FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mercredi 4 décembre 2002
¹ | 1535 |
Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)) |
Le greffier du comité |
Le président |
Le greffier |
M. John Duncan (Île de Vancouver-Nord, Alliance canadienne) |
Le président |
M. John Duncan |
Le président |
M. John Duncan |
Le président |
M. Svend Robinson (Burnaby—Douglas, NPD) |
Le président |
M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.) |
Le président |
M. Svend Robinson |
M. Sarkis Assadourian |
Le président |
M. Svend Robinson |
Le président |
Le président |
¹ | 1540 |
Le président |
» | 1705 |
Le président |
M. Charles-Philippe David (titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, Université du Québec à Montréal) |
» | 1710 |
» | 1715 |
Le président |
M. Ronald Cleminson (témoignage à titre personnel) |
» | 1720 |
» | 1725 |
Le président |
M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne) |
» | 1730 |
Le président |
M. Charles-Philippe David |
Le président |
M. Ronald Cleminson |
» | 1735 |
Le président |
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ) |
Le président |
M. Ronald Cleminson |
M. Charles-Philippe David |
» | 1740 |
Le président |
M. Yvon Charbonneau (Anjou—Rivière-des-Prairies, Lib.) |
» | 1745 |
Le président |
M. Charles-Philippe David |
Le président |
M. Ronald Cleminson |
» | 1750 |
Le président |
Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD) |
Le président |
M. Charles-Philippe David |
» | 1755 |
Mme Alexa McDonough |
M. Charles-Philippe David |
Le président |
Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.) |
Le président |
Mme Aileen Carroll |
M. Ronald Cleminson |
Mme Aileen Carroll |
Le président |
CANADA
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international |
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l |
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l |
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TÉMOIGNAGES
Le mercredi 4 décembre 2002
[Enregistrement électronique]
¹ (1535)
[Traduction]
Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Je déclare ouverte la séance du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, l'ordre du jour consiste à examiner une ébauche de rapport sur l'intégration nord-américaine et le rôle du Canada face aux nouveaux défis que pose la sécurité. C'est ce que nous allons faire entre 15 h 30 et 17 heures, à huis clos. Par la suite, de 17 heures à 18 heures, la séance sur l'étude de la question de l'Irak sera publique et nous allons entendre quelques témoins.
Avant de passer à la séance à huis clos...
Le greffier du comité: Sommes-nous en séance publique maintenant?
Le président: Oui.
Le greffier: Un instant, monsieur le président.
Nous ne sommes pas encore en séance publique. Nous le sommes maintenant.
M. John Duncan (Île de Vancouver-Nord, Alliance canadienne): J'invoque le Règlement au sujet de l'ordre du jour; nous avons une note ici indiquant qu'il se peut que nous ayons à revenir ici à 19 heures. Je suis désolé...
Le président: Non. Si vous me laissiez terminer, monsieur Duncan, ce que je veux dire, c'est que nous allons siéger de 17 heures à 18 heures. Si à 18 heures, nous n'avons pas terminé l'examen de l'intégration nord-américaine, nous reviendrons de 18 heures à 19 heures. Si nous n'avons toujours pas terminé, nous reviendrons demain matin.
M. John Duncan: C'est ce que je voulais dire. Certains d'entre nous ont des engagements. Je n'ai pas reçu cet avis avant la période de questions d'aujourd'hui et à mon avis, c'est parfaitement irrégulier.
Le président: Vous avez reçu ce matin l'invitation pour demain.
M. John Duncan: Non, demain ne pose pas de problème, je parle de...
Le président: Nous verrons bien où nous en sommes à 16 heures. Si tout va bien, nous reviendrons demain matin.
Avant de commencer, j'ai ici une motion de M. Robinson à propos du génocide des Arméniens. Le 27 novembre, nous avons adopté une motion de M. Assadourian à ce sujet. Nous sommes aujourd'hui saisis de la même motion: que le comité invite la Chambre des communes à reconnaître le génocide des Arméniens, qui a été commencé au début du siècle dernier, pendant la Première Guerre mondiale, pas les Turcs ottomans. Cette motion a été acceptée, mais il n'est pas indiqué qu'elle doit être adoptée en tant que rapport du comité et que le président présente le rapport à la Chambre. C'est la raison pour laquelle M. Robinson présente de nouveau cette motion.
Je suis d'accord, comme nous tous, avec M. Robinson. Nous n'allons pas discuter du génocide des Arméniens, du pour et du contre, puisque c'est ce que nous avons fait la dernière fois, le 27 novembre. La motion est de nouveau présentée uniquement pour que l'on soit prêt à procéder au vote.
Monsieur Robinson, comme vous êtes le motionnaire, allez-y.
M. Svend Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): Monsieur le président, je vais être bref. Je n'étais malheureusement pas présent pour la discussion en comité la semaine dernière, car j'étais avec ma collègue, Mme Lalonde, à Bruxelles. Les membres du comité se souviennent que j'avais donné avis d'une motion semblable relative à la reconnaissance du génocide des Arméniens. Je suis très heureux que la motion ait été adoptée.
Lorsque j'ai lu la motion, une omission m' a sauté aux yeux, étant donné qu'il n'était pas prévu que la motion soit adoptée en tant que rapport à la Chambre, alors que nous présentons des rapports à propos de toute décision importante de cette nature que prend notre comité.
C'est essentiellement une motion de nature technique. Nous n'avons pas à rediscuter du fond de la motion qui a été adoptée par le comité. Je propose simplement, comme c'est le cas pour toute autre décision importante du comité, que nous fassions rapport de notre décision à la Chambre.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Robinson, pour votre brièveté.
Monsieur Assadourian.
M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Merci beaucoup.
Je suis entièrement d'accord avec mon collègue. C'est une omission de la part des membres du comité de mon côté. Je proposerais toutefois, dans la mesure du possible et si cela lui convient, de reporter le vote de cette question au mois de février ou de mars de l'année prochaine, car d'après moi, l'effet de la motion ne sera pas perdu. Je serais heureux qu'il accepte de reporter ce vote en février ou en mars prochain, après notre retour des vacances de Noël. Je lui en serais très reconnaissant, car je pense que cela vaudrait mieux pour tous les intéressés, ceux qui ont cette question à coeur. Je lui en serais très reconnaissant.
Le président: D'après le Règlement et sur les conseils du greffier, je dois vous dire, monsieur Assadourian, que puisqu'une motion est déjà déposée, il faut obtenir le consentement unanime du comité pour son report ou son retrait aujourd'hui.
M. Svend Robinson: Monsieur le président, je suis tout à fait prêt à l'envisager, mais je dois dire que je suis un peu perplexe et que je me demande pourquoi d'après M. Assadourian, il est nécessaire de la reporter jusqu'au mois de février. Pour quelle raison?
