Privilège parlementaire / Droits de la Chambre
Outrage à la Chambre : droit des députés de siéger et de voter à la Chambre alors que leurs comptes de campagne électorale sont contestés; question fondée de prime abord
Débats, p. 18550–18553
Contexte
Le 5 juin 2013, Scott Andrews (Avalon) soulève une question de privilège au sujet du droit de James Bezan (Selkirk—Interlake) et de Shelly Glover (Saint-Boniface) de siéger et de voter à la Chambre. Il évoque une lettre envoyée au Président disant que les deux députés avaient omis d’apporter des corrections à leurs comptes de campagne électorale selon l’échéance fixée par le directeur général des élections, conformément au paragraphe 457(2) de la Loi électorale du Canada. M. Andrews soutient que, selon le paragraphe 463(2) de la même loi, les députés n’ont plus le droit de siéger ni de voter à la Chambre. Il ajoute aussi que seule la Chambre a le pouvoir de juger de ces droits. Après avoir entendu plusieurs autres députés, le Président prend la question en délibéré[1]. Le 7 juin 2013, M. Bezan et Mme Glover font tous deux valoir qu’il s’agit d’un désaccord avec Élections Canada au sujet de l’interprétation d’une règle comptable couvrant certaines dépenses, qu’ils ont demandé aux tribunaux d’examiner la question — ces derniers ayant effectivement suspendu les dispositions de la Loi relatives à une suspension de la Chambre — et qu’il faut donc respecter la convention relative aux affaires en instance[2]. Plusieurs autres députés interviennent ce jour-là et les jours suivants, puis le Président prend de nouveau la question en délibéré[3].
Le 6 juin 2013, Massimo Paccetti (Saint-Léonard—Saint-Michel) et Wayne Easter (Malpeque) soulèvent tous deux une question de privilège pour demander au Président de déposer la lettre que lui a adressée le directeur général des élections au sujet des dépenses électorales de M. Bezan et de Mme Glover[4]. Le 7 juin 2013, le Président déclare qu’étant donné qu’aucune disposition, dans les lois ou le Règlement, n’oblige le Président à déposer les lettres qui lui sont envoyées, même celles venant d’un agent du Parlement, c’est au directeur général des élections qu’il incombe de rendre sa correspondance publique[5].
Résolution
Le 18 juin 2013, le Président rend sa décision. Il déclare que la question est de savoir comment une loi pourrait s’appliquer aux travaux de la Chambre et de préserver l’équilibre entre les droits de la Chambre à titre collectif et les droits des députés à titre individuel. Il confirme qu’à terme, c’est à la Chambre qu’il revient de décider si un député peut siéger et voter à la Chambre. Il ajoute qu’en l’occurrence, il n’y a ni directives ni précédents pour guider la présidence. Par conséquent, le Président demande au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre d’examiner la question en vue d’intégrer les dispositions nécessaires au Règlement, ajoutant que si l’on se concentrait uniquement sur la procédure, on ne porterait pas atteinte à la convention relative aux affaires en instance. Affirmant qu’il est d’usage que l’on renvoie à un comité les questions concernant le siège d’un député et soulevant des doutes, qu’ils soient de droit ou de fait, le Président déclare qu’il rendra disponibles les lettres pertinentes envoyées par le directeur général des élections, dans ce cas et dans les cas semblables à venir. Le Président conclut qu’il y a de prime abord matière à question de privilège. Il invite alors Dominic LeBlanc (Beauséjour), en l’absence de M. Andrews, à présenter la motion appropriée 6.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 5 juin par le député d’Avalon, et encore aujourd’hui par le député de Beauséjour, au sujet du droit de la députée de Saint-Boniface et du député de Selkirk—Interlake de continuer à siéger et à voter à la Chambre.
