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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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PROCÈS-VERBAL

Séance no 14

Le mercredi 4 décembre 2002

Le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui à 15 h 31, dans la salle 269 de l'édifice de l'Ouest, sous la présidence de Bernard Patry, président.

Membres du Comité présents : Sarkis Assadourian, Aileen Carroll, John Duncan, Mark Eyking, John Harvard, Francine Lalonde, Deepak Obhrai, Bernard Patry et Svend Robinson.

Membres substituts présents : Robert Bertrand pour Pat O’Brien, Jason Kenney pour Stockwell Day; Brent St-Denis pour l’hon. Diane Marleau, Rodger Cuzner pour Marlene Jennings, Alexa McDonough pour Svend Robinson, Steve Mahoney pour l’hon. Art Eggleton.

Autre député présent : Yvon Charbonneau.

Aussi présents : De la Direction de la recherche parlementaire de la Bibliothèque du Parlement : Peter Berg, James Lee, Gerald Schmitz et Jay Sinha, attachés de recherche.

Témoins : De Université du Québec à Montréal: Charles-Philippe David, titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques. À titre personnel : Ronald Cleminson, membre du Collège des commissaires de la Commission de contrôle, de vérification et d'inspection des Nations Unies (COCOVINU).

Svend Robinson propose, -- Que la motion adoptée le 27 novembre 2002, formulée en ces termes :

« Que le Comité invite la Chambre des communes à reconnaître le génocide des Arméniens, qui a été commencé au début du siècle dernier, pendant la Première Guerre mondiale, par les Turcs ottomans »

soit adoptée en tant que rapport du Comité et que le président présente le rapport à la Chambre.

 

Après débat, la motion est mise aux voix et rejetée par le vote par appel nominal suivant :

POUR

Sarkis Assadourian

 

Francine Lalonde

John Duncan

 

Svend Robinson                  — 5

Jason Kenney

 

 

CONTRE

Robert Bertrand

 

Mark Eyking

Aileen Carroll

 

John Harvard

Rodger Cuzner

 

Brent St-Denis                     — 6

À 15 h 45, le Comité déclare le huis clos.

Conformément à l'article 108(2) du Règlement, le Comité reprend son étude de l'intégration nord-américaine et du rôle du Canada face aux nouveaux défis que pose la sécurité (voir le procès-verbal du 28 octobre 2002, séance no 2).

Le Comité reprend l’examen d’une ébauche de rapport.

À 17 h 02, la séance est suspendue.

À 17 h 05, la séance reprend en public.

Conformément à l'article 108(2) du Règlement, le Comité reprend l’examen de la situation en Iraq (voir le procès-verbal du lundi 28 octobre 2002, séance no 2).

Les témoins font des déclarations et répondent aux questions.

 À 17 h 58, le Comité s'ajourne jusqu'à nouvelle convocation de la présidence.

Le greffier du Comité

Stephen Knowles


ANNEXE 1

 

 

 

 

OFFENSIVE CONTRE BAGDAD : LES RISQUES DE LA GUERRE

 

par Charles-Philippe David

 

 

 

 

 

 

Présentation devant le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international (AECI), Chambre des communes, Ottawa, le 4 décembre 2002.

 


 

Charles-Philippe David est actuellement boursier Fulbright et professeur invité de sciences politiques à l’Université Duke en Caroline du Nord. Depuis 1996, le Dr David est professeur de sciences politiques et titulaire de la chaire Raoul‑Dandurand d’études stratégiques et diplomatiques à l’Université du Québec à Montréal. En 2001, il a été élu membre de la Société royale du Canada. Il a été professeur d’études stratégiques à l’ancien Collège militaire canadien à Saint‑Jean‑sur‑Richelieu de 1985 à 1995. Le professeur David est spécialiste des questions de stratégie, de défense, de conflit et de missions de paix. Il a publié une douzaine d’ouvrages, dont Foreign Policy Failure in the White House (University Press of America, 1993) et The Future of NATO (McGill‑Queen's University Press, 1999). Il a également publié dans plusieurs revues, notamment Security Dialogue, The Journal of Crisis Management, International Journal, Diplomacy & Statecraft, The American Journal of Canadian Studies, European Security et dans Contemporary Security.

