SSLR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mercredi 23 mars 2005
¼ | 1850 |
Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)) |
M. Jeff Leiper (président, Association communautaire Hintonburg Inc.) |
¼ | 1855 |
Mme Cheryl Parrott (présidente, Comité de sécurité, Association communautaire Hintonburg Inc.) |
Le président |
M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC) |
½ | 1900 |
M. Jeff Leiper |
Mme Cheryl Parrott |
½ | 1905 |
M. Art Hanger |
M. Jeff Leiper |
Mme Cheryl Parrott |
M. Jeff Leiper |
M. Jay Baltz (membre du conseil d'administration, Association communautaire Hintonburg Inc.) |
M. Art Hanger |
M. Jay Baltz |
½ | 1910 |
Le président |
Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ) |
M. Jeff Leiper |
Mme Cheryl Parrott |
Mme Paule Brunelle |
½ | 1915 |
M. Jay Baltz |
Mme Cheryl Parrott |
Le président |
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD) |
½ | 1920 |
M. Jeff Leiper |
Mme Libby Davies |
Mme Cheryl Parrott |
Mme Libby Davies |
Mme Cheryl Parrott |
Mme Libby Davies |
Mme Cheryl Parrott |
Mme Libby Davies |
M. Jay Baltz |
Mme Libby Davies |
M. Jay Baltz |
½ | 1925 |
Mme Libby Davies |
M. Jay Baltz |
Mme Libby Davies |
M. Jay Baltz |
Le président |
L'hon. Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.) |
½ | 1930 |
M. Jay Baltz |
L'hon. Hedy Fry |
M. Jay Baltz |
½ | 1935 |
L'hon. Hedy Fry |
M. Jay Baltz |
M. Jeff Leiper |
Le président |
L'hon. Hedy Fry |
Le président |
M. Art Hanger |
½ | 1940 |
Mme Cheryl Parrott |
M. Jeff Leiper |
M. Jay Baltz |
Le président |
Mme Paule Brunelle |
Mme Cheryl Parrott |
Mme Paule Brunelle |
Mme Cheryl Parrott |
M. Jay Baltz |
M. Jeff Leiper |
½ | 1945 |
Le président |
Mme Libby Davies |
M. Jay Baltz |
Mme Libby Davies |
M. Jay Baltz |
Mme Libby Davies |
M. Jeff Leiper |
Mme Libby Davies |
½ | 1950 |
Mme Cheryl Parrott |
M. Jay Baltz |
Le président |
L'hon. Hedy Fry |
½ | 1955 |
Le président |
L'hon. Hedy Fry |
Mme Cheryl Parrott |
M. Jeff Leiper |
L'hon. Hedy Fry |
M. Jeff Leiper |
M. Jay Baltz |
Le président |
¾ | 2000 |
M. Jay Baltz |
Mme Cheryl Parrott |
Le président |
Le président |
M. Brian Gilligan (consultant, à titre personnel) |
¾ | 2005 |
¾ | 2010 |
Le président |
M. Art Hanger |
¾ | 2015 |
M. Brian Gilligan |
M. Art Hanger |
M. Brian Gilligan |
M. Art Hanger |
M. Brian Gilligan |
M. Art Hanger |
Le président |
M. Brian Gilligan |
¾ | 2020 |
M. Art Hanger |
M. Brian Gilligan |
M. Art Hanger |
M. Brian Gilligan |
M. Art Hanger |
M. Brian Gilligan |
M. Art Hanger |
M. Brian Gilligan |
M. Art Hanger |
M. Brian Gilligan |
M. Art Hanger |
M. Brian Gilligan |
M. Art Hanger |
M. Brian Gilligan |
Le président |
¾ | 2025 |
Mme Paule Brunelle |
M. Brian Gilligan |
Mme Paule Brunelle |
M. Brian Gilligan |
Le président |
Mme Libby Davies |
¾ | 2030 |
M. Brian Gilligan |
¾ | 2035 |
Mme Libby Davies |
Le président |
Mme Libby Davies |
M. Brian Gilligan |
Mme Libby Davies |
M. Brian Gilligan |
Le président |
L'hon. Hedy Fry |
¾ | 2040 |
M. Brian Gilligan |
Le président |
L'hon. Hedy Fry |
Le président |
M. Art Hanger |
¾ | 2045 |
M. Brian Gilligan |
M. Art Hanger |
M. Brian Gilligan |
Le président |
Mme Paule Brunelle |
¾ | 2050 |
M. Brian Gilligan |
Mme Paule Brunelle |
Le président |
Mme Libby Davies |
¾ | 2055 |
M. Brian Gilligan |
Mme Libby Davies |
Le président |
M. Brian Gilligan |
Le président |
L'hon. Hedy Fry |
¿ | 2100 |
Le président |
L'hon. Hedy Fry |
M. Brian Gilligan |
L'hon. Hedy Fry |
M. Art Hanger |
Le président |
CANADA
Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile |
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TÉMOIGNAGES
Le mercredi 23 mars 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
¼ (1850)
[Traduction]
Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)): Je déclare la séance ouverte.
Veuillez nous excuser pour le commencement tardif de cette séance; c'est dû au vote. Nous croyions avoir différé suffisamment l'heure du début de la séance pour ne pas être en retard, mais le vote a pris plus de temps que prévu.
Aujourd'hui, nous avons comme témoin M. Leiper, de l'Association communautaire Hintonburg. Je crois que vous étiez ici le soir où nous avons entamé notre débat. Cheryl Parrott et Jay Baltz l'accompagnent.
Voici comment se déroule normalement une séance : les témoins font un exposé d'une dizaine de minutes, puis suit une première série de questions et de réponses qui dure sept minutes; il y a ensuite un autre tour de table de trois minutes.
J'invite celui ou celle qui doit faire l'exposé à prendre la parole.
M. Jeff Leiper (président, Association communautaire Hintonburg Inc.): Merci, monsieur le président.
Tout d'abord, j'aimerais remercier le comité de nous donner l'occasion, ce soir, de vous présenter notre point de vue sur la question.
Je m'appelle Jeff Leiper. Je suis président de l'Association communautaire Hintonburg. Voici Cheryl Parrott, qui est présidente de notre comité de sécurité, et Jay Baltz, un ancien président de l'association et membre de notre commission. Nous représentons une communauté située à environ 15 minutes de marche d'ici.
Depuis presque 15 ans, Hintonburg est directement témoin des problèmes complexes liés à la prostitution de rue. Nous ne croyons pas que la prostitution soit seulement un problème criminel. Dire qu'on a remédié à la situation simplement parce que des lois ont été abrogées ne permettra pas d'assurer la sécurité des prostituées ni des gens de la communauté.
Nous croyons que la protection des femmes est une question d'ordre social. Notre vaste expérience dans notre communauté et dans beaucoup d'autres au Canada avec lesquelles nous travaillons nous a appris que les femmes qui font de la prostitution sont victimes de la drogue. Elles n'ont pas de logement stable. Pour les femmes de la rue, la prostitution n'est pas un choix.
Malheureusement, les communautés et les prostituées ont été abandonnées par nos politiciens, qui démantèlent peu à peu nos infrastructures sociales, lesquelles constituent le seul espoir d'aider les femmes dans la rue. Et nous voilà devant un comité qui examine des solutions rapides que sont des changements au Code criminel. Mais celles-ci n'amélioreront pas notre sort ni celui des femmes de la rue prises dans l'engrenage de la prostitution.
Ce qui nous irrite, c'est que, de notre point de vue, ces changements sont considérés comme une solution universelle. Les communautés aux prises avec la prostitution de rue ne sont pas toutes semblables. Certains quartiers de la ville sont devenus des secteurs de confinement. Mais il est important de souligner que Hintonburg est une communauté qui fonctionne.
Par contre, vivre avec la prostitution de rue en toile de fond est cauchemardesque. La prostitution et la drogue sont inextricablement liées. Les allées et venues des prostituées, de leurs clients et des narcotrafiquants rendent nos rues dangereuses. Vivre à côté d'une piquerie signifie devoir supporter cris et bagarres sur le trottoir jour et nuit. J'aimerais tous vous inviter un soir pour une ballade en voiture afin de suivre les clients qui se rangent sur le bord de la rue dès qu'ils voient une femme marcher dans la rue, peu importe son âge. C'est terrifiant, et beaucoup de femmes de notre communauté n'osent plus sortir quand il fait noir.
On peut trouver beaucoup de seringues et de condoms dans les parcs et les cours d'écoles. Notre communauté compte quatre écoles élémentaires en pleine expansion et une école intermédiaire. Nous pouvons vous raconter des histoires d'enfants abordés par des clients. En fait, les enfants doivent apprendre très jeunes à reconnaître les prostituées et les proxénètes et à savoir quoi faire avec les seringues.
Mon but ce soir n'est pas d'énumérer toutes les horreurs de la prostitution de rue dans les communautés. On ne nous a pas donné autant de temps pour nous concentrer sur le problème que sur la solution. Nous espérons que vous lirez attentivement notre document, dont vous recevrez tous une copie, qui vise à faire tomber certains mythes. Nous serons très heureux de répondre à vos questions.
Cheryl.
¼ (1855)
Mme Cheryl Parrott (présidente, Comité de sécurité, Association communautaire Hintonburg Inc.): L'élimination de lois n'est pas une solution adéquate au problème. Nous croyons que la légalisation ne ferait qu'envoyer le message selon lequel il est accepté de maltraiter les femmes dans nos rues. Celles qui travaillent dans les rues de Hintonburg sont malades. Elles ne peuvent subvenir à leurs besoins en louant des lits dans des bordels, ne subissent pas d'examens médicaux qui leur permettraient de travailler comme prostituées et ne louent pas d'appartements pour devenir des escortes incall ou outcall. Elles sont trop malades pour travailler dans des salons de massage. Ces femmes ne sont pas en danger à cause des lois, mais parce qu'elles sont prostituées toxicomanes et qu'elles sont enfermées dans une culture violente—c'est un monde réellement très brutal. À moins que quelque chose ne soit fait pour leur offrir une autre option, elles continueront de faire le trottoir dans les quartiers résidentiels. Et la légalisation n'y changera rien.
Cette dernière pourrait faciliter la vie des prostituées qui ne travaillent pas pour se procurer de la drogue. Mais le vrai problème—celui qui intéresse ce comité—, c'est qu'il y a des femmes qui n'ont plus le choix et qui luttent chaque nuit pour leur survie dans la rue. Pour elles, un changement législatif ne fait naître aucun espoir. La légalisation ne ferait que donner carte blanche aux clients pour continuer à exploiter ces femmes sans qu'on puisse contrôler de quelque façon que ce soit le comportement de ceux-ci et sans qu'on tienne compte du terrible coût supporté par les communautés.
Si la prostitution était légalisée, à qui pourrions-nous faire appel quand les clients envahiraient nos rues, ce qu'ils ont déjà fait? Nous croyons que ce débat s'engouffre dans un vide inquiétant. Les discussions juridiques ne déboucheront sur aucune des solutions qui s'imposent, c'est-à-dire des programmes de repérage des enfants à risque, de désintoxication, en prévoyant des lits en nombre suffisant, ou encore des programmes d'hébergement et de formation susceptibles d'aider les femmes à échapper au cycle de la violence et de la toxicomanie qui les menace en premier lieu. Les tenants de la légalisation sont prêts à laisser les femmes les plus vulnérables à la merci des dangers de la rue, pendant que les autorités se dérobent du contrat social qui les lie aux citoyens et qui les oblige à venir en aide aux plus démunis.
Nous ne croyons pas que la solution pour remédier à la violence que font subir les clients aux prostituées passe par la suppression des lois qui visent justement à prévenir cette violence. La prostitution de rue est liée aux drogues tout comme à la violence. La législation actuelle reconnaît que cette violence est lourde de conséquences aussi bien pour les femmes que pour les communautés; il faut la garder.
L'Association communautaire Hintonburg a une expérience directe dont elle aimerait vous faire part. Elle concerne la fondation de la « Ottawa John School »—la deuxième au Canada—, notre lutte pour maintenir les lits de désintoxication ouverts cet été, notre appui à la déjudiciarisation et pour la réhabilitation par l'entremise d'un tribunal consacré aux drogues—que le gouvernement fédéral, nous l'espérons, financera—, nos subventions et nos publications dans ce domaine. Nous souhaitons parler plus longuement de notre expérience durant la période allouée aux questions et nous offrons avec plaisir notre aide au comité pendant qu'il examine ces questions importantes. Encore une fois, nous vous invitons à venir dans notre communauté.
Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Hanger, vous avez sept minutes.
M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC): Merci, monsieur le président.
Je voudrais remercier les membres de l'Association communautaire Hintonburg.
J'aimerais vous entendre parler davantage. En fait, je dois dire que notre comité a surtout entendu les tenants d'un changement important dans le droit pénal, mais très peu de représentants des communautés qui vivront—ou qui subissent—les effets de la prostitution parfois pratiquée, je crois, en toute impunité dans les communautés.
Je me demande ce que pense votre groupe du retrait de toutes les lois relatives à la prostitution, et quand je dis toutes—comme de nombreux témoins l'ont déclaré devant ce comité—, cela inclut les dispositions sur les maisons de débauche et ceux qui en vivent. Selon vous, quel modèle pourrait remplacer cette législation? À quoi ressemblerait la communauté si toutes ces lois étaient abrogées et si les prostituées—comme l'ont dit de nombreuses personnes devant ce comité—étaient considérées de la même façon que tout autre membre de la communauté, que ce soit une infirmière, un policier, un mécanicien, etc., et que les travailleurs du sexe vivaient comme n'importe quel autre professionnel?
½ (1900)
M. Jeff Leiper: D'abord, je tiens à faire remarquer que la prostitution dans notre quartier, la prostitution de rue, ne se fait pas nécessairement impunément. Nous avons noué des liens vraiment solides avec la ville pour essayer de régler ce problème par différents moyens.
Nous pouvons seulement parler de la prostitution de rue, pas des services d'escorte, des salons de massage ou des maisons closes comme celle tenue par Terry-Lynn Bédard, si je me rappelle bien de son nom, il y a quelques années. Nous ne pouvons parler que de la prostitution de rue, parce que c'est ce que nous connaissons et c'est ce dont nous nous occupons depuis 15 ans dans notre quartier.
Si on supprimait toutes les lois, la situation ressemblerait beaucoup à ce qu'elle est aujourd'hui. Nous croyons que les femmes qui travaillent dans la rue ne le font pas par choix. Nous savons par expérience qu'elles exercent ce métier parce qu'elles consomment des drogues dures, comme le crack. Elles doivent travailler à proximité des réserves de drogues et, malheureusement, ces réserves se trouvent dans notre quartier, qui est très défavorisé économiquement et où les propriétaires forains acceptent, sciemment ou non, que leurs habitations servent de planques de drogue. C'est pourquoi il y a des prostituées dans les rues de notre quartier. C'est un moyen pratique de fonctionner.
Tant que des femmes n'auront d'autre choix que de se livrer à la prostitution et que des quartiers résidentiels vont tolérer ce genre d'activité, nous n'avons pas le sentiment que les choses vont changer, sauf que les clients vont pouvoir accoster les prostituées de rue impunément. C'est donc dire que les femmes seront plus nombreuses à se faire suivre sur la rue, qu'elles aient 14 ans ou 64 ans, et qu'il va continuer d'y avoir des bagarres entre ceux qui sont liés à la consommation de drogues dures comme le crack.
