FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 4 juin 2002
¿ | 0905 |
Le vice-président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)) |
M. Isaiah A. Litvak (professeur, gestion internationale des affaires, Florida Atlantic University) |
¿ | 0910 |
¿ | 0915 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne) |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Keith Martin |
M. Isaiah A. Litvak |
¿ | 0920 |
¿ | 0925 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
¿ | 0930 |
M. Isaiah A. Litvak |
M. Pierre Paquette (Joliette, BQ) |
M. Isaiah A. Litvak |
M. Pierre Paquette |
M. Isaiah A. Litvak |
¿ | 0935 |
M. Pierre Paquette |
M. Isaiah A. Litvak |
¿ | 0940 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.) |
M. Isaiah A. Litvak |
¿ | 0945 |
M. Sarkis Assadourian |
M. Isaiah A. Litvak |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. John Duncan (Île de Vancouver-Nord, Alliance canadienne) |
¿ | 0950 |
M. Isaiah A. Litvak |
M. John Duncan |
M. Isaiah A. Litvak |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce--Lachine, Lib.) |
¿ | 0955 |
M. Isaiah A. Litvak |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Donald C. Sinclair (directeur général, Direction du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international) |
À | 1010 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Keith Martin |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Donald C. Sinclair |
À | 1015 |
M. Keith Martin |
M. Donald C. Sinclair |
M. Keith Martin |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ) |
M. Donald C. Sinclair |
À | 1020 |
Mme Francine Lalonde |
M. Donald C. Sinclair |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Sarkis Assadourian |
M. Donald C. Sinclair |
À | 1025 |
À | 1030 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD) |
M. Donald C. Sinclair |
À | 1035 |
Mme Alexa McDonough |
M. Donald C. Sinclair |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. John Harvard (Charleswood St. James—Assiniboia, Lib.) |
M. Donald C. Sinclair |
À | 1040 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. John Harvard |
M. Donald C. Sinclair |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. John Duncan |
M. Donald C. Sinclair |
M. John Duncan |
À | 1045 |
M. Donald C. Sinclair |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Stan Keyes (Hamilton-Ouest, Lib.) |
M. Donald C. Sinclair |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Denis Halliday (témoigne à titre personnel) |
Á | 1100 |
Á | 1105 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Scott Ritter (témoigne à titre personnel) |
Á | 1110 |
Á | 1115 |
La présidente suppléante (Mme Diane Marleau (Sudbury, Lib.)) |
M. Keith Martin |
Á | 1120 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Scott Ritter |
Á | 1125 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Francine Lalonde |
M. Denis Halliday |
Á | 1130 |
M. Scott Ritter |
Á | 1135 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.) |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Scott Ritter |
Mme Aileen Carroll |
M. Scott Ritter |
M. Sarkis Assadourian |
M. Scott Ritter |
Mme Aileen Carroll |
M. Scott Ritter |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Denis Halliday |
Á | 1140 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Alexa McDonough |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Denis Halliday |
Á | 1145 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Scott Ritter |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Sarkis Assadourian |
Á | 1150 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Marlene Jennings |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. John Duncan |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Scott Ritter |
Á | 1155 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Denis Halliday |
 | 1200 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Seyed Ali Ahani (vice-ministre pour l'Europe et les Amériques, ministère des Affaires étrangères, République islamique d'Iran) |
 | 1220 |
 | 1225 |
 | 1230 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Keith Martin |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Seyed Ali Ahani |
 | 1235 |
 | 1240 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Francine Lalonde |
M. Seyed Ali Ahani |
 | 1245 |
 | 1255 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Sarkis Assadourian |
M. Seyed Ali Ahani |
· | 1300 |
· | 1305 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.) |
· | 1310 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Seyed Ali Ahani |
· | 1315 |
M. Irwin Cotler |
M. Seyed Ali Ahani |
M. Irwin Cotler |
M. Seyed Ali Ahani |
· | 1320 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Seyed Ali Ahani |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
CANADA
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international |
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 4 juin 2002
[Enregistrement électronique]
¿ (0905)
[Traduction]
Le vice-président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Chers collègues, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions l'intégration nord-américaine et le rôle du Canada face aux nouveaux défis que pose la sécurité.
Nous accueillons ce matin M. Isaiah Litvak, professeur de gestion internationale des affaires à la Florida Atlantic University.
Bienvenue, monsieur Litvak. Nous sommes très heureux de vous rencontrer ce matin. Je crois que vous avez un exposé. Vous avez la parole et nous passerons ensuite aux questions des membres du comité.
M. Isaiah A. Litvak (professeur, gestion internationale des affaires, Florida Atlantic University): Merci beaucoup, monsieur Patry.
Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui. En tant que citoyen canadien résidant maintenant aux États-Unis, je me réjouis de cette occasion de participer à vos consultations publiques sur l'état actuel des relations nord-américaines.
Je crois que les membres du comité ont reçu mon récent ouvrage The Marginalization of Corporate Canada, qui a été édité par l'Institut canadien des affaires internationales. J'aimerais aujourd'hui faire quelques remarques sur les questions soulevées dans le document de référence intitulé «Partie V—Les relations économiques entre le Canada et les États-Unis» daté du 5 février 2002 et qui a été préparé par la Direction de la recherche parlementaire.
Le thème d'ensemble de mes remarques sera que l'état actuel des relations économiques Canada-États-Unis ne va probablement pas se maintenir. Les Canadiens vont s'efforcer plus activement que les Américains d'apporter les changements souhaités à ces relations. Il faudra que le programme de changement et d'action parte du Canada, sous l'impulsion de ses dirigeants politiques et économiques. Il faudra convaincre les États-Unis des avantages que pourrait entraîner un approfondissement des liens économiques entre les deux pays. Je ne dis pas cela pour être provocateur, je le dis très sincèrement.
On pose 17 questions dans le document sur les relations économiques Canada-États-Unis. Chacune de ces questions est pertinente, mais elles découlent toutes de la première, à savoir: «Est-ce que le Canada devrait s'employer à élaborer une vision nette de l'avenir des relations économiques entre le Canada et les États-Unis et avec l'ensemble de l'Amérique du Nord? Selon vous, est-ce que cette vision devrait comporter un approfondissement accentué des liens commerciaux et en matière d'investissement?»
En substance, je répondrais que oui, je crois qu'il est dans l'intérêt du Canada de le faire. Il me semble toutefois qu'il vaudrait mieux poser la question dans les termes suivants: «Étant donné l'approfondissement des liens en matière d'investissement entre le Canada et les États-Unis, quelle vision claire le Canada doit-il élaborer pour l'avenir des relations Canada-États-Unis et nord-américaines, et quel est le cheminement qui sera le mieux adapté aux intérêts du Canada et le plus représentatif de ses valeurs?»
En un mot, nous sommes confrontés à notre avenir et le défi pour les Canadiens est de savoir ce qu'ils vont en faire.
Mes remarques vont être essentiellement axées sur l'économie et le monde des affaires. Vous avez déjà pris connaissance de nombreuses études et entendu de nombreux témoins qui vous ont informé sur la nature et l'ampleur des relations économiques canado-américaines, des relations qui deviennent de plus en plus poussées, plus vastes et naturellement asymétriques. Il ne se passe pas le moindre événement d'envergure au Canada sans qu'on le juge en regard des performances et des critères des États-Unis. Il ne se passe pas une semaine, et souvent un jour, sans que les grands médias canadiens évoquent au moins un dossier des relations du Canada avec les États-Unis ou comparent le rendement du Canada à celui des États-Unis.
Le Canada et les Canadiens sont polarisés jusqu'à l'obsession sur les États-Unis. À l'inverse, les États-Unis remarquent à peine le Canada et les Canadiens. Le défi est donc d'autant plus colossal puisque lorsque les Canadiens soulèvent des problèmes critiques auprès des Américains, ils sont souvent considérés comme des geignards. Si les Canadiens et leurs dirigeants ne s'entendent pas non seulement sur une vision mais aussi sur une stratégie pour négocier en prenant appui sur nos relations économiques avec les États-Unis, nous allons perdre du terrain face aux intérêts américains et à d'autres pays avec lesquels nous sommes en concurrence directe sur les marchés mondiaux.
¿ (0910)
Les pays ne se concurrencent pas ouvertement, ce sont les entreprises qui se concurrencent. C'est ce qu'on entend régulièrement dire. Or, la concurrence entre pays pour accueillir des sièges sociaux et bureaux régionaux, des laboratoires de recherche et de développement et des usines prouve le contraire. Le capital n'a pas de nationalité. Les choix d'investissement et d'implantation des entreprises se font de plus en plus dans le contexte d'un monde sans frontières.
C'est l'attrait relatif du contexte d'affaires au Canada, par opposition au contexte américain, qui pourra permettre au Canada d'attirer et de conserver les investissements étrangers directs, mais aussi de convaincre des entreprises basées au Canada de ne pas céder à l'attrait des États-Unis et de maintenir leurs sièges sociaux au Canada en continuant à y développer leurs activités.
Je crois que cela a été clairement démontré ces derniers mois par de nombreux discours de PDG d'entreprises non seulement dans le secteur des services financiers mais dans d'autres secteurs de l'économie canadienne aussi.
Comme nous sommes étroitement dépendants des États-Unis et étroitement liés à eux, les décideurs canadiens, lorsqu'ils élaborent des initiatives dans le domaine de la fiscalité, de la concurrence, de la technologie, de l'environnement, de l'exportation, etc., doivent soupeser les répercussions de leurs politiques à la lumière de cette interdépendance. S'ils ne le font pas, ils risquent d'entraîner des conséquences négatives et difficilement supportables pour le Canada. Le défi pour le Canada, c'est de préserver les investissements et de les faire croître, et l'appartenance du Canada à l'ALENA ne fait que renforcer ce défi.
Les États-Unis sont un aimant qui attire les investissements directs des entreprises canadiennes les plus compétitives, grandes et petites. Cet attrait incite aussi des entreprises à transférer en partie ou totalement leur siège social sur le territoire des États-Unis. Et, ce qui est tout aussi important, de plus en plus de brillants spécialistes et d'entrepreneurs en plein essor du Canada se font attirer aux États-Unis.
Toutes ces évolutions combinées n'ont fait qu'accroître le défi de la politique concurrentielle des gouvernements du Canada et des provinces.
Je vais vous parler d'une expérience que j'ai eue récemment. J'ai terminé une série de cinq conférences dans le cadre du programme MBA pour dirigeants d'entreprise de Kellogg-Schulich. Pour ceux d'entre vous qui ne connaîtraient pas bien ce programme, la Kellogg School of Business aux États-Unis fait partie de la Northwestern University. Elle est généralement classée, sinon première, du moins dans les trois premières, à côté d'institutions comme Harvard. La Schulich School of Business fait partie de l'Université York. Elle est aussi classée dans les trois premières parmi des institutions comme l'Université Western Ontario, la Richard Ivey School of Business et la Rothman School of Business de l'Université de Toronto.
Quarante-deux jeunes dirigeants canadiens suivent ce programme. Les professeurs viennent de Kellogg et de Schulich. J'ai participé à ce programme parce que je suis le professeur émérite Pierre Lassonde de la Schulich School of Business, où j'ai enseigné environ 22 ans et demi jusqu'à il y a trois ans environ.
La plupart des participants sont des dirigeants de grandes et petites entreprises canadiennes appartenant à des Canadiens ou à des étrangers. Certains de ces participants sont des entrepreneurs prospères qui ont établi des entreprises de haute technologie au Canada. Je crois que nous pouvons être très fiers de leur apport. C'est l'excellente qualité du programme de maîtrise en affaires pour dirigeants qui a attiré ces participants au programme de la faculté de Kellogg et de Schulich.
Toutefois, il ne fait guère de doute qu'un diplôme de maîtrise en affaires pour cadres dirigeants canado-américains en 2002, diplôme qui ouvre les portes aux États-Unis, est un avantage majeur de ce genre de programme de MBA transfrontalier. Je pense qu'il y aura d'autres programmes MBA de ce genre au cours des prochaines années, avec la participation de nos meilleures écoles et des meilleures écoles des États-Unis.
De nombreux jeunes dirigeants envisagent sérieusement d'aller s'installer aux États-Unis pour y faire carrière et diriger leurs entreprises. En gros, l'un des principaux attraits d'un MBA transfrontalier pour dirigeants, c'est que c'est un diplôme qui associe une grande institution américaine à une grande institution canadienne.
¿ (0915)
Donc, quand on parle d'approfondissement du commerce et des investissements, je vous assure que le monde des affaires...et en tout cas les professionnels non seulement dans les écoles d'affaires mais aussi les écoles de médecine. Il n'y a rien d'exceptionnel ici: nos plus brillants médecins qui obtiennent leurs diplômes dans nos grandes écoles, que ce soit en Ontario, au Québec, dans l'Ouest ou dans le Canada atlantique, font la même chose, ils passent des examens pour pouvoir pratiquer aux États-Unis. C'est donc une tendance qui s'accélère.
En un mot, le problème n'est pas d'après moi l'approfondissement des relations du Canada avec les États-Unis, qui est déjà une réalité, mais plutôt le genre de contexte de la politique publique qui permettra au Canada—et c'est très important pour moi—d'être le lieu de choix pour l'implantation et la croissance nord-américain. Je crois bien franchement que c'est un défi important pour vous, les dirigeants politiques de cet État-nation.
Je vais m'arrêter ici. Je vous ai présenté une introduction d'une dizaine de minutes qui me semble raisonnable. Je me ferais maintenant un plaisir de discuter avec vous.
Merci.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci beaucoup, monsieur Litvak. Comme vous venez de le dire, nous allons maintenant passer aux questions.
Je commencerai par M. Martin.
M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne): Merci, monsieur Litvak, d'être venu nous rencontrer. Nous sommes honorés de vous avoir ici.
L'un des défis pour nous, c'est de nous faire entendre à Washington, d'être visibles sur l'écran radar, comme vous dites. Pourriez-vous nous dire comment vous voyez cela, vous qui êtes un Canadien qui travaille aux États-Unis? Quel est le meilleur moyen de nous faire entendre efficacement dans les couloirs de Washington?
Deuxièmement, nous essayons de trouver un mécanisme de résolution de nos différends avec les États-Unis qui nous permettra d'éviter ces obstacles à nos relations commerciales bilatérales. Peut-être pourriez-vous nous en parler.
Troisièmement, si vous étiez ministre des Finances du Canada, quels changements micro et macro-économiques réaliseriez-vous pour que le Canada devienne un pays plus attrayant pour les gens qui veulent monter une entreprise, pas seulement des Américains mais aussi des gens d'ailleurs, et pour permettre à nos entreprises d'être plus compétitives?
Merci.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci beaucoup, monsieur Martin. Vous avez pris une minute et quinze secondes par question. C'est superbe.
M. Keith Martin: J'essaie de suivre le rythme de M. Litvak.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Non, c'est parfait.
Monsieur Litvak.
M. Isaiah A. Litvak: Je vais essayer de répondre aux trois questions. Je vais tout d'abord essayer de répondre à celle sur la meilleure façon pour le Canada de se faire entendre à Washington, et ensuite à la question de savoir quel genre de politique j'adopterais si j'étais ministre des Finances pour faire du Canada le pays de choix en Amérique du Nord et même à l'échelle mondiale, mais surtout en Amérique du Nord. Cela me permettra de répondre en partie à la question sur l'ALENA et les groupes d'experts.
Je vais vous citer une anecdote en guise d'illustration. J'ai eu le plaisir d'être invité par un des groupes consultatifs sectoriels sur le commerce extérieur à l'époque des négociations canado-américaines sur l'Accord de libre-échange.Cela remonte à quelques années, puisque cet accord a été ratifié et mis en oeuvre en 1989. J'ai passé un certain temps à Washington. À cette époque, le négociateur commercial américain, le dirigeant du Bureau américain du commerce extérieur, qui fait partie de l'exécutif aux États-Unis, était feu Peter Murphy. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de rencontrer Peter Murphy à cette époque-là. Je l'ai rencontré ainsi que son adjoint, M. Bill Merkin. Il s'agissait d'évoquer des idées pour ce comité GCSCE.
Je n'ai eu aucune difficulté, en tant que Canadien, à reconnaître M. Peter Murphy—indépendamment du fait qu'il mesure 6 pieds 4 ou 6 pieds 6 . Et comme je ne suis pas exactement grand, il y a vraiment là une relation asymétrique. Je voyais sa photo dans les journaux—dans le Globe and Mail ou le Toronto Star ou l' Ottawa Citizen—pratiquement tous les jours au cours des années précédant la ratification de l'Accord de libre-échange canado-américain. Je le voyais aussi constamment à la télévision.
Je l'ai constaté quand on me l'a présenté. Je lui ai dit: «J'ai tellement l'impression de vous connaître depuis longtemps, grâce aux médias canadiens.» Il m'a répondu: «Je vais vous faire part d'une expérience intéressante que je vis actuellement. Quand je suis au Canada, les gens dans la rue me reconnaissent. Si je sors du Bureau américain du commerce extérieur»—c'est à trois pas des bureaux exécutifs de la Maison-Blanche «pratiquement personne, en fait personne ne me reconnaît. Il y a peut-être 80 personnes à Washington, et pas nécessairement les plus importantes, à l'exception du président des États-Unis, qui me connaissent.»
Je trouve que c'est assez important. Quand on dit que le Canada n'a pas suffisamment de visibilité à Washington, il faut bien comprendre que les gens eux-mêmes qui sont responsables des négociations avec le Canada n'ont pas beaucoup de visibilité, même s'ils ont la responsabilité de négocier non seulement avec le Canada mais avec les autres pays du monde. Je pense que c'est important.
Ce qui est important aussi, c'est de comprendre que seule une poignée d'érudits américains s'intéressent au Canada—une poignée, et ce sont les mêmes depuis des années. Ils ne disparaissent pas, ils sont là et leurs groupes n'augmentent pas. Si je voyais les diverses personnes qui ont comparu devant votre comité, je n'aurais aucun problème à les identifier, à connaître leurs points de vue, parce qu'ils sont concentrés dans quelques institutions seulement.
J'ajoute que ces érudits ne paraissent pas—à quelques exceptions remarquables, je l'avoue—très souvent à la télévision aux États-Unis, et ne sont pas très souvent interviewés à la radio, et qu'en fait ils auraient du mal à se faire publier dans des journaux importants comme le Washington Post, le New York Times et le Wall Street Journal. Cela vous en dit long sur le manque d'intérêt vis-à-vis du Canada. Dans le même ordre d'idées, rares sont les institutions qui offrent un cours consacré aux relations canado-américaines. Et rares sont les étudiants de niveau supérieur qui suivent ces cours, à quelques importantes exceptions près, comme le SAIS de Johns Hopkins.
¿ (0920)
En fait, la dernière fois que j'ai donné une conférence à Johns Hopkins, en octobre dernier, sur les relations d'affaires canado-américaines, j'ai eu la nette impression que sur les quelque 30 étudiants présents, il y en avait au moins du tiers à la moitié qui étaient des Canadiens qui faisaient leur maîtrise en affaires internationales. Voilà le genre de problème.
Par ailleurs, je vis dans le sud de la Floride—je vous fais part d'expériences qui me paraissent tout à fait pertinentes, et je vois déferler là-bas tous les retraités migrateurs du Canada, de l'Ontario et du Québec. Par endroit, ils sont là par milliers à profiter du soleil.
Qu'en est-il de la visibilité du Canada? Elle est à peu près nulle. Si vous parlez à quelqu'un qui a été élu à la Chambre des représentants pour savoir s'il est sensible aux questions canadiennes, ou si vous parlez au sénateur Graham, l'un des deux sénateurs de la Floride, vous constaterez que le Canada ne pèse pas bien lourd.
Faut-il s'en désoler? Certainement pas. Mais voici ce que je voudrais vous dire: Il n'y a pas de lobby canadien. Je vis actuellement dans le sud de la Floride. J'y ai passé trois ans, avec les ouragans et les tornades que cela représente. Une chose est certaine, c'est qu'il y a un lobby cubain, un lobby hispanique et un lobby haïtien.
Si vous êtes à New York... Un ancien consul général m'avait dit, à l'époque où je travaillais à l'Americas Society: «Ce serait vraiment bien d'avoir une fête du Canada comme il y a la St. Patrick, quand tous les Irlandais sortent.» Et il a ajouté avec tristesse: «Mais même si nous organisions une fête du Canada, combien de Canadiens viendraient, à votre avis?» Il y a des centaines de milliers de Canadiens qui vivent sur une zone de trois États, mais ils se fondent dans le paysage.
J'étais à Los Angeles il y a cinq semaines à propos de la production extérieure. Il y a des Canadiens partout, mais est-ce que les gens se rendent compte de leur présence? Pourraient-ils vraiment sortir? Est-ce qu'ils se font entendre? En dehors de Wayne Gretzky et du travail remarquable qu'il fait dans le contexte de l'Équipe de hockey du Canada, non.
Or, c'est important. Pourquoi est-ce important? Parce que, si les États-Unis sont une puissance économique et politique mondiale, leur politique se fait au niveau local. Par conséquent, quand vous prenez, par exemple, la Chambre des représentants et même le Sénat, où l'on retrouve certains des hommes d'État les plus éminents des États-Unis, on a quand même une politique qui se fait à l'échelle locale.
Je n'ai pas besoin de vous parler de la séparation des pouvoirs, puisque vous pourriez m'expliquer cela mieux que je ne peux le faire. Le problème, ce sont les élections. Ce sont les intérêts locaux qui comptent à ce moment-là. Ce sont les intérêts locaux qui l'emportent bien souvent sur ce qui devrait à notre avis être les intérêts nationaux de l'Amérique.
Quelle est la meilleure façon de se faire entendre? Je n'ai pas de réponse simple à cette question, mais il est certain que vous ne réussirez pas à convaincre simplement en ayant des connections avec une poignée de personnes au niveau de l'exécutif. Vous ne ferez pas de vrai progrès en agissant simplement au niveau des ambassades. Vous ne progresserez pas vraiment tant que vous n'aurez pas établi de lien et de pont avec les membres de la Chambre et du Sénat.