 

 

Pour renseignements, veuillez communiquer avec :

David.charles-philippe@uqam.ca

 

 


 

OFFENSIVE CONTRE BAGDAD : LES RISQUES DE LA GUERRE

 

par Charles‑Philippe David

 

Comment devrions‑nous traiter avec un régime totalitaire qui accumule depuis des années des armes de destruction massives, y compris la matière fissile nécessaire pour fabriquer une bombe nucléaire? Comment pouvons‑nous désarmer un pays qui met au point des missiles à moyenne et à longue portée et les exporte vers des États parias? Comment pouvons‑nous faire appliquer un système d’inspections obligatoires sur le terrain lorsque nous ne pouvons même pas faire confiance au régime du pays? Comment pouvons‑nous empêcher ce régime de se lancer dans des actes d’agression contre d’autres pays, proches ou lointains?

 

Non, je ne parle pas de l’Irak, en dépit de ses antécédents bien connus pour ce qui est de défier les résolutions des Nations Unies; le pays que j’ai en tête est la Corée du Nord, avec laquelle les États-Unis se préparent à conclure un marché. Un émissaire américain partira bientôt pour convaincre le régime de Kim Jong Il d’accepter les exigences américaines et internationales. Kim semble prêt à signer un accord et un conflit armé entre la Corée du Nord et les États-Unis semble relativement peu probable à l’heure actuelle.

 

La situation de l’Irak est assez différente. Les États-Unis sont déterminés à remplacer le régime de Saddam Hussein, par la force s’il le faut, et la guerre semble imminente. La Maison‑Blanche de Bush et la majorité au Congrès sont à bout de patience. Ils estiment que les recours diplomatiques ont été épuisés, que les inspections ne sont pas fiables et que la menace posée par Saddam Hussein ne peut être réfrénée indéfiniment.

 

Leurs efforts visant à convaincre le monde entier du danger irakien ont porté fruit. L’administration américaine a progressivement et difficilement gagné à sa cause le Conseil de sécurité des Nations Unies, le Congrès américain (qui a adopté une résolution supportant George W. par une majorité bien plus écrasante qu’avant la Guerre du Golfe il y a onze ans) et certain(e)s de ses ami(e)s (son alliée loyale la Grande-Bretagne a travaillé avec acharnement pour obtenir l’appui de l’Europe).

 

Bush estime que l’on ne peut attendre rien de bon de l’Irak et qu’il est temps de régler les problèmes en suspens. Les experts s’affairent à évaluer les chances et bon nombre parient sur une répétition de la Guerre du Golfe, une deuxième guerre contre l’Irak encore plus spectaculaire que la première. George Bush est déterminé à prendre la tête de l’offensive contre Bagdad, ce que son père a répugné à faire en 1991.

 

Si Saddam pensait s’être sorti des griffes des Américains après 1998, il se trompait lourdement. Depuis le 11 septembre 2001, les États-Unis ont adopté une ligne plus dure à l’égard des péchés du dictateur irakien et de la menace qu’il représente, qui est maintenant jugée inacceptable à Washington.

 

Dommage pour les Irakiens : les souffrances qu’ils ont vécues sous le régime brutal de Saddam et à cause de l’embargo international sévère sont maintenant aggravées par la perspective d’une invasion terrestre américaine. Les décideurs qui appuient une invasion promettent de s’en donner à cœur joie : Bagdad sera libérée lors d’une sorte de reprise (en mieux) du débarquement sur les plages de Normandie. Non, ce ne sera pas une guerre longue et lancinante avec de lourdes pertes humaines comme au Vietnam. Cette fois‑ci, les conditions sont favorables à un résultat heureux : les Américains ont un motif valable et ils ont un plan. L’administration Bush prouvera, une fois encore, comment les choses ont changé et la deuxième guerre contre l’Irak sera une victoire glorieuse, tout comme en Afghanistan, au Kosovo, en Bosnie et la première fois en Irak, avant cela.

