La Chambre reprend l'étude de la motion.
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Madame la Présidente, en tant que député du Québec, je me dois de participer à la discussion, aujourd'hui, concernant la motion de mon collègue du Bloc québécois. Je veux dire à mon cher collègue que la formule actuelle a une histoire fort intéressante et qu'elle est issue de plusieurs modifications et considérations historiques dans lesquelles le Québec joue un rôle important. Comme le disait ma mère, il faut savoir d'où on vient pour savoir où on s'en va. Je retiens la leçon et je débute par une revue de cette histoire fascinante qui nous a amenés à notre formule actuelle.
À son début, en 1867, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, qui fut rebaptisé la Loi constitutionnelle de 1867, répartissait les 181 sièges de la Chambre entre ses quatre provinces fondatrices. À cette époque, il était alloué à l'Ontario 82 sièges; au Québec, 65 sièges; à la Nouvelle-Écosse, 19 sièges; et au Nouveau-Brunswick, 15 sièges. Afin de s'assurer que la représentation de chacune des provinces à la Chambre des communes continuait de correspondre à sa population, la Loi prévoyait que le nombre de sièges attribués à chaque province serait calculé à nouveau après chaque recensement décennal commençant par le recensement de 1871. Le calcul devrait se faire en divisant la population d'une province par le nombre fixe appelé « quotient électoral ». Celui-ci était obtenu en divisant la population du Québec par 65, c'est-à-dire par le nombre de sièges garantis constitutionnellement au Québec, à la Chambre des communes. Une seule exception s'appliquait à la formule: la « règle du vingtième », qui garantissait « [qu']aucune province ne pouvait perdre de sièges à l'occasion d'un redécoupage électoral à moins que le pourcentage de sa population par rapport à la population totale du pays ait diminué d'au moins 5 % [...] entre les deux derniers recensements ».
Il a fallu plus de 40 ans avant que cette formule soit modifiée pour la première fois. Le premier changement a été apporté à la formule en 1915 avec l'adoption de la clause sénatoriale. Celle-ci est toujours en vigueur et prévoit « qu'une province ne peut pas avoir moins de sièges à la Chambre des communes qu'au Sénat ». En 1915, cette disposition a eu pour effet immédiat de garantir un quatrième siège à l'Île-du-Prince-Édouard, qui détient encore quatre sièges aujourd'hui. Trente ans plus tard, en 1946, une deuxième modification à la formule s'est produite. Celle-ci répartissait les 255 sièges de l'époque entre les provinces et les territoires selon leur part de la population totale du Canada et non plus en fonction du nombre moyen de personnes par circonscription, au Québec.
Le Canada est un pays diversifié et, comme la population n'avait pas augmenté au même rythme dans toutes les provinces, il en est résulté une perte de sièges pour certaines d'entre elles. Ainsi, suivant le Recensement de 1951, la Nouvelle-Écosse, le Manitoba et la Saskatchewan perdirent des sièges. Donc, afin d'éviter les pertes trop rapides, une troisième modification à la formule s'y est ajoutée: la « règle des 15 % », qui empêchait une province de perdre plus de 15 % du nombre de sièges auxquels elle avait eu droit au redécoupage précédent. Toutefois, ces mêmes trois provinces, ainsi que le Québec, perdirent des sièges suivant le Recensement de 1961. Ainsi, avec l'addition de Terre-Neuve, elles allaient de nouveau perdre des sièges suivant le Recensement de 1971, donc le Parlement a légiféré, en 1974, pour remédier à la situation.
La quatrième modification s'agissait en fait d'une nouvelle formule. L'inquiétude provoquée par la perte constante de sièges dans certaines provinces a incité le Parlement a adopter la Loi sur la représentation. Celle-ci garantissait, entre autres, qu'aucune province ne pouvait perdre de sièges. Tel qu'avant 1946, cette nouvelle formule utilisait une fois de plus le Québec comme base de calcul, mais à trois différences près.
Premièrement, 75 sièges étaient dorénavant alloués au Québec plutôt que 65. Deuxièmement, le nombre de sièges attribués au Québec augmenterait de quatre à chaque réajustement de la représentation, de manière à freiner l’augmentation de la population moyenne des circonscriptions. Troisièmement, les provinces se répartiraient en trois catégories: les provinces très peuplées ayant plus de 2,5 millions d’habitants, les provinces moyennement peuplées, soit celles comptant entre 1,5 million et 2,5 millions d’habitants, et les provinces peu peuplées, soit celles comptant moins de 1,5 million d’habitants.
