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CC35 Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité législatif chargé du projet de loi C-35


NUMÉRO 007 
l
1re SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 9 mai 2007

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Français]

    Bonjour à tous. Bienvenue à cette séance du Comité législatif chargé du projet de loi C-35.

[Traduction]

    Il s'agit d'une loi modifiant le Code criminel visant le renversement du fardeau de la preuve pour les audiences de libération sous caution pour des infractions commises avec une arme à feu. Nous en sommes à notre septième séance.
    Nous accueillons aujourd'hui M. William Trudell, président du Conseil canadien des avocats de la défense.
    Bienvenue, monsieur Trudell. Vous avez la parole et, après votre exposé, nous vous poserons des questions, à raison de sept minutes par intervenant.
    Allez-y.
    Monsieur le président, je tiens à vous remercier d'avoir invité le conseil. Je vous suis particulièrement reconnaissant, étant donné que vous ne recevrez peut-être pas de nombreux témoins au sujet de ce projet de loi.
    Comme vous le savez probablement tous, le conseil canadien est un conseil national comptant des représentants partout au pays. Nous sommes une voix nationale, parlant pas tant au nom des avocats de la défense qu'au sujet de l'administration de la justice, en vue de maintenir une procédure équitable pour les accusés. Nous vous sommes très reconnaissants de nous donner l'occasion de vous parler ici aujourd'hui.
    Malheureusement, nous n'appuyons pas le projet de loi. D'après ma lecture de vos témoignages, je sais que nous sommes minoritaires à adopter cette position, mais j'aimerais vous dire un peu ce qui nous préoccupe au sujet de ce projet de loi.
    C'est une question de principe. La Constitution garantit le droit à la libération et le renversement du fardeau de la preuve doit respecter certains principes. Or, nous constatons une pénurie de données statistiques à l'appui du projet de loi. Autrement dit, y a-t-il des statistiques sur les infractions impliquant des armes à feu qui sont commises par des prévenus libérés sous caution ou sur le nombre de libérés sous caution pour de telles infractions qui récidivent? Nous ne savons pas si ces données sont disponibles. Il semble que ce ne soit pas le cas, d'après ce que j'ai lu dans vos délibérations. Sauf votre respect, je dirais qu'il n'y a pas de faits probants ni de consultation sur la nécessité de ce projet de loi.
    Lorsqu'on apporte des modifications au droit pénal, nous vous demandons de tenir compte des incidences sur l'ensemble du système judiciaire.
    Hier, j'étais à Québec et siégeais au Comité directeur sur l'efficacité et l'accès en matière de justice. Comme vous le savez, ce comité tient des réunions depuis quelques années. Il compte des représentants non partisans, qui sont là au nom des premiers ministres, des juges en chef et des sous-ministres. Nous y parlions de projets pilotes qui, en matière de libération sous caution, ont lieu partout au pays. Nous savons tous qu'il y a un nombre important de prévenus en détention préventive au Canada, et j'ai trouvé un peu ironique de venir aujourd'hui témoigner au sujet d'un projet de loi qui propose le renversement du fardeau de la preuve.
    Je pourrais vous dire qu'il ne changera rien à la réalité, et qu'on peut donc l'adopter sans problème. En effet, d'après notre expérience, les contrevenants accusés d'infractions impliquant des armes à feu ne sont pas libérés sous caution.
    Les dispositions du projet de loi comprennent déjà le motif tertiaire de l'arrêt Hall sur la confiance du public envers l'administration de la justice. Il est extrêmement difficile pour un contrevenant accusé de ce type d'infractions d'obtenir une libération sous caution.
    Quand le motif tertiaire est entré en jeu il y a quelques années, il y a sans doute eu beaucoup de plaintes sur ce bouleversement, qui rendait très difficile, voire impossible, l'obtention de la libération sous caution, son interprétation devant être éclairée. Mais je peux vous dire, et je crois traduire l'expérience de mes collègues de tout le pays, qu'un contrevenant accusé d'une infraction impliquant une arme à feu obtiendra très difficilement une libération sous caution.
    Le motif primaire se rapporte au défaut de comparaître. Le motif secondaire est strict : dans l'intérêt public, il faut se demander quel est le risque de récidive. Le motif tertiaire vise à éviter de discréditer l'administration de la justice. Par conséquent, nous estimons que ce projet de loi n'apporte rien de nouveau.
    Vous vous demandez peut-être pourquoi je suis venu? Si le projet de loi ne change pas grand-chose, pourquoi s'en préoccuper. Mais il y a un principe à respecter. Il s'agit du principe de la présomption d'innocence et du droit constitutionnel à la libération sous caution. C'est un principe important qu'il ne faut surtout pas oublier.
(1535)
    Je vous demande de réfléchir à une chose. Quand on veut modifier les lois, il faut examiner le système dans son entier et son fonctionnement. Ainsi, le Comité directeur sur l'efficacité et l'accès en matière de justice a présenté un rapport sur l'examen prioritaire des dossiers. Pour ce faire, il a consulté les chefs de police qui ont ainsi pu apporter leur contribution. Il a été constaté qu'on pourrait mieux évaluer les dossiers au départ de sorte que, lorsqu'on en arrive à l'arrestation et à l'audience sur le cautionnement...
    Vous savez que la preuve par ouï-dire est recevable. Ces affaires n'ont pas été bien évaluées. Si la preuve par ouï-dire est recevable à l'audience sur le cautionnement, celle-ci se transforme en un mini-procès et, au bout du compte, on constate que ce dossier n'est pas du tout ce qu'il semblait être au départ.
    Si nous voulons limiter l'admissibilité au cautionnement, nous devons aussi nous assurer que chaque cas est bien évalué au départ. Comme vous le savez, seules deux ou trois provinces prévoient l'approbation des mises en accusation par la Couronne. Ailleurs, c'est la police qui décide, y compris en Ontario. La police dépose les accusations, et les procureurs de la Couronne s'en chargent par la suite.
    Je risque de me faire critiquer pour mes propos, mais puisque vous me donnez l'occasion de m'exprimer, je vous dis ce que j'en pense.
    J'ai lu certains des documents d'information de la Bibliothèque du Parlement qui font état des nombreux appuis dont jouit ce projet de loi. Cela m'inquiète beaucoup parce qu'on y dit que le premier ministre de l'Ontario, M. McGuinty, et le maire David Miller appuient ce projet de loi. M. Miller aurait dit que les modifications législatives prévues sont très importantes et qu'il espère qu'elles encourageront les témoins de crimes commis avec une arme à feu de s'adresser à la police sachant que les criminels resteront derrière les barreaux et ne seront pas remis en liberté sous caution. J'espère que ce n'est pas pour cela qu'on modifie nos lois. La présomption d'innocence existe encore.
    Le premier ministre McGuinty, lui, aurait accordé son appui à ce projet de loi parce qu'il permettra de réduire le nombre de crimes commis avec une arme à feu. Avec tout le respect que je dois à ces deux messieurs, ce sont là des déclarations politiques qui découlent de la terrible tragédie qui s'est produite à Toronto le 26 décembre. Or, le projet de loi doit être évalué en fonction de principes.
    Je sais que certains vous ont parlé de l'arrêt Hall. On vous a dit que le projet de loi était conforme à la décision rendue dans l'affaire Hall, mais, pour ma part, j'estime plutôt, avec tout le respect que je vous dois, que le renversement du fardeau de la preuve prévu dans le projet de loi pourrait être jugé inconstitutionnel. Pour déterminer s'il y a violation de la Charte, il faut s'en remettre à l'article 1; la cour voudra voir les preuves qui étayent cette mesure, et il n'y en a pas. Sans analyse statistique prouvant l'existence d'un problème, on aura des difficultés.