 

Les optimistes ont peut‑être raison d’espérer une guerre courte sans effusion de sang, mais des gens plus réalistes mentionnent les risques et mettent en doute les justifications qui ont été avancées pour cette guerre prévisible.

 

La deuxième campagne d’Irak serait la première grande invasion et occupation dirigée par les États-Unis depuis le Vietnam. On ne peut pas la comparer aux interventions de maintien de l’ordre à la Grenade en 1983 ou à Panama en 1989, et encore moins aux autres interventions militaires américaines effectuées depuis lors.

 

Il faut se poser les questions suivantes : les Américains font‑ils face à des risques graves avec l’Irak? Et y a‑t‑il un autre moyen de s’en sortir?

 

D’après ce que nous savons à l’heure actuelle, on a raison d’être sceptiques. La campagne de Bush pour gagner les cœurs et les esprits n’est pas convaincante. Un changement de régime en Irak comporte des dangers à vous donner le frisson et des défis intimidants, sans compter la légitimité contestable de la doctrine de préemption sur laquelle serait fondée l’intervention américaine. Il n’y a aucune sanction face à la préemption dans la Charte des Nations Unies, qui permet une intervention armée uniquement dans les cas d’autodéfense. Rechercher une légitimation politique auprès du Conseil de sécurité des Nations Unies ne suffirait pas pour rendre l’intervention américaine légale en vertu du droit international. Si les États‑Unis revendiquent le droit de remplacer un gouvernement qu’ils considèrent être un régime terroriste dangereux, qu’est‑ce qui empêchera l’Inde d’utiliser la même logique pour attaquer le Pakistan un jour, ou la Chine d’envahir Taïwan?

 

Une légitimité douteuse

 

L’argument principal de l’administration Bush est que Saddam Hussein possède encore présumément des quantités importantes d’armes de destruction massive. Il ne fait aucun doute que la situation s’est détériorée depuis 1998 et en l’absence des inspecteurs. Cette conclusion est étayée par des instituts de recherche indépendants (comme l’Institut international d’études stratégiques dont le siège social est à Londres), des gouvernements (voir le rapport accablant déposé par le gouvernement Blair) et des inspecteurs ayant travaillé antérieurement en Irak (dans le cadre de témoignages formulés lors d’une séance spéciale de la Commission sénatoriale pour les affaires étrangères).

 

Saddam possède assurément des armes biologiques et chimiques et pourrait probablement acquérir la matière fissile nécessaire pour fabriquer une bombe nucléaire. Le pire des scénarios, dans le cadre duquel de telles armes seraient utilisées contre un pays de la région, comme Israël, ou contre un pays plus éloigné, comme les États‑Unis, est terrifiant et, à la suite du 11 septembre, semble plus plausible qu’autrefois. Cependant, un dénouement de ce genre pourrait déclencher des représailles massives – peut‑être nucléaires – de la part d’Israël ou des États-Unis. Saddam serait‑il à ce point irrationnel?

 

De fait, les décideurs américains sont plus préoccupés par le fait que le «dictateur fou» pourrait approvisionner Al Qaïda en armes chimiques ou biologiques permettant de lancer une attaque furtive meurtrière contre les États‑Unis. Une alliance Bin Laden/Saddam Hussein constitue assurément une perspective effrayante. Mais est‑elle crédible?

 

Probablement pas, nonobstant de maigres informations au sujet de rencontres entre des membres d’Al Qaïda et des Irakiens, ou la présence présumée de cellules d’Al Qaïda à la frontière irano‑irakienne. Le fait est que Saddam tient les fondamentalistes et les extrémistes en piètre estime. Il a peu de choses en commun avec les chefs d’Al Qaïda; au contraire, sa pratique courante a été d’emprisonner et/ou d’exécuter des membres du Jihad islamique, comme peuvent en témoigner des Chiites irakiens.