Ce que je trouve très positif en 2002, ce sont les rencontres croissantes des dirigeants des gouvernements provinciaux avec leurs homologues américains. Je suis allé à Saint John, au Nouveau-Brunswick, il y a trois ou quatre semaines. Il y avait là une grande conférence à laquelle participaient des dirigeants du Canada atlantique et des dirigeants de la Nouvelle Angleterre.
C'est important. La meilleure façon de sensibiliser des personnes qui vont ensuite exprimer quelque chose de plus important à Washington, de façon à mieux faire connaître le point de vue des Canadiens, c'est d'établir des alliances et des partenariats solides au plan local. Il faut donc agir au niveau régional, mais sans toutefois exclure les intérêts nationaux. C'est une nuance importante.
Monsieur Martin, pour dire quelque chose de plus précis, je dirais qu'à mon avis il est important de travailler avec les gouvernements provinciaux et de reconnaître qu'ils peuvent contribuer de façon importante à renforcer les liens commerciaux et les investissements. Vous voulez renforcer les liens commerciaux et les liens d'investissement entre le Canada et les États-Unis, mais il faut aussi renforcer ces liens entre les provinces et les États américains. Plus ils deviendront interdépendants, plus ils deviendront dépendants les uns des autres et plus la voix du Canada se fera entendre à Washington.
¿ (0925)
Cela ne veut pas dire qu'il faut renoncer à avoir des ambassadeurs efficaces à Washington ou des rencontres de parlementaires d'Ottawa avec leurs homologues américains. Ce que je dis, c'est qu'il faut travailler aux deux niveaux.
Et ceci nous amène à un autre domaine.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Je vais devoir vous arrêter, monsieur Litvak, car nous avons 10 minutes pour chaque parti.
Nous passons maintenant au Bloc québécois.
¿ (0930)
M. Isaiah A. Litvak: Excusez-moi, monsieur Patry. Je suis un universitaire et il faut me couper la parole. C'est un de mes grands défauts.
[Français]
M. Pierre Paquette (Joliette, BQ): Merci, monsieur le président. Merci de votre présentation. J'ai plusieurs petites questions; cela vous permettra peut-être de terminer votre réponse à M. Martin.
Vous insistez beaucoup sur les transferts de sièges sociaux, mais une des caractéristiques de l'économie canadienne et québécoise, c'est d'être une économie de petites et moyennes entreprises, de PME, qui sont beaucoup moins mobiles. J'aurais aimé vous entendre sur cette caractéristique de l'économie canadienne en regard du pouvoir qu'on peut perdre avec le déménagement de sièges sociaux.
Vous n'avez pas parlé non plus du rôle du Mexique. Je sais bien qu'on parle surtout de la relation Canada--États-Unis, mais avez-vous une vision du rôle que le Mexique pourrait jouer dans notre rapport de force avec les Américains?
Vous n'avez pas abordé la question de la monnaie commune. C'est une question qui est largement débattue actuellement dans les milieux d'affaires. Même le Conseil du patronat du Québec a tenu un colloque d'une journée sur cette question. Est-ce que vous avez aussi des idées là-dessus?
[Traduction]
M. Isaiah A. Litvak: Monsieur Pierre Paquette, je crois comprendre la substance de votre question, mais je ne parle pas très bien français. Pour plus de sécurité, et pour que je puisse répondre correctement à votre question, y aurait-il un moyen...? J'ai commis une erreur.
[Français]
M. Pierre Paquette: Je vais reprendre très rapidement.
J'ai trois questions. La première porte sur le rôle des PME. Dans votre analyse, vous parlez beaucoup de déplacements de sièges sociaux, et je pense qu'on est préoccupés par cela, mais en même temps, il faut reconnaître que l'économie canadienne et québécoise est d'abord une économie de PME. Quelle est la conséquence de cette caractéristique?
Deuxièmement, quel rôle le Mexique peut-il jouer dans nos rapports avec les Américains?
Ma troisième question porte sur le débat concernant une monnaie nord-américaine commune. Cela fait actuellement l'objet d'un débat, et je rappelais que le Conseil du patronat du Québec a tenu une journée de débat, un colloque, sur cette question. Avez-vous certaines idées?
[Traduction]
M. Isaiah A. Litvak: Non seulement je connais la situation des PME au Québec, mais je sais également quelle contribution elles apportent à l'économie du Québec. En même temps, je crois à l'importance des PME pour le reste du Canada, y compris des provinces comme l'Ontario.
Au cours des dernières années, j'ai eu l'occasion d'étudier la situation de certaines PME au Québec, dans le secteur des matières plastiques notamment—les fabricants de produits plastiques—secteur où le Québec a excellé de façon plutôt remarquable. L'essentiel ici est de veiller à ce que ces entreprises qui prennent de l'expansion à l'extérieur du Québec, à l'extérieur du Canada, et plus particulièrement aux États-Unis, disposent d'un environnement qui, je dirais, soit très propice à faire prospérer leurs activités.
Par exemple, toujours dans le secteur des matières plastiques, les collèges communautaires au Québec, les universités au Québec, ont investi énormément dans le domaine de la chimie de polymères. Ils ont fait un excellent travail en ce qui concerne la formation. Ils ont fait énormément pour aider les sociétés à développer leur capacité d'exportation.
Il faut comprendre que les petites et moyennes entreprises souffrent d'une pénurie de ressources. En d'autres termes, pour se maintenir et prospérer, elles ont besoin de toutes sortes de services qu'elles n'ont pas les moyens d'acquérir au début de leur développement. Ces services vont leur donner un coup de pouce au départ, mais au fur et à mesure que l'entreprise prend de l'expansion et s'implante aux États-Unis, en particulier, il faut veiller soigneusement à maintenir un environnement concurrentiel par rapport aux États-Unis afin de les garder au Québec.
Monsieur Paquette, je vous dirai sincèrement que dans la société québécoise, et plus particulièrement dans la communauté francophone, à cause du patrimoine culturel et linguistique, les dirigeants des petites et moyennes entreprises se sentent bien plus enracinés dans la région que leurs homologues, par exemple, dans les autres régions du Canada. Cela ne veut pas dire que les gestionnaires propriétaires de PME dans les autres régions du Canada sont moins loyaux à leur province ou à leur pays, le Canada. Pour certaines raisons, et nous en connaissons quelques-unes, on hésite beaucoup plus à envisager une expansion aux États-Unis, partielle ou totale, quand il s'agit d'établir le siège social d'une exploitation.
Pour répondre à votre deuxième question, je pense qu'il est impérieux que le Canada tisse des liens plus solides avec le Mexique et qu'il comprenne mieux l'économie mexicaine ou le régime politique mexicain et qu'il cherche des façons pour le Canada d'établir des relations d'affaires plus poussées avec les entreprises mexicaines. Nous ne devrions pas attendre que les Mexicains fassent le nécessaire pour prospérer au Canada, car nous devrions nous en servir pour nous-mêmes prospérer au Mexique.
J'ajouterai, et c'est peut-être pour des raisons culturelles et linguistiques, que les dirigeants propriétaires de petites et moyennes entreprises au Québec, dans l'ensemble, se sentent plus à l'aise s'agissant de relations commerciales avec leurs homologues au Mexique. C'est une réalité. La langue est-elle une explication ou... Je n'en dirai pas plus. Dans l'ensemble, ils se sentent plus à l'aise.
En même temps, il y a un nombre croissant d'entreprises de taille moyenne—et je reprends l'exemple du secteur des matières plastiques afin de confiner mon propos—qui d'un bout à l'autre du Canada ont réussi à vendre leurs produits à des fabricants canadiens de même qu'à des Américains et elles s'établissent au Mexique afin de tirer parti de la main-d'oeuvre à bon marché là-bas. Elles ont des unités d'exploitation là-bas car un grand nombre de leurs clients canadiens, américains ou étrangers ont également des unités d'exploitation au Mexique et afin de maintenir ces clients, elles s'établissent au Mexique également.
¿ (0935)
Il ne s'agit pas ici d'un sentiment négatif à l'égard du Canada, de se détourner du Canada, mais de reconnaître la mondialisation croissante. Dans l'espace nord-américain, l'ALENA prend de l'importance, de plus en plus dans le cas du Mexique qui augmente ses échanges commerciaux avec les États-Unis. Cela pousse les sociétés canadiennes, grandes et petites, à être plus actives sur le marché mexicain.
Pour ce qui est de la monnaie commune, je vous dirais franchement que les Américains ne sont pas très enthousiastes, contrairement à nous, à l'idée d'avoir une monnaie commune avec le Canada.
[Français]
M. Pierre Paquette: [Note de la rédaction: inaudible] ...quand même. Je voulais avoir votre avis, parce que c'est un débat qui a cours dans l'entreprise privée et dans tout le Canada. Alors, j'imagine que dans notre rapport, on devra faire un certain nombre de commentaires concernant ce débat. J'aurais donc voulu avoir vos premières impressions même si vous n'êtes pas un spécialiste de la question.
[Traduction]
M. Isaiah A. Litvak: Vous avez tout à fait raison. Je ne suis pas spécialiste de la questions. J'en connais certains aspects. Nul doute qu'un nombre croissant de compagnies canadiennes qui sont cotées en bourse le sont à la Bourse de New York, et les cotations sont données en dollars américains par l'intermédiaire du NASDAQ.
Il est indéniable que les fluctuations d'une monnaie viennent accroître les difficultés que posent les incertitudes des transactions commerciales. Il est compréhensible que certains dirigeants et un nombre croissant de compagnies s'inquiètent de l'impact de ce facteur sur les bilans.
Mais c'est comme pour tout—et il se trouve que je suis professeur de gestion et que je reprends à mon compte, de façon générale, un grand nombre d'opinions tenues par les dirigeants d'entreprises au pays—je pense également qu'il est très important de comprendre les nuances politiques dont le gouvernement doit tenir compte car il ne faut pas se borner à protéger les intérêts des entreprises, ces derniers étant très souvent un court terme. Si on examine le rendement aux États-Unis et au Canada depuis deux ou trois ans, je ne dirais pas que c'est mirobolant.
C'est un enjeu important. C'est une chose qui nous préoccupe nous, mais à propos du document préparé par la Direction de la recherche parlementaire, je dirais que plutôt que de parler de monnaie commune, on devrait songer à une union économique ou à un marché commun. Et cela c'est crucial.
¿ (0940)
[Français]
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci.
Monsieur Paquette, ce matin, il y avait un article à ce sujet dans l'Ottawa Citizen.
On va maintenant passer à M. Assadourian.
[Traduction]
M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Merci beaucoup d'être venu exprimer vos opinions en tant que Canadien vivant aux États-Unis. Mais j'aimerais vous présenter le regard que nous jetons sur la stratégie de ce côté-ci de la frontière, faire quelques remarques, et ensuite poser une question.
Il y a près de deux ans, quand George Bush faisait campagne dans la région de Détroit, notre célèbre émission canadienne Royal Canadian Air Farce a fait dire à George Bush: «Le président Jean Poutine vous appuie», et il a répondu «Eh bien, ce doit être un président intelligent.» C'était il y a deux ans.
Il y a deux mois environ, quatre Canadiens sont morts en Afghanistan sous un tir ami. Cela n'a pas été souligné. On n'a même pas reconnu le fait que quatre innocents étaient morts sous les bombes américaines.
Vous avez parlé de faire oeuvre éducative auprès du public américain. Je regrette de vous informer qu'un sondage conclut que 70 p. 100 des Américains pensent que 19 des 20 terroristes sont entrés aux États-Unis par le Canada. Cette rumeur a été diffusée par la chaîne CNN, l'administration américaine, tout le monde. Le fait est bien entendu que c'est tout à fait le contraire.
Pour ce qui est du bois d'oeuvre, le président des États-Unis dit: «Vous avez tout à fait raison, nous allons vous défendre», et voilà qu'on nous impose un tarif de près de 30 p. 100 sur le bois d'oeuvre de Colombie-Britannique et des autres provinces. Nous faisons des relations publiques aux États-Unis. Nous dépensons 20 millions de dollars pour dire au grand public que notre cause est juste.
Autre chose: Quand on essaie de parler à un représentant au Congrès ou à un sénateur, on constate qu'ils sont trop occupés à s'occuper de leur propre caisse électorale, car ils sont toujours en campagne électorale. La politique est locale, et ils n'ont pas de temps à perdre, certainement pas avec les Canadiens. Je ne pense pas qu'ils aillent dans d'autres pays. Deux tiers d'entre eux disent qu'ils n'ont pas de passeport. Leur connaissance des autres pays est lamentablement limitée.
Voici ma question: Quel serait votre discours si vous vous adressiez à un auditoire américain semblable—législateurs, représentants du Congrès, sénateurs—pour exposer comment améliorer les relations de leur pays avec le Canada, étant donné les faits que je viens de mentionner?
M. Isaiah A. Litvak: C'est une vaste question. Je n'essaie pas d'éviter de répondre à votre question, mais je dois vous dire que ce genre de situation n'est pas fréquent. Il y a bien eu un rare comité du Congrès qui s'est intéressé aux questions canadiennes.
Vous me demandez ce que je leur signalerais: Tout d'abord, il faut aborder la question de la sécurité et du bien-être économique de l'espace nord-américain. Je voudrais certainement rappeler aux Américains le rôle crucial du Canada en matière de sécurité et de bien-être économique dans l'espace nord-américain.
Monsieur Assadourian, si je devais faire un exposé de ce genre aujourd'hui, je n'aborderais pas la question sur le plan tandem Canada/États-Unis, même si cela faisait partie de mon propos. J'aborderais les choses sous l'angle des intérêts régionaux de l'Amérique du Nord. Je prendrais, par exemple, les points de convergence avec le Canada et le Mexique, en particulier la frontière Nord et la frontière Sud.
J'éviterais de parler des problèmes que le Mexique occasionne aux États-Unis, le trafic des stupéfiants, l'immigration clandestine, etc. Je choisirais plutôt l'énergie. L'énergie est tellement capitale pour le bien-être des États-Unis en tant que puissance économique qu'ils sont à même de bénéficier de ce qu'offrent le Canada et le Mexique.
J'envisagerais la région d'Amérique du Nord, avec les intérêts régionaux et je mettrais en lumière les intérêts canadiens et américains communs.
Même si je n'aime pas dire les choses ainsi, les irritants et les frustrations du dossier du bois d'oeuvre et d'autres dossiers ne datent pas d'hier. Croyez-le ou non, dans les années 60 et 70, en tant que Canadien, j'ai fait des études sur la souveraineté culturelle pour le compte de Reader's Digest, du magazine Time et j'en passe.
Ces dossiers demeureront toujours ouverts. La situation ne va pas changer. Les intérêts locaux des États-Unis, à cause de leur régime politique, domineront toujours le programme politique. Nous devons accepter cela à moins de modifier notre régime politique. J'espère que nous ne le ferons pas.
Selon moi, il nous faut cerner les intérêts régionaux américains dans l'espace nord-américain. Quels sont nos intérêts régionaux? Comment inscrire nos intérêts nationaux dans le contexte régional pour apaiser les irritants et les frustrations?
Pour ce qui est de la stratégie d'orientation, il y a beaucoup à faire au Canada même pour que le programme canadien paraisse moins fragmenté. Si l'on s'entretient avec des dirigeants d'entreprises de l'Ontario, du Québec, de l'Atlantique ou de l'Ouest, on les entend exprimer leurs frustrations. Ils disent qu'il est plus facile de vendre et d'expédier des produits aux États-Unis que dans les provinces voisines.
En fait, nous avons une stratégie en trois volets qui doivent être activés simultanément. Tout d'abord, le programme interne. Il faut que notre programme interne soit plus sain et consolidé. Il faut le définir dans le contexte national, du moins sur le plan économique.
Deuxièmement, il faut voir comment nous pouvons nous servir de nos relations comme moyen de négociation dans le contexte du régime politique américain. Je l'ai dit tout à l'heure, je pense que cette approche en particulier offre quelque chose de positif aux provinces.
Troisièmement, et je maintiendrais l'optique de votre comité concernant l'espace nord-américain, en misant sur le Mexique.
Quatrièmement, il faut faire ce qui s'impose à l'échelle mondiale. Je pense que nous avons une population d'immigrants très précieuse au pays. Sur les 42 dirigeants d'entreprises étudiant au MBA inscrits aux cinq sessions que j'ai enseignées, il y en avait au moins le tiers qui étaient Asiatiques. Ils occupent des postes très importants.
Prenez le secteur des matières plastiques et vous constaterez qu'il s'y trouve désormais la deuxième ou la troisième génération de Canadiens d'origine européenne. Par exemple, les confectionneurs de moules sont les meilleurs du monde, mais leurs compétences viennent d'Europe. Et je pourrais poursuivre encore longtemps.
¿ (0945)
Étant donné donc la richesse et la diversité de notre population immigrante, du moins ceux qui oeuvrent dans notre groupe croissant de professionnels et d'entrepreneurs, comment mettre à profit cette compétence pour tisser des liens économiques plus solides avec des pays extérieurs à l'espace nord-américain?
M. Sarkis Assadourian: Les exportations d'énergie vers les États-Unis devraient-elles être liées au bois d'oeuvre sur le plan des droits imposés?
M. Isaiah A. Litvak: Non.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Duncan.
M. John Duncan (Île de Vancouver-Nord, Alliance canadienne): Merci beaucoup.
Vos opinions sont partagées par un grand nombre d'entre nous qui ont fait du commerce avec les États-Unis à divers niveaux.
Dans votre mémoire, vous citez l'Institut C.D. Howe qui affirme qu'il ne suffit pas que le Canada aligne ses taux d'imposition sur ceux des Américains. Je suis convaincu que si nous voulons être en position de force face aux forces naturelles de nos voisins américains, il nous faut dépasser les Américains sur le plan fiscal. À votre avis, quel serait le résultat pour nos relations commerciales si nos taux d'imposition étaient inférieurs?
¿ (0950)
M. Isaiah A. Litvak: La Business Roundtable et les autres groupes de lobbyistes industriels américains applaudiraient sans doute.
On constate de façon manifeste, du moins dans les pays industrialisés, le groupe de l'OCDE, que l'on fait constamment des comparaisons des taux d'imposition, celui des sociétés et celui des particuliers. Je pense qu'il serait juste de dire qu'aucune association d'industriels ou groupes de gens d'affaires ne prétend que les taux d'imposition sont assez bas.
S'il y a un autre pays...par exemple, l'Irlande est un bon cas de figure. La croissance là-bas a été phénoménale. On entend constamment réclamer une baisse du taux d'imposition.
Monsieur Duncan, ce que j'estime être le plus important est qu'il ne faut pas que nous nous démarquions trop des États-Unis. C'est notre concurrent le plus féroce. Prenons l'industrie des matières plastiques. Quand il s'agit d'installer une unité d'exploitation, dans le contexte Canada-États-Unis pour le marché de l'Amérique du Nord, on regarde minutieusement le taux d'imposition—c'est très important. Si l'écart est trop grand, cela nous fait du tort.
Je pense qu'il faut dire que l'écart de taux d'imposition n'est pas le seul facteur, bien entendu. Il y en a d'autres qui interviennent.
M. John Duncan: Pour pouvoir attirer au Canada le siège social d'une société, il faudrait absolument un taux d'imposition attrayant, n'est ce pas...? Étant donné que notre pays comporte d'autres désavantages comparatifs, il faudrait que nous ayons un avantage fiscal, par exemple. Ce serait un atout que nous pourrions avoir, n'est-ce pas?
M. Isaiah A. Litvak: En effet, c'est un atout très important.
Monsieur Duncan, selon moi—Dieu sait si mon jugement est imparfait—le défi est double. Comment garantir que la situation est assez attirante ici pour que certaines entreprises qui envisagent sérieusement de déplacer leur siège social ou une partie de ce dernier aux États-Unis puissent être convaincues de n'en rien faire? Il est fort possible qu'elles décident de le faire à l'avenir, mais quelles mesures devrions-nous prendre pour les convaincre de n'en rien faire?
Je voudrais revenir sur ce que M. Paquette disait quand il a parlé des petites et moyennes entreprises au Québec. Je suis convaincu que dans le contexte canadien les PME vont déboucher sur des sociétés plus importantes comme Nova, Bombardier, Alcan, alors qu'actuellement elles appartiennent à la catégorie des PME. Que faire pour que ces PME qui croissent et deviennent plus puissantes ne soient pas tentées d'installer leur siège social ou du moins leur centre décisionnel aux États-Unis?
Ainsi, il faut prévoir ce qui va dissuader les dirigeants d'entreprises d'envisager cette option en leur offrant une situation beaucoup plus attrayante, tout en reconnaissant qu'il y aura de plus en plus d'usines qui seront installées aux États-Unis, au Mexique ou ailleurs. Cela ne fait aucun doute.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Duncan.
Mme Jennings posera les dernières questions.
Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce--Lachine, Lib.): Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur Litvak. Vous avez dit que le gouvernement canadien aurait beau jeu de jouer la carte des intérêts régionaux face aux États-Unis et au Mexique. Avez-vous une assez bonne connaissance du secteur de l'acier?
Dans ma circonscription, j'ai des producteurs d'acier, ce qui m'a valu à un moment donné le caucus parlementaire de l'acier. Quand je suis arrivé sur la Colline, j'ai appris nettement que l'industrie de l'acier était la plus intégrée en Amérique du Nord, dépassant de beaucoup tous les autres secteurs quant à l'intégration de la production quant à la productivité, même si les fabricants d'acier canadiens étaient de fait plus productifs que leurs homologues américains, étant donné que nous avons procédé ici à une restructuration majeure avant les Américains.
Certains producteurs d'acier canadiens souhaiteraient des règles communes régissant la concurrence et le marché, une intégration à l'échelle de l'Amérique du Nord. Les Mexicains en souhaiteraient autant. Le comité est allé au Mexique pour parfaire son étude de l'intégration nord-américaine. On a constaté qu'on s'intéressait vivement, dans le secteur privé comme dans le secteur public—le gouvernement—à faire progresser les choses à l'étape suivante.
Malheureusement, aux États-Unis, l'écran radar du gouvernement ne transmettant pas tout ce que vous avez dit à propos du Canada...car les dirigeants du secteur de l'acier sont tout à fait conscients de la situation et ils collaborent très étroitement avec les intérêts canadiens et mexicains. En fait, lors du dernier différend à propos des règles antidumping, les Canadiens et les Mexicains ont exhorté leurs homologues américains à faire des démarches auprès des autorités américaines afin que le Canada et le Mexique soient exemptés des tarifs imposés.