M. Sarkis Assadourian: Je suis parfaitement d'accord avec mon collègue qui souhaite adopter la motion. Je crois qu'il est important que l'on obtienne suffisamment de “oui“ pour l'adopter, car dans le cas contraire, nous n'arriverons pas à défendre cette cause. C'est la raison pour laquelle je préfère céder la parole à mon collègue.
Je suis sûr qu'il comprend que nous voulons faire en sorte que cette motion soit adoptée et que la Chambre des communes en soit saisie et procède au vote. C'est ce que nous avons l'intention de faire.
Le président: Monsieur Robinson, en tant que motionnaire, voulez-vous la retirer? Si oui, il me faut le consentement unanime du comité.
M. Svend Robinson: Monsieur le président, je suis tout à fait prêt à retirer la motion vu qu'apparemment, M. Assadourian pense qu'elle ne bénéficiera pas de suffisamment d'appui de son côté du comité et que l'on ne pourra donc pas en faire rapport à la Chambre. Je suis désolé d'apprendre que c'est ce qu'il pense. Dans la mesure où cette motion sera de nouveau déposée en février, je suis tout à fait prêt à la retirer, monsieur le président.
Le président: Comme je l'ai dit plus tôt, il me faut le consentement unanime du comité. Avons-nous ce consentement?
Des voix: Non.
Le président: Nous n'avons pas le consentement unanime du comité. Nous allons donc procéder au vote.
(La motion est rejetée par 6 voix contre 5)
¹ (1540)
Le président: Nous allons maintenant poursuivre à huis clos pour le rapport.
[Note de la rédaction: La séance se poursuit à huis clos.]
» (1705)
[Note de la rédaction: La séance publique reprend.]
Le président: Conformément à l'article 108(2) du Règlement, l'ordre du jour consiste à étudier la question de l'Irak.
Nous avons le plaisir aujourd'hui de recevoir comme témoin
[Français]
de l'Université du Québec à Montréal, M. Charles-Philippe David, qui est titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques.
Bienvenue, monsieur David, et merci de nous avoir donné votre texte à l'avance dans les deux langues officielles.
[Traduction]
Comparaît également à titre individuel, M. Ronald Cleminson, membre du Collège des commissaires de la Commission de contrôle, de vérification et d'inspection des Nations Unies. Bienvenue, monsieur Cleminson.
Je crois que M. Cleminson doit partir à 18 heures précises.
Je vais demander à M. David de commencer, avant de passer à M. Cleminson. Nous aurons ensuite la période de questions, chaque membre du comité disposant de cinq minutes pour les questions et réponses.
Monsieur David.
[Français]
M. Charles-Philippe David (titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, Université du Québec à Montréal): Merci beaucoup, monsieur Patry et honorables députés de la Chambre des communes. C'est un honneur de comparaître devant vous. C'est d'ailleurs un peu une première pour moi.
Je ne voudrais pas faire de grandes déclarations et vous ennuyer avec mes propos. J'ai soumis un texte qui, comme vous l'avez remarqué, est dans les deux langues officielles, sur mon opinion en général sur la question irakienne, qui n'a pas beaucoup bougé depuis que j'ai conçu ce texte, il y a un mois ou un mois et demi. J'ai fait les amendements nécessaires au texte pour tenir compte des dernières évolutions. Donc, je ne ferai pas de très grandes déclarations. Je voudrais surtout répondre aux questions et vous aider, dans la mesure du possible, à éclaircir certaines dimensions du problème.
J'ai deux ou trois remarques à faire, qu'il m'apparaît essentiel de retenir de ce document et de ma pensée sur la question irakienne. La première--je pense qu'il faut être très clair--, c'est qu'il faut aller faire cette guerre en Irak pour les bonnes raisons.
» (1710)
[Traduction]
Il faut faire cette guerre en Irak pour de bonnes raisons, sinon, cette mission au Moyen-Orient et dans le golfe Persique perdra de sa légitimité, de son efficacité et échouera.
Ce qui m'inquiète beaucoup, c'est que le président Bush nous laisse croire qu'il n'attendra peut-être pas que les inspecteurs terminent leur travail et nous présentent des preuves permettant de demander de nouveau au conseil de sécurité, en vertu de la résolution actuelle 1441, de déclencher la guerre. S'il est question véritablement d'un changement de régime et non d'inspections, je crois que l'impact pourrait en être néfaste à de nombreux égards et pour de nombreuses raisons.
[Français]
J'attendrais que la démonstration soit faite de la tricherie irakienne. D'abord, on ne peut pas décider de cela après une semaine d'inspection. Il y a des gens beaucoup plus qualifiés que moi, je crois, pour démontrer ou prouver que le travail d'inspection est un travail fastidieux et de longue haleine. On n'a pas vraiment su avant 1995, soit quatre ans après le début des inspections en Irak, que Saddam Hussein cachait des armes biologiques. Donc, ce n'est pas en une, deux ou trois semaines qu'on risque de trouver une nouvelle sensationnelle.
Cependant, ces inspections auront une efficacité certaine si elles peuvent dépendre des défections ou des informations que les inspecteurs pourraient obtenir de la part des savants, des gens qui travaillent dans le complexe militaro-scientifique irakien. À mon avis, s'il doit y avoir une démonstration évidente de la mauvaise foi du régime de Saddam Hussein, elle viendra surtout de cette occasion, si elle est bien menée. Si on trouve les bons informateurs, on pourra peut-être alors démontrer que des armes illicites ont été cachées en Irak.
Je ne m'attends pas à des révélations sensationnelles, comme vous d'ailleurs, dans le document qui sera déposé, probablement samedi, par l'Irak. J'ai l'impression que leur document sera considérable. Ils nieront avoir présentement des armes de destruction massive, mais avoueront en même temps qu'ils en ont eu passablement dans les dernières années et au cours de leur histoire. Ce seront probablement des déclarations sur des armes vétustes, surtout chimiques et biologiques. Je ne m'attends pas à découvrir là de révélations sur les armes nucléaires.
Deuxièmement, après avoir parlé des inspections et de leur donner une chance, je dirai que je ne suis pas sûr que l'administration va donner aux inspecteurs toute la chance d'accomplir leur travail jusqu'au bout, parce qu'il y a un calendrier militaire qui est en marche. J'en viens à mon second point. C'est à la fois le beau côté et le mauvais côté de l'histoire. Le beau côté de l'histoire ou la bonne nouvelle, c'est que les inspecteurs pourront faire un meilleur travail que dans le passé si leur travail est soutenu par une démonstration de force.