 

Saddam est obsédé par la survie de son régime et par le maintien de son emprise exclusive sur le pouvoir, qu’il exerce avec un zèle mégalomaniaque mais strictement à l’intérieur des frontières de l’Irak (du moins depuis son retrait du Koweït). L’idée qu’il serait de mèche avec le terrorisme international semble exagérée à ce stade‑ci. S’il y a des preuves à l’appui, il aurait été utile pour le président Bush de les exposer dans son discours devant les Nations Unies, ou à défaut devant le Congrès américain. On aurait raisonnablement pu s’attendre à une preuve du style de Cuba, comme celle qu’a fournie Kennedy en 1962.

 

Il n’y avait rien de la sorte. L’argument selon lequel le régime irakien malfaisant doit être renversé maintenant, immédiatement, sans retard, sonne creux. La menace n’est pas beaucoup plus grande aujourd’hui qu’il y a quatre ans, certainement pas suffisante pour justifier la guerre imminente.

 

Avant d’envisager une intervention militaire, il faudrait déployer des efforts pour évaluer la menace et ensuite l’endiguer et l’éliminer. Cela pourrait se faire durant toute l’année 2003 au moyen d’inspections obligatoires d’un style nouveau ayant du mordant, appuyées par des contingents militaires multinationaux et bénéficiant d’un accès absolument inconditionnel. Il serait impératif que ces inspections soient effectuées avec une main de fer et soutenues par la menace constante d’une force militaire, ce qui n’a jamais été fait depuis 1991. Ensuite, si et seulement si il se révèle impossible d’effectuer les inspections efficacement, la guerre serait justifiée. Elle devrait être autorisée par une nouvelle résolution du Conseil de sécurité clairement libellée. (À ce moment‑là, il ne resterait plus que quelques mois avant les élections présidentielles de 2004 aux États-Unis.)

 

À ce stade‑ci, seule une coopération inébranlable et inconditionnelle de Saddam, une opposition tenace du président français ou un calcul cynique de l’administration Bush pourrait modifier le cours du scénario d’une deuxième guerre en Irak, que l’administration Bush prépare pour cet hiver.

 

Un plan de guerre douteux

 

Le plan de guerre américain visant à attaquer l’Irak est calqué, à maints égards, sur l’intervention militaire en Afghanistan, y compris sur la confiance accordée à la supériorité aérienne (que les États‑Unis exercent depuis longtemps dans le ciel irakien), l’utilisation d’unités conjointes des opérations spéciales CIA‑Armée (apparemment déjà dans le Golfe) et la coordination avec une petite force alliée sur le terrain (probablement les Kurdes qui, pour une fois, sont unis contre l’armée irakienne au lieu de s’enliser dans des combats autodestructeurs).

 

Mais là s’arrête la ressemblance. Les Kurdes ne sont pas l’Alliance du Nord et les frappes aériennes et les opérations spéciales pourraient malheureusement se révéler inadéquates pour déloger Saddam Hussein. Une invasion terrestre semble inévitable. Et cette fois‑ci, le terrain n’est pas un vaste désert. La force d’invasion devrait prendre Bagdad, avec ses 5 millions d’habitants, sans oublier Basra, Karbala, An Najaf, Ramadi et les vallées du Tigre et de l’Euphrate.

 

Aucune des options militaires ne semble rassurante. Il y a deux possibilités : l’intervention visera à renverser le régime de Saddam Hussein et sa Garde républicaine ou à occuper l’Irak et à resserrer progressivement l’étau autour de la capitale irakienne. Dans le premier cas, l’opération aura besoin de 75 000 soldats; dans la seconde, d’au moins 250 000. L’option 1 aurait pour avantages de cibler exclusivement Saddam et Bagdad, et les Américains pourraient exploiter l’effet de surprise. Cependant, les dangers sont nombreux et considérables. Qu’adviendra‑t‑il si Saddam se terre, comme l’a fait Bin Laden? Qui contrôlerait le reste du pays si les communications étaient coupées entre le centre de commandement de Saddam et l’armée régulière irakienne, ne pensant qu’à faire défection? Élément crucial, qu’arriverait‑il dans le sud si la majorité chiite, assoiffée de revanche après des années d’oppression, venait à se soulever et à exterminer les détenteurs et les symboles du pouvoir sunnite dans un bain de sang qui laisserait dans son sillage un état d’anarchie? Comment la population principalement sunnite de Bagdad accueillera‑t‑elle ses libérateurs américains, qui n’ont pas toujours été reçus en héros (il suffit de penser aux expéditions américaines de triste mémoire au Liban en 1983 et en Somalie en 1992‑1993)?

