:
Je vous remercie, monsieur le président. Je présenterai une version quelque peu abrégée de mon exposé, dont je vous ai remis des exemplaires dans les deux langues officielles.
Je vous remercie beaucoup de me permettre de m'adresser à vous ce matin. Je traiterai du secteur des mines et de la responsabilité sociale des entreprises, en ma qualité de sous-ministre adjoint du Secteur des minéraux et des métaux du ministère des Ressources naturelles.
Actuellement, on compte plus de 1 000 entreprises canadiennes d'exploitation et d'exportation minières dans plus de 100 pays dans le monde qui sont investies dans plus de 5 000 projets. Selon Statistique Canada, les investissements directs canadiens à l'étranger dans le secteur des minéraux et des métaux, de 1990 à 2008, ont atteint 66,7 milliards de dollars. De plus, 2 400 entreprises canadiennes de technologie, de services d'experts-conseils et d'approvisionnement collaborent avec des entreprises du secteur minier au Canada et à l'étranger.
[Français]
Comme nous l'avons appris par expérience au Canada et dans les autres pays du monde, l'exploration et le développement des mines peuvent créer de l'emploi et d'autres avantages locaux, dont la formation, des possibilités d'affaires et l'amélioration des infrastructures. Ils peuvent aussi contribuer au progrès social et économique dans le cadre de programmes de la responsabilité sociale de l'entreprise, ou RSE,
[Traduction]
aussi appelée RSE.
[Français]
De plus, des paiements de taxes et de redevances au gouvernement peuvent aussi être générés. Enfin, les opérations minières contribuent à l'économie locale au moyen de l'achat de matériaux et de divers services.
[Traduction]
Les contributions aux collectivités locales et aux pays en développement qui sont engendrées par des activités minières sont importantes, le Chili en étant un exemple frappant. Je reconnais tout à fait que les défis existent, y compris ceux issus des anciennes pratiques de l'industrie, des exécutants d'entreprises médiocres, et du manque de capacité de gouvernance et de primauté du droit dans de nombreux pays en développement, que ce soit à l'échelle nationale, régionale ou locale. Le manque de capacité sur les plans de la gouvernance et des institutions des cadres législatifs et réglementaires et de capacité de les mettre en oeuvre et de les appliquer peuvent faire en sorte que les responsabilités gouvernementales sont laissées aux entreprises minières à l'échelle locale.
Le fait de reconnaître ces problèmes a mené à la mise en oeuvre d'importantes initiatives au cours des 10 dernières années ou plus, y compris l'élaboration des normes de rendement de la Société financière internationale, la Global Reporting Initiative, les Principes volontaires en matière de droits de la personne et de sécurité, l'Initiative relative à la transparence des industries extractives, le système de certification du processus de Kimberley et les travaux en cours de M. John Ruggie, à la demande du secrétaire général des Nations Unies, sur les droits de la personne et le rôle des sociétés.
Les industries canadiennes d'exploration et d'exploitation minières reconnaissent aussi que la capacité de fonctionner au Canada et à l'étranger est de plus en plus tributaire de la solidité de leur rendement environnemental et de leur responsabilité sociale. De plus, les actionnaires et les investisseurs s'intéressent de plus en plus au rendement en matière de RSE lorsqu'ils évaluent les entreprises minières canadiennes et y investissent.
De nombreuses entreprises et associations d'industries sont reconnues pour le travail qu'elles accomplissent dans les collectivités canadiennes et étrangères. L'Association minière du Canada a élaboré le programme « Pour une exploitation minière durable », un programme obligatoire pour ses membres qui a récemment reçu la mention « Meilleur de sa classe » par la Canadian Business for Social Responsibility.
L'Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs a élaboré, il y a quelques années, un éventail de lignes de conduite environnementales, connu sous le nom de Excellence environnementale en exploration, ou E3, afin de favoriser l'amélioration du rendement environnemental par l'industrie de l'exploration. Au mois de mars, l'ACPE a émis le E3 et les lignes directrices sur le rendement en matière de RSE pour les entreprises d'exploration minière.
[Français]
Non seulement le gouvernement favorise-t-il cette façon de faire des affaires, mais il incite activement les entreprises canadiennes à élaborer et à mettre en oeuvre des pratiques de RSE conformes ou supérieures aux normes internationales de rendement.
Ressources naturelles Canada a le mandat de promouvoir et de soutenir le développement durable des ressources minières, énergétiques et forestières du Canada afin de contribuer à la qualité de vie des Canadiens.
