FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le jeudi 6 juin 2002
¿ | 0910 |
Le vice-président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)) |
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ) |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Laura MacDonald (professeure associée, Département de science politique; directrice, Centre for North American Politics and Society, Université Carleton) |
¿ | 0915 |
¿ | 0920 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Stacey Wilson-Forsberg (analyste de politiques, Fondation canadienne pour les Amériques (FOCAL)) |
¿ | 0925 |
¿ | 0930 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne) |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Donald MacKay (directeur général, Fondation canadienne pour les Amériques (FOCAL)) |
¿ | 0935 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Stacey Wilson-Forsberg |
M. Donald MacKay |
¿ | 0940 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Francine Lalonde |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Laura MacDonald |
¿ | 0945 |
Mme Francine Lalonde |
Mme Laura MacDonald |
¿ | 0950 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Stacey Wilson-Forsberg |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Mac Harb (Ottawa-Centre, Lib.) |
M. Donald MacKay |
¿ | 0955 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Laura MacDonald |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Stacey Wilson-Forsberg |
À | 1000 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Donald MacKay |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Keith Martin |
M. Donald MacKay |
M. Keith Martin |
M. Donald MacKay |
À | 1005 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Laura MacDonald |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Pierre Paquette (Joliette, BQ) |
À | 1010 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Mac Harb |
M. Pierre Paquette |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Mac Harb |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Pierre Paquette |
M. Mac Harb |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Francine Lalonde |
M. Mac Harb |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Francine Lalonde |
M. Mac Harb |
Mme Francine Lalonde |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Keith Martin |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Keith Martin |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Keith Martin |
À | 1015 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Pierre Paquette |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Stacey Wilson-Forsberg |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Laura MacDonald |
À | 1020 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Mark Eyking (Sydney—Victoria, Lib.) |
M. Donald MacKay |
À | 1025 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne) |
À | 1030 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Stockwell Day |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Laura MacDonald |
M. Stockwell Day |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Donald MacKay |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. George Lindsey (président, Groupe d'étude sur la défense de missile nucléaire, Institut canadien des affaires internationales, Section de la Capitale nationale) |
À | 1050 |
À | 1055 |
Á | 1100 |
Á | 1105 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Stockwell Day |
Á | 1110 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. George Lindsey |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Francine Lalonde |
M. George Lindsey |
Á | 1115 |
M. F.R. Cleminson (membre, Groupe d'étude sur la défense de missile nucléaire, Institut canadien des affaires internationales, Section de la Capitale nationale) |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Diane Marleau (Sudbury, Lib.) |
Á | 1120 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. George Lindsey |
Mme Diane Marleau |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. George Lindsey |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Keith Martin |
Á | 1125 |
M. George Lindsey |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. George Lindsey |
Á | 1130 |
M. Keith Martin |
M. George Lindsey |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. F.R. Cleminson |
Á | 1135 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.) |
Á | 1140 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. F.R. Cleminson |
Mme Aileen Carroll |
Á | 1145 |
M. F.R. Cleminson |
M. Stockwell Day |
M. F.R. Cleminson |
M. Stockwell Day |
M. F.R. Cleminson |
Mme Aileen Carroll |
M. F.R. Cleminson |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. George Lindsey |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
CANADA
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international |
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 6 juin 2002
[Enregistrement électronique]
¿ (0910)
[Français]
Le vice-président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Avec votre permission, nous allons commencer.
[Traduction]
Je voudrais seulement vous dire que tout d'abord, notre ordre du jour prévoit l'examen du 12e rapport du Sous-comité sur le commerce international. Nous en discuterons lorsque nous aurons un quorum de manière à pouvoir l'adopter.
[Français]
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Excusez-moi, monsieur le président. Avez-vous une idée de l'heure à laquelle il y aura quorum?
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci pour votre excellente question, madame, mais je n'en ai aucune idée.
[Traduction]
Le quorum exige la présence d'au moins dix d'entre nous, et nous ne sommes que six maintenant.
Nous allons commencer par les témoins et, ce matin, nous avons le grand plaisir d'accueillir de l'Université Carleton, Mme Laura MacDonald, professeure associée de science politique et directrice du «Centre for North American Politics and Society». Bienvenue, Madame MacDonald. Je crois comprendre que vous souhaitez faire quelques observations pour commencer. Vous avez la parole. Nous attendons votre présentation et ensuite nous passerons à la période des questions et réponses.
Mme Laura MacDonald (professeure associée, Département de science politique; directrice, Centre for North American Politics and Society, Université Carleton): Merci, Monsieur le président et honorables députés. Je voudrais vous remercier de m'avoir invitée à comparaître devant votre comité pour discuter de cette importante question.
Il y a presque deux ans, l'Université Carleton mettait sur pied un centre de recherche sur les dimensions sociales, politiques et culturelles des relations entre les trois pays d'Amérique du Nord. C'est le centre que je dirige, le «Centre for North American Politics and Society». Nous étions d'avis que l'aspect économique avait fait l'objet de très nombreuses analyses, bien que peut-être insuffisantes, mais qu'en revanche l'autre aspect émergeant , plus mou, de l'Amérique du Nord avait été négligé. Depuis, nous avons organisé plusieurs conférences et de nombreuses tables rondes qui ont été bien accueillies par les universitaires, les fonctionnaires, les membres de la société civile ainsi que par le grand public. Ma fonction de directrice du Centre m'a offert une occasion très intéressante d'observer l'évolution du débat sur le rôle du Canada en Amérique du Nord au cours des deux dernières années.
L'Amérique du Nord est une région qui a poussé de façon spontanée sans qu'une réflexion sous-tende son tracé futur, son architecture, si vous voulez. Les événements du 11 septembre exigent que nous nous livrions à une réflexion sur l'orientation de l'Amérique du Nord et sur le rôle qu'assumera le Canada dans cet ensemble. Avant le 11 septembre, on s'inquiétait au Canada du déclin apparent de l'importance qu'a le Canada à Washington suite à l'arrivée au pouvoir de gens du Sud-Ouest des États-Unis, de la croissance du nombre d'électeurs latinophones et du regain d'importance du Mexique dans la politique étrangère et dans la vision mondiale qu'ont les États-Unis du monde. Il nous semblait constater une détérioration de la relation privilégiée et l'établissement d'un difficile partenariat nord-américain. Je dis difficile du fait de la jalousie mutuelle des deux partenaires subordonnés, le Canada et le Mexique qui rivalisaient entre eux pour s'attirer l'attention et l'affection des États-Unis. Comme nous le savons, tant le Canada que le Mexique ont conclu des accords de libre échange avec les États-Unis pour avoir un accès privilégié à l'économie américaine et ne souhaitaient pas partager ces avantages entre eux. Suite au 11 septembre, nous avons pu constater que les États-Unis ont recommencé à accorder plus d'attention à leur allié du Nord, mais nous semblons attirer cette attention pour la mauvaise raison, celle de la perception américaine qui veut que le Canada soit une terre accueillante pour les terroristes. Cette perception a des implications très graves pour les Canadiens.
Comme vous le savez, Washington a immédiatement réagi aux attaques du 11 septembre en imposant un état d'alerte élevée à la frontière, causant du même coup des retards très importants. Les É.-U. ont également placé des gardes armés à ce qu'on qualifiait de plus longue frontière du monde sans défense. Peter Andreas, l'un des experts des questions frontalières É.-U.-Mexique, appelle cela la «mexicanisation» de la frontière Canada-É.U., bien sûr les Canadiens et les décideurs politiques du Canada s'en inquiètent vivement.
Les responsables canadiens ont réagi convenablement en favorisant une réponse canadienne fondée sur des politiques élaborées en vertu du PSCA--Partenariat stratégique canado-américain--qui ne progressait que très peu avant le 11 septembre. Ces politiques préconisaient l'établissement d'un périmètre de sécurité nord-américain ou d'une zone de confiance établie en fonction d'une frontière dite efficace. Si ces mesures étaient adoptées, les contrôles frontaliers ne se feraient plus selon des tracés géographiques entre les deux pays mais ils s'effectueraient à différents emplacements à l'intérieur et à l'extérieur de l'Amérique du Nord continentale. Les défenseurs de cette formule espèrent réaliser des objectifs qui, à mes yeux, ne semblent pas compatibles, c'est à dire, la disparition des frontières en ce qui concerne le mouvement de biens, de capitaux et de personnes qualifiés de désirables, et le resserrement du contrôle des biens, capitaux et personnes qualifiés d'indésirables. Cette solution représente ce qu'on pourrait appeler «l'européanisation» du régime frontalier nord-américain, par opposition à la mexicanisation de la frontière Canada-É.-U. C'est une solution intéressante à bien des égards. Toutefois, nous ne devrions pas oublier que le débat se poursuit à Washington sur la façon d'atteindre l'équilibre entre le commerce et la sécurité et le choix le plus souhaitable des deux.
¿ (0915)
Du côté canadien, ces mesures correspondent aux demandes des résidents frontaliers et du secteur des affaires. Celui-ci a, depuis le 11 septembre, énergiquement favorisé ces mesures, dont certaines sont, cependant, très controversées. On s'inquiète, en général, d'une éventuelle harmonisation ou convergence graduelle d'une vaste gamme de politiques nationales avec les politiques américaines, et on s'inquiète également des retombées que cela peut avoir sur la souveraineté. Certains se soucient du fait que les États-Unis se préoccupant de plus en plus de la défense du territoire national, quelle que soit la définition qu'i lui est donnée aux États-Unis--je n'en suis pas tout à fait sûre--et de la mise sur pied du Commandement du Nord, la souveraineté canadienne et l'autonomie canadienne en matière de politique s'en trouveront affectées de façon inacceptable. Parallèlement, les Canadiens s'inquiètent, à juste titre, de la résurgence apparente du protectionnisme américain. Il y a eu de toute évidence des accrochages à propos du bois-d'oeuvre, de l'acier et de l'agriculture et des problèmes sont en train de poindre dans le secteur de l'automobile.
Ainsi la marge de manoeuvre canadienne semble très étroite dans cette nouvelle mentalité de «Forteresse Amérique du Nord», si vous voulez. Il apparaît de plus en plus clairement que notre avenir, que nous le veuillons ou pas, est en Amérique du Nord. Mais quel genre d'Amérique du Nord?
Comme je l'ai déjà dit, l'engagement canadien envers l'Amérique du Nord et en faveur d'une authentique relation trilatérale avant le 11 septembre était plutôt tiède. Les relations bilatérales canado-américaines se sont resserrées après le 11 septembre, tant au Canada qu'aux États-Unis. Je dirais, néanmoins, que la notion qui veut que nous nous livrions à une sorte d'approche à deux voies en nous préoccupant uniquement de notre relation bilatérale, excluant ainsi le Mexique, n'est qu'une vision à court terme. Je crois que nous ne serons pas en mesure de récupérer notre ancienne relation privilégiée avec les États-Unis, quelle que soit notre volonté de le faire. Comme nous le savons--et je crois que Stacey s'étendra sur cette question--le Mexique deviendra bientôt le plus important partenaire commercial des États-Unis. Je dirais qu'il est plus connu par les Américains en général et par les décideurs politiques de Washington que le Canada. Lorsque les Américains parlent de l'Amérique du Nord, en général ils pensent au Mexique.
L'un des indices de la trilatéralisation inévitable d'une relation auparavant bilatérale est que le Mexique et les États-Unis ont conclu une entente de frontière efficace copiée sur le modèle de celle conclue entre le Canada et les États-Unis bien que plus limitée. Ainsi, si naturellement le Canada se préoccupait surtout de sa relation avec les États-Unis, il ferait preuve de courte vue en ne reconnaissant pas le fait que les États-Unis voudraient établir une certaine symétrie à leurs frontières et avec leurs partenaires. En effet, au plan politique, les décideurs de Washington auront beaucoup de mal à justifier le fait d'accorder un traitement plus particulier au Canada qu'au Mexique.
Le Mexique, vu de façon plus positive, représente un contrepoids potentiel et utile aux États-Unis, si nous pouvons faire abstraction de nos différences et de nos tendances à la concurrence et que nous pouvons apprendre à mieux nous connaître. Les Mexicains éprouvent les mêmes inquiétudes que ressentent les Canadiens concernant leur souveraineté et nous partageons des points de vue communs en matière de politique étrangère. Nous devons, toutefois, reconnaître le fait que l'Amérique du Nord est une région très asymétrique et, jusqu'ici, on ne s'est pas suffisamment préoccupé des disparités économiques ou autres entre et dans les pays de la région et cela s'est accentué par l'adoption poussée en Amérique du Nord du modèle néo-libéral d'intégration.
Par conséquent, je conclus en faisant les brèves recommandations suivantes.
Premièrement, le ministre Graham a annoncé que MAECI se livrera à un examen de la politique étrangère. De toute évidence, contrairement à l'examen de la politique étrangère effectué à l'époque lointaine du premier ministre Trudeau, cet examen devra principalement porter sur notre relation avec les États-Unis et notre rôle en Amérique du Nord. Je dirais également que ce processus doit susciter un apport important de la part de la société civile en plus de celui du secteur des affaires. Comme je l'ai écrit ailleurs, les étapes précédentes de l'intégration nord-américaine se sont caractérisées par une représentation inadéquate de large secteurs sociaux de la société entraînant ainsi une hostilité contreproductive et une confrontation entre le gouvernement, le secteur des affaires et la société civile. Je crois donc que toute étape ultérieure vers l'intégration devrait s'accompagner d'un dialogue constructif comme, en effet, l'a entrepris ce comité et peut-être même d'une révision de certains éléments de l'ALÉNA, comme le chapitre 11, un point que la majorité de la société civile considère épineux. Le Canada devrait également appuyer l'établissement de liens entre les membres de différents secteurs de la société civile, comme ceux des femmes et des autochtones, à travers les trois pays.
¿ (0920)
Deuxièmement, alors que l'intégration économique s'est effectuée très rapidement, à mon avis, on ne s'est pas suffisamment préoccupé de définir des mécanismes qui pourraient être adoptés tant à l'échelle nationale que nord-américaine pour traiter des disparités sociales et économiques ainsi du déficit démocratique résultant de l'intégration. De telles mesures pourraient comprendre des mécanismes d'application plus musclés au chapitre de la Commission nord-américaine de coopération environnementale, de l'Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail et peut-être, confier un mandat plus large à la Banque de développement nord-américaine et en accroître le financement.
Troisièmement, je recommande qu'on reconsidère la décision politique de ne pas offrir d'aide économique au Mexique par le canal de l'ACDI sous prétexte que c'est un pays en développement à revenu intermédiaire. Le fait que le Canada ait offert une aide financière au Mexique suite à la crise du peso montre que le Mexique occupe une place particulière pour le Canada et pour le bien-être des canadiens. En outre, bien que le niveau du revenu par habitant au Mexique puisse être relativement satisfaisant, les inégalités profondes et croissantes dans la société mexicaine signifient que de nombreux Mexicains vivent dans la pauvreté et ont besoin d'aide, il s'agit plus particulièrement des peuples autochtones, des paysans et des femmes.
Enfin, je pousse le gouvernement à offrir un plus grand soutien à la recherche et à l'éducation dans le domaine des études nord-américaines. À l'Université Carleton, nous avons récemment organisé une conférence pour discuter de l'établissement d'un réseau de gens qui étudient l'Amérique du Nord étant donné que jusque là il n'existait pas de relations universitaires significatives entre ceux qui étudiaient les trois pays de la région.
Merci beaucoup, Monsieur le président.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci beaucoup, Madame MacDonald.
Nous allons passer maintenant à la Fondation canadienne pour les Amériques (FOCAL) et ses représentants, le directeur général M. Donald MacKay et Mme Stacey Wilson-Forsberg, analyste de politiques. Je crois que Mme Wilson-Forsberg commencera. S'il vous plaît.
Mme Stacey Wilson-Forsberg (analyste de politiques, Fondation canadienne pour les Amériques (FOCAL)): Honorables députés, nous vous remercions de l'occasion que vous nous offrez de comparaître devant votre comité pour discuter de la relation nord-américaine, et plus particulièrement des positions canadiennes et mexicaines au sein de cette relation. Il nous fait vraiment plaisir de constater que votre comité a décidé de relever le défi que représente l'étude du thème de l'intégration nord-américaine et que vous ayez tenu des audiences publiques à travers le Canada.
Comme vous le savez peut-être, FOCAL est un organisme indépendant qui se consacre à l'approfondissement et au resserrement des liens avec les pays d'Amérique latine et des Caraïbes par le biais de la discussion des politiques, de l'analyse et de la publication de documents de recherche. FOCAL a pour mandat de susciter une plus grande compréhension des questions hémisphériques importantes et de renforcer la communauté des Amériques. L'étude de la communauté émergeante nord-américaine constitue, pour FOCAL, un secteur d'élaboration de programme. FOCAL a été invité à se joindre à des discussions de politique et à des dialogues déjà en cours ou récemment entamés.
