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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mercredi 27 novembre 2002




¹ 1535
V         Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.))
V         M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.)
V         The Chair
V         Mr. Sarkis Assadourian
V         Le président
V         M. Art Eggleton (York-Centre, Lib.)

¹ 1540
V         Le président
V         M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ)

¹ 1545
V         Le président
V         Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.)
V         Le président
V         M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne)

¹ 1550
V         Le président
V         M. Pat O'Brien (London—Fanshawe, Lib.)
V         Le président
V         M. Pat O'Brien
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.)

¹ 1555
V         Le président
V         M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne)
V         Le président
V         Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD)
V         Le président
V         M. Jason Kenney (Calgary-Sud-Est, Alliance canadienne)
V         Le président
V         M. Sarkis Assadourian
V         Le président
V         M. Sarkis Assadourian
V         Le président

º 1600
V         Le président
V         Mme Janice Stein (directrice, Munk Centre for International Studies, Université de Toronto)

º 1605

º 1610

º 1615
V         Le président
V         M. Stockwell Day

º 1620
V         Le président
V         Mme Janice Stein
V         Le président
V         M. Stéphane Bergeron
V         Mme Janice Stein

º 1625
V         M. Stéphane Bergeron
V         Mme Janice Stein
V         M. Stéphane Bergeron
V         Le président
V         Mme Janice Stein
V         M. Stéphane Bergeron
V         Mme Janice Stein
V         Le président
V         M. John Harvard (Charleswood —St. James—Assiniboia, Lib.)
V         Le président
V         Mme Janice Stein

º 1630
V         M. John Harvard
V         Mme Janice Stein
V         M. John Harvard
V         Mme Janice Stein
V         M. John Harvard
V         Mme Janice Stein
V         M. John Harvard
V         Mme Janice Stein
V         M. John Harvard
V         Le président
V         Mme Alexa McDonough

º 1635
V         Le président
V         Mme Janice Stein
V         Le président
V         M. Art Eggleton

º 1640
V         Le président
V         Mme Janice Stein
V         Le président
V         Mme Janice Stein
V         M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC)
V         Le président
V         M. Bill Casey
V         Mme Janice Stein

º 1645
V         M. Bill Casey
V         Mme Janice Stein
V         M. Bill Casey
V         Mme Janice Stein
V         M. Bill Casey
V         Mme Janice Stein
V         M. Bill Casey
V         Mme Janice Stein
V         M. Bill Casey
V         Mme Janice Stein
V         Le président
V         M. Bill Casey
V         Mme Janice Stein
V         M. Bill Casey
V         Le président
V         Mme Janice Stein
V         Le président










CANADA

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


NUMÉRO 012 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 27 novembre 2002

[Enregistrement électronique]

¹  +(1535)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Je constate qu'il y a quorum.

    Le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, pour étudier la question de l'Irak.

    Avant de commencer, monsieur Assadourian aimerait déposer un avis de motion concernant le génocide des Arméniens.

    Monsieur Assadourian, vous avez la parole.

+-

    M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président. Je remercie le président et le greffier de nous donner l'occasion, à moi et à mes collègues, de nous exprimer sur ce sujet important.

    Comme vous le savez, monsieur le président, au cours des derniers mandats de notre gouvernement, nous avons débattu de cette question à de nombreuses reprises. Au Canada, les provinces, plus précisément l'Ontario et le Québec, ont adopté des motions demandant à leur gouvernement de reconnaître le génocide des Arméniens, ce qu'ils ont fait. Le Parlement est saisi de nombreuses motions relatives aux événements de 1915 qualifiés de tentative d'élimination d'une minorité nationale, ce qui correspond à un génocide, comme le définissent les Nations-Unies.

    Le 13 juin dernier, le Sénat a unanimement adopté une motion appuyée par tous les partis représentés, par 39 voix contre une. Par comparaison à la motion qu'on nous demande de voter, celle du Sénat est beaucoup plus ferme.

    Monsieur le président, de nombreux parlements à l'échelle de la planète, qu'il s'agisse de la Russie, de l'Europe, de l'Amérique du Sud, du Moyen-Orient ou de l'Afrique du Nord, ont reconnu ce génocide. Dans le monde entier, des parlements ont reconnu ce fait et exhorté leur gouvernement à faire de même.

    Le gouvernement français est le dernier à avoir reconnu le génocide des Arméniens. On nous avait dit que la France allait être menacée de représailles de la part de la Turquie. J'ai de nombreuses fois demandé au ministère des Affaires étrangères de me donner une évaluation des représailles économiques que la France a dû subir. Jusqu'à maintenant, il n'y en a eu aucune.

    Il y a quelques mois, Svend Robinson, notre collègue du NPD, a déposé une motion, et on nous a dit qu'on ne pouvait l'adopter. Je pense que deux voix seulement auraient tout changé.

    Maintenant nous avons une nouvelle excuse: puisqu'il y a une guerre en Irak, nous ne pouvons voter pour cette motion. Si l'on doit attendre le bon vouloir des Affaires étrangères, autant attendre la semaine des quatre jeudis lorsque le monde vivra en parfaite harmonie. À mon avis, les Affaires étrangères ne devraient pas avoir leur mot à dire. Si nous trouvons des excuses toutes les fois que nous sommes coincés sous prétexte qu'il se passe quelque chose à 10 000 kilomètres d'ici, je pense que nous perdons de vue notre objectif.

    Je ne pense pas qu'aucun des autres pays ayant adopté une résolution à cet égard ait plus de valeurs morales que le Canada et nous devons, je crois, affirmer les nôtres.

    Monsieur le président, comme vous le savez, il n'est pas demandé dans la motion de reconnaître le génocide des Arméniens. On y lit simplement que le comité invite la Chambre des communes à reconnaître le génocide des Arméniens que les Turcs ottomans ont commencé au début du siècle, durant la Première Guerre mondiale. Il ne s'agit même pas de la Turquie actuelle, monsieur le Président. La Turquie actuelle a été instituée en 1921.

    Je vois que tout le monde arrive pour voter contre la motion.

    Je vous demande pardon?

+-

    The Chair: Monsieur Eyking est un membre à part entière.

+-

    Mr. Sarkis Assadourian: Monsieur le président, l'événement s'est déroulé avant la création de la Turquie moderne et n'a rien à voir avec le gouvernement turc actuel. Certains essayent de l'associer à la Turquie moderne, alors qu'il n'a absolument rien à voir avec le gouvernement turc actuel. Contrairement à de nombreuses personnes, monsieur le Président, Atatürk lui-même avait convoqué un tribunal et déclaré ces personnes coupables de génocide à l'époque. Le gouvernement turc actuel n'est absolument pas concerné par cet événement.

    Monsieur le Président, le suis prêt à répondre à toute question, et j'espère que nous pourrons bientôt passer au vote.

    Merci.

[Français]

+-

    Le président: Merci, monsieur Assadourian.

[Traduction]

    Nous allons entendre M. Eggleton, M. Bergeron et Mme Jennings.

    Monsieur Eggleton, vous avez la parole.

+-

    M. Art Eggleton (York-Centre, Lib.): Monsieur le président, quand j'étais maire de Toronto, la communauté arménienne m'a contacté à ce sujet. La force de cette ville, tout comme le reste du pays, c'est son multiculturalisme, le fait que des gens de différentes races et nationalités vivent dans l'harmonie. La communauté arménienne m'a parlé, puis la communauté turque m'a informé de sa version des faits. J'ai tenté de me renseigner davantage pour aller au fond des choses, et plus je le faisais, plus la vérité m'échappait.

    Les deux côtés défendent leur position avec émotion et je respecte aussi l'émotion de mon collègue à ce sujet. Je sais ce que la communauté arménienne ressent à cet égard. Si je comprends bien, il dit que la Turquie moderne n'est absolument pas visée. Mais tout comme les Arméniens d'aujourd'hui ressentent toujours la douleur de leurs ancêtres—que les choses soient claires, monsieur le Président, nous parlons d'une terrible tragédie humaine—les Turcs d'aujourd'hui ne veulent pas être associés au mot «génocide», voilà tout. Personne ne nie la réalité de cette tragédie, monsieur le Président. Le problème, c'est le mot «génocide».

    La motion demande au comité d'inviter la Chambre des communes à reconnaître le génocide. En d'autres termes, le génocide serait reconnu, or, ce mot a des ramifications judiciaires, monsieur le Président. Quand j'ai commencé à l'utiliser pour décrire l'épuration ethnique de Milosevic, on m'a mis en garde tout simplement à cause de ces ramifications. Ce mot pourrait déclencher un conflit entre l'Arménie et la Turquie. Il ne fait aucun doute que certains tenteront de se pourvoir en justice si ce mot est utilisé, et ils en auront le droit. La situation est donc très délicate.

    Honnêtement, je pense que le gouvernement canadien a bien géré cette situation. Nous en avions parlé quand j'occupais un poste au cabinet.

