Privilège parlementaire / Droits des députés

Protection contre l’obstruction : députés se voyant refuser l’accès à l’enceinte parlementaire; question fondée de prime abord

Débats, p. 13759–13760

Contexte

Le 30 avril 2015, Nathan Cullen (Skeena—Bulkley Valley) soulève une question de privilège au motif qu’un agent de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) lui a refusé l’accès à l’enceinte parlementaire, ce qui, selon lui, constituerait une atteinte à ses privilèges de député. Il explique que lui et plusieurs autres députés qui tentaient de se rendre à la Chambre pour voter ont été retardés parce que la GRC aurait temporairement refusé de laisser passer leur navette à l’entrée de l’édifice de l’Est. En réponse, Peter Van Loan (leader du gouvernement à la Chambre des communes) affirme que la navette a été retardée d’à peine 74 secondes, ce qui d’après lui est un retard momentané qui ne devrait pas justifier une conclusion d’atteinte au privilège de prime abord. D’autres députés prennent la parole à ce sujet et le Président prend la question en délibéré[1].

Le 8 mai 2015, Craig Scott (Toronto—Danforth) soulève une question semblable, alléguant qu’une agente de la GRC l’aurait empêché d’accéder à l’édifice du Centre ce jour-là en raison de l’arrivée d’un visiteur. Après avoir entendu d’autres députés, le Président suppléant (Bruce Stanton) confirme qu’une question semblable est en cours d’examen et que cette nouvelle question sera aussi prise en délibéré[2].

Résolution

Le 12 mai 2015, le Président rend sa décision sur les deux questions de privilège. Il réitère que les députés ont non seulement besoin d’accéder à l’enceinte parlementaire en tout temps, mais que cela constitue un droit, et que pareilles questions ne devraient pas être analysées uniquement en fonction du temps d’attente. Reconnaissant les divers changements apportés à l’environnement de sécurité de la Cité parlementaire, il déclare que le resserrement des mesures de sécurité ne peut l’emporter sur les privilèges des députés. Étant donné l’importance de cette affaire pour l’ensemble des députés, il conclut que la question générale du droit d’accès des députés mérite une attention immédiate. Par conséquent, le Président conclut que la question de privilège est fondée de prime abord et il invite M. Scott à présenter sa motion.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur les questions de privilège soulevées le 30 avril 2015 par le député de Skeena—Bulkley Valley et le 8 mai 2015 par le député de Toronto—Danforth au sujet du fait que ces derniers et d’autres députés ont été retardés lorsqu’ils ont tenté d’accéder à la Colline du Parlement.

Je remercie les députés d’avoir soulevé cette question, ainsi que le leader du gouvernement à la Chambre des communes, le leader à la Chambre de l’Opposition officielle, le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes et les députés de Saanich—Gulf Islands, de London—Fanshawe, de Winnipeg-Nord, d’Hamilton-Centre, d’Ottawa—Vanier, de Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, de Saint-Lambert et de Northumberland—Quinte West de leurs interventions.

Avant que nous nous penchions sur les questions dont nous sommes saisis, la présidence souhaite prendre quelques instants pour réagir à certains commentaires qui ont été formulés au sujet du moment où les questions ont été soulevées.

Des députés ont laissé entendre que certaines interventions ont eu lieu à des moments très précis dans le but de retarder ou d’empêcher le déroulement des travaux. Je suis convaincu que tous les députés conviennent qu’il serait malheureux qu’un sujet aussi important que le privilège parlementaire et le droit d’accès des députés soit pris à la légère d’une façon ou d’une autre, que ce soit en soulevant des questions de privilège que d’aucuns qualifieraient de vexatoires ou en les rejetant du revers de la main au simple motif qu’elles semblent perturber le cours normal des travaux de la Chambre.