 

Et si, comble de l’horreur, un Saddam coincé, terré dans l’un de ses palais présidentiels le long du Tigre, ordonnait à sa Garde républicaine d’utiliser des armes biologiques ou chimiques contre les troupes américaines ou contre les populations civiles, quelle réaction serait possible et quel serait le coût en vies humaines? Aussi terrifiant et irréaliste que cela puisse paraître, c’est un risque avec lequel il faut compter. Comme beaucoup d’autres dictateurs dans l’histoire, Saddam est prêt à commettre les actes les plus barbares pour rester au pouvoir.

 

L’option 2, une offensive militaire à grande échelle de plusieurs mois calquée sur la Guerre du Golfe au niveau logistique, entraînerait tous les risques susmentionnés plus quelques dangers supplémentaires. Ce ne serait plus une opération aéroportée limitée mais une invasion pure et simple. Il faudrait la lancer du sud (par le Koweït), du nord (par la Turquie et le territoire kurde) et idéalement aussi de l’ouest (par la Jordanie). Cette longue offensive double (ou triple) contre Bagdad viserait à couvrir tout le territoire irakien.

 

Ce scénario suppose que les Chiites et les Sunnites accueilleront les Américains à bras ouverts. En outre, tous les pays frontaliers de l’Irak devraient laisser les États‑Unis opérer à partir de bases situées sur leur territoire. Jusqu’à présent, seul le Koweït a donné son accord, tandis que la Jordanie, l’Arabie Saoudite et l’Iran ont refusé. Ces pays auraient à justifier une telle décision auprès de leur propre population. L’opinion publique arabe tend à considérer le plan américain comme un complot motivé par le désir des États‑Unis de mettre la main sur les énormes réserves pétrolières de l’Irak et, en même temps, de détourner l’attention du conflit israélo‑palestinien, ce qui servirait les intérêts d’Israël.

 

Le plan américain vise à finir le travail en deux mois, temps suffisant pour prendre Bagdad à la gorge. Mais il reste des impondérables. Comment réagira le leader irakien? Dans le meilleur scénario, il se rendra, comme Manuel Noriega l’a fait en 1989. Dans le pire des cas, il commettra des actes et des crimes désespérés, se réfugiera au sein de son clan à Tikrit et se battra jusqu’au dernier combattant. Il se pourrait aussi qu’il transmette le pouvoir à l’un de ses fils, Uday ou Qusay, avant le déclenchement des hostilités, ce qui ne serait pas forcément une perspective réjouissante étant donné le caractère impitoyable qui fait la réputation des fils. Dans l’ensemble, une campagne militaire est une aventure incertaine et la perspective est remplie de doutes et d’incertitudes.

 

Des conséquences douteuses

 

Il ne suffirait pas d’envahir l’Irak; il faudrait ensuite occuper le pays. Cela ne serait pas un mince exploit et assurément pas une opération éclair pour les Américains. Il y a tout lieu d’être sceptiques quant aux perspectives de démocratisation et de création d’une fédération multi‑ethnique sunnite‑chiite‑kurde en Irak.

 

Le plan des Américains visant à faire de l’Irak un «phare de liberté» dans une région complexe et explosive pourrait bien se révéler être un rêve illusoire. Libérée de la tyrannie de Saddam Hussein et du parti Baath, l’Irak pourrait‑elle imiter l’Allemagne et le Japon d’après‑guerre ou bien suivrait‑elle la trace de l’Afghanistan, de la Somalie et, dans une certaine mesure, de la Bosnie où les résultats ont fréquemment été décevants et les espoirs souvent anéantis?