Nous croyons que le point faible évident du Canada est celui de la méconnaissance du Mexique et ce, malgré le fait qu'il existe plusieurs chercheurs et institutions qui sont versés en la matière. C'est peut-être dû en partie à cette lacune qu'il a été si difficile de considérer le Mexique dans nos discussions sur l'Amérique du Nord. C'est pour cette raison que le modèle d'intégration à deux vitesses gagne du terrain au Canada et nous pensons qu'il peut s'avérer particulièrement inquiétant. Les défenseurs de ce modèle prétendent que le Canada et les États-Unis devraient accroître l'intégration bilatérale et inviter le Mexique à s'y joindre après avoir consolidé sa modernisation. Pour tout dire, ce qui se fait à l'heure actuelle entre les États-Unis et le Canada n'est pas réalisable avec le Mexique.
En effet, la modernisation du Mexique est longue et onéreuse. Ce pays est actuellement en période de consolidation politique démocratique. Le gouvernement réformateur doit s'accommoder d'institutions dépassées et non démocratiques et apprendre à négocier avec le Congrès et autres acteurs politiques influents. La corruption constitue encore un problème grave. Le pays éprouve un besoin aigu de réforme judiciaire et les puissants cartels de la drogue ont ravagé les forces de l'ordre mexicaines et leurs institutions. De plus, comme l'a mentionné Laura MacDonald, la moitié des 100 millions d'habitants vivent dans la pauvreté, la répartition des revenus et le développement sont extrêmement inéquitables et le pays souffre d'un taux trop élevé de sous-emploi, de niveaux trop faibles d'éducation et de taux plus que faibles de perception d'impôts.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le peso mexicain a pris des forces au cours des sept dernières années et l'économie est demeurée très stable et ce, du fait d'une gestion économique saine. L'autre moitié de la population mexicaine, quelque 50 millions de personnes, c'est à dire un nombre de personnes supérieur à la population canadienne, est jeune, citadine, bilingue et son attitude est profondément nord-américaine ou internationale. Cette tranche de la population constitue une main-d'oeuvre hautement qualifiée, innovatrice et laborieuse souhaitant profondément voir le Mexique réaliser son potentiel. Bien que ce soit un pays qui de nantis et de pauvres, le Mexique progresse résolument aux plans industriel, manufacturier et technologique. Il a contourné la majeure partie du 20e siècle technologique et pourrait se transformer en tigre économique au cours des vingts prochaines années. Cela entraînerait la naissance d'un immense bassin de consommateurs pour les produits et services des États-Unis et du Canada, ainsi que d'importantes possibilités de partenariat et de coopération dans plusieurs domaines.
Le Canada et les États-Unis doivent réfléchir sérieusement à la place à accorder au Mexique dans cette stratégie nord-américaine. L'ignorer en ce moment particulier de son histoire serait probablement une erreur de taille. Pourtant, il est difficile de convaincre les Canadiens de l'importance de collaborer avec le Mexique étant donné qu'ils en savent si peu. Depuis la mise en oeuvre de l'ALÉNA en 1994, les craintes qu'ont en général les Canadiens de perdre des emplois au profit du Mexique ont été largement réfutées. De nombreux sondages indiquent que le public canadien ne craint plus le Mexique au plan de l'économie mais, en revanche, la disparition de cette crainte n'a pas fait place à une compréhension générale du Mexique, particulièrement en ce qui concerne ses réalités sociales et politiques.
¿ (0925)
Au plan de l'économie, l'ALÉNA a puissamment stimulé les relations Canada-Mexique. Il y a toutefois d'excellentes possibilités d'accroissement du commerce et des investissements entre les deux pays. Les entreprises canadiennes doivent élaborer une stratégie à long terme lorsqu'elles s'installent au Mexique et ne peuvent pas y aller uniquement à cause de la main-d'oeuvre bon marché. Elles doivent faire preuve de fidélité et ne pas s'enfuir dès les premiers signes d'instabilité politique et économique.
Les liens politiques au niveau ministériel entre le Canada et le Mexique sont actuellement informels et naturels et les initiatives de coopération bilatérale entre les deux pays sont très nombreuses. Bien qu'il y ait des interactions quotidiennes entre certains ministères fédéraux et provinciaux canadiens avec le Mexique, la majorité de ces initiatives sont cependant entachées d'incompréhension mutuelle totale ou presque. Cela est partiellement dû à des réseaux incomplets et peut-être à des lacunes au plan culturel mais certainement au plan linguistique. Comment peut-on entreprendre de stimuler l'intérêt pour ce pays et le faire connaître au gouvernement canadien, au secteur privé et à la société canadienne en général? FOCAL a entre autres objectifs nord-américains de le faire petit à petit.
À la fin février, FOCAL a participé, avec Laura MacDonal de l'Université Carleton et l'Institut Nord-sud, à une série d'activités à Ottawa visant à discuter des réalités mexicaines et du point de vue de ce pays sur l'intégration nord-américaine. La table ronde organisée par FOCAL a réuni un petit groupe d'experts politiques mexicains et de décideurs canadiens ainsi que des chercheurs de plusieurs ministères fédéraux. Les participants ont discuté des nouvelles relations nord-américaines, notamment en termes d'institutions, de commerce et d'investissement, de développement durable et d'environnement, de gestion des frontières et de sécurité. Ils ont conclu que les deux pays avaient encore beaucoup à apprendre l'un de l'autre et plus particulièrement en ce qui concerne leurs relations respectives avec les États-Unis. Ils ont également souligné le fait que même si les décideurs et les chercheurs canadiens et mexicains s'accordent sur de nombreux points, en revanche ils sont fréquemment en désaccord sur l'orientation à donner aux relations nord-américaines à long terme et sur les mesures à prendre pour y arriver.
FOCAL recommande que, parallèlement aux occasions de débats et de dialogues, on entreprenne des échanges et des tournées d'études d'employés opérationnels canadiens et mexicains auxquels on offrirait de plus amples occasions d'interagir avec leurs homologues. On devrait également consolider la relation bilatérale entre les secteurs non-gouvernementaux canadiens et mexicains. Et cela est d'autant plus important dans les domaines de la recherche universitaire et politique. Le Canada compte relativement peu d'experts sur le Mexique mais au Mexique, on en compte encore moins sur le Canada. À l'instar du secteur gouvernemental, il serait utile de susciter plus d'interactions entre ces catégories. De plus, il faudrait favoriser la recherche canadienne et mexicaine sur les possibilités et les défis que représente une coopération trilatérale accrue entre partenaires de l'ALÉNA.
En conclusion, un engagement nord-américain approfondi et l'instauration d'une communauté nord-américaine représentent de nombreux défis. Le potentiel non-réalisé de la relation bilatérale Canada-Mexique peut se réaliser par le biais d'une volonté politique conjuguée à l'engagement des secteurs privés et des sociétés des deux pays au sens large du terme.
Merci.
¿ (0930)
[Français]
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci beaucoup.
[Traduction]
Merci beaucoup, Madame Wilson-Forsberg.
Nous allons commencer maintenant la période de questions, Monsieur Martin.
M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne): Merci beaucoup, Monsieur le président.
Merci à tous d'être ici aujourd'hui.
Professeure MacDonald, en ce qui concerne l'instauration d'une communauté nord-américaine, comme nous le savons tous, l'un des problèmes que nous devrons régler sera celui de l'élaboration de mécanismes de résolution des différends. Je pense que les mécanismes actuels, particulièrement ceux relatifs au commerce, sont inadéquats. Avez-vous des idées sur la façon dont on pourrait établir des mécanismes qui résoudraient de meilleure façon nos différends commerciaux? Pourriez-vous recommander une commission à laquelle participent deux ou trois pays dans laquelle nous pourrions jouer un rôle proactif en vue de prévenir ces désaccords? Il faudrait que ce soit une commission de haut niveau où l'on peut échanger des idées sur des problèmes communs comme la drogue, le renouvellement du programme social, l'économie, la compétitivité.
Ma deuxième question est adressée à Mme Wilson-Forsberg. Vous avez mentionné le commerce de drogues illicites, dont on entend plus fréquemment parlé au Sud des États-Unis, en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Pensez-vous qu'il soit utile qu'en ce qui concerne ce problème, qui dévaste de si nombreux pays de cette hémisphère, le Canada tente de convaincre d'autres pays du continent, peut-être par le biais de l'OÉA, d'élaborer l'adoption trans-hémisphérique de permis d'import-export relatifs aux produits chimiques précurseurs entrant dans la fabrication de drogues illicites? Les autres nations devraient-elles adopter des amendements sur le modèle de la loi RICO, de manière à disposer de pouvoirs accrus pour combattre le crime organisé? Devrions-nous investir plus d'efforts dans l'élimination des barrières commerciales, particulièrement dans le cas des pays en développement à revenu intermédiaire? Je citerai l'exemple de la Colombie.
Mme Laura MacDonald: Je ne suis pas une spécialiste des questions commerciales, mais je répondrais à la question sur les mécanismes de résolution des désaccords en exprimant des doutes quant à pouvoir obtenir un meilleur processus dans le contexte nord-américain et ce, du fait que les États-Unis sont dominants en Amérique du Nord, c'est la puissance hégémonique de la région qui ne souhaite évidemment pas établir des mécanismes plus adéquats ou remettre en question des problèmes comme ceux du bois d'oeuvre qui sont plus délicats au plan politique. J'aurais tendance à croire que, bien que FOCAL aura peut-être quelque chose à dire à ce sujet, il vaudrait mieux se fier aux mécanismes de l'OMC, plutôt que d'attendre la définition d'un nouveau processus en Amérique du Nord. Je crois qu'il ne faut pas oublier cette asymétrie de la puissance dans notre région, dont j'ai déjà parlée.
En ce qui concerne une commission nord-américaine, je pense que, par exemple, Robert Pastor, qui a comparu devant le comité, s'est dit en faveur d'une telle commission. Je pense qu'il ne serait pas mauvais de mettre sur pied une sorte de commission exploratoire et non-officielle constituée d'experts et de parties concernées provenant de différents secteurs en vue d'examiner ces questions parce que je ne suis pas convaincue qu'on les ait déjà envisagées sérieusement. Dans l'éventualité où le Canada décide d'entamer des négociations avec nos partenaires sur cette question, j'insisterai pour que nous nous assurions qu'une telle commission soit authentiquement large et qu'elle représente tous les secteurs de la société canadienne.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur MacKay.
M. Donald MacKay (directeur général, Fondation canadienne pour les Amériques (FOCAL)): Je voudrais parler de la résolution des différends--et bonjour, mesdames et messieurs.
Avant d'assumer mes fonctions actuelles auprès de FOCAL, j'ai été agent du service extérieur du Canada et j'ai fait partie de l'équipe de négociation de l'ALÉNA, il y a déjà une dizaine d'années. En ce qui concerne la résolution des différends, il faut tenir compte de deux éléments clés. Premièrement, si votre question porte sur le bois d'oeuvre, et je suppose qu'elle préoccupe tout le monde, il ne faut pas oublier qu'il s'agit là d'un problème qui, sous une forme ou une autre, a empoisonné les relations canado-américaines depuis les années 1870. La question est très complexe et elle affecte les droits économiques de secteurs importants et politiquement influents dans les deux pays. Si l'on ajoute à cela une procédure ou un mécanisme, il faudrait qu'ils tiennent compte, à un certain niveau, du fait qu'on a affaire à des intérêts très puissants et politiquement sensibles dans les pays.
Je pense que l'ALÉNA, plus particulièrement le processus du chapitre 19, montre que les deux pays, et pour y inclure le Mexique, les trois pays, étaient disposés à renoncer à une part de souveraineté. C'est la second point à retenir, à savoir que lorsqu'il s'agit de discuter de mécanisme de résolution des différends, vous prétendez que les gouvernements ou pays se désistent volontairement d'une petite part de souveraineté en ce qui concerne leur capacité de décider unilatéralement à l'interne. Le chapitre 19 a multilatéralisé cette chose, si je peux m'exprimer ainsi, en trois parties concernées comprenant des groupes d'experts binationaux.
Il n'existe pas au sein de l'OMC de pareils processus sur l'antidumping. Les négociations du Cycle d'Uruguay comprenaient une mise à jour du mécanisme de résolution des différends au sein de l'OMC, mais accompagnée d'un calendrier, de facteurs coûts, de toutes ces sortes de catégories. En faisant leur comparaison dans le mécanisme de l'ALÉNA et celui de l'OMC, on constate que celui de l'ALÉNA est plus rapide. Bien qu'aux yeux de plusieurs, il demeure trop lent, c'est ce qu'il y a de plus rapide au niveau multilatéral. Il peut évidemment être amélioré mais il faudrait que le secteur politique s'y engage. Je pense que le Congrès et le Sénat des États-Unis ne favorisent pas, à l'heure actuelle, une telle orientation. En réalité, ils ne l'ont jamais favorisée et je pense que la fin des années 1980 et le début des années 1990 représentaient des époques où des concepts politiques comme le chapitre 19 pouvaient voir le jour.
Je voudrais aborder un dernier point. Vous savez peut-être que plusieurs secteurs américains ont tenté de contester la constitutionnalité du chapitre 19 dans le système américain. Jusque là, toutes ces tentatives ont échoué, mais en elles-mêmes, ces tentatives soulignent le sens aigu de la nécessité de protéger la souveraineté américaine.
¿ (0935)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci.
Passons à la deuxième question concernant le commerce de la drogue.
Mme Stacey Wilson-Forsberg: Je commencerai par le côté Mexique-États-Unis, ensuite je pense que je laisserai la parole à M. MacKay pour nous parler du restant de l'hémisphère. FOCAL oeuvre également en Colombie.
En ce qui concerne le problème de la drogue, compte tenu de la consommation et de la demande, il se peut que l'évolution soit très lente, mais le président Bush a reconnu pour la première fois qu'aux États-Unis la demande constituait un problème. Le Mexique a été exclu, du moins temporairement, du processus de certification annuelle par les États-Unis.
Concernant le reste de l'hémisphère...
M. Donald MacKay: L'OÉA a travaillé sur cette question et j'ai eu l'occasion de collaborer avec cet organisme pendant cinq ans. Le secrétaire général César Gaviria est un ancien président de la Colombie, celui qui occupait le poste au moment de la chute de Pablo Escobar ainsi que d'autres membres du cartel de Medellin. L'OÉA et le secrétaire général Gaviria comprennent très certainement les effets corrosifs qu'a le commerce de la drogue sur la société. En Colombie seulement, celui-ci a presque entraîné la désintégration complète de l'État et de nombreux instruments de gouverne par le biais d'assassinats, de menaces, de harcèlement, ce type de choses.
En ce qui concerne le long terme, pour tout vous dire, je n'ai pas vraiment de réponse. La consommation en fait certainement partie. Le président Clinton s'intéressait particulièrement à mettre en place des possibilités de substitution à la drogue pour les jeunes des quartiers déshérités, comme par exemple ce qu'on appelait le basket ball de nuit. Il existe un certain nombre de programmes communautaires et municipaux qui ont apporté une amélioration marquée à ce chapitre. Mais il ne fait aucun doute que là où il y a une demande, l'offre suit. C'est une commerce extrêmement lucratif, si je comprends bien. Le gain continuera d'être un facteur décisif à ce chapitre.
¿ (0940)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci.
Madame Lalonde.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Merci. Merci à vous deux pour vos présentations.
D'abord, madame MacDonald, merci pour vos recommandations. Selon ce que j'ai compris, vous allez plutôt dans le sens de privilégier une relation trilatérale. Cependant, comment pensez-vous pouvoir convaincre davantage les Canadiens de cette nécessité? Cette étude que nous avons entreprise nous a amenés à rencontrer beaucoup de gens. Nous sommes allés aux États-Unis et au Mexique. Les Mexicains sont très intéressés à une vraie relation trilatérale, donc à un rapprochement avec le Canada aussi. Toutefois, au Canada, il y a une tentation constante de s'en tenir à une relation privilégiée qu'on pense pouvoir continuer avec les États-Unis.
Ce que Mme Wilson-Forsberg a dit est important aussi. Il est essentiel de mieux connaître le Mexique. Celles et ceux qui pensent que le Mexique est un pays en voie de développement et que ses industries ne peuvent pas concurrencer celles du Canada et du Québec se trompent amèrement et ils peuvent en subir des conséquences, de même que le Québec et le Canada. Comment faire pour mieux comprendre l'intérêt qu'il y a à avoir une vraie relation trilatérale et même, dans certains cas, une relation privilégiée avec le Mexique pour être mieux en mesure de convaincre les États-Unis sur un ensemble d'enjeux?
Un de ces enjeux est la pauvreté au Mexique. Avec le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, je suis allée rencontrer des représentants de toutes les parties de la société pour discuter de trois questions. Pour le moment, je vais vous parler du fonds de développement social et structurel que le président Fox avait proposé au mois d'août 2000 et qui était inspiré de ce qu'a fait l'Union européenne.
L'Union européenne a fait ça avant d'admettre certains pays--évidemment, c'était dans un marché commun--pour permettre que ces pays-là n'aient pas que des bas salaires et des problèmes de transport, mais puissent être un véritable marché en même temps. Donc, ce n'est pas juste par charité qu'elle a fait cela.