Je remercie l’honorable député d’Avalon d’avoir soulevé cette question, ainsi que l’honorable leader du gouvernement à la Chambre des communes, le député de Toronto—Danforth, le député de Winnipeg-Nord, le député de Selkirk—Interlake et la députée de Saint-Boniface pour leurs commentaires.
Lorsqu’il a soulevé sa question de privilège, le député d’Avalon s’est attardé principalement sur la situation des députés de Saint-Boniface et de Selkirk—Interlake, qui ont omis d’apporter des corrections à leurs comptes de campagne électorale dans le délai imparti ainsi que l’avait exigé le directeur général des élections en vertu du paragraphe 457(2) de la Loi électorale du Canada. Il a soutenu qu’en conséquence, conformément au paragraphe 463(2) de la même Loi, les députés n’avaient plus le droit de siéger ni de voter à la Chambre. Tout en reconnaissant que les deux députés ont demandé aux tribunaux de trancher le litige, il a affirmé que les députés n’étaient pas pour autant soustraits à l’application de l’article 463 de la Loi. Il a soutenu que les députés « [...] ne devraient pas continuer à siéger et à voter à la Chambre jusqu’à ce qu’Élections Canada ou la Cour fédérale ait pris une décision dans cette affaire ».
De plus, le député d’Avalon a fait valoir que seule la Chambre, et non les tribunaux ou le Président, avait le pouvoir de juger du droit des députés de siéger et de voter à la Chambre. En réponse, le leader du gouvernement à la Chambre des communes a fait valoir qu’il s’agissait dans les deux cas d’une contestation liée à l’interprétation d’une règle comptable, qui ne justifie pas qu’un député dûment élu soit privé de sa participation aux délibérations de la Chambre. Il a ajouté qu’à son avis, la question avait été soulevée prématurément, et qu’il ne voyait pas l’intérêt de demander à la présidence d’intervenir avant même l’issue des procédures judiciaires pertinentes.
Le leader du gouvernement à la Chambre a affirmé que les deux députés disposaient maintenant de deux options, à savoir présenter des déclarations conformes ou avoir recours aux tribunaux, et qu’ils ne pouvaient être suspendus de la Chambre qu’à défaut de se prévaloir de l’une ou l’autre de ces options. Par conséquent, il a affirmé que, si l’on acceptait l’interprétation selon laquelle les deux députés ne devraient pas continuer de siéger ni de voter, cela reviendrait à retirer aux députés leur droit de demander réparation devant les tribunaux, de même qu’à accorder, bien qu’involontairement, un pouvoir excessif à Élections Canada.
Le 7 juin, les députés de Selkirk—Interlake et de Saint-Boniface sont intervenus. Ils ont convenu que l’affaire était un désaccord avec Élections Canada concernant l’interprétation d’une règle comptable applicable à certaines dépenses, et ont déclaré avoir présenté une requête à la Cour du Banc de la Reine du Manitoba en vertu de l’article 459 de la Loi électorale du Canada. Ils ont également fait valoir que cela avait pour effet de suspendre l’application du paragraphe 463(2) de La loi, qui prévoit l’équivalent d’une suspension de la Chambre.
Étant donné que les tribunaux sont saisis du dossier et qu’ils sont tous les deux parties à l’instance judiciaire, les députés ont invoqué la convention relative aux affaires en instance et ont soutenu que tenir des débats ou rendre une décision au sujet de l’affaire en dehors du tribunal porterait préjudice à leurs intérêts dans le cadre de la procédure judiciaire.
Avant d’aborder dans le détail les questions complexes qui nous occupent aujourd’hui, permettez-moi de récapituler la série d’événements qui nous ont amenés jusqu’ici.
