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SSLR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le lundi 21 mars 2005




» 1745
V         Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.))
V         Mme Leslie Ann Jeffrey (professeure, Département de l'histoire et de la politique, Université du Nouveau-Brunswick)

» 1750
V         Le président
V         Mme Gayle MacDonald (professeure, Département de sociologie, Université St. Thomas)

» 1755

¼ 1800
V         Le président
V         M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC)

¼ 1805
V         Mme Gayle MacDonald
V         M. Art Hanger

¼ 1810
V         Mme Leslie Ann Jeffrey
V         Mme Gayle MacDonald

¼ 1815
V         Le président
V         Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ)
V         Mme Leslie Ann Jeffrey

¼ 1820
V         Mme Paule Brunelle
V         Mme Leslie Ann Jeffrey

¼ 1825
V         Le président
V         Mme Gayle MacDonald
V         Le président
V         L'hon. Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.)
V         Mme Leslie Ann Jeffrey

¼ 1830
V         Le président
V         Mme Gayle MacDonald
V         Le président
V         L'hon. Hedy Fry
V         Mme Gayle MacDonald

¼ 1835
V         L'hon. Hedy Fry
V         Le président
V         L'hon. Hedy Fry
V         Le président
V         M. Art Hanger
V         Mme Gayle MacDonald
V         M. Art Hanger

¼ 1840
V         Le président
V         Mme Gayle MacDonald
V         Le président
V         Mme Leslie Ann Jeffrey

¼ 1845
V         Le président
V         Mme Paule Brunelle

¼ 1850
V         Mme Gayle MacDonald
V         Mme Leslie Ann Jeffrey

¼ 1855
V         Le président
V         L'hon. Hedy Fry

½ 1900
V         Mme Gayle MacDonald

½ 1905
V         Le président
V         M. Art Hanger
V         Mme Leslie Ann Jeffrey
V         M. Art Hanger
V         Mme Leslie Ann Jeffrey
V         M. Art Hanger
V         Mme Leslie Ann Jeffrey
V         M. Art Hanger
V         Mme Leslie Ann Jeffrey

½ 1910
V         Le président
V         Mme Gayle MacDonald
V         Le président
V         Mme Paule Brunelle
V         Mme Gayle MacDonald
V         Mme Leslie Ann Jeffrey

½ 1915
V         Le président
V         Mme Paule Brunelle
V         Mme Gayle MacDonald
V         Le président
V         Mme Leslie Ann Jeffrey
V         Le président
V         L'hon. Hedy Fry

½ 1920
V         Mme Gayle MacDonald

½ 1925
V         L'hon. Hedy Fry
V         Mme Leslie Ann Jeffrey
V         Le président
V         Mme Leslie Ann Jeffrey
V         Le président
V         Mme Gayle MacDonald
V         Le président
V         L'hon. Hedy Fry

½ 1930
V         Le président










CANADA

Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


NUMÉRO 015 
l
1re SESSION 
l
38e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 21 mars 2005

[Enregistrement électronique]

*   *   *

»  +(1745)  

[Traduction]

+

    Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)): Cette séance du Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage, du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile, est ouverte.

    Les témoins d'aujourd'hui sont Leslie Ann Jeffrey, professeure au Département d'histoire et de politique de l'Université du Nouveau-Brunswick, et Gayle MacDonald, professeure au Département de sociologie de l'Université St-Thomas.

    Conformément à la procédure habituelle, vous aurez 10 minutes pour faire votre exposé, après quoi nous passerons aux questions. Nous avons généralement un premier tour de sept minutes par personne, puis des tours de trois minutes. Nous préférons que les questions soient brèves et directes, tout comme les réponses. Ce n'est pas toujours le cas mais c'est ce à quoi nous aspirons.

    Nous entendrons d'abord Mme Jeffrey, puis Mme McDonald.

+-

    Mme Leslie Ann Jeffrey (professeure, Département de l'histoire et de la politique, Université du Nouveau-Brunswick): Merci.

    Je m'adresse à vous aujourd'hui pour parler des lois canadiennes sur la prostitution dans un contexte international, c'est-à-dire de leur incidence sur les travailleuses du sexe migrantes. J'étudie cette question depuis la fin des années 80, ce qui m'a permis de mener des études sur les travailleuses du sexe au Canada—avec Gayle McDonald—et en Thaïlande, et je continue mes recherches sur cette question à l'échelle internationale.

    La question dont vous êtes saisis aujourd'hui est de savoir s'il faut modifier ou non la législation canadienne sur la prostitution. Selon moi, tout démontre que la décriminalisation du travail sexuel est absolument indispensable. Des études innombrables ont montré que le seul moyen pour les travailleuses du sexe de vivre sans une crainte permanente de violence, de harcèlement et d'exploitation est que leur activité ne soit pas réprimée par droit pénal.

    Bien que les preuves concernant la nécessité de décriminaliser ne cessent de s'accumuler, certaines personnes ont récemment exprimé la crainte que la décriminalisation contribue à ce qu'on appelle le trafic mondial des femmes ou au recrutement et au transport forcé des femmes dans le circuit mondial du sexe. Je crois que cette préoccupation émane de certains malentendus ou d'une méconnaissance de ce qui se passe à l'échelle mondiale.

    Premièrement, des rapports de presse sensationalistes sur le trafic des femmes ont amené beaucoup de gens à croire que la plupart des femmes étrangères de ce secteur sont forcées à y entrer par la violence ou la tromperie et doivent vivre en esclavage. En réalité, ce qu'on constate aujourd'hui, dans le commerce du sexe, c'est une migration mondiale de femmes à la recherche d'un travail mieux rémunéré. Bon nombre de femmes entrent volontairement dans ce secteur et migrent volontairement pour chercher un meilleur revenu. Le travail sexuel n'est peut-être pas du tout ce qu'elles avaient envisagé, ni ce qu'elles souhaitent pour l'avenir, mais, tout comme les migrants du travail domestique ou agricole, c'est à leurs yeux la solution la plus rationnelle pour le moment.

    Bien qu'elles soient prêtes à migrer et à travailler dans le secteur du sexe, elles risquent d'être exploitées autant dans le processus de migration que dans le commerce du sexe. En effet, les femmes qui migrent volontairement pour travailler dans ce secteur ont souvent besoin de l'aide d'autres personnes pour migrer—obtenir des visas ou des passeports—et ce sont ces intermédiaires qui risquent de les exploiter. De plus, si elles entrent peut-être volontairement dans ce secteur, elles ne connaissent ou n'accepteront peut-être pas les conditions de travail dans le pays où elles se rendent.

    Il y a donc deux facteurs à considérer pour prévenir l'exploitation des travailleuses du sexe migrantes: premièrement, les conditions de travail du milieu et, deuxièmement, le statut migratoire

    Les plaintes de ces femmes concernent souvent les conditions de travail, pas le travail lui-même. La plupart finissent par travailler dans le secteur criminalisé mais toléré du sexe dans des endroits tels que des salons de massage ou des services d'escorte. Les mauvaises conditions de travail dont elles se plaignent sont toutes inacceptables en droit canadien, dans une certaine mesure.

    Le premier problème est le non-respect des contrats. Bon nombre de ces femmes ont passé une entente officieuse ou orale au sujet de leur travail mais elles n'ont aucun moyen de faire respecter ce contrat. Elles risquent donc d'être moins payées que prévu, voire de ne pas être payées du tout, ou d'être obligées d'accepter plus de clients que prévu.

    Une autre plainte concerne la longueur des journées de travail. La plupart des salons de massage fonctionnent entre midi et trois ou quatre heures du matin. Bien souvent, les travailleuses habitent sur place ou sont en disponibilité pendant des semaines d'affilée sans aucune possibilité d'invoquer la réglementation du travail.

    Le manque de sécurité est un autre problème. Certaines femmes peuvent faire l'objet de pressions pour que leurs clients n'utilisent pas de préservatifs ou pour accepter plus de clients qu'elles ne le souhaitent. Dans certains cas, il peut aussi avoir un risque de violence. Encore une fois, elles ne peuvent invoquer la réglementation du travail, elles n'ont pas de syndicats et elles peuvent difficilement se plaindre à la police étant donné le caractère illégal de leur travail.

    Sur tous ces plans, les travailleuses du sexe migrantes ont des intérêts communs avec les travailleuses du sexe nationales pour ce qui est de l'application des contrats, de l'obtention d'une juste rémunération, du contrôle de leur travail et de la protection contre la violence.

    Les travailleuses du sexe migrantes peuvent aussi être confrontées aux problèmes particuliers de migration des femmes pauvres—c'est-à-dire des femmes faisant face à des obstacles juridiques, sociaux et économiques pour migrer. Elles peuvent être asservies à leur dette, et certaines ont pu assumer une dette de 30 000 $ à 40 000 $ envers les intermédiaires qui ont organisé leur voyage, dette qui peut être transférée au propriétaire de salon ou de bar qui se remboursera à même leur paye, sans possibilité de négocier.

    Un autre problème concerne leur statut par rapport à l'immigration. Comme il n'existe pas de visa particulier pour les travailleuses du sexe, ces femmes travaillent parfois sans visa ou sans documentation officielle.

    Il y a aussi l'isolement. Les travailleuses du sexe migrantes peuvent être surveillées de près par le personnel du salon de massage et avoir fort peu de liberté de mouvement. Bien souvent, on leur aura pris leur passeport. Elles n'auront probablement pas accès aux groupes d'entraide, et les problèmes linguistiques risquent de les empêcher de demander de l'aide ou du soutien.

    Finalement, il y a l'absence d'informations et de services juridiques. Les travailleuses migrantes du sexe risquent d'être particulièrement désavantagées car elles ne savent peut-être pas que le travail sexuel est illégal au Canada. Si elles sont arrêtées, elles n'ont pas nécessairement accès à un interprète et elles ne connaîtront donc pas leurs droits juridiques.

    Aucun de ces problèmes n'est réglé par la criminalisation. En fait, celle-ci contribue à l'existence de ces problèmes car elle empêche ces femmes de faire respecter des conditions de travail équitables et d'exiger d'être traitées avec justice. Si une travailleuse du sexe migrante s'adresse aux autorités pour se plaindre de ses conditions de travail, elle risque d'être arrêtée comme travailleuse du sexe et d'être expulsée comme migrante illégale.

    La décriminalisation de ce commerce et sa réglementation dans le cadre de la législation du travail permettraient de régler bon nombre de ces problèmes en régularisant le statut de ces femmes au Canada, en leur donnant accès à des réseaux de soutien et en leur offrant des recours si elles se trouvent dans ce secteur sous la contrainte.

    Au lieu de cela, certains pays choisissent de criminaliser ce commerce et d'adopter des mesures anti-migration sous prétexte de lutter contre le trafic des femmes. Toutefois, ces mesures vont généralement à l'encontre de l'amélioration des droits humains des travailleuses du sexe migrantes. Jusqu'à présent, les mesures prises contre le trafic, comme le protocole de la Convention contre le crime organisé transnational, dont le Canada est partie, ont plus mis l'accent sur le contrôle des frontières et la lutte contre le crime organisé que sur la protection des droits humains. Pour les femmes qui choisissent de migrer comme travailleuses du sexe, le resserrement des contrôles frontaliers signifie qu'elles doivent payer plus à des courtiers en immigration sans scrupules et être assujetties plus longtemps à leur dette.

    La solution suédoise de criminalisation différentielle du secteur en ciblant les clients et les intermédiaires plutôt que les travailleuses du sexe, tout en adoptant des mesures rigoureuses contre le trafic, ne s'est pas révélée très utile. Les travailleuses du sexe en Suède disent que la nouvelle loi a rendu leur travail plus stressant et plus dangereux parce qu'elles doivent opérer encore plus dans le secret, qu'elles se sentent ostracisées sur le plan social, qu'elles sont moins disposées à faire appel à des services d'entraide ou à la police, et qu'elles sont plus susceptibles d'être confrontées à des clients agressifs puisque les autres sont essentiellement disparus.

    En réalité, la criminalisation des clients, selon la police suédoise, entrave la recherche des exploitants et des trafiquants parce que les clients ne veulent plus témoigner. De plus, bien que l'on ait constaté une diminution du nombre de travailleuses du sexe migrantes en Suède, des indices commencent à indiquer qu'elles sont simplement passées dans l'économie clandestine ou allées dans d'autres pays. La loi n'a donc pas réduit le trafic ou la migration, elle les a simplement déplacés.

    Une politique adéquate exigerait à mon avis que l'on parte du point de vue des personnes les plus affectées, c'est-à-dire les travailleuses elles-mêmes. Toutefois, les politiques adoptées jusqu'à présent ont eu tendance à accroître plutôt qu'à réduire leur vulnérabilité à l'exploitation. Ces mesures imposées du haut vers le bas favorisent une attitude paternaliste et méprisante à leur égard, favorisant leur exploitation.