    Enfin, dans l'affaire Hall, on s'est fondé sur quatre motifs tertiaires pour déterminer si on avait accordé un poids raisonnable à la confiance du public dans l'administration de la justice. Ce projet de loi ajoute deux motifs qui figurent à l'article 5 : outre les motifs qui existent déjà, le fait que l'accusation paraît fondée, la gravité de l'infraction et les circonstances entourant sa perpétration, on ajoute, dans ces circonstances, l'usage d'une arme à feu — ce qui est nouveau — et le fait que le prévenu encourt, en cas de condamnation, une longue peine d’emprisonnement — ce qui n'est pas nouveau — ou, s'agissant d'une infraction mettant en jeu une arme à feu, une peine minimale d'emprisonnement d'au moins trois ans.
    Le projet de loi ajoute donc deux facteurs que le tribunal peut prendre en compte comme motifs tertiaires. J'estime respectueusement que cela suffit. S'il semble y avoir un problème, vous rendez la tâche plus facile à ceux qui ont commis une infraction mettant en jeu une arme à feu et qui veulent obtenir une libération sous caution, et vous n'avez donc pas besoin d'inverser le fardeau de la preuve.
(1540)
    Ce sont là mes remarques.
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur Trudell.
    Nous commençons la période de questions par M. Bagnell, pour sept minutes.
    Merci d'être venus.
    Je peux vous assurer que les députés de l'opposition — et probablement les ministériels — sont entièrement d'accord avec vous. Nous sommes plutôt mécontents de n'avoir pu obtenir de statistiques à ce sujet des représentants de Statistique Canada qui sont venus témoigner. Un projet de loi devrait se fonder sur des statistiques et des faits, nous sommes tous d'accord là-dessus.
    Je serais curieux de savoir une chose. Presque tous les témoins que nous avons entendus, sinon tous, se sont dits essentiellement pour cette mesure législative, y compris les avocats. Certains ont soulevé les mêmes points que vous, à savoir qu'elle ne changera pas grand-chose, mais que c'est une décision réglée par des principes de toute façon et que bon nombre de ces accusés ne sont pas libérés sous caution.
    Pourquoi n'êtes-vous pas pour ce projet de loi alors que presque tous les autres le sont?
    Nous sommes ici pour défendre les principes fondamentaux de la justice. L'application régulière de la loi — J'imagine qu'on pourrait dire cela des États-Unis. Ce n'est pas parce que cela ne changera peut-être pas grand-chose en pratique que c'est la décision à prendre. Autrement dit, en déposant ce projet de loi, le gouvernement a tout simplement réagi aux événements. Si votre point de départ, c'est le droit au cautionnement garanti par la Constitution et puisque la présomption d'innocence prime sur tout, avant de modifier le droit au cautionnement, avant d'imposer ce fardeau à l'accusé, il faut se baser sur un motif rationnel.
    Sauf votre respect, j'estime que nous ne sommes pas ici pour changer les lois seulement pour des raisons pratiques. Ce que vous construisez doit se fonder sur un principe fondamental.
    Déjà, il arrive parfois que l'on impose à l'accusé le fardeau de cette preuve; si le projet de loi est adopté, ce sera dorénavant prévu par la loi.
    Ces cas se produisent, en effet; permettez-moi donc de vous en toucher quelques mots.
    Il s'agit d'armes à feu. Il ne s'agit pas d'armes blanches, mais bien d'armes à feu.
    Prenons l'exemple d'une affaire de drogue. On inverse le fardeau de la preuve dans certaines affaires de drogue graves. Des consultations ont été menées qui ont permis de constater que le trafic de drogue est un problème à l'échelle internationale, et l'arrêt Hall reflète le fait que, dans certains cas, les dispositions sur le cautionnement ne suffisent pas à traiter de ce qu'on considère comme un enjeu de grande importance.
    Le meurtre — il n'y a pas, selon moi, de crime plus grave. Les infractions de terrorisme sont de nature internationale. Par conséquent, quand il y a eu renversement du fardeau de la preuve, c'est souvent parce que l'enjeu était international et parfois même national. La Cour suprême du Canada ne donne pas son aval au renversement du fardeau de la preuve de façon générale. Elle l'a approuvé pour des motifs bien précis et pour des infractions bien précises.
    Nos observations se veulent constructives; nous vous demandons seulement pourquoi vous apportez ces changements. Si vous voulez qu'il soit plus difficile pour certains accusés d'être libérés sous caution — ce qui, à mon sens, est inutile —, vous pouvez ajouter ces deux facteurs. Si l'accusé a commis une infraction mettant en jeu une arme à feu, les choses se compliquent car la confiance du public dans l'administration de la justice sera mise à l'épreuve. Mais vous renversez le fardeau de la preuve et c'est fondamentalement très difficile.
    Que se passera-t-il si vous inversez le fardeau de la preuve? En pratique, les audiences sur le cautionnement seront plus délicates, cela ne fait aucun doute, et plus longues. Il y aura des prévenus sans emploi, sans famille, des parents à la tête de familles monoparentales qui ne seront pas en mesure d'assumer le fardeau de la preuve. Cela ne fait aucun doute.
    Comment prouver qu'on peut être remis en liberté sous caution? Il faut prouver que le risque sera maîtrisé. Comment? En trouvant au sein de la communauté quelqu'un qui se portera garant de l'accusé — un employeur, un parent — et qui sera disposé à payer une caution importante. Qui sont ceux qui ne seront pas en mesure de faire cette preuve?
    Je soumets respectueusement qu'il y a des circonstances où ce sont les assemblées législatives qui ont renversé le fardeau de la preuve, mais ces circonstances sont bien précises et ont été approuvées par les tribunaux. Ce n'est pas le cas pour ce projet de loi-ci, selon nous.
(1545)
    J'ai une dernière question à vous poser.
    Vous avez donné des exemples graves où le renversement du fardeau de la preuve existe déjà, et pour bien des gens, ce sont des infractions graves. Certains feront aussi valoir qu'il arrive que des prévenus en liberté sous caution commettent des infractions. Ce sont manifestement des délits graves, et c'est pour cela qu'on a décidé d'inverser le fardeau de la preuve. Pourquoi donc ne pas prévoir cette mesure pour mieux protéger les citoyens?
    Tout d'abord, sauf votre respect, vous devez être convaincus, vous, les parlementaires, qu'un besoin existe. Il y a toutes sortes de preuves anecdotiques. Je peux vous en donner qui seront réfutées par d'autres. Avez-vous des preuves factuelles de l'existence d'un problème dans les cas d'accusations mettant en jeu une arme à feu? Quand vous dites que vous allez refuser de les libérer sous caution et, ainsi, protéger le public, vous allez très loin, car au bout du compte, vous aurez peut-être gardé en détention des accusés qui seront déclarés non coupables. Au moment du dépôt des accusations, vous avez un cliché de la situation, mais au début du procès ou de l'enquête préliminaire, ce cliché peut avoir changé considérablement.
    Je ne prétends pas que le nombre de crimes commis avec une arme à feu au pays n'est pas inquiétant. Je vis à Toronto et, honnêtement, mes vues sur les armes à feu diffèrent peut-être de celles des membres de notre conseil qui vivent en Saskatchewan ou au Nouveau-Brunswick. Mais nous nous en remettons au Code criminel. Le motif tertiaire est là, déjà, dans le Code criminel : ne pas miner la confiance du public envers l'administration de la justice.
    Voilà essentiellement où je veux en venir: oubliez le renversement du fardeau de la preuve, vous devez déjà tenir compte du motif tertiaire. En pratique, la justice ne pense pas d'abord au motif primaire, puis au motif secondaire et au motif tertiaire. C'est d'abord au motif tertiaire, le public. Quand une infraction se produit dans des circonstances comme à Toronto le lendemain de Noël, personne ne se voit accorder une libération sous caution, car les juges tiennent compte de l'atmosphère générale et des préoccupations du public. Il en va de même quand des menaces terroristes pèsent contre nous.
    Notre tâche est de prendre du recul et de nous assurer que nous respectons nos principes quand nous légiférons en réaction aux événements. Si on vous avait prouvé que certains abusent du régime de mise en liberté sous caution, que surtout les personnes accusées d'une infraction mettant en jeu une arme à feu abusent du régime de mise en liberté sous caution, il serait évident qu'il nous faudrait agir et vous n'auriez même pas à entendre des témoins.
    Je vous soumets le tout respectueusement — Désolé.

