INST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie
Témoignages du comité
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 5 février 2002
¿ | 0910 |
Le vice-président (M.Walt Lastewka (St. Catharines)) |
M. Stanley Wong (témoignage à titre personnel) |
¿ | 0915 |
¿ | 0920 |
¿ | 0925 |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Stanley Wong |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Robert Russell (témoignage à titre personnel) |
¿ | 0930 |
¿ | 0935 |
¿ | 0940 |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. John Rook (témoignage à titre personnel) |
¿ | 0945 |
¿ | 0950 |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Paul Crampton (témoignage à titre personnel) |
À | 1000 |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Charlie Penson (Peace River, Alliance canadienne) |
M. John Rook |
À | 1005 |
M. Charlie Penson |
M. John Rook |
M. Charlie Penson |
M. John Rook |
M. Charlie Penson |
M. John Rook |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Robert Russell |
À | 1010 |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Larry Bagnell (Yukon, Lib.) |
M. Stanley Wong |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Paul Crampton |
À | 1015 |
M. Robert Russell |
M. John Rook |
À | 1020 |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Stéphane Bergeron (Verchères--Les-Patriotes, BQ) |
M. Paul Crampton |
M. Stanley Wong |
À | 1025 |
M. Robert Russell |
M. Paul Crampton |
À | 1030 |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Brent St. Denis (Algoma--Manitoulin, Lib.) |
M. Robert Russell |
À | 1035 |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Paul Crampton |
M. John Rook |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Stanley Wong |
À | 1040 |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
Mme Bev Desjarlais (Churchill, NPD) |
M. Stanley Wong |
À | 1045 |
M. John Rook |
M. Paul Crampton |
M. Robert Russell |
À | 1050 |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Dan McTeague (Pickering--Ajax--Uxbridge, Lib.) |
M. Robert Russell |
À | 1055 |
M. Stanley Wong |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. John Rook |
M. Paul Crampton |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Stanley Wong |
Á | 1100 |
M. Dan McTeague |
M. Robert Russell |
M. Paul Crampton |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
Á | 1105 |
Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.) |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Paul Crampton |
M. Robert Russell |
Á | 1110 |
M. Stanley Wong |
M. John Rook |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Andy Savoy (Tobique--Mactaquac, Lib.) |
M. Paul Crampton |
Á | 1115 |
M. Stanley Wong |
M. Robert Russell |
Á | 1120 |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. John Rook |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Roger Ware |
Á | 1135 |
Á | 1140 |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Tim Kennish (présentation à titre personnel) |
Á | 1145 |
Á | 1150 |
Á | 1155 |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Paul Crampton |
 | 1200 |
 | 1205 |
 | 1210 |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Stéphane Bergeron |
M. Paul Crampton |
M. Tim Kennish |
M. Roger Ware |
 | 1215 |
M. Stéphane Bergeron |
M. Tim Kennish |
 | 1220 |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Andy Savoy |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Roger Ware |
 | 1225 |
 | 1230 |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Paul Crampton |
 | 1235 |
Le président (M. Walt Lastewka) |
M. Tim Kennish |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Chuck Strahl (Fraser Valley, PC/RD) |
M. Roger Ware |
 | 1240 |
M. Strahl |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Dan McTeague |
M. Paul Crampton |
 | 1245 |
M. Dan McTeague |
M. Paul Crampton |
M. Tim Kennish |
 | 1250 |
M. Roger Ware |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Brent St. Denis |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Roger Ware |
 | 1255 |
M. Brent St. Denis |
M. Roger Ware |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Paul Crampton |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
M. Larry Bagnell |
· | 1300 |
M. Paul Crampton |
M. Tim Kennish |
Le vice-président (M. Walt Lastewka) |
CANADA
Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie |
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Témoignages du comité
Le mardi 5 février 2002
[Enregistrement électronique]
¿ (0910)
[Traduction]
Le vice-président (M.Walt Lastewka (St. Catharines)): La séance est ouverte. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, étude de la Loi et des politiques sur la concurrence.
Nous accueillons ce matin un groupe de témoins qui participeront à une table ronde. Il s'agit de MM. Robert Russel, avocat, Borden Ladner Gervais; Stanley Wong, avocat, Davis and Company; John Rook, avocat, Osler, Hoskin & Harcourt; et Paul Crampton, avocat, Davies Ward Phillips & Vineberg.
Voici comment nous allons procéder ce matin. Vous aurez de cinq à dix minutes pour faire une déclaration préliminaire. Lorsque neuf minutes se seront écoulées, je vous signalerai que le moment est venu de conclure. Il y aura ensuite une discussion en table ronde qui durera environ deux heures. Pour que nous soyons aussi productifs que possible, j'aimerais que nous commencions sans tarder. Je vous accorderai la parole dans l'ordre où figure votre nom à l'ordre du jour.
Où est M. Russell? Monsieur Wong, comme votre nom suit sur l'ordre du jour, je vous demanderais de bien vouloir commencer.
M. Stanley Wong (témoignage à titre personnel): Après avoir discuté de la question avec le personnel parlementaire, je crois qu'il serait utile que je vous dise quelques mots au sujet du contexte dans lequel oeuvre le Tribunal de la concurrence.
J'aimerais d'abord dire que je possède une assez bonne connaissance du domaine. J'ai été conseiller juridique du commissaire dans la première affaire contestée, l'affaire Southam, qui a duré environ huit ou neuf ans. En fait, j'ai peur de compter le nombre exact de jours que le tribunal a consacré à cette affaire. En outre, je ne suis pas seulement avocat; je suis également économiste. J'enseignais autrefois l'économie ici même à Ottawa à l'université Carleton. Enfin, à titre de membre du comité de liaison entre le Tribunal de la concurrence et l'Association du Barreau depuis 1997, j'ai participé à de nombreuses discussions sur le sujet et projets de réforme.
Je suis d'avis que nous sommes assez sévères au sujet de l'ensemble du système qui m'apparaît comme étant assez bon. Je sais avoir déjà signalé au comité divers changements qu'il serait utile ou nécessaire d'apporter au système, mais je crois tout de même que le système est dans l'ensemble assez bon. On pourrait évidemment en augmenter l'efficacité et nous sommes réunis aujourd'hui pour discuter de la façon dont cela pourrait être fait.
Je commencerai d'abord par expliquer le rôle du Tribunal de la concurrence pour les membres du comité qui ne connaîtraient pas à fond le système. Le tribunal a été créé à l'issue des modifications apportées à la loi en 1986. Cette année-là, La loi relative aux enquêtes sur les coalitions est devenue la Loi sur la concurrence. On a alors décidé que la méthode antérieure par laquelle la Commission sur les pratiques restrictives du commerce—et je sais que certains membres du comité savent ce dont je parle— rendait ses jugements ne convenait pas car, entre autres choses, la Commission était habilitée à faire des enquêtes ainsi qu'à rendre des jugements. On a trouvé un compromis typiquement canadien pour régler le problème en ce sens que l'organisme juridictionnel se compose de juges, les membres juristes du tribunal, et de membres profanes. C'est essentiellement le système que nous avons.
Le tribunal est chargé de l'application des dispositions non criminelles de la loi qui figurent dans la partie VII ainsi que maintenant dans la partie VII.1 ou VII. Il s'agit de la partie de la loi qui traite des décisions sur la publicité trompeuse qui ne comportent pas de sanction criminelle. La plupart sinon la totalité des affaires dont est saisi le tribunal se rapportent à la partie VIII de la loi, en particulier aux fusions. Je vous rappelle qu'à l'issue des modifications apportées à la loi en 1986, les fusions sont devenues du ressort exclusif du Tribunal de la concurrence et ont été décriminalisées.
Jusque-là, l'abus de position dominante était appelé monopolisation. Il était considéré comme une infraction criminelle. Cette pratique a été décriminalisée en l'incluant à la partie VIII et la compétence exclusive a été accordée au tribunal en cette matière ainsi qu'en ce qui touche l'exclusivité et les ventes liées, des pratiques commerciales qui ne sont pas en soi anticoncurrentielles. Voilà une façon de voir les questions visées par la partie VIII, à savoir des pratiques et des fusions qui ne sont pas en soi anticoncurrentielles. Tout est fonction de la façon dont une entreprise se comporte, d'où l'expression «abus de position dominante», expression retenue dans la loi de 1986. C'est une expression qui est tirée du Traité de Rome qui a créé l'Union européenne. Ce sont les Européens qui ont commencé à utiliser ce concept. Mon collègue, M. Crampton, en sait bien davantage que moi là-dessus.
En gros, ce que nous voulions et ce que nous avons obtenu est un système mixte comportant des juges et des membres profanes auxquels on a donné compétence exclusive à l'égard de la partie VIII, à une très petite exception près, soit les accords de spécialisation qui sont du ressort exclusif du commissaire de la concurrence. La répartition des attributions est ce qui est remise en cause par le projet de loi C-23 dont est maintenant saisi le Sénat.
Le Tribunal de la concurrence comporte des particularités dont l'une est que les membres juristes qui y sont nommés proviennent de la Division de première instance de la Cour fédérale et que son président est choisi parmi eux. Les membres juristes sont les seuls à pouvoir se prononcer sur les questions de droit. Le tribunal au complet se prononce sur tous les autres types de questions. Les membres du tribunal siègent normalement en groupe de trois.
Les décisions du tribunal peuvent être portées en appel devant la Cour fédérale d'appel. Une requête en autorisation doit cependant être présentée dans le cas des appels portant sur des questions de fait pur. Je reviendrai dans une minute à ces deux questions parce que le fait que le tribunal fonctionne de cette façon pose certaines difficultés. Dans les faits, les membres du tribunal examinent sans doute toutes les questions ensemble et pour ce qui est d'un certain nombre de décisions, on s'est d'ailleurs demandé si l'avis dissident rendu sur une question de droit n'avait pas été rédigé par un membre profane du tribunal.
¿ (0915)
Les avocats passent beaucoup de temps—ce qui coûte cher à nos clients—à essayer de distinguer les questions de droit des questions de fait ainsi que des questions mixtes. Cette distinction est donc faite au Tribunal de la concurrence contrairement à ce qui est fait dans d'autres tribunaux. Dans d'autres tribunaux administratifs comme le CRTC, tous les membres du groupe saisis de l'affaire participent aux décisions rendues.
On peut aussi dire que le tribunal ne compte pas une longue expérience puisqu'il a été créé en 1986 et qu'il n'a commencé ses activités qu'en 1987. La première fusion contestée dont il a été saisi date de 1990.
L'expérience que nous avons acquise dans le domaine de la concurrence n'est donc pas très longue par comparaison avec celle acquise dans ce domaine par les États-Unis ou même l'Union européenne, ce qui a pour effet d'amplifier l'importance de chaque affaire. C'est pourquoi chaque fois qu'une décision est rendue qui ne nous semble pas être adéquate, nous pensons qu'il faut absolument modifier le système. À mon avis, il nous faut prendre du recul et nous demander quelle serait la configuration idéale du système. Sauf le respect que je vous dois, je ne pense pas que l'intérêt soit bien servi en modifiant continuellement le système puisque cela crée beaucoup d'incertitude et je crois que, fondamentalement, le concept est bon.
Quelle que soit la décision rendue, il est toujours possible d'en être insatisfait. C'est toujours ce qui se passe devant les tribunaux, mais personne n'a jamais proposé d'abolir les tribunaux ou de limiter leurs pouvoirs dans leur sphère de compétence. Chaque fois que quelqu'un est insatisfait d'une décision rendue par le tribunal, nous avons immédiatement tendance à nous demander s'il ne faudrait pas limiter ses pouvoirs.
Vous m'avez entendu déplorer sur le plan des principes au sujet du projet de loi C-23 que le tribunal soit tenu d'enregistrer le consentement déposé. Je crois que ce sont les termes exacts que j'ai utilisés lorsque j'ai comparu devant le comité qui étudiait le projet de loi C-23 avec d'autres collègues comme M. Russell.
Permettez-moi maintenant d'attirer votre attention sur des points précis. Il y a d'abord la question des amendements. La Loi sur le Tribunal de la concurrence qui crée le tribunal précise que seuls les membres juristes du tribunal peuvent trancher les questions de droit. C'est ce qu'énonce l'alinéa 12(1)a) de la loi. D'après l'alinéa 12(1)b), tous les membres qui siègent peuvent trancher les questions de fait ou de droit et de fait. Je crois que c'est un système bancal. À mon avis, rien ne s'oppose en principe à ce que tous les membres qui siègent tranchent toutes les questions. C'est comme cela que font d'autres tribunaux. Je ne vois pas pourquoi les profanes ne pourraient pas trancher des questions de droit dans un contexte spécialisé.
Le second point se rapportant aux amendements a trait à l'autorisation d'appel. À l'heure actuelle, un droit d'autorisation d'appel automatique est accordé en ce qui touche les décisions rendues par le tribunal sauf sur les questions de fait. Tout avocat tant soit peu adroit sait cependant comment transformer une question de fait au moins en une question de droit et de fait pour être en mesure d'interjeter appel. À mon avis, cela retarde inutilement le processus judiciaire étant donné que le tribunal est censé être un tribunal spécialisé. Dans l'arrêt Southam rendu par la Cour suprême du Canada, la cour a statué que dans une affaire du ressort du tribunal, il fallait s'en remettre à sa compétence.
Je sais que la Cour d'appel fédérale a dans une décision subséquente précisé ce qu'on entend par une question de droit et par une question de droit et de fait de même jusqu'où il fallait s'en remettre à la compétence du tribunal pour ce qui est des questions de droit. Cela étant dit, du point de vue institutionnel, je crois qu'il est bon, à la lumière de l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Southam, de s'en remettre à la compétence du tribunal et de présenter une autorisation d'appel lorsqu'on souhaite interjeter appel d'une décision rendue. Je suis peut-être le seul à proposer cet amendement, mais il me semble qu'il est utile. Il ne sert à rien que le processus d'appel soit aussi long surtout dans le cas des fusions étant donné que cela n'empêche pas les fusions de se réaliser. En fait, on n'a jamais reporté une fusion pendant un appel.
La plupart des fusions dont le tribunal a été saisi étaient des fusions qui s'étaient déjà matérialisées. C'est ce qui s'est produit dans l'affaire Superior Propane qui est toujours en cours. La fusion dans l'affaire Southam avait certainement déjà eu lieu lorsqu'elle a été contestée.
À titre de membre du comité de liaison entre le Tribunal de la concurrence et l'Association du Barreau, permettez-moi de faire quelques remarques au sujet du fonctionnement du tribunal. Je sais que les membres du comité entendront directement le point de vue du tribunal, ce qui fait que je ne parle pas en son nom ni ne pourrait le faire et que je ne parle pas non plus au nom du comité. Je cherche simplement à vous expliquer quelle est la perspective à cet égard du comité de liaison qui compte des membres de la magistrature ainsi que des représentants du ministère de la Justice.
¿ (0920)
Le comité de liaison a été créé à l'instigation du tribunal en 1997 afin de renseigner les utilisateurs sur le mode de fonctionnement du tribunal. En 1999, le comité de liaison du tribunal a lancé un processus d'examen. J'ai examiné l'expérience du tribunal relativement aux amendements apportés en 1986. Le comité a compris qu'il était nécessaire de revoir les procédures et les pratiques du tribunal pour lui permettre de rendre des décisions de façon plus rapide et plus efficace.
Il a été décidé d'entrée de jeu que le comité se pencherait sur les affaires ne portant pas sur les fusions étant donné que les fusions soulèvent des questions particulières comme celles des délais et que dans le cas des affaires ne portant pas sur les fusions, on peut toujours ou presque toujours se reporter à une historique des transactions. Avant que le commissaire remette en cause une décision qui n'a pas trait à une fusion, des mois sinon des années peuvent s'être écoulés de sorte que personne n'est surpris lorsqu'une contestation est présentée. Le comité a donc estimé que les règles portant sur ces affaires devraient être modifiées.
Je vous rappelle qu'au moment de la création du tribunal en 1986, tant les membres du tribunal que les membres du Barreau pensaient que le tribunal serait régi par les règles normales qui s'appliquent en cas de procès civils.
Je sais que mon ami, M. Rook, a une position très ferme sur la question. Nous ne sommes pas d'accord sur ce que devrait être le modèle idéal. Mais il n'en demeure pas moins que tant les membres du tribunal que les membres du Barreau pensaient que les mêmes règles que celles qui s'appliquent lors de procès civils s'appliqueraient devant le tribunal et que la rapidité avec laquelle les affaires pourraient être entendues, dépendrait de la volonté des parties, à une exception près, à savoir que le tribunal a toujours insisté sur un certain calendrier.
Je suis d'avis que le modèle des procès civils n'accordait pas suffisamment de poids à certains aspects importants de ces affaires. Premièrement, le tribunal est, aux termes de la loi, un organe spécialisé qui a compétence dans le domaine du droit et de la politique de la concurrence et qui se compose de membres de la magistrature, d'économistes, de comptables, de spécialistes du commerce et d'autres types de spécialistes. Sauf dans des circonstances très limitées, une instance ne peut être introduite que par le commissaire de la concurrence dans l'exercice des fonctions législatives qui lui sont conférées en vertu de la partie VIII de la loi qui est maintenant la partie VIII et la partie VII.1.
La raison pour laquelle ce fait est important, comme je l'ai mentionné plus tôt, c'est qu'avant que le commissaire n'introduise une instance, des discussions prolongées auront eu lieu. Ces discussions peuvent se prolonger pendant un an et parfois même deux ans. Personne n'est surpris lorsque le commissaire décide d'introduire une instance. Le commissaire dira ceci à une partie: «Pouvez-vous faire ceci? Pouvez-vous faire cela? Pouvez-vous modifier vos pratiques?» Si la réponse que le commissaire obtient est: «Non, nous ne le ferons pas». Il répond: «Je vais d'abord introduire une instance». Le défendeur n'est donc pas surpris lorsque cela se produit.
Le comité de liaison avec le tribunal a donc essayé au départ de modifier la procédure. Il s'est penché sur l'interrogatoire préalable. Bien que les règles n'autorisaient pas d'interrogatoire automatique, le tribunal avait pour pratique à ses débuts d'ordonner que les deux parties en subissent un. Aujourd'hui, l'interrogatoire préalable revêt moins d'importance. Puisque de longues discussions ont déjà eu lieu entre les parties, les parties à une affaire qui ne vise pas une fusion, ne seront donc pas surprises au moment de l'instance.
Il y a aussi la question de la divulgation. Il est évident que la preuve sur laquelle le commissaire s'appuie doit être communiquée au défendeur. Ce qui est nouveau—et cela a commencé en 1999 pour les affaires ne visant pas les fusions—c'est que la divulgation aura lieu sous peu dans la Gazette.
Enfin, des changements ont également été apportés en ce qui touche le témoignage de spécialistes. Les spécialistes doivent s'en tenir aux questions qui revêtent de l'importance pour l'affaire dont est saisi le tribunal. Tout le monde sait qu'on peut faire appel à de nombreux spécialistes dans un procès civil et qu'on peut leur faire dire n'importe quoi. Il est donc question—et l'on tente maintenant l'essai—de regrouper les spécialistes pour qu'ils se parlent entre eux. Cela exige un contrôle accru de la part du tribunal, mais je pense que le tribunal est tout à fait en mesure de relever ce défi.
Ces modifications qui visent surtout la procédure touchant les affaires qui ne visent pas les fusions, ont été dans l'ensemble bien accueillies. Certaines personnes s'y sont cependant opposées. Le comité de liaison s'est engagé à étudier la procédure touchant les fusions. Certaines personnes se sont d'ailleurs demandé pourquoi le comité ne l'avait pas fait d'entrée de jeu. Nous avons d'abord voulu voir comment cela se passerait pour les affaires qui ne visent pas les fusions. Comme je l'ai dit, la question du temps est très importante dans le cas des fusions.
Le comité de liaison s'est demandé récemment ce qui pouvait également être fait pour raccourcir l'ensemble du processus.
¿ (0925)
L'une des idées qui ont été avancées—il s'agit encore une fois non pas d'une décision du comité de liaison, mais d'une recommandation—, c'est de limiter le nombre de témoins. Je sais que cette idée doit sans doute horrifier mon ami, M. Rook, mais... dans l'affaire Microsoft, chaque partie a fait comparaître environ 20 témoins. On est donc parvenu à limiter le nombre de témoins à 20 pour chaque partie dans l'affaire antitrust la plus importante de toute l'histoire.
Nous pensons donc qu'il conviendrait peut-être de limiter le nombre de témoins. Il ne convient peut-être pas de fixer le nombre de témoins que chaque partie pourrait faire comparaître, mais lors d'une conférence sur la gestion du cas, tenue au début d'une affaire, le tribunal pourrait préciser les questions que soulève l'affaire et fixer un nombre de témoins pour chaque partie à moins qu'une partie ne parvienne à le convaincre qu'il est nécessaire qu'elle fasse comparaître plus de témoins.
Pour ce qui est des spécialistes, l'idée serait...
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Wong, je vais vous demander de bien vouloir conclure.
M. Stanley Wong: Je vais le faire. Je vous remercie.
Il conviendrait aussi de regrouper les témoins spécialistes et de limiter le nombre de témoins spécialistes que chaque partie peut faire comparaître.
Il y a deux autres points que j'aimerais aborder avec vous. Il y a d'abord la durée des audiences. La plupart des gens s'entendent pour dire que les audiences devant le tribunal ne devraient pas durer plus de six mois: quatre mois seraient réservés à l'audition des parties et deux mois à la rédaction de la décision. J'ai l'impression que le tribunal aime cette idée qui exigerait la collaboration des parties ainsi que l'investissement de ressources suffisantes. Il semblerait que les retards qu'on a constatés par le passé soient attribuables en partie au fait que le tribunal ne disposait pas de suffisamment de ressources.
Le dernier point sur lequel je veux attirer votre attention, monsieur le président, a trait à la gestion des cas. C'est un terme qu'on utilise dans tous les domaines. À titre d'avocat qui a déjà comparu devant le tribunal, je me permets de faire remarquer qu'à ses débuts, le tribunal considérait, comme le font les juges, que la gestion des cas appartenait aux parties.
D'autres membres du comité de liaison avec le tribunal et moi-même sommes favorables à l'idée que le tribunal prenne activement en main la gestion des cas avec la collaboration des parties. Le tribunal devrait dire ceci: «Voici ce que devrait faire chaque partie. Voici les questions auxquelles il faut répondre. Demandez à vos spécialistes d'y répondre.» Ce genre de démarche n'est pas habituelle à la différence du modèle de procès civils.
Je suis prêt à vous donner des précisions sur tous les points que j'ai abordés.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Je vous remercie, monsieur Wong.
Je vais maintenant demander à M. Russell de bien vouloir commencer sa déclaration préliminaire. Comme je l'ai dit plus tôt, nous vous accordons entre cinq et dix minutes. Comme M. Wong a pris un peu plus de temps pour faire sa déclaration, je vais vous accorder le même temps. Je vous ferai signe lorsque 12 minutes se seront écoulées.
M. Robert Russell (témoignage à titre personnel): Je tiens à vous remercier de cette occasion de comparaître devant vous ce matin sur les questions abordées dans la première partie de la réunion d'aujourd'hui.
Je vais vous renseigner brièvement sur mes antécédents afin que vous puissiez juger de ce que je vais dire dans le contexte de mon expérience. J'ai comparu à plusieurs reprises devant le Tribunal de la concurrence. J'ai représenté à la fois le commissaire et le secteur privé. Par ailleurs, dans l'exercice de ma profession, je consacre environ la moitié de mon temps aux litiges commerciaux. Je suis membre du Comité des utilisateurs de la liste commerciale à Toronto. Je suis également membre du sous-comité du Comité des règles en matière de technologie dans les tribunaux.
Aujourd'hui, j'aimerais aborder certaines des questions que vous avez soulevées dans une certaine perspective, tant en ce qui concerne le tribunal que les cours de justice, afin de déterminer s'il existe des modèles qui permettraient d'améliorer l'efficacité de notre système.
Je dirai tout d'abord qu'il faut tenir compte des paroles prononcées par la Cour Suprême du Canada dans l'arrêt Chrysler. La cour a déclaré que les questions dont était saisi le tribunal étaient des litiges commerciaux compliqués. C'est donc ainsi que la Cour suprême du Canada a qualifié les causes entendues par le tribunal. Je crois qu'il est important de ne pas perdre cet aspect de vue, car lorsque nous envisageons de tronquer les procédures ou de prévoir des procédures particulières pour le tribunal, nous ne devrions pas oublier qu'il s'agit de litiges commerciaux qui s'inscrivent dans une sphère donnée. Nos cours de justice, et pas uniquement notre tribunal, ont beaucoup d'expérience sur la façon de gérer ce genre de litiges, et il existe divers modèles, non seulement au Canada, mais dans d'autres pays comme les États-Unis où on a commencé à gérer les litiges commerciaux avec plus d'efficacité et d'efficience.
