SC38 Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments (Projet de loi C-38)
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le lundi 3 novembre 2003
Á | 1105 |
Le vice-président (M. Randy White (Langley—Abbotsford, Alliance canadienne)) |
M. Jim Lee (adjoint du président général des opérations canadiennes, Association internationale des pompiers) |
Á | 1110 |
Le vice-président (M. Randy White) |
Chef adjoint Mike Boyd (Service de police de Toronto et président du Comité sur l'abus des drogues, Association canadienne des chefs de police) |
Á | 1115 |
Á | 1120 |
Le vice-président (M. Randy White) |
Le vice-président (M. Randy White) |
M. Tony Cannavino (président, Association canadienne de la police professionnelle) |
Á | 1125 |
Le vice-président (M. Randy White) |
M. Eugene Oscapella (directeur, Fondation canadienne pour une politique sur les drogues) |
Á | 1130 |
Á | 1135 |
Le vice-président (M. Randy White) |
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne) |
Á | 1140 |
Chef adjoint Mike Boyd |
M. Kevin Sorenson |
Chef adjoint Mike Boyd |
Á | 1145 |
Le vice-président (M. Randy White (Langley—Abbotsford, Alliance canadienne)) |
M. Kevin Sorenson |
La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)) |
M. Richard Marceau (Charlesbourg—Jacques-Cartier, BQ) |
M. Tony Cannavino |
M. Richard Marceau |
M. Tony Cannavino |
M. Richard Marceau |
M. Tony Cannavino |
Á | 1150 |
M. Richard Marceau |
M. Tony Cannavino |
M. Richard Marceau |
Chef adjoint Mike Boyd |
M. Richard Marceau |
Chef adjoint Mike Boyd |
M. Richard Marceau |
La présidente |
M. Richard Marceau |
Chef adjoint Mike Boyd |
Á | 1155 |
M. Richard Marceau |
Chef adjoint Mike Boyd |
La présidente |
M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.) |
Chef adjoint Mike Boyd |
 | 1200 |
M. Paul Harold Macklin |
Chef adjoint Mike Boyd |
La présidente |
M. Tony Cannavino |
M. Paul Harold Macklin |
M. Tony Cannavino |
 | 1205 |
M. Paul Harold Macklin |
M. Tony Cannavino |
M. Paul Harold Macklin |
M. Tony Cannavino |
La présidente |
Chef adjoint Mike Boyd |
La présidente |
M. Eugene Oscapella |
La présidente |
M. Randy White |
 | 1210 |
Chef adjoint Mike Boyd |
La présidente |
M. Jim Lee |
M. Randy White |
La présidente |
M. Eugene Oscapella |
La présidente |
M. Tony Cannavino |
La présidente |
Dét. sdt Jim Hutchinson |
La présidente |
M. Randy White |
La présidente |
Chef adjoint Mike Boyd |
M. Randy White |
Chef adjoint Mike Boyd |
M. Randy White |
La présidente |
 | 1215 |
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.) |
La présidente |
M. Derek Lee |
Chef adjoint Mike Boyd |
La présidente |
M. Eugene Oscapella |
La présidente |
M. Derek Lee |
Chef adjoint Mike Boyd |
 | 1220 |
M. Derek Lee |
M. Tony Cannavino |
La présidente |
M. Richard Marceau |
M. Tony Cannavino |
M. Richard Marceau |
M. Tony Cannavino |
M. Richard Marceau |
M. Tony Cannavino |
 | 1225 |
M. Richard Marceau |
M. Tony Cannavino |
M. Richard Marceau |
M. Tony Cannavino |
M. Richard Marceau |
M. Tony Cannavino |
M. Richard Marceau |
La présidente |
M. Gilbert Barrette (Témiscamingue, Lib.) |
M. Tony Cannavino |
 | 1230 |
M. Gilbert Barrette |
M. Tony Cannavino |
La présidente |
M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, PC) |
La présidente |
M. Inky Mark |
La présidente |
M. Tony Cannavino |
La présidente |
Chef adjoint Mike Boyd |
M. Jim Lee |
M. Eugene Oscapella |
La présidente |
La présidente |
M. Allan Young (professeur, Osgoode Hall Law School) |
 | 1245 |
 | 1250 |
La présidente |
M. Lawrie Palk (co-président, Brantford Drinking and Driving Countermeasures Committee) |
 | 1255 |
La présidente |
M. Andrew Murie (directeur exécutif, Les mères contre l'alcool au volant) |
· | 1300 |
· | 1305 |
La présidente |
M. Randy White |
M. Allan Young |
M. Randy White |
M. Lawrie Palk |
M. Andrew Murie |
M. Randy White |
M. Allan Young |
M. Lawrie Palk |
M. Andrew Murie |
· | 1310 |
M. Randy White |
M. Allan Young |
M. Lawrie Palk |
M. Andrew Murie |
M. Randy White |
M. Allan Young |
La présidente |
M. Richard Marceau |
· | 1315 |
M. Andrew Murie |
M. Richard Marceau |
M. Andrew Murie |
M. Richard Marceau |
M. Lawrie Palk |
M. Richard Marceau |
· | 1320 |
M. Allan Young |
M. Richard Marceau |
La présidente |
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD) |
M. Inky Mark |
La présidente |
M. Inky Mark |
M. Allan Young |
M. Inky Mark |
M. Allan Young |
· | 1325 |
M. Inky Mark |
M. Allan Young |
M. Inky Mark |
M. Allan Young |
M. Inky Mark |
M. Allan Young |
La présidente |
Mme Libby Davies |
M. Allan Young |
· | 1330 |
Mme Libby Davies |
M. Allan Young |
Mme Libby Davies |
M. Allan Young |
Mme Libby Davies |
La présidente |
M. Allan Young |
La présidente |
M. Derek Lee |
M. Allan Young |
· | 1335 |
M. Derek Lee |
M. Allan Young |
M. Derek Lee |
M. Allan Young |
M. Derek Lee |
M. Allan Young |
· | 1340 |
M. Derek Lee |
La présidente |
M. Gilbert Barrette |
M. Allan Young |
La présidente |
M. Gilbert Barrette |
M. Allan Young |
La présidente |
Mme Libby Davies |
La présidente |
Mme Libby Davies |
· | 1345 |
La présidente |
Mme Libby Davies |
La présidente |
Mme Libby Davies |
La présidente |
M. Allan Young |
La présidente |
M. Inky Mark |
M. Allan Young |
M. Inky Mark |
M. Allan Young |
M. Inky Mark |
M. Allan Young |
Mme Libby Davies |
La présidente |
Mme Libby Davies |
M. Allan Young |
Mme Libby Davies |
M. Allan Young |
Mme Libby Davies |
M. Allan Young |
· | 1350 |
Mme Libby Davies |
M. Allan Young |
Mme Libby Davies |
M. Allan Young |
Mme Libby Davies |
M. Allan Young |
La présidente |
M. Derek Lee |
M. Allan Young |
M. Derek Lee |
M. Andrew Murie |
M. Derek Lee |
M. Lawrie Palk |
M. Derek Lee |
M. Lawrie Palk |
M. Derek Lee |
M. Allan Young |
· | 1355 |
M. Derek Lee |
M. Allan Young |
La présidente |
M. Andrew Murie |
La présidente |
M. Andrew Murie |
La présidente |
M. Andrew Murie |
La présidente |
M. Andrew Murie |
La présidente |
M. Andrew Murie |
La présidente |
M. Andrew Murie |
La présidente |
M. Lawrie Palk |
La présidente |
¸ | 1400 |
M. Lawrie Palk |
La présidente |
M. Andrew Murie |
La présidente |
M. Paul Harold Macklin |
M. Lawrie Palk |
M. Paul Harold Macklin |
La présidente |
CANADA
Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments (Projet de loi C-38) |
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TÉMOIGNAGES
Le lundi 3 novembre 2003
[Enregistrement électronique]
Á (1105)
[Traduction]
Le vice-président (M. Randy White (Langley—Abbotsford, Alliance canadienne)): Bienvenue à cette séance du Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments. Conformément à l'ordre de renvoi du mardi 21 octobre 2003, nous étudions le projet de loi C-38, Loi modifiant la Loi sur les contraventions et la Loi réglementant certaines drogues ou autres substances.
Chers collègues, je vous souhaite la bienvenue. On dirait parfois une réunion d'anciens.
Je vous présente Jim Lee, adjoint du président général des opérations canadiennes de la l'Association internationale des pompiers. Bienvenue, Jim, je suis heureux de vous voir.
Nous accueillons également Mike Boyd, chef adjoint du service de police de Toronto et Jim Hutchinson, surintendant détective, section de la lutte antidrogue, police provinciale de l'Ontario, qui représentent tous deux l'Association canadienne des chefs de police.
Il y a également Tony Cannavino, président de l'Association canadienne de la police professionnelle. Tony, je suis ravi de vous revoir.
Nous accueillons aussi Eugene Oscapella, directeur de la Fondation canadienne pour une politique sur les drogues. Eugene, comment allez-vous?
Messieurs, comme d'habitude, nous vous accordons à chacun dix minutes pour nous dire ce que vous pensez du projet de loi C-38. Je suis sûr que vous l'avez tous lu plusieurs fois et que vous l'avez analysé à fond. Il n'y a pas d'ordre particulier, mais allons-y dans l'ordre dans lequel vous avez été présentés, c'est-à-dire en commençant par l'Association internationale des pompiers.
Jim, voulez-vous commencer? Nous vous accordons chacun dix minutes, puis, bien entendu, nous aurons beaucoup de questions à vous poser et je suis sûr que vous aurez pour nous d'excellentes réponses.
M. Jim Lee (adjoint du président général des opérations canadiennes, Association internationale des pompiers): Merci beaucoup.
Bonjour. Au nom du président général, Harold Schaitberger, et des 18 600 pompiers professionnels que nous représentons au Canada, je suis heureux d'avoir l'occasion d'être ici ce matin pour vous faire part de la position de l'Association internationale des pompiers à l'égard du projet de loi C-38.
Pour votre gouverne, j'ai été pompier à Toronto pendant plus de 30 ans. Je suis maintenant à la retraite et je travaille à plein temps pour l'Association internationale des pompiers.
Dans cet exposé préliminaire, je ne vais pas formuler de position sur la décriminalisation de la possession de la marijuana ni sur les grandes questions philosophiques au sujet de l'usage récréatif ou d'autres usages de la marijuana. D'autres groupes sont mieux placés pour en débattre et je leur en laisse le soin. D'ailleurs, je suis convaincu que les membres du comité ont déjà entendu d'excellents arguments de part et d'autre.
L'intérêt que nous portons à cette question est plutôt liée au réel danger que la culture de la marijuana, dont il est question dans ce projet de loi, pose pour les pompiers. Mes propos porteront plus particulièrement sur les articles 6 et 7 du projet de loi, qui traitent de la production de marijuana et de l'installation de trappes dans les lieux où la drogue est cultivée.
Notre position est simple : les lieux de culture cachent divers dangers pour les pompiers, notamment l'installation de trappes et c'est pourquoi nous appuyons toute mesure législative visant à empêcher cette activité. C'est pourquoi nous appuyons sans réserve les dispositions du projet de loi C-38 qui prévoient des peines plus sévères pour la culture de la marijuana, particulièrement le paragraphe 7(2) qui oblige les tribunaux à prendre en considération l'installation de trappes dans la détermination de la peine.
La police et les médias canadiens nous disent que le nombre d'exploitations de marijuana remonte en flèche et qu'on retrouve de plus en plus souvent sur les lieux les trappes destinées à tuer ou à blesser quiconque gênerait cette activité.
Pourquoi est-ce un danger pour les pompiers? Plusieurs de ces exploitations sont raccordées illégalement aux réseaux hydroélectriques, ce qui constitue un danger d'incendie. En fait, les incendies sont fréquents dans ces installations, qui sont souvent cachées dans des résidences. Nous sommes les premiers à arriver sur les lieux, où nous risquons de déclencher les pièges qui y sont installés.
Il y a eu des pompiers qui ont été gravement blessés par de tels dispositifs installés sur les lieux de production. En 1999, à Kelowna, en Colombie-Britannique, un pompier a été gravement électrocuté en luttant contre un incendie qui s'était déclaré dans une résidence qui abritait une installation de culture de marijuana. Toujours en Colombie-Britannique, des pompiers ont découvert une arbalète reliée à un fil piège. Heureusement qu'elle n'était pas chargée parce qu'elle visait à hauteur de poitrine.
À Brampton, en Ontario, un pompier a été gravement blessé lorsqu'il est passé au travers du plancher du sous-sol d'une résidence où on cultivait la marijuana. Sous les fenêtres, on avait retiré les lattes du plancher et on avait recouvert le trou d'une moquette pour cacher le danger.
La presse canadienne a rapporté récemment que quelqu'un a été blessé à la jambe par des fusils de chasse reliés à des fils-pièges qui protégeaient un champ de marijuana en Nouvelle-Écosse.
Au début de l'année, on a trouvé, dans le sous-sol d'une maison de Toronto où on cultivait de la marijuana, un alligator de 7 pieds bien vivant. Dans d'autres cas, on a installé des explosifs qui devaient sauter si quelqu'un ouvrait la porte.
Comme je l'ai mentionné, à maintes reprises les pompiers ont échappé de justesse aux pièges, ce qui nous porte à craindre que tôt ou tard il y aura une véritable tragédie. C'est pourquoi nous sommes heureux que le gouvernement n'ait pas attendu qu'une tragédie se produise avant de légiférer.
Les membres du comité connaissent sans doute le projet de loi C-32, dont la Parlement a également été saisi. Entre autres mesures, ce projet de loi prévoit des peines plus sévères dans le Code criminel pour l'installation de trappes et rend illégale l'installation de trappes dans les lieux utilisés à des fins criminelles. L'AIP appuie fermement le projet de loi C-32 et nous pensons que le projet de loi C-38 renforcera cette disposition en ajoutant d'autres mesures visant à décourager l'installation de trappes dans les lieux servant à la culture illégale de drogues.
Si cette mesure législative dissuade un seul producteur de marijuana d'installer une trappe pour protéger sa culture, les pompiers seront déjà moins menacés. Si ces mesures dissuasives réduisent de manière importante le nombre de trappes utilisées au Canada, on aura pris pour les pompiers une nouvelle mesure de protection essentielle.
En conclusion, nous encourageons les membres de ce comité à appuyer les articles 6 et 7 du projet de loi C-38, dans l'intérêt de la sécurité des pompiers.
Encore une fois, je vous remercie de m'avoir invité et je suis prêt à répondre à vos questions.
Á (1110)
Le vice-président (M. Randy White): Merci, Jim. Si nous avons des questions, nous vous les poserons lorsque les autres témoins auront fait leurs exposés.
Mike.
Chef adjoint Mike Boyd (Service de police de Toronto et président du Comité sur l'abus des drogues, Association canadienne des chefs de police): Monsieur le président, mesdames et messieurs du comité spécial, je suis Michael Boyd, chef adjoint du service de police de Toronto et président du Comité sur l'abus des drogues de l'Association canadienne des chefs de police.
Je suis en compagnie du surintendant détective Jim Hutchinson, de la police provinciale de l'Ontario, qui est également membre du Comité sur l'abus des drogues.
Notre association travaille depuis plus de 10 ans maintenant avec des organismes fédéraux, sociaux et gouvernementaux ainsi qu'avec des partenaires communautaires, et plus récemment, avec les chefs politiques fédéraux, pour lutter contre les problèmes liés à la consommation de drogues à des fins non médicales.
L'ACCP soutient respectueusement que le projet de loi doit être remanié et renvoyé au prochain premier ministre. Ce projet de loi comporte de graves failles et n'aiderait pas, sous sa forme actuelle, à réduire le préjudice envers le Canada et la société canadienne. Nous avons l'impression que vous essayez d'adopter ce projet de loi trop rapidement.
L'ACCP a quatre grandes préoccupations sur lesquelles nous aimerions attirer votre attention aujourd'hui.
La première concerne la Stratégie canadienne antidrogue qui a été annoncée mais n'est pas encore pleinement mise en oeuvre. Je vous en reparlerai. Deuxièmement, les policiers n'ont pas d'autre choix que la mise en garde ou la verbalisation et il n'y a aucune disposition concernant la récidive. Troisièmement, il y a le fractionnement des infractions liées à la culture et leurs conséquences. Enfin, aucune modification législative relative à la conduite avec facultés affaiblies par la drogue n'entrera en vigueur avant le projet de loi C-38.
Les problèmes de drogue au Canada découlent de la demande de drogues illicites qui stimule constamment l'offre de drogues. En d'autres mots, il s'agit d'un problème d'offre et de demande. Notre association aborde ce problème de la même manière qu'elle en résout d'autres dans ses activités de maintien de l'ordre.
Pour bien identifier le problème, nous croyons qu'il est important d'isoler les deux aspects de l'offre et de la demande afin d'adopter des stratégies distinctes pour lutter contre ces deux éléments. Pour ce qui est des solutions, nous croyons qu'on attache trop d'importance aux producteurs et aux trafiquants de drogues illicites comparativement à l'importance accordée aux personnes qui font grimper la demande de drogues, y compris de cannabis. À notre avis, le projet de loi, dans sa forme actuelle, perpétue ce déséquilibre.
Au Canada, les problèmes de drogue s'aggravent et nous avons les mains liées. Cela n'a aucun sens. Nous devons tous nous rappeler que tant qu'il existera une demande de drogues, y compris le cannabis, les criminels et les organisations criminelles prendront les risques et les bénéfices associés à l'approvisionnement de drogues illicites.
Nous avons adopté une approche à trois volets pour lutter contre l'approvisionnement. Pour nous, cela veut dire la suppression et toutes les stratégies qui nous permettent de mieux supprimer les occasions d'importation, de production ou de trafic de drogues. Nous devons tout faire pour dissuader ceux qui importent, produisent et font le trafic de la drogue. Enfin, nous devons tout faire pour arrêter les importateurs, producteurs et trafiquants de drogues, y compris de cannabis.
Pour lutter contre la demande de drogues au Canada, nous préconisons depuis longtemps une approche à six volets qui commence par la prévention et passe par la sensibilisation et l'éducation, puis par l'application de la loi, car nous ne pouvons pas tout empêcher par la prévention. Nous devons en faire plus dans le domaine du traitement, c'est-à-dire de la réhabilitation et de la recherche. Nous pensons que le Canada doit adopter cette approche à multiples volets afin de lutter contre la demande de drogues qui, bien entendu, stimule l'approvisionnement de drogues.
En ce qui concerne notre première préoccupation, nous avons été extrêmement heureux d'apprendre à la fin de mai que le gouvernement avait une nouvelle stratégie canadienne antidrogue—nous en avons été ravis—, mais le problème, c'est qu'il s'agit d'une stratégie canadienne et non pas d'une stratégie fédérale; les provinces n'ont pas encore été mobilisées; et les municipalités et les régions, malgré tout leur intérêt, ne pourraient pas vous dire à quoi ressemble cette stratégie. Rien n'a été fait. Nous savons que certains fonds ont été affectés à cette stratégie, mais le reste du financement se fait attendre et les outils ne sont donc pas en place.
Á (1115)
Deuxièmement, il n'y a pas d'autre choix que la mise en garde ou la verbalisation et aucune disposition n'est prévue pour la récidive.
Je vais vous présenter rapidement nos préoccupations à cet égard.
Les policiers qui arrêtent quelqu'un pour possession de cannabis n'ont d'autre choix que de lui imposer une contravention. Dans certains cas, la verbalisation est la meilleure solution ou l'une des meilleures solutions, par exemple, dans le cas d'une première infraction. En cas de récidive par contre, ou lorsqu'il y a des circonstances atténuantes, le procès-verbal est peut-être tout le contraire d'une solution.
Nous croyons que le projet de loi doit reconnaître la récidive. Nous croyons qu'il doit prévoir d'autres mesures judiciaires afin que les policiers puissent aider à régler les problèmes communautaires et à lutter contre les problèmes liés à la consommation et au trafic du cannabis.
Je vous parlerai plus tard des préoccupations que nous avons en ce qui concerne la culture.
Permettez-moi de revenir en arrière pour dire que quelle que soit la formule retenue et quelles que soient les autres mesures prévues, nous sommes entièrement d'accord avec la verbalisation—mais pas comme unique possibilité. Nous aimerions avoir la possibilité d'autres mesures judiciaires.
Nous croyons que les conséquences doivent être adaptées aux circonstances. Il doit y avoir une gradation des conséquences, en fonction des circonstances, pour qu'elles aient un effet dissuasif et nous ne sommes pas convaincus que le projet de loi prévoie cela. En fait, nous sommes absolument convaincus que ce ne sera pas le cas puisqu'il n'y a pas d'autre choix que le procès-verbal.
Les modifications relatives à la culture nous préoccupent. Nous croyons que des peines minimales seraient plus efficaces à l'égard de certaines infractions liées à la culture que les dispositions actuelles.
Jim Hutchinson, ici présent, pourra répondre à vos questions au sujet des sentences ridicules imposées par les tribunaux pour d'immenses exploitations et aussi pour de très petites cultures. Nous croyons que c'est un grave problème.
Nous croyons que le problème à cause de la hausse du nombre d'invasions de domicile partout au pays et en raison de la violence qui est associée à la culture. Même dans le cas d'exploitations « artisanales »—terme que je n'aime pas beaucoup utiliser—d'autres criminels entrent par effraction et ont recours à la violence pour mettre la main sur ce qu'on pourrait qualifier de petites exploitations. Nous pensons que c'est un problème très grave, mais nous comprenons que certains ne soient pas d'accord à première vue.
Enfin, nous sommes inquiets du fait que les modifications législatives nécessaires pour lutter contre la conduite avec facultés affaiblies par la drogue ne sont pas encore en vigueur. Cela inquiète beaucoup la collectivité policière du Canada. Je pense que d'autres témoins vous en parleront également. Il y a de plus en plus de gens qui conduisent avec les facultés affaiblies par la drogue et les policiers n'ont pas les outils nécessaires pour lutter contre ce problème croissant.
