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D'accord, merci beaucoup.
Après quelques mots en guise de préambule, je vous parlerai des tableaux inclus dans le document qui vous a été distribué. Je crois connaître bon nombre d'entre vous mais, juste au cas où mon visage vous serait étranger, je vais vous exposer quelques grandes lignes de mes antécédents de sorte que vous sachiez un peu mieux à qui vous avez affaire.
Je suis professeur à l'Université Simon Fraser où j'enseigne à la fois à l'Institut d'études et de recherches canadiennes urbaines en criminologie et à la Faculté de gestion des affaires. Mon doctorat a porté sur l'utilisation des méthodes quantitatives en psychologie sociale. J'effectue des recherches et je publie des travaux dans le domaine de la criminologie, principalement pour les questions liées aux armes à feu et à la violence, depuis plus d'une quinzaine d'années.
Je comparais devant vous aujourd'hui parce que j'appuie le projet de loi . Je crois qu'il constitue un pas dans la bonne direction en matière d'amélioration de la sécurité des Canadiens. Ce n'est peut-être qu'un petit pas, mais c'est quand même un pas dans la bonne direction.
Malgré mon appui au projet de loi , je souhaiterais exprimer quelques réserves.
Selon moi, l'accent devrait être mis sur les infractions avec violence, et non uniquement sur celles commises avec une arme à feu, et ce, pour deux raisons. Premièrement, les crimes violents commis avec une arme à feu ne représentent qu'une petite proportion de toutes les infractions graves avec violence. Deuxièmement, les armes blanches sont à l'origine de plus de blessures, et de blessures plus graves, que les armes à feu.
Pour vous montrer à quel point ces proportions sont faibles, je vous dirai que seulement 3 p. 100 des crimes considérés comme violents impliquent une arme à feu. Les victimes blessées par une arme à feu représentent une proportion beaucoup plus petite encore que 3 p. 100, soit généralement autour de 1 p. 100. Le tiers des homicides sont commis au moyen d'une arme à feu, alors qu'un couteau est utilisé pour un autre tiers. En outre, 15 p. 100 des vols qualifiés sont effectués au moyen d'une arme à feu. Comme vous pouvez le constater, les armes à feu ne sont pas les seules à être utilisées pour les infractions avec violence.
Pour examiner l'incidence des blessures causées par un couteau, je vous invite à regarder les tableaux 1 et 2 — en espérant que le document vous a été distribué. Le tableau 1 traite des victimes de voies de fait; au tableau 2, il est question des vols qualifiés.
Nous examinons donc le tableau 1. À la première ligne, vous pouvez voir que 6 p. 100 des victimes blessées par arme à feu ont des blessures graves, alors que cette proportion atteint 11 p. 100 dans le cas des voies de fait avec couteau, suivant la définition que Statistique Canada donne des blessures physiques graves.
Ces informations ont été obtenues par le truchement d'une demande spéciale adressée à Statistique Canada qui a répondu en s'appuyant sur ses données annuelles. Comme j'ai fait cette demande en 2004, on présente ici les données de 2003. Je suis persuadé, même si je n'ai pas répété l'exercice, que nous obtiendrions à peu près la même ventilation pour les années 2004, 2005 et les autres.
Je veux également faire ressortir au tableau 1 les cas où aucune blessure n'est signalée. Plus de 50 p. 100 des victimes blessées par arme à feu n'ont pas signalé de blessures, ce qui fait que ces blessures sont considérées comme inexistantes par Statistique Canada. De la même façon, dans le cas des voies de fait à l'arme blanche, aucune blessure n'a été rapportée dans 47 p. 100 des cas. Autrement dit, les victimes agressées au moyen d'un couteau risquaient beaucoup plus de subir une blessure — et le cas échéant, une blessure grave — que les victimes de voies de fait avec arme à feu.
Les résultats sont assez similaires pour les victimes de vols qualifiés. Dans 2 p. 100 des vols qualifiés mettant en cause une arme à feu, les victimes avaient subi des blessures physiques graves; cette proportion atteignait 3 p. 100 pour les personnes volées à la pointe du couteau.
De même, pour les incidents ne donnant lieu à aucune blessure, 80 p. 100 impliquaient une arme à feu, comparativement à 83 p. 100 pour les armes blanches. Je ne veux pas dire par là que les armes à feu ne sont pas dangereuses; je veux seulement faire valoir que les couteaux peuvent aussi causer d'importants dégâts et qu'il serait bon que le Parlement considère tout autant les criminels à l'arme blanche que ceux qui brandissent une arme à feu.
Les tableaux 3 et 4 présentent quelques-unes des rares statistiques disponibles concernant les criminels après leur sortie de prison. Au tableau 3, on constate que plus de 40 p. 100 des contrevenants bénéficiant d'une libération d'office ont vu cette libération révoquée pour avoir violé les conditions imposées ou commis un nouveau crime. Il s'agit dans 3 p. 100 des cas d'infractions avec violence.