Bien que les processus d’examen des dépenses électorales des députés de Saint-Boniface et de Selkirk-Interlake aient débuté il y a un certain temps, la question en ce qui nous concerne a été soulevée les 23 et 24 mai, lorsque j’ai reçu des lettres du directeur général des élections m’informant de l’état des affaires mettant respectivement en cause les deux députés. Ces lettres, qui font toutes les deux référence à l’article pertinent de la Loi électorale du Canada, se terminent par la phrase suivante : « Je vous tiendrai au courant si nous recevons une déclaration corrigée ou si une requête est adressée ultérieurement à un tribunal. »
Le 24 mai, la présidence a appris que les deux députés avaient déposé des requêtes à la Cour du Banc de la Reine du Manitoba relativement à ces affaires.
Il convient peut-être d’expliquer que, dès que j’ai reçu la première lettre du directeur, j’ai sollicité l’avis de la Greffière et du légiste et conseiller parlementaire. Ni l’un ni l’autre n’avaient connaissance d’aucun précédent en la matière. Ils ont par la suite confirmé, à l’issue de recherches approfondies, que la situation était effectivement sans précédent.
Néanmoins, c’est seulement le 4 juin que le directeur général des élections, ayant à son tour été avisé du dépôt des deux requêtes, a pu lui-même m’informer officiellement de ces requêtes au moyen d’une lettre.
Ainsi, c’est seulement après ces événements, et à la suite de reportages des médias concernant l’existence de ces lettres, que le 5 juin, l’honorable député d’Avalon a soulevé la question de privilège à la Chambre pour discuter de l’affaire. D’autres députés sont également intervenus, ce qui nous a conduits à la décision d’aujourd’hui.
Après l’intervention du député d’Avalon, le député de Saint Léonard—Saint Michel a soulevé, le 6 juin, une question connexe, où il a affirmé que le Président était tenu de déposer à la Chambre les lettres du directeur général des élections.
Puis, le vendredi 7 juin, la présidence a fait une déclaration sur la question de savoir s’il y avait ou non obligation d’informer la Chambre de la situation. J’ai indiqué que je n’étais alors pas prêt à déposer les lettres. En l’absence de dispositions prévoyant la marche à suivre en ce qui a trait à ce type de correspondance, et étant donné que j’avais alors pris toute l’affaire en délibéré, j’ai cru bon d’attendre et d’aborder tous les aspects de la question dans le cadre d’une décision complète.
Je constate que l’absence de procédure claire, tant pour la présidence que pour la Chambre, lorsqu’une question de cette nature survient nous confronte à une situation compliquée. En ma qualité de Président, je dois garder à l’esprit mon devoir de protéger les droits des députés à titre individuel, tout en trouvant un juste équilibre entre ce devoir et celui qui m’incombe, en tant que serviteur de la Chambre, de protéger le droit exclusif de celle-ci de trancher les questions concernant ses privilèges collectifs. En l’espèce, cela pose un défi de taille.
Le droit, voire la nécessité absolue, de siéger et de voter est tellement essentiel à la capacité des députés d’exercer leurs fonctions parlementaires qu’il me serait difficile de trop insister sur l’importance de cette question pour les députés à titre individuel et pour la Chambre à titre collectif. À la page 245 de la deuxième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes, il est écrit, et je cite : « […] la question de savoir si un député est inhabile à siéger et à voter affecte les privilèges collectifs de la Chambre […] ».
En même temps, comme le député de Selkirk—Interlake l’a rappelé à la Chambre, on peut lire ceci à la page 307 du même ouvrage : « Le Président est le gardien des droits et privilèges de la Chambre des communes, en tant qu’institution, et des députés qui la composent. » Cela revêt à mon avis une importante particulière dans l’affaire dont nous sommes saisis, étant donné l’atteinte possible aux droits de certains députés à titre individuel et aux droits de la Chambre à titre collectif.
Lorsqu’elle s’acquitte de cette responsabilité, il incombe à la présidence de rappeler à la Chambre les limites du rôle qui lui est conféré dans les affaires ayant des répercussions juridiques. En termes simples, le rôle du Président est de trancher les questions de procédure et non les questions de droit, lesquelles relèvent des tribunaux.
