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Chers collègues, je suis maintenant prêt à me prononcer sur la question de privilège soulevée le 16 septembre 2024 par le concernant le non-respect allégué d'un ordre de production de documents relatifs à Technologies du développement durable Canada.
Dans son intervention, le a fait état du non-respect, par plusieurs ministères et organismes gouvernementaux, de l'ordre adopté par la Chambre le 10 juin 2024 exigeant la production de documents sur Technologies du développement durable Canada. Ses propos s'appuyaient sur une série de lettres qui ont été envoyées au Président par le légiste et conseiller parlementaire et déposées à la Chambre conformément aux dispositions de l'ordre.
Le légiste avait pour instruction d'indiquer au Président si les intéressés s'étaient ou non pleinement conformés à l'ordre de la Chambre, et ce, dans les 30 jours suivant l'adoption de l'ordre. Les lettres ont été déposées les 17 juillet, 21 août et 16 septembre 2024. Dans certains cas, les renseignements n'ont été communiqués qu'en partie, des documents ayant été caviardés ou retenus. Dans d'autres cas, la Chambre s'est heurtée à un refus catégorique.
[Français]
Le a souligné le caractère absolu des pouvoirs de la Chambre d'exiger la production de documents. Il a affirmé qu'en faisant fi d'un ordre contraignant à cet effet, le gouvernement s'était rendu coupable d'outrage à la Chambre. Il a donc demandé à la présidence de conclure que la question de privilège est fondée à première vue, afin que la Chambre puisse étudier une motion consistant à réitérer l'ordre et proposant un nouveau délai, motion qui exhorterait le à bien faire comprendre aux ministères l'obligation d'obtempérer à l'ordre de la Chambre.
[Traduction]
Pour sa part, la a dit craindre que l'ordre empiète sur certains droits conférés par la Charte, notamment en ce qui a trait aux enquêtes policières et à la protection de la vie privée. Elle est également d'avis que l'ordre est irrecevable sur le plan de la procédure, la Chambre ayant outrepassé ses pouvoirs en essayant d'obtenir des documents à l'usage exclusif d'un tiers, soit la GRC, plutôt que pour son propre usage.
[Français]
La leader a ajouté qu’avec cet ordre, la Chambre tentait de s’arroger le rôle d’un autre organe du régime de gouvernement canadien, soit celui des tribunaux, en autorisant la GRC à obtenir des renseignements hors des processus judiciaires établis s’appliquant aux forces de l’ordre. Elle a d’ailleurs souligné que la GRC elle-même, craignant un contournement des processus d'enquête normaux et des protections garanties par la Charte, avait émis des réserves quant au fait d’accepter les documents.
La leader du gouvernement à la Chambre a aussi fait valoir que l’ordre n’indiquait aucunement si les documents demandés devaient être caviardés ou non. Elle a déclaré que, en l’absence de précisions fournies par la Chambre, le gouvernement doit s’acquitter des responsabilités que lui confère la loi et caviarder les documents afin de protéger les renseignements de nature sensible.
[Traduction]
Bien qu'elle estime que la Chambre est susceptible d'avoir outrepassé ses pouvoirs en adoptant cet ordre, la préconise, si la présidence juge qu'il y a matière à question de privilège, que l'affaire soit renvoyée au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre pour qu'il fasse la lumière sur les points litigieux.
Le a pris la parole une seconde fois pour réfuter les arguments avancés par la , plus précisément sur la recevabilité et la nature de la motion et sur l'étendue du pouvoir dont jouit la Chambre pour ordonner la production de documents.
[Français]
Le député de est intervenu pour dire qu’il était impératif que l’ordre soit respecté, ajoutant qu’il appartient à la Chambre de décider si elle est satisfaite de la nature de la réponse. Selon le député de , même si le gouvernement avait de bonnes raisons de ne pas remplir ses obligations, il n’en demeure pas moins que les privilèges de la Chambre sont bien établis et que l’ordre était clair. Le député est d’avis qu’il y a lieu de juger la question de privilège fondée à première vue. Les deux députés ont souligné le caractère inhabituel de l’ordre, mais ont soutenu que cela ne justifiait en rien son non-respect.
