Les règles du débat / Ordre et décorum
Désordre à la tribune : complicité alléguée d’une députée
Débats, p. 4089–4090
Contexte
Le 24 novembre 2011, Tom Lukiwski (secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes) invoque le Règlement au sujet d’un désordre survenu à la tribune à l’issue d’un vote, à la séance précédente, où un manifestant avait brandi une pancarte en criant après les députés. Pendant que le personnel de sécurité faisait sortir le manifestant, certains députés de l’opposition l’ont acclamé[1]. M. Lukiwski soutient que la manifestation était parrainée par Niki Ashton (Churchill) et que cela dénotait un manque de respect envers la Chambre, en plus de mettre le personnel de sécurité à risque. D’autres députés font des observations[2]. Le 28 novembre 2011, Mme Ashton déclare avoir remis à la personne en question un laissez-passer pour la tribune, mais précise qu’elle ignorait que cette personne ferait une manifestation[3]. Plus tard au cours de la séance, un second désordre se produit pendant une mise aux voix, quand des députés du côté du gouvernement se mettent à encourager et à acclamer des manifestants qui, de la tribune, avaient commencé à applaudir à l’annonce du résultat du vote. Le 29 novembre 2011, Bob Rae (Toronto-Centre) allègue que ces manifestants ont été encouragés par les députés du gouvernement. Après avoir entendu les observations d’autres députés, le Président prend les deux affaires en délibéré[4].
Résolution
Le 6 décembre 2011, le Président rend sa décision. Il déclare qu’étant donné que l’on doit croire les députés sur parole, il considère l’allégation concernant la complicité supposée d’une députée à une manifestation comme étant une affaire close. Il affirme de nouveau le droit des députés d’inviter le public à assister aux délibérations à partir des tribunes, mais rappelle qu’il est inacceptable que le public perturbe les délibérations de la Chambre. Il déclare aussi que les actes des députés ayant encouragé ces manifestations sont aussi inacceptables, rappelle aux députés qu’ils ont la responsabilité de donner l’exemple pour ce qui est de leur conduite, et les encourage à améliorer leur comportement à la Chambre.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur les deux rappels au Règlement soulevés au sujet d’incidents de désordre survenus à la Chambre.
Le premier rappel au Règlement a été soulevé le 24 novembre 2011 par le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes au sujet du désordre qui s’est produit à la tribune le 23 novembre 2011. Le second est le rappel au Règlement soulevé par le député de Toronto-Centre au sujet du désordre ayant eu lieu sur le parquet lors de la tenue d’un vote le 28 novembre 2011 et par la suite dans la tribune.
Je remercie le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre et le député de Toronto-Centre d’avoir soulevé ces questions. Je remercie également le très honorable premier ministre, l’honorable ministre d’État et whip en chef du gouvernement, le leader à la Chambre de l’Opposition officielle, la whip en chef de l’Opposition et les députés de Malpeque, de Churchill et d’Acadie—Bathurst pour leurs interventions.
Les incidents ayant donné lieu au premier de ces rappels au Règlement sont les suivants. Le 23 novembre, après la mise aux voix par appel nominal de la motion d’attribution de temps aux étapes du rapport et de la troisième lecture du projet de loi C-18, Loi réorganisant la Commission canadienne du blé et apportant des modifications corrélatives et connexes à certaines lois, l’ordre a été troublé lorsqu’un manifestant dans la tribune a brandi une pancarte et s’est mis à crier. Les travaux de la Chambre ont été interrompus pendant que les services de sécurité faisaient sortir l’individu en question. Pendant ce temps, certains députés de l’opposition acclamaient et encourageaient le manifestant.
Le lendemain, le secrétaire parlementaire a pris la parole et a affirmé que le manifestant avait été parrainé par l’honorable députée de Churchill. Il a ensuite allégué que celle-ci, ainsi que ses collègues, savaient à l’avance que ce geste de protestation se produirait. Il a soutenu que cela apparaissait clairement du fait que plusieurs députés avaient leur caméra à la main et qu’ils acclamaient et encourageaient le manifestant. Il a affirmé que ce comportement de la part de députés de l’opposition constituait un affront à la dignité de la Chambre et minait le respect envers les institutions parlementaires.
En guise de réponse, la whip en chef de l’Opposition a reconnu que la députée de Churchill avait fourni à au moins huit personnes des laissez-passer pour la tribune, mais elle a affirmé catégoriquement que cette dernière n’avait pas été prévenue du geste de protestation et qu’elle n’en était d’aucune façon responsable — même qu’elle regrettait que l’incident se soit produit. La députée de Churchill a plus tard confirmé elle-même cette version des faits lorsqu’elle a abordé le sujet le 28 novembre, à la page 3684 des Débats.
Le 5 novembre 2009, aux pages 6690 et 6691 des Débats, le Président Milliken a eu l’occasion de rendre une décision sur un incident très semblable et, ce faisant, il a fait référence à deux autres incidents du genre. Dans chacun de ces trois cas, on avait allégué qu’un député avait été informé au préalable qu’un incident se produirait dans la tribune et s’en était par conséquent rendu complice. À l’époque, tout comme aujourd’hui, les députés accusés avaient nié toute participation, et le Président Milliken a accepté leurs explications. Étant donné la tradition de longue date à la Chambre voulant que l’on ne mette pas en doute la parole des députés et conformément aux précédents que je viens de mentionner, la présidence est prête à considérer comme clos cet aspect de l’affaire. Quant aux actes de certains députés au moment où s’est produit l’incident du 23 novembre, la présidence y reviendra plus loin dans la présente décision.