    J'aimerais prendre en considération l'intérêt dont fait preuve mon collègue à ce sujet, mais les connaissances que j'ai acquises au cours d'une assez longue période de temps me portent à croire que nous ne devrions pas adopter cette motion.

¹  +-(1540)  

[Français]

+-

    Le président: Monsieur Bergeron.

+-

    M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ): Merci, monsieur le président.

    Sauf tout le respect que j'ai pour mon collègue qui vient de s'exprimer, je dois dire que je ne partage pas du tout son point de vue sur la question. J'ai beaucoup de difficulté à comprendre l'attitude frileuse, hésitante d'un certain nombre de collègues sur la question du génocide arménien. Il y a, je crois, une tentation à laquelle on cède trop rapidement ou trop souvent de ne pas vouloir reconnaître les choses pour ce qu'elles sont, de ne pas vouloir appeler un chat, un chat. Cette attitude frileuse de la part d'un homme aussi respectable que M. Eggleton m'apparaît pour le moins étonnante, d'autant qu'il invoque le fait qu'il y a des ramifications légales à la reconnaissance du terme «génocide» et qu'il y aurait là des conséquences potentielles, et patati et patata.

    Est-ce que M. Eggleton a pris la peine d'évoquer, dans son allocution, le fait que le Sénat canadien a reconnu le terme «génocide»? Le 14 juin dernier, le Sénat canadien a reconnu le terme « génocide » pour le génocide arménien. Qu'est-ce que cela a eu comme incidences pour la suite des choses, pour la communauté turque et pour la communauté arménienne? Quel mal y a-t-il à reconnaître les choses pour ce qu'elles sont?

    Il se trouve encore des gens pour contester le fait qu'il y a eu un génocide juif durant la Seconde Guerre mondiale, et il s'en trouve encore qui ne veulent pas reconnaître qu'il y a eu un génocide arménien. Je pense que c'est un euphémisme que de parler du génocide arménien en le nommant «  tragédie arménienne ». Bien sûr, il s'agit d'une tragédie, mais il s'agit de quelque chose de beaucoup plus profond qu'une tragédie. Il y avait là une situation qui correspondait en tous points à la définition moderne d'un génocide, c'est-à-dire une opération délibérée visant à faire disparaître un groupe national.

    Monsieur le président, je pense qu'il ne faut pas hésiter à dire les choses telles qu'elles sont, parce que c'est ce refus de reconnaître les choses qui entretient les plaies, qui entretient la douleur, qui empêche l'accession à une véritable réconciliation. Si on veut en arriver à une véritable réconciliation entre les communautés arménienne et turque, il faut qu'on puisse reconnaître ce passé commun, ce passé douloureux qui est commun aux deux peuples. Ce refus de reconnaître la réalité est de nature à entretenir la douleur et le ressentiment entre les deux communautés.

    L'idée n'est pas de condamner le peuple turc d'aujourd'hui. Le peuple turc d'aujourd'hui n'est pas du tout responsable des gestes politiques qui ont été posés par le gouvernement ottoman de l'époque, d'autant que le gouvernement a changé, que le régime politique a changé entre-temps; le pays est un nouveau pays. Il ne faut pas que la population turque, que nos concitoyennes et concitoyens d'origine turque aient le sentiment qu'une reconnaissance du génocide arménien est dirigée contre eux, car ce n'est pas le cas. C'est simplement pour reconnaître un fait historique qui a été appuyé maintes et maintes fois par des historiens fort crédibles.

    On ne peut pas nier l'existence du génocide arménien comme d'aucuns tentent de nier l'existence du génocide juif. Je pense que c'est faire preuve d'irresponsabilité que de se fermer les yeux devant un événement comme celui-là. Tant qu'on va refuser de reconnaître cet événement, on va entretenir le ressentiment entre les deux communautés.

    Je suis bien placé pour parler de cette question. Vous savez, chers collègues d'en face, que j'ai déposé une motion visant à faire reconnaître la déportation des Acadiens. Malheureusement, cette motion n'a pas été adoptée. Encore une fois, on nous a dit que cela allait rouvrir de vieilles plaies. Je maintiens qu'au contraire, ce genre de motion visant à faire en sorte que nous reconnaissions les faits pose les bases d'une véritable réconciliation. Loin de rouvrir des plaies, cela pose les bases d'une véritable réconciliation. C'est le fait de ne pas vouloir reconnaître les faits qui entretient le ressentiment, monsieur le président.

¹  +-(1545)  

[Traduction]

+-

    Le président: Merci monsieur Bergeron.

    Je veux avertir mes collègues qu'un de nos témoins, madame Stein, doit partir à cinq heures moins le quart pour prendre l'avion de six heures à destination de Toronto. Je crois que nous savons tous ce dont il va être question. Nous avons trois autres intervenants et je vais leur demander d'être très brefs.

    Madame Jennings, monsieur Martin et monsieur O'Brien, vous avez une minute et demie chacun; ensuite, nous passerons au vote, si tout le monde est d'accord.

    Madame Jennings, vous avez la parole.

[Français]

+-

    Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Je vais commencer en disant que j'appuie la motion. La question du génocide arménien est un fait. C'est un fait historique, un fait qui a été reconnu, comme M. Bergeron l'a déjà souligné, par plusieurs historiens très crédibles.

    Quant à savoir si on devrait utiliser et reconnaître le terme «génocide», tous les débats qui ont lieu sur ce sujet me font penser aux années 60 et 70--je ne peux pas trop parler de la situation qui prévalait avant cela parce que j'étais enfant--, alors que, lorsqu'il y avait des abus contre les conjoints, que les femmes étaient battues par leur mari, la société appelait cela une discussion, une dispute un peu échauffée, émotive, etc.

[Traduction]

    À une époque, on parlait de «discussion animée» ou de «chicane de ménage» lorsqu'en fait, il était question de violence conjugale. C'est précisément parce qu'on utilisait des termes autres que ceux qui désignaient et qualifiaient véritablement ce qui se passait que la société pouvait fermer les yeux. Eh bien, je ne pense pas que la société doive fermer les yeux sur les événements du passé et je pense qu'elle devrait appeler un chat un chat.

    De la même façon, comme tout le monde peut le voir, je suis d'ascendance africaine. Je suis une descendante d'esclaves africains qui ont été arrachés du continent africain, emmenés en Amérique du Nord pour y subir le joug; et qui n'ont obtenu le droit de vote aux États-Unis que dans les années 60 et qui n'ont obtenu le droit de fréquenter des écoles non ségrégées que dans les années 50. Ici, au Canada, la dernière école ségrégée pour les enfants noirs n'a fermé ses portes qu'à la fin des années 60.

    Alors, je ne peux participer à un débat intellectuel visant à déterminer si l'on doit reconnaître que le geste posé par l'empire Ottoman contre les Arméniens était un génocide ou non, ou une tragédie. C'était un génocide. La situation respecte tous les critères de la définition reconnue internationalement et je pense qu'à titre de parlementaires, nous avons l'obligation de la reconnaître comme telle.

    Je peux comprendre notre gouvernement et je loue les efforts passés et actuels de notre ministre des Affaires étrangères pour amener le gouvernement turc...à faire preuve de moins de sensibilité que dans le passé. De toute évidence, ses efforts n'ont pas été couronnés de succès, mais je ne crois pas que ce soit là une raison pour refuser notre appui à cette motion. Comme l'a dit M. Assadourian, la motion dit qu'en notre qualité de membres du comité, nous invitons la  Chambre des communes à reconnaître le génocide des Arméniens.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Martin, s'il vous plaît.

+-

    M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne): Merci beaucoup, monsieur le président.

    Bien que j'éprouve beaucoup de sympathie à l'endroit de M. Assadourian et de ce qu'il tente d'accomplir en tant qu'Arménien, qu'Arménien canadien, et nous en avons parlé avant, je demande quel effet nous recherchons en ramenant à la surface des tragédies qui sont survenues avant que quiconque vivant actuellement dans ce monde ne soit né? Je dirais également que ce qui est le plus important pour nous, c'est d'envisager quel sera l'effet de ramener sur le tapis une tragédie qui est survenue avant notre naissance...et l'effet que cela aura sur les relations entre les peuples arménien et turc d'aujourd'hui.

    Je pense que nous devrions faire tous les efforts possibles pour amener un rapprochement entre Arméniens et Turcs, pour leur bien mutuel, dans un climat de paix et de sécurité. Avec tout le respect que je vous dois, je ne vois aucune raison de ramener dans l'actualité une question qui est survenue avant que quiconque sur cette planète ne soit né.

    Ma préoccupation, en réalité, c'est que ce type de motion nuise au rapprochement entre ces deux groupes, dans un climat de paix et de respect mutuel, et c'est pourquoi je n'appuierai pas la motion.

¹  +-(1550)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Martin.