Seules les provinces les plus peuplées obtiendraient des sièges en proportion directe de la population du Québec. Des règles distinctes et plus favorables s’appliqueraient aux provinces peu ou moyennement peuplées.
Toutefois, la formule de l’amalgame n’a été appliquée qu’une seule fois, en 1976, et a porté à 282 le nombre de sièges à la Chambre des communes. À la suite du recensement de 1981, il a été constaté que cette nouvelle formule de l’amalgame aurait entraîné une augmentation marquée du nombre de sièges à la Chambre des communes dans l’immédiat, ainsi qu’à la suite des recensements ultérieurs. Par exemple, selon les traditions de l’époque, la formule aurait augmenté la taille de la Chambre à 369 sièges après 2001.
En adoptant la Loi de 1985 sur la représentation électorale, le Parlement a modifié la formule à nouveau et a introduit une nouvelle disposition des droits acquis. Cette nouvelle disposition, qui est également toujours en vigueur, garantit qu’aucune province ne peut avoir moins de sièges qu’elle en avait obtenus en 1976 ou pendant la 33e législature, soit en 1985. Toutefois, cette disposition n’était pas le seul changement. La formule révisée pour calculer le nombre de sièges comprenait plusieurs étapes. Des 282 sièges que la Chambre des communes comptait, en 1985, un siège était attribué aux Territoires du Nord-Ouest, un au Yukon et un au Nunavut, ce qui laissait 279 sièges. On divisait ensuite par 279 le chiffre total de la population des 10 provinces pour obtenir le quotient électoral.
Le nombre initial de sièges pour chaque province se calculait en divisant le chiffre de sa population totale par le quotient électoral. Si le résultat comportait une fraction supérieure à 0,50, le nombre de sièges était arrondi au nombre entier suivant. Finalement, la disposition sénatoriale et la disposition des droits acquis étaient ensuite appliquées pour obtenir le nombre définitif de sièges.
Comme on le sait tous, plus récemment, en 2011, le gouvernement conservateur a modifié une fois de plus la formule. La modification de 2011 a servi à remédier à l’importante surreprésentation des provinces à forte croissance, soit l’Ontario, la Colombie-Britannique et l’Alberta. Un problème que la formule de 1985 ne pouvait pas résoudre. La modification visait également à éviter que les provinces surreprésentées deviennent sous-représentées après l’application de la nouvelle formule. La règle de représentation fut introduite et attribua des sièges additionnels au Québec qui, autrement, serait devenu sous-représenté. Les provinces à moins forte croissance ont conservé le même nombre de sièges. L’Ontario a acquis 15 nouveaux sièges, la Colombie-Britannique et l’Alberta ont acquis six nouveaux sièges chacune et le Québec s’est vu atteribué trois nouveaux sièges.
Comme 2021 est une année décennale, à la suite des calculs des sièges du directeur général des élections, la Chambre des communes continuera d’évoluer. Mes collègues attendront avec impatience les résultats du processus indépendant de révision des limites des circonscriptions en cours.
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Madame la Présidente, avant de commencer, j'aimerais annoncer que je partagerai mon temps de parole avec mon collègue de . Cela prouve ma générosité parce que, 10 minutes, ce n'est pas long.
Je suis très heureux de m'adresser à la Chambre aujourd'hui pour défendre la motion du Bloc québécois.
La motion du Bloc énonce un principe très simple: quand on va revoir la carte électorale, il ne faudra pas réduire le poids relatif du Québec.
J'ai entendu mes collègues d'en face nous dire qu'on allait maintenir le nombre des députés au Québec, et que nous ne devions pas nous en inquiéter. Cependant, si l'on en rajoute ailleurs seulement, l'impact sera le même. On parle d'un pourcentage de voix, et qui, depuis les débuts de la fédération canadienne, est en chute libre.
Certains députés de la Chambre comprennent mal notre démarche et nos demandes. J'ai entendu des réactions exaspérées, plus tôt; une personne disait qu'elle n'était plus capable d'entendre les demandes du Québec.
C'est étrange, la semaine passée ou celle d'avant — il n'y a pas si longtemps en tout cas —, on a voté une motion pour modifier une disposition de la Constitution en faveur de la Saskatchewan, qui a été adoptée à l'unanimité à la Chambre. À plusieurs reprises au cours de la journée, je me suis plu à le signaler aux députés, en leur disant que je ne comprenais pas pourquoi ils n'étaient pas aussi soucieux du statut du Québec. Or, s'ils se demandent pourquoi le Québec a tant de demandes à faire, je leur répondrai qu'il n'a pas de reconnaissance dans cette fédération.