[Traduction]
Rien ne peut remplacer une bonne inspection, lorsque le pays inspecté sait que si quelque chose est découvert ou s'il cache quoi que ce soit, la menace du recours à la force est imminente ou va se concrétiser. Nous avons eu beaucoup de déploiements ou beaucoup de signes d'un plan de guerre, qui est en fait déjà déclenché. Je pense que c'est normal.
Par contre—et c'est le côté négatif de l'histoire—vous ne pouvez pas intervenir au mois de mai. Vous pourriez bombarder, mais pas déployer de troupes au sol. Si le but, c'est un changement de régime, les bombardements ne suffiront pas. C'est donc à exclure après le mois de janvier, février et mars. Le temps presse donc et c'est pourquoi des navires, des porte-avions se dirigent rapidement vers le golfe Persique et que des quartiers généraux spéciaux s'y installent.
Il faut également se préparer pour la paix. Gagner la guerre est une chose, gagner la paix en est toute une autre. D'après ce que je sais et d'après les gens auxquels je parle—ceux qui sont à Washington ainsi que les milieux universitaires—je ne pense pas que l'on soit suffisamment intéressé à planifier ce qui va se passer après une guerre en Irak, et c'est ce qui m'inquiète.
Pour les raisons que j'expose dans mon document, il sera très difficile de bâtir une nation en Irak, vu qu'il s'agit d'une société multi-ethnique. On parle ici d'un État quasi-artificiel, créé il y a 80 ans seulement. Son histoire est encore plus récente que celle du Canada. Bâtir une nation au Moyen-Orient est donc quelque chose de très difficile.
Je ne dis pas que cela ne peut se faire, mais ce qui m'inquiète davantage, c'est l'absence de tout engagement à cet égard après une guerre alors que l'engagement pour la guerre est bel et bien là. Je ne sais pas ce qui se passerait si un commandant américain était nommé responsable de Bagdad de la même façon que le général MacArthur, au Japon; je ne sais pas si cela pourrait fonctionner en Irak. En effet, nous parlons ici du Moyen-Orient et ce serait une première.
Effectivement, nous avons reconstruit et démocratisé le Japon et l'Allemagne et nous nous en sortons également pas trop mal en Bosnie; par contre, l'exemple de l'Afghanistan m'inquiète: la guerre a été remportée, mais la paix est bien loin d'être instaurée. Par conséquent, si l'on veut bâtir une nation en Irak, il faudra s'y prendre beaucoup mieux qu'en Afghanistan.
» (1715)
[Français]
En fin de compte, je crois que les États-Unis commettraient une erreur en intervenant de façon unilatérale ou par l'entremise d'une coalition. J'ai toujours cru--et ce n'est pas parce les événements en Afghanistan ont connu un certain succès que je dirai le contraire de ce que j'avais dit à l'époque--qu'il valait mieux que ces interventions se fassent le plus possible dans le cadre multilatéral d'opérations onusiennes.
Les États-Unis bénéficiaient et bénéficient encore d'un certain capital d'appui, et il serait dommage de le gaspiller, d'autant plus que dans un cas comme celui de la résolution 1441, l'appui de la France a été difficilement acquis. Il serait dommage de gâcher le consensus qui leur est présentement favorable, du moins à l'ONU, par des actions unilatérales qui donneraient l'impression que la stratégie multilatéraliste de l'ONU n'est qu'un paravent camouflant un ordre du jour unilatéraliste.
Il s'est tenu bon nombre de discussions au cours desquelles on a confronté les concepts d'unilatéralisme et de multilatéralisme, et je serai prêt à répondre à des questions sur le sujet. Il est néanmoins très important de conserver les quelques alliés qui appuient les États-Unis dans cette entreprise.
[Traduction]
Les États-Unis s'en sortiraient sans doute grandis s'ils pouvaient démocratiser et libérer l'Irak en l'espace de quelques mois. Par contre, s'ils agissent unilatéralement, ce sera au détriment des ententes internationales en matière d'appui multilatéral. Cela me préoccupe.
Je n'ai pas de réponses définitives, je ne peux malheureusement pas prédire l'avenir et vous dire ce qu'il faut faire. La prudence est de rigueur et je pense que la précipitation est parfois contraire à la sagesse. Il faut donc procéder avec prudence.
Merci.
[Français]
Le président: Merci, monsieur David.
Monsieur Cleminson, c'est à vous.
[Traduction]
M. Ronald Cleminson (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président.
Je me demande si vous avez choisi M. David et moi-même comme témoins pour que l'un traite de la théorie et l'autre de la pratique. Toutefois, je reviens tout juste de New York où j'ai eu l'occasion de discuter de l'opération en cours, avec la commission. Par conséquent, au lieu d'entrer dans les détails, je vais simplement aborder trois principes.
Premièrement, que font les Nations Unies en Irak? Si je devais le définir, je dirais qu'il s'agit d'une «politique de l'endiguement au lieu de guerre», car c'est exactement ce que font les Nations Unies. Ce n'est pas un nouveau concept. Il suffit de revenir... En fait, je m'y intéresse, à cause de la guerre de Corée, à l'époque où j'ai joint les rangs de l'Aviation royale du Canada; à partir du moment où j'ai reçu mes insignes ailés, l'armistice a été signée.
La Corée est un exemple clair d'agression—le nord contre le sud. Le Conseil de sécurité a pris alors des mesures conformément au chapitre 7 de la Charte NU. Il a pris des mesures militaires, dirigées de façon dynamique—militairement et politiquement—par les États-Unis et par un président très opiniâtre, le président Truman. Dès que les forces sont arrivées au nord du 30e parallèle, l'armistice a été signée.
Quarante ans plus tard, nous avons connu la même situation dans le golfe, je veux parler de l'agression de l'Irak contre le Koweit. Le Conseil de sécurité a de nouveau pris des mesures en vertu du chapitre 7, et encore une fois, sous la direction dynamique des États-Unis d'Amérique, avec un président très décidé, le président Bush Sr. Les envahisseurs ont été refoulés, l'intégrité du pays a été restaurée et la résolution 687 adoptée. Bien sûr, nous avons eu toute une série de résolutions depuis, la plus récente étant la résolution 1441. C'est donc ainsi qu'ont agi les Nations Unies, à deux reprises.
Qu'est-ce que la politique de l'endiguement? Elle consiste simplement à faire en sorte qu'un pays n'inquiète pas ses voisins. Il suffit d'examiner ce qui s'est produit en Corée en 1950 pour s'apercevoir que les dirigeants coréens n'ont rien fait depuis 50 ans contre leurs voisins ou contre la communauté internationale. Par contre, le peuple coréen a très certainement souffert. Quelle est la situation de l'Irak depuis les dix dernières années? Elle est exactement la même. En gros, Saddam Hussein n'est juste qu'un pion parmi tant d'autres sur la scène internationale. Toutefois, son peuple souffre. Par conséquent, la politique de l'endiguement peut fonctionner et selon moi, elle peut parfaitement remplacer la guerre.