Lorsqu’il a soulevé sa question de privilège, le député de Skeena—Bulkley Valley a expliqué que, le 30 avril 2015, lui et plusieurs autres députés tentaient d’accéder à la Cité parlementaire afin de participer à un vote à la Chambre lorsque, au moment où leur navette est arrivée à l’entrée qui se trouve du côté de l’édifice de l’Est, un agent de la GRC a temporairement refusé de les laisser passer. Le député a reconnu qu’il faut assurer la sécurité du Parlement, mais il a fait valoir que cette obstruction par des moyens physiques équivalait à un refus de lui accorder un accès raisonnable et rapide à la Cité parlementaire; cette obstruction a donc a nui à l’exercice de ses fonctions parlementaires, ce qui constitue une atteinte aux privilèges.

Le leader du gouvernement à la Chambre des communes a affirmé que, puisque la GRC a conclu que la navette n’avait été retardée que de 74 secondes, il s’agissait tout au plus d’un retard momentané, ce qui ne peut pas être considéré comme une atteinte aux privilèges parlementaires. Il a soutenu que le refus d’accorder l’accès à la Cité parlementaire constitue effectivement une atteinte aux privilèges des députés, mais que seul un retard important devrait être considéré comme une atteinte aux privilèges. Le leader du gouvernement à la Chambre a fait valoir qu’une approche mesurée et raisonnée s’impose, puis il a expliqué que l’accès est un privilège et non un droit absolu et que le droit d’accès peut être limité dans certaines situations pour des raisons de sécurité.

Puis, le 8 mai 2015, le député de Toronto—Danforth s’est plaint qu’une agente de la GRC ait retardé son entrée dans l’édifice du Centre cette journée-là. Il a précisé que cette agente avait reçu l’ordre d’interdire l’accès à tout le monde pendant qu’une délégation de dignitaires entrait dans l’édifice. Les ordres donnés ne faisaient aucune distinction entre les droits des députés et ceux du grand public. Soutenant que la durée de l’obstruction était sans importance, le député de Toronto—Danforth a affirmé que cet incident constituait également une atteinte aux privilèges.

Je tiens tout d’abord à rappeler à la Chambre le rôle bien défini, quoique limité, de la présidence en matière de questions de privilège. Voici ce qu’on peut lire à la page 141 de l’ouvrage d’O’Brien et Bosc :

On attache une grande importance aux allégations d’atteinte aux privilèges parlementaires. [...] Le rôle du Président se limite à décider si la question qu’a soulevée le député est de nature à autoriser celui-ci à proposer une motion qui aura priorité sur toute autre affaire à l’Ordre du jour de la Chambre, autrement dit, que le Président pourra considérer de prime abord comme une question de privilège. Le cas échéant, la Chambre devra immédiatement prendre la question en considération. C’est finalement la Chambre qui établira s’il y a eu atteinte au privilège ou outrage.

Les situations dont la Chambre est actuellement saisie nous rappellent clairement encore une fois que les députés doivent avoir accès à la Cité parlementaire en tout temps sans entrave : il s’agit non seulement d’une nécessité, mais d’un droit. Nul ne le conteste.

En 2004, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre s’est penché sur une question de privilège concernant une obstruction par des moyens physiques dans son 21e rapport :

Il est inouï qu’on ait empêché — même temporairement — des députés d’accéder à la colline, et cela constitue un outrage à la Chambre. Les députés ne doivent pas être entravés lorsqu’ils se rendent à la Chambre ni dans les allées et venues exigées par leurs fonctions parlementaires. Le permettre serait entraver le fonctionnement de la Chambre des communes et affaiblirait le droit prééminent qu’elle a de compter sur la présence et les services des députés.

Il ressort clairement des observations des députés sur la présente question que les enjeux globaux de sécurité dans la Cité parlementaire les préoccupent grandement et que chaque incident isolé est interprété dans cette optique; cette préoccupation occupe une place importante dans nos esprits depuis que les mesures de sécurité ont été renforcées à la suite des événements du 22 octobre 2014.