À propos de cette fédération, la plupart des députés des autres formations politiques espèrent nous convaincre qu'un jour elle sera aussi la nôtre. Se sont-ils déjà demandé pourquoi nous ne nous sentions pas chez nous dans cette fédération? C'est parce qu'il n'y a aucune reconnaissance, ce qui m'amène à parler de l'objectif ultime, qui existe depuis le début.
J'aurais bien aimé donner un cours d'histoire, mais je vois qu'en deux minutes, j'ai parlé de plein de choses qui ne sont pas dans mes notes, alors je n'en donnerai pas.
L'objectif ultime existe depuis la conquête. On va dire que je recule loin dans le passé, mais les Québécoises et les Québécois forment un peuple de résistants et de battants, qui luttent contre l'assimilation depuis ce temps. Plusieurs circonstances de l'histoire auraient pu les amener à disparaître, mais ils résistent. Pourquoi le font-ils? C'est parce qu'ils osent se lever à la chambre d'un Parlement, parler pour leur nation et expliquer à leurs collègues, en toute amitié et tout respect, qu'ils essaieraient au minimum, ce qui est fort normal, de reconnaître le poids relatif de la nation fondatrice.
Je ne vais pas raconter une histoire escamotée, et cela va m'amener directement à l'année 1867, qui correspond à la création de la Confédération canadienne. Je rappellerai que la Constitution d'avant était celle de 1840, c'est-à-dire l'Acte d'Union. C'était après les rébellions patriotes et le rapport Durham. L'objectif précis était de faire disparaître le fait français au Québec. C'était clair.
En 1867, on forme le Canada, et il y a quatre provinces. À l'époque, nous représentions 36 % de la population, et je crois que nos ancêtres se sont laissés berner par l'illusion des deux peuples fondateurs. Si on cherche qui parle encore des deux peuples fondateurs dans ce pays, aujourd'hui, on va trouver les 35 libéraux du Québec, mais, à part eux, il n'y a pas grand monde qui en parle. On se fait plutôt parler de multiculturalisme et du fait qu'il y a d'autres minorités.
En revenant au problème, je vais prendre l'exemple des motions unanimes de l'Assemblée nationale du Québec. Combien de fois ses motions unanimes n'ont-elles pas été respectées en ce Parlement? À ceux et celles qui me répondront en disant que la nation québécoise a son gouvernement à Québec, je rétorquerai que j'espère qu'elle aura pleinement son gouvernement à Québec un jour. Je le pense, bien sûr, tout comme mes collègues du Bloc.
Pour l'instant, malheureusement, le Parlement du Québec est sous la domination d'un autre Parlement, qui est celui dans lequel on se trouve aujourd'hui. S'il n'y a pas de représentation décente du Québec, la voix ne portera pas. J'irai même plus loin: s'il n'y a pas de formation politique dont la mission est de défendre les intérêts du Québec, cela ne parlera pas fort.
Les députés n'ont qu'à regarder le nombre de débats qu'il y a eu, que ce soit sur la langue ou sur la culture, entre 2011 et 2019. Pour ceux qui aiment les mathématiques, je leur demande de faire l'exercice, simplement pour le plaisir. Je ne parle pas du nombre de débats qu'il y a eu sur la culture québécoise, sur la langue, sur notre place, et sur le respect de nos lois, de 2019 à 2022. Certains vont faire le saut.
Là, je m'écarte du sujet principal. À ceux qui se demandent pourquoi il faut qu'on soit ici pour parler de la langue, j'expliquerai ceci: en 1871, une loi interdit l'instruction en français au Nouveau-Brunswick; en 1877, c'est la même chose à l'Île-du-Prince-Édouard; en 1890, on fait disparaître les écoles françaises du Manitoba. Je rappelle que le Manitoba a été créé au départ comme une province pour les Métis francophones. En 1892 et en 1901, des lois sont passées aux Territoires du Nord-Ouest pour bloquer l'enseignement en français; en 1905, l'Alberta et la Saskatchewan sont décrétées des provinces anglophones, alors qu'au départ, elles ont été développées et explorées par des francophones; en 1912, c'est le Règlement 17 en Ontario qui sera en vigueur jusqu'en 1944, causant des dommages incroyables à la communauté franco-ontarienne; en 1916, c'est au Manitoba; en 1931, c'est en Saskatchewan. En 2018, il y a eu des lois en Ontario pour limiter l'Université de l'Ontario français.