    La décriminalisation du commerce sexuel serait une première mesure pour permettre aux travailleuses du sexe d'utiliser les mécanismes juridiques et des droits humains pour se protéger. D'autres mesures sont cependant nécessaires, par exemple en ce qui concerne leur statut de travailleuses migrantes. Leur permettre d'immigrer réduirait considérablement le risque qu'elles soient exploitées durant le processus de migration. Cependant, comme il s'agirait là d'une réforme à long terme, le Canada devrait dans l'intervalle adopter les mesures proposées dans la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Cette Convention met l'accent sur la protection des droits des travailleurs avec ou sans documents officiels.

    En ce qui concerne le trafic, on pourrait s'y attaquer en réprimant l'usage de la force ou de la tromperie pour recruter des travailleurs dans tous les secteurs, y compris l'agriculture ou le travail domestique. Les victimes du trafic ne devraient pas être expulsées, comme elles le sont actuellement, mais plutôt recevoir le statut de résident. L'Alliance mondiale contre le trafic des femmes a défini des normes en matière de droits humains que le gouvernement devrait adopter pour protéger les victimes.

    Il convient avant tout que les solutions soient axées sur l'octroi de moyens d'action aux travailleuses du sexe migrantes et non migrantes. Certains des meilleurs projets de lutte contre le trafic sont des projets tels que le projet Sonagachi de Calcutta, où des travailleuses sexuelles s'entraident pour lutter contre l'exploitation. La décriminalisation ne peut que favoriser de telles solutions axées sur l'autonomie.

    Le problème que pose le trafic émane du fait que la vie des travailleuses sexuelles est contrôlée par d'autres. Il s'ensuit que notre devoir est de leur donner le moyen de mieux contrôler leur vie. Comme l'ont dit de chercheurs hollandais, seul le droit peut mettre fin au mal.

    Merci.

»  +-(1750)  

+-

    Le président: Merci.

    Madame McDonald, s'il vous plaît.

+-

    Mme Gayle MacDonald (professeure, Département de sociologie, Université St. Thomas): C'est un honneur pour moi de comparaître devant un sous-comité parlementaire et je tiens à vous remercier de m'y avoir invitée.

    Mon témoignage portera surtout sur l'expérience des travailleuses sexuelles dans deux provinces maritimes, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, sur la base d'une étude que j'ai réalisée pendant trois ans avec Mme Jeffrey. Pour cette étude, nous avons interrogé 52 membres de ce secteur, des femmes, des hommes et des transsexuels, à Halifax, Moncton, Fredericton et Saint John. La plupart étaient des personnes travaillant dans la rue mais il y en avait aussi certaines travaillant dans des services d'escorte et des salons de danse, et un petit nombre en S-M.

    Cette étude montre comment la criminalisation continue du secteur accroît le niveau et le risque de violence contre les travailleuses sexuelles. Nous avons constaté qu'elle est inefficace si l'objectif est d'éliminer ou de circonscrire le travail sexuel. En effet, la criminalisation entraîne simplement un déplacement géographique de l'activité tout en maintenant ou en augmentant le niveau et le risque de violence et en maintenant la stigmatisation. Nous avons également constaté que la présence policière dans le milieu est incohérente, dans le meilleur des cas, voire contradictoire.

    Les personnes que nous avons interrogées pour notre étude nous ont dit que la violence est le problème le plus important. C'est un thème qui revenu continuellement dans nos entrevues. Elle provenait à l'origine des souteneurs, il y a quelques décennies, puis elle est venue de la police et, aujourd'hui, elle vient essentiellement des clients et du grand public. La violence provenant de manière prédominante des clients est un phénomène nouveau dans le travail sexuel, que nous avons constaté au Canada avec les meurtres commis sur la ferme Picton en Colombie-Britannique, et qui ressort également de l'étude réalisée par les Sisters in Spirit pour Amnesty International sur les femmes autochtones disparues au Canada.

    Certaines des travailleuses sexuelles que nous avons interrogées ont relié leur expérience de la violence aux effets de la criminalisation. Elles ont souligné les incohérences du Code criminel et le fait que la criminalisation pérennise la stigmatisation. La criminalisation entraîne une dévalorisation de la personne, facteur qui entraîne à son tour la déshumanisation, laquelle permet à la violence de se manifester. Les études consacrées à la violence conjugale ont révélé la même chose. Pour les travailleuses sexuelles, si les clients les considèrent comme des criminelles, c'est-à-dire comme des personnes ne méritant aucun respect, ils se sentiront plus libres de commettre des actes de violence.

    Si la police ne répond pas aux plaintes des travailleuses sexuelles dans les cas de violence physique, elle ne leur accorde pas la même protection qu'aux autres citoyens. Si cette opinion est répandue dans la population, certains clients pourront avoir tendance à traiter les travailleuses sexuelles avec abandon car ils penseront que la police n'interviendra peut-être pas en cas d'agression ou même de meurtre.

    Des travailleuses du sexe nous ont donné beaucoup d'exemples de collègues qui ont été battues ou poignardées puis abandonnées loin de chez elles par un froid glacial. Elles nous ont dit aussi qu'elles se sentent très seules dans ce genre de situation et que faire intervenir la police ne leur garantit aucunement qu'elles seront protégées contre d'autres rencontres violentes. Ce qu'elles veulent, c'est ne pas subir de violence et bénéficier de mesures de sécurité élémentaires dans leur travail. Ce genre d'exigence est tout à fait banal dans d'autres professions mais pas pour les travailleuses du sexe.

    Je voudrais parler aussi des différences de méthodes policières d'une juridiction à une autre. Le Code criminel se prête à de nombreuses interprétations différentes par la police. Dans les Maritimes, on voit parfois des escouades policières qui se consacrent uniquement à la prostitution. Dans d'autres cas, il existe des escouades qui sont chargées des mesures de police à l'égard des prostituées. Pour la plupart des agents de police, ce genre de travail dépend directement des plaintes du public et ne reflète pas une application systématique de la loi. Bien souvent, la police estime avoir d'autres priorités plus importantes.

    Il est clair que les activités policières diffèrent considérablement d'une juridiction à l'autre, même à deux heures de distance seulement. Ceci résulte directement d'une application inégale et contradictoire de la loi contre les travailleuses du sexe, ce qui est un problème en soi. Notre étude a révélé que les méthodes policières peuvent également varier au sein d'une même juridiction, voire au sein du même service de police.

»  +-(1755)  

    Deux tendances sont ressorties de notre étude, deux modèles policiers différents. Le premier est flexible, dynamique et plus axé sur la réadaptation; le deuxième est plus rigide et plus axé sur la répression.

    Le premier modèle favorise la communication entre les travailleuses du sexe et la police, une certaine flexibilité en matière d'arrestations, et de meilleures relations communautaires. Je vais vous donner un exemple de souplesse en citant cette affirmation d'un agent de police : « Si je te revois à ce coin de rue à mon retour, je vais devoir t'arrêter pour racolage ». Il indiquait ainsi qu'il essayait d'éviter l'arrestation.

    Les communications et relations communautaires sont utiles à la police car les travailleuses du sexe sont souvent des sources d'informations utiles sur ce qui se passe dans la rue, notamment sur le trafic de drogue qui est une priorité beaucoup plus importante pour la police. Les travailleuses du sexe sont souvent témoins d'actes criminels à cause des heures et des conditions de travail qui leur sont imposées par la criminalisation de leur activité. Comme il n'est pas permis de pratiquer ouvertement le travail sexuel, ces femmes sont obligées de travailler en se cachant, ce qu'elles font en allant dans des quartiers des villes où il y a d'autres contrevenants, ce qui les expose à un risque supplémentaire. Les policiers qui les comprennent leur offrent de la protection en échange de renseignements, ce qui convient aux deux parties.

    Le deuxième modèle est celui de l'agent de police plus typique qui veut appliquer rigoureusement la loi et le Code criminel. C'est dans ce cas que l'on a tendance à constater le plus de harcèlement des travailleuses du sexe par la police, le plus d'arrestations et une activité policière plus axée sur les travailleuses elles-mêmes que sur les autres parties à la transaction, les clients. Dans ce modèle, la police n'hésite pas à poursuivre la travailleuse jusqu'à ce qu'elle négocie une transaction ou à la suivre dans un lieu public et à l'arrêter avec éclat en public. On nous a dit, notamment des agents de police, que ce n'est pas comme ça qu'on arrête les clients.

    Quel que soit le modèle retenu, ces deux types d'activité policière aboutissent à arrêter les travailleuses du sexe. Comme il n'y a pas beaucoup d'autres modèles possibles, les policiers ont souvent peu d'autre choix que de les arrêter, puisque c'est leur mandat, même s'ils sympathisent avec elles.

    Un agent de police progressiste à qui nous avons parlé et qui était prêt à envisager des modèles communautaires pensait que son idée d'arrêter les clients était la bonne solution. Les recherches de John Lowman ont montré qu'arrêter le client ne fait que pousser l'activité dans la clandestinité. Certes, cela peut dans un premier temps donner satisfaction aux associations de quartier qui ne voit plus de prostituées dans leurs rues mais cela signifie par contre que les travailleuses sont exposées à un plus grand danger à cause de l'absence de surveillance publique que permet le travail de rue.

    Ce que reflètent les méthodes policières, c'est l'ambiguïté du législateur à l'égard des notions de sexe et d'espace privé et public. Les transactions sexuelles se font généralement en privé. Le commerce du sexe impose une transaction beaucoup plus publique. Notre recherche a montré que c'est cet aspect public du commerce sexuel qui suscite le plus de réserves dans la population, ainsi que le fait que ce commerce peut entraîner une dévalorisation des commerces et des propriétés parce qu'on l'associe souvent à l'activité criminelle. Les travailleuses sexuelles répondent à cela qu'elles reconnaissent que les biens des habitants doivent être protégés et elles disent que, si leur activité n'était plus criminalisée, la police et les criminels disparaîtraient et le commerce sexuel deviendrait un commerce plus ou moins comme les autres, assujetti aux mêmes conditions, notamment la protection contre les clients violents.

    J'ai deux dernières remarques à faire au sujet des méthodes policières. La criminalisation, notamment les dispositions du Code criminel sur la communication, met les travailleuses sexuelles en danger en les obligeant à négocier à la va-vite avec le client, alors que c'est le moment le plus crucial pour tenter d'évaluer sa propension à la violence. Une travailleuse sexuelle qui mène sa négociation de manière précipitée pour éviter une rencontre avec la police risque de méjuger—à son grand péril—la sécurité du client.

    Finalement, même lorsque les travailleuses sexuelles se plaignent à la police, celle-ci passe rarement à l'action. Des policiers nous ont d'ailleurs fait un commentaire qui peut s'expliquer lui aussi par la criminalisation de l'activité. Il est très difficile de poursuivre une personne qui exerce une activité criminelle si elle n'a pas d'adresse fixe, si sa famille ne le sait pas et si la stigmatisation continue. Si le statut de la criminalisation devait changer, les travailleuses sexuelles seraient beaucoup plus susceptibles de se plaindre à la police et de lui donner plus d'informations sur elles-mêmes et sur d'autres transactions, étant donné qu'elles auraient beaucoup moins peur de représailles policières.

    En conclusion, j'ai trois recommandations à formuler.

    La première est de décriminaliser le commerce sexuel. Toutes les données recueillies au cours des 20 dernières années sur cette question au Canada démontrent que c'est une politique inefficace.

¼  +-(1800)  

    La deuxième est d'avoir recours aux modèles communautaires existants de réduction du préjudice, comme l'a fait le Comité d'action sur le commerce sexuel de Saint John, pour faciliter la communication entre la police et les travailleuses sexuelles.

    La troisième, qui provient de travailleuses sexuelles elles-mêmes, et de leur donner accès à des lieux sûrs pour qu'elles puissent travailler. Ces lieux feraient l'objet d'une surveillance, ils permettraient de filtrer les clients et les travailleuses ne seraient pas nécessairement obligées de faire face seules aux éventuels clients violents.

    Voilà, monsieur le président, c'était ma déclaration.

+-

    Le président: Monsieur Hanger, vous avez sept minutes.

+-

    M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC): Merci beaucoup, monsieur le président. Je remercie les témoins.

    Je n'ai pas pu accompagner le comité dans les provinces atlantiques mais ce que vous venez de dire m'intéresse beaucoup. Vous semblez dire toutes les deux qu'il est urgent de décriminaliser. Vous donnez plusieurs raisons, notamment la stigmatisation de cette activité, et vous semblez dire que cette stigmatisation s'explique en grande mesure par la nature criminelle de l'infraction.