    La dernière personne à prendre la parole sera M. O'Brien et ensuite nous passerons au vote, parce que, comme je l'ai mentionné plus tôt, nous avons un témoin que nous voulons entendre au sujet de la situation en Iraq. C'est une question assez importante.

    M. Sarkis Assadourian: J'aimerais répondre à quelques questions.

    Le président: Monsieur O'Brien, s'il vous plaît.

+-

    M. Pat O'Brien (London—Fanshawe, Lib.): Monsieur le président, personne ne veut retarder le témoin. Cependant, il est dommage que nous devions étudier cette question à toute vapeur, parce que je pense que nombreux sont les membres du comité qui aimeraient en parler davantage. Mais je ne vais pas insister davantage.

    Cependant, je proposerais que nous nous penchions sur la question de fixer un moment pour l'étude de ces motions. Je pensais que nous en avions parlé. Je n'aime pas recevoir un ordre du jour dans lequel il n'y a pas d'indication de temps pour les motions. Si vous ne pouvez assister qu'à une partie d'une réunion, vous savez au moins à quel moment une motion sera étudiée. Alors, je pense qu'il nous faudra examiner ce point de procédure.

    Mais je vais commencer par une question adressée peut-être au greffier ou à vous, monsieur le président. Qu'arrive-t-il si nous adoptons cette motion? Où aboutira-t-elle? Elle se retrouvera devant la Chambre pour y faire quoi?

+-

    Le président: Ce n'est pas ce qu'elle dit. Ce que je comprends de cette motion, c'est ceci.

[Français]

C'est un voeu pieux. Nous demandons à la Chambre des communes de procéder à un vote, mais il doit y avoir une résolution ou une motion sur laquelle elle pourra voter. C'est un voeu pieux: nous demandons au gouvernement de se pencher sur ce qui est arrivé relativement au génocide des Arméniens, comme M. Assadourian le dit dans sa motion.

[Traduction]

+-

    M. Pat O'Brien: Bien, j'ai participé à ces discussions à quelques reprises et je vois ici un changement. Peut-être qu'on exagère un peu. La motion dit «invite la Chambre» et non, «intime». Elle ne dit même pas «propose». Elle dit seulement «invite». Il s'agit d'une question qui préoccupe sérieusement suffisamment de membres du comité pour que je sois prêt à...que je veuille un débat plus long que cela.

    Alors, à défaut d'entendre un débat comportant l'opinion contraire—et je ne veux pas retarder un témoin, mais je n'aime pas la manière dont cette réunion a été amenée du point de vue logistique—et je dois le dire encore une fois. Je pense que ces motions devraient comporter une indication de temps, et je pense que nous devrons examiner comment nous procéderons à l'avenir pour éviter d'avoir à court-circuiter le travail que nous devons faire ici. En l'absence d'arguments à l'appui de l'opinion contraire, j'appuie l'appel de mon collègue pour une simple invitation. Laissons la Chambre étudier la question.

+-

    Le président: Mme Carroll, secrétaire parlementaire.

+-

    Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Moi non plus je ne veux pas retarder le témoin, monsieur le président, et, par conséquent, je ne m'inscrirai pas sur la liste de ceux qui veulent prendre la parole. Tenant compte des observations de mon collègue, c'est-à-dire qu'il n'aura pas l'occasion d'entendre un débat complet sur cette question, je me sens obligée, à titre de secrétaire parlementaire, de donner quelques précisions sur cette question.

    Premièrement, je pense que M. Eggleton et M. Martin ont tous les deux fait valoir un point qui, je crois, mérite d'être répété. Ce type de motion et sa formulation, même modifiée, ont néanmoins pour effet de créer un climat de confrontation entre les deux groupes et, en fait, n'incitent pas ces deux groupes qui, historiquement, ont eu énormément de difficultés avec cette question, parfois surchargée d'émotions, à travailler dans le sens d'une réconciliation.

    Je pense que nous devons être très conscients des obligations et responsabilités juridiques très spécifiques découlant de l'utilisation du mot «génocide»—et quelqu'un a dit— M. Bergeron, je pense—que ce n'étais pas le cas. Je peux assurer M. Bergeron que si une telle motion était adoptée dans ce comité, cela nuirait effectivement aux relations entre le Canada et le nouveau gouvernement de la Turquie. Le fait qu'il s'agit d'un nouveau gouvernement devrait faire partie intégrante de la discussion, plutôt que d'essayez de dire que cela ne touche que l'histoire. Rien ne touche que l'histoire.

    Nous devons prendre en considération le fait qu'il s'agit ici du Comité des affaires étrangères et que tous ici traitons fréquemment, à titre de collègues—et, parfois ce n'est pas le cas—de la politique étrangère de ce pays. Il faut être naïf pour penser que cela n'aura pas d'effets négatifs sur nos relations avec le nouveau gouvernement d'un pays extrêmement important du point de vue géopolitique.

    Merci, monsieur le président.

¹  +-(1555)  

+-

    Le président: Merci. Thank you, madame Carroll.

    Je ne veux empêcher personne de prendre la parole, mais je vous rappelle que nous avons un témoin.

    M. Day a demandé la parole. Monsieur Day, allez-y, s'il vous plaît.

+-

    M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne): Je serai bref en disant que je suis d'accord avec M. O'Brien pour dire qu'il s'agit d'une invitation adressée à la Chambre des communes pour discuter de la question; il est évident que le député a présenté cette motion dans l'espoir qu'une reconnaissance sera effectivement accordée. Alors, je ne peux, en toute conscience, m'opposer à quelque chose qui est une demande pour aller devant la Chambre des communes.

    Pour ce qui est du gouvernement de la Turquie, cette question ne le vise en rien, ni lui ni les gouvernements récents. Ces événements sont survenus au début du siècle dernier et nous pouvons dire que nous avons vu les progrès réalisés depuis par la Turquie et ce que l'administration actuelle de ce pays entend faire en termes de modernisation, de démocratie, de liberté du commerce et au chapitre des droits et libertés. Le gouvernement actuel de la Turquie est très différent de celui qui existait il y a presque 100 ans, c'est pourquoi il ne devrait pas en prendre ombrage.

    J'ai rencontré l'ambassadeur de Turquie il y a une semaine. Et nous avons discuté un peu de cette question. Je ne dirais pas que nous partageons le même point de vue, mais il ne s'agit pas d'une critique du présent gouvernement de la Turquie qui, je crois, désire amener son peuple sur la voie de la paix, de la sécurité, de la liberté et de la prospérité.

[Français]

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Day.

    Madame McDonough, please.

[Traduction]

+-

    Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD): Merci beaucoup, monsieur le président. Je ne veux pas, moi non plus, retarder notre témoin, mais je veux parler sans détour de la motion très simple et claire qui est devant nous pour dire que je lui accorde tout mon appui.

    Je pense que le fait de spéculer que le nouveau gouvernement de Turquie pourrait prendre ombrage de ce débat, c'est ne pas reconnaître le but réel de cette démarche. Il s'agit d'un processus de guérison. Il s'agit de pouvoir enfin remiser dans le passé quelque chose qui n'a cessé de hanter les Arméniens canadiens et d'ailleurs dans le monde. Cela concerne des atrocités qui n'ont pas été commises par le gouvernement actuel de la Turquie ou par de nombreux gouvernements qui l'ont précédé.

    On ne peut pas entendre le témoignage des Arméniens canadiens et ne pas comprendre qu'il s'agit là d'une blessure très profonde pour le peuple arménien. On ne parle pas ici de quelqu'un qui a tenté de les vexer ou même de les humilier politiquement. Nous parlons d'un régime qui a tenté de les exterminer, de les faire disparaître de la face de la terre.

    Alors, sans plus de cérémonie, j'appuie très fortement la motion qui est devant nous et je tiens à féliciter le député qui l'a proposée.

[Français]

+-

    Le président: Merci, madame McDonough.

[Traduction]

    Monsieur Kenney, rapidement.

+-

    M. Jason Kenney (Calgary-Sud-Est, Alliance canadienne): Je veux faire un commentaire très rapide sur la question voulant que cette motion crée des divisions. En fait, je pense qu'il serait absurde de laisser entendre que l'objectif de la reconnaissance historique de l'holocauste était de provoquer une perturbation indue des relations entre Allemands et Juifs; c'est un élément indispensable à la réconciliation et je pense qu'il en est de même dans ce cas-ci.

+-

    Le président: Est-ce que tout le monde est prêt à voter sur la question?

+-

    M. Sarkis Assadourian: J'aimerais répondre à quelques points, monsieur le président. J'ai présenté la motion et j'aimerais dire quelques mots.

+-

    Le président: Je connais les règles, monsieur Assadourian. Merci de me les rappeler. Comme c'est vous qui avez proposé la motion, vous avez le droit de prendre la parole; allez-y, monsieur Assadourian.

+-

    M. Sarkis Assadourian: Merci beaucoup. Premièrement, j'aimerais remercier mes collègues qui ont donné leur appui à la motion. Comme je l'ai dit plus tôt, ce n'est qu'une simple motion invitant la Chambre à reconnaître le génocide. Mais on a dit certaines choses pour s'opposer à la motion.