Nous disposons donc effectivement de quelques données. Comme elles sont plutôt rares, nous ne pouvons toutefois pas compter sur une base de renseignements probante ou approfondie, mais c'est le mieux que nous puissions faire. On peut considérer que le verre est à moitié plein ou à moitié vide, mais si nous essayons d'évaluer la menace pour la population canadienne, on peut voir que 40 p. 100 des prisonniers relâchés ne sont pas dignes de confiance et retournent rapidement derrière les barreaux. Ils constituent donc un danger pour les Canadiens et les Canadiennes.
Au tableau 4, nous avons quelques données sur les taux de récidive. Selon l'infraction pour laquelle le prisonnier a été incarcéré la dernière fois, de l'introduction par effraction jusqu'aux crimes liés à la drogue, les prisonniers récidivent dans les trois ans suivants leur libération dans une proportion variant de 30 p. 100 jusqu'à plus de 63 p. 100. On ne dispose d'aucune donnée sur les taux de récidive à plus long terme, soit pour une période de cinq à dix ans. On pourrait faire valoir ainsi que malgré les coûts associés et la liberté dont on prive certaines personnes, on protège la population en gardant incarcérés les délinquants les plus dangereux.
Nous nous intéressons ensuite aux coûts de la criminalité que doivent assumer les victimes. Il ne s'agit pas des coûts des services policiers, des procédures judiciaires ou des services correctionnels qui sont tous à la charge du gouvernement, mais simplement des coûts pour les citoyens qui ont été victimes d'un crime.
Les tableaux 5 et 6 comportent deux dimensions. La première est le nombre de crimes. Nous avons deux façons d'estimer le nombre de crimes, aucune d'elles n'est très bonne, mais comme elles sont différentes, cela nous donne une bonne approximation du nombre véritable.
On peu d'abord évaluer le nombre de crimes commis en fonction de ceux qui sont signalés à la police. En 1996, lorsque cette étude a été rendue publique, 254 000 infractions avec violence étaient connues des services policiers. En 2005, dernière année pour laquelle les données sont disponibles auprès de Statistique Canada, ce nombre dépassait les 300 000.
On peut également mener des enquêtes pour déterminer le nombre de crimes commis. Il existe différents types d'enquêtes, mais celle qui a peut-être donné les meilleurs résultats au Canada invitait les gens à signaler les crimes sur une base régulière. De 254 000 infractions avec violence, on est ainsi passé à quelque 2 millions. Il n'y a donc généralement qu'une faible proportion du total des infractions commises qui sont portées à la connaissance des services policiers.
Nous croyons que les infractions connues de la police figurent habituellement parmi les plus graves, mais ce n'est pas toujours le cas. Comme nous ne savons pas grand-chose sur les infractions qui ne sont pas signalées, c'est une inconnue parmi les inconnues.
La seconde dimension, qui nous cause beaucoup plus de problèmes, est la manière d'évaluer les coûts qu'une personne doit assumer lorsqu'elle est victime de voies de fait, de vol qualifié, d'agression sexuelle ou de meurtre. C'est très difficile. J'ai essayé ici de me servir des résultats d'enquêtes où l'on demande aux victimes d'indiquer les coûts qu'elles ont dû éponger. J'ai limité mes estimations aux coûts financiers, dans une large mesure, et j'ai essayé de m'en tenir à l'évaluation la plus basse possible. Cela demeure très problématique — j'en conviens volontiers — mais c'est le mieux que nous puissions faire.
Si l'un d'entre vous a déjà été impliqué dans une infraction avec violence — plutôt en tant que victime qu'agresseur, je présume — il sait pertinemment que de nombreux coûts émotifs plus subtils y sont associés. Certaines personnes ne peuvent pas réintégrer leur appartement après avoir été victimes d'un cambriolage. Des gens évitent certains endroits où ils ont été agressés, voire où ils craignent une agression. D'importants coûts psychologiques sont associés aux infractions avec violence et aux crimes contre les biens.
Je n'ai pas essayé d'évaluer ces coûts, mais je cite tout de même les résultats de Welsh et Waller qui ont établi ce qu'ils ont appelé un indice de « vies brisées ». Comme vous pouvez le voir à la troisième ligne à partir du bas du tableau 6, cela représente des sommes assez considérables.