Comment peut-on faire avancer cette idée d'une vraie relation trilatérale? D'abord, êtes-vous d'accord sur un fonds de développement social et structurel et comment peut-on faire avancer cette idée?
Madame Wilson-Forsberg, vous n'avez pas parlé du rôle des parlementaires. Il me semble que dans les rapprochements qui vont dans le sens de pressions sur les sociétés, le rapprochement des parlementaires est important. Je dois vous dire que c'est le sous-ministre aux Affaires étrangères, M. Berruga, qui le premier nous a proposé cela quand nous l'avons rencontré. J'aimerais connaître votre opinion sur un fonds de développement social et structurel et également sur la façon de convaincre les Canadiens.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Madame MacDonald.
[Traduction]
Mme Laura MacDonald: Merci beaucoup pour ces excellentes questions.
Si vous le permettez, je souhaiterais ajouter quelque chose à une réponse que j'ai faite plus tôt. Je crois que Robert Pastor a proposé une excellente idée, celle de trilatéraliser, de quelque façon, les réunions de parlementaires, les réunions É.-U.-Canada et celles Mexique-Canada. Je ne vois pas pourquoi elles ne devraient pas au moins se chevaucher. Je pense qu'il serait vraiment utile de rapprocher les parlementaires vu qu'ils peuvent jouer un rôle très important en convaincant les Canadiens en général de la nécessité de collaborer avec le Mexique.
Convaincre les Canadiens du fait que nous soyons réellement des partenaires du Mexique sera très difficile et long. Je crois qu'il y a au Canada une longue tradition de paternalisme, ou même de racisme, envers les Mexicains. Au début de mes cours sur la politique nord-américaine, je demande à mes élèves de me parler de ce qu'ils savent du Mexique, ils pensent à la bière, aux tortillas et aux plages. Et rien d'autre. C'est la seule image qu'ils nourrissent du Mexique. Arrivés à la fin des cours, je constate qu'ils s'intéressent beaucoup au Mexique, peut-être même plus qu'aux États-Unis. Peut-être que c'est grâce à mon enseignement.
Une fois que les Canadiens en sauront plus long à propos des Mexicains, je crois qu'ils réaliseront que nous avons beaucoup d'intérêts en commun. Le Mexique renferme une incroyable richesse culturelle, une diversité intellectuelle et idéologique. Les Canadiens le trouvent fascinant une fois qu'ils ont l'occasion de le connaître. Malheureusement, jusqu'ici les échanges ont été plutôt faibles entre les deux pays. Comme l'a dit Stacey, il est difficile de trouver au Canada des experts sur le Mexique, même si l'on remonte jusque dans les années 1980. Presque personne ne s'intéressait au Mexique. Il y avait cette énorme montagne entre nous, les États-Unis, et nous ne pouvions pas lorgner de l'autre côté de cette montagne. L'une des retombées les plus utiles de l'établissement de l'ALÉNA a été de nous réunir, au moins au sein de cette institution, mais il nous reste beaucoup de chemin à parcourir pour faire en sorte que les partenaires dans cette relation soient vraiment égaux.
Alors, comment pouvons-nous atteindre cet objectif? Je crois que les échanges d'étudiants constituent des mécanismes élémentaires et à long terme. En réalité, il y a actuellement des échanges trilatéraux d'étudiants entre les universités des trois pays. De tels programmes doivent être élargis, et effectivement l'Université Carleton participe à un programme de ce type. Les étudiants tirent profit de leurs visites au Mexique ou aux États-unis grâce à ce qu'ils apprennent sur ces pays.
Il faudrait que nous envisagions--je sais que cela ne relève pas vraiment du Parlement--de réformer le cursus du cycle secondaire pour faire en sorte que les élèves s'instruisent, dès le début de leur parcours étudiant, sur le Mexique en tant que partenaire. Je crois que le gouvernement a, dans le passé, eu la tendance malsaine de favoriser le point de vue qui voulait que le Canada soit en concurrence avec le Mexique. Lorsque le président Fox du Mexique est arrivé au pouvoir, suivi de George Bush, on a été témoin d'une sotte concurrence pour savoir qui allait rencontrer en premier George Bush. J'ai pensé que cela était vraiment improductif, inutile, stupide et indigne. Il nous faut dépasser ce stade. Le gouvernement ne doit pas succomber à la tentation de voir dans le Mexique un concurrent de moindre importance et trouver, en revanche, des moyens de favoriser auprès des Canadiens la notion que le Mexique est effectivement un pays en développement qui progresse et qui a beaucoup à offrir aux Canadiens.
Nous pouvons également réfléchir à des moyens de collaborer sur des mesures concrètes en politique étrangère envers lesquelles nous nous sommes tous deux engagés, tel que la normalisation de la situation de Cuba dans l'hémisphère, les questions environnementales ou les éléments qui intéressent les deux pays comme le soutien d'institutions multilatérales, soutien qui n'est pas très fort aux États-Unis. Si le Canada et le Mexique pouvaient trouver des moyens de collaborer sur ces questions, le public pourrait alors réaliser que nous sommes des partenaires.
¿ (0945)
[Français]
Mme Francine Lalonde: Et que pensez-vous d'un fonds social et structurel?
[Traduction]
Mme Laura MacDonald: S'agissant des fonds structurels, je crois que l'idée est bonne. Je ne m'inquiète que d'une chose, l'approche mexicaine qui veut que ce soit un mécanisme de financement descendant qui va essentiellement financer la construction de routes et ne sera pas dirigé vers les régions où vivent les plus démunis. Je suis d'avis que si l'on adopte un tel mécanisme, il faudrait qu'il accorde une plus grande importance aux organisations non gouvernementales, aux méthodes de développement participatives ascendantes comme cela s'est effectivement fait avec certains fonds dans des régions frontalières dans le cadre de programmes environnementaux. Ces derniers ont réussi à intégrer des ONG et des collectivités et à susciter des idées de développement. Il y a au Mexique une tendance malheureuse, due à sa longue expérience d'un régime fort, étatique, centralisateur et autoritaire, de procéder par méthode descendante. Je crois que nous devons travailler avec les Mexicains à l'élaboration d'un régime de développement plus ascendant et plus équitable envers les femmes.
¿ (0950)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci.
Madame Wilson-Forsberg.
Mme Stacey Wilson-Forsberg: Je vais également commencer par l'idée d'un fonds de développement ou fonds social. On lui donne plusieurs noms maintenant; je crois que le plus récent est celui de financement de mécanismes de développement. On s'est éloigné du terme fonds de développement. Quand on l'a présenté la première fois au Mexique, il ne s'agissait que d'un fonds où le Canada, les États-Unis et le Mexique investissaient de l'argent, qui était géré soit par la Banque de développement nord-américaine, ce qui ne risque pas d'arriver, ou par la Banque interaméricaine de développement à Washington.
Premièrement, c'est un fonds à long terme. Nous parlons de 20 à 30 ans. Quant à convaincre le Canada de la nécessité de mettre sur pied ce type de fonds, ce n'est pas la façon dont le Mexique l'a articulé qui y réussira. Il n'a pas donné les détails sur la façon de gérer le fonds et de ce qui le constituera. Il y a 18 mois nous avons entendu parler pour la première et dernière fois de ce fonds, et depuis, nous n'avons pas eu plus de détails de la part du Mexique ou de qui que ce soit d'autre participant à la discussion sur l'intégration nord-américaine. Jusqu'à ce que ces détails soient clairement énoncés, je ne pense pas que l'idée de ce fonds de développement puisse même être discutée. Il est très difficile de cerner l'intérêt ou la participation du Canada dans cette idée de fonds de développement. Aux États-Unis, c'est un peu plus évident, étant donné le problème de migration.
En outre, les États-Unis ont examiné une autre solution que ce fonds, le Partenariat pour la prospérité, auquel je pense que Laura a fait référence. Il concerne plutôt l'infrastructure d'investissement du secteur privé. Cette idée pourrait être élargie pour englober plus d'approches. Le Canada, à travers les Affaires étrangères je pense, surveille ce fonds du Partenariat pour la prospérité pour en comprendre le fonctionnement et décider peut-être d'une éventuelle participation du Canada.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Nous passons maintenant à monsieur Harb.
M. Mac Harb (Ottawa-Centre, Lib.): Merci de votre excellente présentation. Je voudrais vous poser deux questions dont l'une traite de commerce. Probablement que vous pourriez y répondre Monsieur MacKay, Laura ainsi que Stacey pourraient ajouter leurs commentaires.
Il s'agit de toute la question de représailles et de mécanismes en place pour le règlement des différends commerciaux. J'essaie simplement de comprendre tout cela. Lorsque nous permettons aux pays d'adopter des mesures de représailles en vertu des dispositions de l'ALÉNA, de l'OMC ou d'autres dispositions encore, cela devient vraiment improductif. Lorsqu'on impose des tarifs douaniers sur un produit de consommation, on nuit à ses propres consommateurs. Je voulais vous interroger sur le bien-fondé qu'il y a à s'écarter tout à fait de cette notion et d'en adopter une autre préconisant une compensation financière plus facile ou laissant à un pays la capacité d,en forcer un autre en infraction à ouvrir de nouveaux marchés au profit du pays lésé et à réduire les tarifs douaniers. Plutôt que d'être punitive, cette méthode permettrait l'ouverture de nouveaux marchés. Qu'en pensez-vous?
Peut-être que Laura et Stacey pourraient également s'exprimer sur l'autre aspect de ma question. On entend parler d'une monnaie commune. Nous avons déjà constaté ce qui est arrivé en Argentine. Est-ce que l'adoption d'une telle monnaie serait réaliste à la lumière de toutes les mesures protectionnistes adoptées, des différents défis et des disparités entre les différents pays?
M. Donald MacKay: La question des représailles gêne particulièrement le gouvernement du Canada, et pas seulement s'agissant de relations bilatérales avec les États-Unis. Le groupe d'experts de l'OMC sur la commercialisation des avions a autorisé le Canada à adopter, jusqu'à un certain point, des mesures de représailles contre le Brésil, par exemple. Les groupes d'experts de l'OMC préciseront toujours que des mesures peuvent être adoptées, mais dans certaines limites. Les ministères des Finances et des Affaires étrangères émettent des listes répertoriant tous les produits importés. Si l'on prend l'exemple des agrumes, on peut imaginer les conséquences de l'imposition de tarifs douaniers sur les associations de grossistes et d'épiciers en colère contre le gouvernent du fait que ce dernier aura augmenté leurs coûts. En parcourant ensuite la liste jusqu'au sucre et aux textiles, etc, on s'aperçoit que la méthode de représailles pour un pays aussi axé sur le commerce que le Canada, Monsieur, finit par nous nuire au lieu de nous aider, et c'est là un motif qui fait que ce mécanisme est rarement appliqué à des mesures de représailles.
L'autre facette de l'équation que vous avez mentionnée, c'est à dire un accès accru au marché à titre de compensation, est déjà préconisé par l'OMC en vertu de l'article 28 de l'ancien GATT. Il est difficile de l'appliquer dans le contexte du libre-échange étant donné que les tarifs douaniers sont tous déjà réduits. Il n'existe plus de tarifs douaniers entre le Canada et les États-Unis; depuis au moins cinq ans. Ainsi, si les É.-U. faisaient quelque chose à l'encontre de laquelle nous devrions adopter des mesures de rétorsion et, plutôt que d'imposer ces mesures, nous cherchions à obtenir compensation, en l'occurrence il n'y aurait plus rien à encaisser. C'est une énigme.
À mon avis, la méthode la plus efficace serait celle de l'intervention des leaders politiques des pays concernés. Les responsables prendront toujours en charge les détails techniques mais il revient aux leaders politiques, c'est à dire le cabinet ou le chef du gouvernement, de discuter avec l'autre partie, George par exemple, pour lui expliquer que les actions de l'autre pays causent un vrai problème interne. Que peut-on faire? Un signal transmis par le sommet au niveau politique constitue un instrument d'une efficacité remarquable. Si, sur une question donnée, le président et le premier ministre décidaient que les bureaucrates doivent régler ce problème pas plus tard que le x, ce type de message pourrait mener au règlement de ce dont nous discutons.
¿ (0955)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Madame MacDonald.
Mme Laura MacDonald: Je crois qu'en ce qui concerne une union monétaire, il n'existe pas actuellement de possibilités réalistes ou souhaitables. Premièrement, elle n'est pas nécessaire étant donné que nous avons une dollarisation de fait du commerce international à travers la région et, effectivement, ailleurs la monnaie de commerce est celle des États-Unis, donc nous n'avons pas besoin d'adopter une monnaie commune. Mais d'abord et avant tout, cela supposerait une érosion inacceptable de la souveraineté canadienne. Le Canada n'aurait pas son mot à dire dans l'éventualité de l'adoption d'une nouvelle monnaie. Je crois que le flottement de la monnaie a relativement bien servi le Canada jusqu'ici.
Bien sûr, il y a le problème de la faiblesse du dollar canadien, lequel s'améliore, mais je crois que ce problème peut se régler par l'adoption de mesures traitant de la faiblesse de la productivité canadienne. Je ne crois pas que nous puissions régler le problème en disant arbitrairement que le dollar vaut plus, ce que prônent les défenseurs de cette solution. Nous devons nous attaquer aux problèmes sous-jacents qui causent la faiblesse du dollar à long terme, et cela est très difficile.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Madame Wilson-Forsberg.
Mme Stacey Wilson-Forsberg: En réalité, je suis d'accord. Je me souviens d'avoir lu l'été dernier de nombreux éditoriaux et débats dans les journaux canadiens sur une monnaie commune entre le Canada et les États-Unis. Compte tenu des discussions sur l'intégration nord-américaine qui se sont déroulées au cours des 18 derniers mois avec différents acteurs non gouvernementaux, la monnaie commune ne fait pas réellement partie des discussions actuelles. Je crois qu'au départ les gens n'en sont pas convaincus. Elle ne semble pas faire partie des questions sur l'intégration dont les gens discutent.
Également, s'il faut absolument envisager une monnaie commune, je crois que les pays d'Amérique Latine qui ont adopté le dollar américain devraient faire l'objet d'un examen très approfondi. Il s'agit de l'Équateur, du Salvador et du Panama. L'Argentine n'a pas adopté le dollar américain; elle a rattaché sa monnaie au dollar.
À (1000)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur MacKay.
M. Donald MacKay: Je voudrais ajouter un point, la monnaie a essentiellement deux fonctions: celles d'agir comme un garant de valeur et ensuite de servir de moyen d'échange. Au sein de l'Union européenne, les monnaies nationales ont bien rempli à la fois leurs fonctions de garantes de valeur et de moyens d'échange. L'adoption d'une monnaie commune a simplement réduit les coûts des transactions, le coûts de conversion de francs français en deutchmarks, en francs belges, etc. En ce qui concerne l'Argentine, l'Équateur et quelques autres pays éprouvant des difficultés, la monnaie n'est plus garante de valeur. La confiance publique dans la monnaie s'est complètement érodée. Et c'est là que commencent les problèmes.
Je n'ai pas le sentiment qu'au Canada ou au Mexique, dans l'espace géographique nord-américain, les monnaies nationales ne renferment plus ces facteurs. Comme l'a dit, avec raison, la professeure MacDonald, nombre d'entreprises très importantes fixent les prix de leurs produits et services ainsi que de leurs intrants en dollars américains, même si ce n'est qu'au plan national. Ainsi, il y a, le cas échéant, une dollarisation de fait. Lorsque cette dernière n'est pas utile, il ne faut pas vouloir réparer quelque chose qui fonctionne bien.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci beaucoup.
Nous allons consacrer maintenant cinq minutes aux questions et réponses--des questions et réponses courtes, s'il vous plaît.
Monsieur Martin.
M. Keith Martin: L'un des défis que nous devons relever est celui d'entreprendre les décideurs américains de façon plus efficace. Monsieur MacKay, avez-vous des idées sur la façon d'entreprendre nos homologues des États-Unis? Ils ne nous voient pratiquement pas. J'aimerais que vous nous disiez comment nous pouvons élaborer des mécanismes qui nous permettraient de mieux entreprendre nos homologues là-bas.
Deuxièmement, le professeur Barry de Calgary a dit lors de son témoignage que nous devons «reconnaître que, plus nous intégrons notre activité à celle des É.-U., plus nous risquons de perdre de la visibilité ailleurs.» Par conséquent, je me pose la question de savoir si vous ou la professeure MacDonald avez identifié des initiatives en politique étrangère, commerciale ou de défense que le Canada peut adopter et qui feraient avancer ses intérêts et renforceraient notre position lors de négociations bilatérales avec les États-Unis.
M. Donald MacKay: Quant à la volonté d'entreprendre les Américains, votre collègue, Mme Lalonde, a fait plus tôt allusion à cet exemple dans sa question sur les échanges de parlementaires, de leaders élus, pour mieux se connaître.