[Traduction]
Ce n'est pas la première fois que la Chambre est saisie d'une question de privilège relative à un ordre de production de documents. Ni le Règlement ni aucune loi ne circonscrivent le pouvoir du Parlement d'exiger la production de documents et de dossiers dont il peut avoir besoin dans l'exercice de ses fonctions. L'ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, troisième édition, confirme cette notion d'ordre procédural et constitutionnel. On peut y lire, à la page 985:
Aucune loi ou pratique ne vient diminuer la plénitude de ce pouvoir dérivé des privilèges de la Chambre, à moins que des dispositions légales le limitent explicitement ou que la Chambre ait restreint ce pouvoir par résolution expresse. Or, la Chambre n'a jamais fixé aucune limite à son pouvoir d'exiger le dépôt de documents […]
Le a signalé que les documents demandés n'ont pas été soumis dans leur entièreté au légiste. Selon ce qui nous a été dit, les divers ministères et organismes qui ont soumis des documents ont caviardé ou omis de nombreux passages. Il est vrai que, dans son ordre, la Chambre n'avait pas précisé explicitement que les documents ne devaient comporter aucun caviardage ni n'avait envisagé que les ministères et organismes allaient, de leur propre chef, omettre ou caviarder des passages ou des documents entiers. À ce sujet, seule la Chambre peut décider si elle est satisfaite des documents qu'elle a reçus.
[Français]
Le concept selon lequel seule la Chambre peut décider de quelle manière elle exerce son pouvoir d’ordonner la production de documents est énoncé en termes plus généraux aux pages 198 et 199 de l’ouvrage de Joseph Maingot, Le privilège parlementaire au Canada, deuxième édition, où il est écrit: « La seule limitation que la Chambre pourrait elle-même s’imposer serait que l’enquête doive se rapporter à un sujet relevant de la compétence législative du Parlement, en particulier lorsque des témoins doivent être entendus et qu’on envisage de recourir à la compétence pénale du Parlement. »
[Traduction]
La jurisprudence et les ouvrages de référence en matière de procédure sont sans équivoque: la Chambre possède le droit incontestable d'ordonner la production de n'importe quel document, appartenant à toute entité ou à tout particulier, qui, de l'avis de la Chambre, est nécessaire pour qu'elle s'acquitte de ses fonctions. Par ailleurs, la démonstration de ce pouvoir n'est plus à faire, du moins du point de vue de la Chambre. En effet, il a été confirmé à maintes et maintes reprises par mes prédécesseurs, immédiats et plus lointains.
Pour étayer ses affirmations sur la nature absolue du pouvoir d'ordonner la production de documents, le s'est appuyé sur une décision concernant une question de privilège sur ce sujet rendue le 27 avril 2010 par le Président Milliken. Ce dernier a déclaré ce qui suit à la page 2043 des Débats de la Chambre des communes: « [...] les ouvrages de procédure affirment catégoriquement, à bon nombre de reprises, le pouvoir qu'a la Chambre d'ordonner la production de documents. Ils ne prévoient aucune exception pour aucune catégorie de documents gouvernementaux [...] »
[Français]
La leader du gouvernement à la Chambre a tenté de faire valoir que cet ordre de production de documents était différent, puisque les documents en question ne serviront pas aux députés dans l'exercice de leurs fonctions, mais seront plutôt remis à une tierce partie. Pour cette raison, a-t-elle affirmé, l'ordre outrepassait l'autorité de la Chambre. En tout respect, la présidence estime qu'elle aurait dû soulever ses préoccupations avant l'adoption de la motion.
Je rappelle aux députés que s'ils ont des préoccupations à l'égard de la recevabilité d'une motion, ils devraient en faire part à la présidence avant que la motion ne soit débattue ou, à tout le moins, avant qu'elle ne soit mise aux voix. Il serait maintenant difficile, voire déplacé, pour la présidence de juger a posteriori de la recevabilité de la motion.
[Traduction]
La motion a été adoptée dans sa forme actuelle. La Chambre a clairement ordonné la production de certains documents; son ordre n'a clairement pas été exécuté dans son entièreté. La présidence ne peut que conclure qu'il y a de prime abord matière à question de privilège. Toutefois, avant d'inviter le à proposer une motion, je souhaite faire quelques observations au sujet du type de motion que la présidence jugerait recevable vu les circonstances.
Les députés qui se sont exprimés sur cette question ont utilisé des mots comme « inhabituelle », « nouvelle » et « sans précédent ». La présidence est d'accord avec leur description. Il est en effet inhabituel, nouveau et sans précédent que la Chambre ordonne la production de documents non pas pour ses propres besoins, mais pour une tierce partie. La présidence note également que le destinataire de ces documents, à savoir la GRC, a exprimé à notre légiste de sérieuses réserves à l'idée de les recevoir, du moins dans leur forme actuelle. Tant le que le député de ont déclaré que la Chambre n'a que faire de ces réserves et que la GRC peut simplement refuser les renseignements si tel est son désir. Avant d'insister sur la production des documents, comme le souhaite le leader de l'opposition, la présidence pense qu'il serait utile à la Chambre d'étudier la question plus en profondeur.