Même si je dis que nous devons faire preuve de prudence lorsqu'il s'agit de tronquer les procédures qui se déroulent devant le tribunal, les questions de concurrence comportent des éléments particuliers qui permettent des gains d'efficience. Il est évident que l'efficience dans le cadre de ce processus revêt beaucoup d'importance car nous avons des intérêts publics importants en jeu dans le cadre de ce litige. Il ne s'agit pas d'un litige privé au sens de simples intérêts privés qui s'affrontent. Ce genre de litige met en jeu un important intérêt public. Mais il existe aussi des répercussions assez importantes et graves sur les intérêts des parties privées qui participent au litige—c'est-à-dire que les procédures risquent d'avoir des conséquences graves pour leur entreprise.
Je dirais qu'en règle générale le Tribunal de la concurrence fait du bon travail pour ce qui est d'établir le calendrier des causes qu'il entendra. Cependant, comme M. Wong l'a dit, l'établissement du calendrier dépend du moment auquel les parties saisissent le tribunal de ces questions. Donc, en ce qui concerne les questions interlocutoires, c'est-à-dire les aspects déterminés avant l'audience proprement dite... Je vous donnerai un exemple d'un cas auquel j'ai participé, à savoir l'affaire CAST dont a été saisi le tribunal. Il y a eu 52 demandes de décisions interlocutoires avant que l'affaire soit entendue. Vous pouvez très clairement constater d'après cet exemple la facilité avec laquelle le processus peut piétiner si nous ne gérons pas correctement le litige devant le tribunal.
J'estime qu'il peut être très utile d'examiner d'autres modèles de gestion de l'instance lorsqu'un juge est chargé non seulement d'établir le calendrier des audiences, mais de déterminer les questions qui seront entendues par le tribunal.
Je crois que nous en avons un très bon exemple dans la liste commerciale qui existe à Toronto, qui est simplement une liste... On parle de liste parce qu'il y a des juges, en moyenne six à la fois, qui sont assignés à la liste—trois membres relativement permanents, et trois membres qui font un roulement tous les six mois. Un protocole particulier est prévu pour traiter des litiges commerciaux, de même qu'un système très serré de gestion de l'instance, selon lequel un juge non seulement gère les audiences préalables au procès, si on peut dire, mais aussi oblige les parties à recourir aux méthodes de médiation, habituellement avant l'étape du procès.
Je crois que nous devrions au moins reconnaître que, compte tenu des litiges commerciaux dont est saisi le tribunal, la médiation en tant que processus peut s'avérer parfois un moyen très souhaitable de réaliser des efficiences sans tenir des audiences en bonne et due forme devant le tribunal.
Donc, la gestion efficace de l'instance par un juge, laquelle, comme M. Wong l'a dit... qu'elle soit qualifiée de vigoureuse ou... Mais je crois qu'il serait effectivement utile pour nos procédures devant le tribunal que l'on gère le processus et qu'on ne se contente pas de gérer l'établissement du calendrier.
La deuxième question concerne l'interrogatoire préalable. En raison des questions commerciales importantes et complexes dont est saisi le tribunal, nous devons prendre garde, à mon avis, à restreindre cet interrogatoire au-delà de ce que prévoient les tribunaux, par exemple, dans le cas des affaires commerciales. Il est établi depuis longtemps que ces procédures sont nécessaires pour assurer la communication d'autant de faits que possible pour permettre qu'une décision appropriée soit rendue.
¿ (0930)
Mais cela ne signifie pas qu'il n'existe pas, dans le cadre de nos procédures au tribunal, de possibilités particulières d'en améliorer l'efficacité et la rapidité. L'une des questions que l'on a fréquemment soulevée c'est la nécessité d'un interrogatoire préalable de la part du commissaire. Il ne faut pas oublier qu'à bien des égards, le commissaire est comme un policier qui présente l'affaire. Il ne dispose pas de tous les faits comme la partie à un litige commercial. Donc il n'a pas vraiment de preuves personnelles à présenter, si on peut dire. Il a sa propre opinion de l'affaire, il a entendu les témoignages d'autres témoins qu'il doit présenter et peut-être de l'industrie qui est impliquée, des concurrents ou quoi que ce soit.
Cela s'apparente beaucoup plus à la situation qui existe en ce qui concerne les affaires criminelles où la Couronne lance une poursuite. Je crois que nous pourrions nettement améliorer le processus et le temps consacré à l'interrogatoire préalable dans le cadre du processus du tribunal si l'on demandait au commissaire qu'il fournisse un document déclaratoire officiel plutôt qu'il procède à un interrogatoire préalable. Celui-ci consiste à demander jour après jour l'opinion du commissaire sur l'affaire, ce qui ne constitue même pas une preuve pertinente. Cela ne peut pas être présenté à titre de preuves devant le tribunal. Cet interrogatoire n'a en fait aucune utilité et lorsque l'on voit comment se déroule l'audience, on constate qu'il est très rare de toute façon que l'on cite des extraits de la transcription d'un interrogatoire préalable fait par le commissaire.
Ce que l'on pourrait faire, par exemple, en ce qui concerne l'interrogatoire préalable, c'est de prévoir une divulgation officielle de la part du commissaire et la possibilité d'un interrogatoire préalable, dont le commissaire a besoin parce que bien entendu il doit faire enquête sur une industrie dont il ne fait pas habituellement partie et par conséquent il doit recueillir lui-même toute la preuve nécessaire. L'autre partie fait évidemment partie de l'industrie, dispose de toute la preuve et a une très bonne connaissance préalable de son industrie. Le fait que nous n'ayons pas à adopter un modèle de procès civil par les pairs lorsqu'il s'agit de l'interrogatoire préalable en est l'élément essentiel. Nous devrions chercher ce qui convient aux procédures particulières dont nous avons besoin devant le tribunal.
En ce qui concerne le témoignage d'experts, j'hésiterais à imposer des limites formelles quant à ce genre de témoignage, car les situations diffèrent énormément d'une affaire à l'autre. Cependant, de plus en plus, les tribunaux indiquent vouloir des opinions d'experts appropriés et c'est tout ce qu'un expert peut fournir, une opinion. Les tribunaux ont indiqué que ces experts ne devraient pas émettre des opinions qu'il appartient au tribunal de prononcer—autrement dit, ne venez pas nous dire devant le tribunal que la concurrence a été considérablement réduite parce que c'est une décision qui appartient au tribunal; contentez-vous de fournir votre opinion d'expert en ce qui concerne la preuve, de fournir les preuves d'experts nécessaires pour permettre au tribunal d'arriver à sa décision. En agissant ainsi, les tribunaux ont nettement limité la quantité de témoignages d'experts qu'ils sont prêts à examiner dans une affaire donnée. Il existe donc d'autres mécanismes procéduraux qui peuvent limiter ce genre de témoignages sans pour autant limiter de façon définie la preuve au besoin.
J'ai abordé les points à l'ordre du jour. Un aspect important que j'aimerais soulever aujourd'hui toutefois concerne la façon dont nous administrons les règles du tribunal, et j'ai déjà soulevé cette question lors d'une séance précédente. Si nous examinons les modèles en vigueur dans les tribunaux, la liste commerciale, et dans d'autres instances, ils possèdent tous essentiellement un comité des règles à qui est conféré le pouvoir officiel de définir des règles selon une approche progressive. Les tribunaux font appel à ce genre de comité depuis des siècles. Dans les tribunaux de l'Ontario, par exemple, il s'agit d'un comité composé de juges. Ce comité est dirigé par le juge en chef adjoint de la province, qui siège à titre de juge en chef adjoint de la Cour d'appel; il est à la tête de ce comité qui compte des membres du Barreau et des membres de la magistrature. Leur rôle est d'examiner les règles de façon progressive, et tous les six mois ils font rapport de la nécessité de modifier les règles.
Il existe donc cette approche progressive. Il n'est pas nécessaire d'examiner les procédures générales. Nous pouvons acquérir de l'expérience sur diverses questions puis faire des propositions qui seront intégrées au règlement; c'est ce que prévoit le régime législatif pour le Comité des règles, à savoir d'apporter ces changements progressifs au fur et à mesure. L'exemple le plus facile à cet égard est la nécessité de s'adapter au changement technologique tant au niveau de la preuve que des procédures. Le Sous-comité des règles où je siège régulièrement se réunit pour examiner les développements technologiques qui existent, la façon dont ils peuvent faciliter le fonctionnement des tribunaux et les changements que nous devons apporter aux règles pour tenir compte du changement technologique.
À mon avis, l'aspect le plus important pour vous aujourd'hui est d'examiner où nous en sommes en ce qui concerne les règles du tribunal et de voir d'où nous sommes partis. Nous avons commencé par une très petite série de règles. Nous avons une disposition qui prévoit que nous pouvons utiliser les règles de la Cour fédérale par analogie, mais pour le faire il faut présenter une motion et faire valoir le bien-fondé de son application. Donc chaque fois que vous voulez qu'une règle s'applique au processus du Tribunal de la concurrence—n'oubliez pas le chiffre de 52 que je vous ai cité uniquement pour l'affaire CAST—vous devez faire valoir que la règle provenant des règles de la Cour fédérale devrait s'appliquer à cette procédure; permettez-moi de vous présenter mon argument.
¿ (0935)
Au début, nous avons procédé ainsi par souci de souplesse, mais la souplesse ne vaut que dans la mesure où elle nous permet d'appliquer ou non une règle, compte tenu des circonstances particulières dont est saisi le tribunal.
Ce qui arrive, bien entendu, c'est qu'en l'absence d'une série de règles, les choses ne se déroulent pas rapidement, car chaque fois que vous voulez qu'une étape de la procédure soit déterminée par le tribunal, il faut présenter une requête ou une motion en ce sens. C'est à mon avis le principal problème que présentent les règles que nous avons à l'heure actuelle en ce qui concerne le Tribunal de la concurrence.
En ayant un comité des règles, il n'est pas nécessaire de faire rédiger une série générale de règles, ce qui peut prendre jusqu'à cinq ans, parce qu'il s'agit d'un processus complexe. Vous avez une approche progressive qui permet aux règles d'évoluer en fonction des changements apportés aux lois, aux procédures de même que des changements technologiques, pour nous permettre de nous y adapter.
Enfin, vous nous avez demandé de parler des recours. J'estime que les sanctions administratives et les dommages-intérêts sont nécessaires pour améliorer l'efficacité de notre loi. À l'heure actuelle, l'abus de position dominante est une disposition qui peut être interprétée comme suit: agissez ainsi jusqu'à ce qu'on vous dise de ne plus le faire. Et quel en est le coût?
Les conseils que nous devons donner à nos clients, c'est qu'une telle conduite n'est pas illégale jusqu'à ce que le tribunal en décide autrement. Bien entendu, cela risque d'inciter les clients à se dire qu'ils peuvent continuer à agir ainsi jusqu'à ce que le tribunal le leur interdise.
C'est une conduite trop grave qui cause trop de tort à l'économie et aux autres concurrents pour qu'on se permette d'attendre que le tribunal l'interdise et que les responsables s'en tirent sans problème.
Dans l'affaire CAST—que j'aimerais utiliser à nouveau à titre d'exemple—la partie adverse au litige a indiqué à la presse une fois l'affaire terminée qu'elle avait dépensé 10 millions de dollars pour le procès—10 millions de dollars. Elle était prête à dépenser cette somme parce qu'elle considérait que ces questions étaient de toute évidence importantes pour elle. Mais à moins de prévoir des sanctions importantes, ces dispositions ne nous donnent aucun pouvoir. Tout ce que nous pouvons faire, c'est porter l'affaire en justice, et le procès peut en soi s'avérer un outil qui fait traîner les choses en longueur jusqu'à ce que le tort soit fait, jusqu'à ce que le concurrent disparaisse du paysage. Seule la menace de sanctions importantes prévues par ces dispositions aura un véritable effet dissuasif au niveau économique.
Bien sûr, cela ne s'appliquerait pas nécessairement à chaque pratique que peut examiner le tribunal. Certaines pratiques, comme l'abus, comportent un élément d'intention. Et nous pouvons constater que la loi prévoit des sanctions lorsqu'un élément d'intention existe, et on procède alors en conséquence.
Si on regarde l'expérience américaine, par exemple—au niveau pénal, je tiens à le préciser—les États-Unis ont établi des lignes directrices sur la détermination de la peine il y a environ cinq ou six ans. Ces lignes directrices prévoient que l'amende correspondra au montant obtenu par suite de votre conduite. Autrement dit, vous ne pourrez pas profiter des gains illicites réalisés par suite de cette conduite; nous allons les récupérer en totalité sous forme d'amendes et de sanctions.
Je crois qu'il faut examiner les sanctions, par exemple, en vertu de l'article sur l'abus—car j'estime que c'est l'aspect le plus important à cet égard—pour s'assurer que les amendes correspondent aux gains que pourrait réaliser la partie en ne respectant pas la loi. C'est aussi simple que ça.
À l'heure actuelle, nous n'avons aucun pouvoir. Nous n'avons comme moyen de dissuasion que le coût du procès en ce qui concerne les dispositions importantes de la loi.
J'espère que je n'ai pas dépassé le temps qui m'a été alloué. J'ai été assez rapide et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Je vous remercie.
¿ (0940)
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Je tiens à vous remercier d'avoir respecté le temps qui vous a été alloué. Je vous en suis reconnaissant.
Monsieur Rook, nous allons commencer par vous.
M. John Rook (témoignage à titre personnel): Je vous remercie, monsieur le président.
Monsieur le président et membres du comité, j'ai envoyé une déclaration au greffier la semaine dernière dans les deux langues officielles. J'ignore si les deux exemplaires ont été distribués, mais ils sont disponibles si vous souhaitez en prendre connaissance.
Durant le temps qui m'a été alloué, j'ai l'intention de vous résumer la teneur de ma déclaration. J'essaierai de ne pas la lire. Il y aura peut-être certains éléments qui se répéteront compte tenu de ce que vous avez déjà entendu. L'accent sera peut-être différent.
Mon expérience est celle d'un avocat plaidant. Je compte plus d'années d'expérience que je ne veux l'admettre à moins que l'on insiste, devant les tribunaux, dans le cadre de poursuites au civil et au criminel, et devant le Tribunal de la concurrence. Depuis 1986, année à laquelle le Tribunal de la concurrence a été établi, il n'a été saisi que d'une poignée d'affaires. Quoique, comme vous le savez sans doute, de l'avis général, les procédures se déroulant devant le Tribunal de la concurrence sont trop lourdes, inefficaces et coûteuses. Par conséquent, nombreux sont ceux qui ont proposé une réforme, et je suis certain que vous en avez déjà entendu parler à des audiences précédentes du comité.
À mon avis, ces critiques sont trop simplistes et exagérées. Pour ce qui est d'apporter des modifications à la Loi sur la concurrence ou à la Loi sur le Tribunal de la concurrence, je crois qu'il faudrait faire preuve de prudence car, à mon avis, modifier ces lois pourrait nuire à l'équilibre qui existe à l'heure actuelle dans la loi entre ce que j'appelle la procédure expéditive et ce que j'appellerai, pour reprendre une expression américaine, l'application régulière de la loi—c'est-à-dire la possibilité d'une défense pleine et entière.
D'où vient donc cette préoccupation compte tenu de la rareté relative des litiges? Je crois que deux poursuites sont à l'origine de cette préoccupation. Dans la première, l'affaire Palm Dairies—une fusion dans l'industrie laitière de l'Ouest canadien—le commissaire, alors directeur des enquêtes et recherche, a présenté une demande d'ordonnance sur consentement, que le tribunal a rejetée pour diverses raisons qui ne sont pas pertinentes ce matin. Mais cette affaire a soulevé la question suivante: si les parties étaient consentantes et que le tribunal a cherché à revoir le consentement, à quoi alors servait-il de négocier le consentement pour commencer?
La deuxième affaire portait sur une fusion dans l'industrie pétrolière concernant Imperial Oil, et il s'agissait également d'une procédure d'ordonnance sur consentement. Les procédures ont été très longues et le tribunal a émis une ordonnance dans laquelle il indiquait qu'il approuverait la transaction à condition que certains changements soient apportés. Les intéressés, c'est-à-dire les parties à la transaction de fusion, ont vivement critiqué le tribunal. C'est cette affaire qui a suscité des critiques à l'égard du tribunal.
Par la suite, le tribunal a été saisi d'un certain nombre d'affaires contestées, dont un grand nombre ont pris beaucoup de temps. Mon collègue, M. Wong, a parlé de l'affaire Southam. Il était le conseiller juridique du commissaire. J'ignore s'il a eu un rôle à jouer dans la longueur indue de la procédure; quoi qu'il en soit, l'affaire a traîné en longueur.
¿ (0945)
Dernièrement, je suis sûr que vous avez tous entendu parler de l'affaire Superior Propane, surtout si vous vous trouvez à avoir une citerne compressée à propane, comme c'est mon cas, suite à la fusion. Cette affaire a duré très longtemps. Compte tenu des circonstances, les gens se demandent s'il n'y a pas quelque chose qui pourrait être fait—en fait, s'il n'y a pas quelque chose qui devrait être fait?
À mon avis, ce qu'on ne semble pas reconnaître c'est l'évolution que le processus a connu ces 15 dernières années. Je considère que le Tribunal de la concurrence gère maintenant sa charge de travail de façon très efficace, comme en témoignent les litiges récents dont a été saisi le tribunal. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas à l'avenir des cas qui prendront du temps; il ne fait aucun doute qu'il y en aura. Si c'est le cas, je ne crois pas que le comité devrait se faire du sang d'encre à ce sujet. C'est dans la nature des litiges.
Cela dit, il y a deux aspects qu'à mon avis vous devriez garder en tête lorsque vous envisagez des modifications, le cas échéant, à la loi ou aux règlements.
Tout d'abord et surtout, le tribunal, comme n'importe quel autre tribunal, doit avoir la souplesse de gérer ses dossiers comme il l'entend. C'est la situation qui existe à l'heure actuelle au tribunal bien que l'on semble vouloir de plus en plus limiter dans le temps les diverses activités qui entourent l'étape préalable au procès. Mais c'est au tribunal que devrait appartenir le pouvoir de déterminer l'équilibre approprié entre l'aspect expéditif et l'équité.
Le deuxième aspect que vous devriez garder à l'esprit, à mon avis, c'est l'obligation de rendre compte. Il faut qu'il existe une obligation de rendre compte au niveau du tribunal, ce qui est bien entendu le rôle des tribunaux par le biais de la révision. Il faut qu'il y ait obligation de rendre compte de la part des plaideurs et surtout de la part du commissaire. Dans mon document, j'aborde cette question assez longuement et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions à cet égard.
Pour situer le débat sous l'angle des défendeurs—c'est-à-dire ceux contre qui le commissaire demande une ordonnance—il ne faut pas oublier que lorsque vous allez devant le tribunal, c'est pour vous battre. Il y a un désaccord. Il ne faut pas oublier que dans les causes portées devant le tribunal, le commissaire a enquêté sur l'affaire pendant des mois et des mois habituellement, et a souvent exercé des pouvoirs officiels pour obtenir de l'information au moyen de mandats de perquisition ou a contraint des personnes à rendre témoignage en vertu de l'article 11 de la loi. Lorsque vous comparaissez devant le tribunal, le commissaire a amassé une foule de renseignements de ce genre. Les défendeurs habituellement n'ont pas accès à une grande partie de cette information.
Ce qui a suscité beaucoup d'acrimonie dans les litiges devant le tribunal, c'est l'impression d'un déséquilibre au niveau de l'information et du pouvoir qui existe entre le commissaire d'une part et les défendeurs d'autre part. C'est une préoccupation qui devient d'autant plus pertinente à l'heure actuelle, ou qui le deviendra en vertu des amendements apportés au projet de loi C-23 parce que le Parlement a jugé bon de conférer au commissaire le pouvoir d'obtenir une ordonnance provisoire pour certains motifs déterminés, ex parte.
Par exemple, si vous êtes membre d'une industrie et que les agissements d'une autre personne influent sur votre chiffre d'affaires, vous pouvez convaincre le commissaire de présenter une requête devant le tribunal pour y mettre fin, puis, d'après la décision rendue par le tribunal dans l'affaire Air Canada ou d'après l'une des procédures en cours d'Air Canada, le seuil pour ordonner une telle ordonnance est très bas.
¿ (0950)
Si le commissaire exerce ses pouvoirs et n'a pas à rendre de comptes, j'estime que cela menace l'équilibre entre la procédure expéditive d'un côté et l'efficacité de l'autre. Je ne sais pas si mes craintes se matérialiseront un jour, mais cela m'inquiète.
Dans mon document, je précise que ce pouvoir risque de rendre théorique le droit privé d'accès. Pourquoi un plaideur privé présenterait-il une demande s'il peut convaincre le commissaire de faire une demande ex parte pour empêcher le concurrent de faire ce qu'il fait sur le marché? Pourquoi dépenser son propre argent quand on peut dépenser celui du public par le biais du commissaire en soumettant une demande au tribunal? Il va falloir que le comité se penche sur cette question.
En résumé, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, je crois que vous devez bien vous concentrer sur le problème, à savoir quel est l'équilibre approprié dans des cas particuliers et qui doit le déterminer dans des cas particuliers. À mon avis, ce devrait être le tribunal. Il ne faudrait pas que ce jugement soit figé dans des règles immuables qui devraient être respectées à la lettre sans la moindre marge de manoeuvre.
Je vous remercie.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup, monsieur Rook.
Nous allons maintenant donner la parole à M. Crampton.
M. Paul Crampton (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Je suis heureux d'être de nouveau ici.
Ça sera probablement ma dernière comparution avant mon départ pour l'OCDE en avril, où je serai responsable de la coordination de l'administration de l'aide technique aux pays qui n'appartiennent pas à l'OCDE dans le monde en transition et en développement. De ne pas pouvoir participer aux travaux importants de ce comité et au vaste débat sur les questions de politique de la concurrence au Canada me manquera. L'expérience que j'ai acquise ici, tout d'abord au bureau et ensuite dans le secteur privé depuis 15 ans, m'a permis d'apprendre beaucoup de choses et de tirer des leçons que j'espère pouvoir mettre à profit pour le bien du monde en développement et en transition.
L'un des domaines dans lesquels c'est particulièrement le cas, c'est le traitement des gains d'efficience dans l'analyse des fusions et des pratiques commerciales restrictives, le sujet du deuxième volet de votre discussion ce matin.
Pour ce qui est du premier volet, les procédures et les recours auprès du Tribunal de la concurrence, j'aimerais simplement faire quelques remarques générales d'introduction. Tout d'abord, comme mes collègues à côté de moi, je suis convaincu que le tribunal a déjà beaucoup contribué à rationaliser le processus de contentieux en le gérant plus efficacement. Le projet de loi C-23 devrait contribuer à rationaliser encore plus ce processus en ce qui concerne les procédures de consentement. Toutefois, je crois qu'en cas de contestation, on pourrait aller plus loin dans le sens que proposent M. Wong et M. Russell. Premièrement, on pourrait considérablement raccourcir le long processus d'interrogatoire préalable et, à cet égard, je crois que j'aurais tendance à aller plus loin que mes collègues. J'aime bien l'idée de M. Russell d'avoir des divulgations, mais il ne faut pas oublier que le commissaire lui-même a tout le temps voulu pour mener une enquête préalable avant de présenter une demande pour obtenir de vastes renseignements, même en vertu d'une ordonnance du tribunal.
Deuxièmement, on pourrait recourir davantage à la pratique australienne qui consiste à confronter ensemble les experts contradictoires.
Troisièmement, comme l'a dit M. Wong, on pourrait limiter le nombre de témoins à convoquer dans le cadre d'une affaire donnée. Je crois que dans l'affaire Microsoft, on avait limité à 15 le nombre d'experts pour chaque partie. C'était un procès colossal, et pourtant ils ont réussi à s'en sortir avec 15 témoins par partie, si je ne me trompe; c'était peut-être 20, comme l'a dit M. Wong.
Quatrièmement, on peut donner un caractère moins formel à tout ce processus.
Cinquièmement, on peut fixer des limites de temps, par exemple quatre ou six mois, pour le procès. Vous remarquerez que l'affaire actuelle, où l'on était censé avoir profité de l'expérience des 15 dernières années, l'affaire Superior Propane qui est actuellement devant le tribunal, remonte à plus de trois ans, et cela devrait vous faire réfléchir quand vous examinez ces questions.
Sixièmement, on pourrait gérer le processus de façon plus dynamique suivant les recommandations de M. Russell.
Évidemment, je sais que certains de mes collègues qui sont des avocats plaidants dans le domaine de la concurrence, auraient de sérieuses réserves face à ce que je dis, mais je peux vous affirmer, moi qui n'en suis pas un et qui ai participé depuis le début à des centaines de transactions, que les clients, les gens d'affaires, n'ont tout simplement aucune envie de se lancer dans des procédures longues, imprévisibles et coûteuses auprès des tribunaux.