Je dis tout cela pour signifier que le fait français et la nation québécoise doivent être représentés et cette représentation doit être lourde. Il faut que cela compte quand nous nous levons. Nous sommes déjà minoritaires. Il ne faut pas s'inquiéter, nous ne viendrons pas dominer le Parlement fédéral. Nous voulons continuer d'avoir l'occasion de faire entendre notre voix. À ceux et celles qui disent que nous braillons tout le temps et que nous demandons toujours quelque chose, j'ai une question à formuler.
Qu'ont-ils fait depuis 1995? Qu'ont-ils fait de tous ces beaux discours émotifs, de toutes ces belles promesses? Absolument rien n'a été fait. Il n'y a rien, pas de reconnaissance pour le Québec.
On peut me faire des non de la tête, mais en 1982 on n'a pas signé. C'est cela qui se passe. Puis, on se fait traiter de chialeux quand on demande quelque chose. Vingt-cinq pour cent du poids du Parlement pour le peuple fondateur, je le rappelle, n'en déplaise à plusieurs à la Chambre, c'est un strict minimum. J'ai parlé de 1995, mais je pourrais reculer au référendum précédent, en 1992, à l'Accord de Charlottetown. À Charlottetown on parlait de 25 % des sièges pour le Québec. Cela a été refusé par le Québec parce qu'il trouvait que les conditions n'étaient pas suffisantes, parce qu'il y avait d'autres clauses. Cela a été refusé par le Canada anglais, aussi, parce qu'il trouvait qu'on donnait trop. C'est cela, le portrait du Canada.
Être une nation, c'est avoir le droit de se développer. Tant et aussi longtemps que le Parlement québécois sera soumis à la bonne volonté du Parlement canadien, il est primordial de maintenir un poids minimum relatif à la Chambre. Nous sommes ici pour préserver cela. Mes collègues ne seront pas surpris de m'entendre dire que je souhaite ardemment que le Québec se prenne de nouveau en main et se pose de nouveau la question. J'espère qu'à l'évidence la réponse sera « oui ». Quand on ne contrôle pas toutes ses décisions politiques, quand on ne contrôle pas toutes ses taxes et tous ses impôts, on ne peut pas contrôler le destin de sa nation. Là est toute la question.
J'attendrai avec impatience les questions de mes collègues. Je les espère sans agressivité, mais, moi, je suis prêt à discuter du fond des questions, du fond des choses, et j'aimerais que l’on comprenne que cette motion n'est pas contre qui que ce soit. Nous travaillons pour notre monde. Nous travaillons pour la survie de notre langue et de notre culture.
J'ai fait une liste plus tôt de lois qui montre qu'à l'extérieur du Québec cela ne se passe pas comme cela. Alors, pendant ces 10 dernières secondes, j'inviterais mes collègues à réfléchir correctement et à ne pas simplement voter contre la motion parce qu'on ne veut rien donner au Québec, comme d'habitude. Rappelons-nous ce que nous avons fait pour la Saskatchewan il y a quelques semaines.
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Madame la Présidente, en vertu de la nouvelle répartition proposée, la Chambre compterait 342 députés, avec quatre nouveaux sièges, dont 77 iraient au Québec, qui en perdrait un. Cela ferait passer le poids politique du Québec à la Chambre des communes de 23,1 % à 22,5 %. Ce n’est pas la faute du directeur général des élections. Il applique mécaniquement la formule prévue à l’article 51 de la Loi constitutionnelle de 1867. Cependant, le nombre de sièges est une décision qui relève du Parlement, d’où notre motion d’aujourd’hui.
Ce serait la première fois depuis 1966 qu’une province perd des sièges à la Chambre des communes, mais le poids du Québec diminue sans cesse depuis l’entrée en vigueur en 1867 de l'Acte de l’Amérique du Nord britannique, devenu depuis la Loi constitutionnelle. À l'époque, le Québec détenait 65 sièges sur 181, ce qui lui donnait un poids politique de 36 %. Aujourd’hui, depuis 2015, la nation québécoise a 78 sièges sur 338, avec un poids politique de 23,1 %. On tomberait à 22,5 %, ce qui est inacceptable.