Que pensez-vous de la possibilité d'infléchir la décision de législateurs américains pour que dans ce secteur au moins, on adopte une optique d'harmonisation et d'intérêts régionaux?
¿ (0955)
M. Isaiah A. Litvak: Vous avez cité un excellent exemple, l'industrie de l'acier. Je dirai ceci: Les antécédents de cette industrie la servent très bien.
Cela va peut-être vous étonner, mais avant la constitution de l'Association canadienne de l'industrie de l'acier, il n'existait pas d'association nationale de l'acier au Canada. Dofasco, Stelco et d'autres grandes sociétés étaient membres du American Iron and Steel Institute. La raison pour laquelle nous avons désormais une association canadienne de l'industrie de l'acier, c'est que l'industrie de l'acier américaine a évolué dans une certaine voie, les Canadiens pensant qu'ils allaient lui emboîter le pas, ce qui ne s'est pas fait.
Je sais qu'il ne nous reste que quelques minutes, mais dans le cas de l'acier—secteur que je connais du reste assez bien—j'envisagerais l'établissement d'une association nord-américaine de l'industrie de l'acier, dont les Américains respecteraient la politique unique de sorte qu'ils feraient des démarches auprès du gouvernement américain.
Il serait souhaitable de garantir que lors des démarches faites au Congrès, les intérêts du Mexique et du Canada sont pris en compte. Ce serait à mon avis un résultat plutôt positif.
Mme Marlene Jennings: Merci beaucoup.
[Français]
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci beaucoup, madame Jennings.
[Traduction]
Merci beaucoup, monsieur Litvak, d'être venu ce matin. Votre témoignage a été très intéressant. Merci encore une fois.
M. Isaiah A. Litvak: Merci.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Nous allons faire une courte pause.
¿ (0959)
À (1008)
[Français]
Le vice-président (M. Bernard Patry): Nous allons maintenant reprendre nos travaux.
[Traduction]
Nous poursuivons, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, l'étude de la situation en Irak.
Nous accueillons ce matin, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, M. Donald C. Sinclair, directeur général, bureau du Moyen-Orient et de l'Afrique du nord et M. Dennis Horak, directeur adjoint, Affaires politiques pour l'Égypte, l'Iran et l'Irak, division du Moyen-Orient.
Bienvenue, messieurs. Vous avez une déclaration à faire, n'est-ce pas?
Allez-y, monsieur Sinclair.
M. Donald C. Sinclair (directeur général, Direction du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Merci, monsieur le président et membres du comité, de m'avoir invité à comparaître devant vous pour discuter de la situation en Iraq.
Depuis quelques mois, on se perd en conjectures quant à l'évolution probable de la situation en Iraq, et au Moyen-Orient en général. Je suis donc ravi de tenter aujourd'hui de clarifier les points de vue du Canada sur les nombreux problèmes épineux que continue de soulever l'Iraq pour la communauté internationale.
Depuis longtemps, la politique canadienne à l'égard de l'Iraq est axée sur deux grandes priorités: d'une part, nos préoccupations relatives aux intentions de l'Iraq concernant l'élimination de ses armes de destruction massive et, d'autre part, notre désir d'alléger les souffrances de la population de l'Iraq.
La question du désarmement de l'Iraq n'est toujours par réglée parce que l'Iraq refuse de se conformer aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. Bien que la CSNU ait accompli de grands progrès dans sa tâche de contrôle et de vérification des programmes de destruction des armes de destruction massive de l'Iraq, cette tâche n'était pas terminée lorsque les inspecteurs ont quitté le pays en 1998. Il y avait encore de grands trous dans les dossiers relatifs aux armes biologiques, aux armes chimiques et aux missiles. Même le dossier nucléaire, qui avait le plus avancé, n'avait pas encore été classé par l'AIEA avant son départ en décembre 1998. Il n'y a pas eu d'inspection depuis trois ans parce que l'Iraq refuse de laisser revenir les inspecteurs.
Nous craignons que l'Iraq en ait profité pour rebâtir ses capacités. La clé du dénouement de l'impasse actuelle est le retour immédiat et inconditionnel des inspecteurs des Nations Unies et l'entière collaboration de l'Iraq avec ces inspecteurs, conformément aux diverses résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies.
Le nouveau chef de l'agence d'inspection (la COCOVINU), M. Hans Blix, ancien chef respecté de l'AIEA, a déclaré qu'avec la coopération iraquienne, le désarmement pourrait être achevé en un an. Il y a donc espoir. Il y a eu des pourparlers entre les Nations Unies et l'Iraq en vue de dénouer cette impasse, mais sans succès.
Le programme humanitaire, par contre, a continué de s'améliorer. Dès le départ, la communauté internationale a tenté d'atténuer les conséquences des sanctions sur la population iraquienne. Les aliments et les médicaments ont été exclus dès le début et le Conseil de sécurité des Nations Unies a tenté d'instaurer un programme de pétrole contre nourriture dès 1991. Mais l'Iraq a refusé la mise en oeuvre de ce programme pendant cinq ans. Même après que le programme eut fini par être mis en place en 1996, des améliorations continues ont été apportées, en particulier au moyen de la résolution 1284 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui dressait des listes de fournitures pour lesquelles les formalités seraient accélérées.
Ces efforts ont maintenant abouti à la résolution 1409 du Conseil de sécurité des Nations Unies et la création d'une liste d'articles sujets à un examen, des articles à faire approuver par le comité de sanctions des Nations Unies. Les formalités relatives à tous les articles qui ne figurent pas sur cette liste seront accélérées, ce qui élargira grandement la portée des biens civils pouvant être importés facilement en Iraq.
Cette modification—qui reflète la recommandation de votre comité de mieux cibler les sanctions—devrait améliorer la situation humanitaire en Iraq, tout en maintenant le contrôle nécessaire pour que l'Iraq n'ait pas accès à du financement ou à des matériaux qui lui permettraient de rétablir ses programmes d'armement interdits.
Le Canada continuera d'exercer des pressions sur l'Iraq afin que ce pays se conforme à ses obligations et mette fin aux difficultés qu'il a créées pour sa population et à l'insécurité qu'il a apportée dans la région. Nous ne nous faisons pas d'illusion sur la capacité de changer de Saddam Hussein, mais nous croyons qu'un désarmement efficace, sous l'égide des Nations Unies, limitera grandement la capacité du régime de menacer ses voisins et contribuera à la sécurité de la région. Nous avons une responsabilité légale et morale d'appuyer cet effort.
À (1010)
Le Canada appuie la levée éventuelle des sanctions. Soyons clairs là-dessus. Nous avons travaillé d'arrache-pied pendant 12 ans pour contribuer à créer les conditions nécessaires à la prise de telles mesures, mais toujours conformément aux exigences des résolutions successives du Conseil de sécurité, à la volonté de la communauté internationale, surtout lorsque nous avons siégé au conseil récemment pendant deux ans.
À notre avis, il appartient maintenant à l'Iraq, comme toujours, de prendre les mesures nécessaires pour résoudre de façon satisfaisante cette question. Il dispose de tous les éléments pour le faire.
Je vous remercie, monsieur le président.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci beaucoup, monsieur Sinclair.
Nous allons maintenant passer aux questions. Nous commencerons par M. Martin. Vous avez cinq minutes.
M. Keith Martin: Merci beaucoup, monsieur Patry.
Je tiens à vous remercier, monsieur Sinclair et monsieur Horak, d'être à nouveau des nôtres.
Il est évident que ce qui nous préoccupe tous, ce sont les menaces d'une intervention en Iraq proférées par les États-Unis. Je crois que c'est principalement ce qui nous préoccupe ici. À votre avis, quelle preuve, et j'insiste sur ce mot, avons-nous de l'accumulation par l'Iraq d'armes de destruction massive?
Ma deuxième question est la suivante: Quelle est la résistance manifestée par les Iraquiens à la présence de M. Blix et de la COCOVINU en Iraq pour qu'elle s'acquitte de son mandat étant donné que les Iraquiens ne craignent plus, comme ils le craignaient dans le cas de la commission qui a précédé la COCOVINU, c'est-à-dire la Commission spéciale des Nations Unis sur l'Iraq, que ce ne soit que des espions américains, du moins c'est ce que je suppose?
Enfin, j'ai fait du travail sur la question connexe du trafic de diamants souillés de sang et un type du nom de Ari Ben-Menashe qui a eu certaines relations avec le ministère des Affaires érangères. Il vit à Montréal et est un ancien agent du Mossad. Je suis tombé sur certaines allégations très sérieuses, et j'aimerais simplement savoir ce que vous en pensez. Cela concerne Ben-Menashe; un type du nom de Victor Bout, qui est un trafiquant international d'armes, et un type du nom de Brendenkamp, qui est un autre trafiquant international d'armes. Ils prétendent qu'Israël a fourni des armes biologiques et chimiques à l'Iran et à l'Iraq pendant la guerre. Est-ce vrai ou s'agit-il simplement d'un mythe?
Merci beaucoup.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Sinclair.
M. Donald C. Sinclair: Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur Martin, en ce qui concerne la troisième question, il faudrait que vous la posiez aux personnes intéressées. Je n'ai jamais entendu parler de cela, et je ne voudrais pas parler au nom d'Israël, mais je doute fort que ces allégations soient fondées. Mais ici encore, c'est mon opinion personnelle. Si vous voulez une réponse concluante, vous devriez poser la question à Israël, je crois.
En ce qui concerne votre première question, la preuve d'accumulation d'armes de destruction massive, je crois que nous devons envisager la question en fonction de deux périodes, c'est-à-dire avant et après 1998. Nous ne sommes pas convaincus qu'avant 1998, les installations et les stocks d'armes de destruction massive aient été complètement éliminés. Donc nous avons des inquiétudes à propos des armes de destruction massive, notamment les missiles et les armes chimiques, biologiques et même nucléaires qui existaient avant 1998, et le départ des inspecteurs de l'ONU.
La situation est beaucoup plus difficile en ce qui concerne la période qui a suivi 1998. Il s'agit bien entendu d'une zone grise puisqu'aucun inspecteur de l'ONU n'a vérifié la situation. Nous ne savons vraiment pas ce que les Iraquiens ont fait après 1998 et c'est là ce qui explique les craintes des voisins de l'Iraq et effectivement du Conseil de sécurité et de la communauté internationale.
Nous estimons qu'il incombe à l'Iraq de nous prouver qu'elle n'a pas profité de cette période pour produire des armes de destruction massive. Nous considérons qu'il appartient à l'Iraq d'autoriser les inspecteurs à faire loeurs vérifications et à indiquer que tout est dans l'ordre. C'est tout ce que l'on veut. Si l'Iraq n'a rien à cacher, si au cours de ces trois années, l'Iraq n'a rien fait de répréhensible, alors que les dirigeants autorisent les inspecteurs à déterminer que tout est en ordre, ce qui d'après M. Blix prendrait environ un an, et nous pourrons mettre fin à cette déplorable situation.
Si vous voulez savoir si nous avons des preuves directes selon lesquelles Saddam Hussein stocke des armes de destruction massive depuis les trois dernières années, nous pouvons faire certaines observations. Tout d'abord, nous avons des doutes quant à ses intentions. Autrement dit, s'il avait la possibilité de le faire, il le ferait probablement. C'est ce que nous croyons. Deuxièmment, nous avons certaines indications de tentatives d'obtenir des types d'équipement de nos divers alliés dans le monde au nom du régime iraquien. Il peut s'agir de pièces détachées dont l'objectif n'est pas humanitaire et qui peuvent susciter de l'inquiétude à propos de leur utilisation possible.
À (1015)
M. Keith Martin: Je suis désolé, monsieur Sinclair, mais en quoi consistent ces divers éléments?
M. Donald C. Sinclair: Il s'agirait de pièces techniques qui pourraient faire partie d'un réacteur de recherche nucléaire ou d'un système de guidage de missiles ou dans un programme d'armes biologiques ou chimiques, mais qui ne seraient pas utilisées pour des hôpitaux et des écoles ni dans le cadre d'une recherche scientifique normale.
Des tentatives ont été faites pour se procurer certaines de ces pièces, ce qui nous ramène à l'aspect essentiel, c'est-à-dire que nous pouvons éclaircir cette situation grâce au retour des inspecteurs qui, en un an, pourront terminer leur travail. Nous sommes alors tous satisfaits et nous pouvons répondre à vos questions.
M. Keith Martin: Je vous serais très reconnaissant de bien vouloir déposer auprès du comité toutes les preuves que vous avez, quelles qu'elles soient.
Je vous remercie.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Sinclair.
Nous allons maintenant passer à Mme Lalonde, s'il vous plaît.
[Français]
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Merci.
Vous devez bien connaître la résolution adoptée par ce comité, qui commençait ainsi: «Soulignant publiquement la nécessité de remédier à titre urgent à la tragédie humanitaire en cours en Irak;», et qui proposait ensuite de «dissocier les sanctions militaires des sanctions économiques» et d'établir «une présence diplomatique canadienne en Irak».
J'ai fait sortir la liste des pays qui ont soit une ambassade, soit un point de chute quelconque ou une présence en Irak, et il y en a plus de 20, d'après ce que nous savons. J'aimerais savoir quelles suites ou quelles réponses sont données à cette résolution.
[Traduction]
M. Donald C. Sinclair: En ce qui concerne les mesures prises par la communauté internationale par l'intermédiaire du Conseil de sécurité de l'ONU, on a effectivement adopté la position de dissocier les sanctions économiques des sanctions militaires. Autrement dit, on a fait une distinction rigoureuse entre ce qui est strictement militaire et ce qui pourrait être utilisé dans le cadre d'un programme d'armes de destruction massive, et ce qui ne l'est pas, et on a complètement modifié la façon d'examiner les marchandises qui entrent en Iraq, afin de considérablement rationaliser le processus et rendre le secours humanitaire beaucoup plus efficace. Autrement dit, plutôt que d'examiner tous les produits destinés à l'Iraq afin de déterminer s'ils ont un objectif humanitaire ou militaire, on a décidé de dissocier ces produits en disant, «Nous allons examiner maintenant uniquement les produits militaires»—les produits qui figurent sur la liste d'examen des produits. Tout le reste est acceptable. On a complètement dissocié les produits militaires de tous les autres produits.
Je crois qu'en ce qui concerne le premier point, le Conseil de sécurité y a donné suite, et il s'agit d'un important changement de philosophie et de la façon dont on traite les marchandises à destination de l'Iraq.
En ce qui concerne la deuxième question, la présence d'une ambassade, nous aimerions beaucoup pouvoir réouvrir une ambassade à Baghdad, mais nous estimons qu'il faut auparavant que certaines conditions soient remplies. Nous ne voulons pas donner l'impression de récompenser l'Iraq parce qu'elle ne se conforme pas aux souhaits de la communauté internationale. Nous maintenons une présence à Oman. Nous avons un agent à Oman qui s'occupe exclusivement de l'Iraq, et lorsque les Iraquiens lui délivreront un visa—ce qui n'est pas évident—il pourra se rendre régulièrement à Baghdad. Nous avons une propriété, une propriété canadienne que nous louons, dans la ville de Baghdad.
Pour passer de cette situation, c'est-à-dire d'avoir un agent en poste à Oman, à une situation où nous avons une ambassade en bonne et due forme à Baghdad, il faut franchir un certain nombre d'étapes que nous examinerons au fur et à mesure que la situation s'améliorera, à mesure que l'Iraq commencera à prendre les mesures que nous considérons nécessaires. À notre avis, la communauté internationale a pris toutes les mesures nécessaires.
À (1020)
[Français]
Mme Francine Lalonde: Je veux revenir à la situation que nous appelons «tragédie humanitaire». Je sais que cette tragédie humanitaire est toujours en cours, quel que soit le nombre de morts consécutives aux sanctions que nous acceptions. Croyez-vous que la récente décision du Conseil de sécurité des Nations Unies permet la reconstruction des infrastructures de l'Irak qui ont été détruites par les bombardements?
[Traduction]
M. Donald C. Sinclair: Je crois que la réponse est oui. Il est tout à fait possible d'assurer la libre circulation de produits et fournitures humanitaires en Iraq si l'Iraq décide de les acheter. L'Iraq a ses propres ressources pour la vente de pétrole, qu'il peut appliquer à l'achat de produits et fournitures qu'il souhaite—pour les enfants, pour les écoles, à des fins alimentaires, pour les hôpitaux. À condition qu'aucun de ces produits et fournitures ne figure sur la liste d'armements, l'Iraq est libre d'importer ces produits. Les gens sont libres de les vendre.
Donc, je crois que la réponse à votre question est oui. L'Iraq a maintenant la capacité de s'occuper de sa propre population de la façon dont il le souhaite.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci.
Nous allons maintenant passer à M. Assadourian.
M. Sarkis Assadourian: Je tiens à vous remercier de votre analyse éclairée et des réponses aux questions que nous avons.
J'ai trois questions à vous poser. Je crois comprendre qu'il y a trois ou quatre ans, les sanctions imposées à l'Iraq étaient sur le point d'être levées par l'ONU, et tout le monde était d'accord. Les États-Unis sont alors intervenus en indiquant que la résolution prévoyait que la totalité des exigences et non simplement 99 p. 100 d'entre elles devaient être satisfaites. Est-ce vrai? Pouvez-vous le confirmer, oui ou non, ou quel est le contexte de cette situation? C'est ma première question.
Mon collègue, Keith Martin, a posé une question à laquelle vous n'avez pas eu le temps de répondre. À l'époque, Scott Ritter était ici, de même que M. Butler. On soutenait que la CIA devait avoir des liens avec les inspecteurs. Ils lui transmettaient de l'information. La position adoptée par l'Iraq était la suivante «Pourquoi est-ce que je collaborerais avec vous alors que vous travaillez avec mon ennemi? Comment puis-je collaborer avec vous alors que vous essayez de saboter mon pays et mon État en collaboration avec l'ennemi?» Et je crois qu'il s'agit d'une explication logique.
Troisièmement, pouvez-vous nous donner plus de précisions sur les zones d'exclusion aérienne dans le Nord et dans le Sud? De combien d'infractions s'agit-il? Quelle suite pouvons-nous y donner? Selon les cyniques, chaque fois qu'il y a un problème et que l'on veut détourner l'attention aux États-Unis, on bombarde les Iraquiens au nord et au sud. Est-ce vrai? Quelle est la situation?
M. Donald C. Sinclair: Je tiens à m'excuser; c'était effectivement l'une des questions posées par M. Martin et je vous remercie de l'avoir soulevée à nouveau.
Pour ce qui est de savoir si les sanctions ont été pratiquement levées il y a trois ou quatre ans, si c'est bien ce que vous avez dit, il ne faut pas oublier qu'il y a eu une grande divergence d'opinions parmi les membres permanents du Conseil de sécurité sur la façon de s'occuper de la situation en Iraq. Je crois qu'il y a deux ou trois ans, ces divergences étaient très nettes. Essentiellement, les membres permanents étaient partagés à deux contre trois sur la façon de procéder.
En fait, c'était l'époque où le Canada siégeait au Conseil. Avec l'adoption de la résolution 1284, je ne dirai pas que c'était l'unanimité, ce n'est même pas l'unanimité aujourd'hui, mais on a assisté à une convergence de plus en plus grande des points de vue qui se trouvaient traduits dans la résolution 1284.
Cette résolution continue de présenter certaines ambiguïtés, ce qui témoigne de l'incapacité des membres permanents essentiellement de s'entendre sur ce qui mettrait réellement fin aux sanctions, sur les mesures à prendre et sur la façon d'y parvenir.
Depuis cette résolution, au cours des dernières années, la position des cinq membres permanents s'est même rapprochée davantage. L'établissement de la liste d'examen des produits et fournitures, qui avait reçu l'appui concret, par exemple, des Russes, contribuera nettement à apaiser les préoccupations humanitaires des nombreux membres du Conseil de sécurité, dont le Canada.
Donc, je crois que l'on a constaté une convergence de plus en plus grande des points de vue qui concernent la nécessité du retour des inspecteurs, la nécessité que le processus d'inspection même soit court, un an—que le travail peut être fait de façon rationnelle et efficace, et que nous pouvons laver l'Iraq de tout soupçon et finir par lever les sanctions. Par conséquent, je ne dirai pas qu'elles ont été pratiquement levées il y a trois ou quatre ans; il faut convaincre chaque membre du Conseil de sécurité.
En ce qui concerne la question de M. Martin sur les zones d'exclusion aérienne, je crois que M. Martin a posé une question à propos des obstacles. Qu'est-ce que l'Iraq considérait comme des obstacles au retour des inspecteurs?
L'un correspond de toute évidence à la question que vous avez soulevée, qui a d'ailleurs été reconnue, à propos des activités inappropriées de l'équipe d'inspection précédente. Cette situation a été corrigée, les choses ont changé et nous semblons être effectivement en train de régler ce problème particulier.
L'Iraq a également demandé que soient imposées des conditions particulières pour le retour des inspecteurs, quant à leur nationalité, quant aux endroits qu'ils pourraient visiter, quant aux activités qu'ils pourraient accomplir, quant à la durée de leur séjour. Le Conseil de sécurité indique qu'il n'a pas l'intention d'entamer des négociations détaillées avec l'Iraq sur ce genre de questions. Il est prêt à le faire pour ce qui est des questions logistiques, mais pas sur ces types de questions fondamentales. L'équipe d'inspection doit pouvoir agir librement, sinon elle ne pourra pas faire son travail de façon efficace là où elle veut le faire, quand elle veut le faire et de la façon dont elle veut le faire.
Les zones d'exclusion aérienne sont dans l'ensemble et je crois presque exclusivement patrouillées par des avions britanniques et américains. En cas d'incidents, nous parlons aux Britanniques et aux Américains des circonstances de ces incidents et ils nous informent lorsqu'ils ont l'impression d'être attaqués. Les systèmes défensifs ou offensifs terrestres sont verrouillés sur leurs avions et ils sont obligés de réagir de la façon dont ces avions militaires sont équipés pour le faire.