[Français]

    Thank you.
    Monsieur Ménard.
    Bonjour, monsieur Trudell. Il me fait plaisir de vous retrouver. Avec l'Association canadienne des policiers, vous êtes certainement parmi les témoins les plus assidus. Il arrive assez rarement, cependant, que vous partagiez un même point de vue sur un projet de loi. Mais il s'agit là d'un autre débat.
    Le projet de loi porte sur les paragraphes 515(6) et 515(10) du Code criminel. Il vise à modifier un peu le principe de la remise en liberté sous caution, donc avant le procès.
    Vous avez déjà un peu évoqué ce qui m'intéresse. D'abord, vous avez raison de dire que le gouvernement a proposé le projet de loi sans qu'on ait pu avoir accès à des statistiques probantes et concluantes. Notre premier témoin a été le Centre canadien de la statistique juridique. Comme ce fut le cas pour le projet de loi C-9, sur l'emprisonnement avec sursis, et pour le projet de loi C-10, on a l'impression que le gouvernement est mû par des considérations idéologiques qui ne sont pas étayées par des statistiques pour le moins probantes.
     Je pense que vous pourriez apporter beaucoup au comité. Vous représentez des gens qui au quotidien apparaissent devant des juges de paix et des tribunaux parce qu'ils ont commis des infractions, dont un certain nombre mettent certainement en jeu des armes à feu.
     Un certain nombre de témoins nous ont dit que lorsqu'il était question d'arme à feu, il était assez rare qu'un juge se prévale du droit d'accorder une remise en liberté sous caution, que c'était déjà une pratique bien établie et qu'on n'avait pas besoin d'un projet de loi pour venir la consacrer.
     D'ailleurs, le paragraphe 515(10) donne la possibilité à un juge, s'il pense qu'une preuve sera détruite, qu'un individu représente une menace pour la société ou qu'il ne se présentera pas à son procès, de ne pas le remettre en liberté, malgré que constitutionnellement, il ait ce droit.
    Pouvez-vous nous parler de la pratique des avocats de la défense, que vous représentez, concernant la remise en liberté avant procès à l'étape de la comparution pour remise en liberté sous caution et du lien avec les armes à feu?
(1550)

[Traduction]

    Après avoir consulté les avocats de la défense de toutes les régions du pays, j'estime que ceux qui sont accusés d'une infraction commise avec une arme à feu, à moins qu'ils n'aient déchargé leur arme accidentellement quelque part dans le nord de la Saskatchewan, ne sont pas remis en liberté sous caution. Dans le cas contraire, les restrictions sont telles que la liberté sous caution équivaut à une assignation à résidence. D'ailleurs, les avocats de la défense proposent presque toujours l'assignation à résidence. Quand un avocat de la défense représente quelqu'un accusé d'une infraction commise avec une arme à feu ou liée à une arme à feu, il doit proposer l'assignation à résidence, sinon, son client ne sera pas remis en liberté.
    À Toronto, et à Vancouver, je crois, le gouvernement a des procureurs qui sont spécialisés dans les affaires d'armes à feu et de gangs et on consacre beaucoup de ressources à ces poursuites. Je ne vois donc pas où est le problème. Je ne peux vous présenter de preuve, car je n'ai pas pu en obtenir. Il n'y a pas un avocat de la défense qui vous dira — Je soumets respectueusement que les procureurs de la Couronne vous diraient que ces accusés ne sont pas remis en liberté.
    C'est une tâche énorme que de représenter un accusé en liberté sous caution. Plus souvent qu'autrement, monsieur Ménard, quand on voit l'ordonnance de détention, on préfère ne pas la contester. De plus, l'affaire progresse plus rapidement si l'on sait que le prévenu ne sera pas remis en liberté.
    J'ignore si j'ai répondu à votre question. Si l'accusé a commis une infraction avec une arme à feu, vous ne pourrez obtenir sa remise en liberté sous caution que si vous avez demandé l'assignation à résidence et que vous pouvez prouver que la Couronne n'a pas de très bons arguments. On se retrouve alors avec une audience sur le cautionnement qui se transforme en mini-procès, ce qui signifie des dépenses de temps et d'argent. Cela va à l'encontre de toutes les mesures qui sont prises un peu partout au pays par des gouvernements de toutes les affiliations politiques pour mieux gérer les audiences sur le cautionnement.
    Nous gérons mal les affaires criminelles. Ce n'est qu'une fois que la voiture sort de l'usine d'assemblage qu'on constate que ce que l'on croyait être une Ford est en fait une Pontiac. Il incombe à la police, aux procureurs de la Couronne et aux avocats de la défense de bien évaluer la situation dès le départ. Il est rare qu'on soit prêt à tenir le procès à l'étape du cautionnement.