M. Keith Martin: Et surtout, de première importance, au niveau de la fonction publique.
M. Donald MacKay: Absolument. Je vais en parler par ordre descendant.
Il y a deux semaines, par exemple, votre collègue de l'autre chambre, la sénatrice Hervieux-Payette, a été l'hôte d'une réunion de sénateurs canadiens et mexicains à Mont-Tremblant--je regrette, il ne s'agit pas exclusivement de sénateurs, il y avait également des députés. C'était là des échanges très fructueux. Ils ont discuté pendant trois jours. Si nous pouvions atteindre aux États-Unis le sénateur Max Baucus, du Montana, nous résoudrions certainement beaucoup de problèmes. Les échanges entre représentants élus des deux pays se dérouleraient bien.
L'une des choses que j'avancerais est que l'ambassade du Canada à Washington a toujours été dirigée par un très haut responsable. Que ce soit Derek Berney ou M. Chrétien--le moins connu des deux Chrétiens--ou l'ambassadeur actuel, Michael Kergin, ce sont là de très hauts fonctionnaires, et cette ambassade n'a qu'un seul objectif, celui de s'assurer que n'importe quelle personne d'importance au sein du gouvernement des États-Unis accepterait l'appel téléphonique de cet ambassadeur canadien. Je ne crois pas que l'accès ait jamais constitué un problème, parce que, selon ce que j'en sais, les présidents et tous les autres, acceptent de répondre aux appels téléphoniques de l'ambassadeur canadien en poste. La question est celle de discuter des problèmes et nous devons comprendre qu'à l'occasion, ils sont épineux. Le litige du bois d'oeuvre durera longtemps, et nous ne pouvons que le travailler patiemment en réglant certains petits problèmes avant de nous attaquer à l'essentiel, mais ce sera toujours une question de très grande importance dans les relations bilatérales entre nos deux pays.
Il faudrait également remarquer que, compte tenu de l'exigence de brièveté, quelque 4 p. 100 du commerce sont sujets à contestation. Les autres 96 p. 100 vont bon train sans aucune difficulté. Je crois inutile de définir une relation uniquement par ses différends. Il faut trouver un équilibre.
À (1005)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Madame MacDonald.
Mme Laura MacDonald: À propos d'attirer l'attention de Washington, je suis d'accord avec ce qu'a dit M. MacKay, et j'ajouterais qu'il pourrait être utile d'investir plus d'argent dans une stratégie efficace de lobbyisme. Je crois que l'ambassade du Canada n'est pas bien nantie à ce chapitre. Les Mexicains ont été d'une très grande efficacité en engageant des conseillers cher payés à Washington et en permettant à leurs gens de pouvoir rencontrer les représentants au Congrès. Nous pourrions peut-être nous en inspirer.
En ce qui concerne les priorités en matière de politique étrangère, voici une proposition de grande valeur. Je crois que le Canada a toujours réussi à assumer son rôle de puissance moyenne en faisant connaître au plan international les problèmes importants. L'une des possibilités de collaboration entre le Mexique et le Canada est celle de la dette mondiale. On a tenu récemment à Monterey une conférence très importante sur le financement pour le développement. Régler la question reconnue de la dette n'est qu'un seul problème. Le SIDA constitue une crise qui lui est subordonnée. Je crois que le Canada peut jouer un rôle capital dans la recherche d'une solution à cette crise grave, particulièrement en Afrique. En effet le Canada tente de faire quelque chose pour l'Afrique et je crois que nous pouvons en faire plus à ce chapitre de la santé publique.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci.
Avant de passer à M. Paquette et à la série suivante de questions, nous allons effectuer des travaux de routine du comité pendant deux minutes.
[Français]
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous faisons l'examen du 12e rapport du Sous-comité du commerce, des différends commerciaux et des investissements internationaux.
[Traduction]
Je voudrais proposer une motion à l'effet que soit adopté le rapport du Sous-comité du commerce international, des différends commerciaux et des investissements internationaux; que conformément à l'article 109 du Règlement, le Comité prie le gouvernement de déposer une réponse globale à ce rapport; que le président soit autorisé à apporter à la forme du rapport les changements rédactionnels jugés nécessaires, sans en altérer le fond; que, conformément à l'alinéa 108(1)a) du Règlement, le Comité autorise l'impression des opinions dissidentes ou complémentaires en annexe à ce rapport, immédiatement après la signature du président et que lesdites opinions soient envoyées au greffier du Comité, par courrier électronique, dans les deux langues officielles au plus tard à midi, le lundi 10 juin; que le président ou une personne qu'il désignera soit autorisé à présenter le rapport à la Chambre.
Monsieur Paquette.
[Français]
M. Pierre Paquette (Joliette, BQ): Monsieur le président, j'aimerais que vous me guidiez. J'ai beaucoup de difficulté à comprendre comment il se fait que l'on se retrouve avec un rapport énonçant une proposition contradictoire à une proposition déposée ici et adoptée il y a à peine 10 jours.
La proposition 21 se lit ainsi:
Que le gouvernement du Canada tente de négocier une ZLEA qui renferme des dispositions sur l'investissement inspirées des accords de promotion et de protection de l'investissement étranger que le Canada a passés avec l'Amérique latine et les pays des Antilles, afin d'indiquer clairement qu'il appuie les dispositions sur le règlement des différends entre les investisseurs et l'État. |
C'est dans le rapport qui nous est soumis.
Il y a à peine 10 jours, on a adopté une recommandation qui se lisait ainsi:
Que le gouvernement du Canada s'applique à dégager un consensus au sein de l'OMC quant à l'importance d'instituer un accord international global pour protéger l'investissement dont seraient exclues les dispositions touchant les relations investisseur-État. |
Je trouve qu'il y a un problème de cohérence au plan des positions que le sous-comité soumet au comité, d'autant plus que la position canadienne énoncée sur le site web se lit ainsi:
Pour ce qui est du mécanisme de règlement des différends entre un investisseur et un État, qui donne le droit aux investisseurs des pays faisant partie de la zone de libre-échange d'entamer un processus d'arbitrage pour des différends résultant de violations prétendues à certaines obligations contenues dans le chapitre à cet égard, le Canada ne cherche pas à reproduire dans l'accord sur la ZLEA le mécanisme qu'on retrouve dans l'ALENA. Le Canada n'a appuyé aucune des propositions faites à ce jour par d'autres pays de la ZLEA relativement à un tel mécanisme. |
Le comité est non seulement en contradiction avec sa propre position, mais en-deçà de la position canadienne que M. Pettigrew a réitérée au Mexique la semaine dernière. Je suis très mal à l'aise face à cette recommandation.
À (1010)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Paquette, je vais demander à M. Harb, qui est le président du sous-comité, de vous répondre.
Mr. Harb.
[Traduction]
M. Mac Harb: C'est là une recommandation que j'entreprendrai d'examiner avec le greffier pour m'assurer qu'elle cadre avec la recommandation de l'OMC qu'a reçue le comité, de manière à ce qu'il n'y ait pas de recommandation incohérente. Je tenterai, avant le dépôt du rapport, de concilier les deux recommandations.
Si j'ai bien compris, M. Paquette voudrait présenter un rapport complémentaire et nous avions décidé que tous les membres du comité, qu'ils soient du NPD ou de l'Alliance, seraient en mesure de le faire.
[Français]
M. Pierre Paquette: Évidemment, mon opinion serait bien différente si j'avais la garantie que la recommandation 21 de ce présent rapport reflète notre position telle qu'énoncée dans la recommandation 22 du rapport précédent. Je pourrais alors faire un rapport complémentaire parce que, pour le reste, je suis d'accord, sauf en ce qui concerne le mécanisme de consultation des provinces. Ma question portera d'ailleurs sur ce sujet. Si, par contre, le comité maintient sa position concernant la recommandation 21, je défendrai alors la position qu'on avait adoptée dans le rapport sur l'OMC. Pour ces motifs, il faudrait savoir comment nous allons procéder.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bernard Patry): Je laisse la réponse à monsieur Harb, et nous commencerons ensuite.
Monsieur Harb.
M. Mac Harb: Monsieur le président, je vais en discuter avec nos recherchistes pour m'assurer que les deux sont conformes. Évidemment, M. Paquette se réserve toujours le droit d'inscrire à son rapport la recommandation qu'il veut.
[Français]
Le vice-président (M. Bernard Patry): Si je comprends bien, M. Harb veut reformuler la recommandation avec l'aide des recherchistes, tel que mentionné par M. Paquette, pour qu'elle soit conforme à ce qui a été adopté par ce comité il y a une dizaine de jours. Êtes-vous d'accord sur la suggestion de M. Harb? Cela ne vous empêche pas d'exprimer une opinion dissidente par la suite.
M. Pierre Paquette: Oui, mais quand va-t-on obtenir les résultats de cette consultation?
M. Mac Harb: Monsieur le président, M. Paquette peut quand même faire son rapport et je peux communiquer avec lui d'ici 16 heures cet après-midi.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Madame Lalonde.
Mme Francine Lalonde: Monsieur le président, je pense qu'il s'agit d'une question majeure. Si, en tant que comité, on déclare qu'on s'engage à ce que cette résolution soit compatible avec l'autre, on pourrait considérer que c'est adopté, mais il faudrait inclure cela au procès-verbal.
M. Mac Harb: C'est justement ce que je disais: les deux doivent être compatibles. D'ici 16 heures, je peux communiquer avec M. Paquette pour que nous nous assurions qu'elles sont compatibles.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Harb, monsieur Paquette et madame Lalonde, je pense qu'il faut quand même être très prudent sur le plan de la procédure, parce que si cela ne fonctionne pas, je vais renvoyer le rapport au sous-comité; il faut comprendre que la conformité aux règles est très importante. Vous avez la possibilité d'exprimer une opinion dissidente ou complémentaire d'ici lundi prochain. Je vais donc vérifier ce que vous allez faire aujourd'hui. Selon moi, on peut adopter la résolution comme telle mais conditionnellement à ce que le libellé, qui va être élaboré durant la journée avec l'aide des recherchistes, soit conforme aux résolutions que nous avons déjà préparées.
Mme Francine Lalonde: Comme comité, nous ne sommes pas qu'une simple estampille; nous avons une responsabilité.
M. Mac Harb: On est d'accord.
Mme Francine Lalonde: D'accord.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Martin.
M. Keith Martin: Monsieur Harb, quelle est la date limite pour le dépôt de rapports complémentaires ou dissidents?
Le vice-président (M. Bernard Patry): Nous venons de fixer la date limite à midi, lundi prochain.
M. Keith Martin: Lundi midi donc.
Le vice-président (M. Bernard Patry): C'est inscrit à la motion que je viens de lire.
M. Keith Martin: Désolé, je ne l'ai pas entendue.
À (1015)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Oui.
[Français]
Monsieur Harb, sur le plan de la procédure, je ne suis pas à l'aise devant le fait que le comité que je préside actuellement puisse prendre une décision alors que le sous-comité ne serait pas au courant de cette dernière. La résolution a été passée par le sous-comité. Décidément, je préférerais que le sous-comité se réunisse et que nous revenions avec cette résolution mardi prochain afin qu'elle soit adoptée mardi prochain à notre prochaine réunion. En termes de procédure, je ne pense pas que ce soit acceptable, parce que nous allons au-delà des recommandations qui ont été faites par le sous-comité.
Est-ce qu'il y a unanimité au sein du comité pour modifier le rapport du sous-comité tel que libellé? Je pose la question.
Des voix: Oui.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bernard Patry): Si tout le monde est d'accord, nous procèderons ainsi. En ce moment, si tout le monde en convient, nous n'allons pas revenir au sous-comité, nous poursuivrons avec le comité. Monsieur Harb, vous avez jusqu'à 16 h pour reformuler le rapport avec l'aide du greffier de manière à en assurer la cohérence avec la résolution de l'OMC que nous avons adoptée à ce comité. D'accord?
M. Mac Harb: Ce sera fait.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Et à ce moment, vous, le Bloc et l'Alliance pourrez présenter une opinion complémentaire ou dissidente pour lundi midi.
Des voix: D'accord.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Bien, on est d'accord. Merci
Nous continuons.
Monsieur Paquette, vous avez cinq minutes pour vos questions et réponses.
[Français]
M. Pierre Paquette: Monsieur le président, Mme Lalonde mentionnait que le Mexique était peu présent dans nos consultations. On est bien contents de voir que cette question a été abordée aujourd'hui, mais ce qui est pratiquement absent, c'est le rôle des provinces dans le processus d'intégration. On sait que plusieurs sujets qui sont en discussion touchent directement ou indirectement des compétences qui sont celles des provinces, et quand les provinces ne sont pas associées d'une façon ou d'une autre au processus d'intégration, il me semble qu'il y a un déficit démocratique préjudiciable à l'ensemble du processus.
J'aurais aimé savoir si, de votre point de vue, vous avez des réflexions concernant le rôle des provinces dans le cadre de cette intégration nord-américaine.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bernard Patry): Mme Wilson-Forsberg et ensuite Mme MacDonald.
Mme Stacey Wilson-Forsberg: Je voudrais seulement parler des provinces. Je reviens d'un voyage d'étude organisé par le Forum des politiques publiques, la tournée d'étude exécutive qui se déroule tous les ans à plusieurs endroits. Cette année nous nous sommes rendus dans la région frontalière É.-U.-Mexique pour y passer huit jours. Des neuf responsables de cette étude, la majorité appartenait aux provinces. Deux appartenaient au gouvernement fédéral et le reste était constitué de très enthousiastes représentants des provinces de la Colombie-Britannique, de l'Alberta, du Québec et du Nouveau-Brunswick. L'année dernière, la tournée s'était rendue à Washington et à Mexico et, encore une fois, le nombre de représentants provinciaux l'emportait sur celui des représentants fédéraux. Je crois, par conséquent, que l'enthousiasme est certainement au rendez-vous du côté provincial.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Madame MacDonald.
Mme Laura MacDonald: Je conviens du fait que le rôle des provinces dans le partenariat nord-américain n'a pas été bien examiné. En effet, c'est là un grand sujet d'inquiétude. J'ai parlé précédemment du déficit démocratique au sein de l'espace nord-américain. Je faisais référence principalement aux groupes de la société civile là-bas, mais je conviens qu'il s'applique également au rôle des provinces. Je crois qu'on a demandé l'avis des provinces au moment des accords, les GCSCE et d'autres, mais peut-être qu'elles ne réalisaient pas la manière dont ces accords allaient s'immiscer dans leurs domaines de compétence constitutionnelle. Par conséquent, j'appuierais la notion voulant que les provinces soient continuellement consultées. Celles-ci devraient elles-mêmes penser à la manière dont ces nouveaux arrangements constitutionnels pourraient les affecter étant donné que, dans un certain sens, ces accords commerciaux sont une sorte de nouvelle constitution au niveau supranational, comme le dit M. Stephen Clarkson, et ils renferment des conséquences sur les compétences historiques de provinces.
En réalité, nous organisons l'année prochaine une conférence à l'Université Carleton sur le fédéralisme et l'Amérique du Nord. Il y a deux concepts généraux. Le premier veut que l'intégration nord-américaine et la mondialisation favorisent généralement la décentralisation des pouvoirs en réduisant ceux des gouvernements centraux. Je crois que les provinces du Québec et de l'Alberta le pensaient lorsqu'elles ont soutenu ces accords de libre-échange. Mais il est possible que ce point de vue soit erroné, ou qu'il ne soit pas tout à fait exact et que nous ayons assisté à une certaine concentration de pouvoirs suite à ces accords commerciaux. Ce sont les gouvernements fédéraux qui est responsable de les conclure. Il n'a pas besoin de consulter particulièrement les provinces, qui sont profondément touchées par ces accords, et il résulte de ces accords une sorte d'harmonisation des politiques au sein de la fédération étant donné que les provinces, toutes les parties du pays, doivent se conformer à ces accords d'une façon ou d'une autre pour qu'ils puissent entrer en vigueur. Par conséquent, je crois que c'est là un sujet important d'inquiétude qui devrait être étudié plus profondément.
À (1020)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci.
À vous, Monsieur Eyking.
M. Mark Eyking (Sydney—Victoria, Lib.): Merci, Monsieur le président.
Je vais tenter de me livrer à une petite comparaison entre ce qui arrive en Europe et ce qui se passe dans les Amériques. Je sais que les cultures sont différentes, mais elles semblent en voie d'intégration accrue. L'Union européenne prend pied dans les pays de l'Est et du Sud, jusqu'au Portugal, etc. En outre, ces pays partagent la même monnaie et des valeurs sociales semblables. Mais cela ne semble pas fonctionner aussi facilement qu'ici, dans les Amériques. J'ai le sentiment que c'est dû à la dominance économique des États-Unis, et qu'il y a là un peu d'arrogance, j'imagine. Certains peuvent prétendre que cela relève du dysfonctionnement politique, compte tenu du Congrès et, que sais-je encore. Nous avons effectué une mission commerciale à travers l'ensemble de l'Amérique du Sud, et nous n'avons pas eu l'impression que cette notion des Amériques prenne pied. Il semble que certains pays, surtout le Brésil, n'éprouvent pas la nécessité d'avoir des relations autres que bilatérales.