    J'aimerais aborder ces questions du point de vue de la population dans son ensemble. Le Canadien moyen, qu'il soit simple citoyen ou employeur, par exemple, a une certaine opinion de la prostitution. Si une fille cherche du travail et indique sur son curriculum vitae qu'elle a travaillé pendant plusieurs années dans le commerce sexuel, comment pensez-vous que la communauté va réagir? Personnellement, si j'étais l'employeur, j'aurais de sérieux doutes, avec ou sans association criminelle. À mon avis, la communauté ne va pas faire le saut considérable que vous attendez en matière d'attitude. J'aimerais donc savoir ce que vos recherches vous ont indiqué en ce qui concerne les attitudes de la communauté à l'égard de la prostitution et des prostituées.

¼  +-(1805)  

+-

    Mme Gayle MacDonald: Vous venez de soulever plusieurs questions intéressantes. Je vous en remercie.

    Nous ne nous attendons pas à ce que la décriminalisation entraîne un changement d'attitude du jour au lendemain dans la communauté. Mais, quand nous avons interrogé les associations de quartiers—et il y a des associations de quartiers et des propriétaires fonciers au sein de ce comité d'action sur le commerce sexuel de Saint John dont j'ai parlé—nous avons constaté que leurs membres sont beaucoup moins susceptibles d'avoir des préjugés quand ils ont l'occasion de rencontrer des travailleurs sexuels. Ce qu'ils ne veulent pas, c'est que leurs propriétés perdent de leur valeur. Ce qu'ils ne veulent pas, c'est voir une prostituée faire son travail à leur porte.

    Comme nous agissons à divers niveaux, nous avons constaté que, lorsque des travailleuses sexuelles s'adressent à des groupes communautaires ou parlent dans des écoles, les attitudes changent de manière quasi instantanée. Il y a encore beaucoup de stéréotypes sur les travailleuses sexuelles. Pour ma part, je considère qu'elles font partie de la communauté. Ce sont des mères, des soeurs, des tantes, des femmes qui sont caissières à l'épicerie, des femmes qui essayent de joindre les deux bouts, des femmes qui dépendent de l'assistance sociale. Bref, ce sont des femmes pas très différentes des autres.

    Je conviens avec vous qu'il y a encore une stigmatisation incroyable des travailleuses sexuelles. Certaines d'entre elles—qui agissent au sein d'agences d'entraide, par exemple—nous ont dit qu'il leur est difficile de trouver du travail parce qu'il y a cinq ou 10 années de leur vie qu'elles ne peuvent pas expliquer. Je pense que cela changerait, à terme, si l'activité était décriminalisée.

+-

    M. Art Hanger: En tant que législateurs, que devrions-nous faire? Avons-nous une obligation à l'égard de ces personnes? J'ai d'autres questions à poser au sujet de l'activité elle-même mais devrions-nous en appeler à ces personnes seulement ou à la communauté? Quelle serait la meilleure chose à faire pour leur communauté, ou même au-delà de leur communauté?

    Jusqu'à présent, dans nos audiences, nous n'avons pas beaucoup entendu parler de la communauté, si ce n'est de la part de certaines personnes très mécontentes parce qu'il y a des prostituées qui travaillent dans leur quartier, et ce sont des personnes qui n'accepteraient aucun changement. En fait, elles voudraient que l'on soit beaucoup plus sévère. En tant que législateurs, devrions-nous prêter attention à ces personnes ou nous intéresser plutôt à la question plus générale, c'est-à-dire à l'intérêt de toute la collectivité?

¼  +-(1810)  

+-

    Mme Leslie Ann Jeffrey: Comme politologue, c'est ce qui m'intéressait. Comment rapprocher les résidents des travailleuses sexuelles? Comme l'a dit Mme MacDonald, nous avons parlé aux deux.

    J'ai dit pendant des années que les deux groupes ne pourraient jamais être rapprochés, que l'on trouverait jamais une entente. Ce qui m'a surpris, dans mes recherches, c'est qu'il y a aujourd'hui une ouverture d'esprit beaucoup plus grande. Une fois qu'on va au-delà de la colère superficielle, on constate souvent que même les associations de quartiers affirment que ce n'est pas un problème de quartier, qu'elles n'ont aucun problème si l'activité s'exerce ailleurs que dans leur quartier, là où leurs enfants ne peuvent pas la voir. À cette condition-là, elles n'ont pas de problème. Et ce sont des gens qui s'intéressent à cette question depuis fort longtemps.

    Je fais partie du Comité d'action sur le commerce sexuel de Saint John. J'ai aussi constaté que, lorsque les résidents commencent à discuter, ils passent souvent de la colère... Ils sont frustrés par toutes sortes de choses. Ce n'est pas toujours par le commerce sexuel. À Saint John, c'était souvent que le quartier avait une grande valeur historique mais qu'il était très négligé. Il y avait donc d'autres questions préoccupant les résidents : le ramassage des ordures, l'élimination des seringues, le trafic de drogue. Voilà les questions qui mettaient les gens en colère, et le commerce sexuel venait simplement s'y ajouter.

    Une fois qu'on a commencé à régler le problème du ramassage des ordures et de l'élimination des seringues, les résidents sont devenus plus positifs. En discutant, ils sont devenus de plus en plus sympathiques envers les travailleuses sexuelles. Comme l'a dit un membre du comité : « J'étais une résidente très en colère envers les prostituées qui est devenue très en colère de voir que le gouvernement ne fait pas plus pour les aider ». Voilà une personne qui est passée d'un extrême à l'autre, et ce n'est pas la seule.

    Il y a toutes sortes de personnes au sein du comité, allant des Soeurs de la charité à des agents de police, et qui ne sont pas aussi opposées sur le plan moral qu'on pourrait le croire. Ce que je constate, c'est que tous les Canadiens attachent de l'importance aux droits humains. Certes, il y a des problèmes particuliers dans leurs quartiers mais ils sont prêts à discuter.

    Ce que notre comité a constaté, c'est que la frustration augmente à mesure qu'on réalise que le Code criminel limite les solutions créatives que l'on peut envisager. Beaucoup de gens disent : « Ne serait-il pas possible de trouver des lieux sécuritaires pour que les prostituées puissent travailler? » Les policiers et d'autres membres du comité répondent : « Non, avec le Code criminel, ce n'est pas possible ». C'est pourtant ce que recherchent les habitants. Ils m'ont beaucoup impressionnée.

    Les travailleuses sexuelles sont souvent mères de familles, et les hommes peuvent être des pères, des frères, des maris. Ils nous disent : « Nous savons bien que vous ne voulez pas voir ça à la sortie des écoles. Nous non plus, mais nous avons tellement de contraintes que nous ne pouvons aller nulle part ailleurs ». Ils sont tout à fait ouverts à la discussion.

    Évidemment, certaines personnes ont encore des positions très fermes mais j'ai été très frappée par le fait que beaucoup sont prêtes à discuter. Je crois qu'il va falloir du leadership politique pour aller de l'avant.

+-

    Mme Gayle MacDonald: Ceci me ramène à ce que je disais en matière d'espace privé et public. Les gens n'ont rien contre le commerce sexuel qui se pratique en privé. Il ne semble pas avoir la même panique au sujet des services d'escorte qui fonctionnent avec un téléphone cellulaire situé en dehors du champ d'action de la police régionale. Ce qui les embête, c'est la visibilité. Ce sont les préservatifs dans les cours d'écoles ou les seringues sur le trottoir.

    Bon nombre de municipalités—Halifax et Saint John en particulier—ont fait des efforts considérables pour organiser des échanges de seringues afin de séparer le commerce de la drogue du commerce sexuel. Je pensais à un exemple d'activité policière pendant que Mme Jeffrey parlait. À Halifax, la police avait reçu l'instruction de nettoyer un quartier donné. Comme il y avait beaucoup de pressions d'une association de quartier, elle a forcé les prostituées à se déplacer un peu plus loin, ce qui les a amenées juste en face d'une fumerie de crack. Je me demandais en quoi cela pouvait régler le problème. Je comprends que ça a réglé le problème des résidents du quartier mais ça n'a certainement pas réglé le problème du commerce sexuel.

    Quelle que soit notre opinion personnelle ou notre position morale, et quels que soient nos arguments au sujet du commerce sexuel, nous n'avons rien vu dans la législation canadienne qui soit efficace. Ce problème accapare beaucoup de temps des policiers, beaucoup d'énergie et beaucoup d'argent des contribuables. Les policiers eux-mêmes disent : « S'il vous plaît, laissez-nous faire ce que nous devrions vraiment faire, c'est-à-dire nous attaquer aux trafiquants de drogue, aux violeurs et aux agresseurs ».

    La police ne s'intéresse aux travailleuses sexuelles que lorsqu'il y a des pressions des associations de quartier. Cependant, lorsque ces associations discutent avec la police et avec les organisations d'entraide des prostituées, elles ont une attitude beaucoup moins négative qu'on pourrait le penser. Lorsqu'on leur parle du problème de la valeur des propriétés, les prostituées y sont aussi sensibles que les résidents des quartiers puisqu'elles habitent là aussi.

¼  +-(1815)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Hanger.

    Madame Brunelle.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ): Bonjour, mesdames. C'est un plaisir d'entendre votre point de vue. Merci pour votre généreuse contribution au travail de ce comité.

    Madame Jeffrey, vous nous avez dit, à juste titre, que nous devions rencontrer des prostitués et parler avec eux de ce qu'ils vivent, puisqu'ils sont les premières personnes concernées. C'est ce que nous avons fait, dans une première partie, la semaine dernière. Les membres du comité sont même allés à Halifax. Ce fut une expérience des plus intéressantes qui nous a permis de nous ouvrir encore plus et d'éliminer peut-être certains préjugés, si nous en avions encore.

    Cela a aussi permis de voir qu'il y avait de très grandes différences dans les trois villes que nous avons visitées: Montréal, Toronto et Halifax. Les différences sont très grandes en ce qui a trait à ce que le milieu peut tolérer en termes de décriminalisation ou de toute autre réglementation. L'accueil de la population et des policiers face à l'industrie du sexe est très différent, de même que le niveau d'organisation des organismes qui s'occupent des travailleuses du sexe.

    Madame Jeffrey, vous êtes la première à nous parler des travailleuses du sexe migrantes. Au départ, j'aimerais connaître un peu plus ce que vous en savez. J'ai constamment posé la question, entre autres à Halifax. Est-ce qu'il y a vraiment beaucoup de femmes qui arrivent de l'Est? On nous parle de prostituées qui arrivent de l'Est, de l'étranger. Peut-on voir beaucoup de ces travailleuses? On m'a dit qu'on ne les revoyait plus dès le lendemain de leur arrivée. On ne sait donc pas trop quelle est leur situation. Quelle est l'ampleur du phénomène? Est-ce que vous croyez que la décriminalisaiton ferait augmenter le nombre de prostituées de l'Est? Cela contribuerait-il à accroître la demande pour de nouvelles personnes? Parlez-moi un peu plus de ces femmes.

[Traduction]

+-

    Mme Leslie Ann Jeffrey: Je vous remercie de me poser cette question. Quand je travaillais en Europe, c'était un très gros problème, au moins depuis les années 80. Il n'y a pas encore eu autant de migration du commerce sexuel au Canada que dans d'autres régions. C'est peut-être seulement question de temps.

    Certains disent que la décriminalisation entraînera une augmentation des migrations de travailleuses sexuelles. Ce n'est pas évident. Il y a peut-être beaucoup d'autres facteurs en jeu. Je renverse la question : si nous protégeons les droits humains, cela va-t-il attirer des travailleuses sexuelles migrantes? Oui. C'est le même genre de question mais, comme vous l'avez dit, les gens craignent que la décriminalisation augmente le trafic.

    Aux Pays-Bas et en Allemagne, où il y a eu une certaine légalisation, il y a beaucoup d'immigration illégale. Environ 50 à 60 p. 100 des travailleuses sexuelles y sont d'origine étrangère. Cela ne veut pas dire cependant qu'il y a eu une augmentation du trafic—beaucoup d'entre elles ont choisi d'émigrer—mais, comme les nouvelles lois sont destinées à protéger uniquement les citoyens européens, et parfois uniquement les citoyens allemands ou hollandais, cela a engendré un autre commerce criminalisé. Cela a créé une possibilité de trafic pour le crime organisé.

    Les travailleuses sexuelles en Allemagne et aux Pays-Bas avaient prévenu leurs gouvernements en disant que s'ils ne protégeaient par les travailleuses sexuelles migrantes dans le processus de décriminalisation, en leur accordant une protection supplémentaire, cela favoriserait le commerce illégal. C'est ce qui s'est produit.

    Ce n'est donc pas tellement la décriminalisation qui cause le problème mais plutôt les politiques du gouvernement. Si l'on décide de protéger uniquement les citoyens, on risque de voir apparaître un trafic illégal. Cela dit, on voit des travailleuses sexuelles migrantes même dans les systèmes décriminalisés. Cela procède tout simplement, je crois, de la mondialisation du travail des femmes mais cela nous dit que nous devons veiller, si nous décriminalisons, à protéger également les travailleuses migrantes.