Nous ne croyons pas que des règlements ou des mesures visant à l'égaliser les bordels ou la prostitution dans des zones désignées vont nécessairement aider notre quartier. Nous ne pouvons imaginer l'accréditation de gens malades. Nous ne pensons pas que, concrètement, les Canadiens vont accepter que des gens atteints de l'hépatite C et du VIH fassent de la prostitution leur métier, c'est-à-dire qu'on désigne des zones où les travailleurs du sexe seraient admis.
S'il y a des examens médicaux à subir et des locaux à louer, les prostituées qui sont pauvres, qui utilisent leur argent pour se droguer, qui n'ont pas de moyen de transport ou de lieu de résidence vont continuer à faire le trottoir, et elles vont continuer à le faire dans notre quartier.
Je ne sais pas si Cheryl or Jay veut ajouter quelque chose.
Mme Cheryl Parrott: L'abolition des lois me fait craindre le pire parce qu'il n'y a rien d'autre. Actuellement, quand on arrête des clients de prostituées, la circulation et l'activité diminuent. La tranquillité revient. C'est la seule mesure dont nous disposons actuellement et elle nous est utile. S'il n'y a pas de loi, c'est la catastrophe à mon avis.
Nous avons analysé la situation au fil des ans. Les prostituées travaillent là où se trouve la drogue. Même s'il y a une zone désignée, cela ne changera rien; si la drogue se trouve dans notre quartier, c'est là qu'elles vont se tenir. Elles ne font jamais le trottoir à plus de deux ou trois coins de rue de la planque de drogue. Nous avons suivi la situation de très près au cours de la dernière année, et il y a un lien direct avec la drogue.
½ (1905)
M. Art Hanger: Est-ce qu'il y a des activités en dehors de cette rue? Est-ce qu'il y en a aussi à dix coins de rue de là, par exemple, où est-ce assez circonscrit?
M. Jeff Leiper: Je pense que Cheryl peut vous parler des réseaux qui se forment dans des quartiers comme le nôtre et de la façon dont les activités se propagent.
Mme Cheryl Parrott: Les activités se déplacent quand les planques de drogue déménagent. Il reste qu'elles ne s'éloignent jamais de certains secteurs.
Actuellement, elles ont lieu près d'une école primaire parce que la planque de drogue est à proximité. Il n'est pas facile de faire une saisie dans une maison de drogue, si je peux dire, ou un endroit réservé à la consommation et non à la vente. C'est très difficile pour la police. On surveille donc les environs, qu'il y ait une école publique ou non dans le coin. Près d'une école publique, l'impact est énorme et touche plus de gens, sur plusieurs coins de rue; puis la planque déménage. Un mois plus tard, c'est ailleurs.
M. Jeff Leiper: Mais les clients ne le savent pas. Ils ont un grand secteur à arpenter.
M. Jay Baltz (membre du conseil d'administration, Association communautaire Hintonburg Inc.): Il n'y a pas que la prostitution et la drogue qui l'accompagne qui sont en cause; il y a plus. Un bar de la rue principale est fréquenté surtout par des gens liés à la drogue et à la prostitution de rue. C'est un endroit à éviter; le soir, il vaut mieux ne pas s'en approcher, ni circuler sur tout un bout de la principale rue commerciale du quartier, la rue Wellington vers l'ouest.
Tout le quartier est touché. Cela cause de la criminalité parce que les femmes, pour acheter de la drogue, se livrent à la prostitution, du moins dans notre quartier. Ce n'est pas le cas des hommes. Ils commettent plutôt des vols par effraction, par exemple; bien des rues du quartier en subissent les conséquences.
M. Art Hanger: Le comité s'est fait dire par de nombreux experts que ce serait une bonne chose de combattre les préjugés entourant la prostitution en permettant aux travailleurs du sexe de pratiquer leur métier comme d'autres. Qu'en pensez-vous?
M. Jay Baltz: C'est peut-être une très bonne solution dans le cas de ceux qui exercent la prostitution pour gagner leur vie, comme dans les services d'escortes hauts de gamme. Dans notre quartier, les femmes sont toxicomanes; la prostitution est seulement un produit dérivé. Ce n'est pas un métier qu'elles choisissent de pratiquer pour subvenir à leurs besoins et qu'elles pourraient exercer comme tout autre métier, s'il n'y avait pas de préjugés.
Leur gros problème, c'est qu'elles sont généralement malades et que la toxicomanie les empêche de fonctionner d'une façon ou d'une autre. C'est pourquoi abolir les lois ou établir une réglementation est si dangereux. Cela peut être utile pour certaines personnes, mais on va considérer avoir réglé le problème au Canada alors que les femmes toxicomanes qui sont obligées de faire le trottoir vont encore être plus ignorées qu'elles ne le sont aujourd'hui.
Ce qu'il faut faire, ce n'est pas leur dire que ce qu'elles font est valable, que se droguer, faire le trottoir, sans logement stable et sans aucune sécurité est plutôt acceptable. Ce qu'il faut faire, c'est s'attaquer à la cause du problème et offrir plus de services de traitement.
Nous avons perdu presque tous les lits de désintoxication réservés aux femmes à Ottawa l'an dernier. Actuellement, nous avons six lits ou un peu plus. Les services pour régler ce problème ne suffisent absolument pas. C'est une des raisons pour lesquelles ces femmes se retrouvent à la rue, abandonnées et à la merci des clients.
½ (1910)
Le président: Monsieur Hanger, nous devons passer à quelqu'un d'autre. Vous avez dépassé votre temps de parole. Nous y reviendrons.
Madame Brunelle.
[Français]
Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ): Bonjour, madame et messieurs. Merci d'être venus nous rencontrer.
J'essaie de comprendre un peu mieux la situation. Vous nous parlez principalement de prostitution de rue. On sait qu'il y a plusieurs formes de prostitution et que les problèmes sont très différents selon les milieux. Vous nous parlez donc, si j'ai bien compris, de la prostitution de rue et de prostituées toxicomanes. Est-ce que cela se limite à un quartier, à un endroit? Est-ce que ces problèmes sont dans un seul secteur de votre quartier? Parlez-nous un peu de ce secteur. Est-ce que des familles l'habitent? Quels sont leurs revenus? Est-ce que ce sont des loyers à prix modique? Parlez-moi un peu de votre quartier.
[Traduction]
M. Jeff Leiper: Merci beaucoup de votre question.
Notre quartier s'étend sur à peu près un kilomètre et demi. Environ 6 000 personnes de milieux très différents y vivent. Il y a un secteur plus ancien où on retrouve des maisons de bois très abordables qui sont habitées depuis de nombreuses décennies par des travailleurs.
De l'autre côté de la rue Wellington, il y a des maisons de plus grande valeur, en brique et des magasins. Il reste que c'est avant tout un quartier ouvrier. Il n'y a pas de café Starbucks ni de boutique de vêtements de couturier, mais des petits commerces qui ont du mal à arriver, et c'est une partie de notre problème. Des maisons servent de planques de drogue en raison des problèmes économiques de notre milieu urbain. Cela ne se produirait pas à Orléans ni dans le quartier Westboro, à l'ouest du nôtre, par exemple.
Notre quartier compte vraiment beaucoup d'enfants. On les croise partout. Depuis une dizaine d'années, les gens quittent les banlieues pour revenir vivre en ville et donc élever leurs enfants ici.
Pour vous donner une idée de la situation, j'habite dans le quartier et, dans le stationnement de l'église à un bout de ma rue, les gens s'adonnent à des activités sexuelles et, à l'autre bout, les clients accostent les travailleurs du sexe.
Je ne crois pas qu'il y ait une rue, à part quelques-unes, où il n'y a pas de prostitution.
Mme Cheryl Parrott: Ce n'est pas le seul endroit à Ottawa où il y a de la prostitution. Il y en a quatre principaux, qui sont des quartiers qui se ressemblent autour de la Colline du Parlement— le nôtre, Vanier, le centre-ville et la basse-ville.
Je dirais que la population de notre quartier est très diversifiée, autant sur le plan économique—on y retrouve des gens à l'aise comme des assistés sociaux—que sur le plan social et le plan ethnique, mais elle est solidaire.
L'été dernier, il y a eu une flambée de drogue, et la communauté s'est regroupée. Trois cents personnes sont venues dire que ce n'était pas une situation acceptable, qu'on ne pouvait pas élever une famille et se sentir en sécurité dans ces circonstances. Peu importe les politiques, il y a une question de sécurité en cause. C'est un quartier très diversifié.
Je ne sais pas si cela répond à la question.
[Français]
Mme Paule Brunelle: Il me semble très légitime que des citoyens veuillent avoir pour eux et pour leur famille un milieu de vie agréable et sécuritaire. Je comprends très bien vos difficultés. Par ailleurs, on sait que la prostitution ne disparaîtra pas, qu'elle est là pour rester. De notre côté, nous devons essayer de voir dans quelle mesure nous pouvons limiter les inconvénients et nous assurer que les communautés puissent vivre raisonnablement dans un lieu. Je comprends que ce soit inadmissible de votre point de vue. Il y a des communautés qui ont des règlements de zonage qui permettent de délimiter des quartiers ou des lieux où la prostitution pourrait s'exercer. Avez-vous déjà pensé à une formule semblable?
½ (1915)
[Traduction]
M. Jay Baltz: Je répète que ce n'est pas un règlement de zonage qui va éloigner la prostitution de notre quartier. On n'y fait pas de la prostitution pour des raisons économiques, mais parce qu'on y trouve de la drogue étant donné que ces femmes font de la prostitution pour acheter de la drogue. Elles arrivent à peine. Je ne pense pas qu'on pourrait les convaincre d'aller ailleurs pour ne pas enfreindre un règlement de zonage.
À moins qu'il leur soit possible, dans les zones désignées, de s'acheter de la drogue et de trouver du logement—parce que, pour l'instant, elles vont d'une maison à l'autre et n'ont habituellement pas assez d'argent pour se procurer un logement stable... Donc, tout dépend de ce que vous voulez établir. Il faudrait délimiter, dans chaque ville, une zone où on pourrait se procurer de la drogue et des seringues et où tout ce qui se passe dans la rue serait permis, et il ne faudrait pas que les autres citoyens en subissent les conséquences comme c'est le cas aujourd'hui dans notre quartier.
Nous ne pensons pas que c'est faisable. À notre avis, à moins de s'attaquer aux problèmes qui amènent ces femmes à faire de la prostitution, les choses ne changeront pas; rien ne pourra inciter celles qui se livrent à la prostitution dans ces conditions à se déplacer dans une zone désignée.
Mme Cheryl Parrott: Je pense qu'il est impossible que les municipalités réglementent efficacement cette activité; ce n'est pas faisable. Les villes sont déjà surtaxées et n'arrivent pas à faire respecter les règlements actuellement en vigueur; à plus forte raison, elles n'ont pas les ressources pour obliger les travailleurs de la rue à rester dans une zone désignée. Ce n'est pas réalisable.
Le président: Madame Davies.
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Merci beaucoup.
D'abord, merci d'être venus nous rencontrer ce soir. Je sais que cette question vous tient à coeur.
Monsieur Baltz, je suis d'accord avec vous pour dire qu'il faut s'attaquer aux causes du problème. C'est très important. D'après ce que j'ai appris, beaucoup d'organismes communautaires, quelles que soient leurs positions, commencent par là. Mais je pense que, dans ce domaine, c'est différent parce que les gens qui en subissent les conséquences sont très inquiets. Cependant, quand on essaie de déterminer quoi faire au sujet de ces conséquences, les questions sont assez complexes. Certes, une des solutions est de s'attaquer aux causes du problème.
Vous semblez penser que nous envisageons la légalisation. Nous avons entendu un témoin qui l'a proposé, une conseillère municipale d'Halifax, mais la plupart des autres appuient une certaine forme de décriminalisation et préconisent une loi plus sévère. Bon, il a été question de légalisation, mais pas tant que cela. De plus, je pense que la plupart des gens ne sont pas d'avis qu'une zone désignée serait une solution.
Si on examine toute cette question et certaines des causes, comme la toxicomanie dans le cas de ceux qui travaillent dans l'industrie du sexe pour survivre—et là-dessus je suis d'accord avec vous—il faut adopter une approche globale. Il faut examiner ce qui se passe dans la rue actuellement. Il y a moins d'aide sociale et de centres de désintoxication. C'est aussi le cas à Vancouver. C'est épouvantable. Il faut intervenir en faveur de ces mesures. Entre-temps, ces femmes sont toujours dans la rue. Donc, je pense qu'il faut en tenir compte.
Vous nous avez dit clairement ce que vous ne vouliez pas, mais j'aimerais savoir ce que, à votre avis, nous devrions faire pour aider ces femmes qui vont faire le trottoir ce soir dans votre quartier et qui sont en danger. Par exemple, même l'Armée du salut a préconisé, quand elle est venue témoigner, la décriminalisation pour les travailleurs du sexe.
J'aimerais que vous m'expliquiez plus clairement votre position. Recommandez-vous de laisser la loi telle quelle et voudriez-vous qu'elle soit mieux appliquée dans l'espoir de protéger votre quartier? Cette solution me laisse septique parce qu'on a essayé de l'appliquer depuis 20 ans sans beaucoup de succès. En fait, la situation s'est détériorée. La loi sur le racolage, la communication à des fins de prostitution, voulait protéger les quartiers et je ne pense pas qu'elle a atteint son objectif. Vous pourriez peut-être nous expliquer ce que vous proposez sur le plan de la loi. Voulez-vous le statu quo ou voulez-vous une réforme de la loi et l'adoption d'autres mesures, provinciales, municipales et fédérales? Vous pourriez peut-être nous donner plus d'explications là-dessus.
½ (1920)
M. Jeff Leiper: Nous demandons le statu quo pour ce qui est de la loi sur la communication à des fins de prostitution. Nous croyons qu'elle permet à la police d'arrêter les clients de la prostitution. En dix ans, je pense qu'à peu près un millier d'hommes ont participé au programme à l'intention des clients de la prostitution. Cela donne des résultats. La loi réduit les conséquences pour notre quartier parce qu'elle offre à la police le moyen de dissuader les clients de s'adonner à une activité très néfaste dans notre quartier. Nous appuyons cette mesure.
Mme Libby Davies: Avez-vous le sentiment que la situation dans votre quartier aujourd'hui est restée la même, qu'elle s'est améliorée ou qu'elle a empiré par rapport à ce qu'elle était il y a cinq ans?
Mme Cheryl Parrott: Je dirais qu'elle s'est améliorée.
Mme Libby Davies: Pourriez-vous nous dire dans quelle mesure?
Mme Cheryl Parrott: Les clients ne circulent pas dans le quartier comme ils avaient l'habitude de le faire avant. Ils viennent toujours, mais ils sont moins nombreux.
Mme Libby Davies: Comment obtiennent-ils leurs services, alors?
Mme Cheryl Parrott: Ils ne harcellent pas autant les femmes qui vivent dans le quartier. Ils le font encore. Ils harcellent toujours les femmes qui circulent, autant les dames âgées que les femmes avec des enfants, mais avec moins d'insistance. Les choses se sont améliorées depuis 10 ans, depuis que les programmes à l'intention des clients de la prostitution existent et que les opérations de nettoyage ont commencé.
