230.

[463]          Ibid.

[464]          Ibid., 1225.

[465]          Ibid., 1235.

[466]          Ibid., 1235 et 1250.