    Ma collègue dit que cela aura d'énormes répercussions juridiques pour la Turquie, mais cela ne peut être le cas. La convention sur le génocide a été adoptée en 1948 et les événements dont nous parlons sont survenus 35 ans plus tôt, soit en 1915, de sorte qu'il ne peut y avoir de conséquences juridiques en vertu de la charte des Nations Unies.

    Des gens ont laissé entendre que la motion ne devrait pas être adoptée parce que Turcs et Arméniens vivent ensemble, qu'ils sont des voisins, qu'ils sont nés ainsi et qu'ils doivent vivre ensemble, que c'est un problème qui les regarde eux. Je pense que nous devrions vider cette question pour que ces deux nations puissent vivre en paix et prospérer comme n'importe qui d'autre, comme nous et les Américains. Si nous ne parlons pas de cette question, elle durera indéfiniment. Cela ne sert pas nos intérêts; cela ne sert pas les intérêts des gouvernements arménien et turc du point de vue de la réconciliation.

    On a dit qu'il y aurait des réclamations contre la Turquie. La France a adopté une motion encore plus dure que celle-ci—en fait, elle rend illégal dans ce pays le simple fait de nier l'existence du génocide—et pas une seule réclamation n'a été entendue par les tribunaux français, pas un sou de réclamation. Alors, dire qu'il y aura d'énormes conséquences est tout à fait faux.

    Autre point, monsieur le président. Pour l'information de tous, j'ai reçu une lettre de l'actuel ministre des Affaires étrangères le 5 décembre décrivant cette question comme un génocide. Merci beaucoup.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Et si vous êtes tous d'accord, nous allons commencer. La question est la suivante. Il s'agit d'une motion voulant que le comité invite la Chambre des communes à reconnaître le génocide des Arméniens, qui a commencé au début du siècle dernier, pendant la Première Guerre mondiale. Si vous êtes d'accord, nous allons procéder à un vote par appel nominal.

    Monsieur le greffier.

    (L'amendement est adopté par 9 voix contre 8.)

    Des voix: Bravo!

º  +-(1600)  

+-

    Le président: Maintenant, conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous passons à l'étude de la question de l'Irak. Nous avons le privilège d'accueillir aujourd'hui un témoin de l'Université de Toronto, Mme Janice Stein, directrice du Munk Centre for International Studies.

    Madame Stein, vous disposez de tout le temps que vous voulez. Habituellement, nous accordons dix minutes. Vous avez la parole, s'il vous plaît.

[Français]

+-

    Mme Janice Stein (directrice, Munk Centre for International Studies, Université de Toronto): Merci beaucoup, monsieur le président. J'ai été fascinée par le débat que vous avez eu.

º  +-(1605)  

[Traduction]

    J'ai eu l'occasion de lire le témoignage non édité des témoins qui ont déjà comparu devant vous sur la question de l'Iraq. Il me semble que vous avez réalisé un examen assez exhaustif des répercussions juridiques de la résolution 1441. Vous avez également passé en revue ce qui, ou ce qui ne pourrait pas, constituer une violation patente ainsi que les processus ambigus par lesquels une violation patente pourrait être déclarée, si la question devait se poser.

    J'aimerais utiliser le court laps de temps que nous avons aujourd'hui pour parler de deux questions que le comité n'a pas vraiment eu l'occasion d'étudier. Il s'agit de deux éventualités que le gouvernement du Canada devra peut-être contempler au cours des prochains mois. La première, c'est que le président Saddam Hussein d'Irak se conforme pleinement à la résolution 1441, que les inspecteurs de l'ONU certifient que l'Irak ne possède plus d'armes et que le président reste au pouvoir. Le Canada et le reste de la communauté internationale seront confrontés à une série de questions politiques épineuses concernant la façon de traiter avec le régime qui, je pense, est reconnu universellement comme le plus répressif du Moyen-Orient.

    Une autre éventualité à laquelle le gouvernement pourrait être confronté, c'est que l'Irak soit reconnue en violation flagrante, que le Conseil de sécurité autorise l'usage de la force, qu'une coalition dirigées par les États-Unis fassent la guerre à l'Irak et que Saddam Hussein soit chassé du pouvoir. Ici aussi, les défis à relever par le Canada et la communauté internationale seront énormes. D'abord, il faudra maintenir l'intégrité territoriale de l'Irak et, deuxièmement, commencer à ériger dans ce pays une société qui est davantage pluraliste. Il s'agit d'un défi énorme dans un pays où, au cours des 20 dernières années, on a fait disparaître toutes les couches d'associations intermédiaires. Il n'y a pas eu en Iraq de débat comme celui que je viens d'entendre ici depuis au moins 25 ans. Je crois qu'il serait tragique que Saddam soit remplacé par un militaire qui lui ressemble par négligence de la part du Canada et des autres pays.

    Il s'agit donc des deux éventualités dont j'aimerais parler au cours des cinq minutes qu'il me reste. Mais je serai très certainement prête à répondre à vos questions sur tous les autres aspects.

    J'aimerais juste faire une observation préliminaire, qui reflète mon propre point de vue au moment où nous nous apprêtons à faire face à une période de trois mois assez périlleuse. Le point que je veux faire valoir, c'est qu'au plan moral, je trouve très peu de clarté dans les questions entourant toute cette affaire. Notre premier ministre a dit que le Canada n'appuiera la guerre que si elle est ordonnée par suite d'une action délibérée du Conseil de sécurité des Nations Unies. Il s'oppose vivement à une décision unilatérale de la part des États-Unis et, pour lui, l'objectif de la résolution 1441 est clair: le désarmement de l'Irak et non la chute du régime. Je crois que le poids du droit international ici est très clair, à savoir qu'il n'y aurait pas, en vertu du droit international et dans le cadre des résolutions actuelles de l'ONU, de justification pour provoquer une guerre ayant pour but le changement du régime en place.

    Ceci dit, il est également clair que le désarmement de l'Irak aura été rendu possible uniquement parce qu'on aura fait planer sur ce pays une menace crédible de recourir à la force. Au cours des quatre dernières années, il a été impossible aux enquêteurs et aux inspecteurs de l'ONU de retourner en Irak. Le retour des enquêteurs et des inspecteurs en Irak est le résultat d'une menace crédible de recourir à la force, non seulement par les États-Unis, mais également parce que cette menace a reçu l'appui de l'ensemble du Conseil de sécurité.

    Alors, nous avons ici une éventualité. Et si nous parvenons à la faire se matérialiser, je pense qu'il s'agira d'un moment important pour les Nations Unies, mais c'est un moment qui aura été rendu possible par une menace crédible de recourir à la force.

    Le troisième point que j'aimerais faire valoir, c'est que si l'opération réussit, que l'Irak est désarmée et que les inspecteurs certifient qu'elle ne possède plus d'armes de destruction massive, le peuple irakien devra alors continuer de vivre sous le régime de Saddam Hussein. Il est impossible pour ceux d'entre nous qui avons travaillé avec l'opposition en Irak, qui avons eu des collègues en Irak qui ont payé très cher le fait de vivre sous ce régime, de trouver qu'il s'agit là d'un résultat satisfaisant. Les dix dernières années ont été extrêmement difficiles en Irak pour tous ceux qui ont payé de leur liberté personnelle la survie du régime de Saddam. Au fur et à mesure que nous progresserons dans cette période de débat, je suggère que personne n'ait la conscience en paix, quelle que soit la position adoptée dans ce débat.

    Passons maintenant à la question des défis à relever. Le succès de l'inspection culminera par la certification que l'Irak ne possède plus d'armes de destruction massive. On pourra alors s'attendre que les choses suivantes arrivent.

    Les sanctions devront être levées, puisqu'elles ont été mises en place parce que l'Irak refusait de se conformer aux résolutions adoptées il y a plus d'une décennie. Il devient alors concevable que le président Saddam, dans un régime où les sanctions ne sont plus justifiables en vertu des résolutions actuelles de l'ONU, ait tout le loisir d'utiliser les revenus du pétrole irakien, pendant la phase post-certification, pour relancer les programmes de fabrication d'armes de destruction massive. Il s'agirait là probablement d'un scénario cauchemardesque pour la plupart des gouvernements du Moyen-Orient, et je pense que cela poserait des défis importants à l'ONU. Laissez-moi vous en décrire quatre.

    Le premier, c'est que le Conseil de sécurité des Nations Unies devra concevoir un nouveau système d'inspection. Le système que nous avons actuellement ne sert qu'à certifier que l'Irak se conforme aux résolutions et il ne s'agit pas d'un système d'inspection permanent pour l'Irak. Le nouveau système devra être plus envahissant et plus dynamique que ne le sont la plupart des systèmes d'inspection obligatoire actuels.