À (1025)
Ils volent régulièrement, mais il y a eu très peu d'incidents récemment. Je crois que je ne me trompe pas lorsque je dis que le nombre de ces incidents... Je n'arrive pas à me rappeler du dernier, où des avions britanniques ou américains ont été en acquisition de cible et où ils ont réagi par des moyens militaires. Nous espérons que cela ne se produira plus.
À (1030)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Je vous remercie, monsieur Sinclair.
Nous allons maintenant passer à Mme McDonough.
Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD): Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur Sinclair, si je vous ai bien compris et si j'ai pris correctement en note vos commentaires, vous avez dit essentiellement que la position du Canada pour ce qui est de la levée des sanctions est d'appuyer éventuellement cette mesure lorsque le moment sera indiqué. Ce que j'aimerais savoir, parce que j'aimerais poser quelques questions, c'est vraiment ce qu'il faudra pour reconnaître que le moment est arrivé, quand plus de 800 000 enfants de moins de cinq sont morts depuis l'imposition des sanctions.
Je sais que l'on essaie de dire qu'il y a une plus grande liberté depuis l'établissement du programme pétrole contre nourriture après 1996 et depuis d'autres mesures d'ouverture. C'était vraiment l'occasion pour l'Iraq d'acquérir ce dont il a besoin pour empêcher cette situation. Mais le rapport de l'UNICEF rendu public en février indique catégoriquement que les souffrances s'aggravent. Il ne s'agit pas simplement des répercussions sur les jeunes enfants, évidemment. Le niveau de malnutrition grave et chronique parmi l'ensemble de la population dépasse 22 p. 100, et les souffrances indescriptibles de la population ne font que s'aggraver.
Donc, nous sommes contre cette situation. Nous avons de la difficulté à déterminer les preuves de l'accumulation d'armes de destruction massive. Vous n'avez pas présenté de preuves mais vous avez dit que vous avez des «doutes» que si Hussein en avait la possibilité, il se procurerait des armes de destruction massive—c'est ce que vous croyez.
Donc, ceux d'entre nous qui sont très préoccupés par ces gens qui ne cessent de mourir, par cette malnutrition constante et aussi par le fait que cela aggrave la situation politique—il ne fait aucun doute qu'Hussein en tire parti, je crois que ça ne fait aucun doute—se demandent ce qu'il faudrait pour persuader notre propre gouvernement qu'il ne suffit plus simplement de mettre en balance les soupçons et les convictions avec la certitude de la mort d'un plus grand nombre de gens.
J'aimerais vraiment que vous répondiez à cette question parce que nous avons vraiment l'impression que l'on ne fait que mettre en balance des doutes, des opinions et des craintes, bien sûr, avec cette situation horrible, concrète, tangible et réelle que vivent les Iraquiens, particulièrement les enfants.
M. Donald C. Sinclair: Je vous remercie. Vous avez soulevé plusieurs questions.
Tout d'abord, nous devons, selon notre position, comprendre que l'Iraq a tous les moyens à sa disposition, y compris les recettes pétrolières, pour s'occuper de ses propres problèmes. Il existe d'autres interprétations que celle que vous avez donnée à propos du mode de vie et des conditions qui existent en Iraq ou dans diverses régions de l'Iraq où les situations diffèrent. Mais notre position, c'est que l'Iraq possède des ressources financières considérables provenant de la vente du pétrole, qu'il peut consacrer à la construction de palais, à la construction de projets grandioses, ou qu'il peut consacrer à son peuple; ou il peut faire preuve de cynisme et maintenir une situation sans s'occuper de ce problème particulier pour attirer l'attention sur ce problème. Mais c'est un choix que doit faire le gouvernement de l'Iraq.
Quand le moment est-il approprié? Je n'aime pas vous donner de réponse technique, mais le moment sera approprié lorsque le Conseil de sécurité de l'ONU sera convaincu que l'Iraq s'est acquitté de ses obligations en vertu d'une série de résolutions du Conseil de sécurité de l'Iraq, qui demandent à l'Iraq d'accepter la présence d'inspecteurs en armements. On espère que les inspecteurs indiqueront alors que tout est en ordre et que nos soupçons ne sont pas fondés, et nous en aurons alors terminé.
Il existe un certain nombre d'autres questions concernant les prisonniers du Koweit et l'indemnisation. Il y a donc d'autres questions. Mais la principale question dans cette horrible situation demeure celle d'armes de destruction massive et de missiles en Iraq. Et si la communauté internationale n'est pas convaincue que l'Iraq a fait ce qu'il dit avoir fait, et tout ce qu'il a à faire c'est de permettre à la communauté internationale de le constater, cela ne semble pas une requête exagérée ou irresponsable. Nous pourrons alors réellement aider l'Iraq à remettre sur pied son infrastructure.
À (1035)
Mme Alexa McDonough: Vous parlez de choix, comme si les enfants avaient un choix, ou comme si les parents des enfants en train de mourir ont un choix. Ne devient-il pas de plus en plus évident que s'il est vrai que l'Iraq possède les ressources nécessaires pour répondre à ses propres besoins, que le maintien même des sanctions devient un prétexte pour ne pas le faire? Pourquoi ne pas lui retirer le prétexte qu'il utilise, pourquoi ne pas priver l'Iraq de ce qui permet à Hussein de faire croire à la population que ses besoins ne sont pas satisfaits à cause des sanctions et aussi éliminer ce que je considère comme le plus grand obstacle à l'inspection parce que cela devient le prétexte utilisé?
M. Donald C. Sinclair: Cette approche nous préoccupe pour diverses raisons. Tout d'abord, elle ne traite pas de la question des armes de destruction massive, parce qu'on lève simplement les sanctions pour éliminer l'argument qui milite en faveur des sanctions. Comment savez-vous que la levée des sanctions incitera l'Iraq à consacrer de l'argent à ses propres enfants plutôt qu'à un programme d'armements? Comment savez-vous--
Mme Alexa McDonough: Ce serait préférable à la situation actuelle.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Je suis désolé, mais votre temps est écoulé. Nous devons maintenant céder la parole à M. Harvard.
M. John Harvard (Charleswood St. James—Assiniboia, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président.
Je tiens à remercier les témoins.
J'aimerais poser moi aussi une ou deux questions à propos des sanctions. Nous sommes en 2002. Les sanctions sont en vigueur depuis plus de dix ans, et même si elles sont en vigueur depuis aussi longtemps, notre pays et je crois la plupart des autres pays du monde, sont préoccupés par l'arsenal que possède Saddam Hussein, sans compter le fait bien entendu que Saddam Hussein est toujours au pouvoir.
Donc, il y a plus de dix ans que les sanctions ont été imposées et un autre témoin nous dira ce matin, monsieur Sinclair, que la malnutrition demeure un phénomène répandu et que les taux de mortalité ne cessent d'augmenter. Je crois que ce témoin qualifiera même les sanctions en vigueur—j'utiliserai le mot—de génocide. Et en ce qui concerne le programme de pétrole contre nourriture, ce témoin nous dira que ce programme a transformé le pays en énorme camp de réfugiés et a réduit les Iraquiens à un statut de mendiants qui troquent de la nourriture contre des vêtements pour enfants, des médicaments indispensables, des objets ménagers, de la viande, des oeufs et d'autres produits alimentairesde première nécessité.
Donc la question que je vous pose, monsieur Sinclair, est assez directe. Le programme de sanctions a-t-il été efficace? A-t-il donné des résultats?
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Sinclair.
M. Donald C. Sinclair: Je ne peux pas deviner ce qu'un prochain témoin pourrait dire, mais en prévision--
M. John Harvard: Je viens de vous indiquer ce qu'il allait nous dire.
M. Donald C. Sinclair: --permettez-moi de vous citer les remarques du secrétaire général des Nations Unies:
Je tiens à répéter que grâce au financement accru du programme, le gouvernement de l'Iraq est effectivement en mesure de satisfaire aux besoins nutritionnels et de santé de la population iraquienne, particulièrement des besoins nutritionnels des enfants. |
Cela revient une fois de plus à la question de savoir qui a l'argent, qui a la capacité et qui a la responsabilité de s'occuper de cette situation particulière et qui peut réellement le faire. Le secrétaire général des Nations Unies considère que le gouvernement de l'Iraq est à la fois responsable et capable, et est obligé moralement de s'occuper de ces problèmes particuliers. Les opinions diffèrent.
Quant à savoir si les sanctions ont été efficaces, je crois qu'on ne peut répondre oui qu'une fois que seront réunies les conditions nécessaires pour leur retrait—à savoir que nous sommes tous convaincus que le programme d'armes de destruction massive et de développement de missiles de l'Iraq a pris fin. Lorsque nous en serons là, et lorsque les sanctions seront levées, je crois que nous pourrons alors dire qu'effectivement les sanctions ont été efficaces. Mais je crois qu'il est prématuré pour l'instant de dire si les sanctions ont été efficaces. Il s'agit d'un moyen d'arriver à une fin, et la fin, c'est la volonté de la communauté internationale, comme le traduisent les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, d'établir une fois pour toutes que l'Iraq ne possède pas d'armes de destruction massive et n'est pas en mesure d'en produire.
À (1040)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Une brève question, monsieur Harvard.
M. John Harvard: Vous avez répondu sans trop de détours au nom du gouvernement du Canada que les sanctions ont été efficaces. Cependant, ne convenez-vous pas que même si vous avez raison lorsque vous dites que les sanctions ont été efficaces, qu'elles ont été imposées au prix de très grands sacrifices pour la plupart des Iraquiens? Ne croyez-vous pas que la population a chèrement payé ces sanctions?
M. Donald C. Sinclair: Oui, je suis d'accord. Je crois aussi que ce n'est pas aussi simple que cela. Je crois que Saddam Hussein a fait payer un très lourd tribut au peuple iraquien. Je crois qu'il porte la responsabilité morale de sa situation. Autrement dit, la production clandestine d'armes de destruction massive, l'attaque contre l'Iran, l'invasion du Koweït, la dévastation du Koweït... N'oublions pas l'infrastructure du Koweït, les enfants et les prisonniers koweitiens, tout cela fait partie de cette histoire effroyable.
Alors, si vous me demandez si le peuple iraquien a souffert des sanctions, je pense que la réponse est oui, mais si vous voulez savoir qui est responsable de cette situation, à notre avis c'est clairement Saddam Hussein.
Nous voudrions bien mettre fin aux sanctions. Si elles étaient bénignes, nous n'aurions pas besoin de le faire, mais elles ne sont pas bénignes. Elles ont eu des répercussions sur l'Iraq et sur le petit peuple. Au cours de ces 10 années, la communauté internationale l'a constaté et a beaucoup progressé, notamment en modifiant sa façon d'aborder ce problème, en reconnaissant exactement cela, pour rectifier la situation sur le plan humanitaire. Mais nous continuons d'affirmer que pendant que la communauté internationale faisait cela, l'Iraq n'a rien fait du côté des armes. Voilà l'impasse dans laquelle nous nous trouvons actuellement.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Sinclair.
Nous passons maintenant à M. Duncan et nous terminerons avec M. Keyes.
Monsieur Duncan, vous avez la parole.
M. John Duncan: Merci.
Merci pour vos exposés.
J'ai une simple question qui concerne les armes de destruction massive et le fait que les États-Unis se sont prononcés de façon très ferme à cet égard. Ils disent que ces déclarations se fondent sur les informations qu'ils ont recueillies.
Je voudrais savoir si le Canada reçoit les mêmes informations que les États-Unis?
M. Donald C. Sinclair: Je crois que la réponse, c'est seulement si les États-Unis décident de nous communiquer ces informations. Ce sont eux qui les recueillent. Ils en partagent certaines, peut-être ils les partagent toutes, je ne suis pas sûr—avec leurs alliés. Peut-être qu'ils se contentent de communiquer leurs conclusions concernant ces renseignements, plutôt que les renseignements eux-mêmes. Il y a toutes sortes de moyens et de mécanismes.
M. John Duncan: Je pose cette question, en tant que parlementaire canadien, nous rencontrons de temps à autre nos homologues américains. Certains d'entre eux sont membres de comités du renseignement et ils me semblent vraiment certains de ce qu'ils avancent et ils doivent l'être parce que leur gouvernement leur communique certaines informations privilégiées qui leur permettent d'être aussi catégoriques.
Nous, les parlementaires canadiens, nous ne savons jamais. Les questions que j'ai posées et la réponse que j'ai obtenue me montrent encore une fois que non seulement les parlementaires canadiens ne sont pas au courant, mais que le gouvernement canadien lui-même peut-être n'est pas au courant non plus. Diriez-vous que c'est le cas?
À (1045)
M. Donald C. Sinclair: Non, je ne crois qu'on puisse faire une telle affirmation. Nous coopérons avec nos alliés dans toutes sortes de lieux et de domaines. Nous avons une coopération bilatérale, une coopération dans le cadre de l'OTAN, toutes sortes de formes de coopération. La campagne contre le terrorisme international en est une manifestation. Nous avons des échanges réguliers de renseignements utiles avec nos alliés. Je ne dirais donc pas que nous ne sommes pas au courant de ce que pensent nos amis et alliés.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Sinclair.
Monsieur Keyes, s'il vous plaît.
M. Stan Keyes (Hamilton-Ouest, Lib.): Merci, monsieur le président.
J'ai une simple question à poser à M. Sinclair, qui est directeur général pour le Proche-Orient. Vous reconnaissez que les spéculations vont bon train sur ce qui risque de se passer en Iraq, et vous êtes heureux d'avoir la possibilité de préciser la position du Canada. Je pense que ma question s'impose. Si les États-Unis déclenchent une guerre contre l'Iraq, le Canada va-t-il les appuyer?
M. Donald C. Sinclair: Nous ne sommes que des fonctionnaires. Ce sont les politiciens, les parlementaires et le cabinet qui prennent ce genre de décisions. Tout ce que je peux faire, c'est vous rappeler ce que le premier ministre a dit quand on lui a posé la question. Il a dit que le Canada examinerait ces problèmes au cas par cas en tenant compte des informations disponibles sur le moment, notamment les informations fournies par les États-Unis, et que nous prendrions notre décision à ce moment-là. Mais aujourd'hui, le 4 juin... Ce n'est pas le jour où il a fait cette réponse, mais quand il l'a faite, il a dit que c'était de la pure spéculation et qu'il ne voulait pas se laisser entraîner à répondre à une telle question.
Je crois que c'est la meilleure réponse et la plus sûre que je puisse donner à votre question.
Le vice-président (M. Bernard Patry): On se croirait à la période des questions.
Merci beaucoup, monsieur Sinclair et monsieur Horak d'être venus nous rencontrer ce matin.
Nous suspendre nos travaux deux minutes avant d'entendre les prochains témoins.
À (1052)
À (1058)
[Français]
Le vice-président (M. Bernard Patry): Nous allons reprendre nos travaux, s'il vous plaît. Nous recevons maintenant
[Traduction]
à titre personnel, M. Scott Ritter, ancien inspecteur en chef de l'ONU pour le désarmement en Iraq, et M. Denis Halliday, ancien coordonnateur de l'ONU pour l'aide humanitaire à l'Iraq.
Bienvenue à tous les deux. Je crois que vous avez une déclaration orale.
Monsieur Halliday, voulez-vous commencer?
M. Denis Halliday (témoigne à titre personnel): Bonjour et merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Je suis très heureux d'avoir de nouveau l'occasion de vous rencontrer, même si j'ai l'impression de faire un peu double emploi puisque M. Sinclair a clairement montré que les sanctions économiques étaient indéfendables. Je ne suis pas certain que vous ayez vraiment besoin de moi aujourd'hui.
Je n'ai pas de texte écrit et je dois présenter mes excuses aux interprètes. Je dois et je vais essayer de parler lentement. Ils font un travail difficile, et je le sais bien pour avoir travaillé 30 ans aux Nations Unies.
Ces audiences publiques sur la question des sanctions des Nations Unies contre l'Iraq et son peuple sont pour moi l'expression d'un gouvernement de très haute qualité tel qu'on le conçoit pour le Canada. Malgré les déceptions que votre politique étrangère ait pu susciter ces dernières années au niveau du Conseil de sécurité à propos de l'Iraq, je demeure convaincu que le Canada peut contribuer à mettre fin au châtiment que les Nations Unies imposent à des civils iraquiens innocents, des sanctions disproportionnées et incompatibles avec la Charte, la Déclaration universelle des droits de l'homme et bien d'autres textes internationaux, en faisant pression sur Washington, votre allié, votre ami, votre principal partenaire commercial, pour qu'il change ses politiques, pour qu'il réfléchisse—par exemple pour que les États-Unis abandonnent leur volonté de vengeance, leur soif de vengeance, leur peur simpliste du président de l'Iraq, pour qu'ils écoutent leurs alliés européens, arabes et autres, et notamment le Canada qui prônent des solutions non violentes par opposition à l'agression militaire qui semble malheureusement se profiler; le Canada peut aussi insister auprès des États-Unis pour qu'ils mettent fin à leur politique de non-respect du droit international qui a commencé durant la guerre du Golfe, durant cette guerre elle-même et qui s'est poursuivie depuis, avec l'imposition d'une zone d'interdiction de survol, des bombardements et d'autres formes d'agression, et faire en sorte que les États-Unis, le Canada et les Nations Unies reprennent le dialogue avec l'Iraq.
Qu'on demande à M. Rumsfeld de repartir à Bagdad où il est allé rencontrer Saddam Hussein en 1983. Qu'il reprenne le dialogue, pourquoi pas?
Il ne faut pas nous contenter de mettre fin à la destruction et aux souffrances des Iraquiens qui durent depuis 12 ans, mais amener l'Iraq à la table des discussions sur le Proche-Orient car sans l'Iraq, nous ne verrons jamais la fin de la crise permanente qui ravage cette région du monde.
J'aimerais en venir à la récente résolution du Conseil de sécurité, la résolution 1409 du 24 mai, je crois, où il est question de sanctions intelligentes. Permettez-moi de vous lire un passage de The Economist, une revue de renom, que certains d'entre vous respectent même encore plus qu'un vieux radical comme moi. L'article s'intitule «Chirurgie esthétique». Il est parfaitement clair:
Douze ans après sa mise en place, le siège de l'Iraq est un peu allégé. Les nouvelles règles adoptées le 14 mai par le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui permettent à ce pays d'importer un plus vaste éventail de denrées avec moins de complications, devraient améliorer la situation pathétique des simples Iraquiens, et déplacer la responsabilité de la misère du pays des assiégeants de l'Iraq vers l'homme qui détient les clés du château, Saddam Hussein. |
Ce n'est pas en laissant entrer quelques camions de plus à Bagdad qu'on va mettre fin au blocus... L'ONU contrôle toutes les recettes des exportations légales de l'Iraq. Elle n'autorise pas les investissements étrangers qui permettraient à l'Iraq de rétablir son industrie, son agriculture et ses réseaux sanitaires en ruines. On perpétue ainsi la dépendance de l'Iraq à l'égard des importations rationnées par l'État et, comme les revenus du pétrole ne peuvent pas servir à payer les salaires des fonctionnaires—on prive de salaires les enseignants, les médecins et les infirmières. |
Le programme pétrole contre nourriture des Nations Unies a permis d'enrayer une détérioration catastrophique du niveau de vie... Toutefois, ses procédures sont tellement lourdes qu'il faut de six mois à un an pour amener une cargaison à l'Iraq. Des commandes de quelque 5,3 milliards de dollars sont gelées parce que les Américains et les Britanniques craignent qu'elles aient un but militaire. Au total (depuis le début de 1997), les recettes de 54 milliards de dollars du pétrole vendu dans le cadre de ce programme n'ont permis de faire venir en Iraq que pour 20 milliards de dollars de denrées. |
Donc, ils ont tiré 20 milliards de recettes de vente de 54 milliards.
Cela ne représente que 41 cents par jour et par personne, un montant bien insuffisant pour rétablir une infrastructure totalement démantelée et restaurer la qualité de vie du peuple. |
L'article de The Economist est assez remarquable. Je ne m'attends pas à trouver ce genre de déclaration dans cette revue, et je m'en suis réjoui. En fait, j'ai probablement peu de choses à ajouter à cela, sauf pour souligner qu'heureusement, il n'y a plus la crise majeure de pénurie de denrées de base que j'ai observée quand je suis arrivé à Bagdad en 1997, même si la qualité et même la quantité laissent encore à désirer pour la majorité des Iraquiens. Il manque toujours des vitamines, des minéraux et des protéines, notamment, dans l'alimentation de nombreux Iraquiens. Cela entraîne, comme on vient de vous le dire, une anémie généralisée, peut-être chez plus de 70 p. 100 de la population, et des niveaux de malnutrition qui pourraient être de l'ordre de 15 à 20 p. 100, ainsi qu'un taux de mortalité infantile ahurissant. Comme vous le savez, je crois qu'en 1990 le taux était d'environ 50 pour 1 000 naissances vivantes et qu'il est maintenant passé à environ 130 pour 1 000 naissances vivantes.
Le fléau le plus meurtrier, ce sont les maladies hydriques causées, comme un des membres du comité l'a déjà dit, par les bombardements délibérés et illégaux d'infrastructures civiles, de réseaux électriques, de réseaux de traitement et de distribution d'eau et de réseaux sanitaires durant la guerre du Golfe. L'Iraq était et demeure une société urbaine. Environ 70 p. 100 des Iraquiens vivent en ville et dépendent de ces installations sanitaires.
Les structures détruites n'ont pas pu être complètement réparées à cause des décisions du Conseil de sécurité de l'ONU qui a interdit ce genre d'investissement, avec l'appui de mon propre pays, l'Irlande et du Canada. Près de 12 ans après, nous n'avons pas encore autorisé les Iraquiens à reconstruire leurs infrastructures, sans parler de leur économie essentielle. Tant le Canada que l'Irlande, comme je l'ai dit, se sont associés à ces décisions prises évidemment à l'instigation de Londres et de Washington.
Comme le dit The Economist, pour mettre fin à la destruction d'Iraquiens innocents, il faut que l'ONU et nous-mêmes nous mettions fin à ce châtiment, à l'embargo économique et, par tous les moyens, que nous appliquions le paragraphe 14 de la résolution 687 qui exige le retrait des armes de destruction massive de tous les pays du Proche-Orient, y compris naturellement l'Iraq.