Mme Libby Davies: Pensez-vous que les clients changent, si les programmes à l'intention des clients de la prostitution ont été efficaces? Est-ce que ce sont toujours de nouveaux clients et que l'histoire se répète? Vraiment, quels progrès faisons-nous si nous croyons que c'est une bonne stratégie?
M. Jay Baltz: C'est beaucoup mieux qu'avant.
La prostitution existe dans notre quartier depuis qu'on a voulu l'éloigner du secteur du marché fréquenté par les touristes. À l'époque, c'était un peu le Far West : les femmes sollicitaient les clients sur la rue principale dans la circulation, en arrêtant les voitures. Deux ou trois immeubles de la rue Wellington étaient occupés et servaient de publicité. On ne pouvait ni marcher ni conduire sans se faire interpeller, et il y avait constamment des bagarres et de la violence.
La situation s'est beaucoup améliorée depuis, parce que les lois sont maintenant appliquées. Ce qui l'a améliorée, d'après nous, ce sont les opérations de nettoyage répétées et les programmes offerts aux clients pour leur apprendre que c'est une activité répréhensible. Nous avons tous assisté aux cours pour voir ce qu'on y enseigne. D'ailleurs, Cheryl s'adresse aux participants. Le programme fonctionne puisque le taux de récidive est assez faible. Il est très faible, en fait.
Mme Libby Davies: Considérez-vous que les prostituées font partie de votre quartier?
M. Jay Baltz: Elles vivent dans le quartier. Elles ont vraiment besoin d'aide, mais n'en ont pas. Elles ne contribuent pas de façon positive au quartier, ce qui ne veut pas dire qu'elles n'ont pas besoin d'être aidées. À notre avis, décriminaliser ou légaliser la prostitution ne va pas les aider davantage. Nous craignons plutôt que les clients considèrent alors que ce qu'ils font est acceptable, que ce n'est plus illégal; ce serait légalisé ou décriminalisé et ce qu'ils veulent faire, leur façon d'exploiter les femmes de la rue, serait permis.
D'après ce que je crois comprendre, toute cette question a été soulevée en raison de la violence que les clients faisaient subir aux prostituées de la rue. Ces hommes vont rester violents. Ils vont toujours être là et, s'ils ne sont pas arrêtés, nous saurons encore moins qui sont ces hommes violents qui cherchent à exploiter les femmes de la rue et à leur faire du tort.
½ (1925)
Mme Libby Davies: Un des problèmes qui a été toutefois porté à notre connaissance vient de la disposition traitant de la communication qui fait en sorte que les travailleurs du sexe hésitent beaucoup à signaler les cas de violence, parce qu'ils s'exposent ainsi eux-mêmes à l'application de la loi. Le rôle de la loi peut varier beaucoup selon la perspective des gens. Tout le monde est alarmé lorsqu'il y a violence, mais une partie du problème vient du fait qu'il devient très difficile de signaler une telle situation lorsque les activités auxquelles une personne se livre sont essentiellement illégales. Ainsi, certains témoins nous ont dit que lorsqu'ils ont décidé de signaler de tels cas, ils se sont exposés au harcèlement de la police, ou même à des enquêtes, ce qui pouvait mener à des accusations à leur endroit. Voilà certainement l'une des questions auxquelles nous devons répondre : Quelles sont les répercussions de cette loi quant à la protection des personnes et qui protège-t-elle vraiment?
M. Jay Baltz: Je comprends très bien ce que vous nous dites.
Nous pouvons parler uniquement de notre propre communauté. Chez nous, les femmes qui travaillent dans la rue sont déjà très bien connues de la police. Elles ne risqueraient pas de dévoiler leurs activités ni leur identité en divulguant des informations à la police. Cela ne signifie pas qu'elles sont à l'aise de le faire.
Mme Libby Davies: Sont-elles harcelées par la police?
M. Jay Baltz: Je ne voudrais pas dire les choses comme cela. La police ne les harcèle pas; elle ne fait qu'appliquer les lois. La police ne semble pas portée à cibler des gens à moins qu'ils ne fassent quelque chose de vraiment répréhensible. Je ne crois que nous ayons eu de cas où la police serait partie à la recherche de femmes en sachant qu'elles se livraient à cette activité—alors qu'elles ne travaillaient pas—pour les ennuyer, les harceler et leur dire de ne plus travailler dans la rue. Non, je crois que la police fait simplement appliquer la loi—surtout au moyen de descentes.
Le président: Merci, madame Davies.
Madame Fry.
L'hon. Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.): Merci beaucoup.
Comme je le dis toujours, il est très difficile de suivre Libby parce qu'il lui arrive souvent de poser les mêmes questions que j'ai moi-même préparées.
J'ai bien entendu ce que vous nous avez dit, et plusieurs groupes communautaires nous ont aussi indiqué que cela leur posait également problème parce que cette activité se passait dans leur voisinage : leurs enfants jouent dans la rue; leurs enfants butent sur des condoms et des aiguilles dans le parc; et des gens font du racolage près des zones scolaires.
J'estime également qu'il est très important de souligner que bon nombre des femmes qui travaillent dans ce secteur ne le font pas par choix. Elles sont exploitées en raison de leur toxicomanie; les drogues sont le véhicule de l'exploitation. Je suis d'accord avec toutes ces affirmations.
J'aimerais également préciser un point. Quelqu'un a dit que ces femmes avaient l'hépatite C et le VIH et continuaient de travailler. Croyez-vous alors que les personnes qui ont le VIH ou l'hépatite C ne devraient pas travailler du tout, point final, et pas seulement comme prostituées?
J'ai souligné quelques-uns des éléments que vous avez mentionnés. Je suis d'accord avec vous pour dire que ces femmes sont de toute évidence exploitées grâce aux drogues, notamment, mais qu'en est-il des femmes qui décident de faire ce travail par choix? Comment croyez-vous qu'on pourrait leur permettre de le faire? Oublions ce groupe de femmes un instant. C'est une question que j'aimerais poser.
Deuxièmement, quel serait selon vous le modèle à dégager pour les femmes qui veulent faire ce travail, qui choisissent de le faire? J'ai noté que vous avez parlé de ces femmes qui sont malades en les comparant au groupe des escortes de classe. Y a-t-il une différence, à votre avis, entre ces femmes qui sont exploitées et celles qui travaillent comme hôtesses? Le problème vient-il vraiment du fait que certaines femmes sont obligées de se livrer à la prostitution alors que d'autres qu'on ne voit pas le font pour gagner beaucoup d'argent?
Il ne s'agit pas de questions sarcastiques. Ce sont des questions bien réelles, parce qu'elles sont à mon avis au coeur même du problème dans bien des cas.
Vous nous avez indiqué que plus d'un millier de clients avaient fréquenté l'école pour clients et qu'ils étaient donc moins nombreux dans la rue, mais Mme Parrott a souligné que bon nombre des clients appréhendés n'avaient jamais été vus auparavant. De toute évidence, c'est devenu une porte tournante. Autrement dit, en appréhendant des clients pour les envoyer à l'école, on ne règle pas le problème.
Vous avez toutefois indiqué que la situation s'était améliorée sous certains égards. Je vous pose donc la question: Pour qui la situation s'est-elle améliorée? Si votre communauté se porte mieux parce qu'il y a moins de clients ou moins de problèmes avec les drogues et qu'elle est maintenant plus sécuritaire, je suis bien d'accord. C'est une façon raisonnable de voir les choses. Mais qu'est-il advenu des gens qui ne sont plus dans la rue? Où sont allées les prostituées qui travaillaient dans la rue? S'inquiète-t-on de savoir où elles ont abouti ou se réjouit-on simplement de ne plus les voir? Autrement dit, si elles sont simplement parties ailleurs, est-ce suffisant?
Vous avez proposé que l'on ne change rien aux lois en vigueur, mais je considère que l'une d'elles, qui permet notamment d'appréhender les clients, n'aide pas les prostituées qui sont toxicomanes. Cela ne les aide pas non plus à régler leurs problèmes de santé ni à s'affranchir des personnes qui les exploitent. Cette loi ne fait qu'empêcher les gens de les solliciter dans la rue, mais cela ne règle pas ce qu'on peut considérer comme le principal problème.
Il faut alors se demander comment on peut en arriver à une formule de zonage ou à toute autre solution pour s'attaquer effectivement aux causes profondes du problème, comme vous l'avez dit, y compris la toxicomanie, alors que l'arrestation des clients ne change rien; le manque de compétences, notamment, pour faire un autre travail; et le fait que certaines personnes veulent vraiment travailler dans la rue. Il faudrait une approche globale qui permettrait de s'attaquer aux causes profondes du problème et de mettre fin aux torts qui sont faits aux femmes qui pratiquent cette activité.
Je cherche donc la façon d'en arriver à un train de mesures efficaces. Une intervention unique ne suffit pas; il faut un ensemble complet de solutions pour régler tous les problèmes constatés. Lorsque nous entendons dire que la décriminalisation a souvent pour effet de criminaliser les victimes, nous devons nous demander comment nous pouvons enrayer cet effet et quelle mesure nous pouvons prendre pour vraiment aider les victimes et régler les problèmes à long terme.
½ (1930)
M. Jay Baltz: J'aimerais vous répondre lorsque vous demandez qui est malade et comment nous pouvons le savoir.
Il s'agit pour moi d'un travail bénévole. Je suis professeur à la faculté de médecine de l'Université d'Ottawa et président associé du département d'obstétrique et de gynécologie. Je suis également membre du comité consultatif de la ville pour l'échange de seringues. Je possède donc une certaine expertise en la matière.
Il est difficile de dire combien de femmes qui font de la prostitution de rue sont infectées par les différents virus dont vous avez parlé. Nous disposons toutefois de bonnes statistiques pour la ville d'Ottawa grâce aux études menées par Lynn Leonard de l'Université d'Ottawa sur les utilisateurs de drogues injectables qui sont clients de la camionnette d'échange de seringues du programme Site et des organismes partenaires. Les taux d'infection sont d'environ 20 p. 100 pour le VIH/SIDA et de près de 80 p. 100 pour l'hépatite C. Si l'on se fie du moins à notre expérience de la rue, il y a correspondance presque parfaite entre le groupe des femmes qui font de la prostitution de rue et la clientèle de la camionnette et du programme d'échange de seringues. Je pense que ces taux correspondent probablement à la réalité pour les femmes qui font de la prostitution de rue dans notre communauté. On peut donc dire que ces femmes sont effectivement malades.
Je pense qu'il faut aller à un échelon supérieur à celui des communauté pour répondre à l'une des questions qui se pose, à savoir ce qu'on doit faire avec les femmes qui se meurent dans la rue alors qu'on ne peut même pas les atteindre? La solution réside notamment dans le déploiement des services d'approche nécessaires pour rejoindre ces femmes et les sortir d'une manière ou d'une autre de leur situation désespérée.
C'est peut-être quant à la façon de procéder à cette fin que nous différons d'opinion avec bon nombre des témoins qui se sont présentés ici. Nous ne croyons pas qu'il serait raisonnable, comme première étape, de se débarrasser des lois applicables pour décriminaliser ou légaliser l'une ou l'autre de ces activités. Le problème de la toxicomanie demeure et il y a tout un autre ensemble de questions qui entrent en jeu.
L'hon. Hedy Fry: J'aimerais qu'on me propose certaines solutions concrètes. Je sais ce avec quoi vous n'êtes pas d'accord. Pouvez-vous nous exposer quelques-uns de vos points de vue?
M. Jay Baltz: Il faudrait concrètement pouvoir disposer de suffisamment de fonds pour rejoindre et traiter ces femmes qui sont désespérées à un point tel qu'elles se livrent à cette activité. Elles ont besoin de soins médicaux auxquels elles n'ont pas accès. Il faut instaurer un véritable programme de réduction des méfaits, pas se contenter de solutions provisoires comme la distribution de seringues propres, mais assurer leur placement dans des logements supervisés. Bon nombre de ces femmes n'arriveront pas à s'affranchir suffisamment de la rue pour devenir pleinement fonctionnelles. Une bonne partie d'entre elles sont très malades et se livrent à cette activité depuis trop longtemps.
J'ai discuté avec l'une des membres du comité directeur sur l'échange de seringues qui s'est elle-même affranchie de la rue pour devenir une travailleuse d'approche. Alors, c'est possible. Elle y est parvenue seulement parce qu'elle a eu accès à un programme de désintoxication, parce que des gens se sont occupé d'elle et parce qu'un intervenant du programme Site est allé la voir pour l'aider. Cela fonctionne vraiment, mais c'est très coûteux. Je pense qu'il est beaucoup moins onéreux de se débarrasser des lois en vigueur, ce qui peut sembler être une solution miracle pour certains.
½ (1935)
L'hon. Hedy Fry: Et cela ne pourrait-il pas faire partie du train de mesures dont vous avez parlé?
M. Jay Baltz: Je crois qu'il faut d'abord faire le travail sur le terrain et mettre en place l'infrastructure et le filet de sécurité nécessaires pour envisager ensuite, si tout fonctionne bien, de légaliser ou de décriminaliser les activités qui subsisteront. Si on fait cela dès le départ, on risque de se priver de l'un des seuls outils à notre disposition pour identifier les clients violents, un outil qu'il nous sera impossible de récupérer si jamais l'ensemble des mesures mises en oeuvre ne fonctionne pas.
M. Jeff Leiper: Madame Fry, vous avez posé une question au sujet des femmes qui décident de travailler dans cette industrie : le modèle existe, c'est clair, et la police fait semblant de ne rien voir; il suffit pourtant de consulter un des tabloïds publiés au pays. De nombreuses entreprises de l'industrie du sexe fonctionnent avec le consentement tacite de la police, tant qu'on ne découvre pas que quelqu'un a été kidnappé ou se prostitue contre son gré. Il y a bien des façons pour les femmes de gagner leur vie dans l'industrie du sexe si elles choisissent de le faire. Nous ne croyons pas qu'aucune femme choisirait de se livrer à la prostitution de rue pour gagner sa vie.
Le président: Dernière question, madame Fry.
L'hon. Hedy Fry: Voilà bien de nouvelles définitions.
Ai-je encore une minute, ou moins que cela? Si c'est moins, je vais attendre à la prochaine série d'interventions.
Le président: Vous n'avez plus assez de temps. Pour la prochaine série d'interventions, nous devrons être brefs dans nos questions ainsi que dans nos réponses de manière à... Nous avons pris du retard, mais nous sommes très heureux de pouvoir connaître votre point de vue.
Docteur Hanger, avez-vous une brève question? En espérant, si possible, une courte réponse également.
M. Art Hanger: Soit dit en passant, je ne suis pas docteur en quoi que ce soit.
J'ai l'impression que les mesures qui seront prises relativement aux lois sur le racolage pourraient avoir un impact sur toutes les lois visant la prostitution. C'est là le problème. Si on élimine toutes les lois, les activités se déplaceront, comme il faut s'y attendre, à l'intérieur. Les femmes pourront travailler à partir de leur domicile, comme c'est le cas d'un modèle en Angleterre où l'on permet aux prostituées d'accueillir les clients chez elles pour autant qu'elles ne soient pas trop nombreuses à se livrer à la même activité.
