Recueil de décisions du Président Andrew Scheer 2011 - 2015

Le processus législatif / Étapes

Étude en comité : rapport à la Chambre; demande de pouvoir en vue d’élargir la portée d’un projet de loi d’initiative parlementaire

Débats, p. 16704–16706

Contexte

Le 25 avril 2013, Bob Rae (Toronto-Centre) soulève une question de privilège au sujet du huitième rapport du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, qui a demandé à la Chambre d’accorder au Comité le pouvoir d’élargir la portée du projet de loi C-425, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (valorisation des Forces armées canadiennes), afin d’examiner certains amendements. M. Rae soutient que l’article 97.1 du Règlement[1] prévoit uniquement deux types de rapports de comité sur les projets de loi d’initiative parlementaire, soit les rapports sur les projets de loi, avec ou sans amendement, et les rapports pour prolonger le temps consacré à l’étude d’un projet de loi en comité. Il se dit aussi inquiet quant à l’impact qu’une telle façon de procéder pourrait avoir, puisqu’elle permettrait à un gouvernement majoritaire d’élargir la portée d’un projet de loi d’initiative parlementaire afin de servir ses propres intérêts. Cela dit, M. Rae demande au Président de juger le rapport irrecevable. Le Président entend d’autres députés le même jour ainsi que les 30 avril et 9 mai 2013. Le 9 mai 2013, Tom Lukiwski (secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes) déclare que l’article 97.1 du Règlement[2] n’exclut pas la capacité de la Chambre de donner des instructions à un comité. Le Président précise que la question doit être examinée à titre de rappel au Règlement plutôt que comme question de privilège[3].

Résolution

Le Président rend sa décision sur le rappel au Règlement le 21 mai 2013. Il confirme que le Sous-comité des affaires émanant des députés doit déterminer si un projet de loi d’initiative parlementaire viole la Constitution, qu’aucun autre critère de conformité à la Constitution ne s’applique une fois que la Chambre est saisie des projets de loi et que le Président n’a pas à interpréter les questions de nature constitutionnelle ou juridique. Le Président déclare que la Chambre peut en fait accorder à un comité la permission d’élargir la portée d’un projet de loi, soit par voie d’une motion d’instruction soit par adoption d’un rapport de comité. Toutefois, il fait remarquer que les comités ne peuvent pas adopter d’amendements qui sont contraires au principe d’un projet de loi, et que le Président a le pouvoir de déterminer la recevabilité des amendements adoptés en comité, soit en réponse à un rappel au Règlement, soit de sa propre initiative. Par conséquent, le Président déclare recevable le huitième rapport du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration.

Décision de la présidence

Le Président : Avant de passer aux questions et aux observations, je suis maintenant prêt à me prononcer sur le rappel au Règlement soulevé le 25 avril dernier par le député de Toronto-Centre au sujet du huitième rapport du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, recommandant d’élargir la portée du projet de loi C-425, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (valorisation des Forces armées canadiennes).

Je remercie l’honorable député de Toronto-Centre d’avoir soulevé la question, ainsi que l’honorable leader du gouvernement à la Chambre des communes, l’honorable leader de l’Opposition officielle à la Chambre
des communes, le secrétaire parlementaire du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes, ainsi que les députés de Winnipeg-Nord, de Saint-Lambert et de Calgary-Nord-Est de leurs interventions.

Lorsqu’il a soulevé la question, le député de Toronto-Centre a expliqué que, pendant son étude du projet de loi C-425, le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration a adopté une motion recommandant que la Chambre lui confère le pouvoir d’élargir la portée du projet de loi afin de permettre l’examen de ce que le député a appelé « les amendements que le ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme souhaite ajouter à la liste ».

C’est ce qui a donné lieu, le 23 avril 2013, à la présentation du huitième rapport du Comité. De l’avis du député, cette façon de procéder pose problème à deux égards. Premièrement, il a affirmé que, conformément à l’article 97.1 du Règlement[4], les comités saisis d’un projet de loi émanant d’un député sont limités quant au type de rapport qu’ils peuvent présenter à la Chambre. Il a fait valoir, essentiellement, que le huitième rapport du Comité est inadmissible puisqu’il n’entre pas dans ces paramètres.