    Deuxièmement, il y a la question des sanctions. Ce n'est pas une question simple. Nous pouvons en reparler pendant la période des questions. La question des sanctions est compliquée par toute la question de la technologie à double usage, liée au fait qu'un grand nombre de produits chimiques et pharmaceutiques importés à des fins non militaires peuvent également servir à d'autres fins. On peut s'en servir à la fois pour fabriquer des médicaments et pour fabriquer des armes biologiques. Il semble facile de concevoir un régime de sanctions intelligent, ou un régime de sanctions ciblé, mais en fait, c'est quelque chose de très difficile à faire et cela constituera un défi urgent.

    Le troisième défi, et j'espère que c'en est un que votre comité et votre gouvernement allez prendre en considération sérieusement, c'est qu'il ne faut pas s'arrêter uniquement à l'objectif de désarmement, mais qu'il faut également prendre en compte la situation des minorités en Irak—la minorité kurde, la minorité turkmène, la minorité assyrienne—qui ont payé un tribut particulièrement lourd à ce régime au cours des 20 dernières années.

    Laissez-moi attirer votre attention sur une question urgente, à savoir la situation juridique des zones d'interdiction aérienne dans le nord et dans le sud de l'Irak. Elles n'ont pas été créées par suite de la résolution de l'ONU qui a mis fin à la guerre du Golfe en 1991. Elles n'ont pas d'existence juridique aux yeux de l'ONU. Néanmoins, c'est grâce à l'existence de la zone d'interdiction aérienne dans le nord qu'une population kurde d'environ un million de personnes a pu créer une région autonome dans laquelle un gouvernement autonome a permis pour la première fois à des Kurdes de mettre en oeuvre une forme, même rudimentaire, de démocratie dans cette partie du nord de l'Irak.

º  +-(1610)  

    Encore une fois, si l'on atteste que l'Irak ne possède pas d'armes de destruction massive, si l'on met fin aux inspections et aux sanctions, rien ne justifierait sur le plan juridique la zone d'interdiction aérienne. Cela poserait un risque grave et imminent pour l'avenir de la population kurde dans le nord de l'Irak. Au terme d'un tel processus, il serait impératif que le Canada et d'autres membres des Nations Unies envisagent, de façon proactive, de mettre en place des mécanismes de protection crédibles afin d'assurer la sécurité de la population kurde dans le nord.

    Je vais passer à l'autre scénario, selon lequel les deux équipes d'inspection déclarent l'Irak en violation substantielle; le Conseil de sécurité de l'ONU autorise alors ces soutiens en vertu du chapitre 7, et on a recours à la force militaire. Il y a trois questions urgentes—qui une fois de plus ne reçoivent pas l'attention qu'elles, à mon avis, méritent parce que de nombreux gouvernements se sont concentrés uniquement sur la question de la guerre ou non.

    La première est de savoir, une fois que les Nations Unies auront autorisé le recours à la force, quel genre de régime provisoire serait créé et par qui. Dans ce cas-ci, je pense qu'il y a des répercussions directes pour le Canada. Nous n'avons aucune preuve concrète des intentions, mais il y a deux modèles. Le premier serait une occupation militaire par les États-Unis. Le deuxième serait un régime administré par l'ONU, semblable au processus créé en Afghanistan, où l'ONU est chargée de l'administration et de l'élaboration du processus politique. Il me semble qu'il serait préférable que l'ONU assume cette responsabilité.

    Il en découle un choix pour le Canada, car les États-Unis demandent actuellement l'aide de plus de 50 gouvernements, aide qui peut prendre deux formes: des biens militaires, auquel cas ils participent directement aux forces de la coalition dans l'éventualité d'une guerre, ou une aide militaire qui servirait à la reconstruction d'après-guerre à compter de ce que l'on appelle le jour plus un. Dans ce cas, le Canada a une expertise considérable, de même que des biens pertinents, et c'est ce choix que l'on demandera à notre gouvernement de faire assez rapidement.

    Il y a un deuxième aspect dont je ne parlerai pas mais dont je serai heureux de discuter lors des questions—et c'est un sujet très important—, à savoir la gestion des champs pétrolifères de l'Irak. C'est un sujet des plus litigieux. Je dirai seulement que si cette question est mal gérée et si les Irakiens ont l'impression que des baux pétroliers à long terme sont signés avec des sociétés pétrolières internationales sans une représentation appropriée irakienne, elle sera incendiaire dans cette partie du monde pendant au moins dix ans.

    La dernière question a trait à la reconstruction politique. Quelle sorte de processus politique doit-on mettre en place pour faire participer toutes les communautés de l'Irak et pour maintenir son intégrité territoriale? Ici, je crois que le Canada pourrait apporter une contribution importante. Le maintien de l'ordre sera un aspect critique et urgent. Un des principaux objectifs sera d'éviter qu'il y ait beaucoup de violence alors que différents éléments du régime politique irakien chercheront à régler des comptes. Ici aussi nous avons une expérience considérable et de nombreux atouts.

º  +-(1615)  

    Je conclurai en disant que je pense que nous faisons fausse route quand nous pensons que cette forme d'aide ne serait pas appréciée par une coalition autorisée par les Nations Unies.

+-

    Le président: Merci beaucoup, madame Stein. Nous passons maintenant aux questions.

    Monsieur Day, je vous rappelle que nous avons cinq minutes pour la question et la réponse. Merci.

+-

    M. Stockwell Day: Merci, monsieur le président. Merci également, madame Stein, de vos réflexions à ce sujet. Puis-je simplement vous faire part de la façon dont un grand nombre de personnes et moi-même voyons la stabilité dans la région?

    Tout d'abord, personne ne veut la guerre, bien entendu; nous espérons qu'elle puisse être évitée. Les spécialistes disent maintenant que c'est 50-50. Par contre, on a entendu dire que s'il y a la guerre, l'instabilité dans la région sera destructrice et généralisée, et tout s'effondrera. Pour ma part, j'ai mes doutes et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

    La Jordanie a d'importants liens économiques avec l'Iraq et, effectivement, Saddam Hussein est populaire là-bas. Par contre, les Palestiniens de Jordanie ont beaucoup plus d'estime pour le roi Abdullah II que pour Saddam Hussein. De toute évidence, le roi Abdullah n'aimerait pas une déstabilisation de sa région. Nous devons nous rappeler que depuis les années 70, lorsque l'OLP et Yasser Arafat ont été chassés de la Jordanie, les Palestiniens de la partie est de la Jordanie ne se sont jamais élevés contre certaines des questions palestiniennes.

    Bien entendu, il y a la Turquie et les préoccupations concernant les Kurdes dont vous avez parlé. Mais la Turquie s'accommode de cette nouvelle réalité des Kurdes qui forment une région autonome dans le nord de l'Iraq. Des millions de Kurdes font partie de la République turque, qui est de plus en plus démocratique. Voilà une note favorable pour l'administration antérieure et l'actuelle en Turquie.

    En Arabie saoudite, je ne peux concevoir que l'instabilité entraîne la chute de l'administration. Oui, l'Arabie saoudite finance le terrorisme; elle fait la guerre par procuration. Mais la population n'a jamais manifesté dans les rues de façon importante, aucune désobéissance civile contre l'administration saoudienne. Même si les autorités saoudiennes ont offert un protectorat, un territoire réservé aux É.-U., la population n'a jamais manifesté de façon vive en ce qui concerne les questions palestiniennes, même si elle peut avoir une certaine sympathie envers cette cause. Cela vaut pour la région urbaine de Hedjaz et la région rurale de Nadjd. C'est la même chose. La démocratie pourrait donc s'épanouir.

    Pour ce qui est de la culture qui ne peut soutenir la démocratie, mon hypothèse est que la culture au Japon pendant des siècles, et maintenant en Chine par rapport à Taïwan, n'a jamais soutenu une démocratie ou ne s'en est jamais approchée. Et pourtant ces pays ont des démocraties prospères qui leur ont été imposées assez rapidement.

    Comme vous le savez, de nombreux exilés de l'Iraq s'emploient en ce moment à mettre au point une solution démocratique, au cas où ils en auraient la possibilité. Pensez-vous que la culture empêcherait la démocratie de percer et de s'épanouir?

º  +-(1620)  

+-

    Le président: Madame Stein, vous avez la parole.

+-

    Mme Janice Stein: Si vous me demandez s'il y a des obstacles au Moyen-Orient arabe qui l'empêcheraient, je dirais absolument pas. Selon moi, c'est sous-estimé l'énorme talent et la capacité de la très grande partie du monde arabe de créer et de soutenir une démocratie. Je n'accepte pas non plus l'argument selon lequel les sociétés islamiques sont essentiellement hostiles à la démocratie. C'est également fallacieux au plan historique. Si nous prenons le monde entier, il y a des sociétés en Asie qui comportent d'importantes majorités de populations islamiques et elles soutiennent des processus démocratiques.