[Français]

    Vous avez raison. Vous nous laissez clairement voir que le gouvernement erre et qu'il n'élabore pas des politiques publiques basées sur une rationalité étayée par des statistiques. Heureusement, le Bloc québécois est vigilant. Je pense que cela se saura.
    Monsieur le président, les témoins nous ont également dit, particulièrement le Centre canadien de la statistique juridique, que contrairement à ce que le sens commun peut nous amener à penser, nous sommes dans une période où socialement, de moins en moins d'infractions sont commises avec des armes à feu. D'ailleurs, je suis convaincu qu'au deuxième tour, mon collègue Serge Ménard parlera de l'incohérence que constitue la présentation d'un projet de loi comme celui-ci et l'abolition d'un registre public des armes à feu. Je lui laisserai poser sa question.
     Avez-vous des informations sur la diminution des infractions commises avec des armes à feu?

[Traduction]

    Si c'est ce que démontrent les statistiques, je dirai simplement que, si le Bloc appuie notre position, nous en sommes ravis. Mais nous sommes apolitiques; nous préférons aborder les enjeux fondamentaux.
    En toute honnêteté, je n'ai rien qui prouve que le nombre de crimes commis avec une arme à feu est à la baisse, parce que nous réagissons aux événements, à la montée en flèche de ce genre de crime à Toronto et à Vancouver, ce qui amène de l'eau au moulin de ceux qui veulent adopter la ligne dure à l'égard des criminels. Mais je crois que, dans l'ensemble, le taux de criminalité diminue.
(1555)
    Merci, maître Trudell.
    Monsieur Comartin, à vous la parole.
    Les statistiques nous indiquent que, depuis au moins quatre ans, sinon davantage, la commission de crimes avec une arme d'épaule diminue de façon radicale. L'usage d'armes de poing et d'armes illégales a augmenté de façon marginale et a peut-être atteint son niveau le plus élevé en 2005. Nous n'avons pas encore les données pour 2006, mais il semble que l'on ait atteint un sommet en 2005.
    Voici ma question. Même le professeur Doob, qui, à part vous, est probablement le seul témoin qui se soit opposé si fermement à ce projet de loi, on s'entend généralement pour dire que cette mesure législative ne changera pas grand-chose dans l'immédiat. Ceux qui seront accusés d'une infraction avec une arme à feu ont peu de chance d'être remis en liberté et ne le seront pas.
    Voici ma question. Si nous tenons pour acquis que le projet de loi ne changera pratiquement rien, si le taux de criminalité continue de baisser, si le nombre de crimes commis avec une arme à feu continue de diminuer et si le nombre de crimes commis avec une arme de poing ou une arme à feu illégale commence à décliner, que se passera-t-il devant les tribunaux? Les juges continueront-ils de refuser la libération sous caution même si, chaque année, on ne commet qu'un seul meurtre avec une arme à feu? La pratique restera-t-elle la même? Ou les juges seront-ils plus disposés à se laisser convaincre de remettre ces accusés en liberté en attente du procès?
    Avec le temps, avec le recul par rapport aux événements auxquels nous réagissons, il y aura plus de chance à mon avis que la contestation de cet article en vertu de la Constitution puisse réussir. Je ne sais pas ce que feront les juges, mais nous aurons érodé l'un des principes de base du droit à la caution, de même que la présomption d'innocence, à certains égards. Nous ne pourrons peut-être jamais les retrouver.
    Mais dans deux ans, trois ans, quatre ans ou cinq ans, monsieur Comartin, il y a une chose qui se trouvera toujours dans le Code criminel, et c'est le motif tertiaire. C'est la confiance de la population dans l'administration de la justice. Cela existe, on ne peut plus en faire fi.
    Je ne vois pas grand changement dans la façon dont les juges interpréteront cette mesure législative. Je ne crois pas qu'elle survivra très longtemps.
    Ai-je répondu à votre question?
    Vous n'y avez répondu qu'en ce qui concerne la Charte, quant à la façon dont les juges de première instance et les tribunaux d'appel appliqueront cette loi. Mais dans l'application pratique et quotidienne, lorsqu'il s'agira d'accorder une caution à des accusés, les juges finiront-ils par devenir moins sévères?
    Non, je ne le crois pas. Savez-vous pourquoi? C'est que, malgré le travail du comité directeur national et même si tout le monde s'entend, y compris les chefs, il faudra faire davantage pour garantir que le système n'est pas encombré d'éléments inutiles et qu'il y ait des vérifications.
    Les audiences de cautionnement recueilleront des preuves par ouï-dire. Il faudra tenir compte de la confiance de la population dans l'administration de la justice. Certaines personnes accusées de telles infractions, des personnes probablement sans emploi et sans famille, n'auront pas la possibilité de trouver une caution pour garantir qu'elles pourront avoir droit à un cautionnement.
    C'est tout, merci.
    Nous allons passer à M. Thompson, qui partagera son temps avec M. Hanger, ou est-ce le contraire? Je m'en remets à vous.
    Monsieur Hanger.
    Maître Trudell, merci de comparaître de nouveau devant nous. Cela nous fait toujours plaisir de vous accueillir à notre comité.
    Je prends bonne note de ce que vous dites.
    Vous n'avez pas à lire entre les lignes, je suis sérieux.
    De toute façon, compte tenu des témoignages que notre comité et d'autres comités également ont recueillis au sujet des armes à feu, n'êtes-vous pas d'accord sur le fait qu'il y a peu de personnes qui commettent des crimes au moyen d'armes à feu?
(1600)
    C'est probablement le cas, mais ce petit groupe de personnes n'est pas remis en liberté.
    C'est exact.
    Vous avez fait valoir un autre argument, et vous avez donné au comité l'impression que, si ces personnes qui commettent des crimes au moyen d'armes à feu demeurent en prison, elles seront dans l'impossibilité de nourrir leurs familles ou de s'acquitter de leur devoir d'époux et de père. Vous travaillez dans le système de droit pénal depuis longtemps — je ne sais pas depuis combien de temps vous êtes avocat de la défense —, mais j'ai également été longtemps policier. J'ai beau chercher, je n'arrive pas à voir combien des personnes que j'ai appréhendées avaient tellement à coeur de s'occuper de leurs enfants alors qu'elles commettaient des crimes graves, vols ou trafic de drogue, au moyen d'armes à feu. Il ne me vient qu'un cas à l'esprit, et c'était un agent de police qui s'est écarté du droit chemin. Il a fini par abandonner sa famille pour se livrer à des activités criminelles graves — et il avait effectivement une famille.
    Mais pour revenir à votre argument selon lequel les criminels sont des pères modèles et de bons maris dans notre société, j'ai vraiment de la difficulté à voir qui pourrait faire partie de cette catégorie, car la plupart des criminels, 99,9 p. 100 d'entre eux, à mon avis, se fichent totalement de leur famille, car si ce n'était pas le cas, ils cesseraient de s'adonner au crime pour s'en occuper.
    Je ne crois pas que votre argument aura l'effet que vous avez essayé de lui donner auprès du comité.
    Je me suis peut-être mal exprimé, ce qui n'est pas surprenant. Je ne parlais pas des méchants. Je parlais de la difficulté, pour les personnes accusées, de payer leur caution. Je pense que, souvent, ces personnes n'ont pas d'emploi, de familles qui les soutiennent et qui puissent payer la caution ou de liens avec leurs communautés. Je ne défends pas forcément ceux qui seront déclarés coupables après leur procès, mais ce que je veux dire, c'est que l'inversion de la charge de la preuve fait en sorte qu'il est très difficile pour les accusés d'aller chercher le soutien de leur communauté, de sorte que le juge estime que le risque est raisonnable.
    C'est cela dont je parlais. Je ne parle pas des personnes, mais du soutien de la communauté, de l'employeur, etc., dont elles ont besoin pour s'acquitter de la charge.
    Cela revient à ce que je disais, en réalité, parce que, compte tenu du mode de vie de ces bandits, ils ne pourront le faire ni en prison ni dehors, et ils ne le font généralement pas.
    En plus du fait que les avocats de la défense pourraient utiliser cela comme argument pour éviter la prison à leurs clients, sauf dans ces situations particulières, je ne vois pas cela comme un argument pour les acquitter.