    Dans le monde d'aujourd'hui, les bonnes politiques sont toujours des politiques mondiales. Nous devons tirer les leçons de l'expérience européenne. Nous savons que la criminalisation n'aide pas les travailleuses sexuelles migrantes et que la décriminalisation peut également engendrer des problèmes si on ne les protège pas.

¼  +-(1820)  

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle: Savez-vous des choses concernant ces immigrantes qui viennent au Canada? Vous avez dit tout à l'heure qu'on leur retire leur passeport. Sont-elles vraiment entre les mains du crime organisé? Avez-vous des études sérieuses qui permettent d'en savoir plus sur ces femmes?

[Traduction]

+-

    Mme Leslie Ann Jeffrey: Pas assez. Récemment, l'association multiculturelle de Toronto a effectué une excellente étude sur le projet Orphan, l'arrestation de femmes malaisiennes et thaïlandaises en 1995-1996. Elles avaient une longue liste de plaintes, par exemple qu'on leur avait pris leurs passeports.

    Cela ne veut pas nécessairement dire que le crime organisé est impliqué. Parfois, le crime organisé participe à la migration mais n'intervient plus une fois que les travailleuses sexuelles sont arrivées au Canada. Les criminels gagnent leur argent en exploitant le processus de migration. Parfois, le crime organisé garde ces femmes sous son emprise.

    Les données disponibles montrent que, généralement, les travailleuses sexuelles migrantes viennent individuellement, de manière indépendante, en utilisant leurs contacts familiaux ou amicaux, avec des visas légitimes de touristes, et qu'elles décident ensuite de rester et de travailler.

    Les recherches que nous avons effectuées au Canada montre qu'il y a probablement... Quand la GRC dit que le trafic porte sur 600 femmes par an, elle englobe toutes les femmes étrangères qui font partie de ce commerce mais on ne sait pas si elles ont réellement été impliquées dans le trafic.

    Nous savons que les femmes sont souvent expulsées et qu'il y a très peu d'intermédiaires qui sont inculpés. Autrement dit, au lieu de nous attaquer à ceux qui les exploitent, nous nous attaquons aux travailleuses sexuelles elles-mêmes, comme dans le cas du projet Orphan, en les expulsant.

    Nous savons aussi que, lorsque la presse parle de trafic, comme avec le projet Orphan, et qu'elle constate qu'il s'agit de femmes qui allaient être des travailleuses sexuelles, qui ne savaient pas qu'on allait leur prendre leur passeport ou leur dire qu'elles devaient 30 000 $ au propriétaire de bar... quand le public canadien entend ça, il n'est plus très sympathique envers elles. Il en tient plus compte du fait que ce sont des femmes exploitées. Tout ce qui compte, c'est que ce sont de mauvaises femmes qui sont venues au Canada pour se prostituer. Le fait qu'elles aient été exploitées ne compte plus.

    Quand on parle de trafic, les gens pensent que ce sont des jeunes filles qu'on enlève en pleine rue pour les obliger à se prostituer. Ça peut arriver mais c'est assez rare. Le vrai problème, c'est qu'il s'agit de trafic criminel en vertu de la Loi sur l'immigration. La grande majorité d'entre elles viennent volontairement. Notre recherche est très imprécise parce que les définitions sont différentes.

¼  +-(1825)  

+-

    Le président: Madame MacDonald.

+-

    Mme Gayle MacDonald: Je voudrais ajouter un mot. Nous étions l'an dernier à Berlin pour une conférence et je suis ensuite allée en Suède pour étudier sa législation. L'une des choses que nous avons découvertes est que ce problème est un problème de travail. Pour régler le problème des travailleurs migrants, il faut se pencher sur cette législation—la Loi sur l'immigration traite des travailleurs migrants—et la renforcer.

    À Amsterdam, par exemple, où le travail sexuel est en grande mesure légalisé, Mme Jeffrey a tout à fait raison : il y a un problème de travailleurs migrants. Le problème est que le gouvernement hollandais refuse de les reconnaître ou de leur accorder le statut d'immigrantes, alors que cela les protégerait en leur donnant la possibilité d'adhérer aux syndicats qui protègent les autres travailleuses sexuelles de ce pays. Suite à l'effondrement de certains gouvernements d'Europe de l'Est, par exemple, il y a beaucoup de femmes qui ont émigré pour chercher du travail ailleurs en Europe.

    C'est la même chose au Canada, si l'on veut bien penser aux ateliers de misère du secteur du vêtement à Toronto, par exemple. Toute législation visant à protéger les travailleurs migrants ne peut être que bénéfique aux travailleuses migrantes qui se trouvent être des travailleuses sexuelles.

+-

    Le président: Merci, madame Brunelle.

    Madame Fry, êtes-vous prête?

+-

    L'hon. Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.): J'ai des notes remarquables de mon adjoint, Dave, mais j'ai plusieurs choses qui ont été déclenchées...

    Vous dites que le crime organisé gagne son argent en organisant les migrations mais qu'il ne reste pas nécessairement impliqué ensuite. Avons-nous des informations solides à ce sujet? Avons-nous des statistiques indiquant combien de travailleuses migrantes savaient qu'elles venaient ici pour travailler dans l'industrie du sexe? Avons-nous ce genre d'informations détaillées nous indiquant quels sont les pourcentages?

    Condition féminine Canada a effectué une étude portant spécifiquement sur les travailleuses sexuelles venues ici pour être danseuses, strip-teaseuses, etc. C'était intéressant parce que ces femmes ont dit que ce qu'elles croyaient—mais je ne sais pas si c'était vrai ou non—c'était qu'elles venaient ici pour être des danseuses exotiques, c'est-à-dire que, comme elles venaient de Roumanie, leurs danses étaient exotiques. C'est en arrivant ici qu'elles ont constaté qu'elles allaient travailler dans l'industrie du sexe.

    Beaucoup étaient surprises mais elles devaient tellement d'argent à leurs intermédiaires qu'elles étaient obligées de rester et de faire ce travail. Un nombre inquiétant d'entre elles disaient qu'elles préféraient rester ici et faire ce travail que de retourner dans leur pays. C'est intéressant. Avez-vous des données à ce sujet? Y a-t-il eu un suivi? J'étais secrétaire d'État, à l'époque, et je n'ai aucune idée de ce que ça a donné ensuite.

+-

    Mme Leslie Ann Jeffrey: Non, il n'y a rien eu d'autre que les études de Condition féminine Canada, qui a également financé l'étude multiculturelle de la Société historique de l'Ontario. C'est tout comme études canadiennes. Les Européens étudient cette question depuis 20 ans. Nous, nous venons tout juste de nous y intéresser, parce que Condition féminine Canada l'a demandé.

    Ce qui est positif, c'est que beaucoup d'études excellentes ont été réalisées en Europe et dans le Sud global et que nous pouvons facilement en tirer parti parce qu'on retrouve les mêmes tendances partout. Le Network of Sex Work Projects rassemble toute une série d'études réalisées dans le monde entier au sujet des migrations et du travail sexuel, du trafic, de la législation, etc.. Il y a également un site Web appelé « femmigration » qui suit pour ce qui se fait dans l'Union européenne. Ne devrions faire plus d'études là-dessus au Canada, je crois, mais nous avons quand même la chance d'avoir ces études étrangères.

    Nous pouvons aussi discuter avec les associations du Sud global et des pays expéditeurs. Quand j'ai fait des recherches en Thaïlande, j'ai suivi le débat local. J'ai rencontré des organismes d'entraide thaïlandais à la fin des années 80 puis à nouveau à la fin des années 90. Ils m'ont dit qu'ils pensaient au début que ces femmes avaient été kidnappées et trompées pour être expédiées ailleurs mais qu'ils ont ensuite découvert que ce n'était pas aussi simple. En discutant avec ces femmes, ils ont appris qu'elles ne voulaient pas être sauvées et rentrer dans leur pays. Elles voulaient continuer à travailler au Japon ou au Canada. Elles voulaient pouvoir rentrer chez elles pour voir leurs enfants puis revenir—et il y a ici une question de statut de migration—et ne pas se faire enlever leurs passeports. Elles comprenaient qu'elles avaient passé un contrat, puisqu'on leur avait prêté de l'argent pour voyager, mais elles voulaient pouvoir négocier les modalités de remboursement et les faire respecter légalement.

    Elles avaient donc des préoccupations différentes et les organismes thaïlandais ont commencé à changer d'attitude en comprenant qu'il s'agissait avant tout de questions de droits du travail et de droits en tant que migrantes. Ces organismes ont finalement créé l'Alliance globale pour l'élimination du trafic de femmes et nous pouvons tirer parti de leurs recherches et de leur action.

    Certes, il faut faire plus d'études au Canada même, mais cela prendra un certain temps. D'ici là, nous avons déjà beaucoup d'informations que nous pouvons utiliser.

¼  +-(1830)  

+-

    Le président: Madame McDonald.

+-

    Mme Gayle MacDonald: Le vrai problème est un problème d'exploitation et de criminalisation. Si ce commerce n'était plus criminalisé, il y aurait moins d'exploitation.

    Le Nathanson Centre for the Study of Organized Crime, de l'Université York, est probablement la source la plus fiable sur le crime organisé au Canada. Quand j'ai demandé si le crime organisé est impliqué dans le commerce sexuel, un agent de la GRC m'a dit : « Définissez le crime organisé ». Quand est-il organisé? Y en a-t-il deux? Y en a-t-il dix? Certes, il ne fait aucun doute qu'il y a des groupes de gens qui commettent des crimes, comme les Hells Angels, et qui ont des liens avec le commerce sexuel mais, si le commerce sexuel était décriminalisé, ils devraient aller ailleurs pour faire leur exploitation et commettre leurs crimes.

    Deuxièmement, je veux revenir sur ce que disait Mme Jeffrey sur les migrations. Quand nous avons lancé notre étude dans les Maritimes, nous voulions étudier les tendances en matière de trafic. Nous n'en n'avons trouvé aucune. Par contre, nous avons trouvé des signes de migrations. Nous avons trouvé des gens allant de Halifax à Moncton puis à Frédéricton, et un autre cycle de Halifax à la région de Miramichi, Edmunston et les États de Boston, le Maine. Nous avons constaté des tendances très prévisibles de migration et nous avons constaté que le travail sexuel dans les Maritimes ressemble aux autres formes de travail dans les Maritimes. Les travailleuses sexuelles vont là où il y a du travail. Il y a des stéréotypes sur les travailleuses sexuelles, les travailleuses d'escorte ou les danseuses, et nous avons vu que bon nombre de femmes interrogées avait évolué dans les trois domaines, soit parce qu'il n'y avait plus d'argent à gagner dans l'un d'entre eux, soit parce que la répression policière y devenait plus prononcée. Elles avaient des raisons variables de changer.

    L'autre facteur concernant les services d'escorte est que les femmes n'aiment généralement pas travailler dans la collectivité où elles habitent, surtout dans les Maritimes, parce que ce sont de petites collectivités et qu'elles y sont vite connues.

+-

    Le président: Allez-y.

+-

    L'hon. Hedy Fry: Il y a eu une période, il y a six ou sept ans, où nous avons entendu parler de jeunes filles qui étaient kidnappées en pleine rue, dans les régions rurales, ou qui s'échappaient de leur famille et ne voulaient pas y retourner, pour toutes sortes de raisons, et que l'on envoyait à Edmonton. C'était un trafic des Hells Angels... Elles passaient de la campagne albertaine à Edmonton puis à Halifax et, éventuellement, dans d'autres villes. C'est ce qu'on pouvait lire dans les journaux. Quant à savoir si c'était vrai et si c'était confirmé par vos études... en fait, vous me dites que ce n'était pas vraiment anormal. C'était le même type de migration que pour tous les types de travailleurs.

+-

    Mme Gayle MacDonald: Ma définition de cela, c'est que c'est du kidnapping. Il y a des dispositions du Code criminel pour réprimer ce type d'infraction. Il ne fait aucun doute qu'il ne devrait pas y avoir d'enfants dans l'industrie du sexe, et il y a des moyens pour protéger les enfants. Il y en a en vertu des lois provinciales et en vertu du Code criminel. Si un enfant est enlevé de sa collectivité ou de sa famille et transféré à l'autre bout du pays, c'est à l'évidence un acte criminel en droit canadien et cela concerne souvent moins le travail sexuel que le crime d'enlèvement.

    J'ai vu des articles de ce genre mais il faut savoir que, pour les journalistes, trois événements constituent une tendance. S'il y a trois événements relativement importants qui se produisent aux États-Unis, dans la région de Miramichi, à Saint-Jean de Terre-Neuve ou ailleurs, c'est une tendance pour les journalistes. Je suis donc très sceptique au sujet de ce qu'il y a dans les journaux.