À quoi servent les inspections? Nous avons trois types d'inspection. Je ne vais pas les analyser en détail, si ce n'est souligner que, d'après certains, nous n'avons pas d'antécédents. Bien sûr que oui, l'AIEA procède à des inspections depuis plus de 40 ans dans le cadre du programme de garantie du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, et procède à des inspections en Irak depuis dix ans en vertu de la résolution 687 et de la résolution 1441.
Le Conseil de sécurité a créé la CSNU dont l'idée, conçue à Washington, a été présentée aux Nations Unies et adoptée par elles. J'ai assisté à la première séance de la CSNU qui regroupait 21 personnes qui ne se connaissaient pas. Nous avons progressivement demandé aux pays d'envoyer leurs inspecteurs et depuis huit années et demie qu'existe la CSNU, plus de 3 000 inspecteurs se sont présentés.
De temps à autre, on parle, dans ce contexte, de cow-boys. Effectivement, des problèmes se présentent inévitablement de temps à autre, lorsqu'interviennent 3 000 personnes, originaires de 32 pays différents. C'est toutefois une réussite—non un échec.
La COCOVINU a résolu les problèmes de la CSNU; en effet, tous les inspecteurs sont maintenant des employés des Nations Unies et ne relèvent que d'elles. La COCOVINU est un exemple unique en son genre dans l'histoire des Nations Unies; par conséquent, ce qui se passe en Irak aujourd'hui est une opération très professionnelle dont les objectifs sont bien planifiés. Le délai prévu—que les États-Unis ont l'intention de respecter—a été fixé par la résolution 1284 du Conseil de sécurité, en 1999. Cette résolution a été également parrainée et défendue par les États-Unis.
» (1720)
Autant que je sache, un rapport final doit être présenté au Conseil de sécurité dix mois après le début du travail: c'est le délai qui a été fixé. Ce serait au Conseil de sécurité de décider s'il y a violation déterminante ou non.
On peut certainement s'arrêter sur ce qu'est une violation déterminante et les avocats seront certainement heureux d'essayer de définir cette expression ou, dans le contexte de la résolution 1441, ce qu'est une violation déterminante additionnelle.
Dans tous les cas, en ce qui concerne la politique de l'endiguement, nous avons tendance, tout comme nos médias certainement, à mettre l'accent sur les inspections d'armes. Elles sont bien sûr importantes, mais je ne crois pas personnellement qu'il y ait beaucoup d'armes de destruction massive en Irak; quoi qu'il en soit, nous le verrons bien.
Tout aussi important et peut-être plus important que les inspections d'armes, il faudrait en quelque sorte voir si l'Irak a la capacité de relancer ses programmes d'armes de destruction massive. Personne ne semble beaucoup s'y intéresser et pourtant, c'est aussi important que les armes elles-mêmes, si pas plus, à mon avis.
J'ai remis au greffier un petit document que j'ai préparé moi-même à partir de 1991. J'essaie de montrer l'ensemble du programme des Nations Unies— il s'agit des acronymes en anglais—que j'appelle «Politique de l'endiguement au lieu de guerre» en disant qu'on ne peut parvenir à une telle politique qu'en trouvant des mécanismes de contrôle efficaces et qui se renforcent mutuellement.
Je ne vais pas vous parler de ce schéma de ma composition, qui n'est pas un schéma de câblage, mais c'est le reflet de la réalité en ce moment. Par exemple, nos médias nous disent souvent que grâce aux ventes de pétrole qui s'élèvent à 38,5 milliards de dollars depuis 1996, Saddam Hussein a pu remplir ses coffres et, assis dans un de ses palais, compte tous ses billets verts. En fait, pas un seul de ces dollars ne se trouve en Irak, mais plutôt dans un fonds de garantie bloqué des Nations Unies, qui est géré par le Bureau chargé du Programme Irak. Ce n'est que l'un des nombreux malentendus qui s'installent.
Permettez-moi simplement de terminer en vous parlant de ce que j'ai pu observer au cours des deux dernières semaines, tant à New York qu'à Ottawa. Il me semble que certains, dans les médias, s'efforcent de mettre en doute les titres de l'ambassadeur Blix, compte tenu de ses antécédents au sein de l'AIEA.
Le plus récent de ces articles, que j'ai pu lire aujourd'hui, paraît dans l'Ottawa Citizen, sous la plume de David Warren. J'ai appelé son bureau cet après-midi et laissé un message sur son répondeur en lui demandant, pour commencer, s'il avait déjà rencontré l'homme en question? Deuxièmement, puisqu'il prétend qu'il n'est qualifié pour aucun des postes qu'il a occupés, je lui ai demandé s'il savait qu'il avait été ministre des Affaires étrangères de Suède? Avec son doctorat en droit, peut-être était-il qualifié pour ce poste?
Je ne connais M. Blix que depuis trois ans et encore, pas très bien. Il est le président et je suis simplement un membre et vous savez ce qui se passe entre président et membres de n'importe quelle commission. Dans tous les cas, j'ai l'impression que M. Blix est quelqu'un d'extrêmement compétent. Ses antécédents sont uniques. Il a dirigé l'AIEA, si bien qu'il connaît parfaitement l'aspect nucléaire de la question. Il est maintenant responsable des questions chimiques, biologiques et reliées aux missiles.
Je ne pense pas que l'on aurait pu trouver meilleur candidat. Aucun gouvernement n'a mis en doute ses titres de compétence et les États-Unis ont très certainement appuyé sa nomination.
J'ai lu Frank Gaffney et Gary Mulholland... Je n'ai pas vu d'article signé de Jim Woolsey, mais certainement Richard Pearle, «le prince de la nuit»...
» (1725)
Les médias diffusent toutes ces nouvelles. Je ne parlerais pas de complot, car ce n'est pas la chose à dire, mais il s'agit certainement d'un effort concerté dans ce sens.
Je n'irais pas plus loin, mais c'est avec plaisir que je répondrais à vos questions.
Le président: Merci, monsieur Cleminson.
Nous allons maintenant passer aux questions.
Je tiens à rappeler aux membres du comité que le professeur David a fait mention dans son mémoire de la recherche indépendante effectuée par l'Institut international d'études stratégiques sur les armes de destruction massive en Irak. Le résumé de cette étude a été remis à tous les députés.
Monsieur Obhrai, vous avez cinq minutes pour poser vos questions aux témoins.
M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.