Dans pratiquement tous les cas auxquels j'ai participé depuis 15 ans que le tribunal a été créé et que les dispositions concernant les fusions ont été décriminalisées, les fusions concernées avaient déjà été consommées. À ce stade, les parties fusionnées avaient toutes les raisons de se bagarrer. En revanche, les gens d'affaires n'ont jamais la moindre envie de se lancer dans une procédure douteuse lorsque leur transaction n'a pas encore été consommée.
À (1000)
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup.
Nous allons maintenant commencer la discussion, avec M. Penson.
M. Charlie Penson (Peace River, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.
Je commence à me demander si notre comité n'est pas en train d'essayer d'établir le record de l'étude la plus longue de l'histoire du Parlement avec cet examen du droit de la concurrence. C'est un peu l'impression que j'ai quelquefois.
À mon avis, ce n'est qu'un aspect relativement limité des activités commerciales. Il y a des activités normales en permanence au Canada. Naturellement, il y a la question des fusions, mais ce n'est qu'un tout petit aspect de l'ensemble.
Parfois j'ai l'impression que les gens s'imaginent qu'on peut remplacer un bon climat d'activités commerciales par une politique de la concurrence qui va mettre tout le monde au pas. C'est dans ce contexte que je vais demander à M. Rook pourquoi les entreprises ne soumettent pas leur problème au Tribunal de la concurrence. Pourquoi avons-nous besoin du commissaire de la concurrence? J'ai l'impression que cela se justifie dans le cas des fusions, mais dans les autres cas, pourquoi ne fait-on pas appel directement au tribunal pour qu'il examine l'affaire, au lieu de passer par cette procédure de triage? Je constate que vous avez des objections aux ordonnances provisoires, aux ordonnances de consentement. Quelle est votre réponse?
M. John Rook: L'explication qu'on donne traditionnellement, c'est que de nombreuses questions de concurrence comportent une dimension d'intérêt public et ne sont pas limitées aux intérêts des parties en présence. Là où c'est vrai, si cette dimension existe, on considère, comme c'est écrit depuis le début dans la loi, que ces questions doivent être filtrées par le bureau de ce qui est maintenant le commissaire en vue de déterminer ce qui est dans l'intérêt public et ce qui ne l'est pas, et seules les affaires qui ont des retombées sur l'intérêt public ont été jugées bonnes à être soumises à une cour, en l'occurrence actuellement le tribunal.
La réflexion sur ce sujet a quelque peu évolué, et le Parlement a adopté ce droit d'intervention privée dans certaines circonstances limitées, pour répondre à l'objection que vous avez, si j'ai bien compris votre question. Donc ce qui peut arriver—et je dis bien «peut» uniquement—c'est que des parties soumettent des demandes sans l'intervention du commissaire. Le Parlement a entouré ce droit d'accès public d'un certain nombre de barrières, pour reprendre la terminologie des compagnies aériennes, et il reste à voir si ce dispositif est utilisable et sera utilisé.
J'ai dit dans mes remarques d'introduction et dans mon exposé que je ne pensais pas que cela soit susceptible d'encourager un plaideur privé en particulier à procéder de cette manière, compte tenu des pouvoirs provisoires du commissaire, mais c'est un simple point de vue. L'avenir dira si j'ai raison ou tort.
À (1005)
M. Charlie Penson: Ce qui vous préoccupe à propos de cette ordonnance provisoire, c'est le pouvoir du commissaire. Mais il me semble qu'il doit soumettre l'affaire au tribunal pour obtenir cette ordonnance provisoire, donc le tribunal examinera la question. C'est lui aussi qui prendra la décision d'émettre une ordonnance provisoire, n'est-ce pas?
M. John Rook: C'est exact. L'ordonnance provisoire remonte à l'article 104 au sujet d'un service de transport. Quand cette disposition a été invoquée dans l'affaire Air Canada, le Tribunal de la concurrence a déclaré que si le commissaire établissait notamment que l'activité dénoncée aurait des répercussions néfastes sur les recettes d'un autre concurrent sur le marché, c'était suffisant.
Ce que j'ai essayé de dire, c'est que depuis qu'on a généralisé cette disposition dans les modifications apportées à l'article 103, elle a une portée extrêmement vaste. Si je puis vous soumettre une demande en disant que les actions du président ont des retombées négatives sur vos recettes et que le commissaire a le pouvoir de présenter une demande pour l'empêcher de le faire simplement sur la base de ce seuil très bas, j'ai l'impression que c'est un peu insuffisant. Ce que j'ai essayé de dire, et je pense que je n'exprime pas suffisamment bien, c'est que le tribunal jusqu'à présent a déclaré qu'on pouvait le faire, c'est-à-dire que le commissaire pouvait obtenir cette ordonnance ex parte en s'appuyant sur des motifs assez ténus. Dans le monde des affaires, si je peux empêcher le président, pour reprendre mon cas hypothétique, de faire quelque chose pendant 35 ou 70 jours ou quelle que soit la durée, c'est important car en affaires le temps, c'est de l'argent.
M. Charlie Penson: Vous avez aussi parlé de la nécessité de gérer correctement leur dossier pour agir de façon efficace. Prenons l'exemple du procès intenté par WestJet contre Air Canada, dont le tribunal a reporté les audiences de plusieurs mois. Dans un cas comme celui-là, s'il n'y avait pas cette ordonnance provisoire, comment géreriez-vous une telle situation où le pays pourrait se retrouver avec un seul transporteur à la suite de ce qui pourrait se passer?
M. John Rook: Comprenez-moi bien. Je ne dis pas que ce pouvoir ne devrait pas exister. Dans mon document, j'explique bien que le commissaire doit agir dans l'intérêt du public et parfois très rapidement. À l'exception des affaires concernant l'industrie aéronautique, il doit le faire devant le tribunal.
Je ne prétends donc pas qu'il ne doit pas y avoir de supervision judiciaire la plupart du temps. Tout ce que je dis, c'est qu'étant donné les pouvoirs extraordinaires dont dispose le commissaire et la façon dont le tribunal a réagi jusqu'à présent—et n'oubliez pas qu'il n'y a eu qu'une seule affaire—on doit pouvoir disposer d'une certaine mesure de contrôle de cette discrétion. C'est tout.
M. Charlie Penson: C'est une bonne remarque.
J'ai encore une question qui concerne la préoccupation que vous exprimez à propos des ordonnances de consentement. Je n'ai pas très bien compris ce que vous vouliez nous dire.
M. John Rook: C'était simplement un problème historique qui est maintenant résolu, je pense.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Russell, je crois que vous vouliez intervenir.
M. Robert Russell: En effet, en réponse aux quelques questions que vous avez posées. Pour prendre une perspective différente de celle de M. Rook, je dirais qu'on peut replacer cette disposition dans son contexte. Nous parlons d'une ordonnance ex parte qui ne dure que 10 jours avant d'être pleinement réexaminée, et la demande de réexamen peut-être présentée en quelques jours.
Le tribunal lui-même est considéré comme un désavantage pour le commissaire au début d'une affaire car il ne connaît pas l'industrie et il n'a pas les preuves. Il a évoqué à maintes reprises ce désavantage pour justifier le besoin de pouvoirs officiels pour le commissaire, et il y a donc la nécessité de pouvoir agir ex parte, que nos tribunaux connaissent très bien. Nous avons des dispositions ex parte. On peut présenter une motion ex parte. Elle peut être renversée lorsqu'elle est signifiée à la partie adverse, mais il s'agit simplement d'une réaction face à une situation d'urgence.
Quant au rôle du commissaire que vous avez évoqué, j'en parlerai très brièvement. En Europe, par exemple, il y a un commissaire. Il n'y a pas quelqu'un avec le rôle de commissaire en soi en tant qu'agent indépendant, si vous voulez, pour exercer ses fonctions comme c'est le cas dans le contexte de la Loi sur la concurrence. Mais si vous regardez ce qui se passe dans d'autres pays, vous constaterez qu'ils ont la plupart du temps l'équivalent d'un commissaire. L'explication, que cite mon ami M. Rook, c'est qu'on a besoin de cette indépendance pour examiner des questions très complexes.
Quand on intente une procédure contre une autre partie, elle risque d'avoir des retombées graves sur son activité économique. On a donc besoin de quelqu'un pour examiner la preuve, étudier l'affaire et se prononcer. C'est pourquoi, même en remontant à l'époque de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, nous avons toujours eu ce qu'on appelait à une époque une persona designata, c'est-à-dire une personne à qui le Parlement confie un rôle bien précis indépendamment du Parlement jusqu'à un certain point pour que ce soit cette propre personne qui se prononce et que le Parlement lui-même ne soit pas englué dans une navette entre intérêts privés sur une question importante touchant l'intérêt public. Personnellement, j'estime qu'il est très important de préserver ce rôle au Canada.
Merci.
À (1010)
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup.
Monsieur Bagnell.
M. Larry Bagnell (Yukon, Lib.): Merci, monsieur le président.
Je dois dire que la décision sur l'affaire Superior Propane, quel que soit le temps qu'elle a pris, a été excellente pour ma circonscription du Yukon. Nous préférons avoir la bonne réponse même si cela prend du temps. Et l'affaire Air Canada a aussi été excellente pour nous.
Je voudrais vous demander, puisque vous êtes des experts en la matière et que je ne pourrai pas participer au groupe de discussion suivant, de sortir un peu des sentiers battus et de parler non pas des questions dont nous discutons aujourd'hui, mais de quelque chose que j'ai abordé la dernière fois. En gros, il s'agit de l'efficacité de tout ce processus dans le contexte des petites entreprises ou des entreprises rurales par opposition aux grosses entreprises dont il est normalement question. Je pense qu'il ne s'agit pas simplement de quelques procès contre de grandes entreprises. Il s'agit d'une protection fondamentale d'un critère essentiel de notre société, la civilisation occidentale. Nous vivons dans une société capitaliste, mais nous devons nous assurer que ce capitalisme suit les lois de la concurrence pour que nous ayons de bons prix. Et il ne s'agit pas simplement des grosses entreprises. On pourrait le faire mieux comprendre en ayant de meilleures communications, et j'en parlerai au tribunal la prochaine fois que ses représentants seront devant nous.
Ce que je n'ai pas pu demander la dernière fois—et pourtant cela intéressait plusieurs d'entre nous—, c'est combien des affaires traitées par le commissaire étaient des affaires concernant de petites entreprises ou des entreprises rurales. Le commissaire a dit la dernière fois qu'on pouvait utiliser n'importe quand ce pouvoir. Mais ce que nous n'avons pas demandé, c'est combien de fois il l'avait utilisé et quelles étaient ses répercussions sur les petites entreprises. Sans des affaires comme celles de Superior Propane ou d'Air Canada, nos électeurs n'auraient jamais entendu parler de l'existence du Bureau. À ma connaissance, ils ne se mêlent jamais des activités des petites entreprises à notre niveau. J'aimerais donc avoir cette réponse et savoir si à votre avis ils donnent un bon service au niveau des PME ou des entreprises rurales.
M. Stanley Wong: Je crois qu'il y a plusieurs aspects des choses ici. Les affaires qui sont renvoyées au tribunal ou aux tribunaux sont souvent de grosses affaires, pour la simple raison qu'il faut de l'argent pour lutter contre le commissaire. C'est la réalité, et c'est pourquoi on ne voit pas beaucoup de procès où le plaideur est une petite entreprise. C'est un fait.
Cela dit, je constate dans ma pratique personnelle—et je suis sûr que c'est la même chose pour tous mes amis à cette table et partout dans le domaine de la concurrence—qu'il y a sans arrêt des affaires concernant des petites entreprises. J'ai constamment des affaires de ce genre à Vancouver et à Toronto, et je ne pense donc pas que cet aspect des choses soit systématiquement laissé de côté.
Néanmoins, le commissaire, qui n'a que des ressources limitées, va avoir tendance à ne s'occuper que des affaires qui ont à son avis une retombée nationale ou importante. L'affaire Superior Propane que vous avez mentionnée n'a pas seulement des répercussions pour le Yukon, elle a des répercussions sur les petites entreprises et d'autres types d'entreprises à travers le Canada.
Compte tenu simplement de ses ressources, le commissaire ne peut s'occuper que d'un nombre limité d'affaires. Il veille à prendre des affaires qui ont une portée nationale. Je crois qu'une des raisons pour lesquelles il a encouragé le Parlement à adopter le droit d'accès privé dans le cadre du projet de loi C-23 était qu'on n'avait pas de raison de consacrer des fonds publics à des affaires concernant de petites entreprises parce qu'elles étaient trop localisées, et que c'était donc elles qui devaient payer. Mais je trouve que cela manque de logique car si une petite entreprise porte une affaire devant le tribunal en vertu du projet de loi C-23, cela va de toute façon coûter de l'argent.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Crampton, monsieur Russell et ensuite monsieur Rook.
M. Paul Crampton: Pour répondre à votre question, le Bureau de la concurrence se penche aussi sur de petites affaires. Je me souviens d'une affaire à l'époque où j'y ai été pendant trois ans et demi à la fin des années 80: c'était un marché de 400 000 $. Je crois qu'il s'agissait de la fusion des deux derniers magasins d'alimentation d'une petite municipalité de l'Ontario. Donc le Bureau se penche aussi sur ces affaires.
Normalement, c'est à la suite d'une plainte qu'il le fait, mais il peut aussi en être informé par les médias ou d'autres sources d'information. Par exemple, un député va téléphoner au Bureau et lui signaler quelque chose. Il y a cependant des facteurs limitatifs qui évitent à toutes ces affaires de se retrouver devant le tribunal, et aussi un facteur pratique, à savoir que ces petites affaires suscitent très rarement des questions de concurrence. Mais quelquefois c'est le cas.
Les ressources du Bureau de la concurrence sont limitées. Comme je l'ai déjà dit, et comme d'autres l'ont dit aussi, il a un budget très restreint et il doit donc utiliser ses ressources avec beaucoup de circonspection. Il s'appuie actuellement sur des critères d'examen des affaires qui l'incitent à se tourner vers des affaires qui ont des retombées économiques assez importantes.
Pour ce qui est des parties à de plus petites transactions—des fusions, par exemple—, si elles veulent aller de l'avant avec leurs transactions sans en informer le Bureau de la concurrence et qu'elles essaient de passer inaperçues, elles doivent être prêtes à prendre ce risque en sachant que si le Bureau de la concurrence découvre la transaction dans un délai de trois ans, il pourra très bien soumettre une demande au tribunal et exiger le dessaisissement. C'est un énorme risque, et en général les gens d'affaires hésitent beaucoup à prendre un tel risque. C'est ainsi qu'il m'arrive souvent de m'occuper de transactions qui n'atteignent pas le seuil de notification, mais dont les parties prenantes veulent malgré tout être totalement rassurées vis-à-vis du Bureau de la concurrence et obtenir une lettre de non-intervention ou un certificat de décision préalable avant de mettre leur argent sur la table et de procéder à la transaction.
Il y a donc des facteurs limitatifs qui font qu'il y a assez peu de petites affaires de ce genre. C'est probablement pour cela qu'on n'en voit pas plus.
À (1015)
M. Robert Russell: Je voudrais préciser que, même si en apparence certaines de ces affaires ne concernent que les grosses entreprises, en réalité ce n'est pas le cas. Si vous prenez ce que j'appelle la décision CAST, dont je me suis occupé, il s'agissait de transport par conteneur entre le Canada et l'étranger, mais c'était une affaire qui intéressait fortement toutes les entreprises au Canada, petites, moyennes ou grosses, qui dépendaient de ce service. Les plaignants, même s'ils ne sont pas en première ligne, même s'ils ne sont pas parties prenantes officiellement, sont tout de même représentés par le commissaire dans des affaires comme celle-là. C'est de là que viennent les plaintes.
Donc, pour répondre à votre question, si vous prenez l'article 1 de la loi, vous y trouvez tous les objectifs de la loi. On y parle de veiller à ce que notre économie soit efficace, de veiller à donner des ouvertures aux PME, de veiller à proposer les meilleurs prix aux consommateurs. Tout cela est important. On mentionne aussi les exportations du Canada. Ce sont des objectifs importants pour notre pays. Ils sont très complexes, et dans une situation donnée, ce sont des éléments qui peuvent peser dans un sens ou dans l'autre.
Mais traditionnellement, dans les pays qui ont de solides lois sur la concurrence, comme les États-Unis, et les pays qui ont des lois très faibles en ce domaine, comme le Japon, on a constaté qu'on n'obtenait pas une économie très productive et efficace si l'on n'encourageait pas la concurrence et si l'on ne veillait pas à avoir cette productivité et cette efficacité. Donc quand on examine ces affaires, il ne s'agit pas simplement de voir le point de vue du consommateur ou de la petite entreprise, mais de prendre en compte l'ensemble de l'économie canadienne et les avantages pour l'ensemble des consommateurs. Par conséquent, le commissaire ne choisit pas à la légère les affaires qui vont être entendues.
M. John Rook: À ma connaissance, depuis 1986, il y a eu trois affaires qui ont eu des conséquences directes pour les intérêts des participants au marché. Dans le premier cas, il s'agissait de la capacité d'acheter des pièces automobiles d'une grande entreprise multinationale pour pouvoir les revendre. Le deuxième était du même genre dans le secteur de la photocopie. Le troisième concernait l'accès à la publicité dans l'annuaire des pages jaunes. Comme mes collègues l'ont dit, toutes les autres instances ont eu des conséquences indirectes, comme dans l'affaire du propane, qui aurait pu toucher vos électeurs en raison du fait que le service allait coûter plus cher après le fusionnement.
Le droit d'accès privé que votre comité a préconisé rendra vraisemblablement le tribunal plus utile aux PME qui veulent se faire entendre. On verra bien si c'est ce qui se produira.
À (1020)
[Français]
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Bergeron, la parole est à vous.
M. Stéphane Bergeron (Verchères--Les-Patriotes, BQ): Merci, monsieur le président.
J'espère que la basse température qu'on nous impose ce matin n'est pas simplement un motif pour nous permettre d'accélérer la procédure, autrement il faudrait peut-être l'envisager également au Tribunal de la concurrence.
J'aimerais aborder la question du rôle du commissaire à la concurrence sous un angle tout à fait opposé à celui qu'a introduit M. Penson il y a de cela quelques instants. Si on accepte le postulat selon lequel--et je sais que M. Rook sera probablement en désaccord avec moi--les procédures se déroulant devant le Tribunal de la concurrence sont trop longues, trop lourdes, trop fastidieuses, inefficaces et coûteuses, est-ce que l'on ne pourrait pas envisager d'élargir le rôle du commissaire de telle sorte à lui permettre de rendre des décisions exécutoires dans certains secteurs particuliers, quitte à permettre éventuellement aux intimés d'en appeler devant le Tribunal de la concurrence. Cela éliminerait peut-être un certain nombre de causes qui pourraient éventuellement engorger le tribunal compte tenu, justement, de l'introduction du droit d'accès privé. Est-ce que l'on ne pourrait pas envisager éventuellement une mesure comme celle-là?
[Traduction]
M. Paul Crampton: Pour certains, c'est la voie à suivre; c'est d'ailleurs ce qui se fait en Europe. Actuellement, la polémique est très vive là-bas et ailleurs dans le monde. On se plaint en effet de l'absence de voies régulières de droit en raison du fait que la commission est à la fois enquêteur et juge. Au Canada, à cause de la Charte des droits et libertés, il y a une distinction très nette entre le pouvoir d'enquête et la fonction juridictionnelle. Beaucoup d'entre nous, et j'en suis, tiennent absolument à ce que l'on conserve cette distinction. C'est pourquoi, lorsque le commissaire a proposé qu'on lui confère le pouvoir de rendre des ordonnances temporaires, un certain nombre d'entre nous ont comparu devant vous pour réclamer qu'à tout le moins on lui associe un arbitre indépendant. C'est ce que vous avez recommandé et j'espère que cela sera incorporé à la loi.
Il faut donc user d'une très grande prudence et ne pas laisser quelqu'un qui a été une partie intéressée essayer de prendre ses distances pour se transformer en juge. En fait, en raison des difficultés que connaît le Tribunal de la concurrence, les parties s'adressent au commissaire comme elles le font depuis que le problème est apparu pour offrir de prendre des mesures qui apaiseront les inquiétudes du commissaire. Celui-ci s'est donc retrouvé de facto, selon certains de ces détracteurs, à la fois enquêteur et juge.
Je continue de croire que le meilleur moyen de mettre un frein à cette pratique est de corriger les imperfections du tribunal pour qu'il fonctionne mieux.
M. Stanley Wong: Je suis d'accord avec mon collègue M. Crampton sur ce point. Notre régime repose en effet sur un système de freins et contrepoids. En 1986, le tribunal a été conçu pour assurer la mise en balance des intérêts.
Comme M. Crampton, je pense que comme les instances coûtent très cher, les décisions préjudicielles du commissaire finissent souvent par faire foi. Les parties renonceront au fusionnement si le commissaire statue que la concurrence n'a pas été sensiblement empêchée ou diminuée.
Ce qui m'inquiète beaucoup, comme je l'ai dit les deux fois où j'ai comparu devant le comité, c'est que l'on assiste déjà à un mouvement en faveur des arrêtés, comme l'était l'ordonnance provisoire concernant les lignes aériennes—ce que j'appelle l'ordonnance Air Canada, parce qu'elle ne s'appliquait qu'à cette entreprise. Comme d'autres, j'ai aussi comparu devant vous à l'occasion de votre étude préliminaire et nous avons recommandé que cette façon de procéder soit abandonnée. Je pense que les nouveaux pouvoirs en la matière règlent le problème. Ce n'est pas le commissaire qui rend l'ordonnance mais c'est lui qui doit l'appliquer.
Cela dit, la dernière fois où je suis venu ici, à propos du projet de loi C-23, j'ai aussi dit qu'à mon avis le seuil était trop bas. Je suis d'accord avec M. Rook sur ce point. Il ne faut toutefois pas oublier que cela ne s'applique pas uniquement aux grandes entreprises. La même chose pourrait arriver aux petites entreprises. Il va sans dire qu'une PME disposera de moins de moyens pour contester l'avis du commissaire.
C'est ce qui m'inquiète. Je ne prête aucune malveillance au commissaire ou à ses collaborateurs, mais à mon avis, il n'appartient pas au commissaire de prendre seul la décision. C'est précisément pourquoi nous avons une fonction juridictionnelle. Il faut un système de freins et contrepoids, et quelqu'un d'indépendant...
Lorsque le commissaire comparaît devant le tribunal, celui-ci a déjà fait enquête, parfois pendant des années. Il est sûr de son fait. C'est ce qui arrive dans le cas d'une procédure. Il est donc déçu s'il n'a pas gain de cause. Mais les choses sont ainsi faites. C'est le jeu des freins et contrepoids. Vaut mieux ne pas s'y immiscer.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Russell, avez-vous quelque chose à ajouter?
À (1025)
M. Robert Russell: Oui, j'ai deux choses à dire.
Tout d'abord, revenons un peu en arrière et reportons-nous à la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, qui a précédé la Loi sur la concurrence. Le directeur—comme on appelait à l'époque le commissaire—avait le pouvoir de rendre certaines ordonnances. Ce pouvoir a été contesté avec succès en vertu de la Charte. Il y a donc une démarcation—avant et après la Charte—qui limite les pouvoirs du commissaire. Le transformer en arbitre irait à l'encontre des voies régulières de droit, comme l'a rappelé M. Rook.
Deuxièmement, une multitude d'affaires dont on ne parle pas sont écartées parce qu'elles sont réglées d'avance. On ne parle que des affaires qui aboutissent devant le tribunal. Or, la filière prévoit que le plaignant s'adresse d'abord au commissaire. Selon votre degré d'expérience, que vous ayez ou non vos avocats avec vous, vous commencez par rencontrer les administrateurs de la Loi sur la concurrence et vous présentez vos arguments et expliquez en quoi selon vous il y a eu infraction.
Le commissaire fait une étude administrative du dossier et décide en vertu de son pouvoir d'appréciation s'il y a lieu d'engager des poursuites, si des faits sont de nature criminelle—ou de déférer l'affaire au tribunal. La filière permet de procéder ainsi.
Deuxièmement, le commissaire prononce des avis consultatifs. Un plaignant peut demander un avis. Il ne s'agit pas d'une décision; le commissaire peut toutefois exercer des pressions pour amener une partie à s'amender. C'est pratique courante.
Le meilleur exemple, ce sont les pratiques de marketing. Il y a constamment de la publicité trompeuse au pays. S'il n'y a pas beaucoup d'instances de ce genre, c'est que dès qu'un client reçoit une lettre, il va vous voir. Vous lui dites que l'affaire va se régler. Il y a tout un mécanisme administratif qui permet de le faire. D'habitude, le commissaire exige des parties qu'elles promettent par écrit de ne plus commettre la même faute.
Il y a donc toute une filière en amont du tribunal qui a un effet dissuasif. Évidemment, il se peut que la décision du commissaire ne plaise pas aux parties et on entend davantage parler des mécontents que des autres.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Crampton.