[Français]
Dans sa décision historique sur des documents concernant les détenus afghans, rendue le 27 avril 2010, le Président Milliken a parlé avec éloquence de la nécessité de réfléchir, de collaborer et même de faire des compromis dans de telles circonstances. Tout en confirmant sans détour le pouvoir de la Chambre d'ordonner la production de documents, il a reconnu que la Chambre comprend généralement que le gouvernement a le devoir de protéger certains renseignements.
[Traduction]
Dans ce cas-là, il était question d'atteindre un équilibre entre, d'une part, les inquiétudes en matière de sécurité nationale et, d'autre part, le devoir des élus d'exiger que le gouvernement rende des comptes au sujet de ses décisions. Dans le cas qui nous intéresse aujourd'hui, le gouvernement et la GRC, et même la vérificatrice générale, une mandataire du Parlement, ont exprimé des préoccupations concernant la remise des documents à la GRC. Ultimement, il appartient à la Chambre de décider ce qu'elle souhaite faire de ces objections, mais la présidence est d'avis qu'il serait utile de prendre le temps d'examiner en détail les préoccupations de la GRC et de la vérificatrice générale en vue de trouver, je l'espère, une solution satisfaisante aux yeux de toutes les parties.
Je crois que la meilleure façon d'y parvenir serait de suivre la procédure habituelle pour les questions de privilège jugées fondées de prime abord, c'est-à-dire de renvoyer la question au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. Ainsi, on pourra mieux évaluer les documents qui n'ont pas encore été soumis, les documents que l'on refuse de soumettre et les raisons données pour justifier ce refus, et, plus important encore, la façon dont la Chambre peut veiller à ce que le destinataire prévu, la GRC, soit en mesure d'agir comme la Chambre le souhaite.
[Français]
La présidence est consciente que, ces dernires années, d'autres motions de privilège ont été déposées au lieu d'une motion de renvoi à un comité, quoique d'anciens Présidents ont à l'occasion insisté pour que l'on procède d'une certaine manière.
La décision que mon prédecesseur a rendue le 26 juin 2021, et qui se trouve à la page 8550 des Débats, indique ceci:
Une revue des rares exceptions démontre qu'un certain consensus existait sur la marche à suivre et par conséquent sur le texte de la motion. Comme l'a confirmé le Président Milliken dans une décision rendue le 9 mars 2011, à la page 8842, « La présidence est évidemment consciente qu'il existe des exceptions à cet usage. Cependant dans la plupart, si ce n'est dans la totalité, de ces cas d'exception, les circonstances étaient telles qu'une déviation à cet usage avait été jugée acceptable ou il y avait une volonté unanime de la part de la Chambre de procédéer d'une telle façon. » Il y a également des précédents qui vont dans le sens d'un blâme. En somme, étant donné que les balises entourant ces motions sont claires et que les usages sont bien établis, la motion proposée devrait en être une de blâme ou constituer un renvoi au comité compétent pour étude.
[Traduction]
Je souhaite rappeler à la Chambre la même décision du Président Milliken datée du 9 mars 2011 dans laquelle il a conclu que, dans les circonstances, il fallait renvoyer l'affaire devant un comité. Ainsi, à la page 8842 des Débats de la Chambre des communes, il a déclaré:
Je m'empresse également d'ajouter que les pouvoirs de la présidence en cette matière sont solides et bien connus. En 1966, le Président Lamoureux, ayant conclu qu'il y avait de prime abord matière à question de privilège, a déclaré plusieurs motions irrecevables. Comme le stipule La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition, à la page 147, dans la note de bas de page no 371, le Président Lamoureux a ainsi « plus d'une fois fait ressortir que, dans les usages parlementaires canadiens, les questions de ce genre étaient habituellement renvoyées à un comité pour étude et a signalé qu'à son avis, c'était la voie à suivre en l'espèce ».
Les greffiers et moi-même demeurons à la disposition du pour l'aider à rédiger une motion acceptable. La Chambre étudiera la question dès que le député sera prêt à proposer sa motion dans la forme requise.
Je remercie les députés de leur attention.