En fait, c’est la suite de l’histoire qu’on a vécue à partir de la Proclamation royale de 1763. L'Acte de Québec de 1774 visait à éviter que les Canadiens français ne se joignent à la révolution indépendantiste américaine. L’Acte constitutionnel de 1791 a permis d’établir un territoire où les loyalistes anglais étaient majoritaires. Ensuite, avec l’immigration, la population anglophone du Canada a fini par devenir majoritaire. Finalement, cela a abouti à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique en 1867.
Tout au long de l’histoire du Canada, on a vu des gouvernements britanniques et canadiens ouvertement recourir à la répression militaire, à l’immigration anglophone, à l’interdiction des écoles françaises et à toutes sortes de mesures pour assimiler et minoriser les francophones.
Ceux qu’on appelait au départ les Canadiens français sont passés de 99 % de la population en 1763 à 87 % en 1791, puis à 29 % en 1871. Ce pourcentage a continué de décliner constamment. Comme le disait mon collègue, la Loi constitutionnelle de 1867 a été suivie de lois qui abolissaient les écoles françaises dans toutes les provinces canadiennes aujourd’hui majoritairement anglophones.
Dès le départ, la Loi constitutionnelle de 1867 protégeait le bilinguisme au Québec. Au gouvernement fédéral, cela a été mis de côté pendant très longtemps. On continue à le vivre aujourd’hui, avec la Loi sur les langues officielles.
Au bout de toute cette période-là, dans les années 1960, il y a eu la Commission Laurendeau-Dunton sur le biculturalisme et le bilinguisme. André Laurendeau visait à donner des droits collectifs à la nation québécoise, mais, finalement, ce n’est pas ce qui est arrivé. Les travaux de la Commission ont abouti à une loi sur le multiculturalisme, qui a banalisé un peu l’identité québécoise comme étant une communauté culturelle parmi les autres.
La Commission a aussi mené à une loi sur le bilinguisme, qui venait protéger les minorités de langue officielle. Comme par hasard, au Québec, on a considéré que la minorité, c’était la minorité anglophone, qui bénéficiait pourtant jusque là de privilèges colonialistes et qui avait une position très dominante dans la société québécoise. Ainsi, plutôt que d’intervenir pour défendre le français partout, le gouvernement canadien est intervenu au Québec, le seul État francophone, et n'a rien trouvé de mieux à faire que d'y renforcer l’anglais.
Aujourd’hui, on vit un déclin du français, que la Loi sur les langues officielles n’aidera pas à contrer. Il est quand même assez étonnant de constater qu'il y a un déclin du français à chaque recensement et que, depuis l'adoption de la Loi sur les langues officielles, le taux d’assimilation des francophones augmente un peu partout.
Ce n'est qu'il y a deux ans que le gouvernement canadien a admis qu’il y avait un déclin du français et qu’il avait la responsabilité de défendre et de protéger le français partout, même au Québec. Dans la Loi sur les langues officielles, ce n’est pas ce qu’on constate. On émet certains principes, mais on continue avec la même vieille approche.
Je pense que le Québec est pris dans un étau. Si on continue à accueillir une immigration massive et qu'on ne réussit pas à franciser les nouveaux arrivants, on est en train de se minoriser au Québec et le gouvernement fédéral contribue à cette minorisation. Si on n'augmente pas l'immigration, le Québec perd son poids politique. On est dans un étau.
Au Canada, il n'y a pas de problème, on accueille beaucoup d'immigrants, mais on sait qu'à peu près tous les transferts linguistiques des francophones ou des allophones se font vers l'anglais. L'anglais n'est pas menacé au Canada, je pense que tout le monde va en convenir, mais le français est menacé au Québec. La seule façon de survivre et de réagir en tant que nation, c'est que notre poids politique soit protégé.
En ce qui concerne la population du Québec, toute proportion gardée, le Québec recevait presque deux fois plus d'immigrants que les États-Unis, presque deux fois et demie plus que la France. On a vu des prévisions selon lesquelles, d'ici une vingtaine d'années, le poids démographique des francophones au Québec va vraiment diminuer. Or, avec la nouvelle politique qui vise à augmenter les seuils d'immigration constamment, le déclin va se poursuivre encore plus rapidement. Il faut agir.
Les libéraux ont parlé de porter le nombre total d'immigrants accueillis à 430 000 par année. C'est nettement plus que les 280 000 immigrants que proposaient d'accueillir les conservateurs.
Le Québec est une nation. Il a une identité unique au monde, une histoire, une culture particulière, une façon de faire l'économie, une langue commune. Le droit à l'autodétermination des peuples est tout à fait normal. Il nous permettrait d'assurer l'avenir de notre langue, de notre culture, de notre façon de faire. C'est le droit à disposer de nous-mêmes.