Après les inspections effectuées dans le passé par l'entremise des Nations Unies et les manigances politiques de Saddam Hussein, les Nations Unies ont, selon moi, laissé traîner les choses jusqu'à ce que les États-Unis réagissent avec force et menacent de déclencher une guerre. Je crois que c'est d'ailleurs pour cette raison que Saddam Hussein a changé d'avis et qu'il a accepté la venue des inspecteurs...
Nous ne pouvons absolument pas faire confiance à cet homme—son passé en témoigne. De plus, les Nations Unies sont une arène politique où chaque pays défend ses propres intérêts. Bon nombre des membres du comité ne seront pas d'accord avec moi, mais il ne fait aucun doute que c'est parce que les États-Unis ont mis le holà que nous en sommes arrivés là aujourd'hui.
Je suis d'accord avec vous, Ronald. Quelle est la prochaine étape après l'inspection? Si les inspecteurs ne trouvent rien, est-ce que nous laisserons Saddam Hussein tranquille? Le problème sera déplacé. Qu'en sera-t-il du renforcement de la confiance que souhaite la communauté internationale? Beaucoup de gens appuient les États-Unis parce que s'ils n'avaient pas agi ainsi, rien n'aurait été fait.
Il suffit de peu pour déclencher une guerre. À toutes fins pratiques, nous ne savons peut-être même pas ce qui s'est passé en Afghanistan. Saddam Hussein n'est peut-être pas populaire dans sa région et son peuple serait peut-être finalement heureux de se débarrasser de lui et de pouvoir enfin parler librement.
Il ne faut donc pas grand-chose, mais comment retrouver la confiance une fois l'inspection terminée? Si nous laissons le champ libre à Saddam Hussein, que nous nous opposons à la guerre et que nous n'attaquons pas ce problème de plein fouet, c'est-à-dire si nous n'agissons pas, à quels changements peut-on s'attendre?
Vous pourriez peut-être me donner votre point de vue à ce sujet.
» (1730)
Le président: Monsieur David.
M. Charles-Philippe David: Il est effectivement parfois très ennuyeux d'écouter les témoignages des inspecteurs devant le Congrès, mais je l'ai quand même fait en septembre et je peux dire qu'ils sont très révélateurs. D'abord, aucun système d'inspection n'est parfait ni pleinement satisfaisant et aucun ne peut permettre de découvrir ou de mettre au jour tout ce qui pourrait encore se trouver en Irak, surtout ce qui se trouve enfoui dans le sol.
David Kay, inspecteur reconnu pour son expérience au sein de la CSNU, a essentiellement dit que si nous voulions vraiment établir un système d'inspection à toute épreuve et être pleinement satisfaits des résultats, il faudrait que des inspecteurs se tiennent par la main d'est en ouest et du sud au nord de l'Irak pour inspecter chaque parcelle du territoire irakien.
C'est le but de l'inspection. Tant que les inspecteurs ne trouveront rien, nous ne disposerons pas d'arguments. Il est préférable qu'ils soient présents malgré tout, mais tant qu'ils ne trouveront rien, on ne pourra rien faire. Malheureusement, il y a toujours eu des dictateurs et il y en aura d'autres. Dans les années 80, les États-Unis supportaient parfaitement bien Saddam Hussein, même s'ils étaient au courant de ses agissements.
Aujourd'hui, si Saddam Hussein possède des armes de destruction massive et s'il décide un beau matin d'attaquer les États-Unis, Israël, la Turquie, le Canada ou tout autre pays, les représailles seront telles que l'Irak disparaîtra de la surface de la terre.
Toutefois, selon l'administration américaine, et je ne crois pas que ce raisonnement soit sans fondement, le risque, c'est que Saddam Hussein remette ses armes de destruction massive à Al-Qaïda ou à tout autre organisme terroriste--comme le Hezbollah, même si cela paraît improbable. Il ne faut pas perdre de vue un tel risque, même si rien ne prouve que Saddam Hussein et Al-Qaïda soient en contact ou collaborent. Si de telles preuves existent, nous demandons qu'elles nous soient clairement présentées. Jusqu'à présent, nous n'en disposons d'aucune et la question n'est pas encore tranchée.
Le débat relatif aux armes de destruction massive est très passionné. En ce moment, c'est Scott Ritter contre l'Institut international d'études stratégiques. N'oubliez pas toutefois les propos de Scott Ritter en 1997, au moment de sa démission. Selon lui, l'administration et la communauté internationale n'avaient pas été assez fermes, n'avaient pas procédé à suffisamment d'inspections et auraient dû être plus intransigeantes. Le pacifiste et le héros d'aujourd'hui était donc en faveur de mesures très sévères il y a cinq ans. Je ne dis pas qu'il a tort, mais simplement qu'il a changé d'avis.
Le président: Monsieur Cleminson.
M. Ronald Cleminson: Ce que vous dites me paraît pertinent.
Il importe d'abord de souligner que les quinze membres du Conseil de sécurité en sont venus à un consensus. Le leadership américain est certainement un élément essentiel de l'efficacité du processus, mais il faut que ce leadership soit multilatéral—et non unilatéral—comme celui dont ont témoigné George H. Bush et Harry S. Truman devant les Nations Unies. J'espère que c'est aussi le genre de leadership qu'exercera le président George W. Bush.
Évidemment, il faut trouver une solution. Pendant deux ans, tous les membres du Conseil de sécurité étaient d'accord, puis, ils se sont graduellement éloignés les uns des autres, ce qui a permis aux Irakiens de profiter de la situation. Aujourd'hui, les quinze membres du Conseil sont de nouveau d'accord entre eux. Nous avons besoin essentiellement d'un leadership américain mais, comme je le disais, il doit être multilatéral et certainement pas unilatéral.
» (1735)
[Français]
Le président: Madame Lalonde, vous avez la parole.
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Je tiens à vous remercier tous deux; c'était fort intéressant. Malheureusement, le temps nous est compté.
Dimanche, dans mon comté, j'ai réuni une assemblée de citoyens et j'ai eu l'occasion de constater qu'ils étaient très inquiets. Si je reformule cela de façon positive, je dirai qu'ils ne sont pas très portés à faire confiance aux Américains. La majorité des gens ne veulent pas de guerre. Samedi dernier, dans Le Journal de Montréal, on disait qu'un sondage révélait que 75 p. 100 de la population était contre l'idée d'une guerre en Irak.
Une nouvelle politique stratégique a été rendue publique en septembre par Mme Condoleezza Rice. Les États-Unis ne se sont-ils pas trop engagés? Est-il possible qu'ils aient entre autres à leur programme, pour bientôt, des frappes et qu'ils comptent qu'un certain nombre de pays les appuieront?
Un tel conflit ne comporte-t-il pas des dangers passablement sérieux? Nombre de personnes craignent qu'il y ait des répercussions, notamment dans le monde arabe, et que l'avenir du monde soit, par le fait même, mis en péril.