Deuxièmement, le député a parlé de l’incidence que pourrait avoir une telle démarche. Plus précisément, il a dit craindre que si l’on autorisait les comités qui examinent des projets de loi émanant des députés à procéder d’une telle manière, et je cite : « Le gouvernement pourrait se servir de sa majorité pour introduire n’importe quoi dans un projet de loi émanant d’un député et en faire, par extrapolation, un projet de loi omnibus. »

Le leader du gouvernement à la Chambre des communes a pour sa part expliqué qu’à cause des opinions divergentes exprimées par ses membres sur la question de savoir si les amendements en question tombent dans le cadre du projet de loi, le Comité a sollicité l’avis de la Chambre. Sur ce point, il a signalé que le processus ferait en sorte que le rapport du Comité soit débattu durant plusieurs heures à la Chambre avant qu’une décision ne soit prise.

Lors de son intervention, le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes a fait valoir que l’article 97.1 du Règlement[5] n’exclut pas la possibilité qu’un comité cherche à obtenir des instructions de la Chambre relativement à un projet de loi émanant d’un député. Il a ajouté que le Comité demeure saisi du projet de loi C-425 et que son huitième rapport ne supprime en rien son obligation de respecter le délai de 60 jours de séance qu’il s’est fixé pour faire rapport du projet de loi à la Chambre.

D’entrée de jeu, la présidence aimerait dissiper certaines idées fausses qui semblent persister au sujet de la nature des projets de loi émanant des députés.

La première de ces idées fausses nous ramène aux arguments avancés par le leader à la Chambre de l’Opposition officielle et la députée de Saint-Lambert en ce qui a trait à la validité constitutionnelle des mesures législatives parrainées par des députés.

Comme l’a fait remarquer la députée de Saint-Lambert, la validité constitutionnelle figure parmi les critères utilisés par le Sous-comité des affaires émanant des députés pour déterminer la non-votabilité des projets de loi émanant des députés. Ces critères sont énoncés à la page 1130 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition, où l’on peut lire notamment, et je cite : « Les projets de loi et les motions ne doivent pas transgresser clairement les Lois constitutionnelles de 1967 à 1982, y compris la Charte canadienne des droits et libertés. »

Pour autant que sache la présidence, il n’existe pas d’autres critères de validité constitutionnelle applicables aux projets de loi — qu’ils soient parrainés par le gouvernement ou par un député — une fois que la Chambre ou l’un de ses comités en sont saisis. Les députés se souviendront par ailleurs que dans une décision récente, rendue le 27 mars dernier, j’ai rappelé à la Chambre que le Président n’a pas pour rôle d’interpréter les questions d’ordre juridique ou constitutionnel.

De plus, il semble régner une certaine confusion autour de la distinction à faire entre les projets de loi d’intérêt privé et les projets de loi d’intérêt public. Pratiquement tous les projets de loi examinés par la Chambre sont des projets de loi d’intérêt public, qu’ils soient parrainés par un député ou par le gouvernement.

Comme l’expliquent O’Brien et Bosc à la page 1178 de leur ouvrage, et je cite :

Il ne faut pas confondre les projets de loi d’intérêt privé avec les projets de loi émanant des députés ou d’initiative parlementaire. Les projets de loi d’intérêt privé sont parrainés par des députés, mais l’expression « projets de loi émanant des députés » désigne les projets de loi d’intérêt public portant sur une question d’intérêt public et qui sont présentés par des députés ne faisant pas partie du Cabinet.

C’est donc dire que les projets de loi, qu’ils soient d’initiative ministérielle ou parlementaire, sont tous assujettis au même processus législatif de base, à savoir le dépôt et la première lecture, la deuxième lecture, l’étape du comité, l’étape du rapport et, enfin, la troisième lecture. En même temps, la Chambre a jugé bon de concevoir des procédures spécifiques pour les projets de loi d’intérêt public parrainés par le gouvernement et ceux parrainés par un député.

Par exemple, l’article 73 du Règlement[6] autorise le gouvernement à proposer qu’un projet de loi émanant du gouvernement soit renvoyé à un comité avant l’étape de la deuxième lecture à l’issue d’un débat de cinq heures. Cette règle a pour but de conférer une plus grande souplesse aux membres du comité en leur permettant de proposer des amendements modifiant la portée de la mesure législative.