    Vous savez que je ne peux pas être d'accord avec vous quand vous qualifiez ces personnes de bandits et d'autres choses. Je dis souvent aux gens : « Après cette réunion, venez avec moi, nous irons dans un hôpital, dans la salle d'accouchement, et vous me montrerez du doigt qui deviendra victime et qui deviendra un de mes clients.
    Honnêtement, vous oubliez quelque chose, avec tout le respect que je vous dois, et je vous parle de respect parce que je vous connais. Il se passe beaucoup de choses entre la libération et le procès, et ceux qui ont l'air d'être des méchants et des « bandits » au début — On ne peut pas dire ces choses-là compte tenu du contexte dont ils sont issus, qui est beaucoup plus difficile. Il est davantage conforme à la dignité de notre pays de dire que, même si ces personnes ont des têtes de bandits et de méchants, elles ont droit à la présomption d'innocence et jouissent d'un droit constitutionnel de libération. À mon avis, on peut juger un pays selon la façon dont il traite ceux qui ne méritent peut-être pas d'être si bien traités.
(1605)
    Merci.
    Monsieur Thompson.
    Je pense que notre invité connaît ma position sur beaucoup de ces questions. Moi aussi, je suis déçu que nous n'ayons pas de statistiques au sujet des libérations sous caution. Lorsqu'on parle du risque et de la sécurité des victimes, il y a toutes sortes de choses qui peuvent se produire, ce que l'on gère assez bien.
    Lorsque je travaillais à la ferme, nous avions un berger allemand assez agressif. On s'assurait de l'enfermer pour qu'il ne puisse pas attaquer nos invités, lorsqu'ils venaient à la ferme. Nous avions un taureau avec lequel vous ne voudriez pas vous retrouver dans un corral. Les gens qui venaient nous rendre visite savaient tout cela. Nous nous sommes assurés de gérer le risque.
    Je viens d'une petite ville et nous avons connu le cas d'une personne qui, en libération conditionnelle, a assassiné deux personnes avant de se suicider. D'après moi, cet incident suffit pour que l'on dise que c'est assez. On ne peut se permettre ce genre de risque. C'est une question de sens commun. Si quelqu'un a montré qu'il était capable de faire une chose pareille, vous ne prenez pas de risque. Personne n'aime jouer à la roulette russe.
    Qu'est-ce qu'il nous faut? Quelles statistiques faut-il pour que votre organisme et vous disiez: « C'est logique d'appuyer ce genre de projet de loi »? À mon avis, et, je crois, selon des millions de Canadiens, il suffit d'un incident. Vous ne pouvez pas prendre ce genre de risque. Ça n'a aucun sens.
    Lorsque j'étais directeur d'école, un de mes élèves a été arrêté; il faisait partie du « gang des chaussons aux pommes », comme on les appelait. Il avait 17 ans et faisait partie du gang qui a braqué la Banque de Montréal de chez nous. Deux jours plus tard, il était de retour à l'école. J'ai trouvé cela un peu bizarre. Je lui ai dit : « Tu participes à un braquage de banque, tu rates ton coup, tu te fais arrêter et maintenant tu reviens à l'école. » Il m'a répondu : « J'ai été libéré sous caution. » Alors, je lui ai parlé de toutes ces choses.
    Mais lorsqu'on a la preuve que cette personne peut présenter une menace, pourquoi voulez-vous jouer avec la vie des gens et prendre ce risque?
    Eh bien, c'est ce que font les juges de paix, aujourd'hui: ils examinent les risques et prennent leur décision. Chaque fois que je viens ici, je prends le risque de me faire poser le genre de questions que vous me posez, mais ce risque en vaut la chandelle.
    Passons à M. Murphy.
    Merci, monsieur le président.
    Je voulais formuler quelques observations avant de vous poser une question au sujet de ce que vous avez dit sur l'article 1 de la Charte. De cette façon, vous pourrez vous y préparer. J'ai juste quelques petites choses à dire au sujet des statistiques.
    Mon ami Larry a dit que nous n'avions pas ces statistiques. Nous en sommes tous un peu déçus. Cependant, ce que nous avons, c'est l'initiative du Centre canadien de la statistique juridique, qui veut examiner les questions que l'on pose pour faire le suivi des libérations sous caution, et c'est encourageant. J'imagine que nous aurons donc bientôt des statistiques, précisément sur les libérations sous caution. On a parlé de caution, de renvoi; ce sont simplement des mots différents. On n'a pas pu nous dire si les dispositions sur l'inversion de la charge de la preuve qui existent déjà fonctionnent, par exemple, et si l'on observe une augmentation des infractions avec armes à feu pour lesquelles ces dispositions auraient pu jouer.
    Le problème, ce n'est pas le manque de statistiques. Cela m'amène à vous parler de l'article 1. La Cour suprême du Canada va comprendre qu'on manquait de statistiques à cause de la façon dont on posait les questions et non pas parce que nous n'avions pas de preuves que ces mesures fonctionnaient. C'est mon premier argument.
    Deuxièmement, on nous a dit clairement qu'il ne s'agissait ici que de codifier une pratique et vous avez dit, dans vos propres mots, « cela ne change pas grand-chose dans la façon dont les juges, les procureurs et les avocats de la défense appliquent la loi ». Cela ne va pas changer grand-chose. C'est plutôt rassurant, j'imagine, et je pense que la loi devrait être adoptée, parce qu'elle vise à codifier quelque chose.
    Troisième élément, et c'est le dernier, au sujet de votre argument selon lequel il s'agit d'une violation de l'article 1, ce code change au fil du temps. C'est ce que nous disons. Si vous regardez les articles actuels sur l'inversion de la charge ou de la preuve, on y retrouve « l'incitation à la mutinerie », « les infractions séditieuses », et « le piratage ». Cela figure à l'article 1 du code et cela nous ramène à une autre époque de notre histoire, et pas à l'époque des gangs de rue du centre-ville de Toronto.
    Donc, le code évolue au fil du temps. Ne pensez-vous pas — et j'en viens à ma question — que, lorsqu'elle examinera ce dossier, comme elle l'a fait dans l'affaire du Vancouver Sun sur les dispositions de la Loi antiterroriste, la Cour suprême jugerait que l'intention du Parlement était de répondre au problème de la violence par armes à feu des gangs de rue, problème qui existe, même sans statistiques?
(1610)
    Je ne vois pas comment vous pouvez faire cela sans statistiques. Si vous le faites, vous changez la loi à partir de preuves empiriques.
    Je vous renvoie à un élément de la décision Hall, pour répondre à votre question. Je lis la note générale, qui figure à la page 4 de la version anglaise de la décision, dernier paragraphe : « Le problème que pose l'alinéa 515(10)c) est qu'il permet que les craintes subjectives du public et les réactions émotives de gens mal informés qui sont extérieures à notre système de mise en liberté sous caution justifient à elles seules le refus d'accorder la mise en liberté sous caution. » On lit ensuite : « L'alinéa 515(10)c) ne peut pas être sauvegardé au regard de l'article premier de la Charte. Premièrement, l'intimée n'a énoncé aucun objectif urgent et réel dont cet alinéa favoriserait la réalisation. »
    La cour rendra le même genre de décision lorsqu'elle étudiera le projet de loi.
    Monsieur Murphy, ce que je vous dis, c'est que, si vous avez des statistiques qui montrent que les dispositions du motif tertiaire comme on les connaît ne fonctionnent pas, alors vous avez ce qu'il faut pour changer ce principe de base. Mais sans ces statistiques — et vous dites ne pas en avoir, mais vouloir modifier le projet de loi parce que ça ne change rien de toute façon — Sauf le respect que je vous dois, vous ne pouvez pas faire ça, parce que vous changez un principe fondamental.
    Sauf le respect que je vous dois, c'est ça le problème dont nous parlons chaque fois que nous comparaissons. Il n'y a pas assez de consultation au sujet de ces projets de loi, et nous vous demandons — à tous les députés de tous les partis — de chercher à obtenir ces statistiques. C'est pourquoi vous demandez l'avis de gens comme nous.
    Si vous n'êtes pas convaincus que les preuves existent, alors vous ne pouvez arriver à un verdict, car vous n'avez pas de preuves. Rien ne prouve que ce projet de loi est nécessaire.
    Je suis désolé. Je ne sais pas si cela répond à votre question.
    Merci.
    Mme Jennings va poser une très courte question.