M. Paul Crampton: J'aimerais faire une autre observation.
Au cas où le comité ne le saurait pas, une idée a été lancée. Il s'agit d'une proposition faite à l'occasion de la conférence sur l'avenir de la Loi sur la concurrence en juin dernier. Je sais que M. McTeague y était. Un des anciens commissaires du Bureau de la concurrence a recommandé que le Canada adopte un modèle semblable à celui de la Federal Trade Commission des États-Unis, qui compte cinq commissaires, dont un président. Ce qui a été proposé, c'est d'avoir une structure à trois commissaires.
Un conférencier américain est venu expliquer combien cela serait difficile parce qu'aux États-Unis beaucoup d'argent et d'énergie servent à exercer des pressions sur chacun des commissaires, en s'adressant à chacun d'eux. Le problème, m'a-t-on dit, c'est que les commissaires sont également ceux qui autorisent le dépôt de la plainte et qui ensuite président à l'instance administrative.
Je ne vois pas en quoi cela sera avantageux pour le Canada. Beaucoup d'autres participants de la conférence, et d'autres qui n'y étaient pas, sont du même avis. Les experts dans le domaine sont quasi unanimes: il ne s'agirait pas là d'une amélioration du droit et de la politique en matière de concurrence au Canada.
À (1030)
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci.
Passons maintenant à M. St. Denis.
M. Brent St. Denis (Algoma--Manitoulin, Lib.): Merci, monsieur le président. Je remercie également le témoin.
Dans les quelques minutes dont je dispose, je voudrais parler de la situation en général. Vous avez fait de nombreuses observations fort pertinentes, monsieur Russell, et il y en a une sur laquelle je voudrais revenir.
Monsieur Russell, sur une échelle de 1 à 10, sans utiliser de chiffres, vous avez laissé entendre que le Japon avait une législation moins rigoureuse en matière de concurrence, si je vous ai bien compris, et que la législation américaine, par rapport à celle des Japonais, l'était davantage. Je ne sais pas si vous avez laissé entendre que le chaos actuel qui existe dans le secteur privé japonais en est le résultat.
Si l'on compare plusieurs pays dans le monde, on constatera que les mesures législatives sur la concurrence sont appliquées à divers degrés. Comme les Olympiques sont sur le point de commencer, je conçois les choses comme un match de hockey. Idéalement, on ne remarque même pas l'arbitre. Les joueurs déploient leur talent et le match se déroule à une bonne cadence. Idéalement, avec de bons arbitres.
Même si nous souhaitons que notre législation soit de notre cru, vu les discussions d'aujourd'hui, y a-t-il des pratiques ailleurs dont on pourrait tirer exemple? J'ignore si vous savez ce qui se fait à l'étranger.
Cela m'intéresse parce que je pense que l'on peut toujours apprendre d'autrui. Évidement, comme le marché canadien est bien différent du marché japonais, il faudrait faire des adaptations.
J'aimerais savoir tout d'abord s'il y a des pratiques modèles ailleurs.
M. Robert Russell: Je vais d'abord expliquer ce que j'ai dit à propos du Japon. Il y a de nombreuses années, je me suis retrouvé forcé de faire une communication à l'Université de Toronto. Je n'avais pas prêté attention au thème. Il se trouve qu'il s'agissait du Japon. Il a donc fallu que je me familiarise avec le sujet. Comme avocat spécialiste de la concurrence, j'ai été renversé d'apprendre que le Japon a des lois qui encouragent les grandes entreprises à collaborer entre elles d'une manière qui serait sanctionnée par le code au Canada.
Beaucoup de facteurs complexes expliquent l'état de l'économie japonaise, mais l'absence de concurrence est flagrant. L'absence de lois en la matière est un des facteurs à l'origine du problème.
Il y a plusieurs années, j'ai entendu un discours du ministre du Travail de la Nouvelle-Zélande. Il a décrit l'économie de son pays, l'absence de lois particulières en matière de concurrence et l'état déplorable de l'économie, son manque de productivité et d'efficacité.
En réponse à votre question, je suis convaincu que notre système est l'un des meilleurs au monde. Je ne chercherais pas vraiment à imiter les Américains ou les Européens. Notre système est efficace et bien équilibré entre la fonction administrative et la fonction juridictionnelle. C'est le point de départ de ma réflexion. Je préconise donc de petites améliorations et non un changement du tout au tout.
Le commissaire a retenu mes services pour que je prépare un document sur l'article 45. J'ai passé en revue les lois de divers pays. Dans une grande mesure, elles ressemblent à la nôtre et à la loi américaine. De fait, à l'extérieur de l'Europe et des États-Unis, on s'aperçoit que la plupart des autres pays ont fait comme nous et rassemblé le meilleur de ce qu'ils ont trouvé. Le modèle australien, le plus près du nôtre, a beaucoup de similitudes avec notre régime.
La seule particularité—et ce n'est pas ce que je préconise—c'est qu'en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud et en Australie, qui ont tous des modèles semblables, il y a d'autres facteurs que les gains d'efficacité dans leur loi. Par exemple, on peut accepter une diminution sensible de l'efficacité si elle a pour effet d'augmenter le nombre d'emplois—ce que dans le modèle économique canadien on appelle des gains d'efficacité fictifs.
Je ne préconise pas que l'on en fasse autant, parce que si l'on considère la position que le gouvernement peut occuper dans le monde et la situation de notre économie, nous devrions être fiers du fait que notre économie est productive et efficace. Je pense que notre loi nous a bien servis.
À (1035)
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Crampton.
M. Paul Crampton: Je souscris en bonne part aux propos de M. Russell. Mais en réponse à votre question concernant les pratiques exemplaires, je vous signale que le Comité consultatif économique et industriel auprès de l'OCDE vient de déposer un projet de pratiques exemplaires dans le secteur des fusionnements internationaux au Groupe de travail no 3 de l'OCDE présidé par Konrad von Finckenstein. Je serai heureux de vous en transmettre une copie. J'ai participé à leur préparation. Ils font actuellement l'objet d'un examen par le nouveau réseau international de la concurrence, lui aussi présidé à titre intérimaire par M. von Finckenstein. Je pense que vous trouverez le document fort intéressant et utile et qu'il vous permettra de préciser votre pensée sur ces questions.
Sachez également que l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique a élaboré des principes de concurrence. Ceux-ci sont larges et englobent non seulement les contraintes du secteur privé mais aussi celles applicables à l'État, pour ce qui est du degré de propriété étrangère des compagnies aériennes, par exemple. Ces principes de concurrence, adoptés sous une forme abrégée par les ministres de l'APEC à l'automne de 1999, vous seront très utiles, je crois. Je vous transmettrai volontiers des exemplaires des deux textes. J'ai aussi participé à la préparation du second.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Rook.
M. John Rook: Merci.
Je ne pense pas que nous ayons beaucoup à apprendre des méthodes suivies dans d'autres pays. Je me suis souvent demandé comment les tribunaux américains pouvaient statuer sur les cas de fusionnement au moyen d'ordonnances d'injonction alors qu'ici nos instances semblent prendre plus de temps. Il est arrivé souvent que le ministère de la Justice des États-Unis conteste une fusion et demande une injonction; cela s'arrête souvent là.
Lorsque la loi a été adoptée en 1986, naïvement, j'ai cru que nous allions nous acheminer vers un système semblable à ce qui existe aux États-Unis. Ce n'est pas ce qui est arrivé. J'ignore s'il le faudrait, mais on pourrait étudier l'idée.
J'ai le sentiment que le projet de loi C-23 nous donne les outils dont nous avons besoin. Il y a bien quelques changements que j'apporterais s'il n'en tenait qu'à moi, mais je pense qu'une gestion vigoureuse des instances... Par exemple, je n'ai jamais compris pourquoi le Tribunal de la concurrence ne peut pas procéder comme laCommercial List de Toronto. Pour ceux d'entre vous qui ne viennent pas de l'Ontario, je ne veux pas laisser entendre que tout va à merveille chez nous, mais je ne comprends pas pourquoi l'instance ne pourrait pas se dérouler devant un tribunal administratif semblable à la Commercial List de Toronto. Mais les pouvoirs conférés au tribunal par le projet de loi C-23 en matière de dépens et de jugements sommaires ont des chances—je dis bien des chances—de simplifier la procédure et d'instaurer les pratiques exemplaires dont vous parliez.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci.
Monsieur Wong.
M. Stanley Wong: J'ai deux observations à faire, la première à propos du régime dans son ensemble. Tout récemment, en fait pas plus tard que le mois dernier, j'ai été invité à une réunion des dirigeants de la section antitrust de l'Association du Barreau américain. Plusieurs avocats américains m'ont dit qu'ils considèrent le système canadien de notification des fusionnements comme le meilleur au monde. Ils m'ont raconté l'avoir dit à l'un des deux organismes américains chargés d'appliquer la Loi sur la concurrence, à savoir le ministère de la Justice, division antitrust. Ils ne l'ont pas fait par flagornerie—ils n'ont nul besoin de le faire—mais parce que pour eux notre régime est de loin supérieur à ce qui existe aux États-Unis ou en Europe.
Par ailleurs, quand on examine la fonction juridictionnelle d'autres pays, il faut bien voir ce qui se fait. Je sais que la réforme du tribunal trouve son origine dans une communication rédigée par le professeur Trebilcock, que les personnes ici présentes connaissent, et M. Campbell, connu lui aussi, et par le professeur Hudson Janish, qui vous a parlé du système européen. Ne pensez surtout pas que le régime européen s'apparente au nôtre. N'oubliez surtout pas que la tradition juridique européenne est différente de la nôtre, sans compter que 15 États souverains renoncent à certains pouvoirs en faveur d'une bureaucratie centralisée.
Voici comment l'on procède. Qu'il s'agisse d'un fusionnement ou non, le personnel fait enquête. Dans le cas d'un fusionnement, une décision peut être rendue dans les 30 jours, après quoi les choses deviennent plus officielles. C'est une bonne chose. Après quoi, on publie ce que l'on appelle la communication des griefs, qui est transmise aux parties et qui peuvent commenter le texte. Il peut ensuite y avoir une audition orale.
Mais ne nous y trompons pas. Celle-ci n'a rien à voir avec la nôtre. Il y a un chargé de dossier, un conseiller-auditeur. Et qui est là? L'intimé ou tout le groupe cartelaire s'il s'agit d'un cartel, plus un comité consultatif composé de membres des services antitrust ou d'application des lois de la concurrence des États membres. Le commissaire rend alors sa décision, il s'agit ici de Mario Monti, laquelle est mise aux voix à la commission proprement dite, où doivent siéger Xcommissaires.
Lorsqu'il y a contestation... en fait, il n'y a pas de contestation. Tout se fait administrativement. Je connais l'affaire GE-Honeywell... je sais où cela en est... il y a eu une contestation au tribunal de première instance à Luxembourg. Mais cela prend des années. Si vous pensez que notre tribunal à nous est lent, et que notre appareil judiciaire est lent, cela n'est rien. Dans leur régime, la décision relève exclusivement de l'administration. Il y a donc d'énormes pressions qui sont exercées sur la commission et son personnel.
Regardez le régime australien. Je sais que vous avez entendu M. Fells. Je sais que certaines caractéristiques font l'admiration parce que M. Fells est presque considéré comme un Dieu en Australie et que les décisions sont rarement contestées. Mais ce n'est pas un bon système parce que la commission concentre entre ses mains trop de pouvoirs. Je sais que la commission n'est pas composée d'une seule personne, mais elle est très centralisée et les parties ne contestent pas la commission.
Je crois qu'il n'y a rien qui cloche dans notre système et si la décision du commissaire n'est pas du goût des intéressés, ils peuvent la contester. C'est ainsi que fonctionne notre système et je crois que c'est un bon système.
Cela dit, je me considère en quelque sorte comme un membre de l'opposition loyale de Sa Majesté en ce qui concerne le travail du commissaire parce que j'estime qu'il faut améliorer les choses. Mais il ne faut pas se culpabiliser pour autant et croire que notre système est mauvais.
À (1040)
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci.
Madame Desjarlais.
Mme Bev Desjarlais (Churchill, NPD): C'est peut-être parce que je suis néophyte, mais j'ai trouvé vos observations et vos réponses fort instructives. Pour quelqu'un qui aborde cette partie de la question pour la première fois, j'ai trouvé cela très éclairant.
J'ai l'impression qu'en général vous êtes tous d'accord pour dire que nous avons un système raisonnable. Nous avons un bon système en place, mais il est nécessaire d'y apporter des changements. J'ai l'impression que c'est plutôt en ce qui concerne la surveillance du bureau du commissaire qu'il est nécessaire d'apporter des changements. Mais si vous pouviez proposer trois changements très simplement que notre comité pourrait examiner, quels seraient-ils?
M. Stanley Wong: En ce qui concerne le tribunal, la première chose, c'est que nous devons nous assurer que le tribunal joue un rôle central dans notre système. Il a été conçu pour le faire. Dans la mesure où, dans un régime parlementaire, le comité peut s'opposer à un projet de loi, je répète encore une fois que nous devons faire bien attention de préserver le rôle central du tribunal.
Deuxièmement, pour que le tribunal puisse faire son travail, il faut s'assurer qu'il dispose de ressources suffisantes. L'une des raisons pour lesquelles il y a des retards, c'est le manque de ressources judiciaires au tribunal. Après tout, les membres juristes du tribunal sont aussi des juges de la Cour fédérale, section de première instance.
Il y a eu très peu de cas. Les juges ne sont pas en disponibilité. Le greffe de la section de première instance distribue les causes et l'a fait à de nombreuses reprises—et il est possible de l'obtenir directement du tribunal—lorsqu'il n'y a pas suffisamment de membres juristes. De la même façon, en ce qui concerne l'économiste, par exemple, cela fait partie de la convention du tribunal—des usages du tribunal—, lorsqu'il y a une cause de fusion, il faut avoir un économiste.
Je sais que lorsque je m'occupais de l'affaire Southam pour le commissaire, l'économiste, M. Roseman, siégeait en même temps dans une affaire d'abus impliquant Laidlaw. Nous avons dû organiser l'audience de façon à ce qu'il puisse participer aux deux. Cela est inacceptable. Aucune partie ne devrait être obligée d'attendre des mois pour qu'un commissaire soit disponible. Je pense que le tribunal doit avoir davantage de ressources.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci.
Monsieur Rook.
À (1045)
M. John Rook: Merci. Je ne suis pas sûr de pouvoir en trouver trois, de sorte que je répéterai peut-être en partie ce que vous avez déjà entendu.
Tout d'abord, je recommanderais que le tribunal puisse continuer à gérer les causes avec un pouvoir discrétionnaire et une certaine souplesse dans l'intérêt public et dans l'intérêt de la partie. Je suis préoccupé par le fait que l'on tente avec les règles et la composition du tribunal d'arguer que cela peut se faire avec des règles fixes, qui portent surtout sur le moment où les documents doivent être déposés et ce genre de chose. À mon avis, cela est tout simplement du rafistolage et cela ne règle pas le fond du problème.
Deuxièmement ou troisièmement, il faudrait envisager d'ouvrir le système pour permettre aux participants d'avoir davantage accès au tribunal. Je trouve extrêmement ironique que dans une loi consacrée à concurrence, le commissaire ait un monopole ou presque en ce qui a trait à l'accès.
Ce qui à mon avis ajouterait beaucoup à la responsabilisation, particulièrement dans le cas des fusions, c'est que si une fusion est portée devant le tribunal, le pouvoir de soumettre qui existe dans le projet de loi C-23 devrait être modifié afin de permettre à l'intimé de demander au tribunal de trancher sur un point sommaire.
À l'heure actuelle, ce qui se passe ressemble à un iceberg. Presque tout ce qui se fait se passe sous l'eau, non pas au-dessus de l'eau. Au cours des négociations que mes collègues qui sont des avocats spécialistes des fusions engagent, ils doivent faire des compromis. Souvent, ce que l'on demande n'est pas raisonnable, mais les parties, pour les raisons qu'a mentionnées M. Crampton, veulent faire avancer les choses.
Si l'intimé dans ce cas avait le pouvoir d'aller devant le tribunal et de dire que c'est mal, que cela va au-delà du mandat du commissaire dans ces circonstances, et qu'il doit faire quelque chose à ce sujet, cela aurait un effet disciplinaire très sain sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire en dessous de l'eau.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci.
Monsieur Crampton.
M. Paul Crampton: Merci.
Si on me demande de faire trois recommandations, la première serait de faire en sorte que le processus du tribunal soit moins formel.
Pour ce qui est de la deuxième, personnellement, je pense qu'il faudrait songer sérieusement à fixer des délais pour le processus du tribunal dans un cas particulier. Je ne suis pas un avocat plaideur, mais je peux vous dire que pour les gens d'affaires, avoir un délai prescrit serait un élément tout à fait essentiel qui les encouragerait à recourir davantage au tribunal. Sans cette certitude, je crains que les gens vont tout simplement continuer à hésiter à recourir au tribunal de la concurrence.
Enfin, pour ce qui est des sanctions, qui est l'autre question abordée par notre groupe, j'exhorterais le comité à envisager d'adopter un pouvoir de sanction administrative dans les dispositions de la loi concernant l'abus de dominance. Je le limiterais aux dispositions concernant l'abus de dominance car, à mon avis, les autres dispositions non criminelles de la loi devraient devenir redondantes et pourraient être abrogées, si nous modifions les dispositions relatives à l'abus de dominance comme je l'ai décrit dans le document que je sais que bon nombre d'entre vous ont reçu l'automne dernier.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci.
Monsieur Russell.
M. Robert Russell: Je pense que je peux facilement faire trois recommandations. Ce sont les trois que j'ai proposées aujourd'hui, qui sont à mon avis importantes, mais il n'est peut-être pas aussi facile de les mettre dans l'ordre.
Premièrement, comme je l'ai fait valoir la dernière fois et cette fois-ci, je crois que nous avons besoin d'un comité des règlements, car nous devons reconnaître qu'il s'agit là de procédures dont les enjeux sont élevés. C'est une véritable guerre, il n'en fait aucun doute. Vous ne trouverez pas beaucoup de gens ici qui peuvent vous parler de 52 motions interlocutoires avant le procès. On ne trouve pas de litige commerciale dont les enjeux pourraient être élevés au pays. C'est ce que le tribunal doit entendre lorsqu'une requête est contestée.
Avec le temps, le comité des règles sera alors en mesure de formuler des règles afin de s'assurer que le processus est bien géré. Il apporterait des changements progressivement. Le processus qui serait adopté devrait découler d'une recommandation qui serait présentée officiellement tous les six mois. Ce comité serait chargé de faire des recommandations à votre comité, ou selon le cas à un autre comité, et une réglementation serait mise en place par la suite pour officialiser les changements nécessaires. Ce changement progressif est quelque chose que nous n'avons pas depuis le début en 1986, et on entend vraiment beaucoup parler de tout le bagage qui s'est accumulé en ce qui concerne les droits de communication préalable et autres et des délais qui sont peut-être nécessaires.
Je ne crois pas aux délais; c'est trop gros lorsqu'on est en fait en litige. Nous avons entamé la requête dans l'affaire CAST en décembre, et nous étions toujours en train de travailler à ces 52 requêtes dix mois plus tard. Je n'ai eu aucun moment de répit au cours de ces dix mois, alors pensez bien que je ne voudrais pas me faire dire que je dois faire tout cela en six mois. Je peux vous assurer que cela n'aurait pas été possible. Il faut donc reconnaître la complexité et l'importance du litige. Je pense que ce serait une erreur que d'imposer des contraintes artificielles en prescrivant des délais.
La gestion obligatoire des affaires, qui est appuyée par tous comme vous pouvez le constater, est quelque chose qui permettrait de réduire le nombre de litiges stratégiques. En d'autres termes, on n'aurait peut-être pas 52 requêtes ou motions, car avec un juge responsable de la gestion de l'instance, il faudrait justifier chaque requête avant de pouvoir la présenter. Cela est donc très important.
Au fait, il ne s'agit pas là d'un phénomène unique à Toronto. En réalité, Toronto copiait ce qui se faisait ailleurs; je pense que nous savons tout cela. New York le fait, et le Delaware également. Je crois que c'est là où cela s'est fait en premier aux États-Unis. Au Delaware et à New York, les gros cas de litiges commerciaux peuvent aller devant des tribunaux en trois mois. Nous ne faisons toujours pas cela facilement à Toronto. Donc je pense que le modèle de Toronto est bien, mais il y en a d'autres qui ont réussi à faire en sorte que leurs causes puissent être entendues devant un tribunal dans un délai de trois mois. Je ne crois pas que quiconque puisse dire que ce genre de gestion proactive de dossiers ne serait pas utile au processus du tribunal.
Enfin—et nous n'avons pas passé beaucoup de temps sur la question—, il y a les sanctions administratives et les dommages-intérêts aux parties lésées. Sans cela, cette mesure législative ne serait pas suffisamment musclée pour les questions importantes assujetties aux contrôle judiciaire. Si vous faites faire faillite à une entreprise aujourd'hui, tout ce qu'on vous dira, c'est que vous n'auriez pas dû. Ce n'est pas un dissuasif suffisant. Si vous abusez de votre position dominante au pays, vous devriez être obligé de verser des dommages-intérêts à la partie lésée, de payer les dépens de la procédure et des amendes car l'intérêt public a été touché. Nous avons besoin d'une mesure législative musclée. Il s'agit là d'une importante réforme législative qu'il est à mon avis nécessaire d'adopter.
Merci.
À (1050)
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup—une autre bonne question qui a pris tout le temps.
Monsieur McTeague.
M. Dan McTeague (Pickering--Ajax--Uxbridge, Lib.): Monsieur Russell, ma première question concerne votre dernière observation, car j'ai été très intrigué par ce que vous avez dit au sujet des dommages-intérêts. J'aimerais cependant auparavant féliciter M. Crampton pour son nouveau poste à l'OCDE.
Certainement de notre côté de la Chambre—et je sus sûr de parler au nom de tous les membres du comité—, nous vous souhaitons, monsieur Crampton, bon succès dans votre nouvelle carrière. Il me semble—M. Penson y a peut-être fait allusion un peu plus tôt—que le domaine de la concurrence a mené à de nombreuses carrières couronnées de succès. Naturellement, je pense aussi à notre secrétaire parlementaire et à notre président qui ont été promus, si l'on considère qu'il s'agit là d'un phénomène assez intéressant.
Messieurs, je m'intéresse à ce que vous avez dit au sujet des dommages-intérêts—certains d'entre vous ont été plus réservés en ce qui concerne les recours—, question qui a été soulevée dans le contexte des questions assujetties au contrôle judiciaire, à la partie VIII. Certains membres de notre comité sont préoccupés du fait que parfois des questions—ou affaires, incidents—qui se produisent dans le secteur privé sont considérés comme des questions assujetties au contrôle judiciaire alors qu'en fait, il s'agit de pratiques anticoncurrentielles.
Vous avez fait une proposition, monsieur Russell, mais j'aimerais que d'autres disent ce qu'ils en pensent et ce qu'ils pensent des conséquences des dommages-intérêts et de la question de l'intérêt public. À votre avis, est-ce que les dommages-intérêts simplifieraient ou rendraient plus efficace le rôle du tribunal qui ne serait pas obligé de disposer des questions au cas par cas? Peut-être qu'on pourrait envoyer un message au milieu d'une affaire, c'est-à-dire un ou deux exemples de cas de dommages-intérêts qui sont soulevés après une longue affaire ou une affaire prolongée—espérons pas trop longue—devant le tribunal, qui serviraient de moyen de dissuasion pour certaines activités.
M. Robert Russell: Je pense que si on regarde ce qui se fait ailleurs, notamment en Europe, on constate qu'il s'agit d'un élément important de dissuasion dans leurs lois lorsque des amendes s'appliquent à des questions civiles, des questions assujetties au contrôle judiciaire, comme nous les appelons. Sans cela, si on n'a pas suffisamment de moyens de dissuasion, alors on dépense beaucoup plus d'argent pour plaider des causes. C'est toujours le juste équilibre qu'on cherche à atteindre avec une mesure législative, c'est-à-dire d'avoir suffisamment de moyens de dissuasion relativement aux questions assujetties au contrôle judiciaire.
À la lumière des différents événements qui se sont déroulés au cours des dernières années, je dirais que la plupart des Canadiens estiment qu'il n'y a pas suffisamment de dissuasion dans notre législation. En fait, je crois que c'est ce que le public dit, et je crois que c'est bien vrai. En ce qui concerne les questions assujetties au contrôle judiciaire—et d'autres personnes vous l'ont dit ici—, en tant qu'avocat on se retrouve dans une position où on examine la question pour son client et on lui dit que ce n'est pas illégal tant que le tribunal ne l'a pas dit. C'est en fait la vérité, de sorte qu'ils doivent prendre une décision d'affaires en se fondant sur ce conseil limité, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une activité licite tant que le tribunal n'a pas dit le contraire.