[Traduction]
Le président: Monsieur Cleminson, désirez-vous répondre à cette question?
M. Ronald Cleminson: Je vais demander au professeur David d'y répondre parce qu'il s'agit d'une question politique et que la COCOVINU déclare depuis longtemps être un organisme technique. Je crois que tout cela est pertinent, mais je ne voudrais pas en discuter dans une perspective politique.
[Français]
M. Charles-Philippe David: C'est ce dont je discute avec mes étudiants dans un cours qui s'appelle War and Peace after 9-11.
» (1740)
Les débats sont très animés depuis 12 semaines. Je vais en résumer quelques points. C'est la doctrine de la préemption et cela fait suite à la volonté de lutter contre le terrorisme.
Évidemment, le danger est d'associer chaque attaque à cette lutte contre le terrorisme. L'appui qu'on peut déceler de la part des Américains face à une opération sur l'Irak est, bien sûr, dans le contexte post-11 septembre.
Pourquoi l'Irak survient-il aujourd'hui, alors qu'on l'avait presque oublié? On l'a oublié indûment, d'ailleurs, parce qu'il ne fallait pas l'oublier. Il y a des attaques aériennes presque tous les jours dans le sud et le nord de l'Irak. C'est dans le contexte de l'après-11 septembre. L'anxiété aux États-Unis est très forte. Une fois qu'on a dit que l'anxiété est très forte, on peut comprendre les Américains: ils ont peur d'être attaqués. Quand un président leur dit que Saddam peut donner des armes de destruction massive à Al-Qaïda, l'audience est certainement troublée par ce propos. En même temps, comme ici, il y a une certaine division. Il n'y a peut-être pas 75 p. 100 de la population qui est contre la guerre, mais je sens une division, certainement sur le campus de l'université, mais aussi, plus généralement, chez les gens avec qui je parle. Il y a de l'appréhension quant à l'après-Irak et surtout quant à la façon dont cette guerre pourrait être menée.
Oui, il y a un danger de surextension des États-Unis. Plusieurs font remarquer qu'une attaque contre l'Irak pourrait être une distraction un peu malheureuse de cette lutte contre le terrorisme et pourrait miner le multilatéralisme nécessaire pour lutter contre le terrorisme, parce qu'on ne peut lutter seul contre le terroriste. On a besoin d'alliés et d'un cadre multilatéral pour ce faire. Il faut, par exemple, s'attaquer au financement du terrorisme, et on ne peut pas le faire seul. Donc, ce scénario à outrance de préemption contre l'Irak pourrait, s'il n'était pas bien encadré et bien justifié, miner la légitimité de cette guerre.
Il y a quand même aussi une histoire entre les États-Unis et l'Irak. Je vous dirai que l'une des raisons principales pour lesquelles l'administration Bush veut en découdre avec l'Irak, c'est que ça fait au moins maintenant 12 ans que certains des membres de l'administration--vous en parliez aussi, monsieur Cleminson--veulent en finir avec Saddam Hussein. Cette idée du changement de régime en Irak ne date pas d'hier. Elle est là depuis au moins 1991, mais il était difficile, à l'époque, de critiquer la victoire de Bush père, parce qu'elle était quand même assez convaincante. Elle avait été faite dans un cadre multilatéral. Mais il n'était pas question, à l'époque, de marcher sur Bagdad parce que cela aurait mis en péril cet appui multilatéral, particulièrement au sein du monde arabe. Donc, l'appréhension existe aussi dans le monde arabe.
Les régimes pourraient-ils tenir le coup en cas d'attaque sur l'Irak? Probablement, au prix d'une certaine répression, au prix de conserver tout un contrôle sur leur société. Cependant, le risque que je vois, c'est qu'il y ait une certaine rencontre, un jour, entre la lutte que mène Al-Qaïda contre les États-Unis et la lutte que les Palestiniens mènent contre Israël. Le résultat le plus malheureux de cette attaque contre l'Irak, et c'est pourquoi nous devons être prudents, serait de donner encore plus de crédit à la guerre des civilisations, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, et d'entraîner une sorte de guerre intramusulmane entre ceux, extrêmement minoritaires pour l'instant, qui croient que le monde arabe est assiégé et dominé par l'Occident et des régimes qui sont très alliés à l'Occident, et ceux qui veulent renverser tous ces régimes et mettre en place des mouvements et des régimes intégristes. La pire chose serait que les gens de la rue aillent au sous-sol se ranger du côté des terroristes.
[Traduction]
C'est l'image présentée par Thomas Friedman, et qui, je crois, est très bonne: les gens du premier étage— l'Arabe moyen—descendent au sous-sol pour lutter contre les États-Unis. Ce serait assez préjudiciable.
[Français]
J'espère avoir répondu un petit peu à vos questions.
Le président: Merci, monsieur David.
Monsieur Charbonneau.
M. Yvon Charbonneau (Anjou—Rivière-des-Prairies, Lib.): Monsieur le président, je voudrais dire que je partage beaucoup les derniers éléments d'analyse de M. David quant aux conséquences ou aux répercussions d'une guerre contre l'Irak, en termes de ce qui pourrait se passer dans le monde arabe. Finalement, à mon avis, cela aurait pour effet de renforcer les intégrismes et tous les secteurs fondamentalistes qui sont présents dans un bon nombre de pays arabes.
J'aimerais vous entendre davantage, monsieur David, sur les liens entre l'Irak et Al-Qaïda. Dans votre document écrit, vous abordez cette question un peu plus que vous ne l'avez fait tout à l'heure. Je vais vous donner l'occasion de revenir là-dessus. À mon sens, l'Irak est un État arabe, musulman, mais on peut dire que c'est un État laïque. Donc, par nature, il est plutôt tenté de pourchasser les fondamentalistes et les intégristes que de s'y associer. Il faut tenir compte également de la division entre les chiites et les sunnites, entre la majorité et la minorité. J'aimerais vous entendre davantage là-dessus.
Il y a également l'aspect des inspections. Le premier ministre du Canada a exprimé un sentiment largement répandu: au terme des inspections, on pourrait peut-être éviter la guerre; la guerre est évitable. Par contre, à entendre le président Bush, les inspections sont comme une étape obligée qui nous mène vers la guerre. Les inspecteurs disent qu'ils ne trouvent rien. Bush dit que c'est parce qu'ils cachent des choses. J'aimerais que vous nous parliez, vous et M. Cleminson, des atouts particuliers de cette mission, des atouts en termes de crédibilité, qui pourraient faire en sorte que si les inspecteurs trouvent des choses, leurs rapports seraient pris au sérieux par le Conseil de sécurité, et que s'ils ne trouvent rien, ces rapports seraient également crédibles et pourraient nous aider à éviter la guerre. À l'heure actuelle, on dirait que, pour les États-Unis, il y aura la guerre de toute façon. Si on ne trouve rien, c'est parce qu'ils cachent des choses et si on trouve quelque chose, on dira qu'on l'a trouvé et qu'on peut maintenant frapper. Quels sont les atouts de cette mission en termes de crédibilité?