Prenons la décision de sanctionner le commerce des armes au lieu de la population innocente de l'Iraq. Cette punition incessante de civils et ses conséquences meurtrières, et le fait que le Conseil de sécurité des Nations Unies est parfaitement au courant de ces conséquences, amènent beaucoup d'entre nous à considérer les États membres du Conseil de sécurité coupables de génocide.
Je ne demande pas à votre comité d'approuver cette notion. Voici plutôt ce que je voudrais vous suggérer. D'une part, le Canada pourrait entamer directement le dialogue avec l'Iraq, en tant qu'État souverain indépendant fort d'une tradition extraordinaire, et je crois qu'il a le devoir et la responsabilité de faire la différence. Deuxièmement, le Canada pourrait demander aux États-Unis d'annuler la loi américaine qui réclame l'assassinat, ou, pour reprendre les termes de M. Powell, le «changement de régime», pour qu'on puisse avancer de manière plus positive. L'assassinat de dirigeants étrangers ou leur élimination, quel que soit le terme qu'on utilise, n'est pas compatible avec l'appartenance aux Nations Unies ni, je crois, avec la Constitution de ce pays parmi bien d'autres. Troisièmement, il faudrait que le Canada exhorte l'ONU et Washington en particulier à établir un objectif de désarmement pour l'Iraq.
Je suis en train d'empiéter sur le domaine de mon ami et collègue M. Ritter. Comme vous le savez, dans le passé, dans le cadre de la SCNU et maintenant de la COCOVINU, on n'a jamais fixé d'objectif précis aux Iraquiens pour ce désarmement, et par conséquent ils n'ont jamais pu atteindre un tel objectif. Je suis sûr que Scott en parlera beaucoup plus éloquemment que moi.
J'aimerais que le Canada reconnaisse que seuls les Iraquiens comprennent vraiment la complexité de leur histoire, de leur pays et de leurs besoins sociaux et politiques. On ne peut pas faire cela à distance, en devinant ce qui se passe dans la tête des habitants de ce pays.
Á (1100)
J'aimerais que le Canada facilite le changement de l'intérieur en mettant fin à la violation de la souveraineté de l'Iraq par les Nations Unies et les États-Unis, en faisant cesser les menaces militaires et les interventions extérieures. J'aimerais que nous constations que l'Iraq a accepté cette année le contrôle de l'Agence internationale de l'énergie atomique et celui de la Commission des droits de l'homme. C'est un énorme pas en avant qu'il faut reconnaître.
Je crois qu'il faudrait que le Canada essaie de mettre fin à l'isolement et l'aliénation dangereux de l'Iraq aujourd'hui et, ce qui est peut-être même plus important, de ses dirigeants de demain, et qu'il aide aussi l'Iraq à reconstruire son économie. Il faut remettre les Iraquiens au travail, leur permettre de retrouver un revenu, un pouvoir d'achat, restaurer la valeur du dinar et permettre la relance de la production pétrolière qui a beaucoup diminué depuis 1990. Il faut relancer le bâtiment, reconstruire l'éducation, la santé, au moins au niveau de 1990, avant la guerre du Golfe, et de préférence à un meilleur niveau.
Je souhaite aussi que le Canada fasse usage de ses bons offices et encourage les Kurdes iraquiens à mettre fin à leurs différends et à s'entendre sur une forme d'autonomie acceptable de part et d'autre. Ils sont proches et c'est possible, mais les interventions de la Grande-Bretagne et des États-Unis sapent la volonté des Kurdes du nord de l'Iraq de s'entendre avec l'Iraq et cette région du monde, où ils ont bien l'intention de demeurer, comme ils pourront vous le dire, et comme ils me l'ont dit quand j'y étais récemment. J'aimerais que le Canada soit à la tête des efforts visant à ramener l'Iraq dans le giron international en tant que partenaire et qu'il entame la tâche de construction de la paix dans toute la région du Proche et du Moyen-Orient.
Enfin, j'aimerais que le Canada commence à effacer certaines des taches qui ternissent les Nations Unies, avec un Conseil de sécurité qui emploie deux poids, deux mesures. Nous venons d'en avoir l'illustration avec nos amis des Affaires étrangères.
Le Canada n'a apparemment pas d'ambassade à Bagdad parce que l'Iraq ne respecte pas les résolutions de l'ONU, mais je crois que vous avez une ambassade en Israël. Or, je crois que le gouvernement israélien méprise de façon encore plus flagrante les résolutions de l'ONU.
M. Sinclair nous a dit que l'Iraq pouvait acheter n'importe quoi, mais il a oublié de préciser qu'il n'a pas les ressources légitimes voulues en vertu du programme pétrole contre nourriture des Nations Unies pour le faire, sans parler de toutes les listes et de tous les pièges et de toute la complexité de l'administration des Nations Unies. M. Sinclair a peut-être raison de penser que Bagdad pourrait faire mieux—et j'ai tendance à être d'accord avec lui—mais si nous exigeons du gouvernement de Bagdad des normes aussi élevées, pourquoi ne commençons-nous pas par faire mieux nous-mêmes? Et en plus, pourquoi punissons-nous encore plus le peuple iraquien parce que son gouvernement n'améliore pas la situation?
Pour conclure, je suggérerais que le Canada porte un regard critique sur le Conseil de sécurité des Nations Unies, sur la corruption du pouvoir de veto, sur le rôle de l'intérêt égoïste dans les décisions du Conseil, tout cela s'appliquant dans le cas des sanctions à l'égard de l'Iraq. Ce n'est pas là, à mon avis, l'ONU que le Canada a si bien servie pendant de nombreuses années.
Je crois que le gouvernement canadien a une occasion de prendre l'initiative, de faire évoluer la politique des Nations Unies et des États-Unis, et de remédier à la catastrophe des sanctions contre l'Iraq. Je vous implore, mesdames et messieurs du comité, de prendre cette initiative car elle sera non seulement dans l'intérêt du peuple iraquien, mais naturellement dans l'intérêt du Canada.
Merci.
Á (1105)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Halliday.
Monsieur Ritter, je vous en prie.
M. Scott Ritter (témoigne à titre personnel): Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs les membres du comité, je suis très honoré de m'adresser à vous aujourd'hui. Un peu plus loin dans mon exposé, je vous expliquerai pourquoi moi, qui suis un citoyen américain, je m'adresse à votre organisme canadien? Et j'aimerais tout d'abord souligner que ces audiences sont une expression de démocratie dont le Canada doit se féliciter. Ce genre de manifestation de la démocratie, où les représentants de votre gouvernement s'expriment sur l'Iraq et où vous ouvrez le débat et la discussion en écoutant divers points de vue dans le cadre d'un dialogue, n'a certainement pas cours actuellement dans mon pays.
Je félicite donc le Canada de mettre en pratique ainsi la démocratie et de prendre cette initiative. C'est une des raisons pour lesquelles je suis profondément honoré de comparaître aujourd'hui devant ce comité.
Je crois qu'en fin de compte la seule façon d'éviter...non pas de croiser le fer, car on ne croise pas le fer actuellement entre les États-Unis et l'Iraq, on se prépare véritablement à la guerre. Et la guerre va avoir lieu si on ne fait rien pour l'empêcher. Mon Congrès vient d'adopter un projet de loi d'urgence supplémentaire pour le ministère de la Défense qui a pour effet de réarmer nos forces militaires et de les équiper de munitions à guidage de précision qui ont déjà été utilisées dans la guerre contre le terrorisme en Afghanistan pour qu'elles puissent être utilisées dans la guerre contre la terreur en Iraq.
Une fois que nos arsenaux seront reconstitués, nous allons tout simplement entrer en guerre. Et quand nous allons entrer en guerre, les retombées ne se limiteront pas aux États-Unis, mais le Canada lui aussi en paiera le prix. Vous devez donc, vous les Canadiens, intervenir. Vous n'avez pas le choix.
L'Iraq n'est pas une question intellectuelle. Ce n'est pas un jeu de diplomatie. Ce n'est pas un problème qui peut se régler par échange de bouts de papier entre diplomates à une table des Nations Unies. L'Iraq, c'est un pays qui souffre des sanctions. C'est une nation qui a été ravagée par la guerre. C'est une nation qui va de nouveau être ravagée par la guerre si l'on n'intervient pas de façon radicale.
Si le Canada, l'OTAN, l'Europe et les autres pays démocratiques amis des États-Unis continuent à rester sur la touche en pratiquant des politiques qui ne sont que des formes de camouflage d'une inaction totale, les États-Unis vont entrer en guerre contre l'Iraq, c'est aussi simple que cela.
Pourquoi les États-Unis parlent-ils de faire la guerre à l'Iraq? Je pense que cela est ressorti très clairement de vos discussions d'aujourd'hui. C'est la prétendue poursuite de la fabrication d'armes de destruction massive par l'Iraq qui alimente toute la litanie de critiques contre le régime de Baghdad.
Parlons des armes de destruction massive. Je suis ici parce que j'ai été inspecteur principal des armements en Iraq de 1991 à 1998.
Je pense que je dois aussi aller au fond de la vérité quand je parle de moi. J'ai ma carte du Parti républicain et j'ai voté pour George Bush aux élections présidentielles. Je ne suis pas un membre de l'opposition qui véhicule un programme politique. Pas du tout. Je suis ici à titre de témoin de l'histoire détenteur de connaissances et d'informations directes sur le désarmement de l'Iraq.
Les autorités supérieures du gouvernement américain persistent à affirmer presque quotidiennement qu'elles savent que l'Iraq continue de posséder et de se doter d'armes de destruction massive, mais n'ont pas été en mesure d'avancer la moindre preuve de ces affirmations. Pourquoi? Parce que ces preuves n'existent pas.
Je vous dis ceci en tant que personne qui a la réputation d'avoir peut-être été l'inspecteur le plus implacable en Iraq, le plus têtu, celui qui a failli pousser l'Iraq à la guerre à plusieurs reprises à cause des inspections des armements. Je ne suis pas tendre avec l'Iraq. Je ne suis pas tendre sur la question du désarmement. Mais je vis dans le monde de la réalité et voici ce que je vais vous dire: si nous appliquions les normes initiales de la résolution 687 qui réclamait le désarmement de l'Iraq à la situation qui prévalait en Iraq en décembre 1998, nous pourrions dire que l'Iraq a pleinement respecté la totalité de la résolution du Conseil de sécurité. L'Iraq est un pays désarmé au sens de l'intention initiale de la résolution du Conseil de sécurité, un point c'est tout.
Á (1110)
L'Iraq a été tenu de déclarer et d'éliminer la totalité de ses missiles balistiques. Il l'a fait. L'Iraq devait déclarer et éliminer sa capacité de production d'armes chimiques et éliminer son stock d'armes chimiques. Il l'a fait. L'Iraq devait déclarer son programme d'armes biologiques et ses stocks d'agent biologique, et procéder à ce désarmement sous la surveillance des inspecteurs. Il l'a fait. On peut dire la même chose de son programme d'armes nucléaires.
L'Iraq est fondamentalement désarmé. Il n'a plus la moindre capacité sérieuse d'avoir des armes de destruction massive. Or, les représentants de votre propre gouvernement en sont encore aujourd'hui à vous dire en toute bonne foi qu'ils ont peur que l'Iraq ait la capacité de se doter d'armes de destruction massive. Ils le disent parce que l'attitude de l'Iraq en ce qui concerne son désarmement n'a pas été très nette.
L'Iraq avait l'obligation de déclarer la totalité de ses armes dès le début. Il ne l'a pas fait. Il a conservé des quantités importantes d'armes de destruction massive, ainsi que les moyens de les produire. Ce n'est qu'après plusieurs années d'efforts concertés des inspecteurs du désarmement que nous avons finalement pu supprimer cette capacité. En exigeant cette suppression et à cause du fait que l'Iraq avait menti, nous avons renforcé les normes de vérification au point qu'il nous est devenu impossible d'avoir une certitude absolue sur certains aspects de son désarmement, et qu'il reste donc maintenant des lacunes. Mais ces lacunes ne signifient pas que le pays a une capacité de destruction massive. En fait, si l'on examine de près ces lacunes, on constate qu'on pourrait remédier à la plupart d'entre elles simplement en examinant les documents, mais une bonne partie de ces documents sont rejetés et qualifiés d'inacceptables par le Conseil de sécurité à l'instigation des États-Unis. Demandez-vous pourquoi.
Les États-Unis se préparent à entrer en guerre contre l'Iraq en invoquant le fait que l'Iraq continuerait à chercher à se doter d'armes de destruction massive. Or, je peux vous dire aujourd'hui, en tant qu'inspecteur du désarmement témoin des manipulations américaines du processus d'inspection du désarmement des Nations Unies en Iraq pendant sept ans, que le désarmement de l'Iraq n'est pas la première préoccupation de la politique américaine à l'égard de l'Iraq. C'est l'élimination de Saddam Hussein. Son élimination pure et simple. Les États-Unis manipulent donc les données pour fabriquer un casus belli en faisant croire que l'Iraq possède toujours des armes de destruction massive. Ce n'est pas juste.
Mesdames et messieurs, l'Iraq est désarmé. Il n'y aucune justification à cette guerre, mais elle va avoir lieu. Le Canada, en tant que dirigeant du monde libre—et vous êtes un des dirigeants du monde libre, et nous vous respectons en Amérique pour cela—a maintenant une occasion historique de se démarquer et de montrer son leadership. Si vous ne le faites pas, je crois que vous deviendrez un simple accident de l'histoire. Vous ne serez qu'un autre pion de la domination américaine du monde. Le Canada veut-il être une marionnette ou souhaite-t-il retrouver le rôle de leadership qu'il exerçait jadis?
Je vous conjure de réaffirmer votre place dans le monde de la même façon que vous pratiquez la démocratie aujourd'hui, en intervenant pour exiger la vérité. Et si cela veut dire que vous vous opposez à l'Amérique, votre ami, eh bien soit.
Merci beaucoup.
Á (1115)
La présidente suppléante (Mme Diane Marleau (Sudbury, Lib.)): Merci beaucoup, monsieur Ritter. Il faut reconnaître que ces paroles nous interpellent.
Nous allons maintenant passer aux questions. M. Martin va commencer.
M. Keith Martin: Merci beaucoup, madame.
Merci à vous aussi, monsieur Halliday, ainsi qu'à vous, monsieur Ritter, d'avoir eu le courage de venir ici, vous qui êtes américains, et de vous être exprimés avec tant de franchise.
Nous vous félicitons tous deux et nous applaudissons à vos propos.
Monsieur Ritter, vous avez décrit la somme de toutes mes peurs, et c'est la raison pour laquelle vous êtes tous deux ici aujourd'hui. Et cela, je le dis avec le plus grand sérieux. Les événements qui risquent de se produire sont extrêmement inquiétants pour les raisons que vous avez tous les deux mentionnées.
Je vous ai vu avec les Iraquiens à la télévision. Vous avez été très dur envers eux dans vos questions. Je vous en félicite donc.
En ce qui me concerne, mes questions portent sur plusieurs choses. Pour commencer, vous avez entendu ce que pensent nos propres fonctionnaires. Ils ont dit qu'à leur avis, Saddam Hussein était en train de se procurer des armes de destruction massive.
Vos conclusions reposent-elles sur les faits de 1998 ou sur ceux de 2002? En d'autres termes, pouvez-vous l'un et l'autre affirmer qu'en 2002, Saddam Hussein n'a pas tenté de se procurer des armes de destruction massive?
Ma seconde question s'adresse à vous, monsieur Halliday, et concerne la situation depuis le 11 septembre. Vous avez dit que les craintes nourries par les États-Unis à l'endroit de l'Iraq étaient simplistes. Comment parvenir, en realpolitik, à apaiser ces craintes des Américains à l'endroit de l'Iraq?
Par ailleurs, savez-vous si Israël a fourni des armes chimiques et biologiques à l'Iran et à l'Iraq pendant la guerre qui a opposé ces deux pays?
Enfin, qu'est-ce qui empêche actuellement l'Iraq de permettre l'intervention de COCOVINU étant donné que ce pays n'a plus à craindre les espions américains et aussi que, comme vous l'avez dit, la Commission de l'énergie atomique et Human Rights Watch ont été acceptées dans le cadre de COCOVINU?
Je vous remercie d'avance de bien vouloir répondre à ces questions.
Mais peut-être pourrais-je terminer en vous disant que j'ai lu le discours sur l'État de l'Union prononcé par M. Bush au début de l'année, là où il présentait ses quatre arguments contre Baghdad. Les deux derniers sont, bien entendu, irréfutables, mais dans le premier cas, le président Bush disait ceci: «L'Iraq continue à afficher son hostilité à l'endroit de l'Amérique et à aider le terrorisme.» À ma connaissance, rien ne prouve que l'Iraq aide Al-Qaïda. Comme deuxième argument, il ajoutait: «Le régime iraquien s'emploie en secret depuis plus de 10 ans à mettre au point des armes nucléaires ainsi que des vecteurs à l'anthrax et aux gaz neurotoxiques.»
Monsieur Ritter, pouvez-vous affirmer en toute certitude qu'en 2002, l'Iraq est une nation désarmée?
Je vous remercie.
Á (1120)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Ritter, je vous en prie.
M. Scott Ritter: Pour commencer, il ne faut pas oublier la raison pour laquelle les inspecteurs des Nations Unies ont quitté l'Iraq en décembre 1998. Ce n'est pas parce que l'Iraq les en avait chassés, c'est simplement que le gouvernement américain leur en avait donné l'ordre à la veille d'une nouvelle frappe militaire unilatérale qui avait été préparée grâce à des renseignements recueillis par ces mêmes inspecteurs qui avaient permis de déterminer les cibles à attaquer. Il ne faut donc pas oublier la raison pour laquelle il n'y a plus aujourd'hui d'inspecteurs en Iraq.
Ce que je puis vous dire par contre, c'est qu'en décembre 1998, nous avions un problème de calcul concernant l'arsenal de l'Iraq, c'est-à-dire tout son arsenal d'armes de destruction massive. Nous n'avions absolument aucun renseignement—pas un seul—qui nous aurait permis de conclure que l'Iraq avait encore des vecteurs interdits. Nous ne pouvions pas corroborer certains éléments des programmes de fabrication d'armes interdites des Iraquiens, mais, au total, les éléments que nous n'avions pas pu trouver ne constituaient pas pour autant un programme de fabrication d'armes de destruction de masse. Dès lors qu'on porte un jugement qualitatif sur l'analyse, au lieu de faire un simple décompte mathématique, la menace s'amenuise d'autant.
Qu'avons-nous appris depuis 1998? En apparence, on pourrait dire que nous n'avons rien appris étant donné que nous n'avons plus d'inspecteurs en Iraq. Par contre, il faut tenir compte du fait qu'entre 1994 et 1998, les inspecteurs du désarmement qui conduisaient ces inspections intrusives et sans préavis participaient également à un vaste programme de contrôle et de vérification utilisant les technologies les plus récentes et auquel des centaines d'établissements industriels iraquiens étaient assujettis. Pas une fois pendant ces quatre ans d'inspections constantes et répétées—et conduites avec l'entière coopération de l'Iraq—n'avons-nous pu trouver la moindre preuve que l'Iraq avait encore des vecteurs interdits ou essayait d'en obtenir à nouveau.
Certains de ces établissements industriels avaient été bombardés pendant l'opération Desert Fox, établissements industriels qui, aux dires du gouvernement Clinton, servaient à produire des armes. Eh bien, c'est parfaitement impossible car quelques jours encore avant ces bombardements, nous avions des inspecteurs sur place, et nous savions qu'il ne s'y passait rien d'illégal. L'Iraq a, depuis lors, reconstruit ces usines et c'est cet effort de reconstruction qui est plus souvent qu'à son tour cité par le gouvernement Bush comme preuve que l'Iraq continue à tenter de mettre au point des armes de destruction massive. Or, les Iraquiens reconstruisent des usines qui ont été bombardées par les États-Unis mais qui n'avaient jamais eu le moindre lien avec les activités proscrites.
On ne fabrique pas une arme de destruction massive dans un sous-sol. On ne fabrique pas d'armes de destruction massive dans une caverne. Il faut impérativement des installations à la fine pointe de la technologie. Pour pouvoir reconstituer son programme, l'Iraq aurait eu besoin d'une technologie qu'elle aurait dû se procurer sur le marché libre en violation de toutes les sanctions et à l'insu de la foule de services de renseignements—pas uniquement les services américains et canadiens, mais également ceux d'Israël, de l'Allemagne et ainsi de suite.
Aucun pays ne peut avancer plus que quelques maigres rumeurs concernant tel ou tel élément d'équipement qui aurait été acheté par les Iraquiens. Mais ces éléments d'équipement ne sauraient constituer un programme d'armements. Le plus souvent, l'acquisition de ces éléments d'équipement ne contrevient même pas au droit international. Le gouvernement iraquien essaie tout simplement de contourner les sanctions et d'obtenir le matériel dont il a besoin pour reconstruire sa société, ce qui lui serait impossible dans le cadre du régime actuel de sanctions.
La réalité, c'est que nous n'avons rien pu découvrir qui puisse prouver que les Iraquiens essaient de reconstituer leur arsenal de destruction massive. Par contre, nous ne pourrons en avoir la certitude que lorsque nous pourrons envoyer des inspecteurs. Alors arrêtons les conjectures et envoyons des inspecteurs.
Mais voilà qui nous amène à l'un des éléments importants: ce qui nous empêche d'envoyer des inspecteurs. L'Iraq est prêt à accepter des inspecteurs chargés d'assurer les volets scientifique et technique d'un désarmement. Moi qui ai dirigé la cellule de renseignement de CSNU, qui ai orchestré quatre années de coopération avec le gouvernement israélien pour arriver à désarmer l'Iraq, qui ai dirigé la coopération avec la CIA et les services de renseignement britannique et français, je puis vous dire que si COCOVINU se livrait au même petit jeu d'espionnage que CSNU, peu importe les raisons, tout honorables qu'elles soient, cette opération serait immédiatement vouée à l'échec.
Lorsque j'étais sur place, mon boulot consistait à désarmer l'Iraq et j'avais donc besoin de renseignements. Cela dit, les États-Unis d'Amérique vont toujours systématiquement manipuler le moindre renseignement obtenu par les inspecteurs dans son propre intérêt politique unilatéral qui est de détrôner Saddam Hussein.