À Amsterdam, la prostitution a été légalisée, pour ainsi dire, ce qui a le même effet, selon moi que la décriminalisation, et il y a davantage de prostitution illégale en vertu de l'arrêté municipal, sans qu'aucune accusation criminelle ne soit portée, qu'il y a de femmes travaillant avec un permis. Il y a donc un dilemme car, si vous éliminez la loi sur le racolage, c'est la loi sur les maisons de débauche, qui interdit aux prostituées de travailler à partir de leur domicile—qu'il s'agisse d'un appartement ou d'une maison— qui s'appliquera de telle sorte que les personnes qui habitent avec elles pourront faire l'objet d'accusations sous prétexte qu'elles vivent du fruit de la prostitution.
Quelques-unes des questions posées ici nous laissent entrevoir que c'est la voie que nous devrions suivre. Quelle est votre opinion à ce sujet? Quel modèle devrait être appliqué si la loi sur le racolage était abrogée? En toute franchise, je suis d'accord avec les témoins qui ont dit que cela ne devrait pas être fait. Mais qu'est-ce qui pourrait la remplacer selon vous?
½ (1940)
Mme Cheryl Parrott: Permettez-moi d'intervenir sans vraiment répondre directement à votre question. Je crois qu'il s'agit de deux choses bien différentes. La prostitution de rue ne va pas se déplacer à l'intérieur. Les prostituées de rue ne vont pas travailler à l'intérieur. Il y a deux raisons pour cela. Premièrement, elles doivent rester près de leur source d'approvisionnement en drogues. Deuxièmement, le client qui s'adresse à des prostituées de rue est très différent de celui qui fait appel à une agence d'hôtesses ou se rend dans un salon de massage. On parle de deux personnalités bien distinctes.
Les hommes qui sollicitent les prostituées dans la rue sont à la recherche de services bon marché—dix ou 20 dollars, plutôt que 100 ou 200 $. Ils veulent que tout soit terminé en six minutes, plutôt qu'un service en une demi-heure—« prenez un rendez-vous »—ou une heure. C'est bien différent. Il s'agit de deux entreprises distinctes et il ne faut pas s'attendre à ce que la prostitution se déplace à l'intérieur si les lois sont éliminées.
M. Jeff Leiper: On présume également que les femmes disposent d'un revenu qu'elles n'utilisent pas pour la drogue pour se trouver un logement stable et en faire la promotion en tant que maison de prostitution. Les hypothèses à la base de ces formules d'enregistrement, de décriminalisation et de zones désignées ne tiennent tout simplement pas la route, dans notre communauté tout au moins.
M. Jay Baltz: Nous connaissons également des femmes qui travaillent à partir de leur domicile qui ne nous causent absolument aucun problème—ce n'est pas d'elles dont il est question ici—dans notre communauté; leur travail n'a aucun impact dans la rue, aucun impact sur le voisinage et elles peuvent bien faire ce qu'elles veulent derrière des portes closes. S'il était possible et souhaitable pour les prostituées de rue de se livrer à telles activités, elles pourraient le faire dès maintenant et éviter ainsi de s'exposer au type de harcèlement dont elles sont victimes dans la rue.
Le président: Merci, monsieur Hanger.
Madame Brunelle.
[Français]
Mme Paule Brunelle: Lorsqu'on rencontre des prostituées de rue, on voit que la misère humaine est grande. La misère a un fond de pauvreté et de maladie. Il s'agit donc de problèmes multiples. La prostitution est un élément de cela. Si je vous comprends bien, vous nous dites que, depuis que la loi est mieux appliquée, vos conditions de vie se sont améliorées. Allez-vous jusqu'à suggérer que nos lois soient encore plus sévères?
[Traduction]
Mme Cheryl Parrott: Nous avons certes exercé des pressions, et je crois que vous avez pu le constater dans plusieurs provinces, en faveur d'une application plus sévère des lois à l'égard des clients. Bon nombre des provinces ont emprunté cette avenue. La Saskatchewan met leur voiture à la fourrière. Je pense que le Manitoba envisage de révoquer les permis de conduire. Ce sont autant de mesures qui visent les clients. L'Ontario a d'ailleurs adopté une loi qui n'a pas encore été mise en oeuvre et qui permettra notamment de révoquer les permis de conduire des clients. Les provinces prennent donc des mesures de répression très poussées en réponse aux préoccupations des communautés. Elles savent qu'elles doivent réagir et elles essaient de s'en prendre aux clients, d'éliminer la demande.
[Français]
Mme Paule Brunelle: Pour vous, la répression des clients est une bonne solution. Est-ce bien ce que vous me dites?
[Traduction]
Mme Cheryl Parrott: Je crois que c'est l'une des solutions et j'estime que c'est une solution efficace. Je pense que nous devons sensibiliser les hommes au fait que ce n'est pas une bonne façon d'agir que d'exploiter de cette manière des femmes qui sont dans la rue, et de rapporter ainsi des maladies à la maison.
M. Jay Baltz: En outre, j'aimerais faire valoir à nouveau qu'il s'agit de deux secteurs d'activité bien différents. D'un côté, vous pouvez prendre un rendez-vous, vous rendre à la place d'affaires de quelqu'un et payer pour une activité quelle qu'elle soit. C'est une véritable entreprise. C'est une toute autre histoire de sillonner les rues à la recherche de femmes vulnérables et malades.
Les clients ne se contentent pas de s'adresser aux femmes qui se livrent au racolage. Ils sollicitent des femmes et des filles de toutes sortes. Il y a une école de premier cycle du secondaire, une école intermédiaire, dans notre secteur. Les clients s'intéressent également aux filles de cette école.
Les clients ne sont pas nécessairement à la recherche de sexe—en fait, pas principalement de sexe, selon moi. Ils sont surtout en quête de pouvoir, parce que bon nombre d'entre eux auraient les moyens de faire appel à un service téléphonique ou à une hôtesse et de payer les 100 $ ou les 200 $ demandés. Le déséquilibre des pouvoirs est plus grand lorsque vous vous adressez à une pauvre femme qui est prisonnière de son travail dans la rue. Vous pouvez la faire monter dans votre voiture et lui faire faire ce que vous voulez, tout en croyant que c'est ce qu'elle recherche. Je ne pense pas que nous voulons encourager ce type de clients à se livrer a cette activité en déclarant qu'elle est légale. Il s'agit d'une situation bien différente.
M. Jeff Leiper: Les lois existantes visent à protéger les communautés. Si les lois en place n'aident pas suffisamment ces femmes, peut-être que le gouvernement devrait se pencher sur la façon dont il pourrait utiliser les ressources disponibles pour améliorer leur sort sans éliminer les lois qui protègent les communautés. Nous n'avons pas besoin de lois plus sévères. Nous sommes satisfaits des lois en vigueur. Nous demandons maintenant au Parlement de faire le nécessaire.
½ (1945)
Le président: Merci, madame Brunelle.
Madame Davies.
Mme Libby Davies: Merci.
Je crois qu'il y a une relation entre ce qui se produit dans la rue et ce qui se passe ailleurs. Votre communauté ne m'est pas très familière, mais il est bien certain que j'en connais d'autres qui ont eu à vivre avec la prostitution de rue. J'ai parlé avec des prostituées et j'ai pu noter un changement d'attitude dans l'application de la loi, en raison d'une décision d'un tribunal qui a eu pour effet de mettre davantage de prostituées dans la rue. Il y a 20 ans, on ne voyait pas autant de prostitution dans la rue. On était davantage généralement d'avis que la prostitution devait sortir des rues de telle sorte, comme vous l'avez dit, qu'elle était plus ou moins tolérée; différentes décisions judiciaires ont toutefois ramené le phénomène dans la rue.
Je m'étonne donc de constater que vous considérez qu'il s'agit de deux activités tout à fait distinctes. Je pense qu'il existe une industrie du sexe dans la rue dont il serait probablement fort difficile de se débarrasser, mais je pense également qu'il serait profitable pour d'autres éléments de cette industrie d'offrir un environnement quelque peu différent, et pas nécessairement un district désigné à cette fin—je ne suis pas favorable à une telle mesure et je ne considère pas que c'est la solution—ne serait-ce que du point de vue de la sécurité, notamment au moyen d'une loi sur les maisons de prostitution et en encourageant les gens à travailler à l'intérieur. Mais il semble que votre organisation considère qu'il s'agit de deux mondes bien différents et que la prostitution de rue demeurera toujours la prostitution de rue et qu'il ne sera jamais possible d'en faire autre chose. Je ne suis pas certaine d'être d'accord avec vous. Je pense qu'en harmonisant mieux les différentes mesures prises, nous pourrions davantage concentrer nos efforts pour offrir un environnement plus propice à ces activités, et ce n'est pas dans la rue.
Je me demande si vous seriez favorable à une approche de ce genre. C'est un peu ce que vous essayez de faire, n'est-ce pas? Si cela était possible, croyez-vous que ce serait une solution?
M. Jay Baltz: Il est certes souhaitable de sortir la prostitution de la rue. Je pense que tout le monde convient que ce n'est pas une bonne chose que des prostituées se retrouvent dans la rue. Plus nous réussirons à réduire ce phénomène, mieux nous nous porterons.
J'estime que nos points de vue sont différents quant à la façon d'y parvenir. Dans les faits, ces femmes ont besoin de se sentir moins désespérées, de pouvoir se payer un logement et de mettre fin à l'exploitation dont elles sont victimes.
Mme Libby Davies: Je crois que nous sommes du même avis à ce sujet.
M. Jay Baltz: Ce sont là les véritables questions à régler; il ne s'agit pas simplement de décriminaliser une activité qui n'est que l'une des composantes d'un mode de vie très compliqué et plutôt désespérant. Nous devons nous pencher sur la question du logement et sur les problèmes de santé.
Mme Libby Davies: Supposons qu'on offre des foyers-refuges? Voilà à mon avis une éventuelle piste de solution. Je suis tout à fait d'accord avec vous qu'il faut améliorer le logement et ce que nous appelons le traitement sur demande. Il faut pouvoir obtenir le traitement dès qu'on en a besoin, pas trois mois plus tard, quand se libère un lit de désintoxication.
Il faut que nous investissions toutes nos énergies dans la mise en place de ces services. Ce sont là de grandes batailles à livrer, croyez-moi; je travaille aux questions de logement depuis dix ans. Toutefois, ce soir, demain soir, quand ces femmes seront sur la rue, que ferons-nous pour améliorer leur sécurité et celle de votre collectivité? Il faut un peu des deux, n'est-ce pas? Quand vous affirmez que vous souhaitez le statu quo en application de la loi, cela me cause des difficultés parce que je suis convaincue que la loi, telle qu'elle est appliquée actuellement, crée une situation très dangereuse. Elle n'est pas la seule à susciter des préoccupations en matière de sécurité; certains clients en suscitent également. Cependant, la crainte de se faire arrêter empêche ces femmes de faire des signalements.
Ce n'est pas tant une question que je pose qu'un commentaire que je fais.
M. Jeff Leiper: Pour ce qui est de l'application de la loi, nous ne pouvons parler qu'au nom de notre collectivité à nous. Nous ne constatons pas de harcèlement de la part de la police. La police ne semble pas avoir chez nous la même attitude que celle qu'on constate dans d'autres municipalités.
Mme Libby Davies: Il se peut cependant qu'il existe un autre point de vue. Nous avons entendu des prostituées qui disent... Il a été constamment question de harcèlement. Donc, vous pensez peut-être ainsi, mais sauf votre respect, il y existe peut-être un autre point de vue.
½ (1950)
Mme Cheryl Parrott: Vous parlez de lois qui ont été changées et vous dites que c'est ce qui a amplifié la prostitution de rue ou les problèmes s'y rapportant. À mon avis, et j'en ai parlé avec des collectivités un peu partout au Canada, la consommation croissante de crack au début des années 90 explique l'augmentation considérable de la prostitution de rue. Elle est venue de la consommation de drogues et, je suppose, le manque ou l'insuffisance de services sociaux. Une grande partie du problème concerne aussi la santé mentale.
En réalité, ce que j'aimerais voir... Nous avons besoin des ressources ici tout de suite. Nous réclamons un tribunal consacré en matière de drogue à Ottawa depuis deux ans maintenant. C'est là un des moyens. Les prostituées pourraient s'y présenter, aller en désintox dans le cadre de leur peine, de sorte qu'elles pourraient s'éloigner de... Si la question du tribunal en inquiète certains, ce n'est là qu'un des problèmes : il s'agit d'un problème de drogue, et c'est dans cette optique qu'il faut le traiter.
M. Jay Baltz: Moi non plus, je ne serais pas d'accord pour dire, du moins dans notre collectivité, que la violence contre ces femmes a augmenté au cours des dix dernières années. J'estime en fait qu'elle a diminué. Je dirais qu'il y a sept ou huit ans, le week-end, vous ne pouviez pas vous promener sur la rue sans être témoin d'une bagarre mettant souvent en jeu une des femmes. Elles semblaient battues et mal en point. On n'en voit plus beaucoup, sauf durant certaines périodes de pointe quand une piquerie est très active. Les actes de violence commis sur la rue et mettant en jeu soit ces femmes, soit d'autres membres de cette sous-culture, ne sont pas courants. D'après du moins notre expérience, la violence a diminué, tant à notre égard et à l'égard de tous ceux qui vivent ici qu'à l'égard de ces femmes.
Il fut une époque où, dès que les bars fermaient, il y avait de grandes bagarres de rue, à nouveau mettant en jeu ces femmes. Elles étaient battues, et les gens ignoraient leurs cris parce qu'il y en avait tellement. Cela ne se produit plus dans notre collectivité. Si quelqu'un crie sur la rue, qui que ce soit, quelqu'un va immédiatement appeler le 911. Des gens vont sortir pour essayer d'y mettre fin. C'est plus sûr pour chacun.
Chaque mois, notre comité de la sécurité présidé par Cheryl se réunit, et nous entendons constamment parler de bagarres qui ont presque été déclenchées sur la rue, ou d'un client qui s'en est pris à une femme, et ce genre de situation est toujours signalé : la police en est immédiatement informée et elle y donne suite.
Je ne suis donc pas d'accord pour dire que l'application de ces lois et des autres lois qui interdisent les actes de violence ont rendu nos rues plus dangereuses. La situation est en réalité plus sécuritaire au sein de notre collectivité qu'elle ne l'était il y a cinq ou sept ans.
Le président: Madame Davies, je vous remercie.
Madame Fry.
L'hon. Hedy Fry: Pour ce qui est de la sécurité, de nombreux travailleurs du sexe nous ont dit qu'en raison de la loi sur la sollicitation, ce n'est pas tant les bagarres de rue ou la scène faite par quelqu'un, mais plutôt le fait qu'on ne veut pas se faire arrêter par la police qui explique qu'on saute dans une voiture sans prendre le temps d'évaluer le client pour voir s'il pourrait être dangereux. Ils ne veulent tout simplement pas que la police les voit en train de faire de la sollicitation.
Que leur arrive-t-il, une fois dans la voiture? Nous savons ce qui est arrivé dans l'est de Vancouver. Nous savons ce qui est arrivé à Abbotsford, sur la ferme Picton. Il se peut qu'on ne voit pas la violence sur la rue. L'enjeu n'est donc pas de savoir s'il y a de la violence sur la rue. C'est la violence comme telle qui y est associée, point final. C'est le risque que cela pose aux femmes de la rue.