Lorsqu’une loi prévoit une marche à suivre (par exemple, le dépôt d’un document ou la suspension des recours pendant que l’affaire est portée en appel devant les tribunaux), la présidence agit en conséquence. Cependant, lorsque, pour le lecteur profane, les dispositions connexes d’une même loi prévoient de façon catégorique — comme le fait en l’occurrence le paragraphe 463(2) — qu’une conséquence particulière s’applique, mais ne précisent pas l’impact que peut avoir l’exercice d’un recours judiciaire pour atténuer cette conséquence, la présidence est forcée d’en tenir compte.
Cela dit, O’Brien et Bosc ont écrit ce qui suit à la page 259 de leur ouvrage, et je cite :
[…] en ce qui concerne les dispositions législatives, la Chambre s’efforce de veiller à ce que son Règlement et ses pratiques soient conformes aux lois tout en conservant la compétence exclusive de déterminer si les dispositions d’une loi s’appliquent à ses délibérations.
Ils ajoutent, à la page 265 :
[…] étant donné que la Chambre a la compétence exclusive de déterminer si et de quelle manière une loi s’applique à ses délibérations, il se peut qu’elle décide, en des situations extraordinaires, qu’une disposition législative n’ait pas lieu de s’appliquer.
Afin de répondre à la question de savoir de quelle manière une loi est censée s’appliquer aux délibérations de la Chambre, le député d’Avalon s’est inspiré d’une décision rendue par le Président Lamoureux le 1er mars 1966. Il y a trouvé la preuve que c’est effectivement la Chambre — et elle seule — qui a le pouvoir de déterminer quand les députés peuvent siéger et voter à la Chambre.
À la page 1940 des Débats, le Président Lamoureux avait alors déclaré :
[…] la Chambre reste l’unique juge quant à sa procédure, et, pour ce qui est de décider de l’exercice d’un droit au sein de la Chambre, en l’occurrence, celui d’un député à siéger et à voter, la Chambre seule peut interpréter la loi pertinente.
Doit-on alors conclure que la Chambre devrait se saisir de la question immédiatement afin de se prononcer sur la question de fond, comme plusieurs députés semblent le suggérer? Examinons la question.
Aux pages 244 et 245 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition, on peut lire ce qui suit :
Il n’existe aucune disposition constitutionnelle et peu de dispositions législatives permettant d’expulser un député régulièrement élu. Les dispositions législatives qui rendent un député inhabile à voter ou à siéger n’entraînent pas automatiquement la vacance de son siège. En raison de ses privilèges parlementaires, la Chambre jouit du droit de trancher toute question touchant au droit de siéger des députés : elle a l’autorité de décider si un député doit être autorisé à siéger aux comités, à toucher un salaire ou même à conserver sa qualité de député.
Voici ce qui est écrit à la page 64 de l’ouvrage de Bourinot, Parliamentary Procedure and Practice, 4e édition :
Le droit d’un corps législatif de suspendre ou d’expulser l’un de ses membres lorsqu’il estime avoir une raison suffisante de le faire ne fait aucun doute. Un tel pouvoir est absolument nécessaire pour préserver la dignité et l’utilité d’une assemblée .
Je pense que personne ne conteste le fait qu’il revient ultimement à la Chambre dans son ensemble, et non au Président, de décider si un député devrait continuer de siéger et de voter.
Bien que nous puissions tirer des leçons de l’affaire de 1966, je signale toutefois que les circonstances d’alors et celles de l’espèce diffèrent grandement.
Dans les jours qui ont précédé la décision du Président Lamoureux, celui-ci avait informé la Chambre qu’un jugement avait été rendu relativement à l’affaire en question. Cela est mentionné à la page 1843 des Débats du 28 février 1966. Comme le constateront les députés qui liront ce passage, la procédure judiciaire était alors terminée et le député en cause avait été autorisé à siéger et à voter. En revanche, dans l’affaire qui nous occupe aujourd’hui, des demandes ont été présentées au tribunal, comme tous les députés le savent, mais les audiences n’ont pas encore débuté.
