Le programme quotidien / Affaires courantes
Motions : article 56.1 du Règlement utilisé pour diriger les travaux des comités
Débats, p. 6717–6719
Contexte
Le 27 mars 2014, Kellie Leitch (ministre du Travail et ministre de la Condition féminine) propose une motion, en invoquant l’article 56.1 du Règlement [1]. Cette motion vise à charger le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre d’examiner les accusations d’utilisation des ressources de la Chambre à des fins partisanes par l’Opposition officielle. La motion prévoit également que Thomas Mulcair (chef de l’Opposition officielle) soit cité à comparaître devant le Comité. Moins de 25 députés s’étant levés pour s’y opposer, la motion est adoptée[2].
Le 16 mai 2014, le lendemain de la comparution de M. Mulcair devant le Comité, Peter Julian (Burnaby—New Westminster) invoque le Règlement. Il soutient que cette motion aurait dû être déclarée irrecevable puisqu’en donnant l’instruction à un comité de mener certaines études ou de convoquer certains témoins, elle outrepasse les limites de l’article 56.1 du Règlement [3] qui permet plutôt d’accélérer les Affaires courantes ou de conférer de nouveaux pouvoirs. M. Julian demande également au Président de préciser les limites de l’article 56.1 du Règlement [4] puisqu’il est d’avis qu’il s’agit d’un outil très puissant et que l’exigence d’avoir 25 députés pour contester une motion reliée pose problème aux petits partis. Après avoir entendu d’autres députés, le Président suppléant (Bruce Stanton) prend l’affaire en délibéré[5]. Le 26 mai 2014, M. Julian revient sur la question et après la réplique d’un autre député, le Président suppléant (Barry Devolin) prend de nouveau la question en délibéré[6].
Résolution
Le Président rend sa décision le 12 juin 2014. Il soutient que l’article 56.1[7] n’a pas été conçu pour se substituer aux décisions que la Chambre devrait prendre sur les questions importantes. En ce sens, le libellé de la motion outrepasse les limites de l’application de l’article 56.1 du Règlement [8] puisque celle-ci vise à diriger les affaires du Comité. Il conclut que la motion aurait été irrecevable si le rappel au Règlement avait été soulevé dans un délai raisonnable. Comme la présidence ne reçoit pas de préavis pour ce genre de motion et qu’elles sont mises aux voix sans délai, le Président rappelle aux députés qu’ils doivent intervenir rapidement s’ils le jugent approprié. Le Président conclut en indiquant qu’il n’appartient pas à la présidence de juger du caractère de la règle exigeant que 25 députés se lèvent pour qu’une motion soit retirée et il invite les députés à soulever la question sur ce type de règles auprès du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à me prononcer sur le rappel au Règlement soulevé le 16 mai 2014 par le leader à la Chambre de l’Opposition officielle concernant le recours à l’article 56.1 du Règlement [9].
Je remercie le leader à la Chambre de l’Opposition officielle d’avoir soulevé la question, ainsi que le leader du gouvernement à la Chambre des communes pour ses commentaires.
Lorsqu’il a invoqué le Règlement, le leader à la Chambre de l’Opposition officielle a affirmé que la motion adoptée par la Chambre le 27 mars 2014, conformément à l’article 56.1[10], aurait dû être jugée irrecevable, puisqu’elle dirige les affaires d’un comité permanent.
Plus précisément, il a fait valoir que l’article 56.1 du Règlement [11] n’est pas censé être invoqué par la Chambre dans le but d’ordonner à des comités de mener certaines études ou de convoquer certains témoins, et qu’il constitue plutôt un moyen d’accélérer les Affaires courantes ou de conférer de nouveaux pouvoirs à un comité. À son avis, on ne peut pas considérer le fait d’ordonner à un comité d’entreprendre une étude comme le simple octroi d’un nouveau pouvoir à celui-ci, ni simplement comme une affaire courante.