Est-ce que nous reculons quelque peu concernant cette intégration en nous livrant à plus de bilatéral et moins d'intégration? Est-ce un rêve illusoire que de penser que nous allons réaliser ce bloc américain avec les mêmes programmes sociaux que ceux d'Europe, et ainsi de suite? Nous avons déjà parlé de la monnaie, mais dans l'ensemble, devons-nous nous mettre sur une longueur d'onde différente?
M. Donald MacKay: C'est une excellente question, Monsieur, je ne crois pas que ce soit un rêve illusoire, mais je pense que nous abordons les objectifs à partir de deux points de vue très différents.
En ce qui concerne l'Europe, je crois que l'élément clé à retenir est celui de la tendance européenne à entreprendre, tous les 25 ou 30 ans, des guerres importantes dans lesquelles une grande partie de la population se fait annihiler. De l'avis universel, on ne laissera plus aux Européens la possibilité de répéter la Deuxième Guerre mondiale, étant donné que les différends européens sont de toute évidence devenus mondiaux. Par conséquent, il y a eu le Plan Marshall, la Banque mondiale née de Bretton Woods, le Fonds monétaire international, et ce qui devait être l'Organisation mondiale du commerce--morte au Sénat des É.-U. en 1948, et suivie par le GATT qui a servi pendant 48 ans de palliatif. Néanmoins, tous les instruments élaborés par la communauté mondiale, et j'ai oublié de mentionner l'Organisation des Nations Unies qui est tout de même une institution clé, ont poussé l'Europe vers la consolidation étant donné que le reste du monde en avait tout simplement eu assez. On ne pouvait plus permettre aux Britanniques, aux Allemands et aux Français de devenir une force mondiale déstabilisatrice. C'était là l'élément sous-jacent de l'intégration européenne. On a été témoin de sa réussite remarquable depuis.
Au sein des Amériques, nous abordons ce sujet à partir d'une histoire et de structures politiques quelque peu différentes, etc. Il est vrai qu'en Amérique Latine, le concept d'intégration est fortement ancré. Toutefois, il a été, à plus d'une occasion, victime de crises nationales comme celle dont nous sommes témoins en Argentine, de crises de gouvernance et de démocratie et ce, sur de longues périodes. Lorsque les 34 pays se sont réunis à Miami en décembre 1994, à l'occasion du premier Sommet des Amériques, l'événement constituait une première dans la mesure où au cours de cette décennie tous les chefs d'États et de gouvernements, à une exception près, avaient été démocratiquement élus, comme on le dit en espagnol más o menos, plus ou moins. C'est là un phénomène qui s'est perpétué au cours de la décennie. Compte tenu de l'histoire de cette hémisphère, ce n'est pas mauvais, ce n'est pas un super début, mais ce n'est pas mauvais si l'on tient compte du chemin parcouru.
Les Amériques sont-elles en voie de transformation en une chose qui ressemblerait à l'Union européenne? J'en doute très fort, Monsieur, les États-Unis représentent quelque 75 p. 100 de l'activité économique de l'ensemble de l'hémisphère. En Europe, l'équilibre entre l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l'Italie, par exemple, est beaucoup mieux établi. Ils constituent quatre contrepoids économiques. Dans l'hémisphère occidental, nous n'avons rien de similaire. Dans ce sens, c'est plutôt le déséquilibre.
À (1025)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci.
Nous allons passer maintenant à la question de M. Day.
M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne): Merci, Monsieur le président.
Je voudrais seulement faire une remarque. Mon collègue a posé une bonne question. La situation d'ensemble des Amériques évolue-t-elle favorablement? De retour récemment d'un voyage d'observation de deux jours, ayant en quelque sorte été inclus par notre ministre des Affaires étrangères, je suis très optimiste en ce qui concerne les Amériques et je crois--je parle à mes collègues--que si l'on considère cela de façon progressive, il semblerait que ce soit d'État à État ou de pays à pays, peut-être deux pas en avant et un pas en arrière, mais il y a vingt ans, ou même dix, nous lisions constamment à propos de dictatures, de coups d'État militaires et de juntes. En prenant du recul et en examinant les dix dernières années, on peut constater un progrès marqué au chapitre de la démocratie dans les Amériques. On s'y est sérieusement engagé, cela m'a rendu plutôt optimiste.
Je dirais, Monsieur le président, que c'est extraordinaire d'entendre ces pays, les 34, dire qu'ils souhaitent des échanges commerciaux libres et équitables. Ils sont mécontents de certaines mesures protectionnistes prises ici, mais à bien y penser, ce sont là de petites économies qui se disent prêtes à affronter n'importe qui, à condition que ce soit équitable. La situation du Venezuela en constitue un bon exemple. Comme vous le savez, il y a eu un coup d'État qui a duré 48 heures. Nous en avons eu des semblables au Canada--
À (1030)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Vous êtes hors de la question.
M. Stockwell Day: Pour mémoire, ce n'était qu'une plaisanterie.
C'était très intéressant, Monsieur le président. Le Secrétaire général s'est rendu au Venezuela en plein coup d'État, armé de la charte démocratique sur laquelle ils s'étaient tous accordés et c'était là l'argument moral qu'il a utilisé. Il a essentiellement dit, vous êtes l'un de 34 pays qui avez accepté de signer cette charte et maintenant, réglez vos affaires. Il a obtenu un certain succès en parvenant à établir une sorte de consensus chez les Venezueliens. Sur ce plan, je suis optimiste. Je crois que nous devons considérer le progrès dans son ensemble plutôt que le pas en arrière.
Dans cette même veine, relativement à cette présentation, j'ajouterais à propos des programmes sociaux européens que bien que nous n'en ayons pas discuté au Parlement, ou ailleurs au Canada, je me demande si nous souhaitons avoir tous ces programmes sociaux. Je crois que nous voudrions faire certaines distinctions. Je lisais justement un article sur le système de santé en Hollande, par exemple, où il y a des listes d'attente d'un an pour des interventions banales et que tout le monde s'accorde pour dire que c'est l'engorgement.
C'était là mon éditorial. N'importe quel député peut le commenter mais je ne crois pas qu'on doive s'inquiéter de la notion qui veut que les choses progressent bilatéralement plutôt qu'à partir d'un très large consensus multilatéral en Amérique centrale et parallèlement en Amérique du Sud. Je ne crois pas que cela puisse arriver. L'un de ces pays a fait une présentation directe au Canada concernant un accord que nous avons conclu avec le Costa Rica sur un point commercial qui importe à ce pays. Ce que j'ai entendu dans certains pays--le ministre pourra rectifier si j'ai tort, mais je crois qu'il est d'accord--c'est qu'on n'avait pas d'objection à ce que le Canada négocie un accord séparé avec le Costa Rica, qu'on ne demande qu'une seule chose c'est que tout le monde puisse bénéficier de la même possibilité et jouer un rôle égal.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Avez-vous une question?
M. Stockwell Day: Oui, il y en avait une quelque part. J'essaie d'encourager le député. Je sais qu'il s'inquiète mais je crois que les choses progressent.
Y a-t-il des députés qui perçoivent un problème inhérent au fait qu'une nation par ci et une nation par là--ce pays pourrait être le Canada, ou un autre pays, mais toujours dans l'OÉA--élabore ses propres ententes bilatérales tout en tenant compte du fait que ce qui est accessible à l'un doit l'être également à l'autre en vertu des règles des échanges équitables et libres? Les pays sont à différents niveaux de développement. Le Venezuela éprouve actuellement certaines difficultés qui sont autrement plus importantes que les épices cultivées au Nicaragua, par exemple.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Madame MacDonald, vous avez 30 secondes.
Mme Laura MacDonald: Je n'ai pas d'objection particulière à cet égard mais je pense qu'il faut favoriser les processus d'intégration régionale qui se mettent en place dans la région. Par exemple, le Salvador ne veut pas que le Costa Rica affiche son indépendance en concluant des ententes distinctes et voudrait, en revanche, voir s'établir un marché commun en Amérique centrale, qui n'est pas forte mais qui demeure importante. Vous ne pouvez imaginer que ces petits pays peuvent survivre par eux-mêmes. Ils ont besoin d'évoluer dans une sous-région pour établir des liens régionaux. Je crois que le Canada peut assumer un rôle de premier plan en favorisant ces accords commerciaux infrarégionaux et des accords élargis de coopération. Nous ne devrions pas nous lancer dans la conclusion d'accords bilatéraux distincts avec chaque pays. Nous ne ferions que revenir à l'ancien modèle de l'étoile et des satellites, que nous essayions d'éviter à travers l'ALÉNA, et par lequel les États-Unis concluaient des ententes distinctes avec tout le monde et finissaient par devenir l'étoile.
M. Stockwell Day: Vous convenez sûrement que nous ne voulons pas empêcher une économie émergente de progresser, du moment que les autres économies savent qu'elles ont les mêmes occasions, qu'elles ne seront pas exclues.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur MacKay, avez-vous des commentaires pour clore la discussion de ce matin?
M. Donald MacKay: Je suis d'accord avec M. Day. Le Canada a conclu une entente avec le Costa Rica. Il y a en ce moment des négociations avec ce que l'on appelle les quatre dernières républiques d'Amérique centrale. Le premier ministre s'est engagé à négocier avec les pays des Caraïbes membres de la CARICOM. Les négociations commerciales sont des laboratoires pour la politique commerciale. Autrement dit, vous testez des idées. Quelques membres ont soulevé des questions au sujet des mécanismes de règlement des différends, par exemple; ces négociations permettent ce genre de chose.
Très rapidement, si l'on revient à l'accord de libre-échange entre le Canada et le Chili, qui a mis de l'avant des dispositions uniques au sujet des droits antidumping et compensateurs, les mêmes résultats qui nous feraient célébrer dans les rues si nous pouvions obtenir la même chose des États-Unis. Essentiellement, le Canada et le Chili se sont mutuellement exemptés de l'application de droits antidumping. Un tel accord et de telles négociations donnent aux gouvernements et aux différents négociateurs l'occasion de vérifier ces mécanismes de politique. Plus vous faites de ces choses, plus vous pouvez effectivement vérifier ces choses, plus elles servent de démonstration aux autres pays. Le Mexique, après la conclusion de l'ALENA, a négocié un ensemble d'accords dans toute l'Amérique du Sud qui sont des copies pratiquement conformes de l'ALENA. Cela ne vous donne donc pas seulement une plate-forme d'essai, mais aussi une plate-forme de démonstration pour reproduire ailleurs une politique favorable.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci beaucoup.
Je tiens à remercier les témoins qui ont comparu à notre première séance ce matin, c'était fort intéressant.
Nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
À (1034)
À (1046)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Nous reprenons nos travaux.
Nous sommes heureux d'accueillir de l'Institut canadien des affaires internationales, Section de la Capitale nationale, M. George Lindsey, président du Groupe d'étude sur la défense de missile nucléaires, M. Keith Greenaway, un membre de ce groupe, et M. Cleminson. Messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue à notre comité. Je crois comprendre que M. Lindsey fera une déclaration.
M. George Lindsey (président, Groupe d'étude sur la défense de missile nucléaire, Institut canadien des affaires internationales, Section de la Capitale nationale): Merci, monsieur le président.
Le sujet que nous abordons aujourd'hui a fait l'objet de discussions au sein du groupe d'étude que l'Institut canadien des affaires internationales, Section de la Capitale nationale, dirige depuis environ un an. Pourquoi avons-nous choisi la défense antimissiles nucléaires? Parce qu'elle a de très importantes répercussions pour le Canada dans différents domaines. La principale est la défense de l'Amérique du Nord contre une attaque intercontinentale, mais ce n'est pas la seule. Je vais essayer d'indiquer en quelques minutes que nous devons également nous inquiéter d'opérations qui se déroulent outre-mer, où il est très probable qu'on utilisera des missiles balistiques, mais ce seront des armes tactiques de portée plus limitée, probablement pas des armes nucléaires. Mais il est très probable que des soldats canadiens participeront à ces opérations. Un troisième élément, qui est peut-être davantage lié aux délibérations de votre comité, est celui des relations entre le Canada et les États-Unis. Il ne s'agit pas uniquement de défense ou de sécurité, mais aussi d'échange de renseignements et de coopération dans l'utilisation de la technologie de pointe, ce qui un jour sera très important, plus que maintenant, pour l'exploitation de l'espace. Enfin, il y a les répercussions du bouclier antimissiles américain sur la prolifération des armes et sur le contrôle des armements.
Toute cette question des menaces intercontinentales à l'endroit de l'Amérique du Nord a commencé après la Deuxième Guerre mondiale et la guerre froide a fait naître la menace des bombardiers au long rayon d'action dotés d'armes nucléaires. Les axes d'approche depuis l'Union soviétique vers les principales cibles aux États-Unis passent directement au-dessus du Canada; je vous les montrerai dans quelques instants sur une carte que j'ai apportée. Pour contrer cela, plusieurs choses ont été faites dans les années 50 et 60. Un des éléments était un système de défense aérienne continentale couvrant le Canada, l'Alaska et le centre des États Unis. On avait disposé dans la partie supérieure du continent une série de radars qui formaient le réseau avancé de pré-alerte. Il y avait la ligne du centre du Canada, qui traversait le Canada en son milieu, et il y avait plusieurs séries d'appareils radar dans le sud du Canada et le long du périmètre de la partie continentale des États-Unis. Ensuite, il y avait les chasseurs-intercepteurs associés aux radars terrestres dans le centre. Tout cela relevait du NORAD, le commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord, desservi par des militaires américains et canadiens. Je pense que le message que nous essayons de vous transmettre aujourd'hui, c'est la grande importance du NORAD pour le Canada en particulier.
Les gens qui s'étaient occupés de défense aérienne pendant la Deuxième Guerre mondiale ont appris que la meilleure chose à faire était d'abattre des bombardiers lors d'une attaque d'envergure, mais qu'ils ne pouvaient pas tous les descendre. Lorsque ce nouveau système a été mis en place en Amérique du Nord, nous avons fait des exercices aussi réalistes que possible, et il était évident que nous ne pourrions pas descendre tous les bombardiers. Quelques-uns réussiraient à passer et, malheureusement, au lieu de bombes ordinaires comme c'était le cas pendant la Deuxième Guerre mondiale, ce serait des bombes nucléaires et les résultats seraient terribles. La seule chose à faire était de les dissuader de tenter l'attaque. C'est ainsi que nous pourrions empêcher la Troisième Guerre mondiale et la destruction de l'Amérique du Nord. Évidemment, les moyens pour ce faire relevaient principalement du Commandement aérien stratégique des États-Unis, qui disposait de bombardiers nucléaires capables de donner la riposte, de sorte que l'ennemi n'oserait même pas attaquer. Mais pour que ces bombardiers aient le temps de prendre leur envol, ce qui nécessite à tout le moins quelques minutes, il fallait un avertissement de l'attaque. Grâce à ces chaînes de radar situées le plus au nord possible, les bombardiers avaient maintenant plus d'une heure pour prendre leur envol, et c'était suffisant.
À (1050)
À ce moment-là, on pourrait dire que le plus important moyen de dissuasion dont NORAD disposait était, et est toujours, sa capacité de donner de façon fiable un avertissement d'une attaque de façon à ce qu'il puisse y avoir riposte. Étant donné que l'ennemi était au courant de tout cela, on espérait qu'il n'y aurait pas d'attaque. Il n'y en pas eu. Cela a fonctionné. Puis les missiles balistiques intercontinentaux ont fait leur apparition, ce qui a considérablement changé la situation. Ces missiles balistiques au long rayon d'action seraient tous dotés d'ogives nucléaires. Ils se déplaceraient à une vitesse variant entre 15 000 et 17 000 miles à l'heure, comparativement à 700 miles à l'heure pour un bombardier subsonique. Ils seraient lancés par l'Union soviétique, peut-être à partir d'une base terrestre, mais aussi peut-être à partir de sous-marins. Il était donc beaucoup plus difficile de se défendre contre ce genre d'arme.
Les armes antiaériennes n'étaient d'aucune utilité contre un missile balistique, mais le radar fonctionnait et pouvait les détecter. On s'est donc efforcé de mettre en place le système d'avertissement, fondé sur le radar, le plus loin possible, de sorte que les quelques minutes d'avertissement dont nous disposerions seraient suffisantes pour riposter. Les États-Unis ont installé le système de détection lointaine de missiles balistiques, BMEWS, en Alaska, dans le nord du Groenland et en Angleterre. Ce système pouvait indiquer si l'Union soviétique avait lancé des missiles en direction des États-Unis, peut-être dix à quinze minutes avant qu'ils n'atteignent leur cible. Ce ne serait pas suffisant pour faire décoller un grand nombre d'avions pour la riposte, mais le système pourrait procurer un service très actif dans le cas des missiles qui pouvaient être mis en alerte très rapide. C'est ce qu'ils appelaient la réponse vive. Ils pouvaient être lancés avant même que les missiles soviétiques n'arrivent.