Maurice Séguin, un historien qui a étudié l'histoire des colonies de peuplement, disait que si un peuple ne peut pas décider par lui-même de son développement social, économique, culturel et politique, il s'en va vers une dissolution. Je pense que nous sommes arrivés à un point de rupture.
Pendant un certain temps, on a pu contrer la minorisation, parce que, surtout avant les années 1960, il y avait un taux de natalité très fort au Québec. Toutefois, comme dans l'ensemble des pays occidentaux, notre taux de natalité a diminué. On dépend de plus en plus de l'immigration. Il faut les moyens de franciser l'immigration, mais on perd même ce pouvoir-là.
L'Entente Canada-Québec nous donnait un certain contrôle sur l'immigration économique, mais de plus en plus la formule a changé et on accorde la résidence permanente surtout aux travailleurs temporaires et aux étudiants temporaires. On a vu récemment que les taux de refus des permis d'étude pour les étudiants francophones venus principalement de pays africains sont beaucoup plus élevés. Dans le fond, je pense qu'on arrive à un point de rupture.
Si le Québec veut continuer à se développer en tant que peuple, il faut à tout le moins que nous puissions maintenir notre poids politique au Parlement. C'est pour cela que nous proposons cette motion et nous demandons que tout scénario de redécoupage de la carte électorale fédérale qui aurait pour effet de faire perdre une ou des circonscriptions électorales au Québec soit rejeté. Nous proposons que le Québec puisse toujours maintenir son poids politique à 25 %, parce que nous sommes une nation. Nous sommes le seul État francophone en Amérique et nous avons le devoir de résister, de défendre le français et la diversité culturelle dans le monde. Nous allons voir les réactions ici. J'en appelle à tous mes collègues de permettre au Québec de maintenir son poids politique.
J'en appelle aussi à tous mes concitoyens québécois pour qu'ils fassent le constat de la situation. Si on ne réussit pas à faire cela, et si on ne réussit pas à modifier la Loi sur les langues officielles pour assurer l'avenir du français, la seule solution sera l'indépendance du Québec.
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Madame la Présidente, je suis honoré de prendre la parole aujourd’hui pour parler du poids politique du Québec.
Le 15 octobre dernier, le directeur général des élections a publié la nouvelle répartition des sièges à la Chambre des communes. C’est un exercice qui se fait tous les 10 ans. En vertu de la nouvelle répartition, la Chambre compterait 342 députés avec quatre nouveaux sièges, mais le Québec n’en compterait que 77, donc un de moins. Cela ferait passer le poids politique du Québec à la Chambre des communes de 23,1 à 22,5 %. Ce serait donc la première fois depuis 1966 qu’une province perdrait des sièges.
Soyons clairs. Le Bloc québécois est contre la réduction du poids politique du Québec. En écoutant les débats, aujourd’hui, j’entendais les députés parler de la langue, de l’affection pour le Québec, de l’importance du Québec et de l’amitié entre les peuples et les provinces. Le Québec est tout à fait pour cela, mais c’est aussi beaucoup plus que cela. On ne peut pas réduire le Québec à sa langue, bien que la langue en soit une composante identitaire très forte. Le Québec est surtout un des peuples fondateurs de ce qu'est devenu le Canada. À ce titre, il mérite une considération qui va bien au-delà de l’application bête et méchante, aveugle ou automatique d’une formule mathématique.
Bien sûr, on ne blâme aucunement le directeur général des élections dans cet exercice. D’ailleurs, on n’a pas de blâme à émettre. On a plutôt une suggestion à proposer.
La proposition, c’est d’aller au-delà d’une norme qui est figée dans le temps. C’est une formule qu’on ne peut consentir à appliquer à la lettre. Tout au long du débat qui se poursuivra aujourd’hui, il faut qu’on se pose la question suivante: est-ce que c’est juste qu’une province perde un siège, que son poids politique diminue? Est-ce ainsi que l’on veut vivre dans un ensemble qui nie la représentativité à une portion de la population?
L’application aveugle d’une formule mathématique peut-elle être le seul critère de décision ou de représentation d’une nation, la nation québécoise dans ce cas?