    Par conséquent, je ne pense pas que l'explication d'un échec de la démocratie au Moyen-Orient moderne soit d'origine culturelle ou religieuse.

[Français]

+-

    Le président: Monsieur Bergeron, s'il vous plaît.

+-

    M. Stéphane Bergeron: Merci, monsieur le président.

    J'ai été un peu surpris de vous entendre dire que seule la menace de la force avait réussi à faire en sorte que les inspecteurs puissent retourner en Irak. J'ai trouvé cette affirmation d'autant plus ironique qu'en fait, nous savons maintenant pertinemment que c'est à la demande des États-Unis, qui s'apprêtaient à bombarder l'Irak, que les inspecteurs sont sortis de ce pays la première fois. J'ai trouvé cette affirmation pour le moins ironique, bien que je puisse comprendre ce qui sous-entendait la question elle-même.

    Cette même affirmation concernant la menace de la force nous ramène à l'habitude qu'ont les Américains de jouer habilement à la fois de la carotte et du bâton pour faire régner leur ordre au niveau international. Lorsqu'on lit la résolution 1441, on constate qu'on ne manie que le bâton; il n'y a pas de carotte. Vous semblez postuler que si l'Irak se conforme à la résolution 1440, cela mènera éventuellement à la levée des sanctions qui ont été adoptées contre lui.

    Le fait que la résolution 1441 ne prévoie pas la levée des sanctions dans le cas où l'Irak se conformerait aux dispositions de la résolution n'est-il pas une indication que le résultat d'une éventuelle attitude de l'Irak qui viserait à se conformer aux dispositions de la résolution ne serait pas nécessairement la levée des sanctions?

+-

    Mme Janice Stein: Vous m'avez posé deux questions.

[Traduction]

    Pour le premier aspect, je pense qu'il ne fait pas l'ombre d'un doute, que nous soyons d'accord ou non, que c'était la menace, la menace crédible du recours à la force, qui a mené au retour des inspecteurs. Je pense que la question n'est pas de savoir dans quel contexte les inspecteurs ont quitté il y a quatre ans, mais comment le régime a traité les inspecteurs au cours des trois années précédentes alors qu'il ne fait aucun doute qu'on a déployé tous les efforts possibles pour nuire à leur mission, pour cacher des renseignements essentiels et pour refuser aux inspecteurs l'accès dont ils avaient besoin pour réaliser des inspections significatives.

    Les renseignements importants découverts au sujet du programme d'armes biologiques et du programme nucléaire l'ont été uniquement à la suite de renseignements fournis par des transfuges de l'Iraq. Mais pratiquement tout au long de la période pendant laquelle les inspecteurs ont été sur place, le régime de Saddam Hussein n'a pas collaboré.

º  +-(1625)  

[Français]

+-

    M. Stéphane Bergeron: Je m'excuse. Vous n'avez pas encore répondu à la deuxième question, mais je suis obligé de réagir à ce que vous dites, parce que les gens qui ont participé à ces inspections, notamment Scott Ritter, ont clairement dit qu'ils agissaient en grande partie sur les instructions des États-Unis. L'Irak avait le sentiment qu'il y avait là une mission d'espionnage.

+-

    Mme Janice Stein: Je ne suis vraiment pas convaincue de cela, parce qu'on peut dire exactement la même chose maintenant. Les inspecteurs sont des intermédiaires pour le compte des États-Unis.

[Traduction]

    Si nous voyons maintenant une différence sur le terrain, c'est parce que le gouvernement est finalement parvenu à la conclusion qu'il n'a pas d'autre choix. Il ne peut pas faire autrement choix que de coopérer avec les Nations Unies, parce qu'ils ont épuisé toutes les autres possibilités.

    Je crois qu'il est important de le reconnaître, dans notre réflexion sur l'avenir des Nations Unies. Si nous voulons vraiment éviter la guerre, nous devons comprendre que les Nations Unies ont besoin de renforts, quand nous avons affaire à des gouvernements comme celui-là. Les Nations Unies ont besoin du renfort de menaces crédibles d'un recours à la force. C'est peut-être ce que cela prend contre des gouvernements de ce genre, parce que c'est réellement l'un des gouvernements les plus brutaux que nous ayons, à coup sûr au Moyen Orient et dans bien d'autres parties du monde.

[Français]

+-

    M. Stéphane Bergeron: Mais n'avez-vous pas...

+-

    Le président: Monsieur Bergeron, on devrait laisser Mme Stein terminer.

[Traduction]

    Avez-vous autre chose, madame Stein?

+-

    Mme Janice Stein: Pour la deuxième question, pourriez-vous me rafraîchir la mémoire?

[Français]

+-

    M. Stéphane Bergeron: C'était à propos du bâton et de la carotte, et de la levée des sanctions.

[Traduction]

+-

    Mme Janice Stein: Vous avez tout à fait raison, il n'y avait rien, dans la résolution 1441 qui exigeait la levée des sanctions contre le gouvernement de l'Irak, mais avec les modifications apportées depuis trois ou quatre ans aux régimes de sanctions, on s'attendait nettement à ce qu'une fois obtenue la confirmation que l'Irak n'a pas d'armes de destruction massive, nous avons l'obligation, de fait, de lever des sanctions. Il y a deux ou trois autres conditions que le pays doit remplir—notamment le retour d'archives au Koweit, l'indemnisation du Koweit—mais il a été entendu, dans les discussions tenues entre les membres du Conseil de sécurité que, lorsqu'il serait certifié que l'Irak n'a pas d'armes de destruction massive, il y aurait obligation de lever les sanctions ou de créer un régime de sanctions qui ne pénalise pas les civils.

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Monsieur Harvard, vous avez la parole.

+-

    M. John Harvard (Charleswood —St. James—Assiniboia, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Je vous remercie, Madame Stein, pour votre présentation. Je dois dire que j'ai particulièrement apprécié vos fréquents passages à la télévision. Continuez, vous faites du bon travail.

    J'ai quatre questions très courtes à poser, et je pense qu'on peut les régler dans la limite des cinq minutes.

    La première question est vraiment pour obtenir une clarification. Je crois avoir compris que vous disiez que si les inspecteurs des Nations Unies ne trouvaient pas de preuves de la présence d'armes de destruction massive en Irak, les Nations Unies devraient prévoir un nouveau régime d'inspection. Je ne suis pas très sûr de bien vous comprendre. Pourquoi y aurait-il un nouveau régime d'inspection?

    Je crois, professeure, que c'est faire preuve de beaucoup de cynisme que de croire que les États-Unis sont certains de trouver, et déterminés à trouver, d'une manière ou d'une autre, l'Irak en contravention avec la résolution des Nations Unies, parce qu'ils veulent à tout prix un changement de gouvernement. Y a-t-il la moindre indication que les États-Unis ont déjà prévu ce qu'on pourrait appeler un «régime fantoche» ou quelqu'un qui leur soit favorable pour remplacer Saddam, s'il est détrôné?

    Vous avez parlé de subversion, en disant que Saddam Hussein avait subverti les travaux des inspecteurs la dernière fois. Y a-t-il des motifs de croire que les choses ont pu changer?

    Vous dites que c'est un régime terrible. Nous le savons tous. Y a-t-il la moindre raison de croire que son attitude serait différente maintenant, comparativement à celle d'il y a trois ou quatre ans?

+-

    Le président: Merci, monsieur Harvard.

    Madame Stein.

+-

    Mme Janice Stein: Pourquoi devrais-je avoir à motiver la nécessité de un nouvelles mesures d'inspection par la violence de ce gouvernement? Il a fait la preuve de sa détermination, depuis dix ans, à fabriquer des armes chimiques et biologiques, et en fait, il a démontré qu'il était déjà très avancé sur la voie de l'élaboration d'un programme d'armement nucléaire.

    Les procédures actuelles de l'AIEA ne sont pas suffisantes, parce qu'elles ne prévoient pas d'inspections par mise en demeure. Je doute fort que le Conseil de sécurité puisse être à l'aise avec quelques mesures que ce soient à l'avenir s'il n'y est pas prévu l'exécution d'inspections par mises en demeure tant que Saddam Hussein reste au pouvoir.

    Les États-Unis veulent-ils à tout prix un changement de gouvernement? C'est certainement l'avis de nombreux experts. Il y a eu un changement de ton de l'administration dans les quatre semaines qui ont précédé l'adoption de la résolution 1441. Il est très clair qu'il y a un débat continu au sein de l'administration. Je peux certainement dire que les États-Unis sont très motivés à trouver que l'Irak enfreint la résolution 1441 et ils chercheront à le prouver.

    Au sujet du remplacement de Saddam Hussein, la raison pour laquelle j'ai parlé des deux scénarios, c'est qu'il y a encore un débat au sein de l'administration. L'occasion se présente pour des gouvernements comme celui du Canada d'exprimer leur avis sur la question.