» (1745)
Le président: Monsieur David, veuillez répondre à la première question sur Al-Qaïda et l'Irak.
M. Charles-Philippe David: Si les Américains voulaient justifier leur guerre, le meilleur scénario serait peut-être que trois de leurs avions soient abattus dans le sud de l'Irak, tout à fait par accident. À ce moment-là, évidemment, tout l'honneur national serait en jeu. Ce serait un peu comme l'incident du Turner Joy et du Maddox, en 1964, qui avait mené à la justification, acceptable ou non, de la guerre du Vietnam. J'ai très peur des accidents. Dans des moments de crise comme ceux-là, il y a toujours des erreurs. D'ailleurs, vous connaissez cela mieux que moi. En politique, on ne peut jamais prédire quoi que ce soit. Est-ce que Saddam Hussein peut faire une erreur? Est-ce qu'un savant va dévoiler quelque chose? Un neveu peut passer à la frontière de la Jordanie et dire qu'il sait où sont les armes biologiques. Je pense qu'il n'en faudrait pas énormément pour amener le président Bush à dire qu'il y a ce bris matériel de la résolution 1441.
Pour ce qui est des atouts particuliers auxquels vous faites allusion, s'il y avait eu une preuve du style Kennedy, avec la crise des missiles, je pense qu'à ce moment-là, l'opinion publique se serait retournée et aurait été à 75 p. 100 en faveur de Bush. La preuve n'est pas là, alors qu'on fait allusion à des preuves. Ce qui est bien embêtant pour l'administration et pour les inspecteurs, c'est qu'ils ont inspecté une dizaine d'endroits depuis qu'ils sont arrivés et qu'ils n'ont rien trouvé. On retrouve d'ailleurs les photos de plusieurs de ces sites dans le Livre blanc de la Grande-Bretagne sur les armes de destruction massive en Irak. C'est bien malheureux qu'ils n'aient rien trouvé, parce cela mine un peu la crédibilité de certaines de ces photos qui nous sont montrées comme étant des preuves spectaculaires.
L'atout particulier dont ils disposent, c'est le renseignement, monsieur Charbonneau. Scott Ritter y a d'ailleurs fait allusion. C'est avec le renseignement qu'ils peuvent, par surprise, aller quelque part et trouver quelque chose, mais encore faut-il que le renseignement qu'ils ont s'avère juste. Ce renseignement, ils l'obtiennent des États-Unis, de la Grande-Bretagne, d'Israël et de bien d'autres pays, mais ce ne sont pas des choses qui sont dites. Ils ne vont pas là avec seulement des idées très abstraites sur les endroits où ils pourraient trouver des armes. C'est encore plus inquiétant s'ils ne trouvent rien, parce qu'ils disposent de certains renseignements que vous et moi n'avons pas.
Pour ce qui est du lien entre l'Irak et Al-Qaïda, je crois qu'on va peut-être finir par le provoquer, ce lien. Je ne dis pas cela pour vous faire plaisir. Je suis inquiet. Il ne faut pas donner à Saddam Hussein l'idée que la meilleure chose à faire est de s'allier à l'intégrisme qu'il a combattu, que ce soit du côté des chiites ou de celui des kurdes, avec férocité, avec une intensité propre à un dictateur comme Staline.
Pour ce qui est des preuves au sujet de la rencontre, à Prague, entre Mohammed Attah et les services de renseignement irakiens, j'aimerais vous dire en toute sincérité que cela a été démenti officiellement par les services secrets tchèques. J'aimerais rappeler à tout le monde que la République tchèque est dans l'OTAN. Quand l'Ukraine nous dit qu'il n'a pas vendu de missiles à l'Irak, j'ai moins tendance à y croire, mais la République tchèque est un membre de l'OTAN. Si elle mentait, ce serait aussi grave que si le Canada disait un mensonge à propos des inspecteurs.
Voilà. Je ne veux pas abuser de votre temps.
[Traduction]
Le président: Monsieur Cleminson, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Ronald Cleminson: Il me semble que le professeur David et moi-même sommes d'accord sur à peu près tout.
J'aimerais seulement soulever deux points. Premièrement, en ce qui concerne les armes, allons-nous en trouver ou non? En 1996, l'AIEA a indiqué au Conseil de sécurité que l'Irak ne détenait aucune arme nucléaire et n'avait aucun programme clandestin, puisqu'on en n'a pas trouver trace. On a donc opté pour une surveillance et une vérification de la conformité constantes.
En ce qui concerne les armes chimiques, les Irakiens ont produit—ce qu'ils étaient censés faire—40 000 obus chargés de produits chimiques et 40 000 obus vides, plus environ 3 500 tonnes de précurseurs et de produits chimiques en vrac. Ces obus et ces produits ont été détruits par l'Irak sous la surveillance des Nations Unies.
Quant aux missiles, la CSNU a retrouvé 817 des 819 missiles achetés par l'Irak à la Russie.
En fait, comme l'a déjà dit le président Clinton, la CSNU a détruit plus de ces armes que toute la guerre elle-même; les résultats sont donc nombreux et c'est pourquoi je dis que la CSNU est un succès et non un échec, même si elle a connu des problèmes.
Deuxièmement, en ce qui concerne Al-Qaïda, je sais qu'on essaie par tous les moyens de trouver quelque chose, comme par exemple la photographie produite il y a quelque temps; un 707 se trouverait dans un lieu appelé Salman Pak, situé près de Baghdad et servirait à enseigner aux membres d'Al-Qaïda les techniques de détournement d'avion. Or, il s'est avéré par la suite que la CSNU avait inspecté cet endroit en 1991 et cinq autres fois depuis. Il ne s'agissait pas d'un appareil 707, mais plutôt d'un appareil TU-134 permettant aux Irakiens de s'entraîner pour la prise d'assaut d'un appareil détourné par des terroristes et pour déloger ces derniers. Loin de coopérer avec Al-Qaïda, les Irakiens craignaient le terrorisme.
De plus, selon moi, le chef d'Al-Qaïda et le leader irakien me paraissent diamétralement opposés. L'un, né dans une famille riche, a décidé de défendre une cause et semble aimer vivre dans des cavernes. Quant à Saddam Hussein, il est né dans la pauvreté, a gravi les échelons et apprécie la vie de palais—et il en a d'ailleurs plusieurs.