À (1055)
M. Stanley Wong: En ce qui concerne les sanctions administratives, je pense qu'il y aura des problèmes à déterminer où elles devraient se situer dans le système. Je suis cependant d'accord avec M. Russell. Je pense que quiconque est capable d'impartialité reconnaît qu'avec la monopolisation—et c'est ce que l'abus de dominance est—, il n'y a pas de dissuasion, car comme tout le monde le dit, tout ce que l'on fait, c'est mettre fin à ces pratiques.
Cela étant dit, je pense qu'il est nécessaire d'examiner tout ce que nous tentons de faire ici. Je pense que c'est dans le projet de loi C-23 qu'on prévoit dorénavant une amende de 15 millions de dollars dans le cas des lignes aériennes. Je pense que c'est trop hâtif. Je comprends qu'il y ait toutes sortes de considérations politiques, mais je pense qu'il est trop hâtif d'en arriver à cela. À mon avis, il faut examiner de façon plus générale les principes que l'on veut inscrire dans la loi en ce qui a trait aux questions assujetties au contrôle judiciaire. Mais à l'heure actuelle, vous vous dites tout simplement que la situation des lignes aériennes est terrible et qu'en prévoyant une amende de 15 millions de dollars, on s'assure ainsi qu'ils ont bien compris le message.
Il ne faut pas oublier que lorsqu'on arrête d'inclure ces amendes, cela affecte non seulement les grandes mais aussi les petites entreprises. Ne l'oublions pas. Il ne s'agit donc pas uniquement de voir ce que nous pouvons faire pour stopper les grandes entreprises. Lorsqu'on a de telles amendes en place, elles s'appliquent également aux petites entreprises.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Rook, vous avez la parole.
M. John Rook: Dans le passé, les mesures antitrust au Canada ont mis l'accent sur l'intérêt public en matière de concurrence, par opposition aux intérêts privés des concurrents.
Si vous modifiez la loi comme le suggère M. Russell de façon à conférer à une partie le droit à des dommages-intérêts, cela aurait de très grandes conséquences, non seulement pour la procédure devant le tribunal, mais aussi pour le rôle du commissaire. Inévitablement, il en découlerait que le Tribunal de la concurrence deviendrait un tribunal comme tout autre, mais un tribunal spécialisé. Il faut donc réfléchir longuement pour déterminer s'il est dans l'intérêt public de modifier ainsi la loi.
Je n'ai pas de position bien arrêtée sur le sujet, mais en réfléchissant à la question, il ne faut pas oublier que les régimes civils existants prévoient déjà des recours.
M. Paul Crampton: J'aimerais faire une brève observation sur les sanctions administratives, que vous appuyez, je le sais. J'aimerais aller un peu plus loin et dire que la somme devrait être laissée à la discrétion du Tribunal de la concurrence.
Comme on l'a constaté dans le domaine des ententes injustifiables, même une amende de 10 millions de dollars peut être insuffisante. Quand j'étais au Bureau de la concurrence, lorsque nous examinions un cas particulier, nous calculions que le prix excessif avait rapporté des centaines de millions de dollars; par conséquent, en l'occurrence, si on avait imposé une amende de 10 millions de dollars, cela n'aurait représenté qu'une petite fraction des profits.
Si vous prévoyez des sanctions administratives pécuniaires pour l'abus de position dominante, il vous faudrait aussi donner au tribunal la plus grande marge de manoeuvre possible et lui laisser le soin de fixer le montant de l'amende au niveau qu'il juge bon.
En ce qui a trait aux dommages-intérêts, les six derniers mois ont été assez difficiles car nous avons dû nous pencher sur les moindres détails du projet de loi C-23. Comme le savent les membres du comité, la question des dommages-intérêts a provoqué une polémique et, en dernière analyse, après avoir pesé tous les facteurs pertinents, il a été décidé de ne pas aller de l'avant avec les dommages-intérêts pour l'instant.
Pour ma part, je préférerais attendre quelques années pour voir les résultats de la proposition contenue dans le projet de loi C-23 avant de revenir à la question des dommages-intérêts. C'est ma position sur cette question.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Wong, suivi de M. McTeague.
M. Stanley Wong: J'ai deux observations à faire.
Le droit à l'accès privé prévu par le projet de loi C-23 ne peut s'exercer que lorsque le commissaire n'a pas agi. Essentiellement, c'est l'un ou l'autre. Si le commissaire a pris des mesures, vous n'avez pas droit à l'accès privé.
En ce qui a trait aux dommages-intérêts et aux sanctions, il faut réfléchir à l'interaction entre ces deux mesures. J'estime que les cas d'abus de position dominante devraient être moins litigieux, que le public devrait pouvoir savoir qu'une sanction bien précise, une sanction administrative ou autre sera imposée.
La question est de savoir ce qu'on dira aux plaideurs privés? Disons que le plaideur privé peut prouver qu'il a souffert de cet abus. Lui donnera-t-on le droit d'intenter une poursuite privée pour dommages-intérêts ou, une fois qu'une décision publique aura été prise, aura-t-il épuisé ses recours?
Il faut trancher: Une fois qu'il y a eu une poursuite publique, les poursuites privées seront-elles interdites ou le plaideur privé pourra-t-il, à son tour, tenter de faire la preuve des préjudices qui lui ont été causés directement.
Á (1100)
M. Dan McTeague: À titre de législateurs, nous devons trouver le juste équilibre entre l'intérêt public et l'intérêt des plaideurs privés. Bien sûr, c'est ce que nous avons voulu trancher avec le projet de loi C-23.
Monsieur Crampton, vous avez mentionné les sanctions administratives. Cela me semble une excellente idée. Toutefois, l'ennui, c'est que la partie lésée, la personne ou les personnes victimes des agissements anticoncurrentiels dont elles peuvent faire la preuve à long terme, auront peut-être entre temps fermer les portes de leur entreprise. Cela peut être très dommageable pour le public en général.
Étant donné que, intrinsèquement, l'industrie au Canada est très concentrée, on peut trouver des exemples où nous n'avons pas le genre d'outil nous permettant d'accorder un minimum de dommages-intérêts; dans de tels cas, nous voudrons peut-être donner un certain pouvoir discrétionnaire au tribunal. Il n'y aurait alors plus de dommages-intérêts simples, doubles, triples, etc. Pourquoi ne voudriez-vous pas envisager la possibilité d'imposer des dommages-intérêts... surtout dans le contexte général des effets sur l'intérêt public lorsque les plaideurs privés perdent leur cause ou qu'ils sont exclus du secteur qu'ils veulent servir?
M. Robert Russell: Bien que je sois avocat, cette question ne devrait pas être renvoyée nécessairement à des avocats, et voici pourquoi. La justice est censée être la même pour tous. C'est le principe qui s'applique.
Je vous en donne un exemple. Si j'étais chef d'une petite entreprise qui se fait fournir des services à un aéroport et qu'une autre entreprise dominante arrivait et me demandait de mettre fin à mon contrat avec ce fournisseur, il existe un recours en droit pour le fait d'inciter à une rupture de contrat. Je pourrais obtenir des millions de dollars en dommages-intérêts parce que cette autre entreprise a voulu nuire à la mienne.
C'est un peu la même chose en vertu de la Loi sur la concurrence. La même entité dominante pourrait me dire que je devrai dorénavant faire affaire uniquement avec elle. Toutefois, je ne pourrai obtenir de dommages-intérêts, parce que la loi... D'après les tribunaux, ce n'est pas illégal. L'article 36 interdit d'intenter des poursuites; il n'y a donc aucun recours prévu à l'article 36 de la Loi sur la concurrence.
Selon le droit de la responsabilité civile délictuelle qui s'appliquerait—les tribunaux se sont prononcés sur cette question à maintes reprises depuis l'entrée en vigueur de la loi en 1986 et depuis l'adoption des différentes modifications—, ce n'est pas illégal parce que le tribunal n'a pas dit que ce l'était.
Par conséquent, les petits entrepreneurs canadiens dont l'entreprise pourrait être détruite n'ont aucun recours. À mon avis, c'est injuste. Il nous faut trouver un modèle. Je ne veux pas suggérer lequel, mais nous pourrions à tout le moins prendre comme point de départ votre suggestion selon laquelle le tribunal aurait le pouvoir discrétionnaire d'envisager l'imposition de sanctions administratives pécuniaires dans les cas d'abus de position dominante et des dommages-intérêts à la partie qui en a subi les effets directs ou qui était ciblée par les agissements abusifs. Cela nous serait tout à fait acceptable et il ne serait pas nécessaire de perturber le modèle prévu par la loi.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Crampton.
M. Paul Crampton: Merci.
Pour répondre à votre dernière question, monsieur McTeague, poser la question, c'est presque y répondre; pour ma part, je suis d'avis que les dommages-intérêts ne peuvent être envisagés isolément. Il faut les envisager en tenant compte des conséquences qu'aurait le pouvoir d'accorder des dommages-intérêts pour toutes les parties à une poursuite stratégique anticoncurrence, par exemple.
Je préférerais attendre et voir le résultat de ce premier compromis. S'il ne fonctionne pas, vous pourrez alors demander qu'on renforce ces dispositions et voir comment cela pourrait être fait. Pour l'instant, je le répète, cette proposition est toute nouvelle et il faudrait voir ce qu'elle donnera avant de la modifier.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): M. Bergeron a accepté de céder son temps de parole à Mme Torsney et à M. Savoy.
Madame Torsney, vous serez la première. Nous aurons 10 à 15 minutes de plus car le groupe suivant de témoins ne compte que trois personnes au lieu de quatre. Vous avez la parole, madame Torsney.
Á (1105)
Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.): Nous devrions peut-être faire une pause pour essayer de nous réchauffer, car il semble que l'on veuillent aujour'hui économiser l'argent des contribuables en ne chauffant pas la salle. J'aurais envie de conjuguer le verbe geler.
Vous avez parlé à M. Russell de dix mois de travail à temps plein dans une affaire particulière. Je ne peux m'imaginer ce que cela coûte à une entreprise. Les cas dont vous parlez sont énormes. On a calculé que, avant de parler d'une fusion, les préparatifs sont considérables, sans compter le coût du processus dans son ensemble. Et il s'agit ici d'énormes fusions. Si nous voulons être concurrentiels et susciter un esprit de concurrence.... en fait, toutes sortes de petites entreprises sont vendues qui sont importantes pour leurs collectivités, mais elles ne se rendront jamais jusqu'au Tribunal de la concurrence. À l'heure actuelle, il n'existe aucune méthode efficace qui garantisse qu' on va ainsi encourager une saine concurrence.
Nous nous sommes demandés, l'autre jour en parlant à d'autres témoins, s'il ne serait pas possible, puisqu'il existe un système judiciaire pour les petites créances, de mettre sur pied un groupe d'experts de toutes les régions du pays qui constituerait, en quelque sorte, un tribunal des petites créances en matière de concurrence? Monsieur Crampton, vous avez parlé des deux dernières épiceries d'une petite ville... certains de ces commerces sont en fait plutôt des dépanneurs, ce sont des petits commerces mais, dans une localité nordique ou rurale, c'est souvent tout ce qu'il y a. Pour certains consommateurs, il n'y a pas d'autre endroit où acheter la nourriture parce que tous les commerces appartiennent à un seul propriétaire. Dans ces endroits-là, la concurrence pourrait avoir de limportance.
En revanche, nous ne voulons pas créer un système où personne ne peut vendre son entreprise ou la fusionner avec une autre petite entreprise pour croître et s'ouvrir au marché mondial. Ne serait-il pas bon d'avoir un régime parallèle? J'ignore si les cas dont je parle se rendent même jusqu'à vous, car vous êtes très occupés par les cas plus importants.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Crampton, à vous la parole.
M. Paul Crampton: C'est une idée intéressante. En y réfléchissant, j'imagine qu'il faudrait créer un organisme gouvernemental distinct qui serait chargé des petites causes liées à la concurrence. Je ne suis pas certain que ce serait productif. À mon avis, la meilleure solution—et je n'y ai pas longuement réfléchi—ce serait de donner davantage de ressources au Bureau de la concurrence.
Le bureau ne peut affecter de ressources aux petites causes, parce qu'il ne les a tout simplement pas. Par conséquent, il doit faire le tri des affaires qui lui sont soumises et se pencher en priorité sur celles qui rapportent davantage, soit celles qui pourraient être le plus préjudiciables pour l'économie canadienne.
En donnant davantage de ressources au bureau, on pourrait peut-être donner suite à votre idée en créant au sein du bureau un service qui se consacrerait uniquement aux questions relatives aux petites et moyennes entreprises. C'est une idée qui mérite d'être approfondie.
M. Robert Russell: À mon avis, ce problème ne relève pas de la loi. La loi dispose que le cas de deux dépanneurs dans une petite ville, si s'agit d'un marché, devrait être réglé par le commissaire. Son mandat le prévoit. Le fait qu'on ait mis l'accent sur les affaires d'importance nationale s'explique plutôt par un manque de ressources. Je suis donc d'accord avec M. Crampton pour dire que dans le passé... Quand je me suis occupé de la cause dont je vous ai parlé plus tôt, j'ai dû m'interrompre deux fois pendant l'année en raison d'un manque de ressources. À l'époque, c'était le seul cas dont le commissaire s'occupait. On m'a demandé à deux reprises de m'arrêter. Je n'ai pu parler à mes experts deux fois par manque de ressources. C'est aussi simple que cela.
Il y a aussi la question de l'accès à la justice. Nous devons nous assurer que ceux qui font partie de ces comités ont accès à la justice dans leurs localités. Nous devons, à cet égard, régler un problème avec les avocats, et je ne veux pas m'étendre sur ce sujet ici. Je dirai seulement qu'au Barreau du Haut Canada en Ontario, on débat de la question de savoir si nous devrions mettre nos services à la disposition de la collectivité davantage. Cette organisation a un programme de référence qui nous oblige à dispenser des conseils gratuitement pendant la première demi-heure, je crois. Un certain nombre de praticiens du domaine de la concurrence se sont portés volontaires, comme moi. Je l'ai fait pour un petit détaillant de produits pétroliers qui avait des difficultés avec la Loi sur la concurrence et je lui ai donné des conseils.
Ce sont ces deux facteurs. La loi doit donner des recours aux petites entreprises. Elle le fait mais ce qui y fait obstacle, c'est l'argent qu'il faut pour s'assurer que le commissaire veille bien à l'application de la loi et pour faire en sorte que les services juridiques sont disponibles. À ce dernier chapitre, ce sont les juristes qui devraient apporter des correctifs et, au premier chapitre, c'et le gouvernement.
Á (1110)
M. Stanley Wong: En ce qui concerne les petites causes, par exemple deux épiceries dans une petite localité, le commissaire ne s'en chargera pas s'il n'a pas les ressources qu'il lui faut. Ce ne serait pas logique. Cela dit, ça ne signifie pas que le commissaire ne se penche pas sur ces cas-là. À mon cabinet de Vancouver, par opposition à mes fonctions d'avocat plaidant, je me suis chargé d'affaires pour le compte de petites entreprises, par exemple, la fusion des entreprises Ready Mix. Je me souviens très bien d'un cas qui n'était pas une transaction devant faire l'objet d'un avis mais qui a été signalée au commissaire, parce qu'il s'agissait de deux entreprises de Ready Mix qui voulaient fusionner dans une région particulière. Il a donc appelé les parties et il s'est entretenu avec elles.
Le bureau du commissaire s'intéresse donc aussi à ces causes, mais sa capacité d'intenter une poursuite est fonction de ses ressources. Si vous voulez que le commissaire engage une poursuite dans tous les cas, il faut lui donner plus d'argent.
M. John Rook: Je ne suis pas certain de pouvoir vous donner un exemple concret comme celui-là. Toutefois, à mon sens, l'article 103 pourrait très bien donner le résultat qui vous intéresse, car il donne pour la première fois la possibilité aux petites entreprises de présenter une demande au tribunal et de contourner ainsi le bureau du commissaire où le progrès d'une cause peut rester embourbée pendant des mois, parfois même des années.
Cette possibilité existe donc. Je ne suis pas certain qu'on invoquera toujours cette disposition de façon efficace, en raison du pouvoir intérimaire dont j'ai parlé plus tôt. Il faudrait donc attendre les résultats.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Savoy.
M. Andy Savoy (Tobique--Mactaquac, Lib.): Merci, monsieur le président.
Beaucoup d'experts dans le domaine de la concurrence s'entendent pour dire que nous devrions envisager de transférer du droit criminel au droit civil les pratiques anticoncurrentielles en matière de prix. Celles-ci relèvent actuellement du Code criminel. Mais nous devrions envisager de réexaminer les pratiques civiles en application de la disposition sur l'abus de position dominante. L'argument étant qu'à l'heure actuelle, avec les dispositions criminelles, la dissuasion est très forte et que cela permettrait de tenir compte des effets de cette pratique sur la concurrence et d'abaisser le niveau du fardeau de la preuve pour le ramener aux normes du droit civil.
Nous avons entendu la semaine dernière des arguments contre une telle initiative. L'un des défis auxquels moi-même et, je le suppose, le comité avons été confrontés, c'est d'identifier des situations dans lesquelles des allégations de régime de prix imposés verticalement ou de discrimination par les prix ont eu pour résultat de favoriser la concurrence ou de renforcer l'efficience. Fondamentalement, le témoin nous a mis au défi de trouver des cas d'allégation de discrimination par les prix ou de différenciation des prix ont eu pour résultat de favoriser la concurrence ou de renforcer l'efficacité. Pouvez-vous, d'après votre expérience, nous donner des exemples hypothétiques ou réels d'une telle situation?
Je pense que M. Crampton devrait probablement répondre à cette question, monsieur le président.
M. Paul Crampton: Je peux vous dire catégoriquement, en me fondant sur ma propre expérience, à la fois au Bureau et au cours des 11 années qui se sont écoulées depuis que j'ai quitté le Bureau et que je travaille dans le privé, que les gens d'affaires envisagent couramment des initiatives. Il peut s'agir d'initiatives de prix à rabais qui favoriseraient la concurrence, mais ils évitent de les appliquer à cause des dispositions actuelles du Code criminel qui ont un effet dissuasif. Il peut s'agir d'initiatives de remise, qui sont très courantes et que l'on abandonne ou modifie pour contourner les dispositions du Code criminel relatives à la discrimination par les prix. Il peut aussi s'agir de pratiques d'intégration verticale des prix.
J'essaie de songer à des exemples qui sont du domaine public et que je pourrais vous donner. Je peux dire en toute franchise qu'il arrive très souvent que des gens ne donnent pas suite, à cause du facteur de dissuasion. C'est l'économie canadienne qui se retrouve perdante parce que ce comportement souhaitable n'a pas lieu. Les compagnies, surtout les sociétés ouvertes, craignent beaucoup d'être impliquées dans une enquête criminelle. Cela risque certainement d'entacher leur réputation si jamais les consommateurs l'apprennent et il est certain que si jamais elles sont impliquées dans des poursuites, ce serait le cas.
Souvent, nous avons beau leur dire, à titre d'avocats, qu'en pratique, le commissaire n'intente pas de telles poursuites. C'est vrai qu'il ne le fait pas souvent. Il arrive de temps à autre qu'il rouspète en coulisse, mais bien souvent, il s'abstient d'y donner suite. À l'heure actuelle, la loi n'est pas efficace dans ce domaine, si le commissaire veut intenter des poursuites, à cause du fardeau de la preuve qui ressort du droit criminel.
Ce que j'ai proposé dans ce document de l'Association du Barreau canadien à l'automne, qui sera publié d'ici quelques semaines dans la Revue canadienne du droit de commerce, c'était de décriminaliser ces pratiques, de les réglementer aux termes des dispositions sur l'abus de position dominante. Cela donnerait au commissaire un fardeau de la preuve moins onéreux. Le secteur privé aurait l'avantage de la décriminalisation, ce qui supprimerait cet effet de dissuasion. Tout le monde y gagnerait.
Pour atténuer la crainte que le commissaire risquerait peut-être de perdre un élément de dissuasion en perdant la possibilité de sanctions criminelles, on pourrait insérer un pouvoir de sanctions administratives. Si vous vouliez renforcer davantage la disposition sur l'abus de position dominante, vous pourriez éliminer l'alinéa 79(1)a), qui exige que l'on prouve que l'intéressé exerce un contrôle total ou considérable sur une catégorie ou classe d'activités. Si vous éliminiez cela, il vous suffirait alors de démontrer que le comportement anticoncurrentiel aurait probablement pour résultat d'amoindrir la concurrence de façon significative, ce qui est exactement le même seuil qui existe dans le cas des dispositions sur la pratique du prix abusif.
Je pense donc que ce serait une solution avantageuse pour tout le monde. Je pense que vous devriez l'envisager sérieusement. Je n'y vois vraiment pas beaucoup d'inconvénients.
Á (1115)
M. Stanley Wong: Je voudrais puiser un peu dans mon expérience au sujet de la discrimination par les prix. Il ne faut pas perdre de vue que cette disposition est dans la loi depuis 1933 ou 1934 et qu'elle n'a pas donné lieu à une seule contestation.
Dans ce domaine, des milliers d'avis ont été donnés. Je sais que M. Crampton travaille pour les grandes entreprises et voudrait obtenir la décriminalisation. J'ai moi-même participé à la mise sur pied de groupes d'acheteurs pour de très petites entreprises. On est prêt à dépenser beaucoup d'argent pour contourner la loi, ce qu'il est possible de faire en formant des groupes d'acheteurs. Je pose la question: pourquoi tout cela est-il nécessaire?
Bien sûr, quand un groupe d'acheteurs se rassemble, il faut suivre cela de près pour s'assurer qu'il ne se livre pas à un boycott ou à un complot. Cela réglé, et c'est pris en charge par notre législation sur le complot, il faut passer au droit civil et régler l'affaire. Beaucoup trop de ressources ont été consacrées à la lutte contre la discrimination par les prix.
Si vous examinez les lignes directrices publiées par le commissaire, il y a peut-être plus de 10 ans, l'interprétation, à mon humble avis, est différente de ce que la loi dit explicitement, pour essayer d'atténuer quelque peu l'effet dissuasif de la loi, si l'on peut dire.
M. Robert Russell: En fait, les deux questions que vous avez soulevées sont intellectuellement très stimulantes, mais vous pouvez aussi envisager cela sous un autre angle, en faisant la comparaison entre notre législation et celle des États-Unis, parce que dans les deux cas, la loi est différente aux États-Unis.
Prenez le régime de prix imposé. Nous avons une loi très stricte là-dessus. Il n'est pas nécessaire qu'il y ait une entente en bonne et due forme. La nécessité d'une entente dans la législation américaine permet l'application de ce que l'on appelle là-bas la doctrine Colgate, ce qui veut dire qu'ils peuvent vendre unilatéralement... Ils peuvent dire: vous n'avez pas le droit de vendre mon produit sauf à tel ou tel prix... Il ne peut tout simplement pas y avoir d'entente. Les Américains s'en servent tout le temps. Donc, un tel régime de prix imposé qui serait illégal au Canada est courant aux États-Unis. C'est un problème juridique transfrontalier auquel je suis confronté chaque mois, parce qu'il faut aviser les entreprises américaines que la loi est différente ici.
Diriez-vous qu'ils sont en meilleure posture aux États-Unis, avec leur loi? Je ne pourrais pas me prononcer dans un sens ou dans l'autre, mais nous avons des lois plus fermes au Canada sur le régime de prix imposé. Il y a toutefois beaucoup d'économistes qui estiment que cela ne devrait figurer dans aucune loi sur la concurrence. Parce qu'effectivement, si je fixe mon prix et que je vous dis que vous n'avez pas le droit de vendre mon produit à un prix inférieur, dès lors qu'il y a concurrence pour ce produit en particulier, il me sera impossible de maintenir ma position. En théorie, ce prix doit tomber.
Les économistes auraient donc tendance à dire qu'une telle disposition contre le régime de prix imposé est vraiment inutile, parce qu'une telle situation ne peut pas exister à long terme. On ne peut pas être gagnant à moins d'avoir déjà une position dominante, ce qui appuie l'argument voulant qu'on transfère cela aux dispositions sur l'abus de position dominante. Il faudrait d'abord établir cet élément, mais ce serait plus facile, parce qu'il s'agirait d'une affaire civile. Je trouve que sur le plan intellectuel, c'est une proposition attrayante qui mérite réflexion.
Au sujet de la discrimination par les prix, nous sommes déjà faibles au Canada en comparaison des États-Unis où l'on peut faire une discrimination par les prix en fonction du volume. Un magasin peut, par exemple, acheter une centaine d'unités d'un produit à un prix moindre que s'il en achète seulement deux. C'est tout à fait arbitraire dans notre loi. On peut avoir des prix différenciés entre un et deux, ou entre un et 5 000—on est tout à fait libre de faire ce que l'on veut—et fixer son prix à ce niveau-là. C'est la loi au Canada. Il n'est pas nécessaire de justifier cela sur la base des coûts pour le fabricant.