Signalant qu’il peut être difficile pour les petits partis de satisfaire aux exigences prévues dans le Règlement, et qu’on évoque souvent l’article 56.1 du Règlement [12] à des fins pour lesquelles il n’a jamais été conçu, le leader à la Chambre de l’Opposition officielle a demandé à la présidence de clarifier les limites de cet article et de déterminer si la motion contestée en l’espèce était recevable.
Le leader du gouvernement à la Chambre des communes a convenu que l’article 56.1 du Règlement [13] avait été créé non pas pour intervenir dans les affaires des comités afin de les diriger, mais plutôt pour traiter les Affaires courantes, pour leur octroyer de nouveaux pouvoirs. Il a également expliqué que, bien que les comités aient généralement le pouvoir de convoquer des témoins, ils ne peuvent pas citer de députés à comparaître. Par conséquent, il a fait valoir que la motion en question visait seulement à habiliter le Comité à ce faire, ou du moins à éliminer tout doute quant à sa compétence pour étudier l’affaire et à citer le chef de l’Opposition à comparaître. Il a par ailleurs indiqué que puisque la motion n’était pas en rapport avec l’adoption d’un projet de loi, elle ne contrevenait pas à la règle selon laquelle l’article 56.1[14] ne peut être invoqué à l’égard de questions de fond, tel que l’a énoncé le Président Milliken dans sa décision du 18 septembre 2001.
Le leader du gouvernement à la Chambre des communes s’oppose à l’idée du leader à la Chambre de l’Opposition officielle de demander au Président de fournir des éclaircissements pour aider la Chambre à l’avenir, au motif que cela irait à l’encontre des pratiques acceptables et du rôle du Président. Il a aussi critiqué le moment choisi pour soulever le rappel au Règlement, indiquant qu’on aurait dû le faire suffisamment tôt pour que la décision du Président soit utile.
Avant de poursuivre, j’aimerais lire le texte de la motion, pour la gouverne de la Chambre :
Que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre soit chargé d’examiner les accusations d’utilisation des ressources de la Chambre des communes à des fins partisanes par l’Opposition officielle;
Que le chef de l’Opposition officielle soit cité à comparaître devant le Comité, à titre de témoin, au cours d’une réunion télévisée, qui aurait lieu au plus tard le 16 mai 2014.
Depuis son adoption par la Chambre en avril 1991, l’article 56.1 du Règlement [15] a été invoqué de manière légitime pour permettre à la Chambre de traiter les motions dites « pour Affaires courantes ».
D’après l’article 56.1(1)b) du Règlement [16], l’expression « motion pour Affaires courantes » désigne :
[...] toute motion présentée dans le cadre de l’étude des Affaires courantes ordinaires qui peut être requise pour l’observation du décorum de la Chambre, pour le maintien de son autorité, pour l’administration de ses affaires, pour l’agencement de ses travaux, pour la détermination des pouvoirs de ses comités, pour l’exactitude de ses archives ou pour la fixation des jours où elle tient ses séances, ainsi que des heures où elle les ouvre ou les ajourne.
Il s’agit donc en l’espèce de déterminer si la motion en question était recevable aux termes de l’article 56.1 du Règlement [17]. Bien que le libellé de cet article soit demeuré inchangé au fil du temps, l’interprétation et l’utilisation qui en sont faites ont pour leur part évolué. Par conséquent, les tentatives d’y recourir à diverses fins ont donné lieu à des contestations sur le plan de la procédure. Il en est ressorti une série de pratiques et de décisions qui nous permet de mieux comprendre la manière dont cet article devrait être utilisé. Par exemple, on admet maintenant que l’article 56.1[18] peut servir à autoriser un comité à voyager.
En même temps, notre interprétation de ce qui constitue une motion pour affaire courante s’est élargie au fil des ans, ce qui a préoccupé les Présidents qui se sont succédé. En 2001, le Président Milliken parlait déjà de « tendance inquiétante ».
L’ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, [deuxième édition], fait état de cette tendance à la page 671, où figurent des exemples de motions qui ont été jugées recevables, et la mention suivante : « Ces utilisations n’ont pas toutes été conformes à la règle ou à son esprit […] ».