D'après une étude réalisée auprès d'étudiants manitobains, le cannabis est la drogue de choix des jeunes qui sont beaucoup plus susceptibles de fumer un joint plutôt que de consommer de l'alcool avant de conduire. C'est évidemment est un problème énorme au Canada. C'est certainement un problème pour les policiers canadiens qui, à l'heure actuelle, n'ont pas les pouvoirs législatifs ni les outils dont ils auraient besoin pour l'affronter.
Il faut que des dispositions législatives autorisent les policiers à administrer un contrôle routier normalisé visant à déterminer la sobriété, nous autorisent à faire passer aux policiers des tests pour déterminer leur capacité à reconnaître l'effet des drogues et aussi le pouvoir de prendre des échantillons biologiques afin de déceler la présence de drogues chez les conducteurs.
Bien entendu, nous sommes également très inquiets des infractions à risque élevé qui ne sont pas reconnues dans le projet de loi C-38 par exemple. Nous nous demandons souvent si nous laisserions les pilotes de ligne consommer du cannabis au travail. Étant donné que le cannabis reste dans le système sanguin plus longtemps que l'alcool, nous pensons que c'est un problème. Nous pensons également que c'est un problème pour les chauffeurs d'autobus et de transport public. Le projet de loi ne traite même pas de cette question.
Á (1120)
Nous croyons que la consommation de cannabis augmentera au Canada. Nous serions également inquiets si les policiers pouvaient consommer du cannabis avant de prendre leur service.
Il y a donc toutes ces occupations à risque élevé qui, d'après nous, ne sont pas du tout tenues en compte dans le projet de loi C-38. Or, nous pensons que c'est une question importante pour les Canadiens et c'est pourquoi nous avons jugé bon de vous en parler.
Je crois que mon temps est écoulé. Je m'arrête et je suis prêt à répondre à vos questions.
Merci.
Le vice-président (M. Randy White): Merci, Mike.
Jim, voulez-vous ajouter quelque chose?
Détective surintendant Jim Hutchinson (Section des renseignements sur les drogues, Bureau des enquêtes, Police provinciale de l'Ontario et membre du Comité sur l'abus des drogues, Association canadienne des chefs de police): Non, le chef adjoint Boyd a fait l'exposé au complet. Je suis prêt à répondre aux questions.
Le vice-président (M. Randy White): De l'Association canadienne de la police professionnelle, Tony.
[Français]
M. Tony Cannavino (président, Association canadienne de la police professionnelle): Bonjour. Mon nom est Tony Cannavino. Je suis le président de l'Association canadienne de la police professionnelle. Je suis policier depuis 31 ans à la Sûreté du Québec, et la majeure partie de mon service a été axée sur les escouades de stupéfiants, le crime organisé et la répression du banditisme.
L'ACPP est le porte-parole national de 54 000 membres du personnel policier en poste d'un bout à l'autre du Canada. Par l'intermédiaire de nos 225 associations membres, les adhérents à l'ACPP comprennent le personnel policier oeuvrant au sein de corps policiers de petites villes et villages du Canada, ainsi que dans les grands corps policiers municipaux, provinciaux et fédéral.
L'ACPP se réjouit d'avoir l'occasion de témoigner aujourd'hui devant le Comité parlementaire spécial sur la consommation non médicale de drogues ou de médicaments pour l'étude du projet de loi C-38 portant sur la décriminalisation de la marijuana.
[Traduction]
Aujourd'hui, notre association s'unit à l'Association canadienne des chefs de police et à l'association Les mères contre l'alcool au volant dans un ultime effort pour demander au gouvernement de ne pas se hâter d'adopter le projet de loi C-38 sur la marijuana. Ce projet de loi a trop de défauts graves et le gouvernement fait fausse route en adoptant cette approche pour lutter contre le fléau de la marijuana.
Par souci d'efficacité, nous nous sommes entendus pour que je traite des questions qui concernent la culture, les laboratoires et la nécessité d'avoir une bonne loi et les outils appropriés pour traiter les conducteurs qui conduisent sous l'influence de la drogue.
[Français]
Pour ce qui est des laboratoires hydroponiques, les mesures contenues dans le projet de loi C-38 concernant la multiplication des laboratoires hydroponiques sont inadéquates et insatisfaisantes.
Il y aurait présentement au Canada au-delà de 50 000 exploitations de ce type; l'ensemble des municipalités canadiennes sont aux prises avec ce problème. D'ailleurs, mes deux collègues qui m'ont précédé vous ont fait un exposé bref, mais quand même assez évident de la situation actuelle et des inconvénients, des conséquences et des dangers.
Les policiers affectés au démantèlement des laboratoires hydroponiques doivent suivre une formation spécialisée et être munis d'équipement spécialisé pour faire face aux risques d'électrocution, d'exposition aux produits chimiques, aux pièges et à la probabilité que l'occupant de l'endroit soit armé et dangereux.
Afin de résoudre le problème de la prolifération des laboratoires hydroponiques, les policiers ont besoin de mesures de dissuasion telles que des pénalités plus sévères. Le projet de loi C-38, encore une fois, ne répond pas aux besoins des policiers.
Premièrement, aucune sentence minimale n'y est prévue. Les peines minimales s'imposent afin de souligner la gravité de cet acte criminel. D'ailleurs, les ministres provinciaux de la Justice ont formulé des recommandations similaires au ministre fédéral de la Justice tout récemment, lors d'un colloque dans Charlevoix.
Deuxièmement, pour les cultures hydroponiques de moins de 25 plants, les sentences maximales sont en réalité réduites, transmettant ainsi aux magistrats le message à l'effet que la marijuana n'est pas une drogue dangereuse.
Quant à la conduite avec facultés affaiblies par les drogues, nos policiers et policières ont besoin de lois et d'outils pour sévir contre les conducteurs dont les facultés sont affaiblies par les drogues. Il faut qu'une loi à cet égard précède toute libéralisation de nos lois face à l'usage de la marijuana.
Nous sommes déçus par le refus du ministre de la Justice d'inclure de telles mesures dans le projet de loi C-38. Nous savons également que les Mères contre l'alcool au volant, ou MADD Canada, partagent nos inquiétudes à ce sujet. La police a besoin de lois, de formation et d'équipement adéquat pour faire face aux situations où l'on soupçonne que les facultés du conducteur sont affaiblies par les drogues.
En dernier lieu, bien que les policiers soient d'accord sur l'utilisation de mesures alternatives, nous maintenons que les policiers doivent conserver le pouvoir discrétionnaire, c'est-à-dire le pouvoir de déposer une accusation criminelle ou d'émettre une contravention pour toute infraction de possession, nonobstant la quantité, car certaines situations pourraient l'exiger.
Le projet de loi C-38 fait fausse route. Pourquoi tant de hâte? Si vous avez à coeur d'envoyer un message clair à nos jeunes et de les convaincre de ne pas consommer de marijuana, nous vous prions d'arrêter la course vers l'adoption du projet de loi C-38. Nous vous demandons plutôt d'aller de l'avant avec une stratégie nationale, un programme antidrogue où on va pouvoir prioriser la prévention et l'éducation, et axer notre action en ce sens.
Merci. Je suis prêt à répondre à vos questions.
Á (1125)
[Traduction]
Le vice-président (M. Randy White): Merci, Tony.
C'est maintenant le tour d'Eugène, de la Fondation canadienne pour une politique sur les drogues.
M. Eugene Oscapella (directeur, Fondation canadienne pour une politique sur les drogues): Merci, monsieur le président.
J'insiste sur le fait que nous sommes un organisme non partisan. Nous nous consacrons à la recherche de solutions qui rendront les lois sur les drogues efficaces et humanitaires. Mes commentaires au sujet de ce projet de loi ne sont nullement empreints de partisanerie.
Je tiens aussi à reconnaître l'ouverture d'esprit de bon nombre des membres du comité, relativement à ce sujet. Mes commentaires ne sont pas faits à leur endroit, mais s'adressent plutôt à l'ensemble du gouvernement. Je serai direct.
Le projet de loi, dans son libellé actuel, comporte des failles fondamentales et, je l'espère, fatales. Le problème le plus fondamental du projet de loi, c'est qu'il ne reconnaît pas le rôle de la prohibition criminelle comme source de nombreux méfaits associés au cannabis.
Je vais vous les décrire un peu, monsieur le président, simplement pour insister sur cet aspect de la question. C'est un fait économique très simple. C'est un principe d'économie de base, d'économie 101. Interdisez une substance que beaucoup de gens veulent et un marché noir lucratif verra le jour. La force économique de la prohibition est bien plus puissante que toute force mise en oeuvre par le gouvernement pour la contrer. Je ne cesse de demander ce que le gouvernement n'arrive pas à comprendre dans ces simples règles économiques relatives à la prohibition.
La semaine dernière, le National Post rendait publics des éléments de rapport confidentiel de la GRC sur le problème croissance du crime organisé au Canada. Que disait ce rapport? La GRC disait que les drogues sont le pain et le beurre de ces groupes criminels organisés. Nous le savions depuis des années, nous savions que la plupart des organisations criminelles du Canada tiraient une part substantielle de leurs revenus du trafic de drogues. Pourquoi dégage-t-elle un tel revenu du trafic de drogues? À cause de la prohibition, tout simplement.
Si on met fin à la prohibition, le crime organisé cessera rapidement de s'intéresser dans la part la plus importante du commerce du cannabis et de sa production. La seule raison de l'intérêt du crime organisé pour le cannabis, c'est l'interdiction des drogues par nos lois pénales qui crée un marché noir extrêmement lucratif. Je me pose encore une fois la question, monsieur le président. Qu'est-ce que le gouvernement ne comprend pas au sujet de cette vérité économique toute simple?
La seule raison pour laquelle les drogues financent les grands mouvements terroristes du monde, c'est la prohibition. Un kilo d'opium, dont la production ne coûte qu'environ 100 $—et il faudra 900 $ pour produire un kilo d'héroïne—est vendu dans les rues américaines, d'après les chiffres des Nations Unies, un peu moins de 300 000 $, pour un profit d'environ 32 000 p. 100. Et cela, simplement parce que nous avons choisi le droit pénal pour réprimer ces drogues, créant ainsi un marché d'un excellent rapport pour les groupes terroristes comme pour les groupes criminels organisés.
L'un des mes collègues a laissé entendre qu'un projet de loi comme celui-ci devrait plutôt porter le titre de « loi visant les subventions au crime organisé et au terrorisme », puisque c'est l'effet qu'il aura. En maintenant la prohibition, on subventionne le crime organisé et les groupes terroristes du monde entier.
J'ai bien aimé les commentaires de M. Lee au sujet des risques associés à la production de drogues. Pourquoi les laboratoires de production sont-ils dangereux? Les lieux de culture de cannabis n'existent qu'en raison de la prohibition qui crée ce marché phénoménalement lucratif des drogues. Le miroitement de profits faramineux grâce à la prohibition séduit ceux qui se lancent dans la culture du cannabis. Et ce n'est que parce qu'il faut garder cette activité secrète et protégée que les gens se livrent à des activités dangereuses, comme le vol d'électricité et l'installation de pièges.
Levez la prohibition et plus rien n'encouragera les criminels à cultiver le cannabis, à cacher leurs exploitations en volant de l'électricité et à les protéger au moyen d'armes comme celles qui menacent les pompiers. Maintenez la prohibition et vous continuerez d'encourager la culture dangereuse du cannabis et les intérêts des organisations criminelles. Monsieur le président, dites-moi ce que le gouvernement ne saisit pas dans cette simple vérité économique?
En resserrant les pénalités pour la culture du cannabis, ce projet de loi va très probablement dissuader certains petits producteurs, qui mettront fin à leur activité. Mais ensuite? Le marché sera repris par les organisations criminelles qui ne craignent pas la loi. La loi, de bien des façons, ne dissuade pas les groupes criminels organisés. En alourdissant les peines pour les plus gros producteurs, ceux qui produisent un plus gros volume de cannabis, on ne fait que confier le marché au crime organisé.
On peut maintenant entendre quelqu'un dire que nos lois antidrogues sont nécessaires pour protéger les jeunes Canadiens. Pensons-y bien. À cause de la rentabilité du cannabis qui, je le répète, découle simplement de sa prohibition, il est encore plus intéressant qu'autrement d'essayer de vendre ces drogues à quiconque, y compris à des mineurs. Encore une fois, monsieur le président, je me demande ce que le gouvernement ne comprend pas, dans cette vérité économique toute simple.
Á (1130)
Le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites a reconnu que le gros des problèmes associés au cannabis découlaient de sa prohibition. Pourquoi le gouvernement actuel ne le comprend-il pas? On lui a présenté un rapport de 600 pages, extrêmement bien documenté et approfondi, sur cette question. Pourquoi le gouvernement ne comprend-il pas?
Comme citoyen canadien, et non comme représentant de la fondation, comme citoyen canadien qui doit vivre dans une société où il y a des raisons de s'inquiéter de la croissance du crime organisé, je suis estomaqué qu'un gouvernement qui prétend si bien comprendre les phénomènes économiques mondiaux n'arrive pas à saisir ces liens très simples entre le rentabilité du trafic de drogues et sa prohibition, entre le financement du crime organisé et le terrorisme, entre la croissance de la culture illégale et dangereuse de cannabis et la nécessité de surmonter tous les obstacles à sa mise en marché. Ce projet de loi le montre pourtant très bien : le gouvernement échoue lamentablement lorsqu'il s'agit de comprendre les règles économiques de la prohibition.
J'ai du mal à croire que le gouvernement ne comprend pas l'économie. Par conséquent—peut-être que l'un de vos honorables membres a raison—j'ai l'impression que les politiques en matière de drogues sont essentiellement de la politique. Je me rappelle les paroles du criminologue norvégien Nils Christie, qui disait que l'abus des drogues le plus dangereux est l'abus politique. À l'examen de ce projet de loi, il est difficile de ne pas y voir un outil politique sans fondement scientifique ou économique.
Je vous aiderais volontiers à profiter des compétences de mes collègues pour préparer une loi plus efficace, mais nous ne le pouvons pas, tant que le gouvernement ne sera pas plus honnête au sujet des règles économiques de la prohibition et de leur rôle dans la création de nombreux problèmes associés à la drogue, dans notre société.
J'opterais pour la solution que propose le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites. Je comprends que c'est illusoire, mais à tout le moins, après cette tirade, j'aimerais faire quelques suggestions.
D'abord, il faut qu'il soit clair que le projet de loi décriminalise la possession de drogues. À la lecture du projet de loi et à l'écoute des déclarations du ministre de la Justice, il n'est pas clair qu'il parle de décriminalisation. D'ailleurs, dans une entrevue donnée il y a quelques semaines, le ministre disait que le projet de loi tient toujours pour criminelle la simple possession de drogues. Si c'est bien vrai, c'est une autre raison de rejeter le projet de loi d'emblée.
Il faut décriminaliser la transmission de petites quantités de drogues, pour quelque raison que ce soit. Autrement, quelqu'un qui ne fait que donner un joint à quelqu'un d'autre pourrait être déclaré coupable de trafic, une infraction qui, comme vous le savez, dans le cas du cannabis, est passible d'une peine maximale de cinq ans moins un jour.
Il faudrait accorder une amnistie générale à tous les Canadiens déjà condamnés pour simple possession de drogue.
On peut maintenir certaines peines pour l'exportation de drogues vers les États-Unis. Je présume que les grands responsables des drogues aux États-Unis viendront au Canada, sans doute pour nous dire que nous sommes de grands exportateurs de cannabis aux États-Unis. J'ai bien étudié les chiffres. D'après les données de la GRC, le Canada produit 800 tonnes de cannabis par an. Or, la consommation annuelle de cannabis aux États-Unis oscille entre 7 000 et 8 000 tonnes. Si on exportait aux États-Unis chaque gramme de cannabis produit ici, nous n'alimenterions qu'environ 10 p. 100 du marché américain. Nous n'exportons pas une telle proportion de cannabis aux États-Unis et, en passant, les États-Unis sont probablement le principal fournisseur de leur propre cannabis. Aux États-Unis, c'est une activité commerciale très importante.
Il faudrait aussi décriminaliser la culture d'une petite quantité de plants, probablement en fonction de la puissance des lampes utilisées pour cette culture. Ainsi, le commerce à petite échelle sortira des mains du crime organisé. C'est un aspect important.
Une dernière chose, monsieur le président, je me rends compte que mon temps est écoulé : même si ce projet de loi ne porte pas sur l'accès au cannabis pour fins médicales, je me fais l'écho du Sénat pour demander que cette question soit réglée rapidement et de manière humanitaire. J'y tiens parce que j'ai accompagné un ami dans ses derniers moments la semaine dernière. Il s'appelait Donny Appleby. Il est mort des suites de brûlures subies lors de l'explosion survenue alors qu'il se servait de butane pour un procédé risqué d'extraction d'huile de cannabis à partir de cannabis de qualité inférieure. Il faut un régime qui donne à des gens comme Donny Appleby un accès peu coûteux au cannabis pour fins médicinales. Pour y avoir accès, il a recouru à un procédé qui lui a coûté la vie. Personne ne devrait courir ce genre de risque pour obtenir des médicaments destinés à les soulager.
Á (1135)
Merci, monsieur le président.
Le vice-président (M. Randy White): Merci, Eugene. Et merci à vous tous pour de très bons exposés.
Nous passons aux questions.
Kevin, c'est à vous.
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne): Comme le président, je tiens moi aussi à vous remercier. Il est bon de recevoir au comité des représentants des forces de l'ordre. Vous êtes aux premières lignes, à combattre, dans certains cas, le crime organisé, comme on l'a dit aujourd'hui, mais dans d'autres cas, vous luttez contre la consommation de cannabis que l'on voit dans nos rues—qu'on associe peu au crime organisé—ou vous travaillez avec les enfants qui se font prendre avec un joint.
Pour cet exercice sur l'usage des drogues à des fins non médicales, j'étais arrivé avec un idéal et je croyais qu'il fallait défendre fermement. Avec le temps, j'en suis venu à reconnaître qu'il nous faut être très prudents et ne pas jeter le bon grain en même temps que l'ivraie, si je puis dire.
J'ai parlé aux organisations de protection de la loi. Elles s'opposent à la décriminalisation de la marijuana; elles voient les quantités qui sont là. D'autres encore, comme les libertariens, nous disent : «Vous savez, la meilleure façon de lutter contre le crime organisé, c'est de légaliser les choses, pour ruiner le crime organisé». Nous savons que ce n'est pas vrai, et que le crime organisé trouvera certainement autre chose.
D'une certaine façon, la démarche libertarienne m'effraie, puisque on a entendu aujourd'hui comment la prohibition ne fait que... On a parlé des règles économiques qui l'entourent, et du fait qu'elle est inefficace. Par ailleurs, nous connaissons les risques associés à la drogue en général. Si le crime organisé se désintéresse de la marijuana, il se tournera vers l'ecstasy. Hier, la une du Edmonton Journal portait sur la méthamphétamine en cristaux. Une drogue n'attend pas l'autre.
Nous n'avons pas encore de toxico-test pour les patrouilles routières. Je devrais peut-être demander quand les toxico-tests seront possibles? Est-ce qu'on est près d'une solution, d'un test crédible pour savoir si un conducteur a les facultés affaiblies? On ne peut pas s'attendre à ce que le patrouilleur prenne un échantillon de sang. Y aura-t-il bientôt une solution? On n'a parlé d'écouvillonnage. Est-ce pour bientôt?
Mon autre question, que j'adresse à M. Lee, pour commencer... Je ne connais personne qui s'oppose aux dispositions relatives aux pièges qu'on trouve dans les lieux de culture de marijuana, entre autres. Je crois que c'est l'évidence même et qu'il faut reconnaître la menace que cela représente pour les pompiers et les policiers. Ce projet de loi porte sur la marijuana et la décriminalisation.
Les représentants des policiers pourraient peut-être formuler des commentaires sur le taux de criminalité, le taux de condamnations ou la structure des peines imposées. Pensez-vous que cela aura un effet dissuasif? Dans le cas d'un jeune pris avec moins de 10 grammes de marijuana, pensez-vous qu'une amende de 100 $ aura un effet dissuasif? À votre avis, est-ce dissuasif?
Monsieur Boyd, s'il vous plaît.
Á (1140)
Chef adjoint Mike Boyd: Si vous permettez, monsieur le président, les policiers pourront faire quelque chose, dans les cas de conduite avec facultés affaiblies par la drogue.
Pour pouvoir procéder aux contrôles routiers, nos agents ont besoin de la loi. Nous estimons que la première étape, c'est le test de sobriété normalisé, très semblable au test effectué pour la consommation d'alcool. Il y a aussi la technique des experts en reconnaissance de drogues, plus courante en Colombie-Britannique que n'importe où ailleurs au pays. L'an dernier, l'Association canadienne des chefs de police a été l'hôte d'un cours de formation pour ces experts, donné à 20 agents de police. Ce n'est pas beaucoup, mais c'est un début, pour apprendre à reconnaître chez une personne quatre types de drogues, et à les identifier.
Il y a donc des techniques policières dont l'application nécessite une formation. Nous avons besoin d'appui. Dans la stratégie nationale antidrogue, un budget de 910 000 $ sur cinq ans a été réservé à la formation en reconnaissance de drogues. C'est une somme ridicule. Nous n'irons pas bien loin, en cinq ans, avec 910 000 $. Il nous faudrait un programme de plus de 20 millions de dollars, si l'on veut se préparer partout au pays à lutter contre la tendance à la hausse de la conduite avec facultés affaiblies par des drogues.
Pour répondre à votre dernière question, la contravention peut avoir un effet dissuasif dans certains cas, mais je crois qu'il faut tenir compte des circonstances entourant la possession illégale. Pour un délinquant primaire—quelqu'un qui en est à sa première ou deuxième expérience et qui n'a peut-être pas vraiment aimé ça—la contravention peut avoir un effet dissuasif.
Il faut répondre à ces questions : la sanction est-elle concrète, appropriée et progressive?
Pour quelqu'un d'autre, un toxicomane trafiquant, qui travaille dans la rue avec en sa possession de petites quantités de cannabis, d'après les critères quantitatifs fixés par les législateurs, soyez assurés qu'il n'aura jamais sur lui plus que la quantité légale. Il ne paiera jamais de contravention et ne subira jamais de conséquences, puisqu'il est impossible de percevoir des amendes au Canada dans les cas de mandats de dépôt. C'est un problème.