La dissuasion peut fonctionner en Irak, mais elle n'a aucun effet sur un organisme terroriste qui n'est délimité par aucune frontière.
» (1750)
Le président: Merci.
Madame McDonough, c'est à vous.
[Français]
Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD): Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à nos visiteurs.
[Traduction]
Monsieur David, vous avez tout d'abord parlé de la propagande menée actuellement dans le but de jeter le discrédit sur Hans Blix. Je ne suis pas certaine que vous ayez utilisé le mot «propagande», mais je crois qu'il décrit bien la situation en général et qu'il est assez transparent. Ce qui me semble beaucoup plus inquiétant, c'est le sentiment qui se dégage quant au caractère inévitable de la situation, l'impression que donnent les États-Unis de se préparer pour la guerre et le fait qu'ils vont trouver n'importe quelle excuse pour la déclencher.
Il me semble absolument essentiel de voir ce que l'on peut faire à ce sujet. En tant que parlementaires du Canada, nous voulons savoir ce que vous en pensez. Que doit faire le Canada? Que devons-nous faire? Quelle est notre responsabilité vis-à-vis de notre voisin, les États-Unis?
Nous pouvons parler de l'importance du multilatéralisme, et nous convenons tous qu'il était crucial de faire en sorte que les États-Unis restent sous l'égide des Nations Unies à cet égard et acceptent la résolution 1441. Toutefois, s'ils cherchent un prétexte pour déclencher une guerre servant leurs propres intérêts, que peut faire le Canada? Selon vous, que devrait faire le Canada si les États-Unis décidaient d'entrer en guerre?
Deuxièmement, en ce qui concerne les pays arabes, quel rôle devrait jouer, selon vous, la Ligue des États arabes? Il est clair, me semble-t-il, que cet organisme a contribué à convaincre l'Irak d'apporter son entière collaboration. Je crois que vous avez tous deux dit que la menace d'une attaque imminente peut aussi avoir été un facteur important, mais la Ligue des États arabes s'est montrée efficace dans l'art de la diplomatie à l'approche de la résolution 1441. Pensez-vous que le Canada pourrait jouer un rôle complémentaire, ou autre, à cet égard?
[Français]
Le président: Professeur David.
[Traduction]
M. Charles-Philippe David: Ce sont des questions très difficiles et je vais peut-être commencer par la dernière pour avoir le temps de penser au rôle du Canada, même si j'ai déjà une petite idée à ce sujet.
» (1755)
Mme Alexa McDonough: Comme nous n'avons que cinq minutes, j'aimerais vraiment que vous répondiez à toutes.
M. Charles-Philippe David: D'accord, vous allez devoir patienter pour la dernière réponse.
Sauf sur le plan diplomatique, la Ligue des États arabes n'est pas terriblement... Sur le plan militaire et de la sécurité, c'est une honte. C'est terrible. D'une certaine manière, c'est déprimant. Cet organisme n'a rien pu faire pour empêcher la guerre du Golfe ni même pour faire savoir à l'Irak que ses membres s'uniraient contre ce pays. C'est un organisme très divisé.
Je suis très inquiet de savoir qu'il n'existe aucune mesure institutionnelle de sécurité au Moyen-Orient si ce n'est celle dirigée par les Américains, surtout lorsqu'on sait ce qui se passe en Europe avec l'OTAN, l'OSCE et une douzaine d'autres organismes. L'absence de sécurité institutionnelle au Moyen-Orient, à l'exception des bases et de la protection de ces régimes par les États-Unis, pose un problème qui devrait nous inquiéter aujourd'hui et à long terme.
J'aimerais maintenant répondre à la question qui est la plus actuelle et peut-être la plus intéressante à vos yeux, et qui risque de me causer quelques problèmes. À mon avis, le premier ministre du Canada aurait dû appuyer très ouvertement et franchement la position de la France; il aurait dû se montrer plus ouvert et plus énergique.
Essentiellement—et je crois que cela répondra à votre question sur le sentiment quant au caractère inévitable de la situation—pour respecter la résolution 1441... Je ne suis pas avocat, mais cette résolution me paraît très longue et très laborieuse. Il a fallu deux mois pour la rédiger, mais les mots ne sont que des mots. Évidemment, il y a des failles et des questions importantes restent sans réponse, mais nous savons qu'il y aura recours à la force. Il a été promis à la France, comme aux autres pays du Conseil de sécurité, qu'un tel recours ne serait pas décidé unilatéralément et qu'il faudrait invoquer de nouveau la résolution en vigueur—et non pas une autre—pour obtenir l'appui nécessaire.
C'est à ce niveau-là que le Canada peut jouer un rôle, pour faire en sorte que... Nous n'allons certainement pas réussir pas à faire changer d'avis l'administration Bush. Désolé, je suis très sceptique et doute fort que nous puissions réussir à changer quoi que ce soit en ce qui concerne la planification de cette guerre; elle est déjà commencée. Par contre, nous pouvons faire monter les enjeux au plan diplomatique si les États-Unis sortent du cadre NU. Le fait que les États-Unis entrent en guerre sans l'appui du Conseil de sécurité des Nations Unies pour une raison étrangère aux conclusions des inspecteurs est inacceptable de mon point de vue--comme de celui de tous ici présents, j'imagine. Le Canada aura du moins déclaré publiquement qu'il n'est pas d'accord si jamais les États-Unis se lancent de façon minoritaire dans cette guerre.
Je m'intéresse à l'abstrait et à ce qui subsistera après le Parlement du Canada et après moi, comme par exemple l'ordre international et la vie canadienne. Dans cent ans, ces événements nous paraîtront importants pour l'histoire du monde, puisqu'ils auront façonné les relations internationales pour des siècles à venir.
Merci.
Le président: Madame Carroll, avez-vous des questions?
Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): J'en avais, mais on y a déjà répondu.
Le président: Il a répondu à toutes vos questions? C'est parfait.
Il est 18 heures et je sais que M. Cleminson doit partir.
Merci beaucoup à nos deux témoins. C'était très intéressant et nous espérons vous revoir un jour. Merci beaucoup.
Mme Aileen Carroll: Je dois vous dire que je suis vraiment d'accord avec vous. Tout est fort intéressant, mais ce que vous avez dit au sujet des articles de presse diffamant M. Blix... Cela me semble parfaitement évident. Comme vous l'avez dit...
M. Ronald Cleminson: Et très dangereux.
Mme Aileen Carroll: --sans raison aucune. J'espère seulement que, comme vous, les gens sauront à quoi s'en tenir, mais je crains que tous n'aient pas autant de perspicacité.
Le président: Je tiens seulement à vous rappeler, membres du comité, que nous nous réunissons demain matin à 9 h 15, dans la salle 701 de La Promenade.
Merci. La séance est levée.