Vous avez dit des choses intéressantes, et voici ce qui est au coeur de nos travaux. Vous voyez deux commerces différents. Selon vous, des annonces sont faites dans les dernières pages des journaux. Or, le Code criminel prévoit, au paragraphe 212(1), que : « Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, selon le cas : induit, tente d'induire ou sollicite une personne à avoir des rapports sexuels illicites avec une autre personne, soit au Canada, soit à l'étranger ». Qu'est-ce qu'une annonce à la fin d'un journal si ce n'est une tentative en vue de solliciter une personne à avoir des relations sexuelles illicites avec une autre? Que dire des annonces dans les pages jaunes?
Le modèle actuel est hypocrite. Bon nombre d'entre nous estiment que si vous faites 700 $ de l'heure, il n'y a pas de mal si vous annoncez, mais que nous ne vous voyons pas, que par contre, si vous êtes sur la rue, rien ne va plus. Établir un rapport entre la prostitution de rue et la violence et un lieu de commerce très dangereux est un problème très important que nous souhaitons régler. Ce que nous disons, je suppose, c'est que la loi rend la situation des femmes sur la rue plus dangereuse, au lieu de l'améliorer, parce qu'elles sont pressées de se cacher pour ne pas être vues.
Il existe des solutions, et je suis d'accord avec vous, parce qu'en tant que médecin, je vois le problème comme une question de santé publique, comme un problème global. S'ils sont accros à des drogues, ils se prostituent et ils vont se faire exploiter. Donc, tout cela concerne ce dont vous avez parlé, comme les services et le logement.
Ce que je vous entends dire, c'est qu'il existe deux genres de prostitution différents. L'un ne pose pas trop de problème s'il est sans danger, fait dans des endroits discrets, bien annoncé et qu'il n'y a pas de personnes qui traîne sur la rue pour trouver un client ou une prostituée. C'est raisonnable. Si je vivais dans le quartier, je ne voudrais probablement pas qu'elle soit visible moi-même. Vous exprimez certaines choses très clairement.
Toutefois, ce que nous recherchons, c'est une série complète de solutions. On nous a dit qu'en abolissant la disposition sur sur la sollicitation, on pourrait commencer à examiner une série de mesures complètes, la prévention et tout le reste, et que cela accroîtrait la capacité de... Si nous nous penchons sur les lieux où ces femmes pourraient faire leur commerce, on pourrait accroître leur sécurité si elles font leur travail à l'intérieur, dans un endroit de leur choix. Il existe des modèles qui règlent peut-être certains des problèmes dont vous parlez, à condition qu'ils incluent de bons soins de santé, des possibilités de logement, de la formation et qu'on aide ces femmes à sortir du commerce quand elles décident de le faire, toutes ces choses. Vous avez constaté, je crois, que la plupart d'entre nous estiment que ce sont là des choses essentielles.
Si nous n'allons parler que de cette disposition du Code criminel et qu'on veuille la décriminaliser, je ne crois pas que vous aurez l'accord des membres du comité.
Libby et moi avons pendant un certain temps fait partie du comité chargé de la consommation de drogues à des fins non médicales. Le comité a remis un rapport dans lequel il affirmait qu'il ne s'agissait pas simplement de décriminaliser, qu'il fallait parler de prévention, de réduction des préjudices, de traitement, de réhabilitation et ainsi de suite, de toutes les mesures essentielles pour régler le problème. Il existe une tendance, naturellement, à se concentrer sur une seule cause.
½ (1955)
Le président: Madame Fry, venez-en à la question, je vous prie.
L'hon. Hedy Fry: Je n'ai pas de question. C'est une déclaration que je fais. J'entends ces gens parler du problème qui me concerne justement, le fait qu'il y ait deux sortes de commerces différents. L'un est risqué, l'autre cause préjudice. L'un est associé à des drogues et à de l'exploitation, l'autre est mené comme une entreprise.
La solution est-elle de faire de la prostitution une entreprise réglementée et autorisée?
Mme Cheryl Parrott: Nous n'avons pas beaucoup d'expertise dans les autres domaines. Manifestement, le phénomène existe, mais nous n'en connaissons pas vraiment le fonctionnement. Ce que nous connaissons, c'est la prostitution de rue. Nous avons observé le phénomène pendant quinze ans et nous avons essayé de l'analyser. Il est difficile de répondre à cette question parce que nous ignorons les tenants et aboutissants de l'autre, mais nous connaissons bien la prostitution de rue.
J'aimerais seulement faire un commentaire au sujet du fait que les prostituées montent dans les voitures parce qu'elles ont peur de la police. C'est peut-être ce qui se produit ailleurs, mais je ne l'ai jamais constaté dans notre collectivité. En fait, les travailleurs du sexe sautent dans les voitures qui sont immobilisées à des feux de circulation parce que les gens n'ont pas verrouillé leurs portes. Donc, la négociation ne prend pas beaucoup de temps et il n'y avait certainement pas de policiers aux alentours quand j'ai été témoin de pareils incidents. Des gens m'ont dit que les femmes avaient sauté dans la voiture de plusieurs hommes.
M. Jeff Leiper: Quand on surveille la transaction qui a lieu sur la rue, la prostituée semble aussi faire une certaine évaluation. Les échanges ne sont pas pressés; les femmes ne sautent pas tout de suite dans la voiture, en tous cas pas dans les négociations dont j'ai été le témoin.
Je ne crois pas que ce soit la loi qui les incite à sauter dans les voitures. Ce n'est pas la loi qui crée ce modèle de commerce. Ce que c'est...
Je m'excuse?
L'hon. Hedy Fry: Bien des femmes nous l'ont affirmé.
M. Jeff Leiper: Oui. Je vous demanderais de garder à l'esprit également que si vous êtes engagé dans cette activité, vous allez dire au comité parlementaire ce qu'il veut bien entendre pour éviter que l'activité ne soit déclarée illégale.
M. Jay Baltz: Du moins dans notre coin, les femmes qui se prostituent ne sont arrêtées que lorsqu'il y a une descente. Comme la loi interdit la sollicitation, il n'y a aucun moyen de savoir ce que la femme penchée sur le rebord de la fenêtre de la voiture est en train de dire à l'homme au volant, à moins que ce ne soit un policier. Donc, il n'y a pas, du moins dans ce cas-là, d'application de la loi quand de véritables clients prennent des femmes dans leurs voitures.
Quand une opération policière est menée, la personne dans la voiture est un policier. Plus souvent, c'est une policière sur la rue qui ramasse des clients—ce sont habituellement eux qui sont arrêtés. Il n'y a pas vraiment d'opération policière ciblant les clients qui ramassent les femmes sur la rue.
Le président: Madame Fry, je vous remercie beaucoup.
J'aurais deux brèves questions à poser. Selon vous, nous avons besoin de l'interdiction de la sollicitation parce qu'elle permet de mener des opérations policières, la seule chose qui vous donne un peu de répit. Si nous l'abolissons à l'égard du travailleur du sexe et qu'elle ne s'applique plus qu'aux clients, aurez-vous encore la protection dont vous avez besoin? Voilà ma première question.
Ensuite, le problème chez vous est avant tout la consommation de drogues, ensuite la prostitution. Collaborez-vous avec la police pour signaler la présence de piqueries de manière à vous débarrasser du problème de drogue également?
¾ (2000)
M. Jay Baltz: Pas mal tout le temps.
Souhaitez-vous parler de...?
Mme Cheryl Parrott: L'interdiction de la sollicitation? Nous n'avons bien sûr pas discuté de tout cela, mais, pour ma part, l'idée de soustraire les prostitués de l'application de la loi me déplaît, parce que j'estime qu'elle a un gros avantage. À Ottawa, chaque fois qu'il y a une opération policière, les prostitués qui sont arrêtés se font toujours offrir le programme PISTE, un programme analogue à celui des clients, mais pour les femmes. Il s'agit d'une retraite de deux ou trois jours. Elles peuvent y aller autant de fois qu'elles le souhaitent puisque le nombre de fois qu'on peut y avoir recours n'est pas limité. On leur enseigne des compétences, on leur donne de l'aide et on leur offre la possibilité de quitter le commerce du sexe. On me dit que le programme connaît un certain succès.
C'est en ce sens que j'estime que l'interdiction de la sollicitation est avantageuse pour les femmes, parce qu'elle leur offre cette option qu'elles refuseront peut-être, même la quatrième fois, mais peut-être que, la cinquième, elles accepteront.
Le président: Je vous remercie.
Merci de votre exposé. Nous vous en sommes très reconnaissants.
Vous avez offert de nous faire visiter votre quartier, pour ainsi dire. Il me plairait certes d'y aller. J'en parlerai avec les autres membres du groupe pour savoir s'ils aimeraient y aller un soir, très discrètement et très officieusement. Nous pourrions peut-être former de petits groupes si plus d'un membre du comité veut y aller. Nous communiquerons avec vous à cet égard.
À nouveau, je vous remercie d'être venus ici aujourd'hui et je remercie également les dames assises derrière vous. Nous leur savons gré de vous aider à faire votre exposé. Je vous remercie.
Je vais maintenant demander à M. Gilligan de s'avancer. Le comité va suspendre ses travaux pour une minute.
¾ (2002)
¾ (2004)
Le président: Monsieur Gilligan, je crois que nous sommes prêts à continuer. Je vais donc déclarer la séance ouverte à nouveau.
M. Brian Gilligan (consultant, à titre personnel): J'aimerais commencer par vous remercier de me permettre ainsi de témoigner devant vous. J'aimerais aussi vous féliciter de prendre la peine d'étudier cette question. C'est un sujet difficile, mais important.
Je crois savoir, d'après une conservation que j'ai eue avec Libby Davies, que le comité a entendu toute une brochette de témoins lui offrant divers points de vue. C'est bon, car j'espère que cela vous portera à conclure qu'il n'existe pas de facteur unique qui entraîne des hommes et de femmes à se prostituer, qu'il n'existe pas un seul type de travailleur du sexe et certes pas une solution unique.
Je vais vous expliquer brièvement qui je suis. J'ai été au Canada travailleur des services d'approche dans la rue et j'ai aussi été activiste communautaire dans une collectivité qui se trouve en réalité juste à côté de Hintonburg, c'est-à-dire à Somerset West, aux prises avec un problème de commerce du sexe tout au long des années 1990. Je connais donc bien certains des problèmes qui se posent au Canada.
Depuis 2001, je vis à Katmandou, au Népal, où je travaille auprès de plusieurs organismes, y compris de l'UNICEF, de l'ONUSIDA et de Save the Children, à la santé et à la protection de populations vulnérables—en particulier, des travailleurs du sexe. C'est à partir des expériences que j'ai vécues récemment en Asie que j'aimerais vous faire part d'importantes leçons.
Le commerce du sexe en Asie du Sud et en Asie du Sud-Est suscite dans la documentation plusieurs débats actuellement qui gravitent autour de trois grandes dichotomies, selon moi fausses: le trafic versus la migration, la prostitution forcée par opposition au commerce du sexe volontaire; et la question de la prévention, du retrait ou de la réhabilitation du commerce du sexe par rapport au commerce du sexe sécuritaire.
Je dis que les dichotomies sont fausses, parce qu'il faut connaître tous ces points de vue pour comprendre que chacune n'offre qu'un tableau partiel de la situation d'ensemble. Les femmes et les jeunes filles sont obligées de se livrer au commerce du sexe, mais elles choisissent également de le faire, puisque parfois, c'est leur seule option—j'entends par là qu'elles ont le choix de vendre leur corps ou de crever de faim, de vendre leur corps ou de ne pas envoyer leurs enfants à l'école.
Dans mon travail auprès de femmes en Asie du Sud et en Asie du Sud-Est qui ont choisi de faire le commerce du sexe, j'ai entendu des histoires poignantes. Ce sont soit des veuves, soit des femmes abandonnées. Elles fuient les conflits. Elles ont perdu leurs emplois ou celui qu'elles ont ne leur rapporte pas assez pour survivre. Elles ont été violées et ne peuvent donc pas se marier.
La réalité, du moins dans mon coin du monde, dans une culture extrêmement patriarcale, est qu'il existe très peu d'endroits sûrs pour une femme qui n'est pas mariée. Le corps est la seule possession qu'elle peut vendre.
Parmi les programmes et les organismes pour lesquels j'ai travaillé, leur efficacité à protéger la santé et la sécurité des travailleurs du sexe est entravée par plusieurs facteurs. Le premier est la moralité. Selon moi, le débat dénué de sens fait par ceux qui ont le ventre plein et un toit sur la tête est plutôt futile et tourne en rond: le sexe est un crime, donc les travailleurs du sexe sont des criminels; les criminels sont de mauvaises personnes, donc il faut les punir.
Le deuxième facteur est le paternalisme ou le patriarcat: nous savons ce qui est préférable pour ces femmes; elles ont besoin de notre protection; elles sont incapables de prendre des décisions par elles-mêmes; ce sont des victimes.
Le troisième facteur, qui a probablement moins de pertinence au Canada, est celui du nationalisme: notre fierté nationale est compromise; mieux vaut laisser ces femmes mourir de faim que les laisser vendre leurs corps à des hommes dans un pays voisin.
Comme exemple concret des problèmes qu'ont posés des personnes animées de pareils sentiments de moralité, de patriarcat ou de nationalisme, en 2001, en réaction aux préoccupations au sujet des Népalaises travaillant dans des bordels indiens, le gouvernement a adopté une loi antitrafic qui interdisait à toute femme qui n'était pas accompagnée de franchir la frontière. Tout à coup, des femmes ne pouvaient plus franchir une frontière internationale à moins d'être accompagnées par leur époux ou par un parent mâle. Voilà qui illustre bien la mauvaise solution à un problème.
¾ (2005)
Pour les gouvernements de l'ensemble de l'Asie du Sud, les femmes qui franchissent les frontières sont des victimes potentielles du trafic sexuel : on les incarcèrent un grand nombre pour leur bien, on les oblige à suivre des programmes de réadaptation en milieu fermé—dans beaucoup de cas, la réadaptation est fructueuse, croit-on, si la femme a acquis une compétence tout à fait inutile comme le tricot avant de revenir dans la rue; on sort les femmes des bordels pour leur accoler la gentille mention d'ex-prostituée sans leur permettre d'acquérir aucune compétence pour ensuite les retourner dans la rue. Le taux de réussite de ces programmes est incroyablement bas, et toutes les études de suivi montrent que la plupart de ces femmes retourneront ultérieurement dans les bordels.
Il y a également la prostitution pour le compte d'organisations qui trouvent du travail aux prostituées. Je m'explique : dans bien des endroits en Asie du Sud et du Sud-Est, des organisations enlèvent des femmes—elles disent qu'elles les « sauvent »—, les font apparaître à la télévision et disent au monde qu'elles les ont sauvées. Maintenant, tous ne sont pas dupes. C'est afin de collecter des fonds pour le compte de ces organisations. Il y a également les activités qui sont financées par des donateurs pour lutter contre le trafic sexuel et qui se sont toutes révélées complètement inefficaces sauf pour inculquer fermement dans l'esprit de la population le message que femmes et migration égalent à prostitution et séropositivité.
Enfin, certains donateurs et organismes refusent de collaborer avec des travailleuses du sexe afin de rendre leur environnement plus sûr et plus sain, ou refusent même d'utiliser l'expression « commerce du sexe », préférant plutôt employer le terme « prostitution » qui a une connotation morale plus forte. À mon avis, c'est pour ne pas glorifier le commerce du sexe et c'est imputable à la croyance erronée que la prostitution est un problème soluble.