º  +-(1630)  

+-

    M. John Harvard: N'y a-t-il personne qui attend en coulisse?

+-

    Mme Janice Stein: L'administration est en train d'envisager plusieurs. Aucune décision ferme n'a encore été prise. L'une des solutions est, en fait, l'occupation militaire.

+-

    M. John Harvard: Faisons l'hypothèse qu'ils optent pour l'invasion militaire. Ont-ils un ami irakien tout prêt à prendre la place de Saddam?

+-

    Mme Janice Stein: Il n'y a pas une personne en particulier qui aurait été désignée. Aucun processus n'a été déterminé. Deux solutions générales sont envisagées. L'une est l'occupation militaire à la suite du recours à la force, auquel cas les États-Unis seraient la principale puissance occupante.

+-

    M. John Harvard: Comme à l'ère de McArthur au Japon?

+-

    Mme Janice Stein: C'est bien cela.

    La deuxième solution serait un processus administré par les Nations Unies. C'est pour cette raison que je parle des deux possibilités. Un pays comme le Canada aurait, ou devrait, avoir voix au chapitre.

+-

    M. John Harvard: Pourriez-vous répondre à la quatrième question, au sujet de la subversion?

+-

    Mme Janice Stein: Pourquoi Saddam ne subvertirait-il pas le processus d'inspection cette fois-ci? Il y a deux raisons, en quelques mots. La première, c'est que les inspecteurs sont munis d'une technologie nettement supérieure à celle de la dernière fois. Cela fera une différence énorme.

    Deuxièmement, je crois que Hans Blix et Mohamed ElBaradei, le chef de l'équipe d'inspection de l'AIEA sont conscients du fait que le Conseil de sécurité suit de très près les inspections et qu'ils ont l'appui du Conseil de sécurité. D'après la première inspection qui a eu lieu ce matin, il est clair que M. Blix exige beaucoup plus cette fois-ci que lorsqu'il était à la tête de l'AIEA.

+-

    M. John Harvard: Merci, monsieur le président.

+-

    Le président: Merci, monsieur Harvard.

    Madame McDonough, vous avez la parole.

+-

    Mme Alexa McDonough: Merci, monsieur le président.

    Bienvenu, Mme Stein, au Comité des affaires étrangères. Je tiens à vous féliciter pour votre apport positif constant pour mieux faire comprendre au grand public ce qui se passe au Moyen Orient.

    C'est une déclaration assez vigoureuse que de dire que c'est vraiment la menace crédible du recours à la force plus que toute autre chose qui a permis la reprise des inspections des armements. Je ne veux pas vous contredire, mais j'aimerais un peu d'éclaircissements. Il me semble plutôt que c'est attribuable au fait que la communauté internationale s'est rassemblée et s'est unie pour exiger la reprise des inspections des armements. Peut-être que la menace du recours potentiel à la force y est-elle pour beaucoup, mais je m'inquiète qu'on veuille attribuer le règlement du problème à la menace du recours à la force, apportant ainsi de l'eau au moulin de ceux qui sont favorables à ce que les États-Unis décident unilatéralement d'une attaque militaire et pour qui c'est, de toute façon, la seule solution. Je me demande si vous pouvez un peu étoffer vos propos.

    Deuxièmement, je m'inquiète que nous passions tant de temps à nous concentrer sur un méprisable despote, Saddam Hussein. Tout le monde s'entend, dans le monde civilisé, là-dessus. Nous ne mettons pas assez l'accent, à mon avis, sur le fait que ce il n'est qu'une personne en Irak alors qu'il y a tout un peuple, là-bas, avec lequel nous devons trouver des moyens d'instaurer la démocratie, de faire régner la paix.

    Je m'étonne que nous n'en ayons pas fait plus. Très franchement, les Nations Unies, et le Canada, n'ont pas fait beaucoup pour vraiment promouvoir le concept selon lequel la levée des sanctions sera, de fait, un élément de la réponse à une coopération avec les inspecteurs des armements et au désarmement complet. Ce n'est que dans ces conditions que nous pouvons aider la population, à la fois à reconstruire leur vie et à instaurer une démocratie réelle. Je me demande si vous pouvez commenter cela.

    Ma troisième question porte sur le rôle de la Ligue des États arabes. Je pose cette question, vraiment, en toute ignorance. Il me semble que la Ligue des États arabes a vraiment grandement contribué, tout d'abord, a faire comprendre pourquoi il leur fallait extraire l'Irak de son isolement total, et c'est ce qu'ils ont fait en avril. De plus, je ne crois pas qu'il y ait le moindre doute que la diplomatie règne, même si c'est peut-être légèrement en dehors des limites de l'écran radar, dans plusieurs États arabes. Ils ont aidé à convaincre l'Irak de coopérer, non pas en menaçant de recourir à la force, mais en lui faisant prendre conscience de la réalité de l'effet de déstabilisation que pourrait avoir une attaque militaire sur tout le Moyen Orient. J'aimerais savoir s'il y a une possibilité que la Ligue des États arabes continue de jouer un rôle constructif, ce à quoi nous devrions porter attention.

    Enfin, j'ai encore une dernière question particulière. Vous vous inquiétez que l'Irak assure la gestion de ses champs pétrolifères quand tout sera passé, quelle qu'en soit la nature. Y a-t-il un rôle à jouer, que vous voudriez bien expliquer quelque peu? Le problème semble évident,mais quelle est la solution?

º  +-(1635)  

[Français]

+-

    Le président: Madame Stein.

[Traduction]

+-

    Mme Janice Stein: La menace crédible du recours à la force était, je crois, absolument nécessaire, parce que dans le passé, nous avons eu des résolutions du Conseil de sécurité, qui étaient unanimes, relativement à des exigences faites à l'Irak de coopérer avec les équipes d'inspection, mais elles ont été sans effet. Alors je crois qu'il est important pour un pays comme le Canada, qui appuie les Nations Unies, qu'il comprenne que c'étaient les deux conditions ensemble, soit l'unanimité du Conseil mais aussi le fait qu'un Conseil unanime peut formuler une menace crédible de recours à la force, qui a amené Saddam à changer de comportement et, très franchement, aussi la Ligue des États arabes.

    Je pense que vous avez raison de dire que la Ligue des États arabes, les ministres des Affaires étrangères et les présidents ont dit à Saddam sans équivoque que s'il refusait de se conformer, il ne faisait aucun doute qu'il y aurait usage de la force, et c'est pourquoi il a cédé.

    La question de la levée des sanctions en est un facteur important. Mais je pense qu'il y a là un deuxième enjeu. C'est qu'avant la guerre entre l'Iran et l'Irak, l'Irak était le pays le plus alphabétisé du monde arabe. C'est lui qui avait le plus grand nombre de femmes qui travaillaient comparativement à tout autre pays du monde arabe. Il a le plus grand nombre d'universités. Il a le plus grand nombre de scientifiques du monde arabe. C'est un pays du monde arabe qui a la plus grande richesse au plan de ce que nous appelons le capital humain, et aussi au plan des ressources naturelles et financières. Il vit, très franchement, un cauchemar depuis 20 ans, sous la direction de ce gouvernement, mais il y a une immense opportunité de collaborer financièrement et politiquement avec l'Irak. J'aimerais bien pouvoir vous en dire plus.

    Le troisième enjeu est la gestion des champs de pétrole, et je crois que c'est lié de très près. Je pense, en résumé, qu'il est impératif qu'il y ait un régime équitable, et jugé équitable, qui gère les ressources pétrolières de l'Irak.

    Je sais qu'il y a des membres du comité qui comprennent le concept des droits du successeur. La France et la Russie ont signé avec le gouvernement de Saddam Hussein des ententes visant de vastes concessions pétrolières. On ne sait pas exactement ce qu'il adviendrait de ces ententes si ce gouvernement devait tomber. Il sera absolument indispensable d'avoir un processus équitable et transparent d'attribution de toute nouvelle concession. Il faudra au moins trois à dix ans d'investissements de milliards de dollars avant que la production pétrolière de l'Irak soit rétablie au niveau de 1979.

+-

    Le président: Merci, madame Stein.

    Monsieur Eggleton, vous avez la parole.

+-

    M. Art Eggleton: Monsieur le président, je suis heureux de voir Mme Stein avec nous aujourd'hui. J'ai le plus grand respect pour ses opinions et pour les analyses qu'elle fait.

    Je pourrais ajouter que j'ai aussi lu un article, la semaine dernière, que je recommanderais aux membres du comité de lire aussi, pour l'information qu'il comporte sur ce qui arrive après une attaque, s'il y en a une. C'était un article de James Fallows, je pense, dans l'Atlantic Monthly . Il est intitulé «The Fifty-first State?». Pour une fois, il ne s'agit pas de nous, mais de l'Irak. Ce qu'il dit, c'est que s'il y a frappe militaire, il s'écoulera bien du temps avant que la communauté internationale ou l'Occident quitte l'Irak.