La démographie est une science qui ne ment pas. Les gens naissent, les gens meurent, on sait quel âge ils ont actuellement, on sait quand ils vont voter. La population du Canada croît plus rapidement que celle du Québec. C’est un fait. C’est d’ailleurs en partie le fruit des politiques d’immigration qui pourraient être améliorées, car elles ne favorisent pas la croissance démographique du Québec. Récemment, on a parlé beaucoup du taux de refus inacceptables des étudiants africains, par exemple. Ce taux frisait les 80 %, alors que le taux de refus des étudiants anglophones qui présentaient une demande au Québec était de 5 à 10 % approximativement.
Si on maintient la situation actuelle et qu’on met en œuvre la recommandation du DGE, le Québec va être folklorisé. Il va courir le risque de disparaître dans sa forme actuelle. Je suis certain que malheureusement cela pourrait faire l’affaire de quelques-uns, mais je persiste à croire que cela ne ferait l’affaire de personne.
Le Québec, c’est une langue, une culture, un art de vivre. Le Québec, c’est une possibilité d’être qui rayonne tout autour du monde. Avant d’aller plus loin, je propose un élément de réflexion.
La prise d’une décision de cette importance ne peut être faite à la légère. On ne peut sous-estimer l’importance, avant de prendre une décision. J’ai entendu aujourd’hui le fait que la décision sera prise par une commission indépendante. Entre nous, il est farfelu de croire que ce ne sera qu’une simple décision administrative. Les gens ont dit que le Bloc québécois faisait aujourd’hui une proposition politique. Assurément, nous faisons une proposition politique. C’est un débat politique. Je ne pense pas que ce sera une décision qui peut être autrement que politique, quand on a à faire un choix politique.
Quand on a à prendre une décision, à faire un choix, à la limite à décider, à préférer et à choisir, il y a deux cas de figure possibles. Il y a des cas où il va y avoir une règle existante et un cas où il n’y aura pas de règle existante. Dans ce cas-ci, il en existe une: une formule mathématique. Cependant, quand on veut prendre une décision qui est qualifiée de plus éthique, on va se poser quatre questions. La première, c’est de savoir s’il y a une règle. La réponse est oui, il y en a une. La deuxième, c’est de savoir s’il y a une omission dans la règle. Ce n’est pas le cas ici. Il n’y a pas d’omission. Puis on se demande s’il y a deux règles qui s’affrontent et qui disent deux choses différentes. Ce n’est pas le cas ici. Le quatrième cas de figure est de se demander si la règle est juste dans les circonstances. C’est sur ce point que je veux insister. La règle est-elle juste dans les circonstances?
On est devant l'un de ces cas, qu'on appelle les cas irréguliers, pour lesquels on ne peut pas appliquer une règle qui ne s'applique pas sans encourir le risque d'être injuste. Être juste, c'est une tâche colossale. C'est pourtant la tâche des députés, qui auront à voter à la Chambre, auront à prendre sur cet enjeu.
Convenant que, devant un cas que je qualifiais d'irrégulier il y a quelques instants, l'application de la règle serait injuste, il va falloir voir, réfléchir et faire autrement. Quand on n'a pas de règle juste à appliquer, on doit s'orienter vers un autre élément qu'on appelle des « valeurs ».
On nous a lavé le cerveau avec les grandes valeurs canadiennes depuis des années. On nous parle de valeurs à gauche et à droite, mais qu'est-ce qu'une valeur, sinon l'énonciation d'une préférence lorsqu'il n'y a pas de règle qui soit applicable de manière juste.
Une valeur, c'est toujours bon et souhaitable. Qu'est-ce qu'on pourrait évoquer ici comme valeurs qui permettraient de vivre ensemble et d'avoir cette cohabitation nécessaire pour le moment? Je crois qu'on doit faire référence au concept d'équité. Cette dernière est la juste appréciation de ce qui est dû à chacun. C'est le « à chacun, selon ». Je vais donner deux exemples: si on a une tarte que l'on divise en quatre pointes et qu'il y a une personne diabétique et une personne qui n'a pas faim, ce ne sera peut-être pas quatre parts égales, mais cela va être quand même juste.
La juste appréciation est différente de l'égalité. Pour cette dernière, cela veut dire: tous pareils. On va en convenir, on n'est pas tous pareils. On parle français, on voit et on vit autrement.
Je pense qu'il convient de modifier la formule de répartition des sièges. Perdre une représentation, c'est disparaître; et disparaître, c'est mourir. Pour le dire autrement, avec les mots d'un auteur que j'aime bien, à savoir Fernando Pessoa — ce n'est pas un philosophe, mais tout de même: « Mourir, c'est ne pas être vu ».