Je vous présente les deux extrêmes, mais pour le dernier cas, on passera simplement ça au compte des profits et pertes.
M. Kevin Sorenson: Mais appuieriez-vous cette décriminalisation?
L'autre jour, un de mes amis a reçu une contravention pour une ceinture de sécurité non bouclée : c'était en Alberta, et ça lui a coûté 129 $. Pour la consommation de boisson chez les mineurs, l'amende est supérieure à 200 $. Mais pour la possession de marijuana, on envisage une amende maximale de 100 $.
Est-ce que vous vous opposeriez à une amende nettement supérieure ou à ce que le refus de payer entraîne des conséquences, comme le retrait du permis de conduire? S'ils ne paient pas, ils perdent leur permis.
Chef adjoint Mike Boyd: Certaines personnes qui sont de celles qui sont à la source du problème n'ont probablement pas de permis de conduire, ou n'en auront pas et il ne servirait probablement à rien de les menacer de leur retirer la possibilité d'en obtenir un.
Nous pensons qu'il serait plus efficace de créer d'autres mesures de rechange, comme de réhabiliter les policiers à porter des accusations au criminel. Je le dis avec les meilleures intentions, pour qu'un policier puisse amorcer les procédures judiciaires, par exemple pour orienter quelqu'un qui a besoin d'aide vers un tribunal spécialisé dans les drogues et la désintoxication—ce qui fonctionne assez bien à Toronto, d'après notre expérience. Il faut davantage de possibilités de ce genre, au Canada.
Á (1145)
Le vice-président (M. Randy White (Langley—Abbotsford, Alliance canadienne)): Je crois que vous avez posé une question à Jim.
M. Kevin Sorenson: Je ne posais pas une question. Je disais en gros que nous somme d'accord avec cela.
C'est tout pour l'instant, merci.
La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)): Merci.
Monsieur Marceau, c'est votre tour.
[Français]
M. Richard Marceau (Charlesbourg—Jacques-Cartier, BQ): Merci beaucoup, madame la présidente. Merci aux témoins pour leur présence et pour leurs témoignages fort intéressants.
Ma première question s'adresse à M. Cannavino. Dans votre conclusion, vous avez relancé l'idée du message à envoyer aux gens. Or, selon les statistiques dont nous disposons--parce qu'il faut se baser sur des statistiques--et qui ont été compilées par Santé Canada, il s'avère que dans les endroits où la possession simple a été décriminalisée, on n'a pas vu une hausse de l'utilisation ou de la consommation de marijuana.
Alors, comment peut-on dire que parce que la possession simple de petites quantités ne serait plus une infraction criminelle, on enverrait un message aux jeunes qui aurait des conséquences x ou y? Sur quoi vous basez-vous pour dire cela, alors que les statistiques indiquent que ce n'est pas le cas?
M. Tony Cannavino: Je ne sais pas d'où proviennent ces statistiques et ces commentaires puisque cet été, lors d'une assemblée générale à laquelle nous avions invité des collègues de l'Australie, de l'Angleterre et d'autres pays, et où il y avait plusieurs représentants, nous leur avons justement posé la question, car nous entendions toujours parler de fameux rapports de telles régions, surtout de l'Australie, comme cela a été mentionné à quelques reprises. Or, eux nous ont fait part de conclusions différentes.
Quand on parle de petites quantités, c'est toujours assez intéressant d'entendre les gens s'exprimer. Quand on demande aux gens s'ils savent ce que représente 15 grammes de marijuana... Quinze grammes, cela représente à peu près une trentaine de joints. Quelqu'un qui se promène avec 30 joints dans ses poches, je ne suis pas certain que c'est pour sa consommation personnelle lors d'une soirée. S'il en fume 30 dans une soirée, je peux vous dire qu'on ne l'entendra pas pendant quelques jours; je peux vous l'assurer. Donc, je pense que la consommation personnelle est excessive, à ce moment-là.
M. Richard Marceau: Est-ce que ce serait possible de nous faire parvenir ce que vos collègues australiens ont dit?
M. Tony Cannavino: Cela nous ferait plaisir.
M. Richard Marceau: D'accord, faites-le parvenir au greffier, s'il vous plaît.
M. Tony Cannavino: L'autre point, c'est que la pierre angulaire, c'est un programme national antidrogue solide et mis en pratique. Ce n'est pas seulement un principe philosophique d'un programme national antidrogue. Ce n'est pas en place et on n'en a aucune idée. Or, dans un tel programme, on miserait sur la prévention et l'éducation, en ajoutant, évidemment, les sommes nécessaires pour justement aider nos jeunes ou les gens qui sont en difficulté. Ça, c'est la pierre angulaire.
En outre, quand nous parlons de maintenir le pouvoir discrétionnaire pour nos policiers, ce n'est pas pour donner plus de pouvoir à nos policiers. Ce n'est pas l'objectif, parce que nous sommes d'accord pour qu'il y ait des mesures alternatives. Quand on parle d'émettre une amende pour quelqu'un qui serait trouvé en possession d'un ou deux joints, je pense que la sanction par rapport à l'offense serait équilibrée, normale. Mais il faut voir dans quelles circonstances cette personne possède cette quantité de marijuana.
De plus, comme je vous le disais plus tôt, le message qui a été envoyé est fort simple, et vous l'envoyez à des vendeurs d'un autre niveau. Je peux vous en parler par expérience; j'ai passé la majeure partie de ma carrière de 31 ans au sein d'escouades des stupéfiants, du crime organisé, de la répression du banditisme. Le premier message que vous lancez clairement fera que les vendeurs de drogue vont dire aux jeunes de garder moins de 15 grammes en leur possession, c'est-à-dire 14 grammes, et de dire, s'ils se font intercepter par un policier, que c'est pour leur usage personnel. Ainsi, la seule peine qu'ils risqueront d'avoir sera une amende, que les vendeurs offriront de payer à leur place. Donc, comme pouvoir pour aller recruter des gens, vous ne pouvez pas avoir mieux.
On parle d'une quantité inférieure à 15 grammes, mais ce n'est pas le cas. À moins de 15 grammes, le policier n'a pas de pouvoir discrétionnaire. Entre 15 et 30 grammes, il a un pouvoir discrétionnaire: il peut soit porter une accusation au criminel, soit émettre une amende.
Pensez-vous, avec le message qui est envoyé aux magistrats, que ce sera strictement pour des quantités inférieures à 15 grammes qu'ils vont accepter que ce soit simplement une amende? Non. Vous venez de dire que jusqu'à 30 grammes, ce sera une amende.
Alors, qu'on me dise qu'on a augmenté les sentences pour les cultures hydroponiques ou pour la culture de marijuana dans les champs, peu importe. Vous pourriez prévoir une peine d'emprisonnement de 25 ans: on sait fort bien que personne, pas un magistrat, pas un juge ne va donner de telles sentences. Pour que cela soit dissuasif, qu'on mette et qu'on applique des sentences minimales dans la mesure législative. Quand on parle de culture...
Á (1150)
M. Richard Marceau: Je sais que vous pourriez en parler pendant un certain temps.
M. Tony Cannavino: Oui, je m'emballe. Je peux vous dire par expérience...
M. Richard Marceau: Vous devriez être en politique!
J'ai une question pour vous, monsieur Boy. Vous avez beaucoup insisté sur la conduite avec facultés affaiblies; vous appelez cela token ana drive. Si vous aviez à rédiger un amendement à un ou plusieurs articles du projet de loi C-38 pour lutter spécifiquement contre le fléau de la conduite sous l'influence de drogue, quel serait-il?
[Traduction]
Chef adjoint Mike Boyd: L'amendement nécessaire devrait donner aux policiers le pouvoir, s'ils ont des motifs de croire que c'est nécessaire, d'arrêter un véhicule et de faire faire à son conducteur un toxico-test normalisé, différent de l'alcootest. Cela ne se fait pas encore.
Il faudrait aussi d'autres choses, comme l'appui à la formation d'experts en reconnaissance de drogues, puisque c'est ce qui permettra à un policier de faire une évaluation non intrusive. Ce serait utile. Autrement, il faudra le pouvoir de prélever un échantillon corporel. Tout refus de se prêter à l'un de ces trois tests constituerait une infraction en soi, comme dans le cas du refus d'alcootest, pour l'alcool.
[Français]
M. Richard Marceau: Est-ce que les échantillons prélevés sur le corps remplaceraient les tests, ou s'ils s'y ajouteraient?
[Traduction]
Chef adjoint Mike Boyd: Je crois qu'il faut procéder par étapes. Il faudrait d'abord habiliter les policiers à procéder à un test de sobriété normalisé, ensuite, la reconnaissance des drogues et, troisièmement, le prélèvement d'échantillons. Il faudrait probablement que l'agent puisse se justifier par des motifs raisonnables avant d'en venir à prélever un échantillon.
De nouveaux moyens technologiques ont été mis au point. Ils ne sont pas encore autorisés au Canada. Il s'agit d'un appareil semblable à l'alcootest, mais pour les drogues. Si j'ai bien compris, il contribuera à déceler quatre types de drogues, dont le cannabis, je pense. Il est donc possible de recourir à des moyens technologiques moins intrusifs. Si l'exemple auquel je songe est approuvé, ce serait probablement utile ici.
[Français]
M. Richard Marceau: Est-ce qu'il me reste du temps, madame la présidente?
La présidente: Une minute.
M. Richard Marceau: Je vais encore une fois m'adresser à vous, monsieur Boy.
Vous avez parlé plus tôt des récidivistes. J'aimerais savoir si vous garderiez leurs noms dans un dossier informatique et, le cas échéant, si ce dossier pourrait éventuellement être communiqué à d'autres autorités. Ces noms seraient-ils gardés exclusivement par la police de Toronto ou pourraient-ils être inscrits dans un registre pancanadien auquel pourraient avoir accès les Américains, par exemple?
[Traduction]
Chef adjoint Mike Boyd: Je crois que nous préconiserions une base de données nationale, plutôt que locale. Si quelqu'un quitte Toronto pour déménager à Calgary—qui relève d'une autre administration—la base de données locale ne serait d'aucune utilité. Une base de données nationale serait utile, je crois, pour retracer et déterminer le nombre de contacts avec la police qu'aurait eus un consommateur de cannabis qui a été accusé, ou qui a reçu une contravention ou une mise en garde, selon l'option jugée la plus appropriée.
Á (1155)
[Français]
M. Richard Marceau: Est-ce que les Américains auraient accès à cette banque?
[Traduction]
Chef adjoint Mike Boyd: Je ne crois pas. Je ne peux pas répondre à cette question. Je crois que pour les services policiers canadiens, on préfère pouvoir nous occuper de ce qui est possible de faire au Canada. Je ne sais pas si on pourrait en tirer un sous-produit pour les forces de l'ordre américaines. Je sais simplement que nous préférerions avoir une sorte de registre.
[Français]
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Marceau. C'est maintenant à M. Macklin.
[Traduction]
M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.): Merci, madame la présidente, et merci à tous les témoins d'aujourd'hui.
Pour revenir à ce qu'a dit M. Lee, vous serez sans doute heureux d'apprendre que le projet de loi C-32, qui contenait un certain nombre de dispositions sur les pièges et d'autres dispositions sur leur criminalisation, vient d'être adopté par la Chambre et a été transmis au Sénat.
Dans le projet de loi C-32, quiconque cause des lésions corporelles à autrui au moyen d'une trappe peut être passible d'une peine d'emprisonnement maximale de 10 ans; s'il y a un lien avec un lieu, la peine d'emprisonnement peut également aller jusqu'à 10 ans; si des lésions corporelles sont causées dans un lieu tenu en vue de la perpétration d'un acte criminel, la peine maximale est de 14 ans; enfin, quelqu'un qui cause la mort d'une autre personne, est passible d'une condamnation à perpétuité.
De ce point de vue-là, je pense que nous faisons des progrès et que cela répond à vos préoccupations à titre de premiers intervenants dans des situations de ce genre. Je pense que nous sommes tous terrifiés à l'idée de nous rendre en toute innocence dans un endroit où une trappe du genre nous attend. Donc, monsieur Lee, ce sont là de bonnes nouvelles pour nous. J'espère que le projet de loi trouvera l'appui voulu au Sénat et qu'il sera adopté assez rapidement.
Revenons maintenant à l'objet de notre présence ici—qui n'est pas nécessairement ce projet de loi-ci. L'un des grands problèmes semble être le traitement différent qu'on veut réserver à ceux qui sont trouvés en possession de marijuana au Canada. Il existe bien des lois, mais d'aucuns semblent croire que leur application pourrait varier selon que l'on se trouve en région urbaine ou en région rurale. C'est effectivement problématique du point de vue de l'application des lois, si la population canadienne devait avoir l'impression que la loi ne s'applique pas uniformément d'un bout à l'autre du pays.
Pourrais-je savoir ce que vous en pensez, puisque cela semble susciter des préoccupations?
Chef adjoint Mike Boyd: Je répondrai avec plaisir.
D'abord, l'application inéquitable de la loi à l'égard des gens qui se trouvent en possession de cannabis a fait des gorges chaudes. Ce que l'on n'a pas dit autant, c'est que cette situation n'est pas entièrement attribuable à une disparité dans l'application de la loi.
Prenons, par exemple, le cas de la Colombie-Britannique. Là-bas, un agent de police peut appréhender quelqu'un, mais c'est au procureur de la province qu'il incombe de décider de porter ou non des accusations et de porter l'affaire devant les tribunaux. La décision n'a strictement rien à voir avec la police—ou très peu—et beaucoup plus avec les procureurs de la Couronne.
De plus, la notion d'application équitable de la loi partout au Canada est, à mon avis, sans fondement. Dans un monde parfait, ce serait peut-être possible, mais dans la réalité, c'est sans fondement.
D'abord, nous n'avons pas suffisamment d'agents de police au Canada pour qu'ils s'occupent uniquement de drogues, que ce soit de cannabis, d'héroïne, de cocaïne ou d'autres drogues encore. Il nous faut donc décider pour commencer dans quel secteur nous allons concentrer nos efforts d'application de la loi. Ces décisions sont souvent d'ordre stratégique.
Je généralise peut-être, mais l'objectif des corps policiers canadiens, c'est la prestation de services de police communautaire. Nous sommes là pour régler les problèmes. Lorsque certains quartiers et certaines collectivités sont aux prises avec des problèmes de drogue, la police leur accorde plus d'attention qu'à d'autres. Pourquoi? Ce n'est pas nécessairement parce que nous tenons absolument à intervenir là-bas, mais parce que nous voulons être à l'écoute de la population et à l'écoute de ses besoins. Si une localité, un quartier, une ville ou une région rurale est confronté à un problème de drogue, nous devons pouvoir réagir, car c'est important pour cette collectivité. Cela pourrait d'ailleurs expliquer pourquoi les choses sont différentes dans une ville donnée par rapport à une région rurale.
De plus, il nous faut également reconnaître que la disparité existe aussi pour des infractions d'autres genres, et que cela a tout à voir avec les facteurs en jeu et les circonstances de l'infraction.
Prenons par exemple le vol qualifié. Si vous entrez dans une banque et commettez un vol en présentant un bout de papier, le juge ne vous traitera certainement pas de la même façon qu'il traitera celui qui attaque une banque avec une arme et en menace les clients de son canon avant de fuir les lieux en emportant avec lui la même somme.
Le vol qualifié n'est pas toujours le même dans chaque cas et la possession de cannabis n'est pas nécessairement la même infraction partout. Pour toutes sortes de raisons, l'application de la loi et la détermination de la peine seront différents selon les cas. Et je ne vous ai donné que les exemples les plus flagrants.
 (1200)
M. Paul Harold Macklin: Êtes-vous en train de nous dire que le problème ne vient pas nécessairement d'une absence de loi en la matière mais de la façon dont elle est appliquée? Ai-je bien compris?
Chef adjoint Mike Boyd: Lorsque j'ai donné l'exemple de la Colombie-Britannique et des procureurs de la Couronne, j'ai dit qu'à mon avis, la prise de décisions selon la perspective de l'État était un des facteurs.
Vous savez, il n'est pas nécessaire de dire trop souvent à l'agent de police que vous, en tant que procureur, ne porterez pas des accusations en dépit de ses efforts pour qu'il comprenne le message assez rapidement. Une ou deux allusions me suffiraient pour comprendre qu'en Colombie-Britannique mes efforts de la répression n'auront certainement pas l'appui des avocats de la Couronne.
La présidente: Monsieur Cannavino.
[Français]
M. Tony Cannavino: Appliquer de la même façon partout au Canada la mesure voulant que le pouvoir discrétionnaire soit aboli dans les cas où la quantité est inférieure à 15 grammes ne règle pas le problème. La raison en est fort simple: on va devoir se limiter strictement à émettre des amendes à ceux qui seront en possession d'une quantité inférieure à 15 grammes et qui, dans certaines circonstances, devraient être traduits en justice au criminel.
À mon avis, si l'objectif est d'uniformiser l'application partout au Canada, on manque le bateau. Comment pouvons-nous, si nous n'avons pas de pouvoir discrétionnaire, déposer des accusations au criminel? N'oubliez pas, comme le disait mon confrère, que c'est le procureur de la Couronne qui vérifie les motifs invoqués par le policier. C'est comme une garantie ou un genre de police d'assurance. En plus, il y a le juge.
Bref, on ne peut pas prétendre que ce projet de loi permet d'appliquer les mesures partout et de façon équitable. À mon avis, on passe à côté du problème.
[Traduction]
M. Paul Harold Macklin: Si j'ai bien compris ce que vous, membres des forces de l'ordre de partout au Canada, nous avez expliqué, il faut avoir les bons outils pour appliquer la loi.
L'autre jour, le commandant adjoint de la GRC, Gary Loeppky, nous a expliqué que lorsqu'il y a possession de drogues en petites quantités, à peine 50 p. 100 des cas se traduisent par des accusations. Il me semble qu'avec un régime valable de contravention en place, il vous serait plus facile d'invoquer votre argument voulant que l'amende devrait correspondre à l'infraction et qu'elle devrait s'appliquer à tout le monde.
[Français]
M. Tony Cannavino: On est d'accord pour dire qu'à toutes fins pratiques, dans la majorité des cas, l'amende va suffire. Il reste que dans les circonstances particulières, on n'aura pas la possibilité de porter des accusations au criminel. La proposition que nous vous soumettons, c'est de maintenir le pouvoir discrétionnaire des policiers.
 (1205)
[Traduction]
M. Paul Harold Macklin: Si, par exemple, on réduisait la quantité de 15 à 10 grammes, cela serait-il plus près de ce que vous pourriez considérer comme un pouvoir discrétionnaire plus approprié?
Autrement dit, vous pourriez user de votre pouvoir discrétionnaire dans tous les cas de possession de 10 à 30 grammes de drogue.
[Français]
M. Tony Cannavino: On devrait maintenir le pouvoir discrétionnaire, nonobstant la quantité de marijuana. Qu'il s'agisse de 15 ou de 10 grammes, ce sont les raisons pour lesquelles la personne est en possession du cannabis qui importent.
[Traduction]
M. Paul Harold Macklin: Si ce que vous demandez c'est que, en théorie, tout le monde soit pénalisé—or, on a entendu dire qu'aucune sanction n'était imposée la moitié du temps—cela veut donc dire qu'actuellement ce pouvoir discrétionnaire n'est certainement pas exercé comme il se doit.
[Français]
M. Tony Cannavino: La raison est fort simple. Comme on l'a dit déjà, l'amende, dans la majorité des cas, serait une mesure adéquate. Si en plus il y avait une gradation pour ceux qui récidivent, on répondrait aux besoins de la situation. Cependant, certains cas ne seraient pas traités de façon appropriée si les policiers perdaient leur pouvoir discrétionnaire.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Boyd, suivi de M. Oscapella.
Chef adjoint Mike Boyd: Cela fait longtemps que nous disons qu'il nous faut bien plus que la possibilité de laisser partir quelqu'un avec une simple mise en garde ou de déposer des accusations au criminel. Nous sommes les premiers à avoir demandé au gouvernement de nous accorder toute une série de mesures de rechange en fonction des circonstances. Avant, c'était presque tout ou rien. Nous demandions des mesures de rechange, c'est-à-dire toute une série d'options qui donneraient à l'agent de police les moyens appropriés d'agir comme il convient, que le problème se pose dans une école ou dans une collectivité.
Or, nous nous retrouvons avec un projet de loi qui semble émaner de ceux qui sont convaincus que la police est d'accord avec le concept des contraventions. On semble croire que la police est prête à verbaliser et à se laver les mains de tout le reste.
Ce n'est pas ce que nous avons dit. Nous avons dit avoir besoin de toute une série d'instruments qui soient appropriés selon les circonstances. Ces instruments devraient nous permettre d'exercer notre pouvoir discrétionnaire et de prendre les bonnes décisions de façon beaucoup plus équilibrée et plus cohérente.
Ce n'est pas ce que nous donne le projet de loi C-38. On a l'impression que quelqu'un est tombé sur le terme « contravention », que ce terme lui a plu et qu'il l'a utilisé à toutes les sauces au détriment de tous les autres moyens. Cela ne donnera rien, parce que ce n'est pas ce qu'il faut. Dans deux cas distincts de possession de la même quantité de drogue, l'imposition de la même contravention peut n'avoir aucun sens et ne pas convenir, car la situation peut être plus grave dans un cas que dans l'autre. Par conséquent, la contravention n'aura aucun effet de dissuasion.
La présidente: Monsieur Oscapella.
M. Eugene Oscapella: Merci, madame la présidente.
J'aimerais soulever une question fondamentale, même si ce n'est peut-être pas une bonne idée au moment de l'étude détaillée du contenu d'un projet de loi.
Si l'objectif du projet de loi est de réduire l'utilisation des drogues, n'oublions pas qu'il existe des recherches excellentes ayant démontré que, peu importe la structure de pénalisation érigée, c'est-à-dire peu importe la façon dont on compose avec ce problème, cela n'a pour ainsi dire aucune incidence perceptible sur la décision que prennent les gens de consommer de la drogue ou pas.