J'ai parlé du radar. Heureusement, on a découvert une autre technique à peu près à la même époque, et elle était encore plus importante. C'était la capacité de déceler la chaleur d'un gros missile que l'on lance. Les fusées dégagent une quantité considérable de chaleur, qui peut être décelée par les détecteurs à infrarouge sensibles à des milliers de miles de distance. Il était possible de positionner des satellites dans l'espace sur des orbites géosynchrones de façon à ce qu'ils puissent survoler la zone d'intérêt. Ces satellites pouvaient nous dire immédiatement si un missile important était sur le point d'être lancé pratiquement n'importe où dans le monde. Nous avions donc une dissuasion contre une attaque par missile en raison des avertissements que le nouveau matériel pouvait nous donner et nous avions un moyen de riposte grâce aux missiles américains.
J'ai que les armes antiaériennes n'étaient d'aucune utilité contre les missiles, mais la technologie des missiles progressait à un rythme incroyable, et pas seulement pour ce qui est des missiles offensifs. Cela comprenait également les systèmes de commande et de guidage que l'on pouvait utiliser pour les missiles défensifs et les instruments que l'on pouvait utiliser pour les guider. Les américains ont mis au point un système s'appuyant sur ces nouveaux principes. Le premier système était le Safeguard. Ils allaient le déployer partout sur le territoire des États-Unis. Ils ont aménagé une station dans le Dakota du Nord. Les Russes faisaient la même chose et ont mis en place un système semblable autour de Moscou, système qui est toujours là soit dit en passant et qui utilise des armes nucléaires dans son système défensif. Mais tout comme pour la défense aérienne, les deux parties se sont rendu compte que peu importe ce qu'elles faisaient, elles ne pourraient pas arrêter une très grosse attaque. On pourrait arrêter quelques missiles, mais il y en a quelques-uns qui passeraient et ce serait la destruction totale chez les deux belligérants. C'est à ce moment-là qu'ils ont décidé de conclure le Traité sur les missiles antimissiles balistiques, le Traité ABM. Ce traité imposait des limites très strictes au nombre d'armes actives qui pouvaient être déployées. Il a été signé en 1972.
Dix années plus tard, les techniciens ont fait encore plus de progrès. Ils pouvaient fabriquer des armes défensives encore meilleures. M. Reagan a créé son système, que l'on appelait la guerre des étoiles, pour essayer de protéger les États-Unis. Ce fut ensuite la fin de la guerre froide et l'on a abandonné la guerre des étoiles.
À (1055)
Dix années plus tard, le président Clinton a pris le pouvoir. Il préconisait un système appelé Bouclier antimissiles américain, le système NMD. Il n'essayait pas de se protéger contre une grosse attaque de l'Union soviétique car s'était impossible. Le système visait plutôt à assurer une protection contre la possibilité d'une attaque beaucoup moins importante de la Corée du Nord, de l'Iran et de l'Irak. Ces pays ont reçu le nom d'États parias, expression que l'on a par la suite modifiée par des États présentant des préoccupations. C'était une faible menace, mais une menace contre laquelle ils pourraient peut-être établir une défense active efficace. Les nouveaux éléments grâce auxquels c'était possible étaient des capteurs déployés dans l'espace qui pouvaient suivre des missiles en vol et de très grosses fusées d'interception magnifiquement équipées. Ces fusées allaient être déployées soit en Alaska, soit dans le nord des États-Unis. Elles seraient capables d'intercepter les missiles en plein vol.
Cette diapo vous indiquera d'où viendraient les missiles lancés par l'Union soviétique contre les États-Unis. Cette projection plutôt inhabituelle met le pôle Nord au centre, le Canada tout à fait au bas, la Corée du Nord dans le coin supérieur gauche et l'Iran dans le coin supérieur droit. Les arcs illustrent les limites des trajectoires qu'un missile devrait suivre pour atteindre une cible aux États-Unis. Il s'agit d'un arc plutôt étroit. Si les Américains avaient déployé leur système à Grand Forks, dans le Dakota du Nord, là où sont les lettres GF sur la diapositive, les lignes doubles vous indiquent l'endroit où ils auraient pu intercepter un missile provenant de la Corée du Nord, à environ 10 h dans le coin supérieur gauche, ou un missile provenant de l'Iran, à environ 1 h dans le coin supérieur droit. Ils pouvaient les intercepter bien avant qu'ils n'atteignent le Canada, et encore moins les États-Unis. Les deux arcs représentent deux vitesses différentes des intercepteurs. On ne sait pas laquelle ils auraient été en mesure de réaliser, mais cela leur donne une chance de se défendre effectivement.
Que s'est-il passé depuis? Le président Bush a été élu. Son administration était très enthousiaste par rapport à ce système et elle a décidé de le développer davantage. On va ajouter à ce système d'autres couches, de façon à pouvoir essayer d'intercepter un missile au début de son vol ou vers la fin. Malheureusement, le Traité ABM de 1972 aurait empêché la mise au point de ce matériel. Les États-Unis ont donc annoncé qu'ils allaient se retirer du Traité ABM, probablement en juin de cette année. Ils vont également étendre la défense antimissile à un système comportant trois couches différentes.
La diapo suivante illustre ce qui se passe dans l'espace avec ces systèmes très rapides. Le coin inférieur droit est l'endroit d'où part le missile offensif. Il décrit un arc qui l'amène jusqu'en haut, puis le ramène du côté gauche. Ceux qui lancent les missiles décident des arcs à utiliser. Ceux que je vous ai montrés ici parcourent entre 9 000 et 12 000 kilomètres; ils pourraient donc atteindre n'importe quel endroit aux États-Unis? Le missile parcourt le quart de la circonférence de la terre. Les petits arcs indiquent la distance parcourue après 5, 10, 15 et 20 minutes, mais tout le trajet nécessite plus d'une demi-heure.
Ce que j'ai illustré dans les trois petits arcs au bas, c'est ce que vous pourriez faire avec le système le plus efficace, que les Américains sont en train de mettre au point pour contrer les missiles tactiques de faible portée. C'est la marine américaine qui fait cela. Si le navire est près du point de lancement dans le coin droit, vous pouvez constater que ses armes pourraient rejoindre la plupart des trajectoires et probablement intercepter un missile. Si le navire se trouvait au milieu de l'océan Pacifique ou de l'océan Atlantique, le missile serait hors de sa portée. Ce serait inutile. Mais si le système était déployé près des cibles aux États-Unis, ou peut-être même au Canada, ce serait une possibilité de plus d'intercepter un missile pendant sa descente. C'est ce que le système américain cherche à faire aujourd'hui.
Je vais maintenant dire quelques mots de plus au sujet des missiles de courte portée, car ce sont ceux qu'il est le plus facile d'utiliser, et il pourrait s'agir d'activités auxquelles les Canadiens pourraient participer. La marine américaine est en train de fabriquer celui que j'ai mentionné, l'armée américaine a deux autres systèmes en cours de conception et la force aérienne essaie d'en concevoir un qui pourrait être lancé à partir d'un avion. Il est très probable que deux de ces systèmes auront un rôle à jouer maintenant contre les missiles intercontinentaux.
Á (1100)
Seulement la Russie, la Chine et les États-Unis ont des missiles intercontinentaux pour l'instant. Par contre, des missiles tactiques sont déployés partout dans le monde. Environ 30 pays en possèdent, dont un certain nombre sont très instables. Ce sont les endroits parfaits où des conflits pourraient survenir, où les missiles seraient un facteur important et où des militaires canadiens se trouveraient. Donc, ce qui nous serait beaucoup plus utile qu'un système de défense contre les missiles intercontinentaux, c'est une sorte de système contre les missiles tactiques qu'il est facile de transporter et que l'on peut déployer très rapidement--et très rapidement, c'est peut-être le moment où nous pourrions en avoir besoin. L'autre menace venant des États parias se matérialisera probablement dans dix ans, ou peut-être pas du tout. On peut en débattre.
Quelles sont alors les préoccupations du point de vue canadien? Le plus important, c'est l'avenir du NORAD. J'ai déjà essayé d'indiquer que le NORAD est le principal centre pour faire la collecte et l'évaluation de renseignements sur le mouvement des avions, des missiles de croisière et des missiles balistiques sur toutes les approches à destination de l'Amérique du Nord, depuis les États qui présentent des préoccupations et depuis l'Eurasie, quoique pas nécessairement en provenance du Sud. En ce moment, des préoccupations au sujet de la défense du territoire sont vivement exprimées aux États-Unis. Nous sommes aux prises avec le passage d'immigrants clandestins, le trafic de drogues et le terrorisme. On dépend de plus en plus de la collecte de renseignements sur ce qui s'approche de l'Amérique du Nord, y compris les avions et les navires, de même que les missiles. Et que se passe-t-il dans les parties non habitées de l'Amérique du Nord, comme dans le nord du Canada? Il sera très important de pouvoir savoir ce qui se passe dans ces endroits, là où il n'y a personne pour en faire rapport. Votre comité aura certainement parlé de souveraineté. De nombreuses autres personnes le font également. En ce qui concerne notre souveraineté, il est essentiel de savoir ce qui se passe aux frontières de notre continent, de notre pays et de notre territoire et de pouvoir recueillir ces données, les diffuser et compter sur le renseignement pour nous dire ce qu'on doit en conclure.
Nous ne savons pas ce que vont faire les États-Unis pour répartir leurs responsabilités en ce qui concerne la défense aérienne, la défense antimissiles balistiques, la défense spatiale et la défense du territoire, mais tout cela sera probablement entre les mains de leur commandement pour le Nord, de leur commandement spatial et de leur commandement stratégique. Qu'en est-il de NORAD? Ce sera la question importante pour le Canada, car il est essentiel que le Canada reste un partenaire au sein de la chaîne de commandement et du contrôle des installations de collecte de renseignements qui relèvent actuellement du NORAD.
Évidemment, une autre question d'intérêt pour le Canada est de savoir si dans le cadre du programme NMD américain on va chercher à déployer des capteurs ou des armes au Canada. Si tel est le cas, qui s'en chargera. Mais pour l'instant, rien n'indique que les Américains vont faire cela.
Là où le Canada pourrait apporter son appui, c'est en recherche et développement. Nous pouvons trouver ce qui peut être fait avec les missiles grâce à toutes les nouvelles technologies. Mais nous devrions établir notre priorité, et encourager les Américains à établir la leur pour ce qui est de la collecte, de la diffusion rapide et de l'analyse rapide de l'information sur la présence ou le mouvement d'objets au sol et en mer, dans les airs ou l'espace. Heureusement, cela conviendrait aux capacités de l'industrie canadienne. S'il y a des domaines pour lesquels nous sommes de niveau mondial, c'est probablement la technologie informatique et spatiale, qui est exactement la bonne technique. Si nous obtenons des résultats favorables de ce côté, ce serait extrêmement précieux pour la protection de la souveraineté canadienne, la défense du territoire, la vérification des accords de contrôle des armements et les opérations de paix à l'étranger, ainsi que pour l'objet initial qui était de se défendre contre les missiles balistiques.
Enfin, pour s'éloigner complètement des missiles balistiques, je pense qu'il est important de se rappeller que le Canada devrait appuyer les efforts multilatéraux déployés dans le monde aujourd'hui au sujet de quelques-unes des autres menaces connexes, notamment les fausses alarmes, le lancement accidentel de missiles, la prolifération des armes de destruction massive, et de continuer le très bon travail que nous avons fait jusqu'à maintenant pour vérifier le contrôle des armements. Je pense que toutes ces dernières choses que j'ai mentionnées sont plus faciles à exécuter, plus rapides à accomplir, beaucoup moins dispendieuses et beaucoup plus urgentes que le déploiement précoce du système défense national antimissiles. Voilà mon message.
Á (1105)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci beaucoup, monsieur Lindsey.
Nous allons maintenant passer aux questions et je cède la parole à monsieur Day.
M. Stockwell Day: Merci, monsieur le président.
J'aimerais savoir ce que pense M. Lindsey de l'approche en matière de politiques des États-Unis. Plus particulièrement depuis l'arrivée au pouvoir de M. Reagan, leur approche a été d'adopter une position très ferme envers ce qui était à l'époque l'URSS. Que nous parlions du président Reagan qui dit à Gorbachev d'abattre ce mur ou de l'annonce qu'il va de l'avant avec la mise au point de la guerre des étoiles, la plupart des commentateurs disent que cette position très ferme a été le début de la fin de tous les espoirs de revitaliser l'expansion militaire par l'URSS ou le groupe soviétique. C'est ce qui a finalement entraîner leur effondrement, car ils ne pouvaient tout simplement pas suivre sur le plan économique ou technologique et ils se sont rendu compte que leurs efforts en ce sens étaient inutiles. La guerre froide a pris fin, comme vous l'avez dit, de nombreux commentateurs s'entendant pour dire que cet engagement très ferme des États-Unis qui leur disait en termes non équivoques qu'ils allaient aller de l'avant avec la défense antimissiles, ou la guerre des étoiles si vous voulez l'appeller ainsi.
Tout cela s'est atténué avec la fin de la guerre froide et l'effondrement de l'Union soviétique. On estime que l'actuelle administration aux États-Unis a suivi une démarche semblable qui a débouché sur ce que nous avons tous qualifié, même notre premier ministre, de développement très remarquable, à savoir que la Russie fait maintenant partie à tout le moins du Conseil de l'OTAN, sans être un membre à part entière de l'OTAN, et de devoir abandonner l'espoir de toute prolifération de missiles. Il en est résulté l'accord le plus radical à ce jour de détruire les systèmes de missiles aux États-Unis et en URSS ou d'entreprendre l'élimination graduelle de ces stocks de missiles.
Cette politique a fonctionné. Le raisonnement que l'on en fait est qu'elle fonctionnera également contre d'autres États dont les capacités économiques sont loin d'être celles de la Russie, même de son ancienne situation économique épouvantable. Le fait que les États-Unis aient dit qu'ils allaient de l'avant avec le système de missiles a suffi à amener les Russes à la table. Il en est résulté l'un des plus grands engagements de l'histoire de réduire les arsenaux. De ce fait, d'autre États--sans nommer un axe particulier, qu'il s'agisse de l'axe du Mal ou non--se sont rendu compte qu'il était insensé, pour être réaliste, d'aller dans le sens d'un système d'attaque à l'aide de missiles nucléaires. Nous devons maintenant tourner notre attention vers les systèmes plus petits et les armes de destruction massive, mais cela a obligé d'autres États éventuellement solidaires de l'avancement des progrès occidentaux à penser à une très petite échelle. Si des catastrophes doivent survenir, elles se produiront sur une petite échelle, et non sur une grande. De tout évidence c'est le moindre de deux maux.
Évidemment, il s'agit d'une stratégie qui a porté fruits. Seriez-vous d'accord avec cet énoncé ou y a-t-il des lacunes dans notre raisonnement qu'il serait utile de nous signaler?
Á (1110)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Lindsey.
M. George Lindsey: Monsieur Day, je suis d'accord avec tout ce que vous dites.
M. Stockwell Day: Formidable.
M. George Lindsey: Si on m'avait accordé une demi-heure pour mon exposé, j'aurais dit un grand nombre des choses que vous avez dites, seulement pas aussi bien.
La Russie et les États-Unis se sont entendus pour garder leurs moyens de dissuasion en réserve. Ils peuvent se défaire d'un grand nombre de leurs 6 000 ou 10 000 ogives. S'il leur en reste chacun 1 000, c'est amplement suffisant. Pour l'instant, ils ont fixé des limites variant entre 1 700 et 2 200. Ils n'ont donc pas besoin d'essayer de se défendre l'un contre l'autre à l'aide d'un système actif, ils vont le faire à l'aide de leurs moyens de dissuasion. Mais tous les autres pays du monde ont tellement peu d'armes nucléaires qu'il est fort probable que leur système anti-ICBM suffirait à intercepter tout ce qui pourrait être lancé. L'exception possible est la Chine.
Il existe une hiérarchie dans les puissances nucléaires. Les É.-U. et la Russie sont au sommet, chacune en ayant plus que ce dont elle a besoin, assez pour détruire le monde, puis vient la Chine. Il y a ensuite les pays qui en possèdent quelques-unes et ils n'aimerait probablement pas particulièrement que l'on mette au point le système défensif, mais la plupart de ces pays ne sont pas des ennemis de toute façon. Le plus important, ce sont les pays qui n'en ont pas et qui aimeraient en avoir quelques-unes. C'est de ce côté que se font les efforts de non-prolifération. Il risque d'y avoir des échecs occasionnels. L'essentiel est de veiller à ce que les pays qui n'en ont pas n'en obtiennent jamais. Ceux qui en ont quelques-unes représentent toujours un danger, mais ce n'est peut-être plus envers les États-Unis. C'est tant mieux pour eux. Je pense que la situation est vraiment prometteuse, s'ils peuvent seulement empêcher les pays qui n'en ont pas d'en avoir quelques-unes.
Je pourrais dire que les ICBM peuvent également transporter d'autres armes de destruction massive, des armes chimiques ou biologiques, et évidement, il y a des problèmes semblables auxquels il faut s'attaquer de ce côté. Mais je pense que ce que vous dites décrit exactement la situation.
[Français]
Le vice-président (M. Bernard Patry): Thank you.