La motion qui nous occupe en l’espèce concerne précisément les comités. Bien que le Règlement autorise les motions « pour la détermination des pouvoirs [des] comités », la question dont je suis saisi consiste à savoir si la motion qui a été adoptée tombe clairement dans ces paramètres ou si elle va au-delà de ceux-ci en donnant une instruction au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.
Le Vice-président Blaikie a déclaré, le 5 juin 2007, à la page 10124 des Débats :
Ma décision […] repose notamment sur le principe fondamental selon lequel les comités permanents sont maîtres de leur propre procédure. En fait, ce principe est tellement bien ancré que seuls quelques articles isolés du Règlement permettent à la Chambre d’intervenir directement dans la conduite des travaux des comités permanents.
Le libellé de la motion, lorsqu’examiné attentivement, est révélateur : le Comité est « chargé » d’examiner une question et le chef de l’Opposition officielle est « cité à comparaître ». Ces termes amènent la présidence à conclure que la motion visait à diriger les travaux du Comité, outrepassant ainsi ce que la Chambre en est venue à considérer comme les limites de l’application de l’article 56.1 du Règlement [19]. Le leader du gouvernement à la Chambre a soutenu que la motion conférait au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre un pouvoir qu’il n’avait pas, soit le pouvoir de citer un député à comparaître devant lui. Mais la motion allait au-delà du simple octroi de ce pouvoir au Comité : elle a donné des instructions à sa place. De l’avis de la présidence, pour ce faire, il aurait été plus indiqué de recourir à une motion de fond.
La Chambre a en effet le pouvoir de donner des instructions aux comités, mais l’important est la manière dont cela s’effectue. La présidence ne croit pas que la Chambre ait jamais eu l’intention de permettre que cela se fasse au moyen de l’article 56.1 du Règlement [20]. Le Président Milliken en a fait la remarque lorsqu’il a affirmé le 18 septembre 2001, à la page 5258 des Débats :
L’article 56.1[21] n’a jamais été utilisé pour se substituer aux décisions que la Chambre elle-même doit prendre sur des questions importantes.
Le leader du gouvernement à la Chambre disait peut-être vrai lorsqu’il a souligné que les motions de fond servent à l’adoption de mesures législatives, mais on ne peut en déduire que les motions ne se rapportant pas à la législation relèvent des Affaires courantes. Il existe en fait d’autres types de motions de fond qui ne sont pas liées à la législation.
À la page 530 de l’ouvrage d’O’Brien et Bosc, il est écrit :
Les motions de fond constituent des propositions indépendantes qui sont complètes en elles-mêmes et qui ne découlent pas ou ne dépendent pas d’une autre affaire dont la Chambre est déjà saisie. En tant qu’affaires autonomes à examiner et sur lesquelles se prononcer, les motions de fond sont utilisées pour obtenir une opinion ou une action de la Chambre. Elles peuvent être modifiées et elles doivent être rédigées de manière à permettre à la Chambre d’exprimer son accord ou son désaccord avec ce qui est proposé. Ces motions exigent normalement un préavis écrit avant de pouvoir être présentées à la Chambre. Elles comprennent par exemple les motions émanant des députés, les motions de l’opposition présentées lors des jours réservés aux travaux des subsides et les motions du gouvernement.
Le leader du gouvernement à la Chambre a également cherché à établir un parallèle avec la motion du 8 novembre 2012 par laquelle le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a reçu, « conformément à l’article 56.1 du Règlement [22], […] le mandat de mener l’examen prévu par l’article 533.1 du Code criminel ». Toutefois, dans ce cas, ce n’est pas tant que le Comité a reçu l’instruction de mener une étude, c’est plutôt qu’il devait, afin de procéder à l’examen obligatoire d’une loi, recevoir un ordre de renvoi de la Chambre. Comme le leader à la Chambre de l’Opposition officielle l’a fait observer, il s’agissait d’une affaire courante.