[Français]

    Madame Jennings.
    D'accord.

[Traduction]

    Monsieur Ménard, s'il vous plaît. Non? Passons alors d'abord à M. Dykstra ou à M. Petit.
    Monsieur Petit, vous avez cinq minutes, pour les deux. Nous allons terminer à 16 h 30.

[Français]

    Merci, monsieur Trudell. Votre témoignage m'amène à vous poser une question. Vous avez dit à M. Bagnell qu'on créait des lois parce qu'on faisait une overreaction, ou une surréaction à des événements.
    Votre façon de penser, que je trouve logique, s'applique-t-elle au Registre canadien des armes à feu? Est-ce parce qu'on réagit de façon excessive qu'on veut un tel registre?

[Traduction]

    Je ne suis pas certain de vouloir participer à ce débat, mais je peux vous dire ceci: il y a de nombreuses années, lorsque Allan Rock était ministre de la Justice, je voulais appuyer son initiative et je me suis rendu compte que les diverses régions du pays y réagissaient de façon très différente. Je peux vous dire qu'il ne manque pas d'informations, ni de statistiques, ni de gens prêts à contribuer au succès de l'initiative du registre des armes à feu, y compris la police.
    Nous ne pouvons donc pas faire de comparaison, parce que vous avez beaucoup d'information sur la nécessité d'un registre des armes à feu, y compris sur l'expérience internationale à cet égard — Vous n'avez pas à vous prononcer là-dessus aujourd'hui. Il s'agit d'un débat qui se poursuit depuis longtemps, et j'imagine qu'il y a sur la colline du Parlement des salles pleines d'information pour ou contre le registre des armes à feu. Vous disposez de beaucoup d'informations pour prendre cette décision; ce n'est pas le cas pour la question qui nous préoccupe aujourd'hui.
    Monsieur Trudell, c'est intéressant. Ces dernières années, vous avez comparu à plusieurs reprises à divers comités du Sénat et à celui de la Justice. J'ai fait un peu de recherche à votre sujet pour apprendre à mieux vous connaître — Vous avez fait de nombreux commentaires; j'ai trouvé beaucoup de citations sur lesquelles je puis être ou ne pas être d'accord avec vous.
    Ceci dit, il y a une citation qui est ressortie, et j'aimerais que vous me confirmiez qu'il s'agit vraiment de ce que vous avez dit. Selon le North Bay Nugget, vous avez dit à London en 2002 que le projet de loi C-24, qui à l'époque était — et il est toujours — le projet de loi sur le crime organisé, « légalise les actes répréhensibles commis par le seul groupe organisé au pays, soit la police ».
    J'aimerais que vous apportiez des précisions et, je l'espère, vous entendre dire que vous n'avez jamais fait ce commentaire.
(1615)
    Non. Si le North Bay Nugget m'attribue ces propos — Je crois qu'il y a un contexte à ce que j'ai dit et à ce que d'autres ont dit à propos du projet de loi sur le crime organisé. Je crois qu'à l'époque, nous nous interrogions sérieusement sur le nombre de personnes qui composent une organisation. Je crois que je disais, tel que je l'ai dit à plusieurs reprises, comme d'autres, que ce qu'on semblait considérer comme organisé n'était en fait pas vraiment organisé. Un groupe de personnes qui se réunit ne constitue pas vraiment une organisation.
    J'ai probablement dit que l'une des organisations les plus organisées était la police. Il y a donc un vaste contexte dont il faut tenir compte. Je ne crois pas que vous devriez me juger en vous fondant sur une citation tirée hors contexte du North Bay Nugget, parce que je suis certain qu'il y a de nombreux policiers qui —
    Monsieur, je ne suis certainement pas ici pour porter un jugement sur vous à partir d'un seul commentaire. Je vous demandais simplement des précisions.
    Je n'ai aucune difficulté — Laissez-moi terminer.
    J'ai une autre question concernant les statistiques. Selon vous, pour ce qui est de ce projet de loi sur le renversement du fardeau de la preuve, les statistiques sont-elles importantes? J'ai cru comprendre, en écoutant les commentaires que vous avez formulés plus tôt, que les juges ne fondent pas leurs décisions sur des statistiques, mais bien sur la preuve et les exposés qu'ils entendent.
    Deux choses. Avec tout le respect que je vous dois, je n'avais pas terminé.
    Je suis désolé, mais je n'ai pas beaucoup de temps.
    Je vous dis que nous avions adopté une position très ferme relativement aux premières mesures législatives concernant le crime organisé. Je m'en tiens à tout ce que j'ai dit, en contexte.
    Pour ce qui est des statistiques, ce sont elles qui vous aideront à déterminer si des changements doivent être apportés à la loi. Si cette disposition est contestée, vous allez devoir vous en remettre à l'article 1. À ce moment-là, vous devrez démontrer aux tribunaux, preuves et statistiques à l'appui, que cette disposition peut résister à un examen fondé sur la Charte.
    Lorsque vous en serez à l'analyse effectuée en vertu de l'article 1, le tribunal voudra en savoir davantage sur le problème de statistiques que ce projet de loi devait régler. Si vous n'êtes pas en mesure de le défendre, le tribunal pourrait décider qu'il ne résiste pas à un examen fondé sur la Charte. D'un autre côté, le tribunal peut déterminer qu'il s'agit d'une indication d'un besoin ponctuel, et que des statistiques pouvaient ne pas être disponibles.
    Merci. Je suis désolé; le temps est écoulé.
    Nous allons passer à M. Serge Ménard.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je prends le risque de tenter de résumer vos propos et de les replacer dans le contexte. La doctrine du doute raisonnable n'est pas naturelle. La tendance naturelle des gens est de penser qu'il n'y a pas de fumée sans feu. Par ailleurs, si la règle de droit a été aussi solidement établie et continuellement défendue, c'est justement parce que si on ne l'applique pas, cela nous mène à faire des erreurs. Finalement, dans tous les pays civilisés, on l'a adoptée.
    En fait, devant des crimes spectaculaires et l'expression d'un danger, certaines personnes ne peuvent accepter la doctrine du doute raisonnable. C'est le cas en ce qui a trait aux armes à feu, bien que les crimes commis avec des armes à feu diminuent. On peut le constater si on se donne la peine de consulter Statistique Canada, qui compile toutes les données. On trouve cela dans sa publication qui est disponible gratuitement depuis quelques mois. On parle de la dernière publication qui porte le numéro 85-002-XPF au catalogue de Statistique Canada. Le document porte sur les crimes de 2005. On peut voir, à la page 7, qu'il y a une diminution des crimes commis.
    Par exemple, le taux de vols qualifiés à l'aide d'une arme à feu était en recul de 5 p. 100, alors que le taux de vols qualifiés à l'aide d'une autre arme était semblable au taux de l'année précédente. On mentionne que le nombre global de vols qualifiés s'accroît, mais ceux qui sont commis avec une arme à feu poursuivent leur chute. Nous savons tout cela. Par contre, on ne sent pas que, pour présenter cette loi, le gouvernement s'inspire d'un danger réel. En fait, face à la révolte du public par rapport à certains crimes, il n'est pas capable de tenir compte de la doctrine du doute raisonnable.
(1620)