La procédure en place pour les projets de loi émanant des députés comporte elle aussi plusieurs niveaux et a évolué en réponse à diverses situations survenues dans le passé. Prenons par exemple la règle qui limite à deux heures la durée du débat à l’étape de la deuxième lecture. Celle-ci a été conçue afin de permettre à la Chambre d’examiner un plus grand nombre de mesures et ainsi de faire en sorte que les députés puissent voir leurs initiatives débattues. De la même façon, l’article 97.1 du Règlement[7] visait à l’origine à garantir que les projets de loi émanant des députés qui sont renvoyés à un comité soient de retour à la Chambre et dans l’ordre de priorité en temps opportun.

En l’espèce, il semble que l’essence de la question d’ordre procédural dont la présidence est saisie consiste à déterminer si la Chambre a le pouvoir d’accorder à un comité la permission d’élargir la portée d’un projet de loi d’initiative parlementaire après que la Chambre a convenu de celle-ci à l’étape de la deuxième lecture et, dans l’affirmative, si cela peut se faire au moyen d’un rapport de comité.

La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition, nous est utile à cet égard. Il y est écrit, à la page 752, et je cite :

Une fois qu’un projet de loi a été renvoyé à un comité, la Chambre peut adopter une motion d’instruction autorisant ce dernier à faire une chose qu’il n’aurait autrement pas le pouvoir de faire, par exemple : examiner une partie d’un projet de loi et en faire rapport séparément; examiner certains points en particulier; diviser un projet de loi en plusieurs mesures; regrouper plusieurs projets de loi en une seule mesure ou encore élargir ou resserrer la portée ou l’application d’un projet de loi.

Il est donc entendu que la Chambre peut, grâce à une motion d’instruction, conférer à un comité le pouvoir d’élargir la portée d’un projet de loi, qu’il soit d’initiative ministérielle ou parlementaire. On en trouve un exemple à la page 289 des Journaux du 27 avril 2010, où un député de l’opposition avait proposé une motion d’instruction relativement à un projet de loi d’initiative ministérielle.

Maintenant que nous avons établi que la Chambre a le pouvoir d’autoriser un comité à élargir la portée d’un projet de loi au moyen d’une motion d’instruction, la question devient de savoir si, d’un point de vue procédural, un rapport de comité peut mener au même résultat.

Le député de Toronto-Centre a raison d’affirmer que le pouvoir explicite de présenter ce type de rapport n’est pas prévu à l’article 97.1 du Règlement[8], qui existe afin d’obliger les comités à respecter les délais qui s’appliquent pour que ceux-ci fassent rapport à la Chambre sur tout projet de loi émanant d’un député. À cette fin, l’article 97.1 du Règlement[9] s’applique toujours.

Cependant, l’article 108(1)a)[10] autorise les comités, dans le cadre de leur mandat général, et je cite :

[...] à faire étude et enquête sur toutes les questions qui leur sont renvoyées par la Chambre [et] à faire rapport à ce sujet à l’occasion [...]

Dans un passage de leur ouvrage consacré aux trois grandes catégories de rapports qui peuvent normalement être présentés par un comité permanent, O’Brien et Bosc décrivent, à la page 985, les rapports administratifs et procéduraux comme étant, et je cite :

[...] ceux où les comités permanents réclament une permission spéciale de la Chambre, voire des pouvoirs supplémentaires, ou encore ceux qui traitent d’une question présumée de privilège ou de procédure issue des délibérations d’un comité.

Dans les Journaux du 29 avril 2008, on retrouve un exemple de cas où un comité a fait rapport sur une question relative à un projet de loi. Le Comité permanent de l’environnement et du développement durable avait alors voulu indiquer, dans son sixième rapport, les raisons ayant motivé sa décision de ne pas poursuivre l’étude d’un certain projet de loi émanant d’un député.

Enfin, à la page 752 de l’ouvrage d’O’Brien et Bosc, il est écrit, et je cite :

Un comité peut aussi solliciter des instructions de la Chambre.

Il est certain que le seul moyen dont dispose le comité pour ce faire consiste à présenter un rapport à la Chambre.

Ce qui précède confirme que la permission d’élargir la portée d’un projet de loi ne peut être demandée par un comité ou accordée à celui-ci qu’au moyen d’une motion d’instruction ou par l’adoption, par la Chambre, d’un rapport de ce comité.