Madame Lalonde, s'il vous plaît.
Mme Francine Lalonde: Merci beaucoup, monsieur Lindsey, pour cet intéressant cours sur l'évolution de la défense aérienne.
Dans le résumé que j'ai, on dit:
En ce qui touche à la nécessité d'un système de défense antimissile (NMD), la menace à court terme que posent les «États parias» pour les États-Unis continentaux n'est pas si évidente. |
C'est bien ce que vous avez dit et c'est la note que j'avais prise aussi, et vous avez fini votre exposé en disant qu'il y aurait des choses plus urgentes à faire. J'aimerais vous entendre là-dessus.
[Traduction]
M. George Lindsey: Ce qu'il y a de plus urgent, ce sont les efforts à déployer du côté du contrôle des armements, pour lequel le Canada a véritablement eu un rôle assez important à jouer. Je suppose que la non-prolifération est une autre façon de dire qu'il faut faire en sorte que les pays qui n'en ont pas n'en obtiennent jamais, et que ceux qui en ont quelques-uns n'en obtiennent pas davantage. Je pense que ces aspects sont vraiment cruciaux.
D'après moi, un autre point auquel la plupart des pays doivent accorder plus d'attention qu'ils ne l'ont fait jusqu'ici, c'est la menace des missiles de plus courte portée, qui ne seraient pas utilisés contre l'Amérique du Nord, mais dans les opérations à l'étranger. Ce fut vraiment le cas dans la guerre du Golfe alors que l'Irak a lancé plus de 100 missiles contre ses ennemis. Ils ont été étonnamment inefficaces, et ce n'était pas en raison des moyens de défense dont on disposait. Les premiers systèmes créés pour essayer de se défendre contre ces missiles ont été rapidement rassemblés à partir d'un système de défense aérienne, et ils n'ont pas fonctionné. Les missiles n'étaient guère meilleurs, mais attention la prochaine fois. Cela pourrait être très important. Les pays qui sont membres de l'OTAN comptent sur le fait de pouvoir déployer leurs troupes dans une autre partie du monde, peut-être par un ou deux grands ports de mer ou aéroports. Un missile balistique de courte portée pourrait peut-être détruire les moyens qu'on aurait de déplacer les troupes rapidement. Je pense donc que c'est peut-être le domaine auquel on devrait accorder une plus grande priorité pour ce qui est des armes réelles.
Je pense que les stratégies politiques sont les plus importantes pour essayer de contrôler la prolifération et d'instaurer la confiance et, lorsqu'il y a un accord de contrôle des armements, pour fournir les moyens de vérifier que tous les participants font ce qu'ils ont promis de faire. Cette stratégie a connu passablement de succès jusqu'à maintenant. Il y a eu quelques exceptions.
Je ne sais pas si le colonel Clemenson aimerait dire quelques mots à ce sujet. Il a participé aux efforts actuellement déployés en Irak pour essayer de faire en sorte que l'Irak ne reconstitue pas ses stocks d'armes.
Á (1115)
M. F.R. Cleminson (membre, Groupe d'étude sur la défense de missile nucléaire, Institut canadien des affaires internationales, Section de la Capitale nationale): Je reviens tout juste d'une réunion de la COCOVINU à Vienne et évidemment, les questions de savoir si vous pouvez ou non vérifier cela et si nous aurons ou non des inspecteurs en Irak ont fait surface.
Le point probablement le plus important lorsque nous parlons de cela en termes généraux, c'est la tendance qu'ont les américains maintenant à agir unilatéralement, alors que le Canada a toujours été très actif et efficace dans les actions multilatérales. Je serais porté à croire que ce dont nous avons besoin en ce moment, c'est une étude de la prolifération des armes de destruction massive, comme l'a mentionné M. Lindsey, par exemple. Depuis de nombreuses années, nous avons une approche multilatérale. D'une part de la convention sur les armes chimiques, les armes de destruction massive, la convention sur les armes bactériologiques, qui sont également des armes de destruction massive, et le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires qui traite de cet aspect, d'autre part. Lorsque M. Bush a pris le pouvoir, il a dit qu'il ne négocierait plus de traités. Effectivement, il n'a pas présenté au Sénat américain le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, car il pensait qu'il serait défait. Évidemment, il a signé un traité avec le président Poutine, de sorte que son approche est peut-être en train de changer, de passer d'une certaine forme d'unilatéralisme au multilatéralisme, mais c'est très lent. Notre point fort, c'est le multilatéralisme et la plupart des autres pays du monde y croient.
Donc, si nous voulons examiner ces problèmes jumeaux, la prolifération ou non-prolifération d'une part, et les armes de destruction massive de l'autre, nous devons examiner de très près ce que nous avons déjà fait du point de vue multilatéral, reconnaître que la force du Canada est dans le multilatéralisme et qu'au fil des ans les diplomates canadiens ont été loués pour leur travail dans ce domaine. Il me semble qu'un comité comme le vôtre pourrait examiner cette question et reconnaître nos points forts, au lieu des points faibles. Très souvent, le ministère de la Défense nationale se concentre sur ce qu'il n'a pas, il ne se concentre pas sur ce qu'il a et comment les systèmes qu'il a pourraient être modifiés pour résoudre quelques-uns de ces problèmes.
Je recommanderais donc que nous examinions la non-prolifération, les armes de destruction massive, que nous voyions de quelle façon cette question peut être traitée sur le plan multilatéral, et espérer que les États-Unis emboîteront le pas étant donné que leurs politiques sont de toute évidence en train de changer.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Clemenson.
[Français]
On aura un deuxième tour.
Madame Marleau, s'il vous plaît.
[Traduction]
Mme Diane Marleau (Sudbury, Lib.): Votre exposé était des plus intéressants et je tiens à vous en remercier.
Je sais que les Américains se comportent d'une façon plus unilatérale et que le programme national de défense antimissile est vraiment un exemple où il semble qu'ils sont prêts à agir unilatéralement. Bien qu'il existe de bonnes raisons de poursuivre dans cette voie, les Américains devraient-ils vraiment mettre tous leurs oeufs dans le même panier à ce moment-ci, ou devraient-ils examiner d'autres menaces qui sont beaucoup plus probables à court terme, notamment la possibilité concernant quelques-unes de ces bombes sales qu'il serait beaucoup plus facile pour quiconque d'en introduire sur notre territoire? Cela m'inquiète que si nous déployons trop d'efforts pour le programme national de défense antimissiles, nous ne mettons peut-être pas suffisamment l'accent au sol, où se trouve vraiment la menace, bien qu'il y ait encore d'excellentes raisons peut-être d'envisager de poursuivre dans l'autre sens.
Á (1120)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Lindsey.
M. George Lindsey: Je pense que vous avez tout à fait raison. Il y a toutes sortes de façons de lancer des armes de destruction massive, et la méthode la plus difficile et la plus dispendieuse est celle du missile balistique intercontinental. Un petit État pauvre aura énormément de difficultés à se munir d'un missile balistique intercontinental ou d'une ogive nucléaire, sans compter qu'il est encore plus difficile d'avoir les deux en même temps. Il y a d'autres méthodes et on pourrait probablement penser aux missiles de croisière, qui sont beaucoup plus faciles à acquérir, et aux avions, qui ont largué deux bombes atomiques il y a quelques années. Il y a ensuite les navires, qui pourraient s'amarrer à un port de mer et avoir dans leur cale une arme nucléaire qui pourrait être détonée à l'aide d'une minuterie. Évidemment, on peut transporter des bombes par camion et on a même entendu parler de bombes transportées dans des valises, quoique je pense que vous auriez besoin d'un porteur passablement fort. Ces menaces sont vraiment beaucoup plus urgentes, c'est quelque chose qui pourrait survenir demain au lieu de 2025. Je pense que c'est à cela que nous devrions donner toute la priorité. Après un certain temps, vous dites que c'est leur argent et que si c'est ce qu'ils ont choisi, je suppose qu'ils en ont le droit. Nous pourrions peut-être les exhorter à ne pas oublier les choses plus simples, plus urgentes.
Mme Diane Marleau: Vous dites que c’est leur argent, mais nous sommes leur voisin le plus proche et leur meilleur ami. Pour être bien franc, s’ils décident d’aller de l’avant avec ce projet, il nous sera très difficile de ne pas au moins leur apporter notre assistance, et cela m’inquiète donc. Il y a aussi le fait que l’Union européenne et plusieurs autres puissances semblent s’opposer complètement à ce qu’ils aillent de l’avant sur cette question. Je sais que, selon vous, nous devrions continuer à faire ce que nous faisons si bien, mais s’il en revenait à vous de prendre la décision, que feriez-vous?
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Lindsey.
M. George Lindsey: J’ai essayé d’indiquer ce qui dans mon opinion pourrait être une réponse à votre question. Je m’efforcerais de maintenir notre engagement dans NORAD, et cela pourrait vouloir dire jouer un plus grand rôle que nous ne l’aurions souhaité dans le système national de défense contre les missiles. Ensuite, si les américains continuent à nous presser pour en faire plus, je serais d’avis que nous tournions nos efforts vers les missiles à courte portée et les observations faites par satellites dont l’avantage pour nous serait de nous informer de ce qui se passe dans notre propre pays. Pour que quelque chose nous rapporte, il faut normalement débourser un peu et faire quelques concessions, mais ce n’est pas tout à fait comme jouer au grand méchant loup et essayer de déclencher une Troisième Guerre mondiale, ce que bien sûr nous ne voulons pas faire.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Je vous remercie beaucoup.
Monsieur Martin.
M. Keith Martin: Monsieur Lindsey, colonel Cleminson, et Général Greenaway, merci beaucoup d’être venus aujourd’hui. Nous vous sommes reconnaissant de bien vouloir nous accorder votre temps.
Monsieur Lindsey, lorsque vous faites référence aux missiles nucléaires, vous soulignez qu’il nous faut agir en sorte que les pays qui n’en ont pas ne puissent pas en acquérir, et ceux qui en possèdent déjà ne puissent pas en acquérir de nouvelles. C’est là un défi primordial auquel nous faisons face en matière de politique étrangère. Après avoir entendu le commentaire de Mme Marleau, j’éprouve beaucoup d’inquiétude à l’égard des bombes sales et du fait que nous avons perdu tout contrôle en ce qui concerne les matériaux fissiles. Selon vous, comment pouvons-nous réussir à empêcher que le nombre de pays dotés d’armements nucléaires ne s’accroisse? D’autant plus que certains de nos alliés, la France et certains pays du nord de l’Europe, ainsi que la Russie, vendent à l’Iran et autres états parias la technologie nécessaire pour développer leur force nucléaire. Comment pouvons-nous maîtriser la situation?
Ma deuxième question concerne le système national de défense contre les missiles (NMD). N’est-il pas en réalité question ici de défense contre la Chine? A cause des échange économiques, nous nous sommes réticents à appeler les choses par leur nom et admettre en quoi consiste vraiment le système NMD: une façon de nous protéger contre un pays qui a affiché une politique étrangère très belliqueuse l’égard du Taïwan, des îles Spratly et du Tibet. C’est de cela qu’il sera question à l’avenir, et quand ce ne serait que pour cette seule raison, nous devrions participer et collaborer avec les Américains sur ce projet.
Troisièmement, Colonel Cleminson, vous travaillez avec la COCOVINU. Nous attachons en ce moment une grande importance à cette question, et nous avons entendu des témoignages très provocateurs à ce sujet. Selon votre point de vue, devrait-il échoir au Canada de demander aux Américains la preuve que l’Irak a fait l’acquisition d’armes de destruction massive? De plus, comme vous le mentionnez, pensez-vous que le Canada peut avoir son rôle à jouer dans l’entrée en pourparler avec les Irakiens pour introduire la COCOVINU en Irak afin qu’elle puisse déterminer ce qui se passe sur le terrain? Nous devons cela au peuple canadien et surtout à nos soldats.
Enfin, , pensez-vous qu’avec START III nous devrions continuer à interdire les missiles balistiques intercontinentaux à têtes multiples indépendantes (MIRV ICBM )?
Je vous remercie.
Á (1125)
M. George Lindsey: Puis-je répondre aux questions numéros un, deux et quatre, et laisser au Colonel Cleminson le soin de répondre à la troisième question?
Le vice-président (M. Bernard Patry): Bien sûr. Ça serait parfait. C’est à votre choix.
M. George Lindsey: En ce qui a trait aux bombes sales et autres armes de destruction massive, je pense que pratiquement tous les pays du monde qui en ont les capacités techniques devraient participer de façon multilatérale à la solution au problème. Le Canada se trouve au sommet, pour ce qui est de la technologie nucléaire, et il peut certainement aider à résoudre les problèmes que posent les bombes sales. Je pense qu’on pourrait réunir tous les autres périls en une catégorie qui devrait intéresser presque tous les pays du mondes, et où plusieurs d’entre eux pourraient effectivement faire quelque chose. Il serait bien dommage qu’ils ne conjuguent pas leur efforts. Je pense que la coopération est essentielle en cette matière, et c’est une question autrement plus urgente que la défense contre les ICBM.
En ce qui concerne la Chine, je pense que la situation que vous évoquez est probablement exacte. Considérez ce qu’il est possible de faire avec un système de défense contre les ICBM capable de fournir une excellente protection contre un pays qui possède dix missiles, mais impuissant contre un pays qui en possède mille. Si c’est comme ça, nous devrions crier trois hourras et espérer qu’on peut se mesurer à ces dix missiles. Mais que faire d’un pays qui en possède cent? Et il se peut bien que la Chine soit l’un de ceux-là. J’imagine qu’on devra, lentement si vous le voulez, reconnaître la Chine comme étant l’une des trois superpuissances dans le domaine nucléaire. Les Chinois ont certainement les moyens de le faire si c’est ce qu’ils veulent. Leur pays est énorme. Ils deviendront probablement l’un des pays les plus importants du monde avant la fin de notre génération. S’ils décident qu’ils veulent acquérir ces armes, c’est leur argent; et s’ils prennent les moyens pour le faire, nous ne pouvons pas les en empêcher. Je pense qu’il serait insensé d’essayer de les battre avec un système de défense pouvant se mesurer à mille missiles, parce que je ne pense pas que ce soit une chose possible. Et peut-être bien que cela mènerait à la même situation qu’on a connue avec la Russie. Après quelque temps, ils y auront misé tout leur argent et atteint un état qui leur semble satisfaisant. Alors pourquoi ne pas être amis et cesser de nous intimider l’un l’autre?
Je pense que le problème du Taïwan constitue un très grand danger. Mon voeu le plus cher serait que tout le monde soit patient et se dise que Hong Kong est retournée à la Chine, d’ailleurs propriétaire légitime pendant des siècles, et qu’elle ne semblent pas s’en porter plus mal. Macao en est au même point. Les Taïwanais vont observer ce qui se passe, et peut-être vont-ils décider qu’en fait, la situation n’est pas si mauvaise que ça. Les vieux, qui se souviennent de Chiang Kai Shek et de toutes les choses impopulaires qui se sont passées à Beijing, vont finir par mourir. Pourquoi ne pas laisser le cours du temps faire le travail à la place des armes?
En fait, je ne pense pas qu’un système de défense contre les missiles balistiques à Taïwan ferait beaucoup de différence. Les missiles balistiques dont les Chinois pourraient se servir contre Taïwan ne seraient probablement pas munis d’ogives nucléaires. Le système de défense en intercepterait quelques uns, et certains passeraient outre, mais le résultat ne serait pas très différent d’une grosse offensive aérienne avec des armes conventionnelles. Bien sûr, le danger serait que les États-Unis se mettent de la partie et décident de se battre à propos de Taïwan. Ce serait probablement la pire chose qui puisse arriver.
Pour répondre à la quatrième question, je pense que MIRV posait de grands obstacles à un régime de dissuasion stable. Supposons que deux adversaires possèdent un certain nombre de missiles et que l’un d’eux installe dix ogives dans l’un de ses missiles. Cela veut dire tout de suite en partant que ce missile peut viser dix fois plus de cibles, et qu’il est dix fois plus difficile de se défendre contre lui. Mais ce qui poserait un danger encore plus grand, c’est que ces dix ogives restent dans le missile, et de ce fait deviennent une cible alléchante pour une première frappe. Si le missile est lancé, on dois affronter dix ogives. Si on le frappe avant qu’il soit lancé, on en élimine dix d’un coup. C’est donc mieux de frapper les premiers. Et c’est justement ce que nous ne voulons pas, une instabilité fondamentale.
Á (1130)
Je pense que ce serait une très bonne chose d’interdire les MIRV. En fait, les accords START l’ont déjà fait, mais il y a des indications que cette clause sera annulée. Les Russes ont un nombre limité d’ogives et il se pourrait qu’ils préfèrent en utiliser quelques unes sous forme de MIRV. Bien sûr, la plus grosse force de frappe des Américains se trouve en mer. On ne peut mettre qu’un nombre limité de missiles, environ seize, à bord d’un sous-marin. Ils aimeraient donc inclure huit ou dix ogives dans chacun de ces missiles. Ceux qui sont sur l’offensive ont toutes les raisons du monde pour vouloir garder les MIRV. Ceux qui préfèrent la stabilité et cherchent à éliminer les raisons de déclencher une guerre aimeraient mieux se débarrasser des MIRV. C’est en comptant le nombre d’ogives et non pas le nombre de missiles qu’on peut vraiment mesurer le danger devant lequel on se trouve.