Mon travail me permet de conclure que les femmes vulnérables sont encore plus exposées à l'exploitation, au viol, à la violence sexuelle et aux maladies. Par contre, d'après ce que j'ai constaté en Asie du Sud et en Asie du Sud-Est, reconnaître ou accepter la réalité n'équivaut pas nécessairement à la tolérer, mais cela facilite beaucoup la tâche à ceux qui veulent protéger la vie et le bien-être des travailleuses du sexe.
Qu'est-ce qui est efficace? Je n'ai pas beaucoup d'éléments de réponse, et mes propositions sembleront trop simples et trop banales pour être répétées, mais je suis toujours surpris du nombre de fois où les responsables des programmes et les organisations n'y ont pas recours.
Selon ces responsables, les travailleuses du sexe exercent ce métier pour des raisons diverses qui exigent des réponses diverses. En termes simples, il n'y a pas de réponse universelle efficace.
Deuxièmement, ces responsables doivent s'attaquer à la prévention, aux mesures pour sortir les prostituées de leur milieu et à leur réhabilitation. Ils doivent également se pencher sur les besoins de ces personnes. Il faut donc réduire les préjudices éventuels de la prostitution grâce à des programmes mettant l'accès sur les rapports protégés à la fois pour le travailleur du sexe et son client. Nous avons notamment appris en Asie qu'il ne suffit tout simplement pas de distribuer des condoms aux prostitués. Vous devez également conscientiser les personnes qui sont leurs clients. Il est tout simplement inefficace de demander à l'élément le plus faible de l'équation d'obliger le port du condom.
Nous devons mieux protéger la vie et le bien-être des travailleuses du sexe. Il faut élaborer des programmes qui n'infantilisent pas les femmes et qui ne les traitent pas uniquement comme des victimes.
Enfin, il faut des programmes permettant de demander aux travailleurs du sexe quels sont leurs besoins et de les mettre à contribution dans la définition de ces besoins ainsi que dans l'élaboration, la mise en oeuvre et l'évaluation des différentes mesures. En Asie et en Afrique, employer les travailleurs du sexe actuels et anciens pour conseiller et éduquer les prostituées est une solution qui est non seulement rentable mais efficace. Nous pouvons en apprendre beaucoup en demandant aux travailleurs du sexe quels sont leurs besoins et, si nous sommes prêts à les écouter, leurs réponses nous éclaireront généralement beaucoup.
Si nous n'assurons pas la protection des travailleurs du sexe et si nous ne voulons pas aller les rencontrer là où ils vivent, nous les amènerons à être plus exposés à l'exploitation, à la violence et aux maladies. À moins que nous leur demandions ce dont ils ont besoin et que nous les mettions à contribution dans la recherche de solutions à cet égard, nos interventions seront toujours inefficaces et parfois dangereuses.
Je vous remercie.
¾ (2010)
Le président: Merci, monsieur Gilligan.
Monsieur Hanger, vous disposez de sept minutes.
M. Art Hanger: Vous avez entendu le témoignage de l'Association communautaire Hintonburg. Dans quelle catégorie rangez-vous ses membres dans le présent débat. Les bien-pensants, les tenants du patriarcat ou les partisans du nationalisme? Quel était leur message?
¾ (2015)
M. Brian Gilligan: Ils n'appartiennent pas nécessairement à l'une de ces trois catégories, parce que je comprends également que la prostitution de rue peut être perturbante. Je m'occupe principalement de la prostitution dans les bordels. Il s'agit d'une activité différente. C'est là ma réponse.
M. Art Hanger: J'ai décelé chez ces membres qu'ils se souciaient aussi beaucoup des filles et de la forte consommation de drogues par les prostituées de la rue. En fait, c'est ce qui les fait fonctionner, et les vendeurs de drogues, qui sont en général le lien entre le crime organisé et la prostitution, veillent à ce que les prostituées demeurent esclaves de cette habitude de façon à continuer de récolter de l'argent.
Les lois sur le racolage constituent le thème de l'examen effectué par le comité. D'après les témoignages entendus, ces lois sont un moyen de mettre un frein à ce genre d'activité dans la rue et, sans elles, le phénomène serait tout à fait incontrôlable. Il faut également une façon établir un contact avec les travailleurs du sexe et leur offrir un traitement, car nous ne leur proposons parfois aucun traitement pour remplacer l'aide que leur apportent leurs proxénètes et qui se résume à leur fournir de la drogue.
Proposez-vous d'annuler les lois sur le racolage?
M. Brian Gilligan: Vous avez posé plusieurs questions. Je m'attacherai à un aspect. Vous avez employé le terme « offrir ». Nous savons notamment que les cures de désintoxication obligatoires sont inefficaces. Que vous soyez en Europe ou en Amérique du Nord, donner à quelqu'un le choix entre une cure de désintoxication obligatoire ou la prison n'est pas une solution efficace. Les gens doivent être prêts à accepter le traitement selon leurs propres conditions. Je suis sûr que vous avez consulté des psychologues et peut-être des spécialistes en désintoxication. Ils vous le confirmeront.
Je crois qu'il faut en arriver à un compromis. Vous ne protégerez pas les femmes en les rendant plus vulnérables, ni en les enfonçant dans la clandestinité, car c'est ce que vous ferez.
M. Art Hanger: Il ne faut pas...
M. Brian Gilligan: Un instant, laissez-moi terminer ma réponse.
Une répression rigoureuse les amènera à travailler ailleurs : dans les terrains vagues et les zones industrielles. Elles seront plus vulnérables. Cette solution ne sera pas efficace. Parallèlement, les collectivités ont le droit de vivre en paix sans être exposées à la violence ou au désordre. C'est vraiment une question que vous devez trancher : comment conjuguer le mieux ces deux intérêts.
Cependant, une répression rigoureuse de la prostitution de rue ne vous offrira pas nécessairement une solution utile. Obliger les gens à suivre des programmes contre leur gré ne vous aidera certainement pas.
M. Art Hanger: Nous avons beaucoup entendu parler du rôle joué par les drogues dans la prostitution de rue, ce à quoi je souscris. C'est une question avec laquelle je suis familier. Quelle solution proposez-vous? Des fumeries de crack? Les témoins qui vous ont précédé et dont vous avez entendu les témoignages ont indiqué clairement que les filles travaillent à proximité des fumeries. Si celles-ci déménagent, les filles feront de même. Depuis toujours, c'est ainsi que les choses se passent entre les pourvoyeurs et les consommateurs de drogues, quelles que soient les activités qu'ils choisissent. Quelles mesures adoptons-nous par rapport à la drogue?
Le président: Avant que vous ne répondiez, puis-je vous demander de baisser l'autre micro? Avec l'eau qui coule, nous ne pouvons apparemment pas le fermer. Nous ne voulons pas que vous receviez une décharge.
Vous pouvez répondre maintenant, monsieur Gilligan.
M. Brian Gilligan: En Asie du Sud, la majorité des travailleurs du sexe n'utilisent pas les drogues injectables, mais ils sont nombreux à le faire en Asie du Sud-Est. Ces deux aspects sont difficilement dissociables, mais je crois qu'ils sont différents dans une certaine mesure.
Je le répète, vous ne résoudrez pas le problème de la toxicomanie en pourchassant les prostitués de la rue. Grâce à mes amis au sein de la force policière d'Ottawa, je suis également au courant des difficultés qu'on éprouve à fermer une fumerie de crack, de toutes les étapes nécessaires pour y parvenir et du fait que, dès qu'une fumerie est fermée, il est relativement facile d'en ouvrir une autre ailleurs. Je ne suis pas sûr d'avoir une réponse à votre question sur les drogues.
Lorsque j'habitais dans l'ouest de la rue Somerset, j'ai travaillé de concert avec l'Association communautaire Hintonburg et d'autres associations afin d'amener la province à offrir davantage de lits de désintoxication; leur nombre est incroyablement bas. De plus, non n'avons pas suffisamment de programmes destinés aux utilisateurs de drogues, qu'il s'agisse de programmes à court terme ou à long terme, de programmes médicaux ou non ou encore de programmes de désintoxication.
Nous ne pouvons pas offrir suffisamment d'aide aux gens une fois qu'ils ont terminé ces programmes. La tendance est souvent la suivante: les gens terminent un programme; ils se retrouvent dans leur même logement et leur même milieu; ils rechutent immédiatement. Je ne crois pas que ces problèmes sociaux disparaîtront d'eux mêmes. Il faut s'y attaquer.
Il y aura une nouvelle génération de clients, une nouvelle génération de travailleurs du sexe et une nouvelle génération de toxicomanes. Cependant, que faisons-nous? Investissons-nous suffisamment pour réduire au maximum les préjudices que les prostitués s'infligent et qu'ils causent à leur collectivité? Je ne le crois pas.
¾ (2020)
M. Art Hanger: Les témoignages ont souvent fait ressortir que, en raison du droit pénal—et la prostitution en tant que telle n'est pas vraiment illégale, c'est plutôt le racolage qui l'est—, la communication stigmatise les filles, non pas pour l'acte en tant que tel mais bien pour la criminalité en découlant. Croyez-vous que cela soit exact?
M. Brian Gilligan: Comme dans bon nombre d'autres cultures, nous avons beaucoup d'idées paradoxales et bizarres au sujet du sexe. J'ignore donc si les gens sont stigmatisés parce qu'il s'agit d'une activité criminelle ou simplement parce que nous avons de la difficulté à parler de ce sujet.
M. Art Hanger: Revenons à la consommation de drogues et aux filles qui sont impliquées... Vous êtes un activiste de rue. Vous avez indiqué dans votre...
M. Brian Gilligan: Un activiste communautaire.
M. Art Hanger: Effectivement, vous êtes un activiste communautaire. Vous avez beaucoup travaillé auprès des prostitués et...
M. Brian Gilligan: J'ai travaillé beaucoup avec les communautés.
M. Art Hanger: Vous avez effectivement travaillé énormément avec les communautés, mais vous avez également beaucoup intervenu auprès des travailleurs du sexe.
M. Brian Gilligan: Effectivement, je suis un travailleur d'approche qui intervient auprès des travailleurs du sexe à Ottawa.
M. Art Hanger: Très bien.
Les filles qui consomment de la drogue veulent-elles faire ce qu'elles font, je parle de la majorité d'entre elles, ou croyez-vous qu'elles le font uniquement à cause de la drogue?
M. Brian Gilligan: Je ne pense pas que quiconque souhaite faire ce travail et cela vaut même pour les personnes qui ne consomment pas... En fait, il y a peut-être des exceptions, mais... Il s'agit selon moi d'une solution qui s'offre aux personnes qui ne sont pas des toxicomanes. J'ai rencontré de nombreuses mères seules qui m'ont dit simplement qu'avec un travail au salaire minimum, elles ne peuvent pas donner à leur progéniture l'enfance qu'elles souhaiteraient leur offrir, ou ne peuvent ni nourrir ni vêtir trois enfants. Et c'est certes la situation que je constate en Asie du Sud.
Vouloir? Ce terme est en quelque sorte lourd de sens. Elles ne s'exclameront pas de joie « Je vends mon corps à un étranger! » C'est...
M. Art Hanger: Je penserais que ce n'est pas quelque chose qu'elles choisiraient nécessairement de faire, s'il n'y avait pas la drogue.
M. Brian Gilligan: Ou s'il n'y avait pas la pauvreté.
Je ne veux pas être désinvolte, mais ce n'est pas comme choisir entre faire cela et aller manger dans un restaurant. C'est plutôt un choix entre faire cela et ne pas manger, faire cela et ne pas avoir sa dose de drogue, ou faire cela et ne pas payer les frais de scolarité des enfants. Ont-elles donc un choix? Je dirais que la survie est leur seul choix.
M. Art Hanger: La prochaine dose de drogue est leur seul choix.
M. Brian Gilligan: Effectivement, si nous définissons très largement le terme « choix ».
Le président: Merci.
Madame Brunelle.
¾ (2025)
[Français]
Mme Paule Brunelle: Bonsoir, monsieur. Merci d'être nous rencontrer.
Je trouve intéressant que vous nous parliez de moralité et d'attitude paternaliste. Évidemment, un des défis importants de ce comité sera de modifier les lois tout en s'assurant que les mentalités soient prêtes à accepter ses recommandations. Il est important de se rappeler qu'on doit toujours envisager ceci avec beaucoup d'ouverture d'esprit.
Vous semblez avoir une expertise sur le plan international. On entend plusieurs choses concernant la mondialisation de l'industrie du sexe. Savez-vous quelle est la situation au Canada? Y a-t-il ici des prostituées qui viennent de l'étranger et qui vivent dans des conditions difficiles? Avez-vous entendu parler de cela? Avez-vous vu de tels cas? Est-ce que la prostitution est vraiment entre les mains du crime organisé dans ces cas-là? Y a-t-il un vaste réseau?
[Traduction]
M. Brian Gilligan: Mon expérience auprès des travailleurs du sexe au Canada remonte à environ sept ans. La majorité des travailleurs du sexe d'alors étaient nés au Canada, même si un nombre disproportionné d'entre eux étaient des Autochtones. Ceux qui n'étaient pas nés au Canada étaient des réfugiés et éprouvaient beaucoup de difficultés à subvenir à leurs besoins.
Je ne possède pas de renseignements précis sur le trafic des femmes qui arrivent au Canada pour y devenir des travailleuses du sexe, même si la situation des Européennes de l'Est qui sont ici des danseuses érotiques pourrait nécessiter un examen un peu plus poussé. Le trafic de femmes de l'ancienne Union soviétique et de l'Asie centrale qui deviennent des travailleuses du sexe en Europe de l'Ouest est assez bien établi.
[Français]
Mme Paule Brunelle: Nous ne souhaitons certainement pas que le Canada devienne une destination touristique sexuelle, comme certains pays d'Asie. Avez-vous une idée de la façon dont cela a pu se développer en Asie? Est-ce que ces femmes ont une mentalité qui leur permet d'accepter cela, ou ont-elles simplement besoin de se sortir de la pauvreté?
[Traduction]
M. Brian Gilligan: À ce que je sache, les pays qui sont une destination de tourisme sexuel avaient auparavant une industrie du sexe assez florissante. Des Européens se rendent en Thaïlande pour profiter du tourisme sexuel, mais un nombre encore plus élevé de Thaïlandais ont recours au service des travailleuses du sexe de leur pays.
Je doute que le Canada appartienne un jour à cette catégorie, à cause du mode de fonctionnement adopté par ces industries en raison de l'absence de lois et de la corruption assez généralisée des institutions nationales, dont la forces policières, qui peuvent être achetées. Je ne pense pas que le Canada soit vraiment aux prises avec un tel problème.
Le trafic peut également ne pas être uniquement à des fins d'exploitation sexuelle. Je crois comprendre qu'il y a passablement de trafic d'enfants qui viennent de l'Afrique ou du Moyen-Orient et dont on se sert comme travailleurs domestiques en Angleterre.
Il existe donc plusieurs raisons expliquant cette migration.