En gardant ces considérations en tête, la présidence doit établir une marche à suivre pour la Chambre qui respecte et protège les droits et privilèges de celle-ci. Certes, les arguments présentés ont révélé à quel point il est rare que la présidence soit amenée à se prononcer sur une question dont l’importance est si profonde et les conséquences possibles, si graves, et pour laquelle il existe si peu de précédents pour nous guider.
La situation actuelle, comme les diverses interventions sur la question, montrent que la procédure de la Chambre souffre d’un vide important lorsqu’il y a impasse entre un député et Élections Canada. La Loi électorale du Canada prévoit que le directeur général des élections doit informer le Président quand certaines étapes charnières d’un litige sont atteintes. Ainsi, comme je l’ai expliqué précédemment, j’ai reçu une lettre du directeur général des élections par laquelle il m’avisait qu’un député n’avait pas répondu à sa demande relative à des corrections et m’informait des dispositions applicables de la loi prévoyant une suspension dans les circonstances. Bien que d’autres dispositions de la Loi confèrent au député le droit de demander réparation devant les tribunaux dans une telle situation, la Loi est muette sur les effets qu’a cet appel sur les dispositions relatives à la suspension.
Je ne suis pas le seul qui s’interroge sur la façon de réagir à cette situation. Certains soutiennent que les dispositions du paragraphe 463(2) exigent la prise immédiate de mesures, soit la suspension du député qui ne s’est pas conformé aux demandes formulées par le directeur général des élections en vertu du paragraphe 457(2) de la Loi électorale du Canada, même s’ils reconnaissent qu’il n’existe pas de procédure permettant de concrétiser cette suspension. D’autres soutiennent plutôt que, parce que la Loi électorale du Canada prévoit la possibilité de demander réparation relativement au paragraphe 457(2), il faut surseoir à toute suspension jusqu’à ce que le tribunal rende sa décision.
Cependant, nous pouvons tous convenir que ce silence de la Loi tranche nettement avec la procédure établie dans la partie 20 de la Loi électorale du Canada en cas d’élection contestée, procédure qui est décrite aux pages 193 à 195 de l’ouvrage d’O’Brien et Bosc.
Dans de tels cas, le paragraphe 531(3) de la Loi prévoit que le greffier du tribunal doit expédier un exemplaire de la décision au Président et lui faire part de tout appel éventuellement interjeté. La Loi ne laisse planer aucun doute quant au rôle du Président. Elle dit ceci, et je cite :
Le président de la Chambre des communes communique sans délai la décision à la Chambre, sauf si elle fait l’objet d’un appel.
En cas d’appel interjeté à la Cour suprême, le Président attend la décision de la Cour, dont le registraire lui expédie un exemplaire. Ici aussi, la Loi électorale du Canada est très claire. Elle prévoit ceci, et je cite : « Le président de la Chambre des communes communique sans délai la décision à la Chambre. »
Or, en l’espèce, il n’y a ni directives ni précédents pour guider le Président. Je vais donc tenter de résoudre la question le plus équitablement possible, en veillant à préserver l’équilibre entre les droits de la Chambre à titre collectif et les droits des députés à titre individuel.
Que cela soit bien clair : n’importe quel député — n’importe lequel d’entre nous — pourrait se retrouver dans pareille situation. Cela met d’autant plus clairement en évidence l’importance de mon devoir de protéger les droits de chacun des députés et mon incapacité potentielle à le faire si je ne dispose pas des mécanismes appropriés.
Donc, en l’absence de lignes directrices législatives, faut-il créer un mécanisme à inclure dans le Règlement afin de guider la présidence en de telles circonstances?