Par conséquent, pour les motifs exposés ci-dessus, je serais porté à conclure que la motion aurait été irrecevable si la question avait été soulevée dans un délai raisonnable. Soyons clair, la présidence n’a pas jugé d’emblée la motion recevable sur le plan de la procédure, comme le leader à la Chambre de l’Opposition officielle l’a laissé entendre. En réalité, en l’absence de toute objection au moment où la motion a été proposée, la procédure a suivi son cours et la motion a été adoptée.
Ce n’est pas d’hier que l’application de l’article 56.1 du Règlement [23] pose des difficultés aux Présidents qui se sont succédé. Celles-ci
s’expliquent en partie du fait que l’on s’attende légitimement à ce que la motion proposée en vertu de cet article soit mise aux voix sans délai. À cette obligation s’ajoute dans certains cas une complexité supplémentaire pour la présidence, celle de ne recevoir aucun préavis de la motion, comme ce fut le cas en l’espèce. De ce fait, je suis convaincu que les députés comprendront la situation délicate dans laquelle se retrouve la présidence.
Comme le montre l’utilisation passée des motions proposées en vertu de l’article 56.1[24], mes prédécesseurs ont eu du mal à composer avec ce dilemme et ont quasi invariablement permis l’adoption de motions pour lesquelles ils avaient des réserves, parce qu’ils n’avaient pas eu le temps d’en examiner adéquatement le contenu et le libellé. Cela se produit parce que l’on s’attend à ce que des députés attentifs de l’opposition interviennent, s’ils le jugent approprié, pour s’opposer. Dans le cas qui nous occupe, personne n’avait soulevé d’objections, la motion a été mise aux voix et la Chambre l’a adoptée.
Le fait que le leader à la Chambre de l’Opposition officielle ait attendu si longtemps avant d’invoquer le Règlement a eu pour effet que la motion a déjà été mise à exécution. Cette situation rappelle celle avec laquelle le Président Milliken a été aux prises en 2001 quand le gouvernement a eu recours à l’article 56.1 du Règlement [25] dans le but d’expédier de nombreuses affaires — dans ce cas, quelques projets de loi et des affaires relatives aux crédits — au cours de deux jours de séance. Le Président Milliken avait alors expliqué qu’il avait permis que la motion aille de l’avant « parce qu’aucune objection n’avait été soulevée au moment de sa présentation ». Comme il l’a déclaré le 18 septembre 2001, à la page 5258 des Débats :
Mais, à vrai dire, si l’objection avait été soulevée en temps opportun, j’aurais été enclin à déclarer la motion irrecevable. Cette situation démontre une fois de plus aux députés à quel point il est important de soulever les questions de procédure le plus rapidement possible.
La tendance persistante à s’éloigner de l’intention originale du Règlement, à proposer des motions qui sont de plus en plus difficiles à reconnaître ou à définir comme relevant des Affaires courantes, est une préoccupation que je partage avec mes prédécesseurs et qui met une fois de plus en évidence la nécessité pour le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre d’examiner et de définir l’esprit et les limites de l’article 56.1 du Règlement [26]. Il ne fait aucun doute que cela serait utile à la présidence.
Enfin, le leader à la Chambre de l’Opposition officielle a soulevé la question du caractère équitable pour les petits partis du Règlement qui exige que 25 députés se lèvent afin qu’une motion soit retirée. Il n’incombe pas au Président de juger du caractère approprié de cette règle. Comme c’est le cas pour les autres règles adoptées par la Chambre, par exemple le seuil de cinq députés pour demander la tenue d’un vote par appel nominal, le rôle du Président consiste à assurer leur respect, et non pas à les mettre en doute. À titre de Président, je ne peux que suggérer que les députés soulèvent la question auprès du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, auquel il revient d’examiner les règles de la Chambre.
Je remercie les députés de leur attention.
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[1] Voir l’annexe A, « Dispositions citées : Règlement de la Chambre des communes », article 56.1.
[3] Voir l’annexe A, article 56.1.
[4] Voir l’annexe A, article 56.1.
[5] Débats, 16 mai 2014, p. 5545–5548.
[6] Débats, 26 mai 2014, p. 5559–5561.
[16] Voir l’annexe A, article 56.1(1)b).
[26] Voir l’annexe A, article 56.1.