Nous présentons donc essentiellement ici une estimation des coûts du crime pour le citoyen moyen. En 1996, nous avons chiffré ces coûts à 4,6 milliards de dollars pour les citoyens canadiens — pas pour le gouvernement, mais bien pour les Canadiens — dans le cas des infractions contre les biens, et à plus de 700 millions de dollars pour les infractions avec violence. Il s'agit là d'estimations minimales. Comme c'est le cas pour bien des variables en criminologie, je suis persuadé que des recherches plus poussées nous auraient donné des chiffres plus élevés encore, que l'on parle de consommateurs de marijuana, de crimes, de coûts ou de victimes. Je me suis efforcé de m'en tenir au strict minimum.
Au tableau 6, nous avons effectué une répartition plus détaillée, de manière à vous exposer les différentes composantes, plutôt que seulement les totaux pour les infractions avec violence et contre les biens. Vous pouvez donc voir les chiffres pour les pertes pécuniaires directes, les pertes de productivité, les coûts d'hospitalisation et, bien sûr, l'indice plus subjectif des « vies brisées ».
Je vous signale en terminant que j'ai joint une liste de référence qui vous permet de vérifier mes allégations. Vous y trouverez, par exemple, l'étude de Welsh et Waller, différents documents de Statistique Canada ainsi que des études économétriques fort intéressantes.
En conclusion, j'appuie ce projet de loi parce qu'il vise un objectif louable: réduire les souffrances humaines. Les recherches ont démontré que maintenir les criminels violents en prison permettait de protéger le public en les mettant hors d'état de nuire. J'ai essayé de vous exposer les coûts que les citoyens doivent assumer de manière à vous en offrir un aperçu plus concret.
Cependant, en ne visant que les crimes commis avec des armes à feu, le Parlement ne lutte pas contre les crimes violents aussi efficacement qu'il le pourrait. Comme vous le savez très certainement, il ne faut pas, pour rédiger un bon projet de loi, se contenter de réagir à ce que diffusent les médias. Les armes à feu font les manchettes; les armes blanches sont moins intéressantes. Cette distinction n'est pas nécessairement représentative des dangers qui planent sur la population.
Nous savons tous que ce sont les nouvelles qui sortent de l'ordinaire qui intéressent les médias. Les écrasements d'avion font davantage les manchettes que les accident de la route, alors que les Canadiens sont beaucoup plus nombreux à perdre la vie dans des accidents de la circulation que dans des tragédies aériennes. Je vous exhorte donc à inclure les armes blanches dans ce projet de loi. C'est un aspect marginal qui risque d'être négligé. Je vous suis reconnaissant de prendre en compte cette considération.
Merci.
Encore une fois, je pense que l'information que vous nous donnez dans ces tableaux est utile. Je suis d'accord qu'elle ne s'applique peut-être pas directement au projet de loi dont nous sommes en train de parler, mais je pense que ce sont des choses que nous avons besoin de savoir.
Elle laisse entendre aussi que les coûts qui entourent une victime sont difficiles à mesurer en dollars et en cents. J'ai pu observer les résultats tragiques d'un crime violent sur les victimes, et ils ne calculent pas en dollars, mais en conséquences tragiques à long terme.
Il y a un témoin qui a dit que si quelqu'un commet un crime avec un fusil, l'usage est de ne pas le laisser en liberté. J'ai toutefois parlé à des policiers personnellement, et ils connaissent plusieurs personnes qui ont été mises en liberté sous caution. Ils en connaissent et j'en connais aussi. Les gens qui font les arrestations savent assez bien ce qui se passe. Donc oui, il y en a, et ce projet de loi est nécessaire.
J'ai également préparé un projet de loi d'initiative parlementaire pour inclure tous les crimes violents, pas seulement ceux commis avec des fusils. Je veux que les couteaux et tout le reste soient compris. J'ai également entendu dire qu'il y avait d'assez bonnes chances que ce projet de loi ne soit pas jugé conforme à la Charte. Je n'en revenais pas, mais c'est ce qu'on m'a dit.
Je tiens à souligner encore une fois que la seule statistique que nous avons, c'est qu'une personne a commis un crime violent avec une arme à feu. Cette personne est en état d'arrestation et est incarcérée. Elle a montré qu'elle était capable de commettre ce crime. On ne prend pas de risque. Il ne faut tout simplement pas prendre de risque. C'est comme un chien: s'il mord, on l'attache. On ne court pas le risque qu'il morde de nouveau, parce qu'il pourrait le faire. Il ne le fera peut-être pas, mais on ne court pas de risque.
Je me demande simplement si vous êtes d'accord que cette statistique indique simplement qu'effectivement, la personne est arrêtée et accusée d'avoir commis tel crime, qu'elle l'a fait une fois et que c'est assez. Je sais que certains de mes collègues de l'autre côté pensent que c'est ridicule, mais je m'excuse, une fois, c'est assez pour moi. Cette personne n'aura pas d'autre fusil si je peux l'en empêcher.
Je me demande si vous êtes d'accord avec ce scénario.