Nous reconnaissons que les normes de compétitivité ne sont pas uniquement mesurées par le rendement économique, mais aussi par le rendement en matière de responsabilité environnementale et sociale.
Nos activités, dans le domaine de la RSE, sont les suivantes. Nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, dans le cadre de son initiative visant à améliorer les connaissances et la capacité des missions en matière de RSE.
[Traduction]
Le gouvernement du Canada prend part à l'Initiative pour la transparence dans les industries d'extraction ainsi qu'à l'initiative des Principes volontaires en matière de droits de la personne et de la sécurité. Ressources naturelles Canada fait partie du conseil d'administration de l'ITIE. De plus, le Canada travaille en collaboration avec les pays en développement dans le cadre du Forum intergouvernemental sur les minéraux, les métaux et le développement durable établi en 2005 à la suite d'une mesure de suivi prise par le Canada et l'Afrique du Sud lors du Sommet mondial sur le développement durable de 2002.
Comptant actuellement plus de 43 membres, le forum vise à améliorer la contribution des mines au développement durable à l'aide d'un échange concret d'expériences et de pratiques exemplaires. Ressources naturelles Canada participe de plus à des efforts intergouvernementaux multilatéraux régionaux pour contribuer à renforcer la capacité de gouvernance pour le développement durable des ressources. Le Canada, par l'entremise de ce ministère, est le seul pays non africain qui participe aux réunions annuelles de l'African Mining Partnership et a été en grande partie responsable de la création des mécanismes régionaux semblables dans les Amériques.
Nous voyons à la mise en oeuvre de programmes dans le cadre d'accords bilatéraux avec le Chili et le Brésil, ainsi que dans le cadre de la coopération bilatérale avec de nombreux pays en développement, dont le Pérou, la Colombie, l'Équateur, le Mexique, l'Argentine, le Panama, les Philippines et de nombreux pays africains. Ces pays recherchent tous l'expertise du Canada en matière de capacité de gouvernance pour leurs secteurs miniers afin d'appuyer le développement durable de leurs ressources minières.
Ressources naturelles Canada a également travaillé avec l'industrie, les organisations autochtones et les ministères fédéraux pour concevoir une boîte à outils en matière de mines destinée aux Autochtones, qui est de plus en plus adoptée et adaptée par les pays en développement, comme le Pérou, le Mexique, les Philippines, l'Équateur et des pays de l'Afrique de l'Ouest.
[Français]
En plus de Ressources naturelles Canada, des ministères et des organismes gouvernementaux ont déjà adopté un certain nombre de politiques et de lignes directrices afin de s'assurer que leurs clients sont de bons citoyens coopératifs.
[Traduction]
Le Canada s'attend déjà à ce que les entreprises canadiennes travaillant au Canada et à l'étranger adhèrent au Lignes directrices de l'OCDE pour les entreprises multinationales, qui comportent des normes en matière de conduite responsable des affaires.
Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international compte dans ses rangs la personne-ressource nationale, un cadre supérieur responsable de la promotion de la sensibilisation aux lignes directrices de l'OCDE et de l'examen des rapports sur des cas particuliers de non-conformité à ces lignes directrices. De plus, Exportation et Développement Canada a créé en 2005 un poste d'agent de conformité afin d'améliorer sa transparence et sa responsabilisation. En 2007, EDC a aussi annoncé son soutien aux Principes de l'Équateur, une norme internationale d'évaluation et de gestion des risques sociaux et environnementaux liés au projet de financement.
Finalement, l'Office d'investissement du Régime de pensions du Canada a élaboré une politique sur l'investissement responsable.
[Français]
En plus de celles déjà mentionnées, le gouvernement a pris d'autres mesures importantes concernant le rendement en matière de RSE des entreprises canadiennes des mines, du pétrole et du gaz travaillant à l'étranger, ce qui inclut des tables rondes sur la RSE.
[Traduction]
Le 26 mars 2009, le gouvernement a déposé au Parlement sa nouvelle politique sur la RSE intitulée Renforcer l'avantage canadien: Stratégie de responsabilité sociale des entreprises pour les sociétés extractives canadiennes présentes à l'étranger. Cette stratégie repose sur quatre volets clés qui, ensemble, constituent une approche de collaboration proactive à volets multiples axée sur les politiques.