Nous avons récemment été témoins d'une autre forme de trafic impliquant le crime organisé qui faisait entrer au Canada des Chinois pour y travailler dans des conditions d'emploi médiocres. Il s'agit d'une migration clandestine à but lucratif. Cependant, je ne pense pas que le Canada doive craindre de devenir une destination de tourisme sexuel.
Le président: Merci.
Madame Davies.
Mme Libby Davies: Merci infiniment d'avoir comparu. Je sais que vous avez acquis une certaine expérience ici, à Ottawa. Cela est très utile, mais je pense en fait que ce qui est vraiment intéressant, ce sont vos connaissances sur la situation dans les autres pays. Nous insistons surtout sur ce qui se passe au Canada, mais la question du trafic international s'est posée pour les membres du comité et certains témoins. Nous devons notamment essayer de saisir ce qui se passe dans ces pays et de déterminer les recommandations que nous pourrions retenir quant aux répercussions éventuelles sur le Canada. Votre témoignage est très utile.
Ma question porte... Vous avez parlé du trafic, et je suppose que vous donniez une définition lorsque vous avez dit qu'il s'agit d'une migration clandestine à but lucratif. Cela implique vraisemblablement que le tout est organisé. Je trouve que certains de ces termes sont employés à tort et à travers et que les définitions ne sont pas très précises. Vous pourriez peut-être nous donner une définition de ce qu'est, selon vous, le trafic et par la suite... S'agit-il d'une migration qui est essentiellement une activité organisée ou s'agit-il d'initiatives personnelles— peut-être dans la majorité ou dans la minorité des cas, je l'ignore?
Je vous le demande parce que, lorsque nous nous penchons sur la situation au Canada, nous constatons qu'il existe de nombreux mythes. Je pense qu'il est très courant de croire que tout est contrôlé ici par les proxénètes et le crime organisé, mais de nombreux travailleurs du sexe nous ont dit que ce n'est pas le cas.
Je suis très curieuse de savoir premièrement comment vous définissez le trafic et deuxièmement quelle est l'ampleur de celui-ci. S'agit-il essentiellement d'une activité organisée qui est très coercitive et très violente à des fins d'exploitation ou s'agit-il également...? Vous avez employé le terme « migration ». Implique-t-il qu'il s'agit davantage d'initiatives personnelles, c'est-à-dire que les femmes décident de passer du pays A au pays B pour s'adonner à la prostitution, que nous utilisions le terme « choix » ou non?
J'Ignore si vous saisissez ma question, mais je cherche à obtenir une définition plus précise.
¾ (2030)
M. Brian Gilligan: Il existe plusieurs définitions de trafic. Je proposerais à ceux qui veulent en apprendre davantage à ce sujet de consulter le site www.childtrafficking.com. Il s'agit d'un site qui a été créé par Terre des hommes, une ONG suisse qui travaille essentiellement auprès des enfants. Le site est un carrefour d'échange sur les questions liées au trafic, à la prostitution et à la migration. Il n'y a pas que le trafic d'enfants.
Il s'agit d'une question de niveau : il y a le trafic pur et dur, le trafic modéré et la migration. Le trafic pur et dur est bien organisé. Il implique habituellement des représentants du gouvernement en aval et/ou en amont. Le tout est très structuré, les tarifs sont fixés et des contrats très clairs sont passés entre les gens qui trouvent les femmes dans un village, les transportent dans un autre lieu, leur montrent éventuellement comment franchir la frontière, les amènent dans un autre pays et les répartissent dans les bordels, les usines ou ailleurs.
Le trafic modéré est beaucoup moins structuré. À tout le moins en Asie du Sud, c'est le mode de trafic visant la plupart des femmes. Prenons l'exemple d'une travailleuse du sexe qui revient de son bordel à Mumbai en disant : « Viens, tu peux faire passablement d'argent.» Il peut s'agir également d'une personne apparentée qui encourage une femme à se rendre dans un autre pays pour y vendre son corps. Le résultat est le même, mais ce trafic n'est pas aussi structuré et il y a moins d'intervenants.
Il y a enfin la migration. Quel que soit son motif, une femme peut décider de s'adonner à la prostitution et de franchir une frontière à cette fin. L'un des problèmes que j'ai constaté par rapport à toutes les mesures de lutte contre le trafic, c'est que celles-ci font en sorte que les femmes qui franchiraient une frontière licitement le font illicitement, car elles ne peuvent plus le faire en toute sécurité sans risquer d'être détenues. C'est quelque peu ironique de passer deux ans dans un établissement de détention provisoire en Inde pour ne pas devenir prostituée. Deux ans dans un tel établissement équivalent à toute une vie, et cela est censé être pour votre bien. Il y a donc effectivement différents niveaux de trafic.
Vous avez soulevé antérieurement un point à propos des proxénètes. Lorsque j'étais un travailleur de rue, j'ai rencontré quelques proxénètes. La plupart des prostituées travaillaient pour eux. Dans le meilleur des scénarios, une prostituée travaille pour son ami de coeur : un proxénète, une prostituée. Mais j'ai également vu des hommes portant des complets tape-à-l'oeil et conduisant des Cadillac blanches diriger un réseau d'une vingtaine de femmes. Une telle situation est possible, mais je n'en ai jamais été témoin à Ottawa.
¾ (2035)
Mme Libby Davies: Me reste-t-il du temps?
Le président: Oui.
Mme Libby Davies: Je pense que le Canada a adhéré à divers accords internationaux. C'est l'aspect dont je suis le moins au courant. J'ignore donc s'il est vrai qu'il existe différents traités. M. Fry en est peut-être au courant. La migration sur une initiative personnelle est-elle tendance qui prend de l'ampleur? Qu'est-ce qui augmente et qu'est-ce qui diminue? Êtes-vous en mesure de nous donner une idée approximative?
M. Brian Gilligan: J'ignore lequel des trois niveaux de trafic—trafic pur et dur, trafic modéré et migration—fluctue. Attendez un instant, je pense qu'il y a beaucoup de documentation à cet égard. Nous qualifions toutes ces personnes de victimes du crime organisé. En fait, il s'agit dans bien des cas de femmes pauvres qui prennent les moyens pour survivre et nourrir leurs enfants.
Mme Libby Davies: Je suppose alors que la responsabilité incombe... C'est en partie le pays d'où elles viennent, qui dispose de règles régissant le franchissement des frontières, mais également le pays d'accueil ou la destination par rapport au nouvel environnement de ces femmes.
Quelle est, d'après vous, la situation au Canada? Notre industrie du sexe est-elle florissante, par rapport au trafic de femmes qui arrivent peut-être sur la côte Ouest en provenance de l'Asie? Avez-vous des renseignements à ce sujet?
M. Brian Gilligan: Non. J'ai été absent du Canada ces quatre dernières années.
Le président: Madame Fry.
L'hon. Hedy Fry: J'aimerais commenter ce que Libby a dit. Condition féminine a réalisé certains travaux à ce sujet. La problématique est liée à la migration et à la situation des « femmes qui essaient d'obtenir une meilleure qualité de vie ».
Dans certains pays d'Europe de l'Est, lorsque le mur est tombé, bon nombre de femmes n'avaient pas d'emploi. Il n'y avait rien pour elles. Elles vivaient dans des circonstances absolument terribles. D'autres ont vu le besoin et ont dit « Nous pouvons vous envoyer au Canada, où vous pourrez travailler comme danseuses exotiques ou je ne sais quoi ». Beaucoup de femmes sont arrivées ici pour se rendre compte qu'elles devaient notamment se prostituer.
Un grand nombre de ces femmes ont été interviewées par l'Université York et certains universitaires qui effectuaient le sondage. Elles ont répondu que lorsqu'elles sont arrivées ici et qu'elles ont découvert ce qu'elles devaient faire, elles ont jugé que leur qualité de vie ici était préférable, malgré tout, à ce qu'elles connaîtraient si elles retournaient chez elles. Je crois que vous dites la même chose, qu'il est difficile de parler de choix lorsque les choix sont relatifs. Lorsque vous êtes bien logé, que vous avez un diplôme et que vous pouvez faire quelque chose, vous avez beaucoup plus de choix que si vous n'avez absolument rien et que la seule chose que vous pouvez vendre, c'est votre corps, qui devient une marchandise.
Je redoute un peu l'aspect moralisateur, parce que nous jugeons les gens sans avoir vécu ce qu'ils vivent et sans savoir ce que c'est. Nous n'avons que quelques renseignements sur des personnes qui proviennent de certaines parties du monde.
Ce que vous dites est très intéressant parce que vous reprenez ce que bon nombre de femmes nous ont dit, c'est-à-dire que très peu d'entre elles travaillent pour des proxénètes; elles travaillent pour elles-mêmes. J'imagine que si vous dites que vous travaillez pour votre ami de coeur ou votre époux... Nous pourrions penser beaucoup de choses à propos des hommes qui restent assis à boire de la bière pendant que leur femme les sert. Ce n'est pas seulement les femmes que l'on trouve dans l'industrie du sexe qui travaillent pour garder quelqu'un.
Ce que j'ai trouvé très intéressant, c'est lorsque vous avez parlé de tout l'éventail de solutions. Vous avez demandé « Que faisons-nous? ». Vous avez dit qu'il n'y avait pas de solution unique. C'est sur cet aspect que j'aimerais préciser ma pensée. Je ne vois pas de solution unique. Je vois des mesures de prévention. Je vois la réduction des méfaits dans le sens le plus large, pour assurer la protection des femmes. Je vois qu'il faut offrir des possibilités de réhabilitation.
Il y a aussi un faible pourcentage de femmes qui nous disent—comme à Montréal—écoutez, j'ai un diplôme et je crois que je peux vivre une vie plus palpitante et faire beaucoup plus d'argent dans ce métier qu'en étant travailleuse sociale. Cette personne a fait un choix relatif également.
À mon avis, vous avez soulevé un point très important en disant qu'il y avait de nombreuses réponses. Si nous abordons la question du point de vue de l'application de la loi, c'est ce qu'un groupe de gens dirait—que les résidents qui souhaitent vivre dans un quartier sécuritaire ont un problème particulier.
Pour les députés, le défi est de taille, parce qu'il faut composer avec les difficultés qu'éprouve un résident de quartier. Il faut composer avec la sécurité des collectivités, avec la sécurité des travailleurs. Il faut faire en sorte que les femmes ont de meilleurs choix. Il ne s'agit pas de prendre une décision très restrictive, mais de regarder comment la société serait mieux servie si on attribue des ressources au logement, à la prévention, à la formation et à toutes ces autres choses—la réduction des méfaits—et si on aide les femmes qui font ce métier à le faire dans la dignité. Je crois que c'est là le véritable enjeu.
Tout ce que vous pouvez nous dire qui nous aidera à définir notre perspective globale concernant l'ensemble des personnes concernées—les résidents, les femmes... Ce que nous devons faire essentiellement, c'est faire en sorte que la situation soit vivable pour tout le monde et essayer d'améliorer la vie des gens. Ça ne sert à rien d'être péjoratifs et de dire que les travailleurs du sexe ont moins de valeur que d'autres ou que vous ne voulez pas les comparer aux gens normaux, honnêtes ou ordinaires. C'est très péjoratif.
Je m'empresse de dire, si je peux me permettre une légère digression religieuse, que le Christ a fréquenté une prostituée pendant longtemps et qu'il a dit aux gens de ne pas la juger.
Je crois vraiment que nous devons nous abstenir de porter des jugements et commencer à parler de ce que nous, les parlementaires, devons faire pour nous attaquer à toute cette question et trouver des solutions de portée générale, qui ne peuvent être restrictives.
Si vous avez quelque chose à ajouter à ce que vous nous avez déjà dit, j'aimerais l'entendre, pour ce soit sur les zones réservées, les entreprises, la décriminalisation, la réglementation, etc.
¾ (2040)
M. Brian Gilligan: Différentes choses ont donné des résultats dans différents pays, et je ne sais pas si elles sont politiquement acceptables au Canada.
Mon travail auprès des travailleurs du sexe est beaucoup axé sur la santé publique. Il s'agit de limiter la propagation de maladies, que ce soit par des relations sexuelles non protégées ou l'utilisation de drogues injectables lorsque les travailleurs du sexe ont des clients toxicomanes.
La Thaïlande a fait un travail incroyable et a réussi à faire chuter le taux de VIH chez les travailleurs du sexe en intervenant dans les bordels. Par l'intermédiaire du ministre de la Santé Mechai, et de concert avec la police, au début des années 90, les autorités ont fait appliquer une politique sur l'utilisation obligatoire du condom dans tous les bordels. Si vous vouliez que votre bordel existe—et il se trouvait dans une zone juridique plutôt floue pour commencer—, si vous ne vouliez pas que des descentes soient effectuées toutes les semaines et que tout le monde se retrouve en prison, vous deviez obliger le port du condom. Cette politique a très bien fonctionné. Toutefois, les solutions ne durent pas longtemps.
Un des problèmes auxquels la Thaïlande doit faire face maintenant, c'est l'arrivée de réfugiées birmanes, des travailleuses du sexe qui travaillent à l'extérieur des bordels, qui font moins d'argent et qui peuvent plus facilement être contraintes à avoir des relations sexuelles non protégées. La Thaïlande doit logiquement trouver une solution à l'égard de ces femmes.
Par ailleurs, la Thaïlande a abandonné la partie devant l'utilisation de drogues injectables. Bien que l'utilisation de drogues injectables ait continué d'augmenter dans les années 90, les autorités thaïlandaises ont adopté une ligne très dure, l'abstinence ou rien—ou plutôt, au cours des dernières années, l'abstinence ou la mort—, si l'on tient compte du nombre d'utilisateurs de drogue qui ont été tués par la police. Tous les gains réalisés grâce au port obligatoire du condom dans les bordels sont maintenant perdus à cause de l'arrivée des prostituées birmanes moins coûteuses, et aussi en raison de l'incapacité à faire face au nombre de toxicomanes qui s'injectent des drogues.
Dans l'État de Tamil Nadu, en Inde, on a réussi à faire appliquer le port obligatoire du condom. La police joue un rôle de premier plan à cet égard.
Ce sont toutes ces choses que nous savons. Il faut des équipes multidisciplinaires. Il faut que les divers ministères concertent leurs efforts. Il faut du leadership. Ce sont là les choses qui fonctionnent. Ce n'est rien de nouveau et rien dont vous n'avez jamais entendu parler. C'est tout simplement très difficile à faire.
Le président: Votre temps est écoulé, Dr Fry. C'est tout.
L'hon. Hedy Fry: Mon temps est écoulé, dites-vous? Je croyais que vous aviez dit que j'avais encore du temps. Je suis désolée.
Le président: Monsieur Hanger.
M. Art Hanger: Merci, monsieur le président.
Monsieur Gilligan, vous avez dit au tout début que le débat de moralité était inutile. Voilà une déclaration intéressante compte tenu du fait que notre règle de droit, et même notre réglementation, repose en grande partie sur une norme sociétale. Pourquoi dites-vous que c'est un débat inutile?
Mme Fry a dit que le Christ fréquentait une prostituée. Je ne sais pas quelle Bible elle a lue, mais ce n'était certainement pas la bonne. Cela étant dit, c'est d'une question de moralité dont nous parlons ici.
Vous êtes d'avis que la communauté en général n'a pas vraiment de rôle à jouer dans l'établissement des normes qui peuvent transpirer dans nos lois. Comment pouvez-vous dire pareille chose? Je suis très intrigué par votre déclaration, parce que nous devrons certainement soupeser cela.