Comme le résument O’Brien et Bosc aux pages 992 et 993 de leur ouvrage, et je cite :

Si un comité permanent, législatif ou spécial a besoin de pouvoirs supplémentaires, ceux-ci peuvent lui être conférés par un ordre de la Chambre — ce qui est de loin le scénario le plus commun — ou par l’adoption d’un rapport de comité demandant l’octroi de ces pouvoirs.

Puis, à la page 1075, on peut lire ceci, et je cite :

Les recommandations contenues dans les rapports de comité sont normalement rédigées sous la forme de motions de telle sorte que, une fois les rapports adoptés, elles deviennent des ordres clairs ou des résolutions de la Chambre.

Tout comme une motion d’instruction adressée à un comité, un rapport de comité demandant à la Chambre la permission d’élargir la portée d’un projet de loi devient un ordre de la Chambre une fois qu’il est adopté.

Bien entendu, les instructions destinées à un comité doivent être présentées dans la forme voulue. D’après l’ouvrage d’O’Brien et Bosc, à la page 754, toute instruction doit être : « libellée de façon à ce que le comité comprenne clairement ce que la Chambre souhaite ».

Il n’en demeure pas moins que la présidence perçoit de réelles inquiétudes quant à l’incidence de la démarche procédurale proposée. La présidence n’est pas insensible à ces préoccupations, et c’est pourquoi je tiens à assurer à la Chambre qu’une telle procédure ne dispense pas les comités de leur obligation d’observer toutes les règles habituelles régissant la recevabilité des amendements proposés relativement aux articles d’un projet de loi, lesquels sont décrits en détail aux pages 765 à 771 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition.

Plus particulièrement, le fait d’accorder à un comité la permission d’élargir la portée d’un projet de loi ne revient pas automatiquement à lui accorder la permission d’adopter des amendements contraires au principe du projet de loi. À la page 775 de leur ouvrage, O’Brien et Bosc écrivent ce qui suit au sujet des rapports de comité contenant des amendements irrecevables. Je cite :

L’admissibilité de ces amendements, ainsi que de tout autre amendement apporté par un comité, peut donc faire l’objet d’une contestation sur le plan de la procédure au moment où la Chambre reprend l’étude du projet de loi à l’étape du rapport. La recevabilité des amendements est alors déterminée par le Président de la Chambre, qu’il soit invité à le faire à la suite d’un rappel au Règlement ou qu’il le fasse de sa propre initiative.

Par conséquent, et pour toutes les raisons que j’ai exposées, je dois conclure que le huitième rapport du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration est recevable. Je remercie les députés de leur attention.

Post-scriptum

Cinq motions portant adoption du huitième rapport du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration ont été inscrites au Feuilleton des avis. Les motions n’ont jamais fait l’objet d’un débat et le rapport n’a jamais été adopté par la Chambre. Le 18 juin 2013, du consentement unanime, le projet de loi C-425 est réputé avoir fait l’objet d’un rapport du Comité sans amendement. Le 26 février 2014, du consentement unanime, l’ordre portant étude à l’étape du rapport du projet de loi C-425 est révoqué et le projet de loi est retiré[11].

Certains sites Web de tiers peuvent ne pas être compatibles avec les technologies d’assistance. Si vous avez besoin d’aide pour consulter les documents qu’ils contiennent, veuillez communiquer avec accessible@parl.gc.ca.

[1] Voir l’annexe A, « Dispositions citées : Règlement de la Chambre des communes », article 97.1.

[2] Voir l’annexe A, article 97.1.

[3] Débats, 25 avril 2013, p. 15922–15925, 30 avril 2013, p. 16089–16091, 9 mai 2013, p. 16539–16543.

[4] Voir l’annexe A, article 97.1.

[5] Voir l’annexe A, article 97.1.

[6] Voir l’annexe A, article 73 .

[7] [8] [9] Voir l’annexe A, article 97(1).

[10] Voir l’annexe A, article 108(1)a).

[11] Journaux, 18 juin 2013, p. 3441; 26 février 2014, p. 583.

Pour des questions au sujet de la procédure parlementaire, communiquez avec la Direction des recherches pour le Bureau

Haut de la page