[Traduction]

    Je crois que les deux changements visant à rétablir la confiance dans l'administration de la justice apaisent les préoccupations sans changer le fardeau. Autrement dit, si une arme à feu est utilisée pour commettre une infraction et que cet élément est ajouté à l'article et qu'il y a une peine minimale pour les infractions commises à l'aide d'une arme à feu, je crois que vous avez fait ce que tous veulent faire, c'est-à-dire régler la question de la confiance et de la peur réelle ou perçue. Vous pouvez y arriver, si vous croyez que c'est approprié, en modifiant simplement le paragraphe, au lieu de renverser le fardeau.

[Français]

     La situation, en fait, ne requiert pas vraiment de changement législatif, parce que les juges, à cause des dispositions que vous expliquez, prennent parfaitement en considération, dans chaque cas, la dangerosité des personnes.
    Vous restez ici pour défendre des principes fondamentaux et difficiles à défendre chaque fois qu'il y a des crimes spectaculaires. C'est ce que vous venez défendre afin que nous continuions à nous inspirer de ces principes, qui constituent un fondement maintenant séculaire, mais qui sont propres aux lois de tous les pays civilisés.
    Monsieur Trudell, voulez-vous répondre? C'était un commentaire. Merci.

[Traduction]

    Nous allons passer à M. Lee et à Mme Jennings, pour cinq minutes, puis nous allons terminer par M. Moore.
    Monsieur Trudell, je vous remercie d'être venu témoigner devant nous de nouveau.
    Nous voulons modifier nos lois pour en fait changer un droit explicite dans la Charte, soit le droit à la liberté sous caution. À cet égard, j'ai deux questions à vous poser. Vous nous avez mis en garde contre le fait que nous n'avons pas suffisamment de justifications, statistiques ou autres pour apporter ce changement à ce droit prévu dans la Charte.
    Je veux vous poser des questions sur deux aspects. D'abord, pour une raison ou une autre, le gouvernement a choisi de ne pas rédiger un préambule qui aurait pu tenter d'expliquer le lien entre les gens accusés de ces infractions et le danger possiblement causé à la collectivité. Deuxièmement, en ce qui concerne la référence aux munitions et aux arbalètes, qui n'ont aucun lien direct avec le danger que posent les armes à feu, croyez-vous que ces références à l'arbalète et à quelques balles nuiront à nos espoirs que les tribunaux voient un lien entre le danger que posent ces gens et les infractions dont ils sont accusés?
    Je crois que c'est un problème, et j'espère pouvoir répondre à votre question.
    Que va-t-il arriver dans le système? Qui va porter les accusations? Il se peut très bien qu'avec ces exemples, certaines personnes s'arrêtent à ces éléments que vous ne vouliez pas aborder, parce que de toute évidence, les policiers sont ceux qui décident des accusations. Je crois qu'il faut être extrêmement prudents quant aux accusations qui sont portées; peu importe les changements apportés au système de justice pénale, il faut veiller à ce qu'il y ait un lien.
    Je me demandais pourquoi on fait référence aux arbalètes, notamment. Voilà un genre d'érosion de la liberté sous caution. S'il y a un problème précis et que vous en êtes convaincus, alors les libellés devraient être spécifiques. Autrement, les gens seront détenus, seront mis en détention provisoire et ne seront pas en mesure d'obtenir une liberté provisoire, lorsque dans les faits on ne s'inquiète pas du risque que présentent ces gens parce que le public de toute évidence ne s'en fait pas pour les armes blanches et les arbalètes.
    Si je peux vous aider, voilà comment...
(1625)
    Madame Jennings.
    Je voulais revenir brièvement sur une question que M. Dykstra vous avait posée, au sujet d'une déclaration qui vous était attribuée. Manifestement, vous n'avez pas eu le loisir de finir de donner votre réponse, notamment, sans doute, en ce qui concerne votre attitude envers la police. Je suis sûre que vous n'êtes pas contre la police. J'aimerais donc, si vous le souhaitez, vous donner l'occasion de revenir sur votre réponse à la question de M. Dykstra.
    Je ne crois pas que M. Dykstra ait voulu être négatif. Il cherchait simplement à clarifier les choses. Je ne me souviens pas du contexte, mais je peux vous dire que je défends des agents de police et que nous en consultons. C'est juste que je représentais une personne accusée du meurtre au premier degré d'un agent de police et que l'approche a suscité toutes sortes de gentils commentaires.
    Je ne me sens pas personnellement visé. Nous nous présentons pour essayer de vous aider; il y a parfois des éléments anecdotiques relatés par toutes sortes de témoins, ici.
    Écoutez. Je me lève le matin, je vais au travail, j'ai de jeunes enfants et des enfants plus âgés. La première personne que j'appelle quand il y a un problème, c'est un agent de police. Et, parfois, la première personne que les agents de police appellent quand ils ont un problème, c'est moi. J'ai beaucoup de respect pour le difficile métier qui est le leur.
    Je suis préoccupé par la politisation de la police; je l'ai déclaré publiquement et le répéterai encore. N'empêche que nous travaillons d'arrache-pied avec la police au comité directeur national du conseil canadien et qu'on ne peut pas changer le système sans attendre ce qu'ont à dire les parties prenantes. Vous pouvez avoir des doutes sur certaines de mes affirmations, vous dire que je suis juste un avocat de la défense. Mais quand l'association des policiers témoigne, vous pouvez aussi prendre ce qui se dit avec un grain de sel. Quand les chefs de police témoignent, ils peuvent avoir un point de vue différent.