Il faut impérativement faire en sorte que, quoi que fasse COCOVINU, ses activités restent axées sur les volets scientifique et technique du programme de contrôle conduit en Iraq et que les inspecteurs se gardent bien de faire de l'espionnage, un petit jeu extrêmement dangereux. Voilà un gros obstacle. Si CSNU n'existe plus, c'est qu'elle a été discréditée, non pas par l'Iraq, mais par ses propres actions à l'initiative des membres du Conseil de sécurité.
Á (1125)
Qu'est-ce que le Canada peut faire? Il peut faire valoir au Conseil de sécurité des Nations Unies qu'il doit exiger le respect total des mandats qu'il a lui-même imposés, pas seulement de la part de l'Iraq, mais également de ses membres eux-mêmes, et cela sans aucun écart.
Comment le Conseil de sécurité peut-il garantir à l'Iraq que les États-Unis n'abuseront pas une fois de plus de l'accès qui est donné aux inspecteurs sur son territoire dans son intérêt politique unilatéral? Cela, c'est un obstacle et c'est aussi une question qui appelle une réponse.
Pour ce qui est de la fourniture par Israël d'armes chimiques ou de moyens d'en produire à l'Iran ou à l'Iraq, je n'ai pas de réponse.
Ce que je peux vous dire, c'est que les prétendues inquiétudes en matière de sécurité que les Américains ont à l'endroit de l'Iraq ne sont corroborées par aucune menace que présenterait l'Iraq pour la sécurité nationale des États-Unis. Ces inquiétudes sont plutôt le reflet de la situation politique intérieure aux États-Unis qui a fait qu'en diabolisant Saddam Hussein, on a créé une conjoncture impossible. Nous ne pouvons envisager aucune solution au problème iraquien autre qu'une confrontation ultime dans le but de renverser Saddam. L'Amérique s'est elle-même acculée dans un coin.
Il faut que nos amis s'affirment et nous montrent la sortie. Voilà autre chose que le Canada pourrait faire. Montrez-nous que la seule façon de s'extraire de ce problème est d'intervenir dans le respect du droit international et dans le respect absolu du Conseil de sécurité, non seulement en désarmant l'Iraq, mais également en concluant un accord concomitant qui exigerait la levée des sanctions économiques dès lors qu'on aura pu constater que l'Iraq a effectivement honoré ses obligations en matière de désarmement.
Je vous remercie.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Ritter.
Nous allons maintenant passer à Mme Lalonde, si vous voulez bien.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Merci infiniment d'être ici et merci pour ce que vous faites; on ne le dira jamais assez.
Avant de poser ma question, je veux souligner que les interventions que vous avez faites ce matin ne portaient pas seulement sur la crise humanitaire en Irak, mais bien sur ce qui apparaît urgent, c'est-à-dire empêcher une intervention militaire en Irak. Je peux ajouter qu'après être allée à Washington avec le comité, je ne doute pas une minute de ce que vous venez de dire.
Qu'est-ce qui vous indique que Saddam Hussein voudrait revenir dans le concert des nations et accepterait lui-même de participer--c'est ce que j'ai compris--à la solution plus globale du problème du Moyen-Orient?
Monsieur Halliday, vous avez raison: sans son implication, il ne pourra pas y avoir de règlement définitif, mais vous comprenez que la question est importante pour nous. Nous avons fait plusieurs représentations auprès du ministre des Affaires étrangères. Comme comité, nous pouvons prendre position, mais nous avons besoin de savoir que vous avez des indications de cette volonté.
Monsieur Ritter, est-ce que les États-Unis seraient prêts à accepter cette intervention de leurs voisins appuyés par des alliés européens et arabes?
[Traduction]
M. Denis Halliday: Ce qui se passe, c'est que nous ne sommes ni l'un ni l'autre les porte-parole de Saddam Hussein ou du gouvernement de Baghdad. C'est quelque chose que je ne veux même pas envisager. Par contre, on peut écouter, on peut avoir des contacts. Par exemple, je rencontre régulièrement l'ambassadeur à New York—l'ambassadeur auprès des Nations Unies, vous m'aurez compris. Et je pense qu'il y a beaucoup d'éléments qui indiquent que l'Iraq aimerait beaucoup pouvoir réintégrer la communauté internationale.
Cela dit, l'Iraq joue un rôle, c'est certain, que ce soit à Genève, à Vienne ou à New York, mais l'absence de liens officiels avec les pays importants est certainement un coup très dur pour l'ego iraquien, pour l'intégrité de sa souveraineté, mais également pour les bonnes relations qu'il devra impérativement avoir. Il ne fait à mon avis aucun doute que les penseurs du régime iraquien ont le sentiment que c'est là un revirement essentiel.
Pour ce qui est du Moyen-Orient, même si nous avons tous deux découvert aujourd'hui que nous avons l'un et l'autre pris des initiatives pour encourager l'Iraq à appuyer le plan saoudien pour Israël et la Palestine, l'Iraq n'a pas immédiatement répondu à l'appel en faisant une déclaration vigoureuse dans ce sens. Par contre, vous le savez, les Iraquiens se sont effectivement ralliés à la décision prise à la réunion de Beyrouth d'appuyer le plan de paix saoudien, ce qui doit mettre l'Iraq dans une situation telle, et c'est l'opinion que je me suis moi-même formée, qu'il acceptera une solution israélo-palestinienne acceptable pour les Palestiniens comme pour le monde arabe. Cela, c'est un changement d'attitude important.
Étant un État laïc, l'Iraq a toujours eu de bonnes relations avec tous les cultes et son histoire glorieuse le prouve. Il y a toujours une communauté juive en Iraq. Le problème est celui du sionisme, mais, comme ils l'ont dit, je pense qu'ils accepteraient un État israélien indépendant pourvu qu'il soit compatible avec les autres États arabes et qu'il soit acceptable pour les Palestiniens.
Je pense donc qu'il y a des signes. Certains d'entre eux sont purement économiques—le pétrole et les ventes de pétrole, ainsi que la nécessité de remettre l'économie sur ses rails. Cela, ce sont des besoins intéressés. Il ne faut pas s'en cacher. Mais il n'y a aucune raison de penser que l'Iraq refuserait une possibilité qui lui serait donnée de réintégrer à part entière la communauté internationale.
Le vice-président (M. Bernard Patry): M. Ritter.
Á (1130)
M. Scott Ritter: Tout d'abord, merci pour cette question et pour vos commentaires, madame.
Je pense que M. Halliday a répondu à l'essentiel de votre question au sujet de Saddam Hussein. Ce que je pourrais ajouter en ce qui concerne l'inspection des armements, c'est que l'Iraq sait fort bien quels sont les moyens que les inspecteurs peuvent utiliser lorsqu'ils pénètrent en Iraq, il sait très bien que nous étions très efficaces.
Il faut que je souligne une fois encore à l'intention du comité que chaque fois que les Iraquiens nous avait menti, nous les avions démasqués. Cela vous prouve à quel point nous étions efficaces et c'est la raison pour laquelle je suis certain que nous avons fait un excellent travail en assurant le désarmement de l'Iraq.
Les Iraquiens feraient preuve de témérité s'ils permettaient aux inspecteurs de revenir chez eux alors qu'ils auraient repris leurs programmes interdits. Le fait que l'Iraq négocie sérieusement avec les Nations Unies la question du retour des inspecteurs prouve à mon avis le sérieux de ses intentions, mais également le fait que l'Iraq reconnaît l'importance qu'il y a de reprendre le programme d'inspection.
Vous demandiez ensuite si les États-Unis seraient prêts à accepter une intervention du Canada, peut-être avec l'appui des alliés européens. Ce que je peux vous dire, c'est que les États-Unis feront le maximum pour s'opposer à une telle intervention. Si le Canada veut jouer les leaders mondiaux, ce ne sera pas facile. Mais encore une fois, il n'est jamais facile de faire de grandes choses. Les États-Unis sont obnubilés par l'idée d'aller en guerre pour renverser Saddam Hussein. Une telle guerre aurait des conséquences désastreuses pour les Américains, les Canadiens et le reste du monde.
Je reviens tout juste de l'OTAN. Vous pouvez d'ailleurs demander à vos représentants à l'OTAN le compte rendu intégral de l'exposé que j'ai fait aux membres de l'OTAN sur les armes de destruction massive. Malheureusement, c'est une réunion qui a été boycottée par mon propre pays.
Si j'ai été invité à prendre la parole à l'OTAN, c'est que trois délégations de haut niveau ont été envoyées successivement par Washington à Bruxelles: Paul Wolfowitz, le sous-secrétaire adjoint à la défense, Donald Rumsfeld, le secrétaire à la défense, et Richard Armitage du Département d'État. Tous trois sont allés à l'OTAN pour y faire un exposé sur l'Iraq de manière à encourager l'organisation à se doter d'une politique favorable à la position américaine dans le dossier iraquien. Aucun des trois représentants n'a fourni de preuve. Ils ont offert des conjectures, et ils ont refusé de répondre aux questions.
Après deux heures d'exposés et de questions, 16 des 18 nations représentées, 12 d'entre elles par des ambassadeurs, se sont dites déçues par la réponse des États-Unis. Leurs représentants ont exprimé le sentiment qu'on leur avait menti, qu'on les avait trompés, les deux exceptions étant le Royaume-Uni et le Canada. Tous les autres membres de l'OTAN ont été profondément bouleversés par ce qu'ils avaient entendu, en l'occurrence que j'avais réussi à avancer des éléments probants qui contredisaient directement l'argumentation américaine en faveur de la guerre.
Vous avez là-bas des alliés possibles, mais ils se sont soumis par intimidation à la position dominante adoptée par les États-Unis. À un moment donné, quelqu'un va devoir se démarquer et dire, comme un ami, pas comme un ennemi, c'en est assez.
Dans le cas de l'Iraq, le plus facile serait d'exiger que les États-Unis prouvent leurs allégations à l'endroit de l'Iraq puis, s'ils ne parviennent pas à justifier cette guerre qu'ils préconisent en donnant des indications précises et détaillées sur la menace que représentent prétendument les armes de destruction massive de l'Iraq, de dire qu'il doit y avoir une autre solution. Cette solution est celle du désarmement, du respect des résolutions du Conseil de sécurité et, au bout du compte, la levée des sanctions économiques afin de résoudre le contentieux.
Mais il faut que quelqu'un se jette dans la mêlée et prenne l'initiative. J'espère que ce sera le Canada.
Á (1135)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Ritter.
Nous allons maintenant passer à Mme Carroll.
Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): J'ai écouté attentivement vos témoignages. Je n'ai pas beaucoup de questions, seulement une ou deux. J'en ai une pour vous, monsieur Ritter, ensuite une pour M. Halliday. Je vais les poser et vous pourrez y répondre tous les deux.
Tout d'abord, monsieur Ritter, je crois comprendre que votre patron en Iraq était Richard Butler. J'aimerais savoir si M. Butler approuverait ce que vous venez de nous dire.
Monsieur Halliday, selon vous, le gouvernement iraquien, pour reprendre votre expression, n'a pas de ressources «légitimes» pour acheter de la nourriture. Cela veut-il dire qu'il a des ressources illégitimes et qu'il préfère utiliser ces ressources pour acheter des fusils plutôt que du beurre?
J'ai l'impression que ce gouvernement a le choix et qu'il préfère plutôt avec ses ressources légitimes ou illégitimes fortifier son pouvoir. Certes, il va sans dire que nous ne parlons pas ici d'une démocratie participative. Il choisit de ne pas utiliser les ressources à sa disposition pour améliorer le sort lamentable de la population. Vu ces circonstances, vous demandez aux autres nations de faire ce que ce gouvernement ne veut pas faire ou ne peut pas faire.
J'aimerais avoir vos commentaires.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Ritter.
M. Scott Ritter: Merci, madame, d'avoir posé ces questions.
Permettez-moi de vous faire un petit rappel historique de la Commission spéciale des Nations Unies sur l'Iraq. De 1991 à l'été 1997, c'est Rolf Ekéus, diplomate suédois, qui a dirigé la CSNU. Donc, pendant pratiquement tout le temps où j'ai travaillé pour cette commission, c'est Rolf Ekéus qui a été mon patron. Il partage mon analyse sur la situation de désarmement de l'Irak. Il a dit publiquement que l'Iraq a été véritablement désarmé.
Par contre, mon opinion diffère de celle de Richard Butler qui a assumé la présidence exécutive le 1er juillet.
Mme Aileen Carroll: C'est un Australien?
M. Scott Ritter: Oui, il est Australien et ancien diplomate. Actuellement, il est diplomate résident au Council for Foreign Relations (Conseil pour les relations extérieures). Lorsque j'ai démissionné en août 1998, il était président de la commission depuis l'été 1997, poste qu'il a occupé jusqu'à son départ en juin 1999.
Je résumerais la situation ainsi: mes désaccords avec Richard Butler sont très profonds. Il n'est pas du tout d'accord avec le genre de déclarations que je viens de faire aujourd'hui. Je lui ai demandé de participer à un débat sur ces questions, sous la forme qui lui plaira, mais il a refusé. Je suis prêt à produire des preuves pour justifier mes arguments. Cela ne me pose aucun problème. Quand je parle du travail que j'ai fait en Iraq, je peux en fournir la preuve.
Oui, nous ne sommes pas d'accord. Je vous encourage à inviter Richard Butler à comparaître devant votre comité--
M. Sarkis Assadourian: Nous l'avons fait.
M. Scott Ritter: --et de le faire asseoir à côté de moi pour que nous puissions répondre en parallèle à toutes les questions que vous voulez poser sur les armes de destruction massive que posséderait l'Iraq.
Je suis ici aujourd'hui. Je répondrai à toutes les questions qu'on me posera sur les obligations de désarmement de l'Iraq et sur ce qui a été fait et qui n'a pas été fait. L'absence de M. Butler qui a été invité me semble éloquente.
Mme Aileen Carroll: Pour votre information—je crois que nous sommes passés du point A au point B un peu rapidement—, vous êtes ici parce que vous étiez disponible. Nous vous entendons aujourd'hui parce que de toute façon vous deviez venir à Ottawa. Je suis enchantée de ce concours de circonstances. Cependant, notre comité a essayé de faire venir M. Butler en même temps que vous. Le préavis était assez bref. Il ne faudrait donc pas en tirer trop hâtivement des conclusions.
M. Scott Ritter: Madame, je fonde mes conclusions sur mes deux années de tentatives de débat avec M. Butler. Pour l'instant, je veux bien lui accorder le bénéfice du doute. Si M. Butler revient, je reviendrai quand il lui plaira de débattre avec moi.
Le vice-président (M. Bernard Patry): C'est tout à fait clair.
Écoutons M. Halliday.
M. Denis Halliday: Merci de me permettre de répondre à cette question.
Les ressources légitimes sont celles du programme pétrole contre nourriture. Les ressources illégitimes, je suppose...cela reste discutable compte tenu de la situation de l'Iraq et de son état pratiquement de siège imposé par le régime de sanctions. Bien sûr il y a la Turquie, la Syrie et la Jordanie qui refusent de ne pas commercer avec l'Iraq. Les États-Unis et les Nations Unies le savent pertinemment. En fait, c'est la raison pour laquelle on a mis fin aux sanctions intelligentes il y a tout juste un an, parce que les États-Unis avaient prévu de fermer les frontières de ces trois pays. Bien entendu, c'était ingérable, impensable, et inacceptable aux yeux de leurs partenaires turques et de leurs amis jordaniens; je ne connais pas exactement leur sentiment vis-à-vis des Syriens. Ce plan a donc été enterré.
Ce sont des échanges connus de tous. Nous ne savons exactement combien ils rapportent, mais ils peuvent rapporter de 1 milliard à 2 milliards de dollars par année. Où va l'argent? C'est toujours la même question. Je crois que M. Ritter l'a très bien dit, il ne sert pas de manière significative à reconstruire les capacités militaires ou à fabriquer des armes de destruction massive. Mais il ne faut pas oublier que les résolutions autorisent l'Iraq à se doter de moyens de défense. Cela n'a pas changé, c'était le marché conclu par Schwarzkopf. Vous vous souviendrez qu'il a même laissé en partant, aux mains de Baghdad, les hélicoptères de combat et les blindés ayant servi à réprimer les soulèvements dans le nord et dans le sud. Les résolutions autorisent l'Iraq à avoir des moyens de défense. Mettons cela de côté.
Je crois qu'une partie du reste de l'argent est justement consacrée au programme de reconstruction mentionné par M. Ritter, à la reconstruction des installations de production de nourriture, des installations d'entreposage et à la production d'autres articles essentiels, comme par exemple certains produits pharmaceutiques de base comme l'aspirine. Il est incontestable qu'une partie de cet argent sert à payer la Garde républicaine et d'autres activités. Nous savons qu'il sert à financer la production pétrolière, et à financer certains des besoins en matière d'éducation, de santé publique et d'agriculture. Nous croyons savoir qu'il ne sert pas à payer les fonctionnaires, les salaires, ce genre de choses.
Bien sûr, il y a des gaspillages. Mais pourquoi cela nous surprend-t-il? Pourquoi exiger de Baghdad des normes plus élevées que pour nous-mêmes? Permettez-moi de vous rappeler qu'aux États-Unis où il se trouve que je réside actuellement, 20 p. 100 des enfants américains vont se coucher le ventre vide. Malgré cela, le budget du Pentagone vient d'être augmenté de 50 milliards de dollars. Nous ne faisons pas vraiment mieux, pourquoi alors l'exiger de Saddam Hussein? En fait, si vous condamnez sa politique—ce que je ne suis pas prêt à faire moi-même—, ce n'est pas une raison pour punir la population iraquienne.
Á (1140)
[Français]
Le vice-président (M. Bernard Patry): Madame McDonough.
[Traduction]
Mme Alexa McDonough: Permettez-moi tout d'abord de vous remercier d'un exposé passionné et persuasif. Exposer publiquement une telle position vous faire courir des risques et je sais que vous l'acceptez pleinement.
Vous savez peut-être que l'ancien président de ce comité est maintenant le nouveau ministre des Affaires étrangères du Canada. Je crois comprendre que lorsqu'il était président—je suis toute nouvelle dans ce comité—, ce comité a recommandé à l'unanimité que soient levées les sanctions économiques contre l'Iraq.
J'ai une ou deux questions à vous poser. Rencontrerez-vous le ministre des Affaires étrangères du Canada pendant votre séjour? Si cela n'a pas déjà été arrangé, pourriez-vous le rencontrer si notre comité recommandait qu'une telle réunion ait lieu? J'aimerais également savoir quelles autres mesures vous envisagez de prendre pendant votre séjour au Canada pour vous assurer qu'un maximum de Canadiens entendent votre version des faits.
Bien entendu, répondre à vos instances est notre responsabilité. Nous devons assumer nos propres obligations morales avant de condamner, au nom de la morale, les actes d'autres pays. Je ne veux pas vous mettre sur la sellette, mais avez-vous d'autres initiatives dont vous seriez disposés à nous parler?
Enfin, que peut faire d'autre notre comité, à votre avis, pour que les Canadiens aient une meilleure compréhension de la situation?
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Halliday.
M. Denis Halliday: Notre programme est différent, dans un sens. Je suis venu exprès pour cette réunion. Il faut que je retourne à Londres demain matin; j'ai d'autres choses à y faire. Mais je crois que M. Ritter a un programme qui je l'espère inclura une rencontre avec M. Bill Graham, que j'ai rencontré lors de mon dernier séjour. En fait, c'est lui qui a organisé la première séance il y a un ou deux ans. Je lui en ai été très reconnaissant.
Je suis enchanté de le voir occuper le poste de ministre des Affaires étrangères. Ce ne sera pas une sinécure, compte tenu des événements et de certains des fonctionnaires avec lesquels il aura à travailler. Mais c'est un excellent homme et je pense qu'il fera un excellent travail.
Vous avez raison de dire que c'est à vous que revient la responsabilité d'informer les Canadiens et non pas à nous. Il se trouve que nous avons participé à une émission de radio ce matin à Radio-Canada, et que j'ai participé à des émissions de Radio-Canada tant à la télévision qu'à la radio beaucoup plus de fois que je ne m'en rappelle.
Permettez-moi simplement de vous donner un exemple qui vous montrera quelle avance vous avez sur nous au Canada. La chaîne de télévision Fox me donne à peu près trois et demie à quatre minutes et généralement me coupe en plein milieu. J'ai participé deux fois à l'émission counterSpin de Radio-Canada—ça fait deux heures. Je n'étais pas tout seul, mais j'avais quelques amis et quelques collègues, pour ainsi dire, certains contre moi et d'autres non. C'était une discussion sérieuse. Donc, je pense que les Canadiens sont beaucoup mieux informés que la majorité des Américains.
Deuxièmement, vous avez un groupe très actif de militants de Vancouver à Montréal et partout entre les deux, à Calgary--
Mme Alexa McDonough: Halifax.
M. Denis Halliday: Oui, à Halifax.
Je veux dire que vous êtes beaucoup mieux, relativement. Mais ce qui nous déconcerte tous les deux, ce qui me déconcerte moi, certainement, c'est que malgré cette bonne forme, malgré que vous soyez mieux informés, et malgré votre histoire de leadership moral, le Canada pour une raison ou pour une autre ne semble pas vraiment vouloir s'embarquer s'agissant de l'Iraq. Je trouve cela choquant et frustrant et c'est la raison pour laquelle je reviens toujours pour vous harceler. Quand je parle aux médias, je vous harcèle encore car nous voulons tous un Canada indépendant de Washington et libre de son influence.
Je ne veux pas vous insulter, mais j'ai l'impression que la différence n'est plus aussi nette qu'elle l'était auparavant et je crois qu'il est de l'intérêt de votre pays qu'il soit perçu comme indépendant. Ce n'est pas simplement pour les livres d'histoire mais parce que nous savons tous que ce qui est arrivé en Iraq, et malheureusement continue à y arriver en ce moment même, est inacceptable, que cela soit du point de vue juridique, moral ou autre. Il nous faut le Canada pour mettre un terme à cette situation.
Á (1145)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Ritter, je vous en prie.