    Nous avons constaté la racialisation du commerce par les médias, alors que nos études nous ont donné très peu d'indications sérieuses. Nous avons vu beaucoup de racialisation d'hommes noirs, qualifiés de souteneurs, alors que nos recherches nous ont montré que très peu, voire aucun, des 52 hommes et femmes que nous avons interrogés avaient un souteneur. Il faut donc prendre ces articles avec un grain de sel.

    Évidemment, la protection des enfants doit être la première priorité de l'État, c'est incontestable, mais il y a des lois pour réprimer l'exploitation des enfants.

¼  +-(1835)  

+-

    L'hon. Hedy Fry: Ai-je encore un peu de temps, monsieur le président?

+-

    Le président: Non, vous avez terminé, madame Fry. Vous pourrez revenir plus tard.

+-

    L'hon. Hedy Fry: Bien, je terminerai pendant le tour suivant.

    Je veux discuter de la différence entre les enfants et les femmes consentantes.

+-

    Le président: Nous pourrons y revenir.

    Monsieur Hanger.

+-

    M. Art Hanger: Quel est l'âge de consentement pour se prostituer?

+-

    Mme Gayle MacDonald: C'est 18 ans.

+-

    M. Art Hanger: L'Alberta a adopté une loi pour interdire aux filles n'ayant pas l'âge de la majorité d'être dans la rue. La première année, la police en a ainsi arrêté 273.

    Il y a manifestement quelque chose qui ne va pas avec le système actuel quand on voit un aussi grand nombre d'adolescentes qui se prostituent—même si c'est volontaire. Une enfant est une enfant et la loi devrait la protéger si elle se prostitue, que ce soit volontairement ou sous la contrainte d'un souteneur.

    Croyez-moi, cette information est très réelle, même si on n'en parle pas dans les journaux. Je pense qu'il faut intervenir car il y a un vrai problème de jeunes filles qui sont exploitées. À mes yeux, quand une enfant se prostitue, elle est exploitée, même si elle le fait volontairement.

    Voilà la réalité qui existe au Canada et, bien souvent, il y a également un phénomène de drogue qui entre en jeu. Ceci veut dire que le crime organisé est impliqué car c'est par son intermédiaire que le souteneur veut faire prendre de la drogue à la jeune fille, ce qui est la garantie qu'il récupérera son argent.

    Il est intéressant que vous parliez fréquemment des Pays-Bas. Notre comité a entendu dire qu'il y a là-bas plus de prostitution illégale que légale, ce qui soulève un problème d'application de la loi car, selon moi, même si c'est théoriquement légal, il y a aussi tout cet aspect de la prostitution illégale avec des immigrantes et, bien souvent, des enfants. Beaucoup sont encore des enfants.

    Je vais vous poser une autre question que j'ai déjà posée à beaucoup de témoins mais pour laquelle je n'ai encore pas obtenu de réponse satisfaisante. Vous avez parlé de la ferme Picton où quelque 69 jeunes filles ont été assassinées, si je ne me trompe, et je crois pouvoir dire que la grande majorité étaient des prostituées.

    Vous avez parlé de sécurité.

    La situation de la ferme Picton n'avait rien d'exceptionnel. Il y a eu les assassinats de Green River, aux États-Unis. Il y a eu des disparitions de prostituées dans la région d'Edmonton. Et je suis sûr que l'on peut trouver des situations semblables dans bien d'autres régions du pays.

    En ce qui concerne les jeunes filles de la ferme Picton, elles y étaient allées volontairement pour s'amuser. Cela n'avait rien d'exceptionnel, et sa ferme était bien connue des prostituées—et aussi de leurs souteneurs, je peux l'ajouter. Tout le monde le connaissait. J'aimerais vous demander en quoi changer les lois sur le racolage augmenterait la sécurité de ces jeunes filles car, par exemple, beaucoup d'entre-elles étaient revenues... C'est un long trajet de Vancouver jusqu'à Abbotsford, là où il vivait, et elles avaient tout le temps, en route, de se rendre compte de qui il était. Évidemment, ce n'est sans doute pas un jugement facile à porter quand on est sous l'emprise de la drogue ou s'il y a de l'argent à gagner au bout de la route.

¼  +-(1840)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Hanger.

+-

    Mme Gayle MacDonald: Vous venez de faire plusieurs remarques intéressantes auxquelles j'aimerais répondre.

    En ce qui concerne la ferme Picton, aller à une soirée pour s'amuser ne constitue pas un consentement au meurtre. Aller à une soirée pour gagner de l'argent, même si l'on a pris de la drogue, ne veut pas dire que l'on donne son consentement au meurtre. M. Picton a assassiné ces femmes et les a réduites en chair à pâté.

    Dans quel pays vivons-nous où une personne, quelle que soit notre idée de la moralité ou de l'immoralité, peut avoir ce genre de comportement et faire cela avec des femmes pendant longtemps sans que personne ne s'en rende compte? J'affirme que cela a pu se produire à cause de la déshumanisation des travailleuses sexuelles. Cette déshumanisation vient du fait qu'elles travaillent dans le domaine du sexe et qu'elles ne sont pas considérées comme méritant de vivre. Ni la société ni la police ne peuvent faire fi de cette réalité.

    En ce qui concerne le programme PChIP de l'Alberta, dont vous avez parlé, le professeur Karen Busby a fait des recherches qui ont démontré qu'il ne marche pas. Dans ce programme, une fois que les enfants étaient placés en détention de protection, ils s'échappaient parce qu'ils n'y avaient pas consenti. ils étaient placés en détention de protection pour de nombreuses raisons. Ce qu'elle reproche au programme, c'est qu'il permet d'arrêter n'importe qui, pour n'importe quelle raison.

    Puisque vous parlez d'enfants, je vous pose la même question : quelle est votre définition d'un enfant? En outre, connaissez-vous les comportements sexuels des jeunes filles d'aujourd'hui?

    Quand nous avons discuté avec des femmes de foyers de transition, elle nous ont parlé d'échange de faveurs sexuelles pour un paquet de cigarettes, pour un logement d'une nuit, mais aucune n'a associé ça à la prostitution. Nous parlons ici d'une génération plus jeune. Mes propres étudiantes ne considèrent pas ça comme de la prostitution. En outre, pour elles, il n'y a de relations sexuelles que lorsqu'il y a pénétration vaginale. Tout le reste, oral ou anal, n'est pas considéré comme une relation sexuelle. Quand on discute avec des moins de 20 ans, il faut être très précis avec la terminologie.

    L'autre question que je veux vous poser est celle-ci : où avez-vous obtenu des chiffres sur les arrestations s'ils n'ont pas été publiés? Quand la police obtient ce genre de résultat, c'est qu'elle a jeté le filet très loin. Elle arrête n'importe quelle jeune fille qui se trouve dehors la nuit ou qui est en difficulté, ce qui peut comprendre beaucoup de jeunes vivant dans des familles qui ne sont pas fonctionnelles pour toutes sortes de raisons.

    J'aimerais également revenir sur la définition des souteneurs. Comme le disait une travailleuse sexuelle, quand elle et son ami vivaient ensemble, tous deux prenaient de la drogue. Elle faisait des passes pour obtenir de l'argent et elle m'a posé cette question : qui était le souteneur, la cocaïne ou son ami?

+-

    Le président: Votre temps de parole est écoulé.

    Madame Jeffrey, voulez-vous répondre?

+-

    Mme Leslie Ann Jeffrey: Merci.

    Je reviendrai sur deux choses.

    Comment la décriminalisation va-t-elle accroître la sécurité? Tout d'abord, il ne peut pas y avoir de changement d'attitude sans décriminalisation. Certes, décriminaliser ne va pas obligatoirement changer les attitudes mais il est clair qu'il y aura pas de changement d'attitude sans décriminalisation.

    La police dit qu'elle aimerait que les travailleuses sexuelles viennent se plaindre si elles sont violées ou battues et qu'elles ne seront pas arrêtées. Cependant, les travailleuses sexuelles nous disent que, même si elles connaissent un agent de police très sympathique, elles ne se sentiront pas en sécurité si elles se plaignent parce que l'agent de police saura alors qui elles sont et qui sont leurs clients. Cela augmentera alors la pression. C'est comme si tous étaient piégés dans un cercle vicieux—policiers et travailleuses sexuelles, souvent. Ils ne trouvent pas de solution rationnelle.

    La criminalisation du travail sexuel n'a rien donné. Nous avons vu les chiffres. Le Dr Loman vous a donné les chiffres. Il semble que la violence infligée aux travailleuses sexuelles ait augmenté depuis l'adoption de l'article 213, depuis la Loi sur la communication. Nous avons vu également que, dans les études d'avant 1985, des travailleuses sexuelles disaient qu'elles avaient plus le sentiment d'être des citoyennes à part entière, surtout dans la période 1978-1985. Elles avaient le sentiment de faire partie de leur collectivité et de pouvoir chercher de l'aide. Depuis 1985, elles se sentent isolées et exclues, et c'est ce qui favorise la violence.

    On peut faire des comparaisons. Est-ce que toutes les activités dangereuses sont criminalisées? Si tel était le cas, il faudrait criminaliser le mariage, qui est la chose la plus dangereuse qu'une femme puisse faire. Qui sont les femmes les plus susceptibles d'être assassinées? Au Canada, avant les travailleuses sexuelles, les statistiques montrent que ce sont les épouses et les amies et, si on suit cette logique...

    On ne ferait jamais cela pour le mariage. Pourquoi le fait-on pour le travail sexuel?

    La décriminalisation donnera au moins aux travailleuses sexuelles la possibilité de s'organiser et de travailler de manière plus ouverte, par exemple en partageant des informations sur les clients dangereux. Nous savons—et je suis sûre que PEERS Vancouver vous en a parlé—que les travailleuses sexuelles étaient informées et essayaient de diffuser l'information mais c'est difficile à faire quand on vit sous un nuage de criminalité. Il se peut fort bien que cela ait donné à Picton l'espace nécessaire pour opérer.

    Vous avez raison—il y a beaucoup d'activité illégale mais, je le répète, la décriminalisation seule n'est pas la solution. C'est simplement le premier pas vers des solutions plus rationnelles. La beauté du monde global, c'est que nous pouvons apprendre des autres. Les Hollandais disent que vous avez raison—dans le monde d'aujourd'hui, ne protéger que les citoyens ne sera pas suffisant. Il faut également trouver le moyen de protéger les migrants. Si on ne protège que les citoyens, on crée une activité clandestine.

    Il y a certainement d'autres modèles utiles en matière de protection légale des travailleurs migrants. Si j'insiste beaucoup sur la Convention des Nations unies concernant les travailleurs migrants et leurs familles, c'est parce que c'est un instrument unique qui est axé sur les droits humains. En ce qui concerne les migrants sans document, quel que soit leur secteur—et la Convention est maintenant en vigueur dans les pays qui l'ont signée, ce que le Canada n'a pas fait—on décide de leur assurer un minimum de protection. Cela peut comprendre le droit d'adhérer à des syndicats et toute une série d'autres mesures fondamentales énoncées dans la Convention. Au lieu de punir les gens sans documents, encourageons-les à en obtenir. Si vous devenez un immigrant légal, en passant par le processus normal d'immigration et d'obtention d'un visa, nous allons vous donner des droits supplémentaires—comme le droit à une plus grande mobilité à l'intérieur du Canada, le droit à l'assurance-emploi et le droit aux soins de santé au-delà des simples services d'urgence.

¼  +-(1845)  

    Donc, au lieu de punir les migrants sans documents, ne serait-il pas préférable d'utiliser la carotte plutôt que le bâton? Si l'on décriminalisait, on pourrait envisager de faire ces choses-là de façon à leur accorder un niveau supérieur de protection, ce qui ferait disparaître ce commerce sexuel illégal et clandestin qui est très dangereux.

    Voilà ma recommandation à ce sujet.

+-

    Le président: Merci, professeur Jeffrey.

    Madame Brunelle, vous avez trois minutes.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle: Madame MacDonald, vous nous avez fait trois recommandations. Cela a passé un peu vite; j'aimerais avoir plus de détails.

    Vous nous avez parlé de décriminalisation. On comprend cela. Vous nous avez aussi parlé du modèle communautaire. Qu'est-ce que c'est? Comment cela fonctionne-t-il? Vous nous avez aussi parlé de maisons sûres où travailler. Qu'est-ce? Est-ce un red light district?

    Expliquez-nous un peu vos recommandations.

¼  +-(1850)  

[Traduction]

+-

    Mme Gayle MacDonald: Un quartier réservé serait une possibilité, ou des maisons de débauche décriminalisées. Si l'on abrogeait les dispositions du Code criminel concernant les maisons de débauche, et si les services d'escorte étaient autorisés, cela offrirait plus de lieux de sécurité.

    Le problème de la législation sur les maisons de débauche est que celles-ci ne sont plus le modèle du travail sexuel au Canada. Bon nombre de femmes travaillent chez elles mais elles risquent quand même d'être accusées de tenir une maison de débauche. Bon nombre travaillent chez elles parce qu'elles ne se sentent pas en sécurité dans la rue mais elles ont toujours peur de se faire arrêter chez elles.