C'est ce qui est ressorti très clairement lors des travaux du Sénat et d'ailleurs, l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies en est arrivé à la même conclusion : dans les pays où les amendes sont relativement strictes, le taux de consommation des drogues est plus élevé, dans certains cas, que dans les pays où les amendes imposées sont plus laxistes ou dans les pays où on ne pénalise aucunement la simple possession de drogues.
Revenons encore une fois à notre point de départ. Il faut voir les choses en face : la loi n'a pas grand-chose à voir avec la décision que prend quelqu'un de consommer de la drogue. Or, nous sommes ici à discuter d'un facteur qui n'a pas grand poids dans la décision. Nous pinaillons sur une chose qui n'a pas beaucoup d'effet sur la décision que prend quelqu'un de consommer de la drogue.
La présidente: Merci, monsieur Oscapella.
Monsieur White.
M. Randy White: Merci, madame la présidente.
Il est intéressant de constater, lorsqu'on lit la liste des peines imposées, qu'on parle partout de maximums.
Je lisais les résultats d'une recherche effectuée très récemment au sujet des peines imposées au trafic de marijuana dans la seule province de Colombie-Britannique. Tous les contrevenants avaient été jugés coupables de trafic; or, 27 p. 100 des contrevenants ont été mis en prison; 15 p. 100 ont été condamnés à l'emprisonnement conditionnel—est-ce que ça existe? 40 p. 100 ont été mis sous probation; 39 p. 100 se sont vu imposer des amendes; 5 p. 100 ont dû faire du service communautaire; 2 p. 100 ont dû dédommager les victimes; sans parler d'autres sanctions. On retrouve donc un peu de tout.
Je m'intéresse à des cas encore plus extrêmes. Aujourd'hui, pendant la période de questions, je m'intéresserai à un cas de meurtre qui a fait l'objet d'une détermination de peine déplorable de la part d'un juge. À vrai dire, les maximums dont on parle ici semblent parfaitement inutiles car ils ne servent à rien.
Il y a deux choses qui m'intéressent. J'ai droit à cinq minutes, n'est-ce pas? Je commencerai par la première, dont je vais peut-être traiter plus rapidement.
Diriez-vous que le projet de loi C-38, sous son libellé actuel, vaut mieux que le statu quo ou qu'il empire la situation? Vaudrait-il mieux qu'il n'y ait pas de projet de loi comme celui-ci ou demandez-vous qu'il soit adopté?
Répondez rapidement, car j'ai aussi une autre question. J'aimerais que vous répondiez tous les deux.
 (1210)
Chef adjoint Mike Boyd: Il vaudrait mieux ne pas en avoir du tout qu'avoir le libellé actuel.
La présidente: Monsieur Lee.
M. Jim Lee: À brûle-pourpoint, je dirais que nous sommes reconnaissants au gouvernement d'avoir aidé les pompiers en traitant des trappes dans le projet C-32. Nous avons d'ailleurs pris part à la conférence de presse du ministre de la Justice pour appuyer sa position lors de la présentation du projet de loi C-32.
Des gens très compétents en la matière vous ont parlé du projet de loi dont vous êtes saisis, et c'est pourquoi il ne conviendrait pas que je commente le projet de loi sur cette question-là. Je ne m'attendrais pas non plus à ce que les policiers commentent un projet de loi qui parle de mes fonctions de pompier.
Je n'ai donc rien à dire sur l'utilité d'adopter ou non le projet de loi.
M. Randy White: Vous n'avez rien à dire? Vous êtes le seul à qui j'ai posé la question qui n'ait rien à dire.
La présidente: Monsieur Oscapella.
M. Eugene Oscapella: Merci.
Je crois que le projet de loi sous son libellé actuel devrait être rejeté, pour les raisons que j'ai exposées plus tôt. Je préférerais me fier aux tribunaux; je m'attendrais à ce qu'ils proposent des solutions plus raisonnables à nos politiques sur les drogues comme ils le font déjà, d'une certaine façon. Le dossier est à ce point politisé que nous n'avons pas réussi à l'étudier de façon objective afin de trouver une solution efficace.
La présidente: Monsieur Cannavino.
M. Tony Cannavino: Je ne suis pas souvent d'accord avec M. Oscapella, mais je dirais, moi aussi, que nous n'avons pas besoin d'un projet de loi comme celui-là.
La présidente: Monsieur Hutchinson.
Dét. sdt Jim Hutchinson: En effet, il vaut mieux garder ce que nous avons que d'avoir ce projet de loi-ci, mais M. White a mis le doigt aussi sur les failles qui existent dans le système de détermination de la peine, notamment, et dans toute la procédure judiciaire.
La présidente: Monsieur White.
M. Randy White: On entend dire de toutes parts que le projet de loi est sérieusement vicié et qu'il vaut mieux garder le statu quo. Visiblement, nous avons encore beaucoup de travail à faire.
Que ferait le policier qui appréhende dans la rue un type ayant 18 joints en sa possession? À votre avis, que décideront les tribunaux à son sujet? Supposons que le policier ne transporte pas de balance sur lui, mais qu'il soit en mesure de deviner que les joints pèsent plus de 15 grammes et qu'il décide de porter des accusations correspondant à la limite supérieure. Est-ce que c'est le genre de pouvoir discrétionnaire que le projet de loi accordera au corps policier? Cela pourrait-il entraîner une cascade de batailles juridiques, ce qui enrichirait à nouveau les avocats? La police serait-elle obligée de baisser à nouveau les bras?
La présidente: Monsieur Boyd.
Chef adjoint Mike Boyd: N'importe quel agent de police qui ferait enquête au sujet de la possession de 18 joints, comme vous le dites, serait bien obligé, à mon avis, de s'interroger sur les circonstances. Il devrait se demander si c'est la première fois que l'individu en question se fait arrêter, pourquoi il est en possession de ces joints, s'il a l'intention de les utiliser, etc. Cela pourrait à la fois être un cas typique de saisie de drogue entraînant une mise en garde tout autant qu'un cas de saisie de drogue donnant lieu à une contravention. Par ailleurs, dans d'autres circonstances, il serait peut-être plus approprié encore de mettre la personne sous arrêt, si on l'autorise à le faire, pour envoyer l'individu en question se faire suivre.
M. Randy White: Le problème, c'est que le projet de loi parle de grammes, alors que je vous parle moi-même de joints. Cela fait partie du problème.
Chef adjoint Mike Boyd: Oui, c'est vrai.
M. Randy White: Si vous avez 40 joints, cela représente-t-il 15 grammes, 20 grammes, ou une autre quantité? Comment peut-on s'attendre à ce que le policier qui fait sa ronde sache si c'est un gros morceau ou non, sans parler du reste?
La présidente: Monsieur Lee, suivi de M. Barrette.
 (1215)
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Merci.
Puis-je tenir pour acquis que tous les témoins, à l'exception de M. Oscapella, sont d'accord avec l'imposition d'amendes plus sévères dans le cas de culture de cannabis?
La présidente: Vous hochez tous de la tête.
M. Derek Lee: Bravo, voilà enfin quelque chose de positif. Merci.
Vous êtes plusieurs agents de police ici, et je ne sais pas trop à qui poser la question, mais je m'adresserai néanmoins à M. Boyd.
Vous avez recommandé que nous permettions aux agents de police d'user de pouvoir discrétionnaire dans les cas de simple délit de possession. Mais en même temps, vous recommandez aussi que l'on impose des peines minimales et qu'on retire aux tribunaux leur pouvoir discrétionnaire. C'est tout à fait contradictoire. Vous n'êtes pas disposés à laisser aux tribunaux leur pouvoir discrétionnaire lors de la détermination de la peine et vous recommandez l'imposition de peines minimales, et pourtant vous faites valoir avec insistance que les agents de police n'ont pas à suivre le même modèle de liberté civile que les tribunaux qui ont justement ce pouvoir discrétionnaire. Pouvez-vous nous expliquer la différence?
Chef adjoint Mike Boyd: Bien sûr, avec plaisir.
Il nous semble que la possibilité d'imposer des peines minimales pourrait donner au moins un point de départ qui aiderait les juges au moment de la détermination de la peine, tout en leur permettant d'imposer des peines plus sévères. Maintenant, je ne veux pas parler de ce qui, à mon avis, pourrait arriver ni faire des projections d'avenir; je veux partir de notre expérience vécue. Donc, à la lumière des déterminations de peines que nous avons vues au Canada, il semble clair que ce qu'il nous faut comme régime, c'est un régime de peines minimales qui laisserait néanmoins un pouvoir discrétionnaire au juge, au vu des circonstances. Cela lui laisserait donc une certaine marge de manoeuvre qui ne serait pas grande au point de passer du maximum à ce que nous observons maintenant au Canada, à savoir n'imposer aucune amende. En effet, c'est ce type d'abdication que tous ceux qui doivent composer avec ces situations trouve choquante.
La présidente: Monsieur Oscapella vous vouliez intervenir?
M. Eugene Oscapella: S'il vous plaît, oui, madame la présidente.
Je suis farouchement contre l'imposition obligatoire de peines minimales. Aux États-Unis, on compte 2,1 millions de gens en prison. Les Américains ont dans leurs geôles un quart de toute la population d'incarcérés du monde, et en grande partie à cause de l'imposition obligatoire de peines minimales.
C'est une chose que d'imposer dans la loi des peines maximales. Mais c'est tout une autre chose pour le Parlement que d'usurper les fonctions des juges qui sont là où les choses se passent et qui peuvent voir de première main quelles sont les circonstances qui s'appliquent dans des cas particuliers. Je suis tout ce qu'il y a plus de contre cette idée d'imposer des peines minimales, car c'est une pente très dangereuse sur laquelle on peut glisser.
Dans les lois canadiennes, on trouve très peu de mentions de peines minimales, et c'est sans doute ce qui explique pourquoi nous avons au Canada un taux d'incarcération beaucoup plus faible, et de loin, qu'aux États-Unis.
La présidente: Monsieur Lee.
M. Derek Lee: Abordons maintenant la question de la conduite avec des facultés affaiblies.
Comme on l'a déjà signalé, l'article 253 du code pénal impose une répression dans le cas de conduite avec facultés affaiblies par la drogue ou par l'alcool. Nous acceptons tous, je suppose, que toutes les drogues ne se ressemblent pas. C'est en tout ce dont je suis fermement convaincu, personnellement.
Que fait la police aujourd'hui lorsqu'elle intercepte quelqu'un dont les facultés sont affaiblies par la cocaïne, l'héroïne, une drogue de club, l'ectasie, la méthanphétamine cristalline, le crack, ou même la codéine. Cela fait déjà longtemps que ces drogues existent, depuis 30 à 50 ans. Pourquoi, tout d'un coup, le dépistage des drogues devient-il problématique dans le projet de loi C-38?
J'aurais cru que le crack, l'héroïne et les stéroïdes anabolisants, qui—je crois—n'affaiblissent pas les facultés, sauf erreur... Pourquoi tout d'un coup cela fait-il problème?
Chef adjoint Mike Boyd: Le problème de la conduite avec facultés affaiblies par les drogues n'a pas surgi avec le projet de loi C-38, même si celui-ci a attiré beaucoup d'attention sur ce phénomène.
C'est un phénomène sur lequel se penchent les différents corps policiers du Canada depuis déjà quelque temps, à l'incitation de l'Association internationale des chefs de police qui s'est réunie aux États-Unis. Ce sont nos agents de police de la Colombie-Britannique qui sont revenus de cette réunion avec cette idée. De fait, on retrouve plusieurs agents de police experts en reconnaissance de drogues dans cette province depuis déjà quelques années.
Il semble que la conduite avec facultés affaiblies par la drogue soit la nouvelle tendance, comme l'ont signalé plusieurs études, notamment le sondage auprès d'étudiants manitobains, qui a attiré notre attention sur l'ampleur du phénomène. Nous pensions avoir fait quelques progrès avec l'alcool et c'est alors que nous avons constaté que les jeunes gens qui avaient bien compris ce message semblent croire maintenant qu'il n'y a aucun problème à conduire après avoir fumé du cannabis. C'est pour cela que vous en entendez de plus en plus parler, mais le phénomène n'est d'aucune façon associé à l'arrivée du projet de loi.
 (1220)
M. Derek Lee: J'ai une autre question.
Nous avons entendu parler de l'évaluation des circonstances dans le cas de possession de petites quantités. Quelles sont les circonstances spéciales dont un policier peut tenir compte lorsqu'il exerce ses pouvoirs discrétionnaires? Pouvez-vous nous en donner un ou deux exemples?
N'oubliez pas que rien n'empêche d'ores et déjà l'agent de police d'abdiquer complètement dans le cas de l'interception d'une petite quantité de drogues. Mettons cela au clair dès le départ.
Monsieur Cannavino, je m'adresse à vous, puisque vous en avez parlé, vous et d'autres témoins aussi.
[Français]
M. Tony Cannavino: Quand on parle de « certaines circonstances », cela inclut la récidive. Comme on l'a déjà indiqué, il n'y a absolument rien concernant la récidive.
Prenons l'exemple d'une personne qui a en sa possession plusieurs grammes de cannabis et qui est en compagnie d'autres jeunes. Il ne vend pas de cannabis, mais le partage avec les autres jeunes. C'est un exemple de « certaines circonstances ».
Je pense, d'autre part, que nous devrions avoir le pouvoir de traduire devant les tribunaux une personne qui a déjà été arrêtée pour possession pour usage personnel, qui en est à sa deuxième offense et qui est reconnue dans son milieu comme étant celle qui circule constamment avec une telle quantité de marijuana.
La présidente: Merci beaucoup. Je cède la parole à M. Marceau, qui sera suivi de M. Barrette.
M. Richard Marceau: Merci, madame la présidente. J'aimerais seulement poser une question rapidement.
Un problème qui a été identifié par tous les membres du panel est que la production de drogue est trop souvent entre les mains du crime organisé. Or, il n'est pas permis à un individu, ni dans la situation actuelle ni dans le projet de loi C-38, d'avoir, par exemple, son plant sur le rebord de sa fenêtre. On force ainsi les gens à s'alimenter sur le marché noir qui est, de l'avis même de tous les gens présents ici, entre les mains du crime organisé. Si le gouvernement décidait d'opter pour la décriminalisation pour possession simple, seriez-vous ouvert à l'idée de laisser un petit producteur produire sa propre petite quantité chez lui, d'avoir un plant sur le rebord de la fenêtre, afin de lutter contre le crime organisé?
M. Tony Cannavino: Votre exemple est très bien, mais où s'arrête-t-on?
M. Richard Marceau: On pourrait permettre un ou deux plants.
M. Tony Cannavino: On sait ce que produit un plant de marijuana par année. C'est beaucoup plus que 15 grammes.
Il y a deux philosophies qui sont totalement différentes. D'un côté, la position du sénateur Pierre-Claude Nolin a au moins le mérite d'être claire. Il parle de la légalisation, c'est clair. Vous en produisez, vous en consommez, etc. Lorsqu'on parle d'un plant, on semble penser à un petit plant, mais ce petit plant en question produit beaucoup de grammes de marijuana dans une année. Il produit à raison de deux à trois fois par année une quantité quand même assez appréciable de marijuana.
M. Richard Marceau: D'accord. Selon la GRC--avec qui, je présume, vous avez des liens--, la moyenne de production des plants est de 50 grammes. Cette information date du 28 octobre dernier, donc de la semaine dernière. Bien sûr, cela peut monter haut.
M. Tony Cannavino: Multipliez ce montant.
 (1225)
M. Richard Marceau: La GRC dit que la moyenne est de 50 grammes.
M. Tony Cannavino: Si on multiplie cette moyenne par le nombre de fois que le plant produit de la marijuana à chaque année, combien cela fait-il de grammes? Vous parlez d'un ou deux plants.
M. Richard Marceau: Cela ferait, pour un plant, 150 grammes par année.
M. Tony Cannavino: On vous le dit depuis le début, adoptons une position claire. Pourrait-on débuter par créer un programme national antidrogue? Avant d'opter pour le laxisme et de faire croire à tout le monde que consommer de la marijuana ne constitue pas un problème, il faudrait agir autrement. Adoptons d'abord un solide programme national antidrogue qui allie prévention et éducation, et laissons le pouvoir discrétionnaire aux policiers.
M. Richard Marceau: Monsieur Cannavino, j'ai parfois l'impression que vous et moi parlons de pommes et d'oranges. Je suis totalement d'accord avec vous: consommer de la marijuana n'est pas bon pour la santé et il faut faire plus en matière d'éducation et de prévention. Je suis complètement d'accord avec vous et il me ferait grand plaisir de faire le tour des écoles avec vous.
D'autre part, je vais reformuler ma question de la façon suivante. S'il existait un programme pancanadien--qui inclurait les provinces puisqu'elles sont les premières responsables de l'éducation et de ce qui s'y rattache--concret, solide, bien ficelé et sur lequel vous seriez en accord, seriez-vous en faveur de la décriminalisation pour possession simple?
M. Tony Cannavino: Imaginons ce fameux programme qui répondrait à mes attentes, qui aurait des fonds suffisants, qui comprendrait un volet sur l'éducation, sur la prévention, et qui fournirait également aux policiers les outils nécessaires pour intervenir et aider. Plus tôt, vous avez parlé à un de mes collègues de mesures alternatives. Une fois tout cela en place, nous ferions, vous et moi, une analyse de l'impact de ce programme. À ce moment-là, peut-être que nous conclurions qu'il n'est pas nécessaire d'opter pour la décriminalisation. Je serais très ouvert d'esprit à ce moment-là. Je m'assoirais avec vous, j'étudierais l'effet de ce programme et je verrais ce qu'il faut changer ou modifier.
Ce n'est pas ce qu'on veut faire, actuellement. On veut avoir l'air un peu plus libéral, plus ouvert, et on pense que la seule façon de s'attaquer au problème de la marijuana est de la banaliser, se foutre des conséquences et un jour adopter un programme national antidrogue. Où est ce programme? Pourquoi n'existe-t-il pas? Allons-y donc de la bonne façon, étape par étape, et je vais cheminer avec vous. Monsieur Marceau, il me fera plaisir de m'asseoir avec vous. Si après avoir bien appliqué un tel programme on en venait à la conclusion qu'il faut opter pour la décriminalisation, vous auriez un partenaire.
M. Richard Marceau: Merci.
La présidente: Monsieur Barrette.
M. Gilbert Barrette (Témiscamingue, Lib.): Merci, madame la présidente.
Monsieur Cannavino, vous auriez un autre appui de ce côté-ci, en l'occurrence le mien. J'ai passé plusieurs années de ma vie dans le domaine de la direction d'écoles, et s'il y a une chose que je trouvais particulièrement exigeante sur le plan de l'énergie, c'était bien ce qu'on pourrait appeler le contrôle de ces activités. En plus, il y avait une journée de la semaine où avait lieu une livraison.
Je serais des plus favorables à la mise en oeuvre de programmes de prévention. Ils ont déjà existé au Québec, mais on semble être passé à autre chose depuis. En outre, comme vous le savez, il y a eu des réductions budgétaires. Quoi qu'il en soit, je crois que la prévention est essentielle.
Pour ce qui est du pouvoir discrétionnaire, j'aimerais savoir plus concrètement comment il pourrait s'appliquer au quotidien à l'égard de jeunes qui seraient arrêtés pour possession de 5, 10 ou 15 grammes--peu importe--de cannabis. En quoi consisterait le rôle discrétionnaire du policier?
M. Tony Cannavino: D'abord, je tiens à vous féliciter d'avoir passé tout ce temps en milieu scolaire. Vous comprenez les difficultés auxquelles sont confrontés non seulement les membres de la direction, mais aussi les professeurs et les parents. Dans bien des cas, on parle de désarroi.
Pour ce qui est de maintenir le pouvoir discrétionnaire des policiers, j'insiste pour dire que ce doit être sans considération pour la quantité. S'il était question d'un ou deux grammes seulement, les policiers voudraient quand même se prévaloir de leur pouvoir discrétionnaire pour émettre une amende dans les cas de possession de six ou sept grammes.
Les policiers--et j'en représente 54 000 à travers le Canada--veulent venir en aide aux jeunes. Leur but n'est pas de faire condamner au criminel un jeune de 18 ou 19 ans pour qu'il se retrouve ensuite avec un dossier judiciaire et qu'il perde toutes ses possibilités d'avenir ou de carrière; ils veulent s'assurer d'avoir les moyens nécessaires pour les aider. Il ne s'agit pas ici seulement de l'amende, mais aussi de la possibilité de les diriger vers un centre. Par contre, cela ne tient que pour ceux qui ont un problème personnel de consommation.
Par contre, vous savez comme moi que dans certains cas, il est difficile de prouver de façon directe qu'il y a trafic, même si vous connaissez les individus en cause et que vous êtes en mesure d'identifier les cas problèmes dans une école, une région, une municipalité ou un petit village. Contre ceux-là, on devrait avoir le pouvoir de porter des accusations au criminel. Évidemment, l'accusation au criminel ne serait pas l'étape ultime: un procureur de la Couronne en analyserait les motifs.
On parle ici d'enrayer le fléau et d'éradiquer ces cancers des écoles ou des municipalités.
 (1230)
M. Gilbert Barrette: J'ai une dernière question.
Dans l'éventualité où on donnerait suite à ce projet de loi, outre le pouvoir discrétionnaire et la mise en oeuvre d'un programme, quel amendement majeur souhaiteriez-vous voir adopter?
M. Tony Cannavino: Nous souhaitons procéder par étape et, à cet égard, nous espérons que les parlementaires vont nous appuyer.
Pour travailler de la bonne façon, la première étape devrait être la mise en oeuvre d'un programme national d'éducation et de prévention. Ensuite, on devrait voir à ce que le pouvoir discrétionnaire soit maintenu. Puis, il faudrait s'assurer de disposer des fonds nécessaires et d'avoir plus que les deux options qui consistent à imposer une amende ou porter des accusations au criminel. Comme je le disais plus tôt, il faudrait pouvoir diriger les jeunes et les adultes en difficulté vers des centres qui ont les fonds nécessaires pour les aider.