Dans le cadre du premier volet, l'Agence canadienne de développement international et Ressources naturelles Canada continueront d'apporter leur aide aux gouvernements des pays en développement afin de renforcer leurs capacités à gérer leurs ressources naturelles de façon durable et responsable. Par exemple, le projet PERCAN, au Pérou, a été reconduit afin d'aider au renforcement de la capacité du ministère péruvien de l'énergie et des mines.
Le deuxième volet prévoit la promotion des lignes directrices internationalement reconnues en matière de rendement et de déclaration volontaires de la RSE, comme les normes de rendement de la Corporation financière internationale sur la durabilité sociale et environnementale, les Principes volontaires en matière de droits de la personne et de sécurité et l'Initiative mondiale en matière de déclaration. Ces mesures donnent suite à l'adoption par le Canada des Lignes directrices de l'OCDE sur les entreprises multinationales.
Dans le cadre du troisième volet, la stratégie prévoit un appui à la création d'un centre d'excellence en RSE, un guichet unique géré par l'Institut canadien des mines, de la métallurgie et du pétrole, qui fournira des renseignements aux entreprises, aux organisations non gouvernementales et aux autres intervenants intéressés.
En dernier lieu, dans le cadre du quatrième volet, la stratégie prévoit la création du Bureau du conseiller en RSE auprès du secteur extractif. Comme vous le savez, le gouvernement a récemment annoncé la nomination de Mme Marketa Evans à titre de première conseillère.
En définissant les attentes, en favorisant la transparence et la déclaration, en participant au renforcement de la capacité des pays en développement et de l'industrie et en adoptant un mécanisme de résolution des conflits, la stratégie accroîtra la capacité des sociétés canadiennes à gérer les risques sociaux et environnementaux et les encouragera à améliorer constamment leur rendement. Cela améliorera non seulement leurs pratiques de RSE et les résultats en matière de développement durable dans les pays en développement, mais contribuera aussi à améliorer la compétitivité des sociétés canadiennes à l'étranger.
Bref, l'amélioration du rendement en matière de RSE des entreprises extractives canadiennes présentes à l'étranger constitue un objectif fondamentalement important pour le gouvernement du Canada ainsi que pour l'industrie. De plus, le gouvernement reconnaît qu'il est essentiel de collaborer avec les pays hôtes afin d'améliorer leur capacité de gouvernance afin d'assurer le développement durable de leurs ressources minérales et énergétiques.
Afin d'atteindre ces objectifs, le gouvernement, l'industrie et d'autres parties intéressées du Canada et de l'étranger ont mis en oeuvre un certain nombre d'initiatives ciblées au cours des 10 dernières années ou même plus. Outre ces efforts, afin de répondre sérieusement au rapport du groupe consultatif auprès des tables rondes nationales, le gouvernement met en oeuvre une stratégie de collaboration proactive à multiple volets afin d'améliorer constamment le rendement de l'industrie en matière de RSE et de renforcer la capacité de gouvernance en nouant des partenariats dans les pays en développement.
[Français]
Je vous remercie encore une fois de m'avoir reçu. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
:
J'aimerais répondre à certains points qui ont été soulevés dans la question.
Premièrement, le gouvernement du Canada, en respectant et en faisant connaître les principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales, se trouve à mettre l'accent sur l'ensemble de l'économie et un point de contact national. Du coup, il privilégie la mise en oeuvre de ces principes directeurs et le règlement des plaintes sur les sociétés canadiennes actives au Canada ou à l'étranger, qui ne les respectent pas.
Deuxièmement, comme je l'ai indiqué dans mon exposé, les entreprises — en particulier celles des secteurs minier, pétrolier et gazier qui exercent leurs activités au Canada et à l'étranger — reconnaissent de plus en plus que leur compétitivité, pour avoir accès aux ressources, obtenir l'autorisation juridique et sociale d'amasser des fonds et avoir l'assentiment de leurs actionnaires, passe non seulement par le rendement économique, mais également par le rendement en matière de responsabilité environnementale et sociale selon les normes internationales définies par la SFI, ainsi que les lois des pays dans lesquels elles exercent leurs activités.