Aux États-Unis, on ne peut pas faire de discrimination à moins de pouvoir la justifier. Autrement dit, si cela coûte beaucoup moins cher pour moi, comme fabricant, de fabriquer 100 unités d'un produit, je peux répercuter cet avantage en termes de coût quand j'en vends 100, au lieu d'en vendre un seul. Mais c'est tout ce que je peux transmettre au détaillant en termes de discrimination sur le plan du prix.
Ainsi donc, la loi est beaucoup plus stricte aux États-Unis au sujet de la discrimination par les prix. Là encore, vous devez vous demander si c'est mieux là-bas qu'ici dans ce domaine.
Je ne trouve pas qu'ils s'appliquent particulièrement à notre politique de la concurrence, à l'une ou l'autre de ces dispositions, mais il y a deux modèles à étudier. Vous pourriez envisager la question dans un sens ou dans l'autre.
Á (1120)
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Nous allons bientôt mettre fin à cette table ronde. Monsieur Rook, avez-vous d'autres observations à faire?
M. John Rook: Pas vraiment, monsieur le président. Je suis plutôt d'accord avec les observations que mon ami a formulées à cet égard, surtout au sujet de la disposition sur la discrimination par les prix. D'après mon expérience, c'est très rarement utilisé. J'ai toujours réussi à trouver le moyen de contourner cela, après avoir compris ce que cela voulait dire, ce qui m'a pris un certain temps, je dois l'avouer. C'est simplement un obstacle qui n'a probablement pas sa place dans le Code criminel.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup. Je tiens à remercier les témoins d'être venus nous rencontrer aujourd'hui et d'avoir participé à cette excellente discussion qui nous a aidés dans notre délibération. Je m'excuse du temps rigoureux, mais l'hiver est enfin arrivé à Ottawa.
Nous allons faire une pause de trois minutes, après quoi nous passerons à la deuxième table ronde.
Merci beaucoup.
Á (1122)
Á (1131)
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Je présente mes excuses aux témoins et je les remercie de leur patience.
Malheureusement, M. Winter n'a pas pu être présent. Nous accueillons aujourd'hui Roger Ware, professeur à l'université Queen's; Paul Crampton, qui était bien sûr avec nous pour la première table ronde; et Tim Kennish, avocat du cabinet Osler, Hoskin & Harcourt.
Nous allons commencer par M. Roger Ware qui aura, disons, de 10 à 12 minutes. Nous allons essayer de respecter les contraintes de temps, pour que l'on puisse poser le plus de questions possible.
Monsieur Ware.
M. Roger Ware(témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président.
Je n'utiliserai peut-être pas la totalité du temps qui m'est imparti pour mon exposé, et je me ferai donc un plaisir de donner de plus amples explications par la suite.
Je voudrais d'abord dire que la suspension par le commissaire des dispositions des lignes directrices pour l'application de la loi en matière de fusionnement qui traitent des allégations de gains d'efficience dans l'étude des fusionnements proposés a créé un vide immense dans l'orientation donnée aux entreprises qui envisagent de faire des acquisitions, et qu'il y a maintenant un urgent besoin de préciser les choses dans ce domaine.
Les directives données par le commissaire, que vous pouvez trouver, je pense, sur le site Web du Bureau, sont de suivre les prescriptions de la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire de Superior Propane.
À mon avis, les directives données par cette décision de la Cour d'appel fédérale ne sont pas adéquates en l'occurrence. Je ne prétends pas pouvoir citer cette décision textuellement, mais d'une façon générale, la Cour a dit que le tribunal, en jugeant du poids à donner aux gains d'efficience, doit adopter une approche souple, et ne doit pas s'en tenir strictement à l'approche que l'on désigne du nom d'approche du surplus total, que je me ferai un plaisir de vous expliquer tout à l'heure si quelqu'un me le demande. Elle tient compte de divers facteurs, notamment les répercussions sur la petite entreprise, la possibilité de création d'un monopole et peut-être les conséquences sur la répartition des revenus.
J'ai écrit quelque chose à ce sujet, mais je crois que cette décision de la Cour d'appel fédérale comporte bien des lacunes à certains égards. Je crois aussi que, qu'elle soit solide ou pas, elle ne constitue pas un bon guide quant à l'évolution future de la politique de la concurrence.
Je crois aussi qu'il y a un danger que le Canada change complètement de position, c'est-à-dire qu'au lieu d'appuyer davantage que les États-Unis les affirmations de gains d'efficience dans l'étude des fusionnements—position qui a été inscrite dans la loi de 1986 sur la concurrence, et même encore plus clairement dans les diverses directives sur les fusionnements qui ont été publiées au début des années 1990—le Canada pourrait adopter une position telle qu'il accorderait moins d'importance que les Américains aux affirmations de gains d'efficience.
Dès que la décision définitive aura été rendue dans l'affaire du propane, et je m'attends à ce qu'elle le soit bientôt, je vous exhorte à lancer un débat, non pas sur la question de savoir s'il faut tenir compte des gains d'efficience dans l'étude des fusionnements, mais sur la manière dont on devrait en tenir compte et du type de gains d'efficience qui devrait compter, en particulier.
C'est un débat que les Américains ont déjà amorcé. Il est intéressant de constater qu'il y a eu ici une sorte de divergence bizarre de l'orientation politique, en ce sens que les Américains se sont dirigés graduellement mais constamment, pendant toutes les années 1990, vers une étude de plus en plus sérieuse des gains d'efficience dans l'examen des fusionnements, alors que nous semblons nous diriger en sens contraire. Cela m'inquiète.
Je vais vous donner quelques citations de Robert Pitofsky, l'ancien président de la Commission fédérale du commerce. En 1992, il a dit: «L'échec des organismes chargés de l'application de la loi et des tribunaux des États-Unis de prendre en compte les considérations relatives aux gains d'efficience dans les analyses de fusionnements a été la principale cause des difficultés des entreprises américaines dans le commerce international.» Cette déclaration me semble quelque peu exagérée, mais néanmoins, elle met en relief un aspect préoccupant. Un an plus tard, il a dit: «Si les intérêts économiques à long terme des États-Unis sont fondés sur la productivité et l'innovation, le temps est peut-être venu de traiter avec un peu plus de sympathie les affirmations de gains d'efficience à l'appui d'une transaction.»
Dans quelques cas, au sud de la frontière, même si les allégations de gains d'efficience n'ont pas réussi à empêcher des fusionnements qui étaient par ailleurs anticoncurrentiels, cela a certes été dûment pris en compte dans les décisions relatives à ces fusionnements.
Á (1135)
Pour revenir sur un argument que j'ai déjà invoqué ailleurs, si nous n'accordons aucun poids aux efficiences dans ces analyses de fusionnement, ce qui semble parfois la position que le commissaire voudrait adopter, une telle position aurait pour conséquence de déboucher sur une diminution de la richesse et une plus faible productivité pour les Canadiens.
J'ai songé à tenter de préciser quelque peu ma pensée et d'analyser les différentes normes qui ont été appliquées sur la façon de tenir compte des gains d'efficience dans une analyse de fusionnement, mais après réflexion, j'ai pensé que je serais mieux de laisser cela pour une discussion ultérieure. Nous avons la norme du surplus total, nous avons la norme de l'intérêt du consommateur, nous avons ce qui a été appelé un transfert de richesse, et nous avons aussi ce qu'on appelle parfois une norme de prix, et tout cela a été appliqué. Tous ces critères ont une répercussion différente quant au poids à accorder aux gains d'efficience.
Comme je l'ai dit, ce que je voudrais faire, c'est d'aller en un sens au-delà de tout cela et de vous parler plutôt des différents types d'efficience et de la manière dont on devrait en tenir compte. Je vais faire quelques observations là-dessus en terminant.
Les gains d'efficience ont notamment un aspect temporel. Notre analyse des fusions prend pour acquis que l'horizon temporel est d'environ deux ans. Autrement dit, si l'on doit tenir compte des coûts et des avantages, de l'affaiblissement de la concurrence, alors il faut envisager cela sur une période de deux ans. Le problème tient en partie au fait que les gains d'efficience sont généralement obtenus sur une période beaucoup plus longue. Certes, il est vrai que dans l'affaire du propane, la Cour s'est penchée sur les gains d'efficience sur une période de 10 ans. Ce qu'il faut retenir, c'est que c'est à mon avis un aspect qui compte. C'est important si les gains d'efficience envisagés doivent être réalisés entre la cinquième et la dixième année, parce qu'à ce moment-là, ces gains n'apparaîtraient même pas dans un examen portant sur deux ans. Ce sont des aspects importants.
Une autre question qui est cruciale dans l'étude des gains d'efficience et qui a soulevé récemment un débat parmi les spécialistes américains de la législation antitrust, c'est la question de savoir à quels gains d'efficience on peut s'attendre en l'absence du fusionnement. Encore une fois, nous réfléchissons à cela strictement dans le contexte d'un fusionnement. On dit notamment dans les directives sur les fusions que les gains d'efficience comptent seulement s'ils n'auraient pu être réalisés en l'absence de la fusion. On exprime parfois cette exigence en disant que les gains d'efficience doivent être spécifiques à la fusion.
Ce n'est pas facile à évaluer. Comme je l'ai dit, je voudrais lancer un débat sur les situations dans lesquelles on s'attendrait à ce que des gains d'efficience soient réalisés en l'absence de fusion et les situations où ce ne pourrait être le cas. Une façon de distinguer entre les différents types de gains d'efficience, c'est de faire la distinction entre ce qu'on appelle les gains d'efficience synergétiques et les gains d'efficience attribuables aux économies d'échelle.
Les économies d'échelle, c'est évidement très facile à comprendre. Prenons les propositions de fusion bancaire d'il y a quelques années, qui se sont terminées par des échecs. Si la Banque royale et la Banque de Montréal avaient réussi à fusionner, et si le résultat, contrairement à ce que les banques avaient déclaré, avait été la fermeture de toutes les succursales de l'une des deux banques, on se retrouverait alors avec exactement la moitié du nombre de succursales, ce qui leur aurait permis de réaliser d'énormes économies d'échelle. Les banques auraient traité le même volume d'affaires avec la moitié des installations, la moitié des succursales et un effectif considérablement réduit. Mais aucun de ces gains d'efficience n'aurait été ce que l'on appelle des gains synergétiques.
Á (1140)
Les gains d'efficience synergétiques débouchent sur une véritable augmentation réelle de la productivité pour l'entreprise conjointe, par rapport à ce qui était faisable ou réalisable avant la fusion. Habituellement, cela a à voir avec l'existence d'attributs uniques appartenant à chacune des deux entreprises qui, une fois combinés, débouchent sur une productivité plus élevée que chacune d'entre elles aurait pu réaliser de son côté.
Je pense que je vais m'en tenir là et je me ferai un plaisir de revenir plus à fond sur ces points plus tard.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup.
Nous allons maintenant entendre M. Tim Kennish.
M. Tim Kennish (présentation à titre personnel) Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de vous présenter mon point de vue sur le rôle des gains d'efficience dans la législation et la politique de la concurrence.
Je ne suis pas économiste et je m'en remets donc à d'autres qui sont économistes pour ce qui est de discuter des concepts économiques comme tels. Je suis avocat et j'exerce le droit dans le domaine de la concurrence et j'ai eu de l'expérience en particulier dans le domaine des fusions. Aux termes de la Loi sur la concurrence, les gains d'efficience sont envisagés dans un contexte juridique particulier. Par conséquent, bien que je reconnaisse d'emblée mes lacunes puisque je ne suis pas économiste, je pense quand même avoir quelque chose à apporter à la discussion.
Je suis aussi préoccupé par le fait que, bien que les gains d'efficience aient clairement un rôle important à jouer dans la politique de la concurrence, dans les circonstances actuelles, et dans la façon dont la loi est administrée et interprétée, ce rôle a été en grande partie marginalisé, et je voudrais vous dire quelques mots là-dessus. Si l'on prend en particulier le contexte des fusions, l'un des résultats souhaitables d'une fusion sur le plan de la concurrence, c'est la réalisation de gains d'efficience. C'est presqu'un article de foi fréquemment cité que l'un des principaux avantages de la concurrence, c'est que ce processus est habituellement l'un des meilleurs sinon le meilleur moyen de répartir les ressources de façon efficiente.
De plus, comme vous le savez, la loi a ouvertement pour but de maintenir et d'encourager la concurrence afin de promouvoir l'efficience de l'économie canadienne. La concurrence n'est pas une fin en soi, c'est un moyen d'atteindre d'autres buts, notamment la réalisation de gains d'efficience. En dépit du fait que cet objectif est l'un des principaux buts de la loi, je pense que le rôle que jouent réellement les gains d'efficience a été grandement marginalisé. Je ne pense pas qu'il soit exagéré de dire qu'ils ne comptent pas vraiment. L'une des raisons de cet état de fait, c'est que, dans le contexte d'une fusion, on en tient compte seulement dans le contexte de la défense à l'article 96, et cette défense peut être invoquée relativement à une fusion qui pourrait autrement être illégale, si les gains d'efficience l'emportent sur les conséquences négatives présumées de la fusion.
Dans le contexte de cette défense, on se retrouve devant une situation du tout ou rien. Les gains d'efficience ne sont pas pertinents, à moins que l'on puisse dire qu'ils l'emportent sur les conséquences négatives d'une fusion sur le plan de la concurrence. Il ne semble pas y avoir la moindre réflexion à ce sujet dans l'évaluation générale et initiale, à savoir si la fusion va probablement déboucher sur un affaiblissement considérable de la concurrence.
Il y a plusieurs raisons qui expliquent cela. Premièrement, l'article 96 semble maintenant avoir été interprété de manière telle que la perspective qu'il soit un jour invoqué avec succès pour sauver une fusion a quasiment disparu. Je pense que c'est le résultat pratique de la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire de Superior Propane. Comme Roger l'a signalé, l'affaire n'a pas atteint son aboutissement définitif parce que les tribunaux n'ont pas encore pleinement établi l'ampleur des conséquences négatives de la fusion, qui doivent être annulées par les gains d'efficience. Mais il semble très probable que, quelle que soit la décision finale, très peu de fusions, sinon aucune, permettront de réaliser suffisamment de gains d'efficience pour respecter ce critère
Ce qui est clair, pour l'instant, c'est le concept plus restreint qui était à l'origine inscrit dans les lignes directrices sur les fusionnements, à savoir l'intérêt supérieur global, dans lequel ce que l'on appelle le poids mort total, la perte d'efficience productive de l'économie résultant de la fusion, a maintenant été rejeté comme principe directeur.
Je ne suis pas ici pour présenter des excuses ni pour préconiser le retour à cette norme. Je pense qu'à certains égards, le résultat global de l'opération est quelque peu pernicieux. Il me semble que dans un certain nombre de cas, le poids mort total est souvent le plus minime quantitativement et donc le plus facile à compenser, lorsque la demande du produit a le moins d'élasticité.
Á (1145)
Prenons un exemple: un cas de fusion de deux entreprises qui sont seules à produire un médicament d'importance vitale, l'entreprise fusionnée peut décider de hausser le prix de ce médicament, la perte de poids mort serait passablement faible et la demande pour son produit demeurerait probablement assez constante. Notez bien que le transfert des richesses des consommateurs pourrait être considérable, selon l'ampleur de la hausse de prix.
Par contre, pour un autre produit dont la demande est plus élastique—des PlaySations 3, par exemple—la réduction de production sera plus grande s'il y a une hausse des prix et par conséquent, la perte de poids mort serait probablement plus marquée et les efficiences plus grandes. Par ailleurs, en raison de l'incidence sur la production, la société fusionnée serait peut-être moins disposée à majorer ses prix.
Comme je le disais, nous avons donc une situation bien insatisfaisante, avec une proposition de tout ou rien selon l'interprétation donnée à la défense et je crois qu'il est fort peu probable qu'on l'invoque, selon son interprétation actuelle.
Il y a d'une part le nombre très élevé d'efficiences qui doivent être générées pour qu'elles puissent surpasser les effets négatifs d'une fusion, qui amoindrissent substantiellement la concurrence, et d'autre part, la grande difficulté de démontrer avant que la fusion se produise que les efficiences spécifiques au fusionnement qui devraient en découler se concrétiseront d'une manière fiable.
J' ai le regret de dire qu'à cause de tout cela, les efficiences ne seront plus du tout prises en compte dans le processus d' examen d'un fusionnement, puisqu'ils ne figurent pas dans la liste des facteurs à considérer dans l'évaluation de la légalité d'un fusionnement, en vertu de l'article 93.
Je dis que c'est regrettable parce que, outre le fait que les efficiences réalisées sont l'un des principaux objectifs de la concurrence, elles peuvent souvent stimuler une concurrence accrue dans un marché touché, ce qui fait en sorte qu' un fusionnement qui au premier abord peut sembler nuire à la concurrence, parce que le nombre de concurrents sera réduit pourrait très bien, au bout du compte, stimuler la concurrence quand la société fusionnée qui réalise des efficiences en raison du fusionnement en fera profiter le marché, faisant ainsi pression sur ses concurrents qui devront s'efforcer de faire les mêmes économies ou les mêmes gains d'efficience, pour avoir des prix concurrentiels.
Les efficiences permettent aux entreprises d'augmenter leurs marges de profit sans augmenter les prix, et peuvent même augmenter leur marge de profit absolu tout en réduisant les prix. On peut donc dire que dans bien des cas, les efficiences sont avantageuses pour la compétitivité. Il n'en va pas toujours ainsi, mais c'est l'un des résultats possibles, en plus de la réalisation de l'objectif avoué de gains d'efficience.
Il y a à mes yeux un autre aspect important des efficiences, qui n'a rien à voir avec la défense invoquée à l'article 96: elles servent souvent à expliquer de manière positive les raisons pour lesquelles les parties ont conclu la transaction, bien éloignées de ce qu'on peut présumer autrement, soit simplement leur désir d'augmenter leur part de marché. Il en résulte des conséquences importantes sur les effets probables d'un fusionnement sur la concurrence puisque, si c'est ce genre d'objectif qui est visé, le fusionnement n'aura peut-être pas les effets graves qu'on pourrait autrement lui attribuer.
Á (1150)
Je crois que c'est important, puisque les fusionnements sont souvent motivés par l'objectif de ces gains d'efficience. Nous en reparlerons sans doute, mais dans bien des secteurs les entreprises sont inefficientes, parce que leur usine est trop grosse pour répondre à la demande, alors qu'assimilées à un concurrent, elles pourraient être plus efficientes.
Je crains que tant que les efficiences continueront d'être prises en compte dans le contexte de l'article 96, elles seront exclus de l'évaluation des fusionnements. C'est du moins ce que j'ai constaté en pratique, même lorsque le bureau tenait compte de la défense en vertu de l'article 96, lorsque le efficiences pouvaient être compensées uniquement par la perte de de poids mort. Je ne me souviens pas d'un seul dossier où on est arrivé à cette conclusion.
Là où je veux en venir, c'est que vous devriez envisager d'abroger l'article 96 et d'intégrer les gains d'efficience à l'article 93, soit celui qui fixe pour le tribunal les éléments à considérer avant de permettre ou non le fusionnement.
Au sujet des efficiences, la situation est aggravée par l'attitude de ceux qui veillent à l'application de la loi, qui d'après mon expérience, reconnaissent les gains d'efficience d'une manière mesquine, pour reprendre l'expression employée par l'ancien président de la FTC, quand ce n'est pas carrément cynique. Il est vrai que dans la plupart des cas, nous faisons une évaluation prospective et quand le fusionnement ne s'est pas produit, on peut de manière assez responsable les évaluer.
Par ailleurs, je crois qu'il doit y avoir une symétrie entre, d'une part, les critères d'évaluation des chances d'efficiences générées par un fusionnement, et d'autre part, les risques d'affaiblir la concurrence. Je ne crois pas qu'on réponde actuellement à cette norme.
Comme l'a dit Roger, la position américaine est assez proche de la mienne. Les Américains en sont venus à cette conclusion. On le voit dans le guide intitulé Horizontal Merger Guidelines publié conjointement par la FTC et le ministère de la Justice, modifié en 1997.
Dans certains cas, on a reconnu précisément qu'il convenait que les tribunaux tiennent compte des efficiences, en évaluant la légalité d'un fusionnement. Tout récemment, dans l'affaire Heinz, même si les efficiences n'ont pas suffi à sauver le fusionnement, la Federal Court of Appeal, l'instance supérieure en la matière, a récemment confirmé que ce facteur pouvait être pris en compte, et a cité les lignes directrices relatives au fusionnement.
Aux États-Unis, il n'est pas vraiment question d'une situation du tout ou rien, comme ici. On reconnaît la pertinence des efficiences. J'aimerais qu'on adopte la même attitude ici.
Dans mon document, je présente les efficiences dans le contexte des autres dispositions de la loi, mais qui n'ont pas la même importance, mais je crois que nous avons un problème en matière de fusionnements.
Je m'arrête ici pour l'instant.
Á (1155)
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup, monsieur Kennish.
Je donne maintenant la parole à M. Crampton.
M. Paul Crampton: Merci, monsieur le président et messieurs et mesdames, membres du comité.
J'aimerais commencer par vous parler de deux choses d'ordre général. Tout d'abord, au sujet des fusionnements, c'est avec réticence que j'en suis venu à la conclusion que la meilleure attitude au sujet des efficiences et qui de l'avis de nombre d'entres nous était envisagée à l'article 96 de la loi doit être repensée, et pas seulement mise au point.
Deuxièmement, je voudrais parler d'autres choses que les fusionnements, soit des abus de position dominante ou entraves horizontales non criminelles, si on opte finalement pour l'approche à deux volets présentée dans votre rapport intérimaire, outre les entraves verticales. Je pense qu'il serait avantageux pour l'économie canadienne d'intégrer dans la loi un rôle explicite de considération des efficiences lorsqu'il s'agit de juger si une conduite doit ou non être interdite. Je ne crois pas qu'il soit judicieux d'intégrer dans une disposition criminelle de la loi la défense des efficiences. Ce ne serait tout simplement pas pratique, étant donné le fardeau de la preuve en droit criminel.
Comme vous le reconnaissez dans votre rapport intérimaire, une loi sur la concurrence doit tenir compte des cadres analytiques les plus modernes. Voilà ma première proposition.
La deuxième proposition, qui semble aussi acceptée dans le rapport intérimaire, porte que la concurrence ne soit qu'un moyen pour atteindre un objectif, soit de meilleurs produits à des prix inférieurs et un niveau de vie moyen supérieur pour les citoyens, dans notre économie.
La combinaison de ces deux propositions attribue un plus grand rôle à la prise en compte des efficiences dans la loi. Je suis donc d'accord avec M. Ware à ce sujet.
Comme certains d'entres vous le savent peut-être, j'ai beaucoup écrit au sujet des efficiences, surtout en matière d' analyse des fusionnements. J'ai aussi été le principal auteur des lignes directrices du bureau sur l'application des règles relatives au fusionnement, en 1991. À l'époque, et à la fin des années 80, quand j'ai rédigé mon livre où je consacre tout un chapitre à la question des efficiences et à l'analyse des fusionnements, particulièrement en regard de l'article 96 de la loi, j'étais un grand partisan de ce que M. Ware et M. Kennish ont appelé «l'approche du bien-être total» au sujet des efficiences. C'est l'approche adoptée dans la partie 5 des lignes directrices sur les fusionnements, actuellement suspendues. C'est aussi celle qui a été adoptée par le tribunal de la concurrence dans sa première décision dans l'affaire Superior Propane-ICG Propane. Comme vous le savez sans doute, cette approche a été rejetée par le tribunal d'appel, dans la même affaire, l'an dernier.
Pour que nous comprenions bien les concepts de base, je vous les résume: Dans le cadre de l'approche du bien-être total, le Tribunal de la concurrence ne pourrait pas émettre d'ordonnance relativement à un fusionnement anticoncurrentiel si l'on constate que l'effet global sur l'économie pourrait être positif. Autrement dit, si le gain pour les producteurs qui résulte des économies de coût et les autres gains d'efficience découlant du fusionnement sont supérieurs à la perte pour la société qui peut-être attribuée aux effets anticoncurrentiels, le Tribunal ne pourrait pas émettre d'ordonnance au sujet de ce fusionnement.
Dans cette analyse très compliquée, les transferts de richesses des consommateurs aux producteurs sont traités comme neutres, puisqu'ils n'ont pas d'effet sur l'ensemble de la richesse pour l'économie. Cette proposition peut en étonner certains parmi vous, mais je vous assure qu'il s'agit là d'un principe fondamental en économie du bien-être. Il reste que, comme nous savions que certains y trouveraient à redire, à tout le moins, nous avons longuement réfléchi avant d'adopter finalement cette approche dans nos lignes directrices. Nous l'avons adoptée parce que c'était la seule qui à notre avis pourrait revitaliser l'article 96 en lui donnant un rôle utile dans une politique sur les fusionnements. En bref, nous estimons que toute autre interprétation plausible de l'article 96 rendrait cette disposition pratiquement inutile.