Enfin, quand on parle de sentences minimales, il s'agit de crimes sérieux: la culture de cannabis en serre hydroponique, par exemple. Les municipalités sont maintenant aux prises avec un phénomène nouveau. Nos collègues pompiers sont souvent présents au cours de ce type d'opération et il arrive également que lors d'un incendie, ils nous appellent pour nous signaler une culture de cannabis. Il y a prolifération de ces cultures. Et pourquoi?
À mon avis, un mauvais message est envoyé depuis quelques années aux Canadiens, et cela en incite certains à produire plus de cannabis.
[Traduction]
La présidente: Merci beaucoup.
Je pense que M. Mark voudrait poser une brève question. Mais veuillez tous répondre succinctement.
Monsieur Mark.
M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, PC): Merci, madame la présidente, et veuillez excuser mon arrivée tardive. Je devais être à la Chambre ce matin.
La présidente: Venons-en à vos questions.
M. Inky Mark: Je sais que ce projet de loi-ci a une énorme incidence non seulement sur ce qui se passe au Canada, mais aussi sur vos carrières, et je me suis toujours demandé pourquoi les gouvernements agissaient de la façon dont ils agissent.
Le gouvernement a-t-il pris le temps voulu pour consulter chacune de vos organisations, pour vous faire savoir à l'avance ce qu'il avait l'intention de faire et pour vous demander votre avis? Cela s'est-il passé ainsi?
La présidente: Monsieur Cannavino.
[Français]
M. Tony Cannavino: Cela a été très court. On a eu des rencontres, mais les points et les objections qu'on a présentés n'ont pas été considérés.
[Traduction]
La présidente: Bien.
Monsieur Boyd, vous représentez la même organisation.
Chef adjoint Mike Boyd: Il y a eu ce que j'appellerais maintenant un « semblant de consultation », où on a retenu que très peu des idées exprimées.
M. Jim Lee: Non.
M. Eugene Oscapella: Oui, pas tant en ce qui concerne la rédaction du projet de loi mais c'est certainement le cas du Comité spécial de la Chambre des communes et du Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites. Nous avons comparu devant ces deux comités et y avons exposé nos vues. Quand à savoir si le gouvernement les a écoutées ou non... je ne pense pas, peut-être.
La présidente: Naturellement, cela s'appliquerait à tous les autres groupes aussi puisqu'ils ont tous comparu devant le comité spécial.
Merci à tous les témoins. La séance est suspendue pour quelques minutes.
 (1234)
 (1243)
La présidente: Nous reprenons nos travaux. Nous sommes le Comité spécial sur l'usage non médical des drogues et nous entendons des témoins au sujet du projet de loi C-38.
Parmi les prochains témoins figure M. Allan Young. Il est écrit ici que vous êtes de la Osgoode Hall Law School. Est-ce toujours exact?
Nous accueillons Lawrie Palk du Brantford Drinking and Driving Countermeasures Committee.
Puis, de Mothers Against Drunk Driving, Andrew Murie, directeur exécutif.
Je vous souhaite la bienvenue à tous.
Je pense, monsieur Young, que nous vous avons attrapé au vol entre deux engagements, alors pourquoi ne commencerions-nous pas par vous, puis nous entendrons les autres témoins ensuite dans cet ordre.
M. Allan Young (professeur, Osgoode Hall Law School): Je vous en remercie beaucoup, je suis désolé d'être si pressé.
C'est toujours un honneur pour moi d'avoir l'occasion d'exposer mes idées sur notre législation en matière de drogues, mais je veux vous dire que je suis aussi très ambivalent. Je suis très inquiet de constater que je refais sans cesse cet exposé devant des comités parlementaires, et vous devez être bien las d'entendre ce que moi et beaucoup de mes collègues avons à dire.
Mais je dirai ce que j'ai à dire, parce que j'y ai réfléchi en venant ici. Je me trouve en ce moment au Centre des congrès pour donner des exposés sur les droits des victimes à une conférence sous l'égide du ministère de la Justice, et nous y traitons de sujets d'actualité comme la violence familiale, la protection des enfants victimes d'abus, problèmes qui relèvent du droit pénal.
Quand je dis que je suis inquiet, c'est que je constate que nous sommes encore en train de débattre de l'encadrement juridique approprié d'une plante, et j'ai toujours dit—je serai très bref et traiterai ensuite directement du projet de loi C-38 qu'il y a six excellentes raisons pour lesquelles nous devrions modifier la loi—pour décriminaliser cette drogue, sinon la légaliser. Ces faits sont pour ainsi dire incontournables, et c'est pourquoi ce débat est si assommant.
D'abord, presque toutes les commissions royales d'enquête depuis 1894, à commencer par la commission sur le chanvre indien, ont recommandé que la consommation de marijuana ne relève pas du droit pénal. Combien de commissions d'enquête nous faut-il? De combien de scientifiques avons-nous besoin pour examiner cette question?
Deuxièmement, mis à part le Canada et les États-Unis, la majorité des pays occidentaux ont décriminalisé la chose, soit dans les faits ou en droit. Il ne reste plus que nous. L'Amérique du Nord s'isole de plus en plus en maintenant des sanctions punitives. Nous allons à contre-courant du reste du monde.
Troisièmement, nous ne devons pas oublier qu'en l'occurrence l'ennemi public que nous visons est une plante qui n'est pas toxique et qui n'a jamais tué qui que ce soit. C'est un fait avéré. Il n'y a pas de dose mortelle de marijuana.
Quatrièmement, la marijuana est relativement inoffensive pour la plupart de ceux qui en font usage. Pour certains, c'est s'aventurer en terrain miné. En toute objectivité je dois dire qu'il faut veiller à ce que ceux qui ont des problèmes cardiaques ou de schizophrénie ne touchent pas à la marijuana. Mais presque tous ceux qui en fument mènent une vie heureuse et productive.
Cinquièmement, si ce n'est pas nocif pour les individus, est-ce nocif pour la société? La question ne se pose même pas. Chacun sait que la marijuana n'entraîne pas de criminalité. Le droit pénal devrait être affaire de sécurité. Si la drogue n'entraîne pas de comportement criminel, pourquoi nous en préoccupons-nous? Si l'on songe à la santé des Canadiens, je dis que la marijuana est relativement inoffensive. Le droit pénal ne devrait pas servir à nous protéger d'une atteinte de bronchite. C'est insensé.
Ce qui m'amène à vous exposer la dernière raison, laquelle devrait vous préoccuper davantage en tant que parlementaires. La majorité des Canadiens souhaitent ce changement, comme l'attestent tous les sondages effectués depuis 1975. Quel genre de changement? Ce n'est pas clair. Mais ils ne veulent pas du régime punitif que nous avons.
Le gouvernement a alors annoncé en avril 2002 aux Canadiens, parce c'est ce que ces derniers veulent, qu'il procéderait à la décriminalisation, et la mesure a été appuyée par deux comités—celui de la Chambre des communes et celui du Sénat—pourtant voilà que nous avons ce projet de loi qui ne fait pas le poids. Je vais être très clair et très bref.
La décriminalisation ne signifie rien du tout. C'est vraiment un concept idiot. Elle signifie tout simplement la suppression du droit pénal. Elle n'indique pas ce qu'on fera à la place. Si l'on s'apprête à supprimer le droit pénal, on doit comprendre ce qu'est le droit pénal. Il faut comprendre les types de clients que je représente et quelles sont les conséquences pour eux.
Le droit pénal est affaire de stigmatisation et de punition. La stigmatisation, c'est le casier judiciaire. C'est la façon dont on vous traite en vous arrêtant et en vous fouillant, et la punition c'est la privation de liberté. Quand on lit le projet de loi C-38—je ne sais pas si on a cru que les Canadiens allaient gober tout cela—on voit qu'il n'atteint aucun de ces objectifs.
Je n'appuierai jamais le projet de loi C-28, et je suppose que presque tous ceux qui ont comparu ici vous ont dit la même chose. Il y a six raisons pour lesquelles je ne l'appuierai pas. Ce sont là les choses qui doivent changer—et je suis réaliste : cela ne se fera pas.
D'abord, il faut explicitement supprimer le pouvoir d'arrestation. La Loi sur les contraventions permet l'arrestation. C'est vraiment la principale interaction entre les citoyens et les autorités publiques qui a un effet de stigmatisation.
Ensuite, il faut des garanties pour protéger le dossier. La police ouvre des dossiers, qu'il s'agisse d'une contravention ou d'un casier judiciaire. Quand le Parlement entend protéger la vie privée, on scelle le dossier, on le conserve à part et on impose des sanctions en cas de divulgation. Songez à la Loi sur les jeunes contrevenants, ou je ne sais plus comment on l'appelle maintenant—je regrette, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents—et pensez à la Loi sur le casier judiciaire, ce que nous faisons quand quelqu'un est gracié—tenue à l'écart du document, mise sous scellé, non-divulgation. Il n'y a rien de cela ici. Ces contraventions seront connues des autorités américaines à la frontière et mes clients m'appelleront encore pour me dire qu'ils ne peuvent pas se rendre à New York.
 (1245)
Troisièmement, il faut éliminer les peines d'emprisonnement prévues pour le non-paiement des amendes. C'est une façon détournée d'incarcérer les consommateurs de marijuana. On sait qu'ils ne paieront pas l'amende. Il n'y a qu'à regarder ce qui s'est passé en Australie.
Quatrièmement, il faut abolir la distinction entre 15 et 30 grammes. Faut-il rappeler que les policiers ne trimbalent pas de balance. Il est contraire au principe de la primauté du droit d'instaurer un régime dans lequel la police n'aura pas de directive claire. Il faut décider entre un régime de contravention et un régime fondé sur le droit pénal, axé sur la déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Les policiers ne trimbalent pas et ne trimbaleront pas de balance. C'est ridicule. Ils en seront réduits à jouer aux devinettes. Quelle doit être la limite fixée? Disons, 30 grammes et oublions le reste. Cela correspond à peu près à la quantité que les consommateurs de marijuana ont l'habitude d'acheter et de fumer. Trente grammes équivaut à un peu plus d'une once.
Cinquièmement, ce projet de loi a une lacune grave : il ne prévoit pas d'exemption pour ceux qui cultivent des petites quantités de cannabis. Les parlementaires ont exprimé la crainte de voir le crime organisé et les gangs de motards s'emparer de la culture de la marijuana. Personnellement, je ne pense pas que cette crainte soit fondée, mais si vous voulez réduire l'influence du crime organisé, permettez aux gens de cultiver leurs propres plants de marijuana. Ne renforcez pas les sanctions pour la production de cannabis. Vous devriez exempter ceux qui cultivent une petite quantité de marijuana pour qu'ils n'aient pas à se tourner vers le marché noir. On peut cultiver la marijuana comme on cultive des roses. C'est très thérapeutique.
En terminant, ce qui m'inquiète le plus dans le projet de loi C-38, c'est qu'il change le préambule de la Loi sur les contraventions, ce qui montre clairement que le gouvernement actuel ne souhaite pas vraiment la décriminalisation. L'ancien préambule stipulait que la Loi sur les contraventions visait à tenir compte de la distinction entre les infractions criminelles et les manquements aux lois ou aux règlements. Pourquoi avoir supprimé cette partie de la loi? C'est parce que vous ne voulez pas que la Loi sur les contraventions soit perçue comme réglementaire. Le gouvernement actuel veut qu'elle soit encore de nature pénale, mais sans le dire ouvertement.
Je ne veux pas abuser de votre patience, mais je vous dirais en terminant qu'à mon avis, le projet de loi C-38 est irrécupérable. Il est rejeté autant par ceux qui militent en faveur de la libéralisation de l'accès à la marijuana que par ceux qui préconisent la prohibition. Voilà pourquoi je vous invite, en tant que parlementaires, à transmettre le message suivant au ministre de la Justice. Vous ne semblez pas avoir le courage politique ou la volonté d'agir dans ce domaine, si bien que vous faites perdre du temps à beaucoup de gens en inscrivant des projets de loi comme celui-ci au programme législatif, sachant bien qu'il n'aboutira pas. Je vous signale que la semaine dernière, l'Angleterre a reclassifié la possession de marijuana pour en faire une infraction qui ne peut plus mener à l'arrestation. Pourquoi avoir agi ainsi? À la lumière d'un projet pilote d'un an qui s'est déroulé à Londres, on a conclu qu'il était dans l'intérêt du pays de mettre fin aux poursuites et aux arrestations, car le taux de criminalité a diminué dans les secteurs où on a procédé de la sorte.
J'invite les membres de votre comité à poser la question suivante au ministre. Pourquoi essayer de définir une intervention judiciaire dans ce domaine? Puisque vous en avez le pouvoir, pourquoi ne pas décréter la suspension de toutes les poursuites relatives à la marijuana pendant 12 mois, pour voir si le Canada est prêt pour la décriminalisation?
Nous avançons à tâtons. Vous avez entendu des témoins comme moi vous dire que la marijuana est inoffensive et vous demander d'en libéraliser l'accès. Pourquoi ne pas suivre l'exemple de l'Angleterre et mettre cette formule à l'essai? Ce serait une solution très simple qui permettrait d'économiser beaucoup d'argent. Je vous assure qu'après 12 mois de ce régime, vous serez prêts à opter pour la décriminalisation. Ne perdez pas de temps à essayer d'amender un projet de loi voué à l'échec. Optez plutôt pour des mesures de nature administrative, comme l'ont fait la plupart des pays européens. Au cours de l'année qui suivra, on pourra voir ce qui se produit. À mon avis, c'est la façon la plus rationnelle d'aborder le problème.
Merci.
 (1250)
La présidente: Merci, monsieur Young.
Monsieur Palk.
M. Lawrie Palk (co-président, Brantford Drinking and Driving Countermeasures Committee): Madame la présidente, mesdames et messieurs du comité, je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour discuter des modifications à apporter au projet de loi C-38, au nom de l'organisme que je représente, le Brantford Drinking and Driving Countermeasures Committee.
Le groupe dont je suis coprésident fait partie depuis le début des années 80 du mouvement de lutte contre l'ivresse au volant à Brantford et dans le comté de Brant. Nous sommes des membres fondateurs du Conseil communautaire de l'Ontario sur la conduite avec facultés affaiblies.
Le comité regroupe des intervenants de divers milieux : élus municipaux, policiers, jeunes, porte-parole des victimes, victimes de conducteurs ivres, employés des services sociaux, travailleurs de la santé et éducateurs. Nous vous présenterons une perspective particulière sur ce projet de loi et nous espérons que notre témoignage saura vous toucher et vous éclairer.
La Charte canadienne des droits et libertés affirme sans équivoque que la sécurité de la personne est un droit fondamental qui doit être respecté. Comme on le dit souvent, la liberté de l'un finit là où celle de l'autre commence, et ce principe s'applique en ce qui concerne ce projet de loi et l'acte criminel de prendre le volant avec les facultés affaiblies. Des victimes innocentes d'accidents de la route suivent vos délibérations et elles vous tiendront responsables de protéger leur sécurité, leurs droits et leur vie.
Les Canadiens ordinaires sont tout aussi préoccupés par cette question. Chacun d'entre nous court des risques chaque fois qu'il monte dans un véhicule pour se déplacer. Tous ceux qui, comme moi, ont été la victime d'un conducteur ivre savent très bien ce que de tels événements peuvent coûter sur le plan physique et humain.
Les criminels qui prennent le volant alors qu'ils ont des facultés affaiblies font des ravages au Canada depuis beaucoup trop longtemps. Ils sont à l'origine de la plupart des décès et des blessures attribuables à un acte criminel. Ces accidents coûtent chaque année des milliards de dollars au Canada, mais il y a encore des gens qui conduisent alors que leurs facultés sont affaiblies, sans se soucier de la sécurité d'autrui.
Quant à moi, j'ai eu la chance de survivre à l'accident et de pouvoir en parler dans l'espoir que d'autres puissent tirer les leçons de mon expérience. Le 13 mai 1988, j'ai été victime d'un délit de fuite causé par un conducteur ivre. J'ai subi nombre de blessures, dont une fracture cervicale, une fracture du crâne et une commotion cérébrale. Je croyais que je me remettrais de ces blessures, mais en 1989, on a diagnostiqué une lésion cérébrale permanente, qui a changé ma vie. Je ne suis qu'un exemple parmi d'autres des coûts humains engendrés par ceux qui conduisent avec des facultés affaiblies.
C'est dans cet esprit que je veux prendre part au débat sur le projet de loi C-38. Cette fois, la drogue en question est la marijuana. Je vous demanderais de prendre connaissance de la lettre jointe au document que nous vous avons remis, lettre datée du 1er avril 2003 qui contient nos recommandations. J'ai également annexé d'autres documents à votre intention. À la lecture de ces documents, vous verrez que même si nous exprimons plusieurs préoccupations, nous sommes unanimes à vous prier instamment de comprendre que la marijuana peut vraiment affaiblir la faculté de conduire un véhicule et qu'elle peut contribuer à accroître le nombre de décès et de blessures causés par les accidents de la route au Canada. Ceux qui prétendent le contraire s'illusionnent et mettent en danger leur propre vie ainsi que la sécurité de chacun de nous.
Si la marijuana n'affaiblissait pas les facultés, pourquoi le plus important groupe de partisans de la libéralisation de l'accès à la marijuana en Amérique du Nord, le NORML, déclare-t-il dans ses principes fondamentaux qu'il ne faut jamais fumer de la marijuana avant de prendre le volant? Pourquoi John Conroy, éminent avocat britanno-colombien qui prône la libéralisation des lois sur la marijuana et qui a comparu devant la Cour suprême, tient-il exactement les mêmes propos?
Conduire avec les facultés affaiblies par la marijuana comporte beaucoup de risques. Nous avons besoin de mesures de réduction des préjudices causés par ce comportement et non pas de dispositions laissant entendre a) que la décriminalisation est synonyme de légalisation ou b) que la marijuana n'affaiblit pas les facultés mais qu'elle porte à conduire de façon plus lente ou plus délibérée ou c) que des conseillers des jeunes qui travaillent dans les écoles disent « Allez-y, vous pouvez fumer et conduire, parce qu'il n'y a pas de contrôles pour la marijuana comparables à ceux qui existent pour lutter contre la conduite en état d'ivresse ». Ce sont des mythes qui ont cours dans notre société.
 (1255)
J'ai dit à ces gens, et je le réitère devant vous, les membres de ce comité, qu'on ne peut comprendre l'ampleur des souffrances causées par la conduite avec des facultés affaiblies que lorsqu'on a été soi-même victime du comportement irréfléchi, égoïste et tout à fait évitable d'un conducteur ivre, ou encore qu'un de ses amis ou un membre de sa famille l'a été. Cela change toute votre vie, je le sais d'expérience.
Mesdames et messieurs du comité, merci de votre attention. Je serais heureux de répondre à vos questions et commentaires.
La présidente: Merci, monsieur Palk.
Monsieur Murie.
M. Andrew Murie (directeur exécutif, Les mères contre l'alcool au volant): Merci.
Je m'appelle Andrew Murie et je suis directeur exécutif national pour l'organisme Les mères contre l'alcool au volant Canada. Aujourd'hui, je parlerai au nom de nos 5 000 bénévoles actifs, des 700 000 personnes qui nous appuient financièrement et de nos sections locales disséminées au pays, dont le nombre dépasse 60.
Avant de commencer mon exposé, j'aimerais vous transmettre les excuses de notre présidente nationale, Louise Knox, qui n'a pas pu venir à Ottawa aujourd'hui. Elle s'était engagée à assister à une cérémonie tenue à Whitehorse, au Yukon, organisée par la toute nouvelle section locale de notre organisme. Étant donné le très court délai de préavis qu'on nous a donné, il a été impossible de reporter l'événement pour que notre présidente puisse comparaître devant vous et présenter notre point de vue sur ce projet de loi important.
Il est presque incroyable que notre organisme doive, aujourd'hui encore, demander aux députés de ne pas adopter le projet de loi C-38 tant qu'il ne sera pas assorti des textes de loi nécessaires pour protéger les Canadiens contre ceux qui conduisent avec les facultés affaiblies. Le problème n'est pas nouveau et le gouvernement a eu amplement le temps de présenter un projet de loi qui s'attaquerait véritablement à ce crime.
Beaucoup de groupes nationaux intéressés par la question ont rencontré le ministre de la Justice à ce sujet. Notre organisme l'a rencontré deux fois au cours de la dernière année et nous avons alors exprimé nos inquiétudes face à sa volonté de faire adopter le projet de loi C-38 en l'absence d'une loi connexe sur la conduite avec facultés affaiblies. Le ministre Cauchon nous a dit expressément qu'il refusait de modifier le projet de loi ou l'échéancier prévu pour son adoption, ou de prendre des mesures immédiates quelconques pour réprimer la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue. Quant à nous, nous avons dit au ministre qu'il nous semble inacceptable de fermer les yeux sur la conduite de ceux qui prendront le volant après avoir consommé de la drogue.
J'estime que le gouvernement fait preuve d'indifférence face à la gravité de la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue. Pourtant, en 1999, le Comité de la justice de la Chambre des communes a dit au gouvernement qu'il devait se pencher sérieusement sur cette question. Le gouvernement a participé à des groupes de travail fédéraux-provinciaux qui n'ont rien donné de concret. Ils avancent à pas de tortue.
Le comité sénatorial a étudié la légalisation du cannabis en 2002. Dans son rapport, il a recommandé que l'on adopte des lois réprimant la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue avant de libéraliser les dispositions du Code criminel sur la possession de marijuana.
Le ministre de la Justice, M. Cauchon, et les députés discutent de cette question depuis l'hiver dernier. Et maintenant, à la dernière minute, le ministre présente un document de travail qui devra être étudié à un moment quelconque de l'avenir en vue de rédiger un éventuel projet de loi. Cela nous semble nettement insuffisant. Si le ministre ferme les yeux malgré les signaux d'avertissement qui sont pourtant évidents, les parlementaires ne doivent pas l'imiter.