Le second rappel au Règlement dont je veux parler découle d’incidents s’étant produits le 28 novembre, lorsque la Chambre a voté à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-18, Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation. À ce moment, pendant que leurs collègues votaient, des députés ministériels ont applaudi bruyamment de façon soutenue. Lorsque le résultat a été annoncé, un grand nombre de spectateurs ont applaudi pour ensuite quitter la tribune. Cette fois, ce sont les députés du côté ministériel qui ont encouragé et acclamé les perturbateurs.
Je tiens à préciser que le public est invité à assister à nos travaux depuis la tribune — en fait, je crois que les bureaux des députés encouragent et organisent très fréquemment ce genre de visite. Cependant, il existe, relativement à la présence du public à la Chambre, un principe fondamental voulant que les gens venus assister en personne aux travaux ne doivent pas en gêner le déroulement. Le public dans la tribune est là pour observer. Il existe un grand nombre d’occasions et de lieux publics appropriés pour les démonstrations, mais l’enceinte de la Chambre des communes et sa tribune n’en font pas partie.
Lorsque des gens voulant visiter la Chambre obtiennent des laissez-passer pour la tribune grâce à leurs députés, il est tout à fait inacceptable qu’ils abusent de leur accès pour interrompre les travaux de la Chambre. Alors, qu’il s’agisse des actes de l’unique manifestant du 23 novembre ou des applaudissements des groupes d’observateurs du 28 novembre, la présidence n’a pas la moindre hésitation à déclarer que ces comportements sont inacceptables.
Mais nos préoccupations ne doivent pas s’arrêter là. Que des députés aient encouragé le désordre parmi des gens censés être de simples spectateurs est tout aussi troublant pour la présidence que le désordre lui-même. L’enceinte de la Chambre des communes a la réputation d’être un lieu où sont débattues des questions d’importance nationale et où sont exprimées des idées bien arrêtées. Parfois, comme dans le cas des délibérations relatives au projet de loi sur la Commission canadienne du blé, on se laisse emporter par l’émotion. La présidence comprend qu’une telle chose puisse se produire. Cependant, cela ne soustrait pas les députés à leur responsabilité d’agir d’une manière qui soit digne de leur rôle et de cette institution, et d’inspirer ainsi aux autres un comportement convenable.
Lorsqu’il a pris la parole pour se prononcer sur les incidents du 28 novembre, le député de Toronto-Centre a demandé à la présidence de définir quels sont les types de manifestations tolérées. Il est malheureux qu’on en soit réduit à poser une telle question. Que cela soit bien clair pour les honorables députés de toutes allégeances et pour quiconque suit nos travaux : les manifestations ne font pas partie des règles acceptées du décorum de la Chambre — ni celles de la part de visiteurs dans la tribune, ni celles de la part de députés sur le parquet de la Chambre. Même les applaudissements brefs, qui sont parfois tolérés pour souligner l’apport d’un député à une initiative au moment où il se lève pour voter, ne sont jamais vus d’un bon œil. En fait, l’article 16(1) du Règlement[5] précise, et je cite :
Lorsque le Président met une proposition aux voix, il est interdit à tout député d’entrer dans la Chambre, d’en sortir ou d’aller d’un côté à l’autre de la salle, ou encore de faire du bruit ou de troubler l’ordre.
Je répète : « ou encore de faire du bruit ou de troubler l’ordre ». Cette règle a traditionnellement été appliquée jusqu’à l’annonce des résultats du vote. De toute évidence, les applaudissements soutenus durant la tenue du vote sont inadmissibles et cela ne devrait jamais se reproduire.
Puisque nous abordons ce sujet, permettez-moi d’ajouter que, depuis quelque temps, la tenue des votes a donné lieu à divers agissements, notamment des comportements qui créent du désordre comme siffler, changer de place pour induire en erreur la personne qui fait l’appel nominal et d’autres comportements dérangeants qui sont inadmissibles. Trop fréquemment ces derniers temps, les manquements au décorum ont été flagrants — notamment lors de la période des questions, où les paroles des députés qui posent des questions ou y répondent sont enterrées par du tapage, par des applaudissements ou, si vous préférez, par un charivari quelconque.
Si nous ne faisons rien, l’ordre et le décorum risquent de se détériorer au point de nuire aux travaux de la Chambre et de causer du tort aux députés et aux citoyens qui les élisent. Les députés doivent se montrer très prudents dans leur manière d’agir et de s’exprimer — ils sont personnellement responsables de leurs actions et paroles — afin d’éviter de transgresser les règles acceptées de tous visant à protéger la dignité de la Chambre et de ses députés.
En ma qualité de Président, il est de ma responsabilité de préserver l’ordre et le décorum, mais je ne peux y parvenir que si tous les députés m’offrent leur collaboration de façon sérieuse et durable. Je compte sur chacun des députés, quelle que soit leur allégeance, pour obtenir cette collaboration.
Je remercie les honorables députés de leur attention sur cette question.
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[1] Débats, 23 novembre 2011, p. 3476–3477.
[2] Débats, 24 novembre 2011, p. 3555–3556.
[5] Voir l’annexe A, « Dispositions citées : Règlement de la Chambre des communes », article 16(1).