¾ (2045)
M. Brian Gilligan: Je travaille avec des populations vulnérables depuis une bonne quinzaine d'années. J'ai appris très tôt que je devais mettre mes propres sentiments de côté. J'ai mes propres valeurs morales et mes propres croyances, mais je dois en faire abstraction si je dois travailler auprès d'une personne vulnérable—une personne que vous pourriez qualifier de mauvaise—, sinon je n'irai nulle part. Je ne serai pas utile, et si je ne peux pas être utile, ces personnes vont continuer à vivre cette vie.
Le mieux que je peux faire, c'est de rencontrer ces personnes là où elles se trouvent dans leur vie, leur donner des options plus positives pour vivre leur vie et les aider à prendre de bonnes décisions, mais je ne suis certainement pas là pour les juger. À 43 ans, j'ai appris qu'il ne me sert à rien de porter des jugements.
M. Art Hanger: Je comprends cela. À mon avis, quiconque cherche à aider quelqu'un doit nécessairement mettre ses jugements de côté, et si vous voulez bien faire, c'est très louable de faire abstraction de tout cela.
Toutefois, nous parlons d'une norme sociétale ici. En d'autres termes, nous parlons de l'engagement de la collectivité. Vous parlez d'agir indépendamment de la collectivité, et c'est impossible. Nous ne pouvons pas agir ainsi et nous ne pouvons pas légiférer de cette façon, parce que la collectivité, comme on l'a vu par le passé, concernant les lois sur le racolage, a déploré la façon dont le législateur avait agi et a exigé que quelque chose soit faite, ce qu'elle est en droit d'exiger parce qu'elle fait partie du processus.
M. Brian Gilligan: Je dirais, et je l'ai déjà dit auparavant, que vous avez fait une erreur de logique. Je suis un membre d'une collectivité. Je suis une personne, comme chaque personne qui n'était pas d'accord avec moi lorsque j'étais activiste dans le quartier Somerset Ouest. Je ne suis pas d'accord pour dire qu'il existe une collectivité, une norme sociétale, une seule communauté, un seul ensemble de valeurs morales. Je ne suis pas de cet avis. Les normes sociétales changent. Elles changent parce que les gens dans les communautés changent. Elles changent à cause des pressions de l'extérieur. Elles changent avec le temps. Nous acceptons beaucoup de choses aujourd'hui que nous n'aurions pas acceptées il y a 10 ou 20 ans.
Dire qu'il y a une communauté, d'une part, et qu'il y a moi, d'autre part, et que je ne suis pas en harmonie avec la communauté, eh bien, je pourrais dénicher beaucoup de personnes dans la communauté qui seraient d'accord avec moi. Je pourrais en dénicher beaucoup d'autres qui seraient en désaccord avec moi. Alors les normes sociétales, c'est quoi? La loi peut-elle rendre ces normes exécutoires, et est-ce bien ce que nous souhaitons? Les communautés ne sont pas toujours des endroits plaisants, accueillants, positifs et progressistes. Elle peuvent souvent être méchantes et vindicatives. Vous avez entendu l'expression « pas dans ma cour »; ce n'est pas l'expression d'une communauté progressiste, englobante et chaleureuse.
Je n'ai pas répondu à votre question, mais je ne crois pas que je suis d'accord avec vous.
Le président: Monsieur Hanger, votre temps est écoulé.
Madame Brunelle.
[Français]
Mme Paule Brunelle: Ce comité a pour mandat d'assurer la sécurité des prostituées et des milieux, entre autres. Nous savons qu'il y a beaucoup de violence envers les femmes prostituées. Il y a eu des meurtres, etc. Vous nous avez dit qu'on manquait d'organisations et de programmes de réhabilitation et de sécurisexe. Voyez-vous d'autres façons d'assurer la sécurité des prostituées et des communautés?
¾ (2050)
[Traduction]
M. Brian Gilligan: Ça dépend du type de travailleuse du sexe dont vous parlez. Je crois que Hintonburg a parlé amplement des prostituées de la rue. Il est certain que si vous êtes toxicomane et que vous êtes dans la rue, vous êtes difficile à protéger parce que vous êtes en marge de la société. Il n'y a aucune place pour vous.
J'ai travaillé auprès de travailleurs du sexe, en particulier ce type de travailleurs du sexe, et ce n'est pas facile d'aider cette population. La situation est d'autant plus difficile que les programmes sont insuffisants, que les seules interventions à l'heure actuelle semblent être celles de la police.
J'aimerais faire une remarque rapide. Lorsque j'étais à Vancouver l'été dernier, j'ai été témoin d'un incident plutôt inhabituel. Je n'avais jamais vu pareille chose dans une autre ville du Canada. Quelqu'un s'est évanoui dans une rue de Vancouver East. Dans la plupart des autres villes, on aurait appelé la police, les policiers seraient arrivés sur les lieux, la personne aurait été menottée, embarquée et conduite au poste, où elle aurait dégrisé. À Vancouver, il semble y avoir des intervenants intermédiaires. Ce ne sont pas des ambulanciers, mais des travailleurs paramédicaux qui travaillent avec un centre de désintoxication et qui vont chercher la personne et l'amener à cet endroit.
Je ne sais pas exactement qui pourrait être dépêché auprès d'un travailleur du sexe qui travaille dans la rue. Mais quels sont nos choix à l'heure actuelle? Appeler la police ou laisser faire les choses. Vous tous qui nous regardez d'en haut, je suis certain que vous pouvez trouver autre chose à faire que de les ignorer ou de les poursuivre en justice.
[Français]
Mme Paule Brunelle: Merci.
[Traduction]
Le président: Merci, madame Brunelle.
Madame Davies.
Mme Libby Davies: Je peux voir qu'il s'agit d'une bataille pour vous. Je ne sais pas qui sont tous ceux qui vous regardent d'en haut, mais je crois que vous avez bien expliqué la problématique des prostituées de la rue. Il y a peut-être une solution intermédiaire. Je ne sais pas, peut-être que non.
J'aimerais revenir à ce que M. Hanger a dit et à votre réponse au sujet des normes sociétales. J'aurais tendance à croire également qu'il peut s'agir de choses différentes pour différentes personnes. Mais lorsque nous abordons la question de l'industrie du sexe, il me semble que pour établir des distinctions sur ce que nous faisons et ce que nous visons, il faudrait se demander si des torts sont commis ou non.
Tout cela se tient. Certaines personnes estiment que cette activité est nocive et qu'elle favorise l'exploitation et qu'il faut donc y mettre un frein. Je crois toutefois qu'on peut réagir autrement en essayant de définir quels sont les torts causés et comment faire pour les atténuer. Cette approche pourrait, je crois, s'inscrire dans une norme sociétale, parce qu'il s'agit alors du bien-être et de la sécurité d'un groupe de personnes, qu'on ne tente pas de promouvoir aux dépens d'un autre. Vous ne voulez pas promouvoir la sécurité et le bien-être des travailleurs du sexe et exposer une communauté à des risques et à des méfaits. Vous ne voulez pas d'une situation inverse non plus. Vous cherchez donc une façon d'atténuer ces méfaits pour produire une norme sociétale. Même les gens de Hintonburg ont dit que ça ne les dérangeait pas vraiment si on n'agissait pas dans la rue et qu'on ne créait aucun problème. Ce qu'ils déplorent, c'est lorsque l'impact est visible dans la communauté.
Alors, la question que j'ai—et elle a peut-être une portée internationale aussi, mais certainement locale—est la suivante : quel serait, selon vous, le rôle de la loi? C'est le principal outil qu'on a utilisé jusqu'à maintenant. L'application de la loi a été le principal outil que nous avons utilisé, en tant que société, pour traiter de ce problème.
Si nous essayons maintenant de concevoir quelque chose de différent, y a-t-il une place pour l'application de la loi, ou comment faudrait-il changer les choses? C'est là une des questions que nous avons devant nous, à savoir s'il faut révoquer la loi et, dans ce cas, avec quoi nous la remplaçons. Voilà la question, et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.
¾ (2055)
M. Brian Gilligan: Il doit bien y avoir moyen de gérer la perturbation sociale dans la rue (le bruit, la violence) sans vulnérabiliser encore plus ces femmes, sans les forcer à se déplacer vers un endroit encore plus isolé. Dans votre circonscription, ces femmes travaillent sur les rails du CP ou du CN, près de la rue Adanac, à des kilomètres de tout le reste du monde; je suppose que c'est très bien qu'elles ne soient dans la cour de personne, mais c'est aussi bien mal qu'elles soient si loin et si peu protégées, et je pense que tous les meurtres que nous avons connus découlent notamment du fait qu'elles ont été repoussées dans leur petit coin.
C'est vraiment tout ce que je peux vous dire. Vous avez raison, le maintien de l'ordre pourrait être la principale solution. Il suffirait simplement de plus de ressources. Il faudrait plus de travailleurs. Il faudrait plus de places dans les refuges. Il faudrait plus de thérapeutes. Il faudrait plus de programmes de lutte contre les drogues et l'alcool. Il faudrait plus de places dans les centres de désintoxication.
Mme Libby Davies: Pourquoi n'ouvririons-nous pas des maisons d'hébergement? Personne ne l'a vraiment proposé, mais je sais qu'on l'a proposé à l'échelle locale et qu'on a souligné la nécessité que ces femmes sortent de la rue et qu'elles puissent aller dans des maisons où elles seraient en sécurité. Ce serait une partie de la solution.
Le président: C'est la dernière question, madame Davies.
Allez-y, veuillez répondre. Ce n'était qu'une brève interruption.
M. Brian Gilligan: Le logement fait partie du problème. Comme je l'ai dit, tout ne dépend pas seulement du logement. Mon expérience avec bon nombre de travailleurs du sexe me porte à croire qu'ils ont besoin de beaucoup d'autres formes de soutien aussi. Ce serait du logement « plus », du logement avec supervision, avec des services d'aide thérapeutique.
Le président: Merci.
Madame Fry.
L'hon. Hedy Fry: Je vous remercie infiniment, monsieur le président,
J'aimerais réagir à une chose que M. Hanger a dite.
Il se trouve que j'ai lu l'Ancien et le Nouveau Testament, tant la version du roi James et que celle de Douay. J'ai très bien étudié et j'ai obtenu un A dans tous mes cours lorsque j'étais au couvent. Je parlais de Marie Madeleine, qui était une prostituée connue à l'époque, et de la fois où les disciples ont demandé au Christ pourquoi il la fréquentait et la laissait laver et oindre ses pieds, il a dit : « Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés. Car on vous jugera du jugement dont vous jugez, et l'on vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez. »
Je voulais seulement que vous sachiez que je ne suis pas une païenne et que j'ai étudié la Bible, probablement plus que vous.
¿ (2100)
Le président: Je pense que nous sommes tous personnellement très contents de cette explication, madame Fry.
L'hon. Hedy Fry: Les remarques en l'air me font toujours sortir hors de mes gonds, parce que je tiens à corriger les fausses affirmations.
Je crois que vous avez dit, monsieur Gilligan, qu'il pourrait y avoir un juste milieu entre le fait de fermer les yeux sur la prostitution et celui de poursuivre les prostituées. Vous avez parlé d'examiner la question du point de vue de la santé publique. Encore une fois, c'est l'angle sous lequel je l'examine, en tant que médecin, et je crois qu'il est toujours bon d'avoir une vision large et intégrée comme celle-ci des problèmes complexes sur lesquels il y a diverses idéologies. Il y a diverses idéologies autour de cette question; il n'y a pas qu'une seule raison qui peut pousser une personne à entrer dans le monde de la prostitution ou à devenir travailleuse du sexe. Vous nous l'avez dit, comme tout le monde. Bref, comment pouvons-nous trouver toutes ces solutions compliquées et intégrées? En marginalisant et en ostracisant ces personnes, on leur donne très peu la chance de trouver l'aide nécessaire pour s'en sortir. On a créé un trou sans fond d'où il est très difficile pour ces personnes de se sortir et d'être acceptées par la société.
À mon avis, la question qui se pose est donc...Vous et beaucoup d'autres personnes, même les représentants du milieu qui ont témoigné, avez parlé de solutions élargies. Mais même si l'on se dotait de solutions élargies... Vous avez donné l'exemple de la Thaïlande et vous nous avez rappelé que lorsque le pays a réussi à améliorer sa situation, les prostituées birmanes sont soudainement apparues. Hier, deux chercheurs qui ont comparu devant nous nous ont dit qu'en Hollande, tout semblait bien fonctionner, jusqu'à ce que tout à coup, les réfugiées de l'Europe de l'Est se mettent à affluer et deviennent les nouvelles prostituées du moment. Ils ont souligné que les collectivités et les États devaient s'assurer de ne pas faire de différence entre leurs citoyens, soit les solutions et les ressources qu'ils ont pour leurs citoyens, et les autres. Ils ne doivent pas faire en sorte que les nouveaux immigrants aient un niveau de vie différent, pour ainsi dire, parce qu'ils sont privés de ressources. Vous avez parlé de nationalisme.
Pensez-vous que cette réalité est présente au Canada? Je ne le crois pas, mais pensez-vous que cela pourrait arriver? Si nous réglions ce problème ici, pourrions-nous soudainement voir arriver des personnes traitées différemment?
M. Brian Gilligan: En Thaïlande, je ne pense pas que ce soient les mesures efficaces qui ont été prises pour régir efficacement la prostitution dans les bordels, dans une perspective de santé publique, qui ont causé le problème des prostitués birmans. Tout ce que je dis, c'est que la vie finit par avoir raison de tout. Personne n'oserait prétendre que la loi sur les autoroutes de 1950 est applicable en 2005. C'est un problème social complexe, et il faudra toujours jongler avec lui. De nouveaux problèmes vont surgir : de nouvelles vagues de réfugiés, de nouveaux problèmes économiques, etc. Certaines parties du pays vont s'enrichir et d'autres, s'appauvrir, et les gens vont se déplacer. On n'enrayera pas le problème; je pense qu'il faut surtout le gérer mieux, se préparer à apporter des changements et à être prêt à y réagir.
Vous avez dit qu'il ne fallait pas juger. Malgré tout le respect que je vous dois, lorsque je travaillais dans la rue au début des années 1990 et que j'intervenais principalement auprès des travailleurs du sexe mâles, dont beaucoup travaillaient dans le Parc Major, les prostitués riaient toujours de deux choses : le nombre de véhicules dans lesquels il y avait des sièges de bébé à l'arrière et le nombre de véhicules qui portaient des étiquettes de stationnement de la Chambre des communes.
Pour rassurer M. Hanger, c'était avant la réforme.
L'hon. Hedy Fry: Conclusion mordante.
M. Art Hanger: Je pourrais commenter cela, mais je ne le ferai pas.
Le président: Peut-être pouvons-nous conclure sur ce dernier mot.
Je vous remercie, monsieur Gilligan. Je pense qu'avec vos quinze ans d'expérience au Canada et en Orient, vous avez apporté une perspective différente à notre étude, une perspective que nous apprécions au plus haut point.
Je vous remercie beaucoup d'être venu nous rencontrer.
J'aimerais interrompre nos travaux une minute, puis nous examinerons quelques questions d'ordre administratif avant de passer à notre voyage sur la côte Ouest.
[Les délibérations se poursuivent à huis clos.]