Les députés se souviendront que, après ces événements, j’ai ordonné la tenue d’une analyse approfondie de nos systèmes et procédures de sécurité. Les mesures de sécurité ont par la suite été resserrées et les procédures ont continué d’évoluer jusqu’à ce que le Sénat et la Chambre décident d’unifier leur service de protection en novembre 2014. Par la suite, le 16 février 2015, la Chambre a adopté une motion demandant au Président, en coordination avec son homologue du Sénat :

[...] d’inviter la Gendarmerie royale du Canada à diriger la sécurité opérationnelle partout à l’intérieur de la Cité parlementaire et sur le terrain de la colline parlementaire, tout en respectant les privilèges, immunités et pouvoirs de chaque Chambre et en veillant à ce que le personnel chargé actuellement de la sécurité parlementaire et respecté, conserve son emploi.

Il n’appartient pas à la présidence de commenter cette décision de la Chambre; il convient toutefois de souligner que, sur le plan de la procédure, la motion a été adoptée par la Chambre dans le respect de nos règles et pratiques, que la décision est encore valide et que la présidence est tenue de la mettre en œuvre.

Depuis, des progrès considérables ont été réalisés dans la négociation d’une entente qui mettrait la GRC à la tête des services de protection physique dans la Cité parlementaire et sur la Colline. Or, il ne fait aucun doute, dans un monde transformé qui obéit à des paramètres nouveaux, qu’assurer la sécurité de toutes les personnes qui pénètrent dans la Cité parlementaire posera des défis à mesure que s’opérera la transition vers le nouveau régime de sécurité. Cependant, rien de tout cela n’annule la validité de la décision que j’ai rendue le 15 mars 2012, dans laquelle j’ai confirmé l’importance pour les députés d’avoir accès à la Cité parlementaire. À la page 6333 des Débats, j’ai déclaré :

[…] la mise en place de mesures de sécurité ne peut avoir préséance sur le droit des députés d’avoir libre accès à la Cité parlementaire sans entrave ni obstruction.

En ma qualité de Président, il est de mon devoir de soutenir la Chambre et les députés à mesure que sont mis en place les différents changements aux mesures de sécurité. Il m’incombe, entre autres choses, de veiller à ce que ces changements ne portent pas atteinte aux privilèges, immunités et pouvoirs de la Chambre, comme cela a toujours été le cas.

Plusieurs députés ont dit craindre que l’accroissement du niveau de sécurité puisse mener à une augmentation du nombre d’incidents où des députés seraient entravés sans raison dans l’exercice de leurs fonctions parlementaires ou alors qu’ils tenteraient de les exercer. Les incidents soulevés par les députés de Skeena—Bulkley Valley et de Toronto—Danforth mettent d’ailleurs en évidence ces inquiétudes générales.

Je tiens à assurer à tous les honorables députés que la protection des droits et privilèges de la Chambre et des députés constitue pour moi une priorité et que nos services de sécurité continuent de travailler en collaboration étroite afin de fournir un environnement sécuritaire pour tous les députés, les membres du personnel parlementaire et les visiteurs sur la Colline.

Le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, dans son 34e rapport au sujet de la libre circulation des députés au sein de la Cité parlementaire a résumé l’enjeu en affirmant :

Des questions de privilèges où des députés se sont vus refuser leur droit d’accès sans restriction à la Cité parlementaire ont trop souvent été soulevées depuis quelque temps. Le Comité considère que la meilleure façon de remédier au problème consiste à améliorer la planification, à accroître la coordination et à éduquer et à sensibiliser davantage les services de sécurité et les députés.

En tant que Président, je ne peux qu’être d’accord. En fait, j’ai récemment eu l’occasion de discuter de ce sujet avec le commissaire Paulson, qui convient que les agents chargés des services de protection doivent connaître les gens qu’ils servent. Ils doivent se montrer sensibles à leur situation et agir en conséquence. Ils doivent en outre être bien au fait de leurs attentes, ce qui veut dire notamment qu’ils doivent garder à l’esprit le rôle principal de l’endroit lorsqu’ils exercent leurs fonctions.