D'après une étude réalisée en 2002 auprès des étudiants de la Nouvelle-Écosse et portant sur la consommation de drogues, quelque 26 p. 100 des étudiants inscrits ont déclaré avoir pris le volant moins d'une heure après avoir consommé du cannabis. Un sondage analogue réalisé en 2001 auprès des étudiants de l'Ontario a révélé que, parmi les étudiants de la dixième à la treizième années qui avaient leurs permis de conduire, 15,1 p. 100 avaient pris le volant moins d'une heure après avoir consommé au moins deux verres d'alcool et 19 p. 100 d'entre eux avaient conduit moins d'une heure après avoir consommé du cannabis.
Les jeunes ont compris le message. Ils ont compris qu'ils ne doivent pas prendre le volant après avoir bu, mais ils trouveront tout à fait normal de prendre le volant après avoir fumé de la marijuana si la police n'a pas le pouvoir d'intervenir.
Selon une étude récente effectuée au Québec, 24,3 p. 100 des conducteurs âgés de 16 à 19 ans et 22,4 p. 100 des conducteurs âgés de 20 à 24 ans qui ont fourni des échantillons pour fins d'analyse dans le cadre d'une enquête routière de nuit avaient consommé du cannabis.
Toutes ces études illustrent les dangers auxquels la jeunesse canadienne sera exposée à cause de la consommation de drogues par les conducteurs de véhicules automobiles. Et ce sont précisément les jeunes qui courent déjà le plus de risque d'être tués ou blessés dans des accidents de la route.
Selon une étude réalisée en 2002 par Applied Research and Evaluation Services de Vancouver, en 1999, la consommation de drogues ou la consommation combinée de drogues et d'alcool a entraîné plus de 465 collisions mortelles, plus de 31 500 accidents avec blessés, en plus de 87 600 accidents qui ont entraîné des dommages matériels. Les pertes financières réelles entraînées par des accidents causés par un conducteur ayant consommé de la drogue en 1999 ont été évaluées à 726 millions de dollars. Cette somme englobe le coût des soins médicaux et des services de réadaptation, les dommages matériels, le coût des services policiers, les frais judiciaires et les prestations de décès. Par ailleurs, on a évalué à plus de 1,1 milliard de dollars les pertes de revenus futurs attribuables à ces accidents.
Dans leur témoignage devant votre comité, les fonctionnaires de Santé Canada ont fait état d'études récentes indiquant que les adolescents sont plus susceptibles de fumer de la marijuana que du tabac. Encore une fois, ce sont les jeunes qui sont les plus gros consommateurs de cannabis, ces mêmes jeunes qui courent le plus de risques d'être tués ou blessés dans un accident de la route.
La conduite avec les facultés affaiblies par la drogue est un problème réel. Certes, il existe des statistiques qui permettent de quantifier les conséquences de ce comportement. Cependant, comme en conviendra sans doute le témoin précédent, de même que toutes les autres personnes ici présentes, ce comportement a des coûts humains, y compris la perte de vie, qu'on ne pourra jamais chiffrer.
· (1300)
Tout assouplissement des lois sur la possession de drogues fera grimper la consommation de cannabis et le nombre d'accidents de la route attribuables à cette consommation. Par conséquent, si l'on veut adopter le projet de loi C-38, il faut aussi modifier nos lois pour protéger la population canadienne et empêcher autant que possible les gens qui ont consommé de la drogue de prendre le volant.
Permettez-moi de souligner un dernier aspect de nos recommandations. En ce moment, la police ne peut intercepter et mettre en état d'arrestation les conducteurs dont les facultés sont affaiblies par la drogue. MADD Canada veut que l'on donne à la police les outils nécessaires pour détecter ces conducteurs et porter des accusations contre eux.
Nous proposons des solutions qui favorisent l'adoption de lois efficaces et qui nous mettront à l'abri des conducteurs dont les facultés sont affaiblies par la drogue. Je laisserai à votre comité des exemplaires de notre document sur les mesures législatives que nous proposons pour combattre ce fléau. Les solutions que nous proposons ne sont pas nouvelles et le gouvernement les connaît depuis des années.
Nous voulons trois changements. D'abord, que la police ait le pouvoir d'exiger d'un conducteur qu'il passe un test normalisé de sobriété sur place lorsqu'il y a des motifs raisonnables de croire que ses facultés sont affaiblies par la drogue. Le refus d'obtempérer serait un acte criminel.
Deuxièmement, si le conducteur échoue à ce test, la police devrait avoir le pouvoir d'exiger une évaluation de reconnaissance de drogue. Tout refus ou non-exécution de cette évaluation serait un acte criminel.
Troisièmement, si le conducteur échoue à l'évaluation de reconnaissance de drogue, la police serait autorisée à exiger l'échantillon corporel de son choix pour confirmer la présence de la drogue dans l'organisme. Encore une fois, le refus de fournir cet échantillon serait un acte criminel.
L'assouplissement des lois sur la possession de cannabis ne pourra que faire grimper le nombre d'accidents de la route s'il n'est pas assorti de mesures de prévention de la conduite avec facultés affaiblies par la drogue. Dès 1999, les parlementaires ont décidé qu'il fallait agir dans ce domaine. Personne ne prétend que cette nouvelle loi n'entraînera pas une augmentation de la consommation de cannabis. Par conséquent, il s'ensuit, logiquement, que le nombre de conducteurs, surtout les jeunes, ayant des facultés affaiblies par la drogue, augmentera lui aussi.
Il est inquiétant de constater que le gouvernement n'a rien prévu pour prévenir la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue. S'il est adopté, le projet de loi C-38 mettra plus de marijuana entre les mains des Canadiens et entraînera une hausse des problèmes liés à la consommation de drogue, notamment des accidents de la route causés par des conducteurs drogués.
MADD Canada prie instamment votre comité et vos collègues de la Chambre des communes d'écouter les mises en garde de ceux que cette question inquiète. Il faut prendre des mesures pour empêcher les gens de conduire après avoir pris de la drogue avant d'assouplir les lois relatives à la possession de marijuana.
J'invite respectueusement les députés à ne pas adopter le projet de loi C-38 sur la possession de drogue tant que le gouvernement n'aura pas adopté des mesures législatives qui donneront à la police les outils nécessaires pour arrêter les conducteurs dont les facultés sont affaiblies par la drogue afin de protéger tous les automobilistes et l'ensemble de la population canadienne.
Merci.
· (1305)
La présidente: Merci, monsieur Murie.
Monsieur White.
M. Randy White: Merci, madame la présidente. Je vais poser quelques brèves questions, parce que je dois me rendre à la Chambre.
À votre avis, le projet de loi C-38 sous sa forme actuelle est-il mieux ou pire que le statu quo?
M. Allan Young: C'est une légère amélioration, mais le problème c'est que je sais ce qui arrive lorsqu'une loi est adoptée. Si vous l'adoptez, vous penserez avoir réglé le problème pour au moins 10 ans. Vous n'allez pas le réexaminer. Dans les nouvelles lois, on prévoit toujours un examen après cinq ans... désolé, je vais tâcher d'être bref.
Même s'il s'agit d'une légère amélioration par rapport au statu quo, je trouve que ce projet de loi ne mérite pas d'être adopté. Cependant, le fait d'avoir supprimé la peine d'emprisonnement pour la possession de moins de 15 grammes est une légère amélioration.
M. Randy White: Merci.
M. Lawrie Palk: Je pense qu'il faut retarder l'adoption du projet de loi, parce qu'il a besoin d'être remanié en profondeur.
M. Andrew Murie: Je ne vois aucune utilité à adopter ce projet de loi.
M. Randy White: Merci.
J'aurais une question à vous poser au sujet de la toxicité du cannabis. Il y a longtemps, dans les années 60, le taux de THC était d'environ 3 p. 100. On me dit qu'aujourd'hui il atteint 12 ou 13 p. 100 et en Colombie-Britannique, il serait encore plus élevé.
Qu'arrivera-t-il si le taux de THC grimpe à 30 p. 100 ou encore plus? Dans ce cas, l'amende prévue pour possession de 12 grammes, par exemple, devrait-elle être la même? Faut-il se poser la question?
M. Allan Young: Probablement pas. Pour établir un seuil quel qu'il soit, il faut examiner les habitudes de consommation. J'ai parlé de 30 grammes parce que la plupart des gens achètent une once à la fois.
Le THC n'a pas d'effet nocif sur l'organisme. S'il était nocif, une plus forte concentration aurait des effets plus dommageables. L'augmentation de la concentration de THC a pour unique effet de provoquer plus rapidement l'effet recherché par les consommateurs. Les fumeurs de marijuana font ce qu'on appelle l'auto-dosage, bien qu'ils n'utilisent évidemment pas ce terme. Ils veulent sentir l'effet de la drogue rapidement. Ceux qui fument de la marijuana très puissante éteignent le joint après en avoir fumé la moitié, alors que dans les années 60, ils en auraient fumé trois pour obtenir le même effet.
Voilà pourquoi je n'ai jamais bien compris pourquoi les gens s'inquiètent de cette augmentation de la concentration de THC. C'est l'argument avancé par John Walters, mais en toute franchise, je pense qu'il est bon que la drogue soit plus efficace.
M. Lawrie Palk: La question ne se limite pas à la consommation de marijuana. En fait, nous avons remarqué dans notre collectivité, et c'est une de nos principales inquiétudes, que les gens consomment en même temps de l'alcool et de la marijuana. Or, cette consommation double accroît l'effet sur l'organisme et ne peut à mon avis qu'aggraver les risques d'accident de la route.
M. Andrew Murie: Je dirais que la question de la puissance se pose quand on pense aux expériences qu'on a menées dans des simulateurs, avec des gens qui avaient fumé du cannabis et auxquels on avait demandé d'utiliser des simulateurs de conduite automobile. On leur avait en fait demandé quelle était leur dose de consommation courante, on leur avait demandé de fumer cette quantité de marijuana et de s'installer au simulateur. Or, ils étaient tellement intoxiqués par le cannabis qu'ils ne parvenaient pas à conduire. On a dû réduire la dose de cannabis des deux tiers pour qu'ils parviennent à s'installer au simulateur et procéder à ces expériences.
Je suis aussi d'accord avec l'autre élément que Lawrie a fait valoir, au sujet de la combinaison de faibles doses d'alcool et de cannabis. Encore là, ces études ont montré l'existence de risques très élevés d'accidents routiers.
· (1310)
M. Randy White: Merci.
Compte tenu de l'incohérence des tribunaux d'aujourd'hui—et les cas d'incohérence sont innombrables dans l'ensemble du pays, peu importe ce qui est appliqué aujourd'hui—y a-t-il le moindre avantage à imposer des peines maximales aux producteurs de marijuana? Qu'est-ce que cela donnera étant donné l'incohérence des tribunaux?
M. Allan Young: Adapter les peines maximales est l'un des plus grands tours de passe-passe jamais vu, parce que les tribunaux donnent rarement la peine maximale. On dit donc au public qu'on va vraiment contrer la criminalité, on va doubler les sanctions, mais cela ne change rien au processus judiciaire.
Si l'on est préoccupé par les incohérences dans la détermination de la peine pour les condamnations pour culture de marijuana, la solution se trouve dans des lignes directrices présomptives et des choses de ce genre—il faudrait renoncer au système discrétionnaire de détermination de la peine que nous avons maintenant. Mais bien franchement, il faudrait agir ainsi pour tout, pas simplement pour la culture.
C'est toutefois une question de détermination de la peine.
M. Lawrie Palk: Pour ce qui est des producteurs de marijuana, monsieur White, l'année dernière dans notre propre collectivité, 26 producteurs ont été démasqués. Je ne peux m'empêcher de penser que si ce projet de loi est adopté, avec le temps, ce chiffre paraîtra insignifiant. C'est une perspective inquiétante pour les usagers de la route, à mon avis.
M. Andrew Murie: Dans le cas des peines maximales, il faut traiter de la question de la conduite en état d'ébriété.
Quand le Parlement a changé les peines maximales pour la conduite en état d'ébriété en 1985 pour introduire le concept de conduite en état d'ébriété ayant causé la mort, la peine maximale a été portée à 14 ans. Pendant tout ce temps, jusqu'à ce qu'on change à nouveau la loi en 1999, la plus lourde sentence imposée au Canada a été de huit ans et demi, et cela dans le cas de nombreux délinquants ayant causé de nombreux décès. Nous nous demandons ce qu'il faut pour qu'on impose la peine maximale. Depuis que le Parlement a porté les nouvelles peines maximales à 25 ans, la plus lourde sentence imposée au Canada, à nouveau, n'a été que de 12 ans et demi.
M. Randy White: Merci.
Selon le projet de loi C-38, la peine pour culture de 25 à 50 plants est de moins de 10 ans. C'est le maximum. Pouvez-vous m'en expliquer la logique? Si quelqu'un se fait prendre à cultiver 45 plants de trois pouces de hauteur et que quelqu'un d'autre se fait prendre pour avoir cultivé 45 plants de trois pieds de hauteur, y a-t-il à votre avis une différence pour ce qui est des sanctions qu'il y aurait lieu d'imposer?
M. Allan Young: Compter les plantes, c'est ridicule en raison des cycles de croissance. Je vois beaucoup de ces cas. La police arrive et compte le moindre petit plant. Elle dit qu'il y a 1 000 plants, même si la moitié ne sont en fait que des plantules.
Ce qui me dérange au sujet de la punition que vous avez mentionnée, c'est que vous disiez qu'une culture de 25 à 49 plants entraînerait une peine maximale de 10 ans? Je vais vous dire que, jusqu'à tout récemment, c'est-à-dire l'année dernière, aucun de mes clients n'a été emprisonné à moins d'avoir atteint la barre de 300 à 400 plants. C'est ce que font les tribunaux. Il y a eu un changement dans les tribunaux, parce qu'en Ontario—c'est venu de l'Ontario, de Kitchener-Waterloo—la police a convaincu la Cour d'appel de l'existence de certains risques pour la sécurité, si bien que maintenant les peines sont un peu plus lourdes.
Ce qui est prévu dans le projet de loi C-38 n'a ni queue ni tête et n'a rien à voir avec le type de peine qu'on impose maintenant. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée de mettre en place un nouveau régime de détermination de la peine qui n'ait rien à voir avec ce que nous faisons vraiment.
La présidente: Merci, monsieur White.
Monsieur Marceau.
[Français]
M. Richard Marceau: Merci pour vos présentations et merci de vous être déplacés aujourd'hui. J'aurais une question, peut-être pour M. Murie et M. Palk. C'est au sujet du problème de ce qui a été appelé toke and drive, c'est-à-dire la conduite sous l'influence de la drogue. Je ne pense pas que quiconque défende le principe selon lequel on devrait pouvoir conduire lorsqu'on est sous l'influence de la drogue. Mais le lien logique que j'ai de la difficulté à suivre dans votre argumentation, c'est l'analogie avec l'alcool, qu'on fait souvent. On ne peut conduire en étant sous l'influence de l'alcool, mais l'alcool est quand même légal.
Supposons que le projet de loi C-38 soit amendé pour s'attaquer plus spécifiquement au problème de la conduite avec facultés affaiblies sous l'influence de la drogue. D'ailleurs, monsieur Murie, j'aimerais bien que vous laissiez au greffier le petit test que vous avez mentionné à la toute fin de votre présentation. Est-ce que vous seriez plus ouvert à l'idée d'une décriminalisation si, dans le projet de loi, il y avait vraiment des dispositions qui interdisaient de façon assez sévère la conduite avec facultés affaiblies par la drogue?
· (1315)
[Traduction]
M. Andrew Murie: Nous avons clairement dit dès le début que tout assouplissement de la loi sur le cannabis doit avoir pour pendant une loi sur la conduite avec facultés affaiblies par les drogues. Nous l'avons très clairement dit, et je pense que cela répond à votre question.
Deuxièmement, nous avons remis les documents d'information au greffier. On y expose trois choses : ce qu'est un test de sobriété uniformisé sur le terrain; ce qu'il inclut; ce qu'est un expert en reconnaissance des drogues, et comment l'échantillonnage peut se faire. C'est très clairement exposé.
[Français]
M. Richard Marceau: Je comprends bien que ce qui vous pose problème n'est pas la décriminalisation, c'est-à-dire les contraventions pour possession simple, mais plutôt la conduite avec facultés affaiblies. C'est ce que je dois comprendre de votre présentation.
[Traduction]
M. Andrew Murie: C'est vrai parce que c'est la mission de MADD Canada, mais en tant que parlementaires, vous ne pouvez faire fi de certaines des autres questions que la police a soulevées aujourd'hui, sur lesquelles nous ne pouvons pas nous prononcer à titre d'experts. Il existe toutefois de bonnes raisons justifiant la prise en compte d'autres éléments.
[Français]
M. Richard Marceau: Oui, mais on a entendu les policiers tout à l'heure à ce sujet. Je voulais que ce soit bien clair.
Monsieur Palk, en tant que porte-parole de votre organisation, est-ce que vous avez la même position que M. Murie?
[Traduction]
M. Lawrie Palk: De façon générale, oui. Cependant, je pense qu'il est juste de dire que sans un dispositif approprié pour mesurer l'intoxication, et sans une mesure de l'intoxication véritable, on a d'énormes problèmes sur les routes.
À ce propos, j'aimerais vous faire part de ce que m'a dit le Solliciteur général il y a moins de deux mois, quand il a dit que l'année dernière, de concert avec une entreprise privée, la GRC a mis au point un dispositif pour mesurer l'intoxication par les drogues. Quant à savoir à quoi ressemble ce dispositif particulier, pour l'instant, je ne pense pas que qui que ce soit le sache. C'est une perspective assez inquiétante. Quel sera le niveau d'intoxication? C'est une perspective très troublante aussi.
En fait, je présume que quand des cas aboutiront devant les tribunaux—si ce projet de loi est adopté—nous ferons face à de très graves litiges, surtout en matière civile, de même qu'en matière pénale. Comme M. Murie pourra l'apprécier pour ce qui est des cas d'intoxication, il est déjà assez difficile pour les agents de police de prouver devant les tribunaux l'existence d'un niveau d'intoxication de 0,08. Quand on entre dans le domaine des drogues, comme il s'agit d'un champ nouveau, il en résultera je pense de très longs et très pénibles procès devant nos tribunaux.
[Français]
M. Richard Marceau: Mais de toute façon, le problème existe déjà à l'heure actuelle. Ce n'est pas le projet de loi C-38 qui ajouterait des problèmes, et c'est à ce sujet que je voudrais entendre le professeur Young.
Est-ce que je me trompe en disant que vous, qui êtes favorable à la décriminalisation, voire à la légalisation de la marijuana, ne voyez aucun inconvénient à ce qu'on précise, dans un projet de loi éventuel, que ce soit celui-ci ou un autre, que la conduite avec facultés affaiblies à cause de l'usage de la drogue devrait être très clairement condamnée?
· (1320)
[Traduction]
M. Allan Young: Tout d'abord, pour dissiper tout malentendu, nous avons bel et bien une infraction pour conduite en état d'ébriété. J'ai défendu des gens qui avaient été intoxiqués par des émanations de peinture. Nous avons donc cette possibilité, si votre conduite est à ce point anormale. Bien sûr, ce n'est pas infaillible, et je dois reconnaître avec monsieur que, si l'on n'admet pas avoir fumé de la marijuana, comment quelqu'un pourrait-il savoir à quoi attribuer l'affaiblissement des facultés?
Nous avons beaucoup à apprendre au sujet de la marijuana. Nous ne savons pas quel niveau de plasma sanguin entraîne l'intoxication, étant donné que la marijuana a ceci de particulier, sur le plan pharmacologique, et je peux vous le dire d'après mon expérience personnelle : ses effets diffèrent d'un sujet à l'autre. Nous disposons d'un test de salive qui détermine la consommation courante, et nous avons donc un prototype. C'est coûteux.
Nous pouvons le combattre, mais je dis et je réponds que bien que nous ayons entendu des statistiques qui semblent renversantes, j'ai examiné très attentivement ces études sur la conduite automobile et j'ai vu un grand nombre de conducteurs ayant consommé du cannabis : ce n'est pas le genre de problème qu'il nous faut aborder directement quand on s'interroge sur la liberté que peuvent avoir les gens de consommer de la marijuana. La première cause d'accidents de la route, c'est la fatigue. Allons-nous débattre pour déterminer si nous devons adopter une loi qui oblige les gens à dormir au moins huit heures par jour? Non.
Nous avons les outils voulus pour contrer la conduite en état d'ébriété, alors pour ce qui est des gens qui sont extrêmement intoxiqués, nous pouvons nous en occuper. Je réponds que les données empiriques ne sont pas si convaincantes que cela. La plupart des études sont source de confusion en raison de la consommation d'alcool. Malheureusement, la consommation de drogues multiples est très dangereuse. De plus, bon nombre de ces études sont comme les études qui reposent sur des tests d'urine qui nous permettent de constater la consommation dans les 30 derniers jours, mais sans qu'il y ait culpabilité du conducteur.
Cette question me préoccupe. Je ne veux pas que nos rues soient plus dangereuses qu'elles ne le sont, mais d'après mon expérience personnelle et professionnelle, je ne pense pas que cette question doive déterminer l'issue du débat sur la décriminalisation. Il faut en tenir compte dans le contexte du débat. Je me réjouis que les policiers reçoivent une formation sur la détection de drogues multiples. Je me réjouis de tout cela. Mais continuer à entraver la liberté de 2,5 millions de Canadiens parce qu'on s'inquiète de dangers possibles sur la route, ce qui n'a pas été vérifié empiriquement—et je demande pourquoi ne l'a-t-on pas fait en Europe...? En fait, la France et l'Italie enregistrent des taux élevés d'accidents, mais nous n'avons pris connaissance d'aucun rapport indiquant que ces accidents sont attribuables au cannabis.