En réponse à cette question, je crois qu’il serait utile à la Chambre dans son ensemble, et à moi-même en ma qualité de Président, que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre examine cette question en vue d’incorporer dans le Règlement des dispositions prévoyant comment la présidence et la Chambre devraient s’occuper de telles situations à l’avenir. Le Comité pourrait commencer par se pencher sur l’absence de procédure clairement définie applicable aux communications à cet égard entre le directeur général des élections et le Président ainsi qu’entre le Président et la Chambre. Cette question relève clairement du mandat de ce Comité qui, aux termes de l’article 108(3) du Règlement[7], est chargé, et je cite, de « la revue de toute question relative à l’élection des députés à la Chambre des communes et [de] la présentation de rapports à ce sujet ».
La présidence estime que, si le Comité procédait ainsi, il ne serait pas porté atteinte à la convention relative aux affaires en instance, car les délibérations ne porteraient pas sur le fond des litiges comme tels. Elles porteraient plutôt sur la procédure que le Président pourrait suivre en pareille situation afin de s’acquitter fidèlement du devoir fondamental de sa fonction, soit se faire le gardien des droits et privilèges individuels de chaque député de même que des droits et privilèges de la Chambre en tant qu’institution.
Cela serait conforme à la décision rendue par le Président Sauvé le 22 mars 1983, dans laquelle elle a affirmé, et je cite :
[…] la Chambre n’a jamais été empêchée d’étudier une affaire en cours d’instance lorsque cette affaire était vitale pour le pays ou pour la bonne marche de notre institution.
Pour sa part, en faisant remarquer qu’il comprenait la position délicate du Président en l’absence de toute ligne directrice, que ce soit dans les textes législatifs ou le Règlement, sur la façon d’appliquer les dispositions du paragraphe 463(2) de la loi, le député de Toronto—Danforth a tiré une conclusion à laquelle je souscris entièrement, c’est-à-dire, et je cite :
[…] la Chambre ne peut pas fonctionner sans collaboration entre la présidence et l’ensemble des députés.
Il me paraît évident que l’absence de procédure claire ne répond pas aux besoins de la Chambre, ni d’ailleurs à ceux des députés personnellement concernés.
Comme toujours, lorsqu’il s’agit de trancher une question de privilège, le rôle du Président est clairement défini — ou restreint, comme le diraient certains. Ce rôle se limite à déterminer si, à première vue, la question revêt une importance suffisante pour justifier qu’on lui donne priorité sur tous les autres travaux de la Chambre.
Dans l’affaire qui nous intéresse, les circonstances diffèrent grandement de celles de l’affaire de 1966 dont s’est inspiré le député d’Avalon. La présidence est aux prises, d’une part, avec les députés soutenant qu’il est juste et prudent de continuer d’attendre la conclusion des instances judiciaires et, d’autre part, avec ceux soutenant que les deux députés visés ne seraient même pas censés siéger actuellement à la Chambre.
À mon avis, la Chambre doit avoir la possibilité de se pencher sur ces questions complexes. Cette approche s’appuie sur un usage ancien résumé dans une section qui se trouve aux pages 161 et 162 de la quatrième édition de l’ouvrage de Bourinot. Il y est précisé, et je cite :
À la Chambre des communes, tant en Angleterre qu’au Canada, « lorsqu’est soulevée une question concernant le siège d’un député et soulevant des doutes, qu’ils soient de droit ou de fait, l’usage veut que la question soit renvoyée à un comité pour examen ».
En conséquence, la présidence est arrivée à la conclusion qu’il y a de prime abord matière à question de privilège en l’espèce.
J’aimerais maintenant revenir sur la question des lettres que j’ai reçues d’Élections Canada relativement à ces affaires. Comme je l’ai déjà affirmé, en règle générale, le Président dépose les documents conformément aux exigences de la loi ou du Règlement. Sauf pour les types de documents énumérés aux pages 435 et 436 de l’O’Brien [et] Bosc, la présidence ne connaît ni précédent ni usage qui ferait en sorte que les lettres adressées au Président, même celles provenant d’un agent du Parlement, soient de facto considérées comme des lettres adressées à la Chambre, comme certains l’ont dit.