M. Scott Ritter: Premièrement, permettez-moi de vous remercier de vos très bonnes paroles.
Vous savez, je n'ai pas de programme. Il faut que cela soit absolument clair. Je ne défends pas une position politique. Je suis simplement ici en ma qualité de citoyen américain qui a eu la chance de servir comme citoyen du monde dans des circonstances très contraignantes. J'ai été un témoin de l'histoire et je suis en possession de certains faits et de certaines données qui pourraient aider ceux qui essaient de relever ce défi difficile.
Je suis un outil que votre comité, que le gouvernement canadien, que la presse canadienne et que la population canadienne peuvent utiliser comme bon leur semble. S'il peut y avoir une utilité quelconque à ce que je rencontre un responsable de votre gouvernement, je le ferai avec grand plaisir mais c'est à vous d'organiser une telle rencontre. Ce n'est pas moi qui la demande.
Pour la même raison que je suis venu ici vous parler, il y a deux semaines je me suis rendu à Washington, D.C., pour dialoguer avec 70 membres républicains du Congrès. La semaine prochaine je me rendrai à Washington, D.C., pour dialoguer avec des sénateurs influents membres du Comité du Sénat des relations étrangères. Je dois rencontrer les marines à leur quartier général pour les informer de la situation telle que je la vois en Iraq—à leur invitation. Ce n'est pas moi le demandeur.
Mais encore une fois, j'estime qu'il va de mon honneur et de ma responsabilité en ma qualité de citoyen américain et de membre de la communauté internationale de communiquer toute information ou tout renseignement que je peux avoir à ceux qui peuvent en faire la meilleure utilisation. Si je ne peux rencontrer de membres de votre gouvernement lors de ce voyage, j'habite à six heures de voiture d'ici, à Albany, dans l'État de New York, et je me ferai un plaisir de revenir pour les rencontrer au moment qui leur conviendra le mieux.
Merci.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Ritter.
M. Assadourian.
M. Sarkis Assadourian: Merci beaucoup.
C'est vraiment rafraîchissant d'entendre un point de vue différent, un point de vue qui ne soit pas celui de Washington ou celui de l'administration de George Bush.
J'ai quatre questions, très courtes.
Des voix: Oh, oh!
M. Sarkis Assadourian: Non, elles sont très courtes; ou plutôt, j'ai une question en quatre parties.
Premièrement, j'étais à Damas le 19 mai où j'ai rencontré le ministre des Affaires étrangères. Je l'ai questionné sur le voyage de Dick Cheney il y a quelques mois au Moyen-Orient dans le but d'organiser une autre coalition pour attaquer l'Iraq. Il m'a dit que l'échec avait été total. J'aimerais avoir votre réaction. C'est ma première question.
Deuxièmement, il a été mentionné plus tôt par le ministère des Affaires étrangères que l'Iraq imposait des conditions aux nouveaux inspecteurs. Baghdad voulait connaître leur nationalité, leurs antécédents et que sais-je encore. Je croyais que sur le plan international la politique était toujours la même, que c'était exactement la même chose pour les inspecteurs qui étaient censés se rendre à Jeninne. Israël a dit qu'il n'aimait pas les inspecteurs, qu'il fallait qu'ils répondent aux critères A, B, C et D, et les Nations Unies ont répondu qu'il n'y en avait pas qui réponde à ces critères. Pourquoi Israël peut-il imposer des conditions aux Nations Unies mais pas l'Iraq si c'est bien le cas?
Par ailleurs, j'étais à Washington il y a quelques années. J'ai posé à un membre du Congrès une question sur les affaires étrangères. Il m'a dit qu'en 1974 la Turquie avait envahi Chypre et Washington n'a pas réagi; en 1982 Israël a envahi le Liban et Washington n'a pas réagi; pourquoi Washington a réagi cette fois-ci contre l'invasion du Koweït par l'Iraq? Sa réponse: «Je ne vis pas dans un monde à norme unique; pas vous?» J'aimerais que vous nous disiez ce que vous pensez de la déclaration de ce membre du Congrès.
Enfin, avez-vous une ambassade à Baghdad ou avez-vous l'intention d'en avoir une? Qu'en est-il sur ce plan?
Merci.
Á (1150)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci.
Madame Jennings, je vous en prie.
[Français]
Mme Marlene Jennings: Merci beaucoup, monsieur le président.
Je veux faire une déclaration.
Mon association locale est très active par rapport à la question de l'Irak, et cela depuis de nombreuses années déjà. Nous avons envoyé plusieurs résolutions aux partis au niveau régional et national demandant que le Canada cesse d'appuyer des sanctions économiques et encourage les Nations Unies, surtout le Conseil de sécurité, à régler la situation de façon pacifique et dans l'intérêt humanitaire de la population.
J'ai deux questions très brèves. Premièrement, compte tenu de toutes les louanges et de tous les éloges que vous avez faits au sujet du Canada et de notre démocratie, je voudrais savoir quand vous avez déposé votre demande d'immigration au Canada. Si vous ne l'avez pas encore fait, quand avez-vous l'intention de le faire?
Deuxièmement, comment peut-on contrer l'argument qu'on entend souvent ou les références qui sont faites à la situation qui existait auparavant en Afrique du Sud, sous le régime de l'apartheid, et dans l'ancienne Rhodésie, qui est maintenant le Zimbabwe? On dit que des sanctions économiques ont été imposées à ces deux régimes et que ceci a causé beaucoup de problèmes à la population. Je continue toujours de dire que cela a été fait à la demande de la population. Je ne vois pas une situation semblable en Irak. La population ne demande pas ce genre de sanctions économiques. J'aimerais avoir votre point de vue quant à la façon de contrer ce genre d'argument.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Duncan, une question.
M. John Duncan: Monsieur Ritter, il est facile de ramasser un exemplaire de l'American Spectator ou d'un magazine de ce genre et de lire des articles sur les bombes radioactives et sur d'autres armes. Ces menaces sont réelles, n'est-ce pas? Si l'Iraq n'est pas le problème, à qui devrions-nous nous intéresser? Je suppose que compte tenu de vos connaissances et de votre participation aux inspections, votre avis sur la question devrait être considéré comme celui d'un expert.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Duncan.
Monsieur Ritter, vous avez six minutes pour répondre à ces cinq questions.
M. Scott Ritter: Merci, monsieur le président.
Je vous remercie infiniment de votre aimable invitation à la citoyenneté canadienne. Je suis très heureux où je me trouve actuellement mais j'adore venir dans votre pays.
Le voyage de Dick Cheney a été un échec. Je crois que nous sommes tous d'accord, les faits parlent d'eux-mêmes. Mais c'est un échec seulement de notre point de vue de gens logiques. Comprenez que Dick Cheney a visité douze nations en douze jours et est revenu avec une perspective différente. Si d'un côté il y a eu rejet unanime du concept de soutien à une intervention américaine unilatérale en Iraq, de l'autre les propos d'un certain nombre de dirigeants lui ont fait comprendre, en toute hypothèse, qu'un monde sans Saddam Hussein serait un monde meilleur. Conséquemment, la conception de l'administration s'est trouvée renforcée: si elle décide de prendre une mesure décisive à l'égard de l'Iraq, même si personne ne semble soutenir ouvertement l'Amérique, le monde suivra les États-Unis comme un troupeau de moutons consentants s'ils décident d'attaquer l'Iraq.
Je crois donc qu'il faut faire attention à ce genre de visites. Le rapport de M. Cheney à l'instance de décision en matière de sécurité intérieure des États-Unis a été très différent de ce qui a été rapporté par la presse. Pour lui, ce voyage a été très positif.
Pour ce qui est des nouveaux inspecteurs, pour commencer, l'Iraq ne peut imposer de conditions pour la reprise des inspections. Je sais que les règles ne sont pas forcément les mêmes pour tout le monde, mais n'oubliez pas que le Conseil de sécurité a adopté les résolutions du chapitre 7 contre l'Iraq qui exigent son désarmement. C'est le conseil qui fixe les normes de désarmement et ce désarmement est vérifié par des inspecteurs. C'est le conseil qui choisit les inspecteurs et qui choisit les méthodes d'inspection. C'est le seul moyen pour que ces inspections marchent.
Si l'objectif, c'est le désarmement de l'Iraq, c'est la seule méthode. C'est au conseil de fixer des normes équitables et de s'assurer que quiconque représente en Iraq le conseil le fait en tant que représentant du conseil et non avec des intentions hostiles non sanctionnées par le conseil.
Les États-Unis ont-ils une ambassade à Baghdad? Non, nous avons un simple bureau. Je crois qu'il est à l'ambassade de Pologne. Mais il reste qu'il est ironique que les États-Unis aient plus de contacts diplomatiques avec l'Iraq que le Canada.
Je laisserai M. Halliday vous parler des sanctions.
Pour ce qui est des bombes radioactives, est-ce que cette menace est réelle? Bien entendu, c'est une menace, une menace conceptuelle, une menace hypothétique, mais l'Iraq avait entamé des recherches sur la fabrication de ces bombes radioactives à la fin des années 80 et avait rejeté ce programme. Nous, les inspecteurs, l'avons vérifié et nous ne le considérons pas comme un problème.
D'où viendra la menace, d'après moi? Nous sommes en guerre contre le terrorisme. Sur les 19 pirates de l'air, 14 venaient d'Arabie saoudite. Le gouvernement d'Arabie saoudite est le premier fournisseur de fonds pour les opérations d'al-Qaïda à l'échelle mondiale. Le Pakistan offre son territoire pour l'entraînement des membres d'al-Qaïda. L'Iran possède des armes de destruction massive que ne possède pas l'Iraq. Si vous recherchez des points chauds potentiels susceptibles de menacer les États-Unis, le Canada et le reste du monde libre, je vous conseillerais de vous intéresser à l'Iran, au Pakistan et l'Arabie saoudite. Faire une fixation sur l'Iraq est une perte de temps.
Á (1155)
Le vice-président (M. Bernard Patry): M. Halliday.
M. Denis Halliday: Merci, monsieur le président.
Très brièvement, la question des doubles normes est fascinante. Je donne justement une conférence à Londres dans deux jours sur cette question où je demande la réforme des Nations Unies et la suppression du droit de veto—j'ajouterais que pour y arriver, une vie ne suffira peut-être pas. Mais les exemples que vous avez donnés sont ceux que j'utilise également. Je crains, cependant, ne pas avoir de réponse justifiant nos méthodes aux Nations Unies.
Pour ce qui est de devenir Canadien, j'ai déjà beaucoup de cousins Halliday ici. Il y a plus de Halliday dans votre annuaire qu'en Irlande. Mais j'y réfléchirai.
Pour ce qui est de votre question concernant l'Afrique du Sud, ce pays est souvent utilisé comme modèle de régime de sanctions économiques qui ont marché, d'après ce qu'on dit. En fait, ce n'est pas un bon modèle; comme vous l'avez dit vous-même, c'était un cas unique. L'ANC a elle-même réclamé ces sanctions. Elle était prête à en payer le prix. Prix qui n'a rien à voir avec celui que doivent payer les Iraquiens.
Les sanctions étaient pleines de trous. Les affaires continuaient et en fait il y a même eu croissance économique pendant cette période. Après tout, c'était une sorte de démocratie blanche. Les démocraties ont tendance à être vulnérables aux sanctions alors que les régimes dictatoriaux ne le sont pas.
Pour être franc, je ne crois pas qu'il y ait de modèles qui marchent. Bien sûr dans le cas de l'Iraq, les juristes internationaux estiment que nous agissons d'une manière totalement disproportionnée par rapport aux besoins. La première résolution a permis le retrait du Koweït. C'était ça le problème. Ensuite pour des raisons assez fictives...même si, comme M. Ritter l'a expliqué, un travail important a été réalisé pendant les premières années par la Commission spéciale des Nations Unies sur l'Iraq. Nous allons continuer à appliquer le régime de la résolution 687 et maintenant nous appliquons celui de la résolution 1409. Et le résultat est évident, nous punissons des civils iraquiens innocents, dont la majorité n'étaient même pas nés quand l'Iraq a envahi le Koweït. Les Iraquiens n'ont pas été consultés au sujet de cette invasion. Comme quelqu'un l'a déjà dit, ce n'est pas un régime démocratique. Mais nous punissions les Iraquiens pour des crimes commis par leur gouvernement au Koweït ou ailleurs.
Il n'y a aucune justification. C'est la raison pour laquelle je pense que des pays comme le Canada—et, je l'espère, mon propre petit pays qui est toujours membre du Conseil de sécurité et continue, malheureusement, à ne pas jouer le rôle qu'il devrait jouer—peuvent faire beaucoup mieux à l'avenir.
Merci beaucoup.
 (1200)
[Français]
Le vice-président (M. Bernard Patry): Je voudrais remercier nos témoins.
[Traduction]
Monsieur Halliday, vous êtes venu ici il y a deux ans en mars 2000. Il est toujours très instructif de vous écouter.
Monsieur Ritter, merci beaucoup. Comme l'a dit Mme McDonough, vos propos de ce matin ne manquaient pas de force.
Nous levons la séance cinq minutes avant de passer aux témoins suivants. Vous êtes tous invités à rester. Il y a à manger sur la table au fond de la salle.
Merci.
 (1200)
 (1218)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Nous reprenons.
Nous avons le plaisir d'accueillir, représentant la République islamique d'Iran, M. Ali Ahani, vice-ministre pour l'Europe et les Amériques, ministère des Affaires étrangères; son Excellence Mohammed Ali Mousavi, ambassadeur, M. Hamidreza Nafez Arefi, directeur des Amériques, ministère des Affaires étrangères, et M. Reza Zangeneh, deuxième conseiller, Ambassade de la République islamique d'Iran.
Soyez les bienvenus. C'est avec un réel plaisir que nous vous accueillons cet après-midi. Je crois comprendre que vous avez une déclaration préliminaire.
M. Ahani.
[Français]
M. Seyed Ali Ahani (vice-ministre pour l'Europe et les Amériques, ministère des Affaires étrangères, République islamique d'Iran): Monsieur le président et membres du Comité des affaires étrangères, je vous remercie. J'attends mon interprète. C'est un grand plaisir pour moi d'être avec vous et de participer à votre réunion. Je suis venu ici, au Canada, pour une visite officielle pendant laquelle j'ai rencontré les différentes autorités canadiennes. Heureusement, les relations entre l'Iran et le Canada sont sur une bonne voie. Nous sommes très heureux d'être témoins d'un développement bien solide de notre relation.
Nous avons parlé avec nos collègues canadiens des différents aspects de notre relation et des différentes capacités qui existent et qui ne sont pas encore utilisées pour renforcer notre relation. Nous sommes témoins d'un développement bien solide de notre relation, surtout depuis la visite officielle de votre ex-ministre des Affaires étrangères, l'honorable John Manley, à Téhéran. Après cette visite, nous avons eu certains échanges de délégations. En particulier, nous avons eu récemment une délégation du secteur privé au Canada, qui a été très utile pour mieux connaître les capacités de notre coopération.
En ce qui concerne les aspects politiques de notre relation, il y a plusieurs points communs dans nos positions respectives sur les affaires internationales. Nous sommes tout à fait d'accord avec nos collègues canadiens pour continuer régulièrement nos consultations concernant les affaires politiques. Dans ce domaine, nous devons travailler sur l'aspect de la collaboration parlementaire. Malheureusement, je dois dire que durant les années précédentes, les contacts entre les parlementaires iraniens et canadiens ont été tout à fait nuls. C'est dommage, parce que nous avons une grande expérience concernant les contacts directs entre les parlementaires des autres pays et nos parlementaires. Ils ont tous les deux un langage commun, et c'est très utile pour les deux gouvernements parce qu'ils peuvent progresser plus rapidement.
C'est pourquoi nous devons travailler sur cet aspect de notre relation. Nous serons très heureux d'accueillir une délégation de votre comité parlementaire à Téhéran. Vous auriez l'occasion de mieux connaître la vérité sur notre pays. Vous entendez beaucoup parler de notre pays en ce qui concerne l'évolution interne de la réforme politique et sociale en Iran, et aussi sur l'aspect de la politique étrangère et de nos relations avec les différents pays étrangers. Mais il vous sera très utile, si vous venez en Iran, d'entendre directement les points de vue de vos collègues sur les affaires internes et externes de l'Iran, et d'être en contact avec différentes facettes de notre société.
Vous avez beaucoup entendu parler de la situation des femmes en Iran, par exemple, qui n'est pas du tout comparable avec ce qui se passe dans les autres pays. Dans notre région, bien entendu, il faut regarder la situation d'un pays en se basant sur les différentes valeurs culturelles et sociales qui existent dans ce pays. Après la révolution, la situation des femmes en Iran a changé très rapidement. Des femmes sont présentes à différents niveaux de l'administration, des universités et du gouvernement. L'année dernière, plus de 60 p. 100 des candidats aux concours des universités étaient des jeunes filles. Donc, il y a un grand espoir pour une évolution plus rapide et plus solide de cet aspect.
En ce qui concerne la réforme en Iran, le processus démocratique se poursuit très bien.
 (1220)
Bien entendu, il faut considérer les valeurs culturelles et sociales dans notre société, mais ce qui est tout à fait sûr, c'est que ce processus se continue solidement. Heureusement, le président Khatami insiste sur la continuation de ce processus. Il a grand espoir de continuer cette politique, bien qu'il y ait, et c'est tout à fait normal, de la résistance face à ce processus de démocratisation.
Vous devez tenir compte du fait que l'Iran et la population iranienne ont vécu sous une dictature pendant des siècles et que c'est vraiment après la victoire de la révolution que la démocratisation réelle a commencé. Heureusement, au cours des années précédentes, nous avions été témoins d'une évolution plus rapide tout à fait importante. Il faut attendre et être patient afin que cette démocratisation soit digérée par toute la population. Il faut être patient afin qu'on puisse continuer cette démocratisation en Iran.
En ce qui concerne notre politique étrangère, nous insistons pour avoir de bonnes relations avec tous les pays dans un respect mutuel, bien entendu, et nous insistons sur le dialogue des civilisations, ce qui est la thèse du président Khatami, qui a été bien accueillie dans le monde actuel. Cela démontre que le monde actuel a besoin d'aller dans cette direction.
Nous avons joué un rôle calmant, un rôle constructif dans l'évolution des affaires en Afghanistan, surtout après la tragédie du 11 septembre, et nous avons collaboré très sincèrement avec la communauté internationale à la lutte contre le terrorisme.
En ce qui concerne les armements de destruction massive, nous sommes tout à fait contre cet élément et nous sommes tout à fait transparents dans cette affaire. Nous avons signé plusieurs conventions, dont celle sur les armes chimiques, etc. et nous sommes bien engagés; nous les respectons très bien.
Nous avons des relations transparentes avec l'Agence internationale de l'énergie atomique. Notre collaboration avec la Russie pour la construction d'un centre nucléaire est tout à fait légale, tout à fait transparente et sous la surveillance de l'agence. Nous continuons cette politique de détente avec tous les pays. Notre relation avec les pays du golfe Persique, les pays arabes a été très positive, notamment avec l'Arabie Saoudite, le Koweït, etc. Nous avons signé différents accords avec ces pays sur la sécurité, les affaires commerciales, etc.
Nous espérons que nous pourrons aller plus loin dans nos rapports avec le Canada sur différents aspects, surtout en ce qui concerne les aspects culturel et scientifique. Il y a plusieurs possibilités de coopération dans ce sens, et nous sommes très optimistes quant à l'avenir de notre relation avec le Canada. Nous aurons certains échanges de délégations de haut niveau pendant les mois à venir. La semaine prochaine, nous recevrons votre ministre de l'Agriculture en Iran et nous travaillons sur la visite officielle de notre ministre des Affaires étrangères au Canada dans les mois à venir.
 (1225)
Nous avons de bonnes relations commerciales avec le Canada et nous allons continuer dans cette direction. Bien entendu, nous avons besoin du soutien du Parlement canadien ainsi que du soutien de notre Parlement, et j'espère que nous irons dans le sens d'organiser le groupe d'amitié parlementaire, soit ici, au Canada, soit en Iran, afin que nous puissions être en contact plus directement.
Si vous me le permettez, je vais m'arrêter ici. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions, bien entendu, au cas où vous en auriez. Je vous remercie de votre bienveillance et de m'avoir invité. C'est un grand plaisir pour moi d'être parmi vous.
 (1230)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci beaucoup, monsieur Ahani. Le plaisir est pour nous.
Nous allons maintenant passer à une période de questions. Nous allons débuter avec M. Keith Martin. Monsieur Martin, s'il vous plaît.
M. Keith Martin: Monsieur Ahani, merci beaucoup d'être ici.
[Traduction]
Je voudrais remercier votre Excellence et chacun d'entre vous d'être venus aujourd'hui. Nous sommes honorés de vous accueillir.
Je voudrais également féliciter le président Khatami pour ses efforts visant à entamer une réforme politique dans votre pays. Il est, effectivement, une personne courageuse.
Pour enter dans le vif du sujet, d'après ce que j'ai vu, l'Iran donne beaucoup d'aide aux groupes visant la destruction d'Israël, tels que le Hezbollah, le Hamas et le Jihad islamique, pour n'en nommer que quelques-uns.
Ma question est de savoir si l'Iran continue d'appuyer ces groupes, et, dans l'affirmative, pourquoi? Ma deuxième question est la suivante: Quelle est l'attiude de l'Iran à l'égard d'un État d'Israël à l'abri des menaces et stable aux côtés d'un État de Palestine à l'abri des menaces et stable?
En tant que Persans, vous êtes particulièrement bien placés pour travailler avec l'Occident et les nations arabes à des solutions aux problèmes de sécurité qui nous guettent tous. J'aimerais savoir, monsieur, si votre gouvernement serait disposé à assumer un rôle de premier plan pour arriver à un règlement acceptable du conflit palestino-israélien, ainsi que d'autres menaces dans la région, telle que l'invasion éventuelle de l'Iraq par les États-Unis. Je crois que ce scénario ne plaît à personne et qu'il y a moyen de l'éviter.
Je pense que votre pays peut jouer un rôle clé de défenseur de la paix au Moyen-Orient. En agissant comme intermédiaire entre les nations arabes et les pays occidentaux, vous pouvez aider à monter une coalition pour la paix et la sécurité dans la région.