M. Keith Martin: Est-ce que le NMD ne pourrait pas parer à une attaque par ogive MIRV?
M. George Lindsey: Une fois déployé, un tel missile vise dix cibles différentes. Les MIRV sont probablement assez indépendants les uns des autres pour être considérés comme étant eux-mêmes dix cibles distinctes. Si on intercepte le missile juste après son lancement, avant que les MIRV ne se soient séparés les uns des autres, il est possible qu’on puisse tous les détruire. C’est pourquoi on donne priorité à la sorte de système qu’on installe tout près des points de lancement, avec un missile anti-balistique tactique de courte portée qui puisse intercepter le missile pendant les toutes premières minutes. C’est l’une des façons de déjouer les MIRV.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Cleminson.
M. F.R. Cleminson: Pour me présenter brièvement, j’ai été membre de la CSNU (la Commission Spéciale de l'ONU chargée du désarmement de l'Irak) à partir de son début en 1991. En 1999, le Secrétaire général m’a ensuite demandé de participer à l’évaluation des succès et des échecs de la CSNU. À ma grande surprise, j’ai ensuite été nommé à la COCOVINU. J’ai donc étudié l’Irak et le concept des armes de destruction de masse pendant douze ans. Les gens ne réalisent souvent pas que les exigences des Nations Unies ne concernent pas les armes conventionnelles mais les armes de destruction massive telles que les armes nucléaires, chimiques et biologiques, et leurs vecteurs, en d’autres termes les missiles capables de parcourir plus que 150 kilomètres.
La rencontre qui a eu lieu à Vienne la semaine dernière a été l’une des plus positives à date, parce qu’il y a des indications que l’Irak considère sérieusement l’idée d’ouvrir ses portes aux inspecteurs. Bien sûr, les Irakiens demandent quelque chose en échange. Le moment présent est donc très important en ce qui a trait à l’Irak. Je suis sûr que les Irakiens rencontreront le Secrétaire général les 6 et 7 juillet à Vienne. Ce sera leur troisième rencontre, après celles qui se sont tenues en mars et en mai. Lors de la dernière rencontre, ils ont discuté des complexités techniques qui accompagnent la réintroduction des inspecteurs. Notre président exécutif, M. Hans Blix, a participé à ces rencontres. Ils espèrent que celle qui aura lieu les 6 et 7 juillet apportera des éclaircissement sur les conditions requises du côté irakien. L’ONU fera part des domaines d’ordre pratique où elle nécessite l’assurance de leur coopération.
L’impression qui m’est restée après la rencontre de Vienne est que la COCOVINU est prête à entreprendre les inspections et qu’elle a la capacité opérationnelle requise pour le faire. J’estime qu’elle pourrait avoir des inspecteurs en Irak en moins de quinze jours après avoir reçu le consentement de l’Irak. Ils pourraient mettre l’opération en marche maintenant. Les Irakiens essaient d’obtenir une sorte de limite de temps pour cette opération, mais c’est très difficile à donner parce que les inspections nécessitent leur entière coopération. Bien sûr, le secrétaire de la Défense des États-Unis a fait des déclarations à l’effet que même si les inspecteurs étaient sur les lieux, et même s’ils avaient un accès total, ce ne serait quand même pas suffisant. Je ne suis pas sûr de ce qu’ils veulent.
Je parlerai encore une fois du concept du multilatéralisme à l’opposé de celui de l’unilatéralisme. Je pense que ce concept explique très bien l’efficacité des Nations Unies. Si nous avons foi en la valeur des Nations Unies, on y voit un très bon exemple de son efficacité. Je pense qu’on met l’emphase sur les inspections. Les compte-rendu de la COCOVINU commencent en général par une déclaration à l’effet que, puisqu’aucun de ses inspecteur n’a pu visiter l’Irak depuis décembre 1998, elle n’est pas très au courant de ce qui se passe. Je pense que c’est un domaine où l’utilisation de l’imagerie par satellite, qui est une spécialité canadienne, pourrait être employée de façon très efficace. J’ai suggéré plusieurs fois à la COCOVINU qu’au lieu d’émettre une déclaration comme quoi elle n’a pas d’inspecteur en Irak et ne peut donc pas savoir ce qui se passe, elle dise plutôt: «Voici les changements qui ont eu lieu en Irak au cours des trois derniers mois». Nous pourrions le faire si nous utilisions un système de satellites très efficace. Nous avons les capacités pour le faire et pour organiser une unité de peut-être vingt ou trente personnes, en engageant par exemple des interprètes.
Á (1135)
Les États-Unis ne sont pas vraiment partisans de cette idée. Les États-Unis sont bien sûr les inventeurs de l’imagerie par satellite. On se demande bien pourquoi. Je soupçonne qu’ils ont peur de se trouver en face d’une seconde opinion. Les États-Unis ont beaucoup de talent pour ce qui est de fournir de l’information sur les armes de destruction massive. Vous entendrez un tas de déclarations émises par leurs hauts fonctionnaires à l’effet qu’il y a des armes de destruction massive produites en Irak. Mais lorsqu’on leur demande où se trouve ces informations, et s’ils ont communiquée celles-ci aux Nations Unies, on n’obtient même pas de réponse. Là où les gens considèrent l’emploi des satellites dans un effort pour remplacer les inspecteurs, je dis toujours que l’emploi des satellites ne pourrait qu’affiner l’habileté des inspecteurs. Les Nations Unies ont très certainement une panoplie de douze à quinze différents systèmes à leur disposition, comprenant entre autres la CSNU et la COCOVINU.
La CSNU et la COCOVINU sont, selon moi, un témoignage de l’efficacité de l’ONU. Les Nations Unies ont endossé cette responsabilité. Plus de 3 000 personnes ont contribué au travail de la CSNU durant sa période d’activité. La COCOVINU est différente de la CSNU du fait qu’au lieu de prendre des experts venus d’autres nations…le Canada en a envoyé un grand nombre. Nous avons probablement fourni dix pour cent des meilleurs experts en Irak. En tant que commissaire canadien, j’éprouve souvent une grande fierté quand les gens s’approchent pour me dire: «Les Canadiens vont envoyer une couple de gens sur les lieux; ça devrait donc marcher». Comme j’ai passé beaucoup de temps dans les forces armées et que la plupart de nos gens viennent des forces armées, l’armée, la marine et l’aviation, j’en ai toujours éprouvé une grande fierté.
Je pense que les trois prochains mois seront très important. J’espère que la rencontre de juillet va générer une entente qui permettra aux inspecteurs d’entrer en Irak. Il va de soi que la COCOVINU travaillera de concert avec l’Agence internationale de l’énergie atomique, et que le secrétaire général de l’AIEA et le président de la COCOVINU participeront tous deux à ces discussions les 6 et 7 juillet prochain.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Cleminson.
Nous passons maintenant à Mme Carroll.
Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur Cleminson. Il est intéressant de voir la convergence des témoignages sur le sujet. Vous avez peut-être lu l’intéressant article paru dans le Citizen d’aujourd’hui à propos du témoignage devant notre comité d’un M. Scott Ritter qui a fait partie des équipes qui se sont rendus en Irak et avaient une façon de faire assez originale. Il était, je crois, un ancien fusilier marin, et il faisait valoir qu’il faut adopter une façon différente de faire les choses en ce qui concerne l’Irak. Il soutenait qu’aucune arme ne se trouve sur ce territoire, et que nos embargos faisaient grand tort au peuple irakien, sans donner les résultats voulus. Je ne fais que le mentionner au cas où ça vous intéresserait.
En ce qui concerne la question des images par satellites, pensez-vous que la technologie que nous possédons—et c’est un fait que les services de renseignement canadiens se distinguent dans ce domaine—est suffisante pour déterminer ce que nous avons besoin de savoir? Peut-elle nous fournir les sortes de données brutes dont nous avons besoin en matière de renseignement pour éviter d’avoir à faire des inspections? C’est là ma première question.
Ma deuxième question, monsieur Lindsey, concerne la situation présente, en Inde et au Pakistan, des armes nucléaires dépourvues de missiles balistiques intercontinentaux. Ça fait très peur à voir. Nous observons ici un potentiel de destruction, et ce potentiel se trouve entre les mains de deux nations qui n’ont aucune expérience empirique qui leur permette d’évaluer les résultats possibles de faire ainsi tournoyer leurs sabres autour de leurs têtes. J’en reviens toujours à une doctrine considérée maintenant comme périmée, la doctrine McNamara. Nous possédions les trois éléments de cette doctrine, y compris la réponse flexible et la conviction qu’on peut toujours hausser la réponse d’un cran, même dans le domaine du nucléaire.
Á (1140)
Le vice-président (M. Bernard Patry): D’abord, M. Cleminson.
M. F.R. Cleminson: Tout d’abord, les Irakiens viennent tout juste d’annoncer que leur niveau de vie est maintenant supérieur à celui des Égyptiens. Donc, quoique l’embargo a certainement produit des effets, je ne pense pas qu’il ait eu les résultats catastrophiques suggérés par Dennis Halliday et Scott Ritter, quoique je trouve plusieurs choses qu’ils ont dites très valables.
Pour ce qui est de l’imagerie par satellite, j’ai commencé à l’employer à l’âge de 23 ans alors que j’étais en service dans les stations polaires soviétiques dans l’Arctique. J’ai suivi plusieurs cours et j’y ai travaillé de façon intensive. Elle ne permet pas d’obtenir toute l’information dont on a besoin, mais on peut probablement en retirer de soixante à soixante-dix pour cent de l’information nécessaire pour décider si oui ou non il y a un programme invalide en cours. Mais un inspecteur sur les lieux mêmes constitue l’instrument chirurgical essentiel et définitif. Nous allons sur les lieux et utilisons des inspecteurs pour tenter de recueillir de grandes quantités d’information, mais il importe de se servir de tous les autres systèmes à notre disposition, comme l’imagerie par satellite, les capteurs in situ—il en existe en fait tout un assortiment—et travailler de haut en bas. Il faut savoir ce que l’on cherche. Si on n’a pas pu trouver ce qu’on cherche par une autre méthode, le temps vient de leur faire savoir qu’on fera une inspection sur place. Nous avons ici un coffre avec plusieurs outils. Il s’agit de les intégrer les uns aux les autres.
Comme je l’ai dit, au cours de huit ans ou huit ans et demi, plus de 3 000 personnes on travaillé comme inspecteurs pour la CSNU à un moment ou à un autre. Il est difficile de se bâtir une expérience solide lorsqu’on change continuellement de personnel. La différence entre la COCOVINU et la CSNU c’est que diverses nations fournissent du personnel à la CSNU, alors que la COCOVINU engage son propre personnel, et les Nations Unies paient leur salaire. En fait, l’Irak finira par payer toute la note à l’aide des fonds mis de côté.
Je n’ai pas entendu le témoignage de M. Ritter, mais il se lance toujours dans ces histoires d’espionnage pour le compte des États-Unis et des choses comme ça. Je l’ai connu assez bien pendant plusieurs années, et je ne peux vraiment pas comprendre ce que lui et Dennis Halliday peuvent bien vouloir. D’après moi, les Nations Unies et le Canada ont toutes les raisons d’être extrêmement fiers de ce qu’ils ont fait avec leur méthode multilatérale d’aborder les vérifications en Irak. Il est fort probable que l’Irak ne possède pas ces armes. L’Agence internationale de l’énergie atomique a d’ailleurs fait une déclaration à cet égard. Je pense que la CSNU aurait pu faire de même en ce qui concerne les missiles et les armes chimiques. Nous n’aurions pas pu le faire pour les armes biologiques.
Mme Aileen Carroll: Mais c’était il y a trois ans. Vous ne pourriez plus dire la même chose maintenant, après trois ans dans les limbes, n’est-ce pas?
Á (1145)
M. F.R. Cleminson: Si nous avions continué à travailler avec l’imagerie par satellite, nous pourrions probablement répondre par l’affirmative. Lorsqu’on discute des possibilités des systèmes de satellites, je me réfère souvent à Cuba en 1962, avec le président Kennedy. Je demande souvent aux gens quel était, selon eux, le nombre d’inspecteurs sur les lieux. Aucun. Toutes les décisions qu’il a prises—et en fait, il était presque disposé à entreprendre une guerre nucléaire—étaient fondées sur l’imagerie par satellite. Il y a donc un tas de chose qu’elle peut faire pour nous. C’est un outil que les Nations Unies n’ont pas utilisé de façon adéquate.
M. Stockwell Day: Avec ce que M. Kennedy a fait, nous retrouvons encore le problème redoutable de l’action unilatérale.
M. F.R. Cleminson: Il l’a fait avec l’aide de ses alliés. Vous vous rappellerez que notre marine était prête à prendre la mer.
M. Stockwell Day: Oh oui, c’était très réconfortant.
M. F.R. Cleminson: Mais j’aimerais seulement ajouter pour conclure que l’entière opération cubaine a été un succès. Elle a souvent été décrite comme étant un échec. Je pense que l’Organisation des Nations Unies peut être très fière de ce qu’elle a accompli, et le Canada peut être extrêmement fier du soutien qu’il lui a apporté à ce moment-là. Je souhaite seulement que les Irakiens se rendent compte que s’ils coopèrent entièrement, la COCOVINU rendra son rapport au Conseil de Sécurité d’ici un an, comme ils l’ont dit.
Mme Aileen Carroll: Y compris les armes biologiques?
M. F.R. Cleminson: Il me semble que c’est sur cela que les gouvernements comme le nôtre devraient se pencher, mais ils ne le font pas. Est-il possible de jamais vérifier un accord biologique? Ce problème a été sujet à discussion à la conférence de Genève sur le désarmement pendant plusieurs années. Chose étrange, ce sont les États-Unis qui n’acceptent pas que le mot vérification soit prononcé durant ces négociations sur la vérification de l’observance de la BTWC (Convention sur l’interdiction des armes biologiques et à toxines).
Le vice-président (M. Bernard Patry): Je vous remercie.
Monsieur Lindsey, auriez-vous des remarques à faire pour conclure?
M. George Lindsey: Oui.
Vous soulevez la question de dissuasion, et elle comprend plusieurs aspects. En ce qui concerne la Russie et les États-Unis, on peut toujours compter sur la bonne vieille garantie de destruction mutuelle. Chacun d’entre eux pourrait rayer l’autre de la carte s’il le voulait, mais probablement au prix de sa propre destruction. Je pense que cette condition s’appliquera encore pendant très longtemps. Il est possible de le faire avec beaucoup moins d’armes à sa disposition.
L’ère des armes nucléaires tactiques—et vous avez fait mention de la réponse flexible—appartient sans contredit à la guerre froide, alors que chaque partie avait des millions d’hommes qui étaient munis d’armes conventionnelles et qui avaient les meilleurs chars d’assaut et les meilleurs avions à leur disposition. Le danger était que, si une guerre éclatait, peut-être par erreur, comment pourrait-on l’arrêter avant qu’elle ne tourne en guerre nucléaire? En désespoir de cause, ils avaient développé toute une série d’options flexibles qui devenaient de plus en plus vicieuses à mesure qu’on escaladait. A un certain point, on utilisait des armes nucléaires de démonstration, mais un peu plus haut sur l’échelle, on se servait de ses armes nucléaires tactiques, du style à courte portée, qu’on déployait. Certaines d’entre elles étaient même montées sur des armes portatives. Ces options ouvraient un avenir plutôt effrayant pour quiconque vivait en Europe pendant de telles éventualités. Je pense que c’est du passé maintenant, et je pense qu’il y a eu une réduction considérable du nombre d’armes nucléaires tactiques, mais il n’y a pas eu de convention pour le vérifier et le codifier. Ce serait peut-être une bonne chose.
Je ne crois plus que les gens aient trop peur maintenant que les Russes et les Américains utilisent des armes nucléaires de courte portée. Ils s’inquiètent plutôt de ce qui pourrait arriver dans une région du monde mal famée où un pays quelconque posséderait quelques armes nucléaires, et où un autre n’en aurait pas.
Il me semble que le problème de réponse flexible est sur son lit de mort. Quand on parle de réduction d’armes nucléaires, il faut faire la distinction entre les armes stratégiques lourdes et celles qui sont plus petites. Les petites ont perdu de l’importance, mais elles sont quand même là. Je suppose que le monde serait plus en sécurité s’il n’y en avait pas du tout. Mais la question est de savoir si cela est possible. Quant à moi, je ne le sais pas.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Je vous remercie beaucoup.
Je tiens à remercier tous ceux qui sont venus témoigner ce matin. C’était très intéressant. Notre comité apprécie beaucoup votre expérience et votre savoir.
[Français]
Merci beaucoup encore une fois.
[Traduction]
Nous allons clore cette réunion. Notre prochaine réunion se tiendra mardi à 9 heures.
Merci.