    Cela dit, la police est beaucoup plus susceptible de répondre à des plaintes concernant le travail de rue. Il n'y a pas beaucoup de persécution des gens dans leur propre maison mais beaucoup de travailleuses sexuelles craignent quand même de finir par se faire attraper. La décriminalisation réglerait ces deux préoccupations.

    En ce qui concerne le Comité sur le commerce sexuel de Saint John, je vais laisser la Dre Jeffrey vous répondre, bien que j'aie le modèle ici. Le comité a été créé par la police communautaire parce qu'on avait réalisé que les agents de police n'avaient peut-être pas réglé le problème du commerce sexuel. Ce sont les partenariats au sein de ce comité qui sont intéressants. On y trouve aussi bien des résidents que des membres des Soeurs de la charité, des agents de police, des chercheurs, des gens d'affaires, des membres de services d'entraide, des propriétaires fonciers et des travailleurs sociaux.

    Le comité se réunit régulièrement pour discuter des problèmes locaux. Plusieurs de ses leaders rencontrent régulièrement des représentants de la police pour parler des problèmes que connaît la police avec le commerce sexuel. Ensuite, ils discutent de ces problèmes avec les travailleuses sexuelles pour chercher des solutions. De leur côté, les travailleuses sexuelles parlent des problèmes qu'elles ont avec la police, et il y a ainsi un échange de vues continuel, dans les deux sens.

    Des travailleuses sexuelles en activité ou à la retraite sont également invitées de temps à autre pour conseiller le comité. Ma collègue, la Dre Jeffrey, fait partie du comité. Ce que je vous dis à ce sujet est tout à fait objectif puisque je n'en fais pas partie.

    Dans d'autres collectivités, comme à Halifax, j'ai constaté que l'agence d'entraide, le programme Stepping Stone, a de très mauvaises relations avec la police régionale. Il y a des membres de la police régionale qui font preuve de sympathie à l'égard des travailleuses sexuelles mais il y a eu d'autres divisions au sein de cette police qui ont une attitude extrêmement répressive. Cela donne un message contradictoire à la communauté.

    Si le travail sexuel était décriminalisé, si l'on encourageait plus la coopération, je pense que ce serait un pas vers la décriminalisation et permettrait à d'autres groupes communautaires de se créer. Le modèle de Saint John connaît beaucoup de succès. Certes, il y a eu de fortes réticences au début dans certains milieux. Certains agents de police voulaient arrêter les clients mais, quand ils ont pu discuter avec des travailleuses sexuelles, elles leur ont dit que cela ne change rien, si ce n'est de favoriser la clandestinité. Les gens qu'il faut arrêter sont les agresseurs, les assassins, les violeurs.

    Stella, une organisation de Montréal dont vous avez probablement entendu parler, avait fait une classification des mauvais clients. Il y avait ainsi les mauvais clients qui ne payaient pas, ceux qui battaient les femmes, ceux qui les agressaient. Il y avait plusieurs catégories. Les listes étaient remises à la police en disant que l'on avait la preuve que ces hommes avaient commis une agression sexuelle, ou étaient des violeurs, et qu'il fallait que la police fasse son travail. C'est une autre manière pour les agences communautaires de collaborer avec la police.

    Les travailleuses sexuelles tiennent beaucoup à ce qu'on arrête les trafiquants de drogue. Elles tiennent à ce qu'on arrête les violeurs. Elles tiennent à ce qu'on arrête les agresseurs. C'est aussi ce que souhaite la police. Il y a donc moyen pour la police et les travailleuses sexuelles de s'entraider.

+-

    Mme Leslie Ann Jeffrey: En temps que politologue, j'aimerais que l'on s'intéresse de plus près aux diverses politiques que l'on pourrait adopter. Autrement dit, comment faire pour que les travailleuses sexuelles se sentent en sécurité et bénéficient de tous leurs droits ? Je crois qu'il y a certains modèles à suivre.

    Les travailleuses sexuelles se sont traditionnellement opposées à l'idée des quartiers réservés car, disent-elles, c'est généralement le gouvernement qui décide où ils se trouveront et qui les contrôlera, sans jamais leur en parler—ou pratiquement jamais. Par exemple, on va créer un quartier réservé dans un secteur dangereux, près d'un port. Ça s'est déjà vu.

    Donc, elles disent qu'elles ne veulent pas de quartier réservé à moins—et elles sont prêtes à en discuter parce qu'elles savent qu'il y a un problème à résoudre—de décriminaliser leur activité et d'assurer leur sécurité. Elles s'opposent donc à cette idée si c'est une excuse pour éviter la décriminalisation, parce que cela finira par rendre leur activité encore plus dangereuse. Par contre, si c'est fait dans un contexte de décriminalisation, avec des patrouilles de police et des services d'entraide, elles sont sans doute prêtes à l'envisager.

    Il y a d'autres modèles que l'on peut envisager... le principe fondamental doit être que l'on veut éviter que les travailleuses sexuelles soient exploitées. Comment y arriver? En adoptant des politiques que les travailleuses sexuelles auront élaborées. Et elles ont des solutions brillantes. Si vous consultez les sites Web et les organisations de travailleuses sexuelles, vous y trouverez toutes sortes d'idées. Je crois que PEERS Vancouver, par exemple, a évoqué l'idée d'une coopérative où il aurait pas de patron et où personne ne serait exploité. Ce serait une sorte d'atelier de propriétaires-exploitantes indépendantes.

    La Nouvelle-Zélande a récemment décriminalisé. Le ministre pourrait interroger la Commission du droit du Canada, qui est en contact avec la Commission du droit de la Nouvelle-Zélande, pour lancer un projet de recherche commun car, dans la nouvelle loi de décriminalisation néo-zélandaise, adoptée en partie sous l'impulsion d'une ancienne travailleuse du sexe à la Chambre des communes—c'est peut-être ce qu'il faut pour y arriver—on a tenté de faire en sorte que les travailleuses sexuelles travaillent de manière indépendante au sein de petites organisations. On a essayé de favoriser cela, le plus possible.

    La Nouvelle-Zélande statue clairement que personne de moins de 18 ans...C'est écrit dans la loi. La décriminalisation n'empêche pas le gouvernement de mettre en place certaines mesures. C'est ce que la Nouvelle-Zélande a fait.

    Il y a d'autres exemples en Australie, dont certains n'ont pas marché. Il ne s'agissait pas toujours de modèles décriminalisés mais, sur la partie orientale du continent, il y en a eu plusieurs dont certains ont connu plus de succès que d'autres. Dans certains cas, on a fait comme aux Pays-Bas, ce qui a entraîné la création de bordels immenses qui ont fini par être contrôlés par le crime organisé. Les autorités reconnaissent que c'est ce qui s'est produit. Quand on crée des bordels immenses qui ne sont pas contrôlés par les travailleuses du sexe, cela attire le crime organisé, et c'est ce que l'Australie a constaté. Je parle ici de Melbourne et de Victoria.

    Il y a deux autres modèles dans le Territoire de la capitale de l'Australie et dans la Nouvelle-Galles du Sud, à Sydney. Le Territoire de la capitale de l'Australie a une sorte de conseil gouvernemental communautaire qui supervise ce qui se passe. Le prix d'obtention d'une licence de bordel est très faible. Le problème à Victoria, c'est qu'on a fixé le prix à un niveau très élevé que seul le crime organisé pouvait payer. Ils ont donc créé des immenses bordels, ce qui n'est pas bon pour les travailleuses du sexe. Dans le Territoire de la capitale de l'Australie, comme en Nouvelle-Zélande, on a tenté de faire en sorte que ce soient les travailleuses du sexe qui contrôlent ce commerce, pas quelqu'un d'autre. Sidney essaye de faire la même chose en ce moment, dans un contexte légèrement différent.

    Tous ces modèles nous montrent cependant qu'il est possible, avec la décriminalisation, de faire en sorte que personne n'exploite les travailleuses sexuelles et de veiller à ce qu'elles contrôlent elles-mêmes leur travail, et j'affirme que c'est la seule manière de faire fonctionner la décriminalisation. Les travailleuses de rue—et elles sont en petite proportion au Canada, peut-être 10 p. 100—évitent les services d'escorte. Elles savent que c'est plus sécuritaire mais ce qui leur déplaît, c'est qu'elles sont contrôlées par quelqu'un d'autre qui prend leur argent. Elles ont souvent travaillé dans d'autres domaines, dans le secteur des services, des soins personnels, par exemple, et elles ont cessé de le faire pour les mêmes raisons, parce qu'elles ne gagnaient pas beaucoup d'argent et qu'elles étaient trop contrôlées. Elles n'aiment pas que quelqu'un d'autre leur dise toujours quoi faire et comment le faire. Elles préfèrent donc la rue parce qu'elles y sont indépendantes.

¼  +-(1855)  

    Donc, les décideurs canadiens devraient s'assurer que, quel que soit le modèle retenu, les travailleuses sexuelles puissent contrôler elles-mêmes leur travail. Cela exigera peut-être que l'on utilise plusieurs modèles simultanément. Je pense qu'il y aura toujours de la prostitution de rue, surtout lorsqu'il y a aussi un problème de drogue, et ce qu'il faudrait peut-être envisager, ce serait une sorte de refuge, de maison où l'on pourrait se piquer en sécurité et où l'on aurait simplement créé un espace pour certaines femmes.

+-

    Le président: Docteure Fry.

+-

    L'hon. Hedy Fry: Une sorte de site d'injection en sécurité? Bien.

    Vous n'avez pas à me convaincre, ça fait trop longtemps que j'entends des témoins dire au comité que la décriminalisation doit être l'une des solutions.

    Je voudrais revenir aux jeunes filles de moins de 18 ans car l'un des gros problèmes pour notre comité—et je me demande si vous connaissez des études à ce sujet ou si vous pouvez penser à des solutions—est que beaucoup de ces jeunes filles de moins de 18 ans n'ont pas été enlevées ni vendues mais qu'elles se sont simplement enfuies d'une famille où elles étaient agressées. Elles ne veulent certainement pas être retrouvées, ce qui en fait des proies faciles pour un petit couple gentil—et c'est bien souvent un petit couple gentil—qui offre de les héberger pendant une semaine et leur fait peu à peu découvrir la drogue puis finit par les exploiter. Si l'on pouvait identifier ces jeunes filles... ce qu'elles craignent, c'est d'être renvoyées dans leurs familles parce qu'elles sont mineures. C'est un cercle vicieux. Que faire avec une jeune fille de moins de 18 ans qui s'enfuit de chez elle et qui est une proie idéale pour l'exploitation, pour la drogue et pour toutes sortes de choses?

    C'est une chose qui me préoccupe sérieusement. Quand la jeune fille est majeure, elle est autonome et peut prendre ses décisions. Si nous lui donnons un lieu sécuritaire, et si l'activité est décriminalisée, etc. Nous avons toujours constaté, par exemple avec le Comité sur la drogue, que la prohibition ou la criminalisation entraîne toujours une augmentation de l'activité clandestine et criminelle. On donne à certaines personnes l'occasion d'exploiter la situation.

    La meilleure chose serait que tout cela soit ouvert et réglementé, avec un système de permis. Par contre, cela ne règle pas le problème des filles moins de 18 ans qui sont piégées dans un cycle énorme—un cercle vicieux. Que peut-on faire pour elles? Voilà ma question.

½  +-(1900)  

+-

    Mme Gayle MacDonald: Nous n'avons pas étudié spécifiquement la situation des enfants mais je peux vous donner des exemples de juridictions qui ont eu des problèmes avec les enfants et qui ont très bien réagi. Ainsi, une étude pilote que j'ai effectuée à Saint-Jean de Terre-Neuve a montré qu'il y a là-bas de nombreux services d'aide bien financés, ainsi que des foyers communautaires pour les enfants, essentiellement suite au problème de Mount Cashel, qui a été l'aiguillon politique.

    En réalité, à Terre-Neuve, il y a le problème inverse : une travailleuse sexuelle de moins de 18 ans a accès à toutes sortes de services, mais son homologue de plus de 18 ans est beaucoup plus limitée à cet égard.

    Il vaut donc la peine d'examiner ce qu'ont fait les collectivités qui ont eu des problèmes et qui ont trouvé des solutions.

    Il faut voir ce qu'ont fait les groupes communautaires qui travaillent avec les enfants. Je songe ainsi à plusieurs groupes que j'ai interrogés pour mon étude : Chrysalis House de Fredericton, qui fait un travail exceptionnel avec les jeunes filles; Fredericton Residential Youth Services, qui dispense de la formation; et il y a aussi deux ou trois services excellents à Halifax. Voilà des organismes qui savent ce qu'il faut faire avec les enfants.