Merci.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Ahani, vous pouvez répondre en farsi si vous le désirez, ou en français. Vous avez la traduction.
M. Seyed Ali Ahani: Notre politique est limpide pour ce qui est des groupes que vous avez mentionnés. Notre perception de ces groupes diffère quelque peu de celle des autres.
Tout d'abord, le Hezbollah fait partie intégrante du gouvernement du Liban et est un groupe très respectueux des lois. Les autres groupes luttent contre l'occupation de leur pays. Ces groupes-là et leurs affiliés ne sont pas perçus comme étant un organisme de terroristes. Ils luttent pour l'indépendance de leur pays. Nous ne pouvons pas les accuser d'être terroristes. Nous appuyons leur pays et leur indépendance.
La question palestino-israélienne est très complexe. Le régime israélien ne préconise pas de politique indépendante pour l'État. Les Israéliens n'accepteront jamais l'existence d'un pays nommé la Palestine qui soit sur un pied d'égalité avec eux. Israël n'a pas respecté toutes les ententes conclues avec M. Arafat.
Leur comportement et leur humiliation de M. Arafat sont la preuve qu'ils ne croient pas en une Palestine indépendante. Si on veut la stabilité et la paix dans la région, il faut préparer le terrain et permettre le retour des réfugiés désireux de regagner leur patrie.
Bien sûr, en vertu des dispositions des Nations Unies, on peut créer les conditions qui permettraient à ces réfugiés de rentrer chez eux. Il y aura ensuite la possibilité d'un référendum et d'un début de démocratie dans ce pays. Selon les principes de la démocratie, ils devraient avoir le droit de choisir leur propre gouvernement.
Quant à l'Iraq, il est important de respecter les résolutions des Nations Unies, mais nous devons le faire tout en réduisant la souffrance des Iraquiens et en tenant compte de leurs préoccupations.
Malheureusement, la population iraquienne a beaucoup souffert pendant de nombreuses années, comme nous le savons tous.
 (1235)
Nous devons, bien sûr, nous assurer que la nation iraquienne ait la paix et la stabilité ainsi qu'une façon de vivre plus acceptable... Et le respect. En raison de nos liens culturels historiques, nos antécédents religieux, ainsi que la grande civilisation des deux pays, nous tentons d'aider les Iraquiens à réduire leur misère.
 (1240)
[Français]
Le vice-président (M. Bernard Patry): Madame Lalonde, s'il vous plaît.
Mme Francine Lalonde: Merci, monsieur le président.
Monsieur le vice-ministre Ali Ahani, merci d'être ici, de nous visiter. J'ai quelques questions à vous poser également. La première porte sur les affaires étrangères. Je ne saurais identifier la date, mais je sais que depuis un moment--et votre titre de négociateur en chef, Dialogue constructif Iran-Union européenne est là pour le prouver--, il y a une recherche d'un dialogue constructif entre l'Iran et l'Union européenne. J'aimerais que vous nous en parliez.
Par ailleurs, j'ai vu récemment que le président Khatami était un peu découragé de l'attitude américaine et qu'il aurait cessé la recherche de pourparlers d'ouverture du côté des États-Unis. J'aimerais que vous nous en parliez également.
Par rapport au Moyen-Orient, je pense, mais je n'en suis pas certaine, que vous avez approuvé le projet de l'Arabie Saoudite. Je vous demande si vous êtes d'accord sur une intervention internationale pour la négociation ayant comme objectif, bien entendu, le respect des résolutions des Nations Unies et si vous croyez qu'une force d'interposition serait nécessaire.
J'ajoute que certains de mes collègues et moi arrivons de la Palestine et que ce que j'ai vu là-bas--j'en témoigne personnellement--est bien pire que ce à quoi je pouvais m'attendre par la lecture des journaux et qu'il m'apparaît y avoir urgence d'arriver à un règlement.
Je m'arrête là.
[Traduction]
M. Seyed Ali Ahani: Nous avons entamé ce dialogue avec l'Union européenne il y a quelque temps, en 1997, et jusqu'à présent nous avons eu huit réunions avec eux au niveau vice-ministériel, et avec les autres membres de l'Union, bien sûr.
 (1245)
Nous avons dégagé deux thèmes principaux lors de ces discussions. L'un est la collaboration avec l'Iran et l'Union européenne. Nous avons mis sur pied des groupes de travail pour traiter de la question. Ils oeuvrent dans le domaine de l'énergie, de l'investissement ainsi que la lutte antidrogue.
L'étape suivante sera de discuter de questions politiques avec eux, de questions internationales, bien sûr, ainsi que des questions politiques touchant nos pays. Les progrès réalisés nous donnent beaucoup d'espoir et nous sommes ravis d'être sur la bonne voie.
Nous tentons également de conclure une entente sur le commerce et la collaboration commerciale. Les cabinets prévoient conclure une entente pour poursuivre les travaux dans ce sens, surtout en raison du fait que l'Europe représente notre premier partenaire commercial. Nos discussions et réunions avec eux sont donc très pertinentes.
Pour répondre à votre deuxième question, je pense être d'accord avec vous. Le président Khatami est très déçu de la façon que les Américains ont critiqué le pays sur cette question. Comme vous le savez sans doute, après le 11 septembre, notre pays a activement participé à la lutte contre le terrorisme et aux progrès réalisés en Afghanistan.
Sans notre collaboration, la chute du régime taliban n'aurait pas eu lieu aussi rapidement. Nous partageons une frontière de 900 kilomètres avec l'Afghanistan. Au début de la guerre, nous avons tout simplement fermé nos frontières avec l'Afghanistan pour empêcher tout membre d'al-Qaïda d'entrer sur notre territoire. En outre, afin de les empêcher d'entrer en provenance d'autres endroits, surtout par les États du golfe Persique, nous avons exigé un visa pour tout visiteur afin de garantir qu'aucun membre d'al-Qaïda ne passe par un autre pays pour franchir notre frontière.
Nous avons aussi collaboré beaucoup plus avec nos partenaires européens dans le domaine du renseignement. Nous avons fait une contribution importante à la conférence de Bonn, qui a donné lieu à la mise en place du gouvernement de M. Karzai à Kaboul. Nous avons aussi contribué à l'élaboration du Loya Jerga, qui fait maintenant l'objet d'une étude approfondie. Tous ces résultats sont le fruit de la conférence de Bonn.
Donc, après septembre, toutes ces conditions ont encouragé la communauté internationale à collaborer. Une solidarité entre les pays s'est dégagée pour lutter contre le terrorisme. L'Amérique a profité de la situation et la difficulté historique pour réaliser le maximum de gains. Malheureusement, dans cette affaire, le président Bush a utilisé son approche agressive et hostile envers notre pays. Malheureusement, ils ont rejeté tous les principes, et nous ont mis dans la catégorie de l'axe du mal, comme vous le savez.
L'Iran dans son ensemble est un pays imprégné d'histoire et doté d'une grande civilisation, de cultures et de valeurs morales qui se manifestent notamment par l'importance que le président Khatami accorde au dialogue des civilisations qu'il propose d'instaurer. Il veut la paix dans le monde entier. Je laisse à la communauté internationale de décider où porter le blâme. Est-ce sur nous ou sur l'autre qui utilise ce genre de tactique et de méthode pour stigmatiser notre pays de cette façon?
À notre avis, le peuple iranien ne mérite pas cette désignation. Il est injuste que le président d'un pays s'autorise à catégoriser différents pays selon son jugement personnel. Même ses alliés américains étaient contre ce genre d'attitude hostile. Même au sein de la population américaine, beaucoup de gens ont désapprouvé une telle stigmatisation.
Quant à la proposition de l'Arabie saoudite, une proposition semblable a été proposée à une autre occasion. L'obstacle est le régime d'Israël, le gouvernement israélien, qui refuse d'avoir un autre pays palestinien indépendant comme voisin.
 (1255)
Ils ne voulaient même pas accueillir le président des Nations Unies et sa mission au pays pour surveiller les initiatives de paix. Ils utilisent le même genre d'humiliation envers M. Arafat qu'ils ont utilisé envers les Européens. Ils n'ont surout pas permis au ministre des Affaires étrangères de l'Espagne de visiter la Palestine et M. Arafat.
Nous acceptons les conditions et le processus de négociation. Mais nous ne sommes pas très optimistes à cause de la réaction des gens de la région.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci beaucoup.
Monsieur Assadourian, je vous en prie.
M. Sarkis Assadourian: Merci beaucoup.
Je voudrais d'abord vous souhaiter la bienvenue dans notre pays. J'étais ravi de vous entendre dire que le ministre des Affaires étrangères allait visiter le Canada d'ici peu. Je crois que c'est un pas dans la bonne direction, qui sera suivi d'une visite en Iran par notre ministre des Affaires étrangères.
Je dois également dire que vous avez un ambassadeur très actif. Il a été conférencier invité à une de mes réunions publiques à Toronto. Mon ancienne circonscription de Don Valley-Nord compte la plus grande population irano-canadienne du pays. Elle est très concentrée. J'habite le quartier et donc j'en sais assez sur les relations historiques avec l'Iran ainsi que les relations entre les diverses circonscriptions.
J'ai également eu l'occasion de rencontrer quelques députés parlementaires iraniens qui nous ont visités il y a quelques années. Le terme «Millet» reflète un concept d'un parlement que j'aime beaucoup comme beaucoup d'autres comme moi.
J'ai deux questions. Premièrement, vous avez parlé du processus de paix au Moyen-Orient et du sommet à Beyrouth. Vous avez mentionné que cette proposition n'a rien de nouveau. Je suis d'accord avec vous. Mais dans les circonstances, ou dans le contexte dans lequel elle a été formulée, elle est peut-être plus à jour. Elle a été présentée en 1982, si je ne m'abuse, à la conférence du Maroc.
Ma deuxième question porte sur le conflit entre l'Iran et l'Iraq, qui remonte déjà à 15 ou 20 ans. Nous entendons toujours dire dans des déclarations, dans des coupures de presse ou dans les actualités qu'il y a encore des prisonniers entre l'Iraq et l'Iran. La Croix-rouge international et la Société du Croissant-rouge ont essayé de négocier. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est à la frontière pour ce qui est des échanges de prisonniers, si vous avez des prisonniers?
Un dernier commentaire, si vous me le permettez. Dans le passé, nous avons discuté d'un programme d'échanges parlementaires avec votre ambassadeur. Je suis heureux d'apprendre que vous allez de l'avant avec cette initiative. Cela montre que les négociations entre notre parlement et votre ambassadeur ont été fructueuses.
M. Seyed Ali Ahani: Je commencerai par la dernière question. La première réponse a donc trait à l'échange de parlementaires.
Nous appuyons cette initiative. Nous voulons vraiment que l'échange ait lieu. Évidemment, notre parlement a le dernier mot. Mais pour notre part, nous serons heureux de les encourager à aller de l'avant.
· (1300)
Nous effectuons différents échanges avec des parlementaires de pays européens. Il y a un comité parlementaire composé de membres de notre Parlement et de celui du Parlement français. Cela facilite les échanges pour les parlementaires de nos deux pays. Nous aimerions bien organiser un comité semblable au Canada, et je suis sûr que notre Parlement en Iran serait favorable à une telle démarche.
Un autre moyen serait d'effectuer un échange entre des groupes de nos comités des affaires étrangères. Le groupe serait composé du président ou du vice-président, ainsi que quelques membres du comité. Le Président de la Chambre pourrait bien sûr visiter notre Parlement. Ce soir, à la réunion qui aura lieu avec le Président de la Chambre, j'ai l'intention de l'inviter à visiter notre pays.
Nous estimons que c'est un excellent moyen de forger des liens entre nos deux pays. C'est une démarche que nous appuyons sans réserve. Je vais demander à Son Excellence, l'ambassadeur de notre pays ici au Canada, d'assurer un suivi auprès de nos amis ici au Parlement canadien.
Pour ce qui est de l'Iran et de l'Iraq, des obstacles et des problèmes auxquels nous sommes confrontés, je peux dire que même après toutes ces années il y a encore des obstacles entre nos deux pays. Dans les dernières années, il y a eu un échange de délégués entre l'Iran et l'Iraq, et ceci a aidé à aplanir certains obstacles et difficultés. L'échange des prisonniers de guerre est une des questions humanitaires les plus importantes en ce moment. Il paraît qu'aujourd'hui il en reste très peu. Nous espérons que nous sommes arrivés à la fin du processus, et si tout va bien la question des prisonniers de guerre sera résolue une fois pour toutes.
L'Iraq aimerait accroître les échanges commerciaux avec l'Iran. Nous insistons qu'ils doivent respecter les résolutions des Nations Unies aussitôt que possible. L'Iran et l'Iraq sont des voisins depuis très très longtemps, et le seront pendant très longtemps encore.
· (1305)
Vous avez la chance de n'avoir qu'un voisin, même si vous avez des problèmes de temps en temps, comme le bois d'oeuvre, par exemple. L'Iran a 15 pays voisins, et des difficultés particulières avec chacun d'entre eux. Par ailleurs, chacun de ces pays a ses propres difficultés. Avec cinq de nos voisins, nous avons des problèmes touchant les lois et le régime législatif portant sur la région de la Mer caspienne. Pour ce qui est de l'Afghanistan, vous connaissez la situation. Tout est très transparent, et la situation est difficile et complexe. Avec le Pakistan, nous avons des problèmes de frontières, avec des entrées et des sorties illégales. Notre politique vise l'élimination des tensions et une meilleure collaboration avec nos voisins.
Pour ce qui est de votre première question, vous avez raison de dire que la proposition présentée par le prince Abdula était un peu différente de la proposition présentée à Marrakesh en 1982. La différence principale c'est la promesse de reconnaître Israël, à condition que Israël reconnaisse les droits du gouvernement de la Palestine, l'intégrité de la Palestine, ainsi que son indépendance.
Cette proposition a soulevé bien des espoirs, mais le gouvernement d'Israël n'a manifesté aucun enthousiasme. En réalité, depuis ce temps-là, le gouvernement israélien a refusé de reconnaître la présence d'un État palestinien à ses côtés.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci.
C'est au tour de M. Cotler.
M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.): J'aimerais aussi vous souhaiter la bienvenue et vous remercier de vos déclarations ce matin, surtout celles concernant la possibilité de rapprocher les parlementaires de nos deux pays.
Comme vous le savez--et vous l'avez mentionné ici--, l'ancien ministre des Affaires étrangères du Canada, John Manley, a visité votre pays en octobre 2001. Pendant cette visite, M. Manley a demandé au gouvernement iranien de ne plus appuyer ce que l'on caractérise comme les groupes terroristes s'appelant Hamas, le Jihad islamique et le Hezbollah. Le nouveau ministre des Affaires étrangères, Bill Graham, a fait cette même demande au mois de mars.
Dans votre déclaration d'aujourd'hui, vous dites que vous voyez ça d'une façon différente. Vous avez une perspective différente. D'après vous, ces organismes ne sont pas des groupes terroristes, mais des groupes qui résistent à l'occupation et qui ne devraient donc pas être considérés comme étant des groupes terroristes.
Si vous permettez, j'aurais deux questions à ce sujet. Le Hamas et la Jihad islamique, par exemple, ont publiquement réclamé la destruction d'Israël. En d'autres mots, ce qu'ils exigent ce n'est pas qu'on mette fin à l'occupation, mais qu'on mette fin à Israël.
Par ailleurs, en décembre 2001, votre ancien président, M. Rafsanjani, indiquait qu'il ne pourrait pas appuyer l'existence d'Israël, et serait même en faveur d'utiliser des armes atomiques contre Israël si cela s'avérait nécessaire.
Voici donc ma question: à part le fait que vous estimez que ces groupes doivent résister l'occupation, appuyez-vous aussi la position de ces groupes sur la destruction d'Israël? Quelle est au juste la position de l'Iran sur le droit d'Israël d'exister à l'intérieur de frontières sûres et reconnues en vertu des résolutions 242 et 338, que vous avez vous-mêmes appuyées?
· (1310)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Ahani.
M. Seyed Ali Ahani: Dans certains domaines, notre perspective est différente de celle du gouvernement canadien. Cela est tout à fait naturel. Le dialogue prend plus d'importance quand il y a des différences d'opinions. Le dialogue mène à quelque chose. Si tout le monde est toujours d'accord, il n'y a pas de dialogue. Donc même si nous avons une différence d'opinions sur certaines questions, le problème n'est pas nécessairement insurmontable.
Notre perspective est très semblable à celle de la politique étrangère canadienne et celle du gouvernement canadien pour beaucoup de questions internationales. Nous prenons la même position que le Canada sur le multilatéralisme, les droits de la personne et le rôle des Nations Unies dans les questions internationales.
Pour ce qui est de la question particulière que vous soulevez, surtout le commentaire de notre ancien président, M. Rafsanjani, je devrais peut-être apporter quelques explications. Je ne sais pas si vous avez vu les textes de M. Rafsanjani, mais moi j'ai lu les documents en question après que le gouvernement israélien ait soulevé tout cela. J'ai lu ces textes et ces documents avec beaucoup d'attention, et il y a quelque chose que j'aimerais expliquer.
Il y a une chose que nous avons déjà dit. Un des problèmes que nous avons est ceci: certaines questions présentées par les Israéliens sont tout simplement acceptées telles quelles par le monde entier. Revenons à cet énoncé de M. Rafsanjani. Les Israéliens prétendent que M. Rafsanjani a dit qu'on pourrait utiliser des armes atomiques pour détruire Israël...ou les types de navires qu'ils réclamaient. M. Rafsanjani analysait la situation dans la région. Ce qu'il faisait en réalité, c'était de prévenir les Européens occidentaux, ou l'Occident en général, qu'il y avait des risques si on équipait Israël aussi avec des armes de destruction massive, et avec des bombes atomiques.
· (1315)
Par ailleurs, M. Rafsanjani a indiqué que si les Israéliens se préparaient pour de tels conflits, les pays islamiques feraient bien sûr de même.
Ce serait une catastrophe pour la paix dans le monde. Si un jour les Israéliens décidaient d'utiliser cette arme de destruction massive, cette bombe atomique... Israël est tout petit, et peut être détruit par une seule bombe. Par contre, les pays islamiques sont nombreux et situés dans toutes les parties du monde. Ils ne pourraient pas tous être visés par une telle arme. Le danger serait donc beaucoup plus grand pour Israël.
Voilà ce que M. Rafsanjani a indiqué au président Khatami. J'ai expliqué les détails.
Avez-vous pris des notes quand j'expliquais que cela veut dire qu'Israël a à nous craindre?
M. Irwin Cotler: Non, c'est pour cela que j'ai posé la question.
M. Seyed Ali Ahani: C'est dommage. Israël prétend que M. Rafsanjani les a menacés avec une bombe atomique. Même vous aviez l'impression que c'était peut-être le cas. Évidemment, ce n'est pas le cas.
M. Irwin Cotler: Non, j'ai simplement posé une question. Je n'ai pas énoncé de position.
M. Seyed Ali Ahani: En tout cas, c'est ce que les gens perçoivent, peut-être pas vous-même, mais beaucoup d'autres. Les gens croient en la position israélienne. Ils croient que M. Rafsanjani a menacé Israël avec la bombe atomique et des armes de destruction massive. Ce n'était pas le cas. Cela n'a jamais été le cas.
Pour ce qui est de ce fameux navire qui portait... Tout le monde sait que nous n'avions rien à faire dans tout cela. Quand nous avons entendu ce que les gens prétendaient, j'ai fait un voyage à Bruxelles. M. Saline a dit que la chose l'a surpris et a soulevé ces questions. Moi, j'ai répondu: «Nous n'avions rien à faire là-dedans. Si vous avez des documents ou d'autres faits dont nous n'avons pas pris connaissance, veuillez nous en faire part.»
J'ai même rencontré le représentant suisse à Téhéran, en Iran, qui intervenait au nom des États-Unis. Il a dit que les Américains étaient très préoccupés par la question et par l'implication de l'Iran. Nous lui avons demandé de nous faire parvenir toute documentation disponible, parce que le président Khatami était personnellement intéressé à comprendre de quoi il s'agissait. Nous avons sincèrement demandé leur aide. On ne nous a fait parvenir aucun renseignement.
· (1320)
Le vice-président (M. Bernard Patry): J'ai une dernière question. Elle sera très courte, et j'espère que la réponse pourra aussi être courte. Il reste peu de temps avant la période des questions.
Quelle est la position de l'Iran sur les sanctions des Nations Unies envers l'Iraq, et sur la possibilité que les États-Unis puissent élargir la guerre contre le terrorisme pour inclure l'Iraq? Ce matin, nous avons discuté de la situation en Iraq.
M. Seyed Ali Ahani: Nous sommes contre l'utilisation de force militaire contre l'Iraq. Cependant, nous ne voulons pas non plus que l'Iraq ait accès à des armes de destruction massive. Nous sommes contre toute utilisation d'armes de destruction massive. Nous sommes bien sûr intéressés à une résolution de l'ONU qui empêcherait l'Iraq d'avoir accès à de telles armes. Mais il y a moyen de résoudre ces questions de façon à protéger la nation iraquienne pour s'assurer que la population ne souffre pas à cause des décisions qui sont prises.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci beaucoup.
Ceci conclut notre discussion de ce matin. Je tiens à remercier M. Ahani, Votre Excellence et M. Reza Zangeneh d'avoir accepté de nous rencontrer ce matin. J'espère que ce n'est que la première de nombreuses réunions qui auront lieu entre nous dans le contexte d'un groupe d'amitié réunissant des parlementaires de nos deux pays.
Encore une fois, merci beaucoup d'être venus aujourd'hui.
La séance est levée...non, un petit moment. Ce matin, M. Martin a déposé une motion, qu'il pourrait peut-être nous lire maintenant.
M. Keith Martin: Oui. Je présente un avis de motion. La motion est formulée comme suit:
Que le Comité demande au gouvernement du Canada d'enjoindre le gouvernement américain de fournir des preuves que l'Iraq a effectivement construit, fabriqué ou accumulé des armes de destruction massive. |
Le vice-président (M. Bernard Patry): Nous n'avons pas le quorum ce matin. Vous allez donc déposer la motion, et on en discutera à la prochaine réunion.
M. Keith Martin: Merci beaucoup.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Bon, maintenant la séance est levée.