Je peux vous dire que les tenants de l'interdiction des drogues en inonderaient la première page du Wall Street Journal si subitement, parce que l'Europe ayant opté pour la décriminalisation serait devenue trop laxiste en matière de cannabis, on rapportait une hausse du nombre d'accidents. Nous le saurions, mais cela ne s'est pas produit. En outre, quand on sait combien de Canadiens fument de la marijuana, si c'est un véritable problème dont il faut se préoccuper—la seule question qui se pose dans l'examen de ce texte législatif—je pense que nous l'aurions déjà constaté dans les données, mais ce n'est pas le cas. Quoique 2,5 millions de Canadiens fument de la marijuana, je n'ai pas vu une seule étude qui indiquerait une hausse des condamnations de conducteurs ni une augmentation des accidents routiers qui serait attribuable à la marijuana. On devrait s'en préoccuper, mais ce ne devrait pas être la principale préoccupation.
M. Richard Marceau: D'accord, merci.
La présidente: Merci beaucoup.
Madame Davies.
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Je pensais que ce serait le tour de M. Mark.
M. Inky Mark: Oui, je ne suis pas assis au bon endroit.
La présidente: D'accord, monsieur Mark.
M. Inky Mark: Merci, madame la présidente.
Je tiens à remercier les témoins.
Ma question s'adresse à M. Young. Nous savons qu'en Europe on voit les choses autrement, mais le fait demeure que, d'après les lois européennes, c'est toujours illégal. En tant que société, pourquoi est-ce si difficile pour les pays développés de légaliser la marijuana? Est-ce en raison des conventions internationales de l'ONU?
M. Allan Young: Les traités de l'ONU posent problème. L'ONU n'exige pas d'interdiction pénale pour la possession. De cela tout au moins, je suis certain, pour avoir bien étudié ces traités.
Pour ce qui est de la distribution légalisée, la situation est un peu confuse. On ne peut pas dire que le droit soit établi à cet égard. L'Italie, l'Espagne et le Portugal ont modifié leur loi. La plupart des autres pays, le Luxembourg et les Pays-Bas par exemple, interviennent de façon officieuse. Certains pays ont donc modifié leur droit criminel et l'Organe international de contrôle des stupéfiants de l'ONU n'a pas encore interdit d'agir de la sorte dans un rapport. On s'intéresse à nous uniquement parce qu'il s'agit d'une proposition mise de l'avant par les États-Unis, et nous sommes trop proches d'eux. On ne se plaint pas auprès de l'ONU de ce qui se passe en Europe, à ma connaissance.
Pourtant, la légalisation va finir par susciter des problèmes. Si nous souhaitons vraiment aborder la question sur le plan politique et dans tous ses aspects, nous devons le faire dans le cadre de l'ONU. Essentiellement, ce traité n'a pas été signé en connaissance de cause et ce n'est pas un traité de 1961 qui devrait régir nos modes de vie d'aujourd'hui, en 2003.
C'est un problème plus vaste. Je ne cherche pas ici à faire légaliser la distribution. Je vise tout simplement à protéger un certain nombre de Canadiens qui se permettent une pratique que je juge inoffensive.
M. Inky Mark: La question que vous soulevez est justement celle à laquelle nous voulons une réponse. Pour ce qui est du projet de loi C-38, qui sont les gagnants, si gagnants il y a?
M. Allan Young: Avec ce projet de loi, on cherche trop à ménager la chèvre et le chou. On ne peut faire plaisir à tout le monde en même temps en tentant de satisfaire à la fois aux partisans de la légalisation et à ceux de la prohibition. Et voilà pourquoi, en définitive—et j'ai peut-être tort, vous avez reçu d'autres témoignages—, je n'arrive pas à concevoir que quiconque ici puisse appuyer ce projet de loi. Le contraire m'étonnerait, étant donné qu'il ne va pas assez loin pour le militant et trop loin pour le prohibitionniste. La mesure semble presque avoir été conçue pour aboutir à l'échec.
Voilà pourquoi j'ai suggéré aujourd'hui que l'on n'agisse pas sur le plan législatif. Cela ne fonctionne pas. Agissons sur le plan administratif, comme l'ont fait les Européens, et voyons quels en sont les résultats.
· (1325)
M. Inky Mark: Est-ce là agir de façon responsable, même sur le plan administratif, si nous n'avons pas établi de mesure de réglementation, comme des tests?
M. Allan Young: Nous devons sans aucun doute agir de façon responsable. Mais pour l'aspect de la conduite avec facultés affaiblies, je ne crois pas qu'il n'y ait pas de mesures de contrôle. Il en existe, à mon avis. Si nous sommes soucieux de liberté, nous devons dépenser l'argent nécessaire pour mettre au point un prototype de test de salive.
Je m'efforce toujours de privilégier la liberté dans ma démarche. Nous aurons ensuite à calculer ce qu'il en coûtera à la société pour agir de la sorte, et nous le ferons comme il se doit.
Si je croyais que la consommation accrue de marijuana résultant d'une loi plus libérale entraînerait une hécatombe sur les routes, je ne serais pas ici en toute bonne conscience. Il se peut que vous ne partagiez pas mon avis à ce sujet, mais je puis vous garantir que je ne vous formulerais pas de telles propositions si je prévoyais une hausse des accidents de la route. Ce serait téméraire de ma part.
M. Inky Mark: Le message qui se dégage du projet de loi est-il cohérent ou nettement incohérent?
M. Allan Young: C'est un affreux message. Au moment de la présentation du projet de loi, j'ai trouvé des plus honteux que les trois ministres concernés déclarent que ce produit, la marijuana, est nocif pour la société. Tout semblait convenu à l'avance.
Il me semble que l'on ne peut pas dire cela sans avoir honte de déposer un tel projet de loi. Si vous êtes vraiment convaincu que la marijuana est nocive pour la société, il ne faut pas la libéraliser; il faut plutôt en contrer la consommation de façon plus énergique.
M. Inky Mark: Selon Santé Canada, il s'agit d'une substance nocive.
M. Allan Young: Je ne le conteste nullement. Je constate tout simplement une véritable incohérence. Vous m'avez demandé si le message était cohérent, et je vous réponds qu'il ne l'est pas, il est plutôt contradictoire.
La présidente: Madame Davies.
Mme Libby Davies: Je vous remercie beaucoup de comparaître aujourd'hui.
Nous avons tenu de nombreuses réunions mais, à ce que je sache, aucun témoin n'a encore accordé son appui au projet de loi, quel que soit son point de vue. J'ai peut-être tort, mais je ne me rappelle personne qui se soit déclaré favorable à la mesure.
Nous voilà tous passablement pris dans un dilemme, aussi bien ceux d'entre nous qui préconisent une décriminalisation véritable que ceux des membres du comité qui favorisent la prohibition. Nous entrevoyons difficilement une issue favorable.
Pour enchaîner sur les propos de M. Young, tout en supposant que nous pourrons étudier certains amendements d'importance, la mesure est ce qu'elle est. J'aimerais que nous puissions la changer. Je l'espère. Nous allons étudier des amendements.
L'un d'entre eux a trait, je crois, à la culture à des fins de consommation personnelle, comme vous l'avez dit, de manière à permettre aux gens de devenir autosuffisants. Il est terriblement contradictoire en effet que la possession soit censément décriminalisée, mais qu'il faille s'approvisionner sur le marché illégal.
Comment doit-on donc aborder la question de la culture?
Il faut, à un moment donné, aborder l'aspect technique. Vous avez peut-être des idées à ce sujet. Nous avons discuté un peu du nombre de plants, et les avis sont partagés à ce sujet. Certains proposent d'adopter comme barème la superficie cultivée, la consommation d'électricité, et ainsi de suite.
Comment donc trouver une façon raisonnable de faire en sorte que les personnes qui cultivent pour leur consommation personnelle ne soient pas arrêtées et ne fassent pas l'objet de mandats?
Je souhaite pour ma part un régime où les forces de l'ordre auront le fardeau de prouver que la culture est à des fins commerciales. C'est une toute autre situation. Mais, dans le cas de la consommation personnelle, comment allons-nous assurer cette marge de manoeuvre nécessaire?
M. Allan Young: Quoique nous fassions, ce sera arbitraire, tout comme l'est le fait d'autoriser la conduite d'un véhicule à 16 ans. Certaines personnes sont en mesure de conduire à 16 ans et d'autres ne le sont pas. Nous allons devoir choisir un chiffre de façon aléatoire.
J'estime que les estimations de rendement par plant des autorités policières sont fiables. Je traite de nombreuses affaires qui ont rapport à la culture. Les experts de la police déclarent toujours que l'on obtient 2,5 onces par plant. Selon moi, il n'y aurait pas de mal à autoriser les gens à cultiver cinq plants. Ils obtiendraient 10 onces, ce qui leur durera quelques mois. La durée de croissance étant de trois mois, 10 plants seraient une quantité acceptable.
Et puis il faut tenir compte du fait que les gens ne sont pas tous des cultivateurs experts et n'obtiendront pas toujours un bon rendement. Souhaitera-t-on un rendement maximum ou minimum?
Nous aboutirons, selon moi, à un chiffre arbitraire. Mais, au fond, cela a peu d'importance. Nous allons nous en accommoder, tout comme les amateurs de mari. Si vous autorisez la culture de 20 plants, c'est la quantité que les gens vont cultiver. Ils vont s'accommoder de ce qui est accordé, plutôt que de risquer des descentes de police à domicile et la violence pouvant en résulter.
Je vous signale que la limite est assez élevée en Australie. Elle atteint la centaine de plants environ. Le système australien fonctionne par procès-verbaux, et ce n'est donc pas tout à fait légal.
Une limite si élevée n'est pas nécessaire, à mon avis. Et j'ajouterai que je ne crois pas qu'on puisse utiliser comme barème la superficie cultivée ou la puissance d'éclairage. J'ai beau tourner en ridicule le comptage des plants, j'estime tout de même qu'il s'agit du seul moyen de contrôle visuel fiable et immédiat qui permette de déterminer si les limites imposées par la loi sont respectées.
· (1330)
Mme Libby Davies: La question des casiers judiciaires en est une autre qui me préoccupe beaucoup, et nous avons d'ailleurs reçu certains témoignages à ce sujet. Les exposés que nous ont faits les représentants de la GRC et du CIPC ont été fort intéressants. Ils nous ont déclaré que, même pour des personnes sans casier judiciaire, les renseignements ou les dossiers personnels contenus dans la base de données sont très considérables. Rien n'empêche, à l'heure actuelle, l'échange d'information, qui peut évidemment aboutir aux États-Unis. Or, nous avons tous des anecdotes au sujet de personnes qui n'ont pu franchir la frontière.
Une telle base de données doit-elle même exister? Ou plutôt, qu'advient-il lorsqu'une personne reçoit une amende? Qu'advient-il des dossiers? S'il y a échange d'information, même au sujet d'une amende, alors il se peut que l'information concernant cette personne soit utilisée par les Américains qui, en un rien de temps, pourront lui interdire l'entrée au pays.
Auriez-vous donc d'autres propositions à formuler sur la question des dossiers scellés, ou sur la décision de ne pas en tenir du tout?
M. Allan Young: Très certainement. Je crois en effet que nous savons quoi faire si nous voulons nous en donner la peine.
Des dossiers, on en crée constamment. Ce n'est pas le fait d'appeler une contravention un crime qui importe. La police est une bureaucratie. Elle doit conserver des dossiers. Ce qu'il faut savoir, c'est quoi faire du document ou des données informatisées.
Nous savons quoi faire lorsque vient le moment de protéger les dossiers de jeunes contrevenants ou de personnes qui ont été réhabilitées. Ce n'est pas difficile. Il s'agit de sceller le dossier, c'est-à-dire qu'il doit être conservé à un autre endroit qu'habituellement et visé par une interdiction de divulgation. Le dossier est scellé, il est gardé à un endroit distinct et il ne peut être divulgué. Toute personne qui communique l'information est passible d'une amende ou d'une poursuite criminelle.
Est-ce efficace? Je l'ignore. Il faudrait le demander aux responsables du système de justice pénale pour les adolescents. On ne m'a pas parlé souvent de plaintes de la part d'adolescents qui auraient constaté qu'on avait en main leur dossier lorsqu'ils se sont présentés pour un emploi ou pour traverser la frontière.
Ainsi, étant donné que nous savons comment faire, je dois conclure que le projet de loi C-38 ne constitue pas un effort authentique de réforme du droit.
Pour ce qui est maintenant de la Loi sur les contraventions, elle ne fait que protéger toute personne qui postule à un emploi dans l'administration fédérale, et j'ose croire qu'il existe un très grand nombre d'emplois à l'extérieure de la fonction publique fédérale.
Mme Libby Davies: J'ai une autre question. Je ne crois pas qu'elle figure parmi les cinq ou six points que vous avez énumérés. Elle a trait à une forme quelconque de disposition d'amnistie.
Quelque 600 000 Canadiens ont un casier judiciaire, et rien n'est prévu à cet égard dans le projet de loi. Il s'agit également d'une question importante, me semble-t-il, parce que certaines personnes font l'objet de discrimination à l'heure actuelle du fait qu'elles sont condamnées pour possession simple. Ainsi, le préjudice vient de la loi et non pas de la substance.
D'après certains témoignages, nous ne devrions pas intervenir par le truchement de la loi sur la réhabilitation, mais plutôt créer une disposition distincte. Ce qui importe, c'est que ce soit relativement simple et rationnel. Avez-vous réfléchi à l'idée d'une disposition d'amnistie?
M. Allan Young: Je n'ai pas réfléchi à fond à la question mais, encore ici, la chose me semble fort simple. Si on souhaite décriminaliser, alors on doit aborder la question des condamnations antérieures.
Ma vision des choses est peut-être trop simpliste, et je sais que mon collègue Paul Burstein a abordé la question avec vous, mais il me semble qu'il suffirait d'un seul article prévoyant que la radiation de tous les dossiers relatifs à la possession simple depuis l'année 1952 ou une autre date jusqu'à ce jour... La chose ne me semble pas trop difficile, mais je ne suis pas certain que ce soit si simple. Puisque je n'ai jamais traité d'amnistie rétrospective, je n'ai pas nécessairement d'idée lumineuse sur la question, mais il me semble qu'un simple décret législatif ferait l'affaire.
Mme Libby Davies: D'accord.
La présidente: Et une abondance de paperasse.
M. Allan Young: C'est toujours le cas.
La présidente: Monsieur Lee, puis monsieur Barrette.
M. Derek Lee: Et un grand nombre de séances de comité.
J'ai deux questions. J'aimerais demander à M. Young de nous fournir des précisions concernant le préambule. Je dois dire que je n'y avais même pas attaché d'importance. Pouvez-vous nous laisser entrevoir s'il y a là pour vous des conséquences non intentionnelles?
M. Allan Young: Non, c'est purement symbolique, et il s'agit d'un symbolisme dont je ne suis pas friand.
J'étais tout à fait disposé à appuyer la proposition de Martin Cauchon. Je travaille à cette question depuis fort longtemps. Ainsi, lorsque j'ai pris connaissance du projet de loi C-38, il me semblait à première vue que le recours à la Loi sur les contraventions nous acheminait vers un régime non criminel, mais j'étais toujours disposé à l'appuyer. Après un examen plus attentif, le préambule a été le premier aspect qui m'a inspiré des réticences. On a modifié le préambule de telle sorte que la Loi sur les contraventions n'est pas la mesure législative qui traite d'infractions réglementaires. Il ne s'agit plus maintenant que d'une autre voie du processus pénal. Cela a donc été pour moi un signal d'alarme. Si on veut décriminaliser, me suis-je dit, il faut le faire de la bonne manière. Il ne convient pas d'opérer la décriminalisation par la voie d'une mesure législative que l'on s'empresse de modifier, de telle sorte que le projet de décriminalisation n'en est pas un.
J'ai vu là quelque chose de très sinistre, étant donné qu'il ne me venait à l'esprit aucun autre justification pour modifier le préambule. Il arrive rarement, en effet, que l'on songe à modifier un préambule.
· (1335)
M. Derek Lee: Une approche, donc, qui se situe quelque part entre cynique et sinistre. La Loi sur les contraventions est un habit dont on a changé la cravate.
M. Allan Young: La Loi sur les contraventions n'était plus le moyen idéal pour une mesure de décriminalisation, étant donné que, sur le plan symbolique, elle ne représentait pas le crime réglementaire; elle représentait autre chose que le crime.
M. Derek Lee: D'accord. Vous fondiez votre point de vue sur votre expérience, j'en suis convaincu, mais vous n'aimiez tout simplement pas cette nouvelle cravate, si vous me permettez l'analogie.
M. Allan Young: Non, c'est le symbole qui me déplaît. J'ai réagi de la même façon lorsque le ministre a déclaré que le cannabis était nocif pour la société. Franchement, il y a là une forme de guerre psychologique à laquelle je n'ai aucunement le goût de participer.
M. Derek Lee: Eh bien, c'est ça la politique.
Et vous êtes maintenant avec nous dans l'arène politique... Par rapport à la problématique de la drogue dans notre société, j'ai toujours considéré ce projet de loi comme étant une initiative qui nous éloigne un tant soit peu, à peine plus que de façon symbolique, du modèle de l'interdiction pénale et nous rapproche d'un modèle axé sur la santé.
Les témoins qui ont comparu et qui nous ont écrit ont abordé une question grave à leurs yeux, la conduite automobile avec facultés affaiblies par le THC. Nous avons peu d'éléments de preuve à ce sujet, mais nous en avons cherché et, comme vous l'avez signalé, il ne semble pas facile d'en trouver. Les gens hésitent donc à bouger, même un tant soit peu. S'éloigner à petits pas du modèle d'interdiction pénale, c'est tout de même s'en éloigner et, sur le plan politique, dans ce monde de guerre psychologique, même un petit pas peut nécessiter toute une vie.
Je vous prie donc de me tendre une main secourable. N'êtes-vous pas d'accord pour dire qu'il s'agit d'une distanciation, même modeste, par rapport à votre perspective et pouvez-vous envisager—je sais que vous allez nous parler franchement—d'accorder une certaine valeur à la question de la conduite avec facultés affaiblies par le THC? Sommes-nous devant un problème qui pourrait être grave?
M. Allan Young: Tout d'abord, pour ce qui est de l'approche des petits pas, je pense justement que c'est la façon d'aborder les problèmes sociaux d'envergure. Sans vouloir faire état de mon érudition, je vous rappellerai que Lao-Tseu a dit qu'un voyage de 1 000 milles commence par un premier pas. En règle générale, je suis donc favorable aux petits pas. Dans le cas qui nous occupe, j'ignore s'il s'agit d'un pas en avant, d'un pas de côté ou d'un pas en arrière. Si je n'en suis pas certain et si je ne trouve pas cette mesure à mon goût, c'est que, tout en préconisant une approche progressive, j'ai également une certaine connaissance du processus législatif. Lorsqu'on modifie la loi, on a tendance à être satisfait et complaisant. On a changé la loi sur la sollicitation en une loi sur la communication. Après l'étude quinquennale, on a constaté que cette loi ne fonctionnait pas. Pourtant, elle est toujours en vigueur.
Je ne souhaite donc pas me contenter d'un petit pas, parce que je crains que ce pas ne soit coulé dans le béton, si vous m'excusez cette métaphore boiteuse. On fait un petit pas, et puis c'est fini. Pourtant, l'objectif n'est pas réalisé.
Il s'agit d'un petit pas, mais il n'est pas certain qu'il soit fait dans la bonne direction, et on peut difficilement compter sur le processus législatif pour ce qui est d'autres petits pas. Faisons les choses correctement dès le départ, sans jeter le bébé avec l'eau du bain. Je ne recommande pas de passer directement à la légalisation, ce que je préconise par ailleurs, puisque je sais que le Canada n'est pas prêt. La décriminalisation constituerait un petit pas, mais il n'est pas question ici de décriminalisation.
Pour ce qui est des niveaux de THC, vous m'avez demandé, je crois, une réponse franche. Sans être certain de ce que peut vouloir dire la « franchise », je puis vous dire que je n'arrive pas à croire que le niveau accru de THC soit au centre du débat. Comme je l'ai dit plus tôt, les gens rajustent leur consommation en fonction de la concentration. Un niveau accru de THC est avantageux puisque les gens fumeront moins. C'est le fait de fumer la marijuana qui est dommageable. Nous souhaitons que les gens fument moins.
La marijuana a ceci de particulier qu'il y a un plafonnement de l'état d'ivresse qu'elle procure. Ainsi, même si sa puissance augmente, elle ne procure pas un état d'ivresse plus considérable que ne le ferait la marijuana classique, si on en fume davantage. La personne atteint un palier d'ivresse qui, selon son évaluation subjective, est celui qu'elle souhaite.
La plupart des gens ne devraient pas conduire, mais je ne vais pas faire preuve de franchise. Si vous souhaitez que je vous parle franchement, je ne vous dirai pas que la marijuana est l'une des principales causes de la conduite avec facultés affaiblies. La consommation de cannabis ne conduit pas à la même sorte d'affaiblissement des facultés que l'alcool; elle n'entraîne pas la même perte des habiletés motrices.
Voulez-vous savoir pourquoi les gens ne devraient pas fumer de la marijuana? Ceux qui en fument sont très distraits, et on ne devrait jamais l'être en conduisant. Aucune caractéristique pharmacologique de la marijuana ne fait d'une personne un mauvais conducteur mais, très franchement, je tiens à ce que les gens soient alertes lorsqu'ils prennent la route. Je tiens donc à abonder dans le même sens que mes collègues, à savoir que nous devons faire preuve d'une grande prudence à ce sujet. Donc, je suis contre la consommation de marijuana au volant. Et il ne s'agit pas d'une question banale que celle de la sécurité routière. Cependant, lorsque nous invoquons ce prétexte pour ne pas faire le premier pas dans la bonne direction, ce n'est pas la bonne drogue que nous ciblons.
· (1340)
M. Derek Lee: Merci.
La présidente: Merci.
Monsieur Barrette.
[Français]
M. Gilbert Barrette: J'ai une courte question. Selon vous, quel devrait être le rôle des policiers dans l'application de la loi ou pour faire respecter les règles? Quelle devrait être leur marge de manoeuvre?
[Traduction]
M. Allan Young: D'abord, le rôle de la police devrait être de combattre les crimes graves contre les personnes, pas de poursuivre les fumeurs de marijuana. En ce qui concerne l'augmentation de leur marge de manoeuvre, c'est le plus gros problème au sujet de C-38. C'est comme si le Parlement ne voulait pas prendre la décision de décriminaliser la drogue et qu'il disait aux policiers, c'est à vous de décider si vous allez arrêter la personne ou lui donner une contravention.