En même temps, à titre de députés, nous ne devons pas oublier qu’accroître la sécurité nécessite d’apporter des ajustements. Il se peut que les députés prennent note de certains changements qui visent à rendre la Colline et les édifices de la Cité parlementaire plus sécuritaires, mais qui leur permettront néanmoins de s’acquitter de leurs fonctions.

Cette situation est conforme à la décision que j’ai rendue le 15 mars 2012, dans laquelle j’ai déclaré :

Comme nous le savons tous, la Cité parlementaire et ses édifices existent principalement pour soutenir les fonctions du pouvoir législatif. L’édifice du Centre en particulier, étant donné qu’il abrite les salles où siègent la Chambre des communes et le Sénat, est un « édifice de travail » où se déroulent les travaux parlementaires et où les députés doivent être libres d’exercer leurs fonctions sans entrave, même lorsque d’autres activités y ont lieu. Il va sans dire que ces édifices patrimoniaux, surtout l’édifice du Centre, sont également l’endroit idéal pour tenir divers événements et nous sommes fiers de les mettre en valeur pour accueillir nos invités de marque. Cependant, […] il faut faire particulièrement attention à ce que les exigences concurrentes concernant l’utilisation des édifices et de l’enceinte soient bien comprises, afin d’effectuer les accommodements nécessaires et d’atteindre l’équilibre voulu.

Dans cette perspective, si l’on insiste sur la notion d’équilibre, les questions soulevées par le leader du gouvernement à la Chambre des communes sont pertinentes, surtout en ce qui a trait à la définition d’entrave au libre accès pour les députés à l’enceinte parlementaire et aux édifices de la Cité parlementaire. Il serait en effet regrettable que les députés poussent le concept d’obstruction physique à des extrêmes illogiques et déraisonnables. Cependant, j’invite réciproquement la Chambre à la prudence et lui recommande d’éviter le piège de mesurer la gravité d’incidents sur le seul fondement de la durée du délai ou de l’obstruction. On peut facilement imaginer une situation où une très brève obstruction, du fait de sa gravité ou de sa nature, pourrait amener le Président à conclure qu’il y a de prime abord matière à question de privilège et autoriser la Chambre à en débattre.

Par conséquent, pour ces motifs ainsi que les arguments présentés par les honorables députés, et compte tenu de l’importance capitale de cette question pour tous les députés, en particulier dans le contexte actuel, je conclus que le sujet plus général du droit d’accès des députés mérite d’être étudié immédiatement. J’en viens à cette conclusion pour que la Chambre ait l’occasion d’entendre le point de vue des députés sur ce qui constituerait le point d’équilibre entre la nécessité pour les députés d’avoir accès de façon raisonnable et rapide à la Colline et l’appui et l’encadrement que la Chambre doit fournir à ses partenaires de la sécurité. Cette contribution sera importante durant la période de transition que nous traverserons dans les prochains mois.

Par conséquent, j’invite le député de Toronto—Danforth à présenter sa motion.

Post-scriptum

M. Scott propose que les deux questions de privilège soient renvoyées au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. Après débat, la motion est mise aux voix et rejetée[3].

Certains sites Web de tiers peuvent ne pas être compatibles avec les technologies d’assistance. Si vous avez besoin d’aide pour consulter les documents qu’ils contiennent, veuillez communiquer avec accessible@parl.gc.ca.

[1] Débats, 30 avril 2015, p. 13290–13295, 1er mai 2015, p. 13344–13346, 4 mai 2015, p. 13392–13396.

[2] Débats, 8 mai 2015, p. 13672–13674.

[3] Journaux, 12 mai 2015, p. 2519–2520.