    L'une des beautés du Canada, c'est le respect que nous éprouvons pour la police. Il ne faut pas faire fi pour autant du risque d'abus de pouvoir, car la police jouit d'un pouvoir extraordinaire.
    Merci, monsieur Trudell.
    Monsieur Moore, maintenant, pour conclure.
    Merci, monsieur le président.
    Et merci à vous, monsieur Trudell, d'avoir bien voulu témoigner.
    On a beaucoup parlé aujourd'hui des statistiques et du projet de loi. C'est un argument à double tranchant. Certains disent que cela ne changera rien, tout en avançant toutefois que ses répercussions sont si profondes que nous ne devrions pas l'adopter.
    Ce qui est indubitable, c'est que le gouvernement agit en réponse aux sollicitations des municipalités, des maires, des provinces. J'ai personnellement demandé à des maires de grandes villes ce que nous pouvions faire en matière de justice, et le renversement du fardeau de la preuve relativement à la mise en liberté est le problème majeur qui m'a été signalé. Or, ce sont des gens qui savent de quoi ils parlent, qui connaissent leurs collectivités respectives mieux qu'aucun d'entre nous; ce qu'ils demandent, c'est le renversement du fardeau de la preuve.
    Pour revenir aux statistiques, je voudrais vous demander un commentaire.
    Me Michael Lomer, de la Criminal Lawyers' Association de l'Ontario, a dit qu'il était en faveur du projet de loi et le trouvait en fait relativement spécifique. Il a également affirmé qu'inverser le fardeau de la preuve orientait seulement les tribunaux dans la direction que le Parlement souhaitait les voir envisager. À mon sens, nous envoyons effectivement un message subtil : que nous tenons beaucoup à assurer la sécurité de la population, quand il s'agit d'infractions graves impliquant des armes à feu — tentative de meurtre, vol qualifié, décharge d'une arme à feu avec intention de blesser, etc.
    Pour ce qui est des statistiques, Me Lomer a dit qu'on n'utilisait pas les statistiques dans les plaidoyers, car le juge pouvait très bien rétorquer qu'il lui était indifférent que 1 000 personnes aient été relâchées, que lui s'intéressait à un cas précis, dans des circonstances données, avec des préoccupations spécifiques, bref, qu'il n'avait que faire de statistiques. Autrement dit, les statistiques ne sont pas forcément utiles.
    J'aimerais avoir votre opinion sur ce point. En tout cas, nous avons entendu toute une série de témoignages, certains anecdotaux, certains provenant de maires, d'autres de la police, soulignant que c'était là une préoccupation. Le nombre de personnes concernées est relativement restreint, mais quand elles circulent en liberté — parfois sous caution —, elles constituent une énorme menace pour les collectivités. Je répète : c'est un tout petit nombre de personnes parmi les contrevenants ayant commis de graves infractions.
    Pourriez-vous donc parler un peu des statistiques, ainsi que de l'opinion de Me Lomer, selon qui ce projet de loi est en fait tout à fait conforme à la Constitution et à ce qui s'est fait par le passé dans le code en matière d'inversion du fardeau de la preuve?
(1630)
    Les statistiques, et j'aimerais mieux employer le terme preuve, qui démontrent qu'il existe un problème. Vous constaterez que les statistiques établissent que les dispositions sur les mises en liberté sous caution, telles qu'elles existent actuellement, ne sont pas respectées.
    Je ne sais pas exactement quelle était la position de M. Lomer. Je représente le conseil national, et nous avons des opinions qui émanent des membres venant du pays tout entier, pas simplement d'une grande ville comme Toronto. La même opinion n'existe peut-être pas en Saskatchewan. Ou même au Nunavut. Nous pensons donc qu'au nom du conseil, nous pouvons adopter une approche uniforme; c'est pourquoi nous ne pouvons pas appuyer ce projet de loi.
    Monsieur Moore, je sais que certains disent qu'il nous faut changer ces dispositions parce que c'est un grave problème qui existe à Toronto. J'ai vu ce qu'a dit le maire de Toronto. Mais est-ce que le maire tient de tels propos parce qu'il sait que le motif tertiaire, tel qu'il est appliqué maintenant, ne fonctionne pas, plutôt simplement de dire qu'il nous faut prendre des mesures plus catégoriques pour s'attaquer à ces problèmes qu'on retrouve dans les grandes villes et communiquer un message très clair à ceux qui abusent du système de justice pénale et qui commettent ce genre d'infraction?
    Je dis au nom du conseil canadien que les outils existent déjà dans le motif tertiaire. Si vous vous penchez précisément sur ce genre de personne, les deux motifs supplémentaires que vous avez ajoutés dans la mesure législative, soit la confiance du public dans l'administration de la justice — si c'est une infraction mettant en jeu une arme à feu et on prévoit une peine minimale de trois à quatre ans —, si vous ajoutez cela au motif tertiaire, cela rend plus rigoureuse la disposition et communique un message très clair sans vraiment modifier ce qui touche le fardeau de la preuve.
    Merci beaucoup, monsieur Trudell.
    Je crois que tout cela était fort intéressant. Personnellement, je crois qu'il importe d'entendre les opinions de tous, tant ceux qui appuient le projet de loi que ceux s'y opposant. C'est justement pourquoi le comité existe.
    Merci beaucoup.
    La séance est levée.