Afin d'éviter de ne pas être vu, le Bloc québécois propose une motion dissociative:
Que, de l’avis de la Chambre: a) tout scénario de redécoupage de la carte électorale fédérale qui aurait pour effet de faire perdre une ou des circonscriptions électorales au Québec ou de diminuer le poids politique du Québec à la Chambre des communes doit être rejeté.
On demande aux députés de se prononcer à ce sujet. La deuxième partie de la motion dit ceci:
b) la formule de répartition des sièges à la Chambre doit être modifiée et elle demande au gouvernement d’agir en conséquence.
Je vais citer quelques faits que nous connaissons. Évidemment, la formule des répartitions est inscrite dans la Constitution de 1867. Ce n'est pas neuf. Le directeur général des élections, ou DGE, n'a pas de latitude pour déterminer le nombre de sièges à la Chambre des communes. Son pouvoir se limite à proposer la délimitation des circonscriptions, mais pas d'en changer le nombre. La seule façon de modifier le nombre et la répartition des sièges, c'est de référer par voie législative à l'article 51 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. On a entendu aujourd'hui que l'article 44 de la Constitution de 1982, que le Québec n'a pas signée, prévoit que le Parlement fédéral a le pouvoir de cela.
Or c'est difficile de modifier la Constitution. Pourtant, il y a deux semaines, on a parlé de la Constitution en référence à la Saskatchewan, et cela n'a pas trop été difficile et cela n'a pas fait trop de mal. Même si cela est difficile de modifier une constitution, rappelons-nous que le modèle des constitutions a été la Constitution d'Athènes, si chère à Aristote. Elle est considérée comme un modèle en la matière.
Cette Constitution-là, 2 000 ans plus tard, a été modifiée. Elle a servi d'inspiration et a évolué, parce que le contexte évoluait. Pour faire une telle modification, cela prend un ingrédient qu'on appelle le courage. Ce dernier n'existe pas en théorie, cela n'existe qu'en pratique. Étant donné qu'on est au début d'un processus d'évaluation de la réforme électorale, je crois que le moment est venu de se pencher sérieusement sur la question. Est-ce ainsi que l'on veut vivre, en perdant ou en modifiant?
J'ai beaucoup aimé le mot d'une des députées aujourd'hui qui demandait si on ne pouvait pas arrêter de changer les représentations et si on pouvait « fixer » une représentation. C'est une voie qui est à évaluer avec mérite, je crois.
Je fais encore référence au peuple grec à l'époque qui avait plusieurs mots pour désigner le temps. Il y avait le temps qu'il fait dehors, le temps qu'on comptait pour aller travailler appelé « chronos », et il y avait un temps que j'aime beaucoup qui s'appelle « kairos ». En français, on dirait « le moment opportun ».
On ne dit pas à une fleur à quel moment elle doit pousser. Il faut attendre le moment opportun. C'est pour cela qu'on l'appelle ainsi. Il faut savoir également que, si on attend trop après l'heure, ce n'est plus l'heure.
Je pense que nous sommes au moment opportun, au début d'un tel processus, et que les députés et la Chambre doivent exercer leur influence pour envoyer un message clair. Je ne crois pas que les députés d'en face détestent le Québec, surtout pas la députée d'. Je ne crois pas que personne n’agisse contre l'autre, mais je pense qu'il faut mettre en œuvre les pouvoirs qui sont les nôtres afin d'approuver cette motion et de voter dans cette direction.
J'invite d'ailleurs les députés conservateurs. Je les vois tous ici. Ce sont des gens avec qui nous avons le plaisir de discuter. J'invite les néo-démocrates, les verts, les indépendants et les libéraux. Nous sommes tous ensemble à la Chambre, et je les invite à reconnaître l'importance du Québec.
Je terminerai en citant Maria Ossowska, une philosophe polonaise qui a vécu durant la Seconde Guerre mondiale et qui a connu les atrocités que l'on connaît. En 1946, elle affirmait qu'en affaire d'éthique et de politique, l'importance était d'être décent. Elle ajoutait qu'être décent, c'est l'art de bien vivre les uns avec les autres et d'avoir une ouverture d'esprit, une honnêteté intellectuelle, le sens critique, la responsabilité de la parole.
Le moment est venu de reconnaître le poids politique du Québec et de consentir à reconnaître que la formule de répartition des sièges doit être revue. L'importance du Québec sur le plan démographique diminue, certes, mais nous ne serons jamais petits.