En ce qui a trait à votre question sur les problèmes que pose ce projet de loi, je reviens à ce que j'ai dit tout à l'heure, soit qu'un certain nombre de mécanismes soigneusement établis qui ont vu le jour au cours des dernières années sont en place actuellement, comme je l'ai dit, y compris les principes directeurs de l'OCDE et le point de contact national, le travail par industrie et les quatre piliers de la stratégie du gouvernement. Selon nous, l'ensemble de ces mécanisme permet d'atteindre deux objectifs complémentaires: celui d'améliorer le rendement en matière de RSE en réglant les problèmes à mesure qu'ils se présentent et celui d'améliorer la capacité de gouvernance des pays hôtes grâce à un partenariat avec leurs gouvernements.
Une approche législative comme celle qui est envisagée dans le projet de loi ajouterait une dimension différente qui serait, selon nous, incohérente avec l'approche proactive fondée sur les politiques pour atteindre ces objectifs, comme je l'ai souligné dans la stratégie de RSE, qui repose sur un certain nombre de mécanismes déjà en place. On craint donc que le mécanisme, de même que la complexité et les coûts qui y sont associés, créent confusion et double emploi et qu'ils ne permettent pas une approche collaborative et proactive de la stratégie pour aller de l'avant. On va chercher à se conformer aux règles minimales plutôt qu'à améliorer le rendement et à régler la question fondamentale de la capacité de gouvernance dans les pays en développement.
Le projet de loi porte notamment sur le respect des droits de la personne et le rôle des sociétés. Actuellement, les conventions nationales sur les droits de la personne font le lien entre la responsabilité des personnes et celle de l'État ou mettent cette relation en évidence. Les travaux de John Ruggie, qui a été mandaté par le secrétaire général des Nations Unies, portent justement sur le rôle des sociétés, mais ils ne sont pas encore terminés. Je crois qu'il serait très difficile pour le Canada d'intervenir dans ce domaine avant que ces travaux ne soient complétés et examinés dans un processus multilatéral des Nations Unies, dont ils émanent.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je voudrais vous présenter ma collègue Carole Samdup, qui est l'agente principalement responsable de ce dossier à Droits et Démocratie.
[Traduction]
Pour commencer, je veux remercier le président, M. Sorenson, ainsi que les membres du comité pour leur intérêt pour la question de la responsabilité des sociétés. Je les remercie également de nous avoir invités.
Comme vous le savez, Droits et Démocratie a été créé en vertu d'une loi du Parlement, en 1988, pour faire la promotion et prendre la défense des droits de la personne et du développement démocratique à l'échelle internationale. Depuis plus de 20 ans, nous remplissons ce mandat au nom des Canadiens et nous faisons rapport à eux par le truchement du Parlement. Dans deux semaines, nous aurons l'occasion de comparaître devant vous pour discuter de notre examen quinquennal.
Nous faisons la promotion et nous prenons la défense des droits de la personne et des libertés démocratiques partout dans le monde. Nous appuyons les individus, les collectivités et les militants de la démocratie. En outre, nous contribuons à la création d'institutions et de processus démocratiques qui permettent aux droits universels de la personne de prendre effet.
[Français]
L'un des plus importants défis du XXIe siècle dans le domaine économique consiste à veiller à ce que les mouvements accrus des investissements internationaux et de l'activité des grandes entreprises ne fassent pas obstacle à notre engagement envers le respect des droits humains. Il ne s'agit pas là d'une question théorique. Elle affecte des millions de personnes un peu partout dans le monde. L'arrivée d'une entreprise étrangère dans une communauté peut être une bonne nouvelle pour la population, mais elle peut aussi être une très mauvaise nouvelle.
Parfois, le projet incorpore tous les éléments d'un spectre complexe qui va du développement durable jusqu'au respect des droits humains. Dans ces cas précis, les populations locales peuvent retirer beaucoup d'une telle expérience, et l'investissement devient alors un élément positif de leur cheminement. Dans d'autres cas, la tournure est moins heureuse. Quand les projets sont développés dans des pays où les droits humains ne sont pas toujours pris en compte, les investissements peuvent se faire au détriment des populations récipiendaires. De nombreux cas de violation ont d'ailleurs été rapportés et documentés dans plusieurs pays en voie de développement.
D'ailleurs, depuis quelques années, les pratiques des entreprises qui contreviennent aux normes des droits de la personne sont exposées au grand jour par les médias. Dans certains cas, les compagnies visées se sont livrées directement à des violations de droits fondamentaux, par exemple en instituant des conditions de travail qui vont à l'encontre des normes de l'Organisation internationale du travail ou en se livrant à l'expulsion forcée de populations. Dans d'autres cas, elles se sont rendues complices d'un système structuré par des États autoritaires