J'aime notre police. Je ne suis pas de ceux qui critiquent les policiers. Mais je sais qu'il ne faut pas donner plus de pouvoir à ceux qui ont des armes et des matraques. Il faut limiter leur pouvoir. Ce ne sont pas eux qui devraient prendre nos décisions en matière de politique publique.
En fait, je pense que la police devrait avoir un rôle très limité dans ce débat. Je suis surpris qu'elle ne soit pas plus favorable à la libéralisation. Honnêtement, je ne connais pas beaucoup de policiers qui veulent perdre leur temps avec ce projet de loi. Ils ont un travail sérieux et ils le savent. Il semble qu'ils appuient toujours la décriminalisation, mais sur une tribune publique comme un comité, ils font marche arrière.
Je vous répondrais donc que la police ne devrait absolument pas avoir de rôle à jouer par rapport à la marijuana, parce que ce n'est pas une activité qui nuit à la société. Voilà une réponse rhétorique.
[Français]
La présidente: Y a-t-il d'autres questions?
M. Gilbert Barrette: Vous dites qu'ils n'ont aucun rôle, mais régulièrement, dans la rue ou pour participer à des activités de prévention dans les écoles, par exemple, on fait appel à leurs services. Il y a donc sûrement quelque chose qu'ils peuvent faire.
[Traduction]
M. Allan Young: Non. Lorsque j'ai dit plus tôt que j'invitais le gouvernement à suspendre les poursuites pour un an, j'aurais dû ajouter ceci : être plus responsable et réagir aux préoccupations du gouvernement. Le moratoire que je propose ferait en sorte que personne ne serait arrêté et poursuivi pour moins de 30 grammes, à moins que cette personne ne les fume dans sa voiture—si l'on veut régler ce problème que nous avons, ou si l'on veut s'inspirer de l'Australie,et je n'aime pas beaucoup cette idée, mais elle soulage certains—ou qu'elle les fume dans un périmètre de 100 mètres d'une école. La police devrait pouvoir intervenir si elle voyait quelqu'un fumer dans une cour d'école. C'est là que le droit criminel entre en jeu. Si la police arrête une voiture et sent de la marijuana, le droit criminel s'applique.
Ce que j'aimerais vraiment qui se produise dans notre pays, c'est que la police se détourne des poursuites et des enquêtes relatives à la marijuana, à l'exception de ces deux situations. Même si cela ne veut absolument rien dire pour ce comité, je vous garantis qu'après 12 mois de décriminalisation de la marijuana au Canada, vous comprendrez vraiment pourquoi c'est de la folie que nous soyons encore ici à en débattre. Nous aurions dû résoudre la question après la commission Le Dain en 1973.
La présidente: Merci.
Je sais que certains d'entre vous doivent se rendre précipitamment à la période des questions. Je vais vous laisser la parole, monsieur Mark.
Je voulais signaler à tous les membres du comité que John Walters et son équipe ne pourront pas témoigner cette semaine devant le comité. Ils ne viendront pas.
Je dois signaler également qu'il était presque impossible de trouver qui était en réalité responsable des casiers judiciaires aux États-Unis. M. Thompson, qui a témoigné l'autre jour, a proposé de rédiger un document qui expliquerait clairement la situation des casiers judiciaires. Nous attendons ce document aujourd'hui ou demain.
En ce qui concerne le panel des procureurs généraux, le seul qui était intéressé, c'était celui du Yukon pour demain. Mais avec tous les votes, nous n'étions pas sûrs que cela était possible. Alors, nous n'en avons aucun.
Mme Libby Davies: Pouvez-vous préciser quelque chose? Le comité se réunit-il cet après-midi à 15 h 30?
La présidente: Oui, à 15 h 30. Je voulais simplement vous le signaler, parce que je sais qu'on vous posera des questions.
Mme Libby Davies: J'ai une autre question avant que le monde ne parte. Nous avons reçu une note—des attachés de recherche ou du greffier.
· (1345)
La présidente: Du greffier.
Mme Libby Davies: C'était une note pour nous rappeler la question des amendements. Je ne me souviens pas avoir été prévenue auparavant.
La présidente: C'est plutôt un rappel. Étant donné qu'on en est à l'étape de l'examen article par article, il faut rappeler aux membres du comité de présenter leurs amendements, s'ils en ont.
Mme Libby Davies: Nous travaillons à nos amendements, mais a-t-on fixé une date limite? Je suppose qu'il faut d'abord avoir entendu tous les témoins.
La présidente: Oui, nous essayons d'avoir le ministre pour demain soir. Ensuite, nous aurons terminé la liste de nos témoins et serons prêts à passer à l'examen article par article du projet de loi, mercredi.
M. Allan Young: Je ne veux pas être impoli, mais je suis en retard pour mon prochain rendez-vous. Je ne voulais pas partir comme un voleur.
La présidente: Très bien. Je voulais juste m'assurer que M. Mark n'avait pas de question à vous poser.
M. Inky Mark: En fait, j'en ai une, très importante. Étant donné qu'on dépense tant d'argent à essayer d'éliminer l'offre, soit plus de 600 millions de dollars par an, étant donné le travail énorme de la police dans un régime comme le nôtre où la marijuana est interdite, alors comment rationaliser le tout? D'autre part, le recours à la contravention et le message qu'elle implique... Tout ça n'est pas cohérent par rapport à la loi actuelle.
M. Allan Young: Non. En fait, ce qui est très étrange, c'est que nous dépensons effectivement... Vous avez parlé de 600 millions de dollars; je pense que ça se rapproche plutôt du milliard de dollars, si vous ajoutez les budgets des forces policières municipales. Non seulement nous dépensons beaucoup d'argent sans pour autant réduire la consommation de marijuana—en fait, la consommation a atteint son plus haut niveau depuis 1979—, mais nous perdons également des occasions économiques. Je ne pense pas qu'il soit approprié de donner des contraventions pour générer des recettes.
Si l'on parle de recettes, c'est la même chose avec le jeu. Vous légalisez les paris et vous percevez beaucoup d'impôts. Honnêtement, j'appuie les taxes sur le vice. Je pense que c'est une bonne chose, lorsque ces activités finissent par coûter de l'argent au système de soins de santé. C'est drôle, nous dépensons beaucoup d'argent et nous perdons probablement quelques milliards de dollars en recettes, mais nous n'en sommes pas encore là.
Comme M. Lee l'a dit, nous avons besoin d'avancer par petits pas. Si nous faisons un petit pas et que nous nous rendons compte que nous avons démythifié la marijuana—mais que cela ne détruit pas la jeunesse du Canada ni le tissu de notre nation—, nous pourrons alors essayer de faire de l'argent avec cela, ce qui, selon moi, serait bon pour tous les Canadiens.
M. Inky Mark: Vous pensez qu'il est essentiel d'avancer d'un petit pas avant de regarder...
M. Allan Young: Je le pense. Je représente un groupe qui souhaite la légalisation de la marijuana. Je représente des dizaines de milliers de fumeurs de marijuana que j'ai rencontrés et qui semblent tous être des gens productifs et sains. Ils ne comprennent pas ce que nous faisons ici.
Je reviens d'Edmonton et de Calgary, et j'ai parlé à des personnes qui ne comprennent pas le comportement du gouvernement. Je pense qu'il faut progresser lentement et montrer aux Canadiens que la décriminalisation n'est pas dangereuse. Ensuite, nous pourrons faire quelque chose de constructif. Il y a encore trop de mystère après toutes ces années de mésinformation. Cela prend du temps pour s'en remettre.
M. Inky Mark: En ce qui concerne la consommation personnelle, combien de plants sont autorisés en Europe actuellement?
M. Allan Young: L'Europe a une approche de non-intervention. C'est l'Australie qui a mis en place ce que l'on appelle le régime d'expiation graduée. Je crois qu'il y a quatre ou cinq États qui l'ont adopté. Je crois que cela monte jusqu'à 100 plants, et l'amende augmente en fonction du nombre : pour 10 plants, c'est 50 $; pour 100, c'est 200 $. Je ne me souviens pas des détails du régime, malheureusement. Les autres régimes n'étaient pas aussi précis.
Mme Libby Davies: Est-ce que je peux vous poser une autre question avant que vous partiez?
La présidente: Monsieur a une question aussi, mais vous pouvez y aller, Libby.
Mme Libby Davies: C'est au sujet des contraventions.
Je suis d'accord avec vous sur le fait qu'une mesure acceptable constituerait une réelle étape vers la décriminalisation, qui nous rapprocherait du constat que les lois prohibitives sont un échec total. Mais si c'est vraiment ce que nous faisons—je pense que nous avons eu la preuve que ce n'est pas le cas, puisque nous faisons en réalité marche arrière—par rapport aux contraventions, alors comment régler cette question? J'ai demandé aux gens quel était l'intérêt des contraventions. Est-ce une mesure de dissuasion? Rien ne nous le prouve. Est-ce simplement pour amasser de l'argent? Personne ne va le reconnaître, encore moins la police. Alors nous sommes dans une espèce d'impasse où nous disons que la décriminalisation est une première étape, mais cela veut-il dire qu'il faut des contraventions?
M. Allan Young: Non.
Mme Libby Davies: S'il n'y a pas de contravention, est-ce qu'on parle de légalisation?
M. Allan Young: La décriminalisation signifie l'absence de droit criminel, et la contravention fait partie du droit criminel. La décriminalisation, c'est l'absence de contrôle judiciaire. Pourquoi imposer des contraventions pour quelque chose d'acceptable?
Mme Libby Davies: Alors théoriquement, vous pourriez avoir une décriminalisation qui ne soit pas une légalisation, sans contravention.
M. Allan Young: C'est exact. C'est l'absence de contrôle judiciaire; c'est une tempête dans un verre d'eau. Tant que cela représente moins de 30 $, on s'en fiche; 30 grammes, on n'y fait pas attention. Cependant, nous avons quand même des mécanismes pour nous assurer que soient punis ceux qui dépassent ce montant, font pousser plus que ce qui est permis ou se livrent au trafic. Il va falloir nous attaquer à l'offre, pas juste à la demande. C'est un peu agir à courte vue. Mais encore une fois, Rome ne s'est pas bâtie en un jour.
· (1350)
Mme Libby Davies: Oui, mais il semble que l'on présente les contraventions comme un pas...
M. Allan Young: C'est un pas.
Mme Libby Davies: ... parce que c'est la décriminalisation. Alors je me demande bien quel est l'intérêt des contraventions.
M. Allan Young: C'est pour faire de l'argent; c'est comme les contraventions pour le stationnement.
Mme Libby Davies: Est-ce que cela permet vraiment de faire de l'argent? Je ne sais pas. Peut-être que ça coûtera encore plus cher à appliquer.
M. Allan Young: Si la prison n'a pas dissuadé les jeunes de fumer de la marijuana, c'est certain que les contraventions n'auront pas plus d'effet. Tout ce que l'on fait, c'est amasser un peu d'argent. Je pense que c'est très bien, mais il faudrait avoir recours à une forme d'un impôt sur le vice. Je serais favorable à un système de contravention si l'on se débarrassait de la prison pour faute et de l'arrestation.
Voici ce que je n'aime pas. Un policier va interpeller un jeune et lui dire « Voilà ta contravention », et le jeune va jouer au rebelle et lui dire « Hey, le flic, té un cochon », pour reprendre une expression des années 60. Tout d'un coup, on passe de la contravention à l'arrestation. Je ne pense pas que ce soit juste ni acceptable.
Je suis favorable à un système de contravention, mais pas avec tous les défauts du projet de loi C-38. Je n'aime pas vraiment l'idée des contraventions, mais je pense que c'est un petit pas dans la bonne direction, et je l'appuierai.
La présidente: Monsieur Lee.
M. Derek Lee: Je ne savais pas que M. Young devait nous quitter. Il est en retard à un autre rendez-vous. On lui fera un mot d'excuses, s'il le faut.
M. Allan Young: Vous devez acheter mon livre. Je fais la promotion de mon livre.
M. Derek Lee: Il s'agit de l'usage médical du cannabis.
Je voulais interroger les deux organisations, MADD et le Brantford Drinking and Driving Countermeasures Committee.
Ce sont d'abord les tribunaux qui ont déterminé l'usage médical du cannabis, puis ce furent l'évolution de la politique gouvernementale et ensuite un certain bon sens. Maintenant, le cannabis sert à des fins thérapeutiques. Vos organisations ont-elles fait valoir leurs arguments aux tribunaux à l'époque? Le THC pose certainement les mêmes risques pour ce qui est des facultés affaiblies. Les tribunaux ont conclu de toute évidence que, même si cela peut poser un problème, il n'est certainement pas assez grave pour justifier de modifier les dispositions prises jusqu'à présent concernant l'usage médical du cannabis. Ai-je raison? Avez-vous un point de vue différent?
M. Andrew Murie: Nous avons été très fermes en ce qui concerne l'usage médical du cannabis, et très préoccupés par le fait que les lettres ne prévoyaient pas d'exemption pour ce qui est de la conduite.
À l'époque, nous avions rencontré la ministre McLellan et nous lui avions dit qu'il fallait que ces lettres prévoient une exemption. Même si l'usage médical du cannabis est autorisé, certaines activités devraient être déconseillées pendant l'utilisation de cette drogue. C'est ce que nous avons maintenu catégoriquement depuis le début du processus.
M. Derek Lee: Très bien.
Monsieur Palk, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Lawrie Palk: L'une des recommandations que renfermait notre lettre du 1er avril portait sur cette question. En ce qui concerne notre comité, nous considérons que le consentement accordé par un médecin pour l'utilisation du cannabis à des fins médicales cause un réel problème juridique. En particulier, que se passe-t-il si quelqu'un ainsi autorisé se trouve dans une situation, comme cela s'est déjà produit, où ses facultés sont affaiblies? Cela à mon avis ne peut entraîner que de très graves problèmes judiciaires.
Je trouve très inquiétant que les médecins, par exemple, ne soient pas autorisés à signer un document les exonérant de toute responsabilité pour le comportement de leurs clients, si ces derniers se retrouvent dans une situation de conduite avec facultés affaiblies.
M. Derek Lee: Ils ne le font pas dans le cas d'autres médicaments, mais je me rends compte qu'il s'agit d'une préoccupation de votre part à laquelle les dispositions actuelles n'ont pas donné suite de façon satisfaisante.
M. Lawrie Palk: Oui, c'est très vrai.
M. Derek Lee: Monsieur Young, avez-vous autre chose à ajouter?
M. Allan Young: Pas vraiment. Je crois que le gouvernement est tout à fait conscient du fait que beaucoup consomment du cannabis à des fins thérapeutiques et sont maintenant autorisés à en faire la demande.
Si je me souviens bien, il existe maintenant un formulaire d'autorisation. L'un des 20 risques qui y sont énumérés concerne la conduite. Après avoir lu les avertissements de Santé Canada, je ne voudrais pas prendre du cannabis. Je crois qu'on en est conscient.
Je ferais valoir le même argument. L'Association médicale canadienne indique que 400 000 personnes consomment du cannabis à des fins thérapeutiques. Ce n'est pas exact, selon moi. Supposons cependant que ce soit exact, on assisterait alors à une véritable hécatombe sur les routes, si ces 400 000 personnes conduisaient toutes sous l'influence du cannabis. Soit qu'elles ne conduisent pas, soit que les craintes exprimées sont quelque peu exagérées.
· (1355)
M. Derek Lee: Je vous remercie.
M. Allan Young: Merci beaucoup.
La présidente: Je vous remercie.
J'ai une brève question.
Monsieur Palk, vous et moi en avons discuté souvent. Je crois que, si vous voulez vraiment transmettre un message aux jeunes, surtout à propos de l'alcool au volant... Je crains qu'il y ait déjà des gens—et c'est précisément ce qu'a dit M. Murray—qui pensent qu'ils ne doivent pas conduire après avoir consommé de l'alcool à cause de l'alcootest. Mais ce message est sans effet à l'heure actuelle pour 50 p. 100 de ces personnes qui, comme l'un de mes collègues l'a mentionné, tombent sur un policier et ont un joint dans leur poche. En fait, le message qu'ils retiennent est sans doute pire, c'est-à-dire que c'est probablement légal. Et ce sont des gens qui prennent le volant. C'est là où se situe le problème.
Je crois que, selon ce système, des sanctions seront imposées à des jeunes de 20 ans en possession de un ou deux joints. Ils comprendront qu'il y a un prix à payer pour ce qu'ils font. Ce projet de loi aura en fait une influence, en ce sens qu'ils se rendront compte, peut-être pour la première fois, que cette substance est illégale.
Qu'en pensez-vous?
M. Andrew Murie: Je dirais qu'il faut séparer les deux choses. C'est comme la situation de l'alcool au volant. La consommation d'alcool est essentiellement une affaire personnelle lorsqu'on le consomme dans le privé, peu importe la province ou l'état. Mais lorsqu'on ajoute—
La présidente: En supposant que la personne a l'âge requis.
M. Andrew Murie: Exactement—et tout ce genre de cadre. Mais dès qu'on consomme un produit susceptible d'affaiblir ses capacités de conduire ou d'utiliser un véhicule à moteur, cela devient une problème public, puisque vous mettez en danger non seulement vous-même, mais d'autres personnes sur la route.
Par conséquent, ce qui empêche les jeunes de conduire en état d'ivresse, c'est qu'il s'agit d'une infraction criminelle. Ce qui a très bien fonctionné chez les jeunes, c'est le taux d'alcoolémie zéro qui fait partie de l'octroi du permis par étapes.
La présidente: Vous voulez dire en Ontario?
M. Andrew Murie: Ce n'est pas seulement en Ontario; c'est en Nouvelle-Écosse, au Québec—
La présidente: Ce n'est pas dans toutes les provinces, mais oui.
M. Andrew Murie: Beaucoup ont l'octroi du permis par étapes. En fait, peu d'entre elles ne l'ont pas.
Cela a été efficace. La principale raison de l'augmentation de la consommation du cannabis chez les jeunes conducteurs, c'est qu'ils ont appris que les policiers n'ont aucun pouvoir d'arrestation—quel que soit le message qu'on veuille envoyer. C'est flagrant dans les provinces comme la Colombie-Britannique, où il y a beaucoup de cas de conduite avec facultés affaiblies.
Je crois que, lorsque les mesures seront en place et que les jeunes sauront que les policiers sont dotés des outils nécessaires, cela mettra le cannabis sur un pied d'égalité avec l'alcool. Il y en aura toujours qui prendront des risques et qui se comporteront ainsi, mais ce ne serait sûrement pas la règle.
La présidente: Dans l'intervalle, pendant que nous mettons ces mesures en place, et on les met déjà à l'épreuve, et on travaille déjà avec les policiers et on les prépare à la détection des drogues, croyez-vous que le fait de donner une contravention à un jeune de 20 ans aujourd'hui n'aura absolument aucun effet et que sa compréhension des lois actuelles ne changera pas?
M. Andrew Murie: C'est la rançon à payer.
La présidente: Eh bien, ce serait peut-être un effet.
M. Andrew Murie: Le problème, si l'on regarde d'autres infractions, telles que la course de vitesse et ainsi de suite, c'est que l'amende a très peu d'effet dissuasif. C'est la rançon à payer.
La présidente: Monsieur Palk.
M. Lawrie Palk: Selon notre organisme, les niveaux d'amendes pour une première infraction et pour les infractions successives sont tout à fait insuffisants dans le projet de loi.
Je prends l'exemple d'un représentant de la jeunesse au sein de notre comité. Il m'a dit, il y a environ un mois, qu'une amende de 100 $ ne veut rien dire à une personne âgée de moins de 18 ans. On peut facilement en dépenser autant sinon plus pour aller voir un spectacle. Pourquoi tout à coup 100 $ lui flanquerait-il une peur bleue?
L'autre chose que nous constatons certainement dans notre domaine, c'est qu'il y a énormément de conceptions erronées concernant ce projet de loi. Certains croient qu'il s'agit de légalisation au lieu de décriminalisation. Ils croient qu'ils peuvent faire comme bon leur semble puisque ce n'est pas comme l'alcool; on peut faire n'importe quoi. Dans les écoles, on croit que c'est une grosse farce.
La présidente: À l'heure actuelle? Pas ce projet de loi, mais la situation actuelle vis-à-vis de la marijuana?
¸ (1400)
M. Lawrie Palk: Non, je parle de ce projet de loi. Les gens croient que c'est une grosse farce lorsqu'ils voient une amende de 100 $ et se disent que ce sera l'amende pour une première infraction. Ils croient vraiment que c'est une grosse farce.
La présidente: C'est mieux que les étudiants d'écoles secondaires que j'ai entendus et qui pensent que c'est déjà légal.
M. Andrew Murie: Chez les jeunes, la meilleure façon d'empêcher la consommation serait de menacer leur possibilité de conduire, parce qu'ils y tiennent absolument. Tout ce qui pourrait limiter ou enlever... C'est la raison pour laquelle la taux d'alcoolémie zéro a si bien réussi : c'est parce qu'ils veulent conduire. Ils obéiront aux règles afin de pouvoir conduire. Ce projet de loi ne contient aucun de ces messages; il n'a aucune incidence sur leur permis de conduire.
La présidente: Très bien.
Rapidement s'il vous plaît, monsieur Macklin.
M. Paul Harold Macklin: Merci.
Je voulais poser une question à M. Palk. Vous avez dit, dans vos commentaires supplémentaires, que vous aimeriez que le plafond pour la possession de la marijuana passe de 15 à 10 grammes. Est-ce que vous trouverez cela acceptable?
M. Lawrie Palk: Oui, ce serait nettement préférable à ce que nous avons maintenant. Cependant, cela dit, la limite pour la marijuana et pour l'alcool serait de zéro dans un monde parfait.
M. Paul Harold Macklin: Mais puisque nous habitons un monde imparfait, 10 grammes feraient votre affaire.
Merci.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Palk et monsieur Murie. Nous vous sommes reconnaissants d'être venus témoigner à court préavis.
Merci. La séance est levée jusqu'à 15 h 30.