 

Cette dernière hypothèse constitue une forte possibilité. Pour réussir à «démocratiser» l’Irak, il faudrait surmonter les divisions entre les ethnies et les clans (comme en Afghanistan mais pas comme en Allemagne ou au Japon). Une présence militaire américaine massive s’avérerait nécessaire pendant au moins dix ans (comme en Bosnie) pour éviter une résurgence de la violence dans un État doté d’une faiblesse chronique (comme en Afghanistan). Mais rien n’est moins sûr que l’engagement des États-Unis à maintenir une présence à long terme outre‑mer. Les États‑Unis – et l’administration Bush en particulier – n’aiment pas beaucoup l’imposition de la paix ou la consolidation de la paix (comme l’a démontré l’Afghanistan).

 

Gagner la guerre est une chose, gagner la paix en est toute une autre. C’est bien d’envisager une transition démocratique en Irak, mais il faut se souvenir que la démocratie n’a jamais existé dans ce pays ou nulle part ailleurs dans le Golfe persique. Ces États ont de tout temps été régis par des régimes autocratiques, militaires, monarchiques ou fondamentalistes.

 

On rencontre deux énormes pierres d’achoppement sur le chemin de la démocratie en Irak. Pour les éviter, il faudra une analyse prudente et une planification préparatoire. Cependant, elles ont reçu très peu d’attention jusqu’à présent.

 

La première consiste à trouver un Hamid Karzai irakien. En Irak, l’opposition a été écrasée et n’existe pratiquement pas. En dehors de l’Irak, le mouvement d’opposition est divisé entre un grand nombre de factions nationalistes (incluant le Congrès national irakien et le Mouvement monarchiste constitutionnel, tous deux basés à Londres) et de cliques militaires composées de petits groupes d’officiers (deux ont des représentants à Washington, dont le favori des Américains, le général Al Salhi).

 

La seconde pierre d’achoppement consistera à maintenir l’intégrité territoriale de l’Irak et la viabilité de l’État irakien. Le pays est divisé, sur les plans géographique et ethnique, en trois groupes assez distincts : les Sunnites, les Chiites et les Kurdes. Les Kurdes ont déjà un quasi‑État (en réalité un État de facto sous la protection des États‑Unis). Il est prévisible qu’ils voudront pour le moins préserver leur autonomie (qui est comparable à celle du Kosovo), sinon gagner leur pleine indépendance. L’Iran, qui abrite les chefs religieux chiites irakiens, voudra également s’assurer que les Chiites de l’Irak ont leur mot à dire pour façonner le nouveau visage politique du pays. Cependant, les Sunnites verront d’un mauvais œil une représentation accrue des Chiites et des Kurdes dans toute nouvelle entente fédérale.

 

Il s’agirait là d’une entreprise colossale pour bâtir le pays, d’une portée comparable aux efforts de pacification au Sud Vietnam et au plan de Lyndon Johnson visant à «faire du delta du Mékong [lisez du Tigre et de l’Euphrate?] la vallée du Tennessee». Les États-Unis devraient investir des ressources en Irak et les États arabes devraient intervenir et appuyer l’édification de la démocratie en Irak (et accepter les conséquences pour leurs propres pays). Pour l’instant, rien n’indique qu’un seul de ces éléments pourrait vraisemblablement survenir.

 

Les idéologues et les conseillers de George W. Bush promettent que la deuxième guerre en Irak serait un triomphe, une grande victoire dans la lutte contre le terrorisme. Cependant, la hâte manifestée par l’administration américaine pour effectuer un «changement de régime» à Bagdad pourrait bien se révéler téméraire. J’estime que des inspections renforcées – accompagnées par la perspective d’une levée de l’embargo – constitueraient une stratégie plus sensée que de se lancer dans une guerre à la planification douteuse et au résultat incertain.