    Comme vous le savez, le problème vient en partie du fait que les familles n'obtiennent pas d'aide pour élever les enfants. Il n'y a plus de famille élargie, comme autrefois. Or, comme le dit le dicton, « il faut un village pour élever un enfant ». C'est au sein de la communauté que les enfants sont éduqués. Si un enfant est seul, s'il est effrayé, s'il a besoin d'aide, c'est la communauté qui devrait lui venir en aide. Si une famille est dysfonctionnelle, c'est la communauté devrait lui venir en aide—mais qui, dans la communauté?

    Il y a eu pendant longtemps un décalage dans les services offerts aux enfants de 16 ans et de 18 ans. On considérait que l'enfance allait jusqu'à 16 ans et que l'âge adulte commençait à 18 ans, et il n'y avait donc rien entre les deux. Les agences communautaires ont fait preuve de créativité face à à ce problème; quand j'ai commencé à travailler, dans les services correctionnels, on a commencé à créer des foyers communautaires pour accueillir cette catégorie d'enfants.

    Cela dit, si un enfant ne veut pas être trouvé et ne veut pas rentrer chez lui, le problème est complètement différent. Ce que notre recherche a démontré, comme je le disais à M. Hanger, c'est qu'il y a des enfants de 14, 15 ou 16 ans qui offrent des faveurs sexuelles en échange de certaines choses et qui ne considèrent pas qu'il s'agit de relations sexuelles. Il y a donc des comportements sexuels que l'on constate aujourd'hui qui sont très différents de ce qu'ils étaient autrefois.

    Ce qu'il faudrait faire, à mon avis, c'est dispenser une meilleure éducation sexuelle dans les écoles. Il y a toute une guerre à ce sujet dans le district 18 de Fredericton à l'heure actuelle. L'idée de dispenser de l'éducation sexuelle dans les écoles suscite beaucoup d'opposition, l'argument des opposants étant que l'abstinence est la seule chose valable dans ce domaine. Voyez cependant le nombre de grossesses d'adolescentes au Nouveau-Brunswick et vous verrez que l'abstinence n'est certainement pas une stratégie efficace.

    Je crois qu'il faut donc chercher toutes sortes de solutions.

½  +-(1905)  

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Hanger.

+-

    M. Art Hanger: Merci, monsieur le président.

    Vous avez toutes les deux parlé des modèles appliqués dans différents pays. Et, bien sûr, on trouve également des modèles différents à l'intérieur de certains pays. Puisque nous parlons de sécurité, de violence et d'exploitation, je suis sûr qu'il y a des différences entre ces différents modèles du point de vue de la sécurité, n'est-ce pas? Il n'y a pas de violence ou il n'y en a plus? Quelle est la situation?

    Toutes les informations que nous avons recueillies jusqu'à présent, toute la structure des informations que nous avons obtenues, est que ceci va être caché à l'intérieur. Dans un sens, 80 p. 100 de la prostitution est déjà une activité intérieure mais personne ne parle du genre de violence qu'il y a dans les salons de massage, les salons de strip-tease ou les services d'escorte. Mais je sais qu'il y en a. Il ne semble y avoir aucune recherche dans ce domaine. Nous parlons uniquement de la violence dans la rue et la seule solution que l'on semble proposer est de faire entrer tout le monde à l'intérieur, ce qui reviendrait à cacher le problème, en quelque sorte. J'aimerais savoir ce que vous avez découvert à ce sujet et ce qui se passe dans les autres pays.

+-

    Mme Leslie Ann Jeffrey: Généralement, il y a moins de violence à l'intérieur qu'à l'extérieur, mais il y en a quand même, comme vous l'avez dit. Ce qui se passe à l'intérieur, au Canada, reste criminel. Si les propriétaires de services d'escorte reconnaissaient ce qui se fait réellement, on verrait que c'est encore une activité criminelle.

+-

    M. Art Hanger: Je ne parle pas de ça. Je parle de la situation dans les autres pays. Vous n'arrêtez pas de parler d'autres modèles.

+-

    Mme Leslie Ann Jeffrey: Oui. Je n'ai pas constaté le même genre de plaintes en Australie, au sujet de la violence, et je vous dirai à nouveau ce qu'il en est l'an prochain, au retour de mon prochain voyage. Je suis en contact avec des chercheurs australiens et il y a beaucoup...

+-

    M. Art Hanger: Mais vous n'avez pas de statistiques à nous donner aujourd'hui?

+-

    Mme Leslie Ann Jeffrey: Non, mais vous pouvez aller voir Scarlet Alliance, qui est l'organisation des travailleuses sexuelles d'Australie. Qui d'autre? Il y a plusieurs organisations mais Scarlet Alliance est l'organisation nationale.

    Il y a moins de statistiques là-bas parce que le problème y est moins grave que chez nous où il est énorme. Lorsque l'activité se passe à l'intérieur, il est possible de prendre des mesures de protection. Toutefois, si l'on repousse l'activité à l'intérieur et qu'on ne fait rien d'autre, le même problème risque de se poser. Par contre, si l'on adopte des politiques adéquates, on peut au moins le minimiser, si ce n'est l'éliminer. Il y aura toujours de la violence...

+-

    M. Art Hanger: C'est pour ça que nous sommes ici, n'est-ce pas? Vous parlez de politiques mais j'ai souvent entendu dire qu'elles ne veulent pas être contrôlées par l'État. Ces prostituées sont comme tout le monde, elles veulent un milieu de travail qu'elles contrôlent. Le rôle de l'État ne devrait pas être plus étendu qu'il ne l'est, par exemple, dans la réglementation d'un garage réparant des automobiles. C'est ce que j'entends dire. Avec ce genre d'environnement, qui est ce que vous proposez, j'ai du mal à concevoir que ça puisse se passer de cette manière.

+-

    Mme Leslie Ann Jeffrey: C'est le modèle que je proposerai. Ce serait comme n'importe quel autre lieu de travail. Nous avons entendu des jeunes filles faisant de l'escorte dire qu'elles n'avaient pas téléphoné au sujet d'un client violent parce qu'elles avaient peur que la police les interroge sur leur activité et qu'elles ne voulaient pas en parler. Si c'était comme n'importe quel autre milieu de travail, elles feraient exactement la même chose—elles appelleraient la police en cas de menace.

    C'est ce qui se passe dans les universités, n'est-ce pas? il y a des incidents violents, des menaces, et on appelle la police. Il y a des services de sécurité sur les campus. Personne n'a peur de téléphoner à la police parce qu'il n'est pas illégal d'être un étudiant ou un professeur. Par contre, si nous faisions quelque chose d'illégal, nous perdrions cette protection. L'idée serait d'en faire un élément de la structure générale de l'emploi afin de pouvoir faire appel aux services disponibles pour tout le monde—la police, qui est là pour vous protéger contre les prédateurs violents.

½  +-(1910)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Hanger.

    Voulez-vous faire une remarque, madame MacDonald?

+-

    Mme Gayle MacDonald: Pour reprendre votre exemple, si vous gérez un garage réparant des automobiles et que le directeur bat le client ou le mécanicien, on appelle la police. Le parallèle serait donc...

    Quand vous parliez, j'avais l'impression que vous alliez parler de violence conjugale. Quelle protection offrons-nous à une femme mariée qui est battue par son mari? À une certaine époque, au Canada, lorsqu'une femme était victimisée, on considérait que c'était de sa faute ou qu'elle avait d'une certaine manière contribué à l"acte. De ce fait, elle hésitait à se plaindre. Pourtant, elle n'avait commis aucun crime.

    Les travailleuses sexuelles vous diraient que leur possibilité de dénoncer le client violent est directement reliée à la criminalisation de leur activité. Elles veulent pouvoir dénoncer le client violent. Elles en ont peur. Elles veulent en être protégées. Une travailleuse de S-M qui gérait un donjon nous a dit qu'elle voyait continuellement de drôles de personnages et qu'elle savait qui était capable de commettre un meurtre au un acte criminel grave. Elle devait pouvoir évaluer ses clients pour faire son travail et elle nous a dit qu'elle aimerait pouvoir dire à la police qui, selon elle, est un danger pour la société et qui est simplement une personne différente qui cherche une solution fétichiste.

+-

    Le président: Je crois que je dois vous interrompre, monsieur Hanger.

    Madame Brunelle.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle: Depuis le début des audiences de ce comité, on entend une chose et son contraire. C'est parfois difficile. Il y a des perceptions différentes.

    J'aimerais qu'on parle de l'implication du crime organisé. Certains policiers nous ont dit que l'industrie du sexe semblait être contrôlée par le crime organisé. Pour d'autres personnes, ce n'est pas le cas.

    Est-ce que vous avez des études là-dessus? Avez-vous des données? Quelles sont vos idées? Est-ce que le crime organisé est vraiment fortement impliqué dans l'industrie de la prostitution?

[Traduction]

+-

    Mme Gayle MacDonald: Pas dans les Maritimes. Ce que nous voyons dans les Maritimes, ce sont essentiellement des femmes et des hommes travaillant de manière indépendante. À Moncton, par exemple, nous avons entendu dire que les Hells Angels sont impliqués. Nos n'en avons vu aucune preuve. Le groupe PEERS qui a été créé à Moncton nous a dit que c'est peut-être vrai. De toute façon, je peux vous dire que ce n'est pas aussi développé que dans d'autres régions.

    Les travailleuses sexuelles des Maritimes sont très semblables à beaucoup de travailleuses des Maritimes. Elles sont férocement indépendantes, relativement anti-autoritaires, et veulent contrôler leurs conditions de travail. Il y a donc beaucoup de résistance à l'idée même que le crime organisé puisse les contrôler.

    L'autre chose que je voulais mentionner est que, sur les 52 personnes que nous avons interrogées, l'âge moyen était de 32 ans. Ce sont des personnes tout à fait capables de se défendre. Elles n'apprécieraient certainement pas des tentatives d'extorsion ou d'exploitation par le crime organisé. Il y a certains indices—c'est seulement périphérique dans le travail que j'ai fait avec la police—d'implication du crime organisé dans le trafic de drogue, mais ça ne veut pas dire que c'est synonyme du travail sexuel.

+-

    Mme Leslie Ann Jeffrey: Tout ce que je peux ajouter c'est que... Ce n'est qu'une histoire d'une travailleuse sexuelle de Toronto. Elle m'a dit : « Tu sais, j'ai travaillé pour le crime organisé et il y a pire comme employeur ». Il peut s'agir d'un propriétaire de bar mais ce n'est pas nécessairement quelqu'un qui fait du trafic ou qui contrôle les femmes. C'est peut-être vrai dans certains cas mais il est vrai aussi que c'est une autre manière pour eux de faire des profits.

    L'autre avantage de la décriminalisation est que, si le crime organisé en tire des profits, cela les lui fait perdre. Le crime organisé ne peut profiter que des activités illégales. Lorsqu'elles ne le sont plus, il lui est difficile d'en profiter, sauf dans des cas comme celui que j'ai mentionné, en Australie, où la politique adoptée par les pouvoirs publics a entraîné la création de bordels immenses que ne contrôlent pas les prostituées, ce qui a attiré le crime organisé. Lorsque ce sont les prostituées elles-mêmes qui exercent le contrôle, et lorsqu'on prend la peine de les faire participer à la conception, il n'y a généralement pas problème.

½  +-(1915)  

[Français]

+-

    Le président: Madame Brunelle.

+-

    Mme Paule Brunelle: Nous avons rencontré à Montréal des citoyens du quartier Centre-Sud qui étaient très en colère, à juste titre. Il s'agissait de personnes qui habitaient la même maison depuis 60 ans et qui avaient dû déménager parce qu'il y avait carrément des activités sexuelles devant leur maison et devant des garderies. Il y avait aussi des seringues et des condoms.

    Croyez-vous que la décriminalisation pourrait régler ce problème? Qu'est-ce qu'on peut faire pour ces gens? Qu'est-ce qu'on peut faire pour régler ce problème réel?

[Traduction]

+-

    Mme Gayle MacDonald: Je reconnais que c'est un vrai problème, et les travailleuses sexuelles en sont conscientes.

    La question est à nouveau de savoir s'il y a un modèle dans cette communauté de conversations entre la police, les associations de quartier et les travailleuses sexuelles. Les trois groupes se parlent-ils? Les associations de quartier parlent-elles aux travailleuses sexuelles en passant par un intermédiaire quelconque pour que ces dernières comprennent que le quartier ne les veut pas? La police oblige-t-elle les travailleuses sexuelles à travailler dans un quartier donné parce qu'il y a des restrictions dans les autres? Voilà le genre de question que je poserais. Finalement, demande-t-on aux travailleuses sexuelles quelles solutions elles ont à proposer à ce problème?

    Ce que nous avons constaté, dans les juridictions où nous avons travaillé et où nous avons interrogé des travailleuses sexuelles, c'est qu'il y avait toutes sortes de solutions à condition que les différentes parties se parlent. Là où elles le font, on trouve des solutions. Là où elles le font pas, il y a beaucoup de colère et d'antagonisme.