 (1200)
Ce qu'il faut que vous sachiez, c'est que même avec l'interprétation favorable aux entreprises adoptée dans les lignes directrices sur les fusionnements, soit l'approche de bien-être total, l'article 96 n'a pratiquement pas joué de rôle utile dans les analyses de fusionnement au cours des 15 dernières années. Je devrais dire depuis 10 ans, puisque les lignes directrices ont été énoncées en 1991. C'est parce qu'aucun fusionnement n'a satisfait aux critères fixés dans les lignes directrices.
Avec du recul, je crois que l'approche de bien-être total envisagée dans les lignes directrices était vouée à l'échec, en grande partie parce que les efficiences devaient être déterminées en fonction d'une prépondérance des probabilités. C'est une norme de preuve trop élevée, à mon avis, puisque les entrepreneurs ne font pas habituellement d'études détaillées des épargnes qui pourraient résulter d'un éventuel fusionnement.
On peut en dire autant des autres formes de collaboration avec les concurrents et des pratiques de distribution verticale. En fait, les avocats qui connaissent le droit de la concurrence conseillent aux gens d'affaires de ne pas échanger ce genre d'informations de nature délicate du point de vue de la concurrence, qui seraient nécessaires pour procéder à une analyse détaillée des efficiences.
La réalité, c'est que les entrepreneurs entrevoient d'instinct les avantages d'un fusionnement, et souvent, c'est l'équipe des gestionnaires, des employés et des conseillers de l'extérieur qui ont la tâche d'effectuer les calculs qui permettront d'arriver à une estimation très précise des diverses catégories d'économies possibles ou probables. Mais ces estimations ne satisferaient jamais la norme de preuve exigée par les tribunaux, et les entraves aux fusionnements seraient encore plus insurmontables.
Il y a peut-être une deuxième, et peut-être plus importante raison pour laquelle je ne suis plus en faveur de l'approche décrite dans la partie 5 des lignes directrices sur les fusionnements, actuellement suspendue. L'examen politique de la Loi sur la concurrence, particulièrement des dispositions relatives aux fusionnements, s'est beaucoup accru depuis 10 ans, au point que si on permettait, en fonction des efficiences, qu'ait lieu un fusionnement anti-concurrentiel notoire, le Parlement modifierait à mon avis rapidement l'article 96, pour qu'il ne joue plus aucun rôle dans la mise en oeuvre des politiques en matière de fusionnement.
Par exemple, et sauf votre respect, si l'article 96 était modifié comme on l'envisage dans le projet de loi C-248, je crois qu'il ne serait plus utile. Si cette interprétation favorable aux entreprises, moins sévère que le projet de loi C-248, n'a jamais joué de rôle concret en 10 ans, comment croire qu'une disposition fixant des critères plus exigeants puisse être vraiment utile?
J'en conclus donc que le meilleur moyen de faire jouer un rôle utile aux efficiences dans une analyse d'un fusionnement, c'est de modifier l'article 96 comme je le proposais dans le document que je vous ai présenté l'automne dernier.
En résumé, je recommande que le paragraphe 96(1) soit modifié pour empêcher le tribunal de la concurrence d'émettre une ordonnance au sujet d'un fusionnement, s'il estime que le fusionnement pourrait avoir pour résultat des gains d'efficience substantiels et concrets, compte tenu des effets probablement anticoncurrentiels du fusionnement, qui ne pourraient pas être obtenus s'il y avait une ordonnance contre le fusionnement. On recommanderait alors au tribunal d'accorder une attention particulière aux gains d'efficience dynamiques et aux effets anticoncurrentiels dynamiques, dans les critères d'évaluation du paragraphe 96(1).
Comme je le disais dans mon document, on pourrait très bien inclure cette défense dans les dispositions relatives aux abus de position dominante de l'article 79, et dans toute nouvelle disposition civile portant sur les entraves horizontales. Cette dernière recommandation concorde avec celle que vous avez formulée dans votre rapport intérimaire et je crois qu'elle est très sensée, puisqu'il n'y a pas de base analytique justifiant la défense d'efficiences pour les fusionnements, et rejetant la même défense pour les autres formes de collaboration.
 (1205)
Si vous accordez cette défense pour la forme ultime de collaboration, soit le fusionnement, il faut le faire pour des formes de collaboration où l'intégration est moins poussée. De même, s'il faut conserver les dispositions sur les intrants verticales des articles 77 et 61, je crois qu'il conviendrait d'y ajouter une défense semblable.
Quelque soit la méthode retenue, elle doit être applicable. À mon avis, c'est le principe prioritaire. Le compromis essentiel consistera à équilibrer la certitude et la prévisibilité, par rapport à ce qui est réaliste et pratique, étant donné les considérations commerciales et les outils dont dispose le bureau.
La Cour d'appel fédérale nous a dit qu'on ne peut pas arriver à un équilibre ou une considération mécaniste des efficiences et qu'il y aura des incertitudes et une certaine subjectivité. Cela semble inévitable. Je crois qu'il vous incombera d'élaborer un cadre qui donne un rôle significatif à la prise en compte des efficiences, tout en limitant la subjectivité. Personnellement, je crois qu'il vous faut éviter toute méthode qui placera le tribunal dans une impasse en l'empêchant d'émettre une ordonnance dans le cas d'un fusionnement anticoncurrentiel qui fait les manchettes. Nous avons déjà essayé cette approche, et cela n'a pas fonctionné, comme on l'a constaté dans l'affaire Superior Propane; c'est exceptionnellement complexe. La méthode doit être plus simple, plus pratique.
À mon avis, et avec tout le respect que je dois à M. Kennish, si on ajoute les gains d'efficience comme élément à considérer dans l'article 93, ce ne serait valable que pour déterminer si un fusionnement risque de réduire substantiellement la concurrence. Par exemple, s'il y a un fusionnement dans un secteur en déclin, dont l'exemple le plus connu est le secteur du fiacre, et que vous vouliez permettre le fusionnement pour éviter la perte de centaines de milliers d'emplois, qui se produirait en cas d'interdiction du fusionnement, il n'y aurait pas d'issue. Il n'y aurait pas cette soupape de sûreté. Je vous déconseille donc cette solution.
Merci beaucoup. C'était mes propos liminaires.
 (1210)
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup.
Nous passons maintenant aux questions. Commençons avec M. Bergeron.
[Français]
M. Stéphane Bergeron: Merci, monsieur le président.
En réponse à une question que lui posait M. St. Denis tout à l'heure, M. Russell nous disait que le régime de protection de la concurrence au Canada était probablement le meilleur au monde. À telle enseigne qu'autour de la table, plusieurs d'entre nous se sont demandé à la blague ce que nous faisions ici à essayer d'améliorer le Loi sur la concurrence si, de toute façon, le régime en place est le meilleur au monde. Mais comme tout est perfectible dans la vie, on poursuit le travail, et on a évidemment entrepris cette deuxième table ronde. J'en arriverais peut-être à une question tout aussi existentielle que celle que nous nous sommes posée tout à l'heure.
Compte tenu que la Cour suprême doit rendre une décision dans l'affaire Superior Propane, dans quelle mesure ce comité est-il habilité à étudier ou à faire des propositions sur toutes les questions touchant les gains en efficience dans le cas d'un fusionnement? Est-ce qu'il ne serait pas plus avisé pour nous d'attendre que la Cour suprême rende son jugement, sa décision, pour ensuite pouvoir éventuellement faire des propositions?
[Traduction]
M. Paul Crampton: Je vais essayer de répondre.
Pour commencer, c'est certainement une bonne idée d'attendre de voir ce que le Tribunal de la concurrence aura à dire, mais il faut garder à l'esprit que le Tribunal de la concurrence a un mandat très limité actuellement, soit de déterminer quel est le sens «effets» à l'article 96 de la Loi sur la concurrence. Ce dont nous parlons ici—ce dont je parle, du moins—c'est d'un remaniement substantiel de l'article 96.
Je crois que vous avez entendu mes deux collègues affirmer que quelque soit l'interprétation donnée par la Tribunal de la concurrence, la prise en compte des efficiences n'aura pas un rôle significatif. Par conséquent, mieux vaut passer à autre chose, puisqu'il faudra de toute façon le faire un jour.
Vous allez présenter un rapport final au Parlement, très bientôt, si j'ai bien compris, et beaucoup d'eau passera sous les ponts avant que vous ayez une autre occasion de réexaminer la Loi sur la concurrence. Je vous encourage donc à vous exprimer au sujet des efficiences tout en respectant le tribunal et le fait qu'il est actuellement saisi de la question. Je suis persuadé que vous pouvez y arriver, d'une manière convenable.
M. Tim Kennish: Simplement pour renchérir sur ce qu'a dit mon ami, je pense que la pièce est jouée. La Cour fédérale d'appel a tranché. La Cour suprême du Canada a refusé la permission d'interjeter appel de ce jugement. Par conséquent, la décision rendue par la Cour fédérale d'appel sur la question de savoir si la norme relative à l'excédent total est suffisante pour arriver à ce compromis, cette décision demeure entière. Je suis d'accord avec Paul. À mon avis, tout autre effet qui doit être pris en compte pour pouvoir invoquer cette défense va être tel que la portée des efficiences significatives au titre de la loi va diminuer au point de disparaître. Personnellement donc, moi je n'attendrai pas.
M. Roger Ware: Pourrais-je ajouter un ou deux éléments?
Pour commencer, contrairement à Tim, je ne suis pas aussi convaincu que la pièce soit effectivement jouée. Je pense que le tribunal pourrait encore nous donner quelques ratiocinations intéressantes au sujet de toutes les orientations qu'on lui a demandées d'examiner. Mais, comme mes deux collègues, je dirais que quelle que soit la décision finale du tribunal, cette décision va exiger une remise en question totale du rôle des éfficiences, en commençant par un réexamen de l'article 96.
Je suis donc en complet accord avec Paul Crampton pour dire que moi aussi, je pense qu'il est fondamental pour nous de ne pas essayer de pinailler sur la loi et sur l'article 96 sous sa forme actuelle, et de foncer tête baissée comme un Titanic vers notre prochain désastre, le dossier Superior Propane. Nous devrions plutôt tenter de reformuler notre conception des efficiences, et il y a plusieurs façons de le faire. Il est certain qu'il faudra apporter certaines modifications à l'article 96, voire l'éliminer entièrement.
 (1215)
[Français]
M. Stéphane Bergeron: Si on accepte l'idée selon laquelle ce comité doit procéder à des modifications à la loi touchant les gains en efficience dans les cas de fusionnements, je regarde les différentes propositions que vous avez avancées et je retiens de celle de M. Kennish qu'on suggère, à toutes fins utiles, l'abrogation pure et simple de l'article 96. On propose d'ajouter, à l'article 93, des directives explicites à l'égard des efficiences dans la liste des facteurs devant être pris en compte dans l'évaluation du tribunal du fusionnement en question. Mais vous dites qu'on doit rejeter d'emblée le principe de l'excédent total.
J'aurais le goût de vous poser trois questions, en fait. La première question est la suivante: pourquoi devrions-nous rejeter du revers de la main le principe de l'excédent total?
Ensuite, vous dites dans votre présentation qu'il est mieux de considérer les efficiences comme un facteur devant être pris en compte dans le cadre de l'évaluation des effets anticoncurrentiels d'un fusionnement plutôt que de les traiter uniquement comme un moyen de défense pour contrecarrer une opération de fusionnement autrement illégale.
Je ne suis pas certain que ce soit nécessairement très clair comme affirmation. Alors, je vous demanderais d'élaborer sur la question.
Troisièmement, quelle est votre position par rapport à la proposition d'amendement de M. Crampton à l'article 96, la proposition qu'il nous a présentée il y a quelques instants? Que pensez-vous, plutôt que de l'abroger purement et simplement, de l'idée d'en arriver à un amendement comme celui que nous proposait M. Crampton?
[Traduction]
M. Tim Kennish: Merci beaucoup. Je vais tenter de répondre aux questions dans leur ordre chronologique.
Pourquoi devrions-nous rejeter la norme de l'excédent? Comme je l'ai déjà dit, j'ai quelques réserves quant à la façon dont cette norme est utilisée, mais je ne suis pas économiste. Je dirais qu'elle a été mise de côté parce que la Cour fédérale d'appel a jugé que cette notion n'était pas suffisamment large pour prendre en compte l'intégralité des effets qui sont censés être couverts par l'article 96. Voilà donc la raison pour laquelle à mon avis, cela ne marche pas dans ce cas-là.
Peut-être pourriez-vous réécrire la loi d'une façon différente de manière à rétablir cette optique, comme Paul l'a suggéré. Je pense que les gens risquent de garder en-travers de la gorge une norme qui permet aux fusions de se faire et aux prix d'augmenter au niveau du consommateurs, et voilà tout le monde est content. À mon avis, les gens considèrent que la Loi sur la concurrence et les lois antitrust doivent prémunir les consommateurs des augmentations de prix discrétionnaires imposés par ceux-là qui, par toutes sortes de combinaisons, se concertent pour faire augmenter les prix.
Vous me demandez également si nous tenons compte des efficiences et si nous nous demandons bien si telle ou telle fusion ne risque pas de produire des effets anticoncurrentiels qui devraient être interdits. Vous n'avez pas compris de quelle façon les efficiences entrent en ligne de compte à ce niveau. Je pense qu'elles interviennent de plusieurs manières.
Pour commencer, lorsqu'on veut des marchés concurrentiels efficaces, c'est d'une part qu'on présuppose, et je pense que la preuve en a sans doute été faite, qu'un marché fonctionne plus efficacement si la concurrence peut s'y exercer de façon normale. Voilà donc l'un des produits de la concurrence. Si la concurrence est un petit peu entravée, vous obtenez en même temps des efficiences qui risqueraient sinon de ne pas exister. Ceci compense donc cela. Et à mon avis, cela vaut pour l'ensemble.
Par ailleurs, certaines des efficiences ainsi obtenues vont vraisemblablement se retrouver sur le marché sous forme de prix plus bas, de nouveaux produits ou d'autres développements qui vont avoir pour effet d'exercer des pressions sur le milieu concurrentiel, sur les compagnies rivales qui seront alors poussées à réaliser le même genre d'éfficiences. Je pense donc que tout cela est valable dans ce genre de contexte. Je ne veux pas pour autant laisser entendre que là où ces efficiences sont simplement traitées comme un facteur, elles devraient pouvoir permettre de tronquer une fusion qui serait sinon considérée comme contraire à la concurrence. Mais je pense néanmoins que cela est pertinent. À mon avis, elles ne sont pas prises en compte, et c'est la raison pour laquelle je vous dis qu'il y a une façon de les intégrer.
En troisième lieu, tout comme dans le cas de la solution avancée par Paul, je dois avouer que je n'ai pas lu son texte et que je ne connais donc pas bien ce concept. Je l'ai écouté l'exposer, et j'ai eu l'impression qu'il pourrait donner lieu à des problèmes d'interprétation similaires, ce qui ferait qu'on pourrait difficilement avoir la certitude de pouvoir arriver là où il voudrait arriver dès lors que les tribunaux en auront terminé. Mais il faudrait que j'étudie cela de plus près.
 (1220)
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Je vous remercie.
Monsieur Savoy.
M. Andy Savoy: Merci, monsieur le président.
S'agissant des pratiques anticoncurrentielles au niveau des prix—je m'écarte un peu ici de la question de la fusion—et plus particulièrement des pratiques verticales de maintien des prix et de discrimination par les prix, dont vous avez d'ailleurs parlé au cours d'une table ronde précédente, un certain nombre d'arguments avaient été avancés. D'aucuns disent que, comme nous considérons ces deux pratiques verticales, le maintien des prix et la discrimination par les prix, comme des infractions pénalement punissables, cela dissuade les entreprises qui donnent l'impression de se livrer à cette pratique.
Pour leur part, les détracteurs font également valoir autre chose dès lors qu'on leur explique que les pratiques verticales de maintien des prix et de discrimination par les prix peuvent bien souvent avoir pour effet d'améliorer les efficiences et de renforcer la concurrence. Quels exemples pourrait-on donner pour renforcer l'argument comme quoi les compagnies qui se livrent à des pratiques verticales de maintien des prix et de discrimination par les prix font effectivement quelque chose qui pourrait stimuler la concurrence et les efficiences? Comment pourrions-nous étayer cet argument?
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Ware, vous vouliez intervenir auparavant. Peut-être pourriez -vous combiner les deux.
M. Roger Ware: Pourrais-je commencer par répondre à la question de M. Bergeron?
À ce sujet, je voudrais faire valoir une ou deux choses. Pour ce qui est de votre question—pourquoi rejeter l'excédent total—à mon avis, nous ne devrions pas le rejeter, ou à tout le moins refuser de l'utiliser comme un outil analytique, comme un cadre de référence pour étudier les effets des fusions.
Je me sens contraint de répondre à un argument de Tim Kennish, et j'ai d'ailleurs déjà écrit quelque chose à ce sujet ailleurs. L'affaire Superior Propane a fait croire à tort que l'argument de l'excédent total permettra de faire approuver ou accepter plus facilement les fusions entre produits dont la demande n'est pas élastique. Cela, comme je l'ai écrit, est totalement faux. En réalité, ce serait plutôt le contraire, et pour une raison très simple d'ailleurs.
Lorsque vous avez deux produits inélastiques... prenez le cas d'un médicament utile dans le cas d'une maladie potentiellement mortelle. Deux compagnies seulement le fabriquent, et ces deux compagnies se proposent de fusionner. Elles aimeraient sans doute augmenter les prix suite à la fusion. Dans un cas comme celui-là, la perte de poids mort augmenterait en fonction de l'inélasticité des demandes. En d'autres termes, plus le produit est inélastique, plus la perte de poids mort sera importante, plutôt que le contraire. Et il est beaucoup moins probable qu'une telle fusion soit approuvée, plutôt que le contraire. À cet égard, tout ce que je voulais faire, c'est me porter à la défense de la notion d'excédent total.
En second lieu, tout comme Paul Crampton, je préconise depuis un certain temps l'utilisation du critère de l'excédent total lors de l'examen des fusions, et j'ai d'ailleurs écrit sur la question. Je n'ai pas changé d'avis de la même façon que Paul, mais j'ai néanmoins une opinion très nette que je voudrais faire valoir. J'ai l'intime conviction que la formule de l'équilibrage qui a été préconisée dans le dossier du propane donne un poids variable aux effets d'affaiblissement de la concurrence au niveau des consommateurs et à l'effet d'amélioration des efficiences au niveau des producteurs.
À mon sens, ce genre de formule est non seulement inutile, elle est également dangereuse car elle conduit à demander au tribunal de faire preuve de beaucoup trop de pouvoir discrétionnaire. Le message général qui s'en dégage, à mon sens, est que même si la Cour d'appel fédérale a préconisé une formule plus souple que celle de l'excédent total—sans pour autant dire de quoi il s'agissait—la souplesse est à mon avis un élément dangereux parce qu'elle signifie que dans un cas d'espèce, un tribunal va prendre en compte par exemple l'effet sur la petite entreprise alors qu'un autre tribunal composé de membres différents et appelé à juger d'une cause différente pourrait prendre en compte ce qu'il jugerait être la création d'un monopole. On risquerait alors de voir disparaître toute uniformité et je préférerais personnellement une formule basée sur le critère de l'excédent total parce que cela au moins nous donnerait une certaine uniformité dans les décisions.
Par ailleurs, pour revenir sur quelque chose que Paul Crampton avait signalé, l'affaire Superior Propane est une affaire qui, disait-il, était impensable—il s'agissait, je vous le rappelle, d'une augmentation de prix anticoncurrentielle avec un gain d'efficience démesuré. Et bien sûr, comme Paul l'a dit, cela ne pouvait pas être accepté. Eh bien, cela n'a pas été accepté, et à cet égard il avait raison. Mais je dirais que si la Cour d'appel fédérale avait tranché dans l'autre sens, l'affaire serait close. Il y aurait toujours l'article 96. Les directives concernant les fusions, c'est-à-dire l'article 96, auraient été confirmées et je ne pense pas que les gens seraient montés aux barricades pour en discuter.
 (1225)
Excusez-moi d'avoir ainsi détourner l'attention de votre intervention, mais je voulais dire un mot sur l'excédent total.
J'aurais une toute petite chose à dire au sujet de votre question. Comme vous le savez j'imagine, les économistes soutiennent depuis plusieurs dizaines d'années que les restrictions verticales de toutes sortes, y compris le maintien du prix de revente et toute la gamme des accords d'exclusivité ont autant de chance d'être pro-concurrentielles qu'anti-concurrentielles. À mon avis donc, c'est le genre de chose qu'il faut évaluer selon la règle du bon sens ou à tout le moins en fonction du droit civil plutôt que du droit pénal.
Le critère que je me plais à utiliser et auquel j'exhorte mes étudiants à réfléchir est celui-ci: imaginez une relation verticale, mettons entre un fabricant et un distributeur, et supposez que le distributeur appartienne au fabricant. Pensez à Sony, alors qu'il a des magasins dans les centres commerciaux. Supposez donc que le fabricant soit le propriétaire du distributeur. Le fabricant peut donc décider de la façon dont son produit sera vendu, décider de son prix par exemple, de la qualité du personnel du magasin et des compétences des vendeurs. Le fabricant peut décider de tout, jusqu'au genre d'éclairage dans le magasin. Pourtant, nous ne considérerions pas cela comme un comportement anti-concurrentiel, alors pourquoi le considérer comme tel si Sony essayait de faire la même chose mais dans une relation ordinaire de fournisseur à distributeur?
Quoi qu'il en soit, c'est tout ce que j'avais à dire pour l'instant, je crois.
 (1230)
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Crampton.
M. Paul Crampton: Je vous remercie.
Je voudrais revenir à la question de M. Savoy. Si j'ai bien compris, M. Savoy demandait comment il se pouvait qu'une pratique verticale de prix imposé ou de discrimination par le prix pouvait être favorable à la concurrence. Prenons le cas de la discrimination par le prix. À l'heure actuelle, admettons que vous soyez un fournisseur et que M. Kennish et moi-même achetions tous les deux une quantité semblable de ce que vous produisez, vous ne pouvez pas accorder un rabais à l'un des deux seulement. Bon, les directives d'application en matière de discrimination par les prix du Bureau de la concurrence permettent une petite exception, qui n'est toutefois pas exécutoire au niveau d'un tribunal, de sorte qu'en cas de poursuites privées, celui-ci ne serait pas tenu de les prendre en compte. Je pense que c'est M. Wong qui, ce matin, laissait entendre qu'il avait eu quelques difficultés au niveau de l'interprétation découlant des directives.
En deux mots donc, mettons que je vienne vous trouver et que je vous dise écoutez, je vais prendre livraison de votre produit chez-vous ou je vais le mettre en entrepôt ou je vais faire ceci ou cela pour vous, ce qui va vous faire économiser de l'argent, à condition que vous me donniez des conditions favorables. On pourrait dire que, à ce moment-là, c'est un peu comme un rabais que vous me consentez parce que j'ai fait quelque chose qui stimule la concurrence. Peut-être suis-je aussi meilleur négociateur. Ou encore parce que je suis prêt à faire quelque chose pour vous sur un marché différent, peut-être acheter davantage chez-vous sur un marché différent, mais seulement si vous me donnez un meilleur rabais.
Tout cela gèle un peu le processus de négociation: je ne peux pas négocier avec vous parce qu'on vous en empêche. Vous vous rendriez coupable d'un délit si vous me consentiez un meilleur rabais. Tout le processus de concurrence qui se déroulerait normalement entre le fournisseur et son client se trouve comme gelé. Il y a là un exemple tout fait pour vous.
Pour ce qui est des régimes verticaux de prix imposé, un bon exemple serait par exemple, dans l'industrie de l'électronique, que quelques uns d'entre vous aillent à Bay Bloor Radio. Vous pouvez vous asseoir, vous pouvez aller dans une cabine et écouter toutes sortes de haut-parleurs différents. Vous pouvez également écouter des lecteurs de disques audio numériques et juger de la différence de qualité entre les systèmes. Mais cette salle spéciale coûte beaucoup d'argent à Bay Bloor Radio. Alors admettons qu'un autre détaillant s'installe un petit peu plus loin et vende exactement le même matériel mais à un prix considérablement réduit, Bay Bloor Radio ne pourrait plus se permettre de continuer à offrir ce service aux consommateurs.
Cela étant, la théorie veut qu'en offrant ce genre de service aux consommateurs, la demande augmente pour le produit en question étant donné que, puisqu'il peut tester le produit, le consommateur est davantage en confiance. Souvenez-vous, lorsque les ordinateurs ont commencé à apparaître sur le marché, beaucoup de gens ont eu de mauvaises expériences parce qu'ils s'étaient adressés aux magasins à rabais, ils y avaient acheté leur matériel, ils n'avaient aucune formation, ils se sont brûlés les doigts, et puis ils ont dit à qui voulait bien l'entendre que ces produits ne valaient rien. Voilà qui n'encourage nullement la bonne volonté du fabricant et qui ne fait pas augmenter la demande pour le produit.