    Je voudrais exposer ce scénario à Mme Stein: si on découvre que Saddam Hussein, l'Irak, étaient en violation substantielle de la résolution 1441, est-ce que cela entraînerait une attaque? Si je me souviens bien, avant que cela puisse arriver, il faut que le Conseil de sécurité examine la situation. Mais n'y a-t-il pas d'autre choix, soit que les armes de destruction massive, les armes chimiques, biologiques ou toutes autres—qui sont trouvées soient détruites plutôt que d'attaquer? Je me demande ce qui, à votre avis, arriverait?

    Pour les États-Unis, avec tous les cliquetis d'épée que l'on entend, on a l'impression qu'ils sont très pressés de se lancer dans une attaque, et s'ils veulent encore un changement de gouvernement, ce pourrait tout simplement devenir l'excuse qu'il leur faut. Mais quelles sont les possibilités—comment voyez-vous l'évolution de la situation—en matière de destruction des armes de destruction massive? Si cela arrivait, des pénalités seraient-elles imposées à Saddam? Comment composeraient-ils avec lui dès l'instant où on renoncerait à une attaque et où Saddam parviendrait à rester en place et à garder le pouvoir même s'il a été prouvé qu'il a menti? Je ne sais pas. Peut-être a-t-il caché toutes ses armes, il s'en est débarrassé à temps. Mais si on devait constater une violation substantielle de la résolution, est-ce que cela signifie nécessairement qu'il y aura une attaque militaire?

º  +-(1640)  

[Français]

+-

    Le président: Madame Stein.

[Traduction]

+-

    Mme Janice Stein: La réponse à votre question pourrait dépendre d'au moins trois interprétations contradictoires.

    Je pense qu'il y a l'interprétation de la majorité du Conseil de sécurité, voulant que les deux chefs des équipes d'inspection sont les seules personnes qui peuvent confirmer qu'il y a eu violation substantielle de la résolution. Ils en rendraient alors compte au Conseil de sécurité. Les États-Unis ne sont pas d'accord et affirment qu'il y a, selon eux, diverses actions qui doivent être considérées comme des violations substantielles, quoi qu'en pensent les inspecteurs.

    La raison de ces points de vues contradictoires vient du problème de ce que la définition même d'une violation substantielle n'a pas été soulevée avant l'adoption de la résolution 1441. C'est donc que les membres du Conseil de sécurité ne se sont pas entendus sur ce qui constitue une violation substantielle. Le sujet a délibérément été évité dans la discussion, parce qu'ils ne s'entendaient pas sur ce que ce pouvait être. Est-ce que les inspecteurs devaient présenter un rapport? C'est donc un problème.

    La deuxième embûche c'est que si les inspecteurs constataient une violation substantielle, ils seraient tenus d'en faire rapport immédiatement au Conseil de sécurité. Alors le problème c'est que la grande majorité du Conseil de sécurité affirme qu'une deuxième résolution s'impose—mais les Nations Unies disent qu'il n'est pas nécessaire de prendre une deuxième résolution. À partie du moment où M. Blix, ou l'AIEA confirme qu'il y a violation substantielle, les États-Unis estiment que la résolution 1441 suffit à autoriser une coalition des bonnes volontés à recourir à la force miliaire.

    M. Art Eggleton: Mais si...? Je n'ai plus de temps?

+-

    Le président: Je veux seulement en être sûr. M. Casey a une question à poser.

+-

    Mme Janice Stein: Il n'y a donc pas d'entente. Aucune entente.

+-

    M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC): Certains pays pourraient les forcer à s'adresser au Conseil de sécurité aux fins d'examen de la question.

+-

    Le président: Je sais que Mme Stein doit bientôt partir. Monsieur Casey.

+-

    M. Bill Casey: Je crois que nous avons tous environ une demi-heure de questions à vous poser. Nous sommes, en tout cas, heureux que vous soyez venue.

    Je me demandais quels échéancier vous entrevoyez? S'ils constatent qu'il y a eu violation substantielle, combien de temps... et ensuite les sanctions seraient levées? S'il y a violation substantielle, quel échéancier envisagez-vous?

+-

    Mme Janice Stein: Permettez-moi de vous exposer le scénario le plus optimiste, parce que la réponse à un bon nombre de ces questions dépend de ce que nous obtenions le meilleur résultat possible, ou le pire résultat possible qu'on puisse imaginer. L'article de James Fallows, dont l'honorable membre vient de parler, catégorise tout cela en bon résultat et mauvais résultat.

    À court terme, la première date importante est le 8 décembre...

º  -(1645)  

+-

    M. Bill Casey: C'est leur engagement.

+-

    Mme Janice Stein: ...lorsqu'ils devront présenter la liste de leurs armes chimiques, biologiques et nucléaires, laquelle Saddam Hussein est tenu de remettre.

    Je m'attends à ce que les inspecteurs reçoivent des milliers et des milliers de pages de documents, qu'il leur faudra beaucoup de temps pour examiner, parce que la stratégie de Saddam est de faire tourner les aiguilles de l'horloge de l'hiver. S'il peut, en fait, gagner du temps jusqu'après mars, il deviendra alors extrêmement difficile de recourir à la force militaire.

    Deuxièmement, si on découvre qu'il n'a pas d'armes de destruction massive—ce qui est le scénario le plus optimiste qu'on puisse imaginer—alors, la question serait de nouveau discutée au Conseil de sécurité. Il faudrait agir d'ici au printemps, relativement à de nouvelles mesures de sanction. Il en a déjà été discuté, en partie, dans le sens de la formulation de sanctions soit disant très intelligentes et très ciblées, qui se limiteraient au matériel à usage clairement bivalent.

    Je crois que c'est plus difficile à réaliser en pratique que ne peuvent le penser les gens qui parlent de sanction intelligente et ciblée. Mais il est certain que certaines des choses qui sont actuellement sur la liste de sanctions viennent de là. Je m'attends à ce que la discussion soit entamée à la fin du printemps. M. Blix a dit que le processus d'inspection prendra entre 12 et 24 mois, avant que l'Irak puisse être déclaré libre d'armes de destruction de masse.

+-

    M. Bill Casey: Rien ne devrait donc se passer pendant toute une année?

+-

    Mme Janice Stein: Rien ne devrait arriver pendant une année, à moins de confirmation de violation substantielle de la résolution de la part de l'Irak.

+-

    M. Bill Casey: Donc, les inspecteurs pourraient déclarer n'importe quand qu'il y a eu violation?

+-

    Mme Janice Stein: Oui.

+-

    M. Bill Casey: Mais ils ne peuvent pas affirmer qu'il n'y a pas d'armes pendant au moins une année?

+-

    Mme Janice Stein: C'est bien cela. Nous pourrions avoir confirmation d'une violation substantielle n'importe quand. Il devra s'écouler probablement au moins 18 mois avant qu'il puisse être certifié que l'Irak n'a pas d'armes de destruction massive.

+-

    M. Bill Casey: Avez-vous déjà calculé, ou évalué, le nombre de morts s'il devait y avoir une guerre?

+-

    Mme Janice Stein: S'il y a des prédictions du nombre de morts en cas de guerre? Pour répondre en quelques mots, vous savez que les planificateurs militaires dressent un très très bon scénario, très optimiste, et un autre très très négatif. Selon le scénario le plus optimiste, tous les officiers militaires de Bagdad—quasiment au premier coup de feu—entrent en action pour se débarrasser de quelqu'un dont ils attendaient depuis longtemps de pouvoir se débarrasser. Dans ce scénario d'une guerre très, très courte, il y aurait extrêmement peu de morts parmi les militaires, et très peu parmi les civils. C'est le scénario le plus optimiste qu'on puisse imaginer.

    Dans le scénario cauchemardesque, il y aurait 10 000 morts chez les militaires et des centaines de milliers de morts chez les civils, s'il devait y avoir des combats de porte en porte à Bagdad.

    Les deux scénarios sont tout aussi plausibles l'un que l'autre. Tout est possible.

+-

    Le président: Un dernier mot, monsieur Casey.

+-

    M. Bill Casey: Ma dernière question touche aux trois possibilités dont vous avez parlé il y a un moment. Si les États-Unis déterminaient, selon sa perspective, qu'il y a eu violation substantielle de la résolution, pensez-vous qu'ils pourraient agir de leur propre initiative?

+-

    Mme Janice Stein: Certainement, je peux le voir, et je n'ai pas besoin de beaucoup d'imagination pour ça.

+-

    M. Bill Casey: C'est une réponse assez directe.

+-

    Le président: Merci beaucoup, madame Stein. Ça a été un véritable plaisir que de vous avoir avec nous.

    je sais que vous devez prendre l'avion à 18 heures, parce que vous êtes sensée passer à une émission de TVOntario ce soir. Merci encore d'être venue.

+-

    Mme Janice Stein: Merci de m'en avoir donné l'occasion.

-

    Le président: Nous allons suspendre la séance pendant cinq minutes, parce qu'ensuite, la réunion se poursuivra à huis clos.

    Je vous remercie.