+-

    Le président: Allez-y, madame Jeffrey.

+-

    Mme Leslie Ann Jeffrey: La décriminalisation permettra d'adopter des politiques plus rationnelles. La plupart des travailleuses sexuelles préféreraient travailler à l'intérieur. En parlant aux résidents, j'ai constaté qu'il y a souvent d'autres questions en jeu. Ils habitent dans leur quartier depuis 60 ans, par exemple, et il y avait probablement déjà des travailleuses sexuelles il y a 25 ans mais l'activité semblait différente à l'époque. Il se peut que la criminalisation ait réuni deux éléments criminels—les trafiquants de drogue et les travailleuses sexuelles. L'activité est donc devenue très différente dans ces circonstances.

    Notre communauté de Saint John en a pris conscience. Les gens nous disaient : « Vous savez, il y avait des prostituées dans les années 70 mais c'était des voisines et des amies. Nous les connaissions. Il y en avait moins, elles étaient plus âgées et elles étaient là pour travailler. Il y avait des problèmes mais nous réussissions à nous entendre ». Aujourd'hui, il y a de la drogue dans ce quartier. Ça ne veut pas dire qu'il y a de la drogue dans tout le travail sexuel. Je pense qu'il y en a pas plus là que dans d'autres professions mais c'est beaucoup plus visible quand c'est relié à la prostitution de rue.

    Notre comité a réalisé que le problème était que nous n'avions pas de clinique de méthadone. Bon nombre de nos travailleuses sexuelles, qui sont aussi consommatrices d'opiacés, cherchent désespérément de la méthadone. Notre comité a en fait recommandé la création d'une clinique de méthadone à Saint John. Les habitants sont très contents du changement. Le problème ne concernait pas le travail sexuel en soi mais la culture de la drogue qui l'entoure. Il y avait donc d'autres questions à prendre en considération pour aider les habitants et, à mesure que nous l'avons fait, les relations ont semblé s'améliorer entre les travailleuses sexuelles et les habitants.

+-

    Le président: Merci, madame Brunelle.

    Madame Fry.

+-

    L'hon. Hedy Fry: Je pense que nous avons la même chose dans le quartier Est de Vancouver. Certains habitants disent qu'ils trouvent des préservatifs dans les parcs où jouent les enfants. Elles sont près des écoles et sollicitent les automobilistes. Les enfants les voient faire. C'est complètement associé aux seringues dans l'herbe et au commerce de la drogue.

    L'implication du crime organisé est une question très intéressante. L'expression même de « crime organisé » signifie que des gens pratiquent une activité criminelle organisée. Mais, si l'activité cesse d'être criminelle, pourquoi le crime organisé continuerait-il d'être impliqué?

    Il suffit de voir ce qui s'est passé avec la prohibition aux États-Unis. C'est à ce moment-là que la mafia et tous les autres criminels organisés ont commencé à faire le commerce de l'alcool, du gin et du rhum, et de tout ce qui va avec. Je pense que réglementer quelque chose est très important si on peut le décriminaliser et le réglementer.

    À mon avis, le problème est le suivant. J'ai déjà entendu ça avant. Je sais quelle est ma réponse mais j'aimerais entendre la vôtre. Les gens ne veulent pas que leurs petites-filles fassent ce travail. Si vous le décriminalisez et que ça devient un permis décriminalisé de commerce ordinaire, votre petite-fille se lèvera peut-être un matin en disant que c'est ce qu'elle veut faire pour gagner sa vie. Nous avons vu à Montréal des femmes qui ont dit que c'était un choix qu'elles avaient fait.

    Je pense que ce que vous avez dit, Gayle, soulève la question qui m'intéresse toujours. Qu'est-ce que le travail sexuel? Quand cela devient-il de la prostitution et des passes? Est-ce l'argent? Combien d'argent ?

    J'ai toujours pensé que l'émission Sex and the City était une glorification de cette activité en disant que ce n'est rien de plus qu'un bon souper avec un bel homme et que ça n'a pas d'importance si c'est un homme différent tous les soirs. Nos enfants voient ça à la télévision. Ils voient cette femme superbe qui porte des vêtements Prada et qui a toujours de nouvelles robes. Ils voient qu'elle couche avec n'importe qui et ils se disent qu'il y a rien de dangereux à ça. Comme vous l'avez dit, nous devrions revoir toute l'éducation sexuelle.

    Voici ce que je voulais vous demander. J'ai l'impression que l'idée de base est que c'est quelque chose qu'on ne veut pas pour nos petites-filles. La crainte est que, si on décriminalise, nos petites-filles le feront.

    Je crois deviner la réponse. Je n'ai aucune idée de ce que ma petite-fille voudra faire de sa vie. Tout ce que je veux savoir c'est que, quoi qu'elle fasse dans la vie, ça ne fera pas d'elle une criminelle et sa sécurité ne sera pas mise en danger. Nous ne pouvons pas tout contrôler. Vous pouvez faire tout ce que vous voulez, il y a des choses qui sont incontrôlables.

    J'aimerais savoir comment vous répondez à cette question.

½  +-(1920)  

+-

    Mme Gayle MacDonald: Je pense que votre logique est exacte. Je vois cela dans le débat sur l'éducation sexuelle dans les écoles du Nouveau-Brunswick en ce moment. L'argument des opposants est que, si on fait de l'éducation sexuelle, les enfants auront des relations sexuelles. Devinez quoi? Ils en auront, avec ou sans information. Dans ce cas, n'est-il pas préférable qu'ils aient de l'information et des relations sécuritaires?

    La méconnaissance des maladies transmises sexuellement chez mes étudiantes de 18 à 22 ans est effrayante. Elles ne savent pas que le taux de clamydia chez les jeunes d'âge universitaire augmente continuellement. C'est dans ce groupe d'âge qu'il augmente le plus vite. Elles ne savent pas comment se protéger. Elles ne savent pas comment l'identifier. Elles ne se font pas souvent examiner.

    J'ai une fille de neuf ans. Je ne tiens pas particulièrement à ce qu'elle entre dans le commerce sexuel à cause du danger, de l'exploitation et du risque qu'elle se fasse tuer. Ce serait pas mon premier choix pour elle, je veux bien l'admettre, à cause de la manière dont ça se pratique actuellement. Quel que soit son choix de vie, je voudrais qu'elle soit en sécurité et qu'elle ne devienne pas une criminelle, qu'elle puisse vivre et ne pas être assassinée ou exploitée, et qu'elle puisse vivre sa vie comme elle l'entend.

    Ma fille de neuf ans et mon fils de 11 ans savent très bien dans quel domaine je fais des recherches. Nous avons des discussions sur le sexe à la maison. Nous avons des discussions sur le commerce sexuel et sur les gens qui gagnent leur vie avec le sexe. Ils ont une compréhension de ce genre de travail correspondant à leur âge. Je pense que cela le démystifie à leurs yeux.

    Nous ne parlons pas directement de sexe mais nous avons l'émission Sex and the City. C'est partout. On utilise le sexe pour vendre du dentifrice mais, par contre, on ne veut pas en discuter ouvertement. Le sexe est partout. Certaines personnes utilisent le sexe comme monnaie d'échange et rien de ce que nous pouvons faire y mettra fin si nous continuons à le criminaliser.

    Par exemple, et je ne partage pas nécessairement cette opinion, si certaines personnes considèrent les travailleuses sexuelles comme des victimes, pourquoi criminalisons- nous les victimes? On ne criminalise pas les victimes d'autres infractions; on ne criminalise pas les victimes dans d'autres situations. Il est absolument illogique de croire qu'on peut contrôler le comportement sexuel des gens en le criminalisant.

½  +-(1925)  

+-

    L'hon. Hedy Fry: Merci.

    Il y a une chose que je voulais demander qui concerne ça. C'est moins une question qu'un commentaire.

    Ayant été médecin de famille pendant 23 ans, j'ai constaté que les jeunes qui attendaient d'être prêts avant d'avoir des relations sexuelles étaient ceux qui venaient m'en parler pour me demander conseil, ceux qui acceptaient d'en discuter, plutôt que ceux pour qui c'était un grand mystère. Je pense que c'est encore un problème.

    Je pense que cela a à voir avec l'idée que le sexe est mal et qu'une travailleuse sexuelle est donc une personne immorale. Je pense que c'est probablement de là que ça vient. Il est intéressant de voir que, dans l'histoire, les grandes courtisanes étaient des personnes que l'on voulait accueillir dans son salon, pas des personnes que l'on voulait repousser. C'est comme ça que les choses se sont passées.

    Je vous comprends et je veux vous remercier d'être venues nous en parler aujourd'hui. Vous avez confirmé certaines choses que nous avons entendues de travailleuses sexuelles à Montréal et je pense que tout cela a beaucoup de sens.

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    Mme Leslie Ann Jeffrey: Je voudrais préciser aussi que la décriminalisation n'empêche pas le législateur de faire d'autres choix. Les travailleuses sexuelles m'ont dit qu'elles aimeraient que vous agissiez au sujet de l'écart salarial entre les hommes et femmes. Elles ont dit qu'il y a des femmes et des hommes qui font ça et qui ne devraient pas le faire. Elles ne sont pas heureuses. Si vous augmentiez les crédits pour l'éducation et l'assistance sociale, elles ne feraient probablement pas ça, et c'est probablement quelque chose qu'elles ne devraient pas faire.

    Je pense qu'il importe de dire aux gens qui pensent que nous encourageons cette activité en la décriminalisant que cela ne veut pas dire qu'il faut cesser de lutter contre l'exploitation sexuelle, par exemple. Il y a beaucoup d'autres politiques concernant ces autres questions mais nous n'avons pas à punir les gens qui travaillent dans le domaine sexuel, ni à leur rendre la chose plus dangereuse parce que nous avons peur. Nous devons adopter des politiques dans un esprit plus positif.

+-

    Le président: Merci.

    J'ai quelques brèves questions à vous poser. Dans votre étude de la prostitution, avez-vous constaté que le Canada atlantique est semblable aux autres régions? Y a-t-il des points communs? Y a-t-il des différences? Pensez-vous que les lois sur la prostitution devraient être uniformes dans tout le pays ou que différentes régions ou municipalités devraient être autorisées à adopter leurs propres règlements en fonction de leurs propres besoins ou problèmes régionaux?

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    Mme Leslie Ann Jeffrey: Je pense que nos recherches nous ont montré qu'il y a des similitudes extraordinaires, concernant par exemple le fait que c'est un travail pour les hommes et pour les femmes, que la violence est le problème le plus préoccupant, et que les participants sont furieux de la manière dont ils sont représentés par les médias. Nous avons constaté les mêmes choses partout au pays. Même en appliquant des méthodologies très différentes, nous obtenons les mêmes réponses. C'est tout à fait extraordinaire, de Halifax à Vancouver.

    Devrait-il y avoir des politiques particulières au niveau des communautés? Oui et non. Certes, nous devons veiller à ce que certains droits humains fondamentaux soient protégés partout au pays. Dans la bonne tradition nationale canadienne, ça doit être la même chose partout, comme pour la santé. Est-ce que des associations communautaires ou des organismes représentant les travailleuses sexuelles et les habitants des quartiers devraient se réunir pour chercher ensemble des solutions? Probablement. Cela doit probablement se faire au niveau local mais je ne pense pas qu'il faut donner carte blanche aux municipalités pour qu'elles puissent faire n'importe quoi. Il faut qu'il y ait des normes canadiennes nationales, fondées sur les droits humains, la législation du travail, etc. Par contre, les détails pourraient être différents dans chaque municipalité.

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    Le président: Merci beaucoup.

    Allez-y, professeur McDonald.

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    Mme Gayle MacDonald: Je voulais simplement dire que les travailleuses sexuelles gagnent moins d'argent dans les provinces atlantiques, comme tous les gens qui travaillent dans les provinces atlantiques. C'est l'une des différences importantes.

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    Le président: Je vous remercie beaucoup d'être venues participer à cette session. Je suis d'accord avec Mme Fry. Vous êtes directes, vous êtes franches et vous êtes très simples à comprendre. Je pense que vos solutions sont certainement très réalistes.

    Encore une fois, merci d'être venues. Je vous souhaite un bon retour dans les Maritimes. Vous avez peut-être des salaires moins élevés mais c'est une région formidable où vivre—et, pour nous, à visiter, peut-être.

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    L'hon. Hedy Fry: Nous avons besoin des Maritimes. Vous savez, il y a une province maritime dans l'Ouest, c'est la Colombie-Britannique.

½  -(1930)  

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    Le président: La belle Colombie-Britannique.

    Nous allons maintenant lever la séance. Je vais donner quelques minutes aux gens pour leur permettre de partir et nous allons ensuite régler quelques détails à huis clos au sujet de nos prochains déplacements.

    [La séance continue à huis clos.]