Pour ce qui est donc de l'élément pro-concurrentiel, le régime du prix de revente imposé donne aux concessionnaires la marge bénéficiaire nécessaire pour pouvoir investir dans d'autres services qui leur permettront de faire augmenter la demande. Un économiste vous dirait que lorsqu'on fait augmenter la demande pour un produit, on fait également augmenter la richesse globale de l'économie, de sorte que c'est là quelque chose qui favorise la concurrence.
Il y a également...S'il y a ce genre de restriction imposée dans le cas d'une marque, mettons que je vende des ordinateurs Compaq et que j'empêche mes revendeurs de réduire le prix de vente afin de limiter la concurrence entre les concessionnaires Compaq. Cela permet aux détaillants d'investir de manière à accroître la concurrence entre les ordinateurs Compaq, les ordinateurs IBM et les ordinateurs Dell, par exemple. Les gens vont donc choisir leur modèle d'entreprise. Dell distribue ses produits directement sans passer par des détaillants et son infrastructure de service est invisible. Compaq préfère écouler ses produits par l'intermédiaire de détaillants qui sont des concessionnaires et offrant différents modèles qui se font concurrence.
Un régime de prix de revente imposé permet précisément ce genre de concurrence. En en faisant un délit, on se trouve à décourager ce genre d'initiative pro-concurrentielle.
 (1235)
Par ailleurs, je pense depuis longtemps que cette distinction entre un régime vertical de prix imposé et d'autres formes de pratique verticale ayant un effet indirect sur les prix est artificielle. Je puis vous dire qu'il y a un territoire en Ontario, il y a un territoire au Manitoba et il y a un territoire en Saskatchewan. L'existence de ces territoires distincts vous permet de soulager certaines pressions au niveau des prix qui existeraient s'il y avait deux détaillants en Ontario et deux détaillants au Manitoba. Ici, il n'y a qu'un détaillant pour mon produit.
Cela a pour effet de produire le même impact qu'un régime de prix imposé, si ce n'est que c'est couvert par la réglementation. Pourquoi donc vouloir faire la différence en droit entre une mesure restrictive verticale ne concernant pas les prix et une mesure de contrôle des prix alors qu'au bout du compte, les deux ont essentiellement le même effet?
J'espère que cela aura répondu à votre question.
J'aurais encore une ou deux choses.
Le président (M. Walt Lastewka): Nous allons devoir conclure, monsieur Crampton, car je veux donner sa chance à tout le monde. Nous vous reviendrons.
Monsieur Kennish.
M. Tim Kennish: Je voudrais ajouter quelque chose au sujet du régime de prix imposé. Ce que nous voyons ici, je crois, c'est en fait la différence entre la disposition pénale qui existe actuellement et une autre formule qui pourrait venir la remplacer. À l'heure actuelle, le Code criminel interdit impérativement tout régime de prix imposé, sous peine de poursuites, de sanctions, de recours en dommages-intérêts et ainsi de suite automatiqument
Mais je ne suis pas d'accord pour dire qu'une interdiction pénale se justifie, d'autant plus que la loi n'exige pas une preuve de préjudice pour la concurrence. Cela doit être une présomption. D'après ce que Paul a dit, il y a bien des cas où ce genre de choses pourraient produire des retombées favorables à la concurrence.
Dans le cas d'une pratique verticale, il ne s'agit pas d'un contrôle du prix d'un produit exercé entre tous les concurrents. Il s'agit plutôt d'un contrôle du prix et d'un positionnement du produit émanant d'un seul fournisseur qui va être rappelé à l'ordre par les autres parties prenantes du marché si ce fournisseur n'est pas en situation dominante.
Il me semble donc que ce qu'il nous faudrait ici, c'est un remède de droit civil, qui reviendrait essentiellement à examiner la chose et à juger les effets sur le marché au niveau civil en parallèle avec toutes les autres pratiques sujettes à examen qui existent déjà et, si on arrive à la conclusion que cette pratique a des conséquences préjudiciables alors oui, il faut l'interdire. Mais je ne conçois pas d'en faire quelque chose d'aussi manifestement illicite dans son application qu'il faille continuer à frapper cela d'une interdiction pénale avec toutes les sanctions lourdes qui en découlent.
Par ailleurs, je sais d'expérience —parce que cela fait des années que je travaille dans le domaine des régimes de prix imposé—qu'on ne fait pas vraiment respecter la loi de façon rigoureuse, du moins de nos jours. Le fait que le Bureau, comme l'ont montré les délibérations de la semaine dernière, a réussi à obtenir quelques condamnations au titre de cette disposition n'est pas nécessairement une raison suffisante pour vouloir la conserver.
Je vous remercie.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Je vous remercie.
Monsieur Strahl.
M. Chuck Strahl (Fraser Valley, PC/RD): Très rapidement, monsieur Ware, vous avez dit que le tribunal jouissait peut-être d'un pouvoir discrétionnaire excessif. Vous aimiez l'idée de faire de l'excédent total le critère. À votre avis, le tribunal a beaucoup trop de latitude pour ce qui est des efficiences et, par conséquent, on ne sait pas trop au juste le poids relatif qu'il va accorder à cet élément. Par contre, il y a toujours l'argument contraire voulant que, diable, le tribunal entend tout cela, il doit peser le pour et le contre et en établissant toute une jurisprudence, finalement c'est la meilleure façon d'arriver au bout du compte à un juste milieu pour tout le monde, n'est-ce pas?
Le tribunal est rempli d'experts. Un tribunal doit motiver ses décisions. Après un certain temps, il est peut-être préférable d'utiliser la jurisprudence pour déterminer quel est le meilleur juste milieu que d'essayer de refaire un texte de loi.
M. Roger Ware: C'est une opinion que je peux concevoir. C'est certain, il est souhaitable d'établir une jurisprudence, mais il n'est pas forcément utile d'avoir une jurisprudence qui présente des incohérences internes dans la mesure où un tribunal rendra une décision fondée sur un critère qui, pour lui, est important à ce moment-là, alors qu'un autre tribunal pourrait avoir à entendre un dossier différent et accorder plus de pondération à un autre critère.
Et pour taper encore un peu sur le clou, je n'aime pas beaucoup qu'on utilise la loi sur la concurrence pour manipuler la distribution du revenu. Je pense que la distribution du revenu est un secteur de préoccupation légitime pour le gouvernement et qu'il existe toute une série d'instruments, fiscaux notamment, qui peuvent précisément intervenir pour infléchir la distribution du revenu. Je ne pense donc pas que ce soit là un rôle approprié pour la loi sur la concurrence.
C'est pour cette raison que le concept de l'excédent total me plait. C'est un critère clair: il permet de faire l'adéquation entre le dollar qui, mettons, va au cultivateur de la Saskatchewan qui utilise du propane, et le dollar qui est prélevé dans les poches de l'actionnaire de la compagnie de propane. Ce critère permet l'adéquation entre les deux qui finissent ainsi par être comparables.
Ce que je crains vraiment, c'est la possibilité que le tribunal en vienne à se demander quel est le degré d'importance qu'il doit accorder au bien-être relatif de chaque partie. Je ne pense pas que ce soit au niveau des tribunaux qu'il faille discuter de ce genre de choses.
 (1240)
M. Chuck Strahl: Merci.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci à vous.
Monsieur McTeague.
M. Dan McTeague: Merci, monsieur le président.
Il va s'en dire que je m'intéresse beaucoup à la question des efficiences. On se souvient sans doute qu'il y a un certain temps la décision du tribunal—même si la décision par Superior Propane diminuerait considérablement la concurrence dans les provinces atlantiques, dans bien d'autres marchés locaux,on a utilisé la défense des efficiences la première fois pour acquérir peut-être un monopole. Du point de vue d'intérêt public, ce n'est tout simplement pas admissible.
M. Crampton a fait allusion plus tôt à mon projet de loi C-248, qui, comme nous savons, va faire l'objet d'un vote à la Chambre, et qui risque d'être renvoyé à ce comité. Je vous remercie donc de vos remarques qui sont très opportunes.
M. Kennish a proposé qu'on supprime tout simplement l'article 96. J'aimerais que vous trois me disiez si vous pensez qu'on peut prévoir une limite. J'ai déjà proposé—et cela vous intéressera peut-être, monsieur Crampton, parce qu'il s'agit du Traité de Rome, que je ne vais pas citer en entier—qu'en vertu de l'article 85 de ce traité, on limite clairement l'application de la défense des gains d'efficience: c'est-à-dire l'élimination de la concurrence. Par conséquent, même si les parties peuvent prouver que l'entente va entraîner des gains importants d'efficience, ces gains ne suffisent pas pour justifier l'élimination de la concurrence.
Plutôt que de jeter le bébé avec l'eau de bain... je sais que certains d'entre vous redoutent les conséquences qui pourraient en découler dans les cas où il y aurait peur-être des efficiences—et je ne parle pas simplement du point de vue d'un économiste qui prétend que le fusionnement de deux sociétés peut créer un monopole à 100 p. 100, avec les gains d'efficience qui sont redistribués au propriétaire de la nouvelle entité. Peut-on également envisager quelque chose qui a déjà été envisagé par le passé—monsieur Crampton vous connaissez cela peut-être mieux que moi—c'est-à-dire d'obliger que les gains d' efficience aillent aux consommateurs ou aux sociétés de ce secteur?
M. Paul Crampton: Je peux essayer de répondre à cette question.
Les États-Unis ont essayé de le faire en imposant aux parties fusionnées de transmettre les gains d'efficience aux consommateurs. Personne ne s'attend à de l'altruisme de la part des sociétés, donc aux États-Unis l'approche est la suivante: vu les économies de coûts et d'autres gains d' efficience, le niveau de production qui permet à l'entité fusionnée—qui a peut-être un monopole—de maximiser ses bénéfices correspond à un prix égal ou inférieur au prix qui existait avant le fusionnement. Le monopoleur, l'entité fusionnée, n'est pas incité à augmenter les prix à un niveau supérieur à celui qui existait avant le fusionnement. Que je sache, il n'y a pas eu un seul cas où cette norme ait été atteinte aux États-Unis, où l'économie est dix fois plus importante que la nôtre, avec dix fois plus de fusionnements par an depuis 10 ans. C'est une norme très difficile à atteindre.
Je dis tout simplement que si on ne réussit pas très bien avec une norme qui avantage les sociétés, on ne va pas réussir très bien avec une norme qui exige que les parties au fusionnement transfèrent aux consommateurs les gains d' efficience. Il va s'en dire que les sociétés ne seront pas altruistes, et s'il ne reste pas assez de concurrence pour empêcher qu'il y ait une baisse considérable de la concurrence, il n'en restera pas assez non plus pour obliger les sociétés à transmettre aux consommateurs les gains d' efficience.
Je ne voudrais pas créer un cadre réglementaire qui obligerait les sociétés à transmettre les gains d'efficience, donc la seule façon fiable de s'assurer que les sociétés vont le faire c'est d'adopter la formule utilisée aux États-Unis, qui exige que les gains en efficience soient si importants que celui qui a le monopole n'aurait pas intérêt à ne pas les transmettre aux con sommateurs.
Est-ce que cela vous aide?
 (1245)
M. Dan McTeague: Je me demandais simplement quand vous faites l'analogie avec les États-Unis...et bien entendu, utiliser les États-Unis comme modèle pose des problèmes à certains d'entre nous. C'est la raison pour laquelle j'ai soigneusement éviter de les utiliser comme exemple et ce n'est certes pas ce qu'envisageait le projet de loi C-248. Les concentrations sur le marché américain et sur le marché canadien ne sont pas comparables et encore moins lorsqu'il s'agit d'un monopole, de la création d'une monopole ou d'un monopole virtuel selon les conclusions de l'affaire Superior Propane...
Ne serait-il pas possible de faire en sorte au lieu de dire que l'on va supprimr la défense fondée sur les efficiences—qui peut être ou ne pas être valide en soi, vous devez probablement le savoir d'expérience--ne serait-il pas plus simple de déterminer si, par nécessité,on va aboutir à un monopole de fait pour toutes sortes de raisons?l ? Cela peut se justifier par des raisons de force majeure comme le prévoit l'article 93. Ne serait-il pas alors prudent de nous assurer qu'un mécanisme ou qu'une ordonnance du tribunal ou d'une instance quelconque garantisse que les consommateurs profitent des économies réalisées? Très simplement...
M. Paul Crampton: Je serais tout à fait favorable à ce qu'une sorte de mécanisme permette au Tribunal de la concurrence d'autoriser une fusion même si elle peut avoir pour conséquence de limiter la concurrence, même si elle risque d'aboutir à une situation de monopole, parce que cela concerne une industrie en perte de vitesse. C'est ce qui s'est passé dans cette affaire de chaîne de librairies. Le tribunal a ordonné la cession des magasins mais ils n'ont pu trouver acquéreur. Le fiduciaire n'a pas pu non plus.
Si cette fusion avait été bloquée, tous ces gens auraient perdu leur emploi et ces magasins auraient été fermés en l'absence de cette soupape de sécurité reconnaissant que dans certains cas... Je ne dis pas qu'il s'agissait dans ce cas d'une question d'efficacité, mais si ça avait été une question d'efficacité, cela aurait offert une soupape de sécurité autorisant ce type de fusion entre les deux derniers fabricants de fouets ou fusion dans n'importe quelle autre industrie en perte de vitesse. Je n'interdirai pas arbitrairement au Tribunal de la concurrence d'autoriser une fusion aboutissant à un monopole dans certains cas d'espèce.
Pour ce qui est des autres types de restrictions, je crois en avoir déjà parlé. Si vous les obliger à transmettre les gains, le seul moyen d'y parvenir c'est soit en créant une nouvelle structure de réglementation, dans le contexte de laquelle le commissaire s'assurerait de la transmission des gains et, en fait, en ferait une obligation et s'ils ne la respectaient pas, les assignerait à comparution pour violation d'ordonnance ou en exigeant que les gains soient si élevés qu'il ne soit même pas dans l'intérêt du monopoleur de ne pas les transmettre.
M. Tim Kennish: Je m'intéresse à l'argument de l'efficience depuis son introduction dans la loi et je crois être devenu véritablement pragmatique: je suis autant pour le verre à moitié vide que le verre à moitié plein. Donc, interdire l'argument d'efficience pour défendre un monopole me convient aussi.
Aux États-Unis, j'ai l'impression que dans l'affaire Heinz le tribunal a conclu qu'une fusion aboutissant à un duopole dépasse probablement les limites d'acceptation de l'argument d'efficience pour justifier une fusion. Cependant, je crois qu'ici en l'occurrence le vrai problème c'est que l'argument d'efficience n'est pas du tout pris en compte et je ne veux pas entrer dans le débat sur la justification de cet argument pour défendre une situation de monopole. J'aimerais que cet aspect soit considéré dans le contexte total.
À mon avis, cet aspect devrait être pris en compte. Devrions-nous autoriser cette fusion? Nous ne sommes pas absolument certains que cela soit anticoncurrentiel, mais il y a un argument d'efficience qui nous incite à penser que cela ne le sera pas, et dans ce genre d'affaires nous incite à autoriser une fusion qui n'est pas nettement anticoncurrentielle mais, très proche de la limite, et qui pourtant semble être très avantageuse du point de vue économique.
C'est en fait ce que je propose en suggérant d'oublier cet argument de défense. Considérons-le plutôt comme les États-Unis comme un facteur. Comme critère d'évaluation, il peut avoir un effet important sur l'interprétation d'une fusion, mais il n'est pas forcément décisif dans toutes les circonstances. L'efficience est un facteur comme les autres. Il devrait être pris en compte et d'après moi, ce n'est pas le cas actuellement. D'après mon interprétation de la loi, l'article 93 ne peut le prendre en compte.
 (1250)
M. Roger Ware: Je suis tout à fait d'accord avec Tim Kennish, le vrai problème c'est que ce facteur n'est nullement pris en compte actuellement. Mais je ne suis pas tout à fait prêt à me contenter d'un verre à moitié vide ou plein. Peut-être parce que je n'ai pas une expérience aussi longue que celle de Tim dans ce domaine.
Permettez-moi de dire deux choses en réponse à vos deux questions.
Premièrement, je ne suis pas favorable à un énoncé quelconque dans la loii ou ailleurs sur les conséquences de l'élimination de la concurrence, car à mon avis les monopoles ne sont pas facilement identifiables. Souvent quand on pense avoir trouvé un monopole, ce n'en est pas un.
Il y a de nombreux exemples d'industries qui sont dominées par une ou deux compagnies. Il est très difficile de trouver une industrie où une compagnie domine à 100 p. 100 le marché. Bien entendu, cela provoquerait l'éclosion d'une industrie d'avocats qui s'empresseraient de démontrer que telle ou telle industrie ne domine pas le marché à 100 p. 100 mais à 99 p. 100. Côté valeur sociale, il est évident que c'est nul.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Nous passons maintenant à M. St. Denis, et ensuite à M. Bagnell. S'il reste du temps, M. McTeague pourra poser encore une question.
M. Brent St. Denis: Merci, monsieur le président.
Merci, messieurs. Après vous avoir écoutés et avoir lu ce que j'ai déjà lu sur la question, j'ai plus tendance à croire que s'il fallait choisir entre le recours à l'argument de l'efficience soit à la fin comme argument de défense ou au début comme facteur à considérer, il faudrait en définitive faire les deux.
J'aimerais que vous me disiez si vous préférez un verre à moitié plein ou un verre plein. Dans le contexte d'une fusion cet argument d'efficience pourrait être utilisé et présenté comme un atout ou présenté comme une nécessité de succès et qu'en fin de compte c'est le consommateur qui se verrait offrir un meilleur prix, un meilleur choix, une meilleure gamme ou un meilleur service. La seule autre solution c'est l'argument de meilleurs profits pour les actionnaires ou c'est une possibilité, la crainte et le risque sans cette fusion d'une prise de contrôle par un étranger au marché.
Donc, l'argument d'efficience est-il justifié ou bien la prise en compte de l'argument d'efficience dès le début si elle ne sert pas les intérêts des consommateurs? En d'autres termes, qu'est-ce qui peut justifier cet argument d'efficience si le seul résultat c'est un gain de bénéfices pour les actionnaires ou s'il s'agit simplement de s'assurer une protection sur le marché face à un concurrent extérieur?
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Y a-t-il quelqu'un qui aimerait intervenir?
Monsieur Ware.
M. Roger Ware: J'aimerais intervenir.
À certains égards, la formule d'excédent total permet l'adéquation des gains et des pertes de toutes les parties--les consommateurs, les actionnaires et toute autre personne par cette transaction. Etil s'agit d'une adéquation équitable. Cela est certainement possible. Il existe des formules qui tiennent compte d'autres facteurs outre les consommateurs et qui bien sûr tiennent compte des actionnaires.
 (1255)
M. Brent St. Denis: Il est certes important que les actionnairestirent profit de leurs investissements, mais ne devrions-nous pas nous pencher exclusivement sur le consommateur?
M. Roger Ware: Traditionnellement, la Loi sur la concurrence a adopté une telle approche dans bien des pays. Comme Tim Kennish l'a dit, c'est surtout la position aux États-Unis.
Selon moi, si nous décidons d'abandonner la norme de l'excédent total, qui est peut-être déjà un fait accompli, eh bien, je serai d'accord avec Tim Kennish. Je crois qu'ils autont mieux adopter une norme de prix, ce qui veut dire qu'on serait prêt à accepter quelque chose pourvu que les gains d'efficience sont assez importants pour que les consommateurs puissent en tirer profit. Comme Tim a dit, j'aimerais l'ajouter à l'article 93 pour éviter d'avoir à jongler entre les articles 93 et 96.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Crampton.
M. Paul Crampton: Je n'irai pas aussi loin. Je vois la nécessité d'une défense fondée sur l'efficience pour permettre les fusionnements qui ne comprennent pas nécessairement des avantages à court terme pour les con sommateurs. C'est pour cette raison que nous avons besoin d'une défense fondée sur l'efficience. Parce que si jamais on décidait qu'un fusionnement à court terme ne doir jamais nuire aux con sommateurs, soit par une augmentation de prix ou par une gamme réduite de produits, eh bien, à ce moment-là il vaudrait mieux adopter la formule américaine, laquelle se fonde sur une norme de prix selon laquelle tout fusionnement serait bloqué dans le cas d'une augmentation de prix.
Je crois qu'il existe un certain nombre de situations où l'on voudrait permettre un fusionnement qui serait avantageux pour toute l'économie malgré ses effets anticoncurrentiels. C'est la raison d'être de la défense fondée sur l'efficience. Si vous rejetez ce principe de base, eh bien, il vous suffira de bloquer tous les fusionnements qui vont sans doute affaiblir énormément la concurrence.
Personnellement, je suis loin de tirer une telle conclusion. C'est pour cette raison que ma proposition essaie d'établir un compromis entre le niveau élevé de certitude qui découle de la norme de l'excédent total, une approche qu'on croyait être de pointe, et la préservation du rôle des efficiences dans le cadre de l'évaluation des fusionnements, ce que ma proposition cherche à faire.
Il ne faut pas simplement énumérer ceci comme un facteur, parce que cela nous aiderait pas dans le cas où la concurrence serait grandement affaiblie. A ce moment-là, le tribunal n'aura pas compétencepour permettre que le fusionnement procéde sans contestation. Une fois qu'on a déterminé que la concurrence serait affaiblie de façon importante, nonobstant le facteur d'efficience qu'on trouve à l'article 93, ce serait la fin de l'histoire.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci.
Monsieur Bagnell.
M. Larry Bagnell: Avant de commencer, je tiens à dire qu'il faut prévoir des règles spéciales dans le cas des alliances stratégiques, parce qu'il peut exister des raisons importantes pour de telles alliances. Mais permettez-moi de vous parler des efficiences. En théorie, cela semble parfait, mais je ne vois pas comment on pourrait gérer les efficiences éventuelles.
Permettez-moi de vous donner un exemple--et mon intervention s'adresse à quiconque est partisan de la norme de l'excédent total ou des efficiences. Il est connu que, dans le secteur aérien, par exemple, qu'il y a une augmentation de prix de 30 p. 100, de 40 p. 100 ou de 60 p. 100 lorsque le transporteur a un monopole sur une liaison en particulier. Prenons, par exemple, le cas d'Air Canada et de Canadian Airlines, où on leur accorde un monopole sur un certain nombre de parcours. On pourrait obtenir des efficiences accrues en fusionnant ces compagnies. Personne au sein du tribunal ou au Bureau de la concurrence aurait prédit une augmentation de prix de 700 p. 100. Ce serait plutôt un excédent net. Mais comment gérer le prix une fois qu'une société se trouve dans une situation de monopole?
· (1300)
M. Paul Crampton: C'est pour cette raison que c'est à regret que j'ai conclu que la norme de l'excédent total n'a pas un avenir à long terme ici au Canada. Si un fusionnement entre Air Canada et Canadian avait créé des efficiences énormes en application de la norme de l'excédent total, et si cette norme était lecritère en 1996, le Tribunal de la concurrence n'aurait jamais pu bloquer le fusionnement. On aurait assisté à un tollé général et on aurait modifié de façon draconienne l'article 96 dans les mauvaises circonstances. On se serait retrouvé avec une formule beaucoup moins utile que celles que nous envisageons aujourd'hui.
Je crois qu'il faut par conséquent doter le tribunal d'une formule qui lui donnera une certaine souplesse et une certaine marge de manoeuvre dans de tels cas, qui pourraient générer de grandes efficiences mais aussi une augmentation énorme des prix et un public très mécontent, si jamais le tribunal est obligé d'approuver le fusionnement en application de la norme de l'excédent total.
M. Tim Kennish: Ma proposition s'inspire de la présomption que le Tribunal de la concurrence serait mal à l'aise à l'idée que la société fusionnée pourrait établir des prix supérieurs aux niveaux concurrentiels et obliger les consommateurs à accepter ces augmentations, même s'ils tirent certains avantages matériels.
En examinant le volet criminel de notre loi, nous interdisons la fixation des prix au-dessus du prix de marché. Personne ne suggère que les efficiences devraient régler cette situation. Monsieur Untel s'attend à ce que la loi le protège contre ce genre de choses, et donc il me semble que les efficiences dont on doit tenir compte sont les efficiences ayant des répercussions sur le consommateur. Voici le genre de facteur que le tribunal doit considérer lors de son évaluation.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup. Nous allons mettre fin à notre séance.
Je tiens à remercier les témoins et je veux également les remercier de leur patience en attendant le commencement des délibérations.
Monsieur Crampton, je vous remercie de vos nombreuses comparutions et de tous les rapports que vous avez soumis au comité pour nous faciliter la tâche. J'aimerais vous souhaiter bonne chance dans votre nouveau poste à l'OCDE. Dites-nous ce que vous apprenez là-bas pour qu'on puisse ensuite rendre nos lois encore meilleures qu'elles ne le sont aujourd'hui.
Merci beaucoup.
La séance est levée. La prochaine séance aura lieu à 15 h 30, 90 rue Sparks, avec le tribunal, à l'édifice de la Banque royale.