Cependant, je ne peux pas logiquement conclure que la situation à l’étude mérite l’attention immédiate de la Chambre sans également veiller à ce que celle-ci ait accès aux lettres que m’a envoyées le directeur général des élections à ce sujet. La présidence aimerait recevoir les recommandations du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre ainsi que les directives claires de la Chambre sur la façon dont ces questions devront être traitées à l’avenir.
D’ici là, je rendrai disponible les lettres que j’ai reçues du directeur général des élections m’informant que les dispositions du paragraphe 463(2) de la Loi électorale du Canada s’appliquent, ainsi que les lettres reçues m’informant que des demandes de requêtes à la Cour ont été présentées relativement à ces affaires. Je m’engage à rendre disponible toute correspondance similaire que je reçois du directeur général des élections si des cas semblables surviennent à l’avenir. J’aimerais aussi aviser la Chambre que j’ai reçu une lettre du directeur général des élections m’informant que la députée de Saint-Boniface a fourni une déclaration corrigée, comme exigée par la Loi électorale du Canada.
En résumé, afin de clarifier la situation qui nous occupe et de donner à la Chambre droit de parole sur la question et de lui demander conseil, la présidence est arrivée à la conclusion que la Chambre devrait immédiatement prendre la question en considération.
Étant donné les circonstances présentées à la Chambre concernant la situation du député d’Avalon, je donne maintenant la parole au député de Beauséjour, qui a soulevé une question de privilège identique, afin qu’il puisse présenter la motion appropriée.
Post-scriptum
Le 18 juin 2013, M. LeBlanc propose la motion de circonstance, étant donné que M. Andrews est absent de la Chambre, afin que la question de privilège soit renvoyée au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. Le débat sur la motion commence, mais est ajourné[8]. La Chambre s’ajourne alors pour l’été puis, le 13 septembre 2013, la première session de la 41e législature est prorogée.
Le 17 octobre 2013, au début de la deuxième session de la 41e législature, Craig Scott (Toronto—Danforth) soulève la même question de privilège. Le Président statue immédiatement que l’affaire demeure à première vue une question de privilège et, par conséquent, M. Scott propose que la question soit renvoyée au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. La motion est adoptée sans débat[9].
Le 2 octobre 2014, le Comité présente son 19e rapport à la Chambre[10].Le Comité y énonce qu’à son avis, les modifications apportées à la Loi électorale du Canada par l’adoption du projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d’autres lois et modifiant certaines lois en conséquence (Loi sur l’intégrité des élections), qui a reçu la sanction royale le 19 juin 2014, sont des plus susceptibles d’amener la résolution des différends relatifs aux dépenses électorales ou à un compte de dépenses électorales entre Élections Canada et un candidat élu. Le Comité recommande en outre qu’on instaure un mécanisme pour qu’une lettre reçue par le Président de la Chambre relativement aux paragraphes 477.72(2) et 477.72(4) du projet de loi C-23 soit transmise à tous les députés. Dans son rapport, le Comité convient également de se pencher sur la nécessité éventuelle de modifier le Règlement relativement au processus de communication sur ces questions entre le directeur général des élections et le Président, et entre le Président et la Chambre. Le rapport n’a pas été adopté.
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[1] Débats, 5 juin 2013, p. 17720–17722.
[2] Débats, 7 juin 2013, p. 17925–17927.
[3] Débats, 7 juin 2013, p. 17927–17928, 10 juin 2013, p. 17994–18001, 11 juin 2013, p. 18055, 13 juin 2013, p. 18305.
[7] Voir l’annexe A, « Dispositions citées : Règlement de la Chambre des communes », article 108(3).
[8] Journaux, 18 juin 2013, p. 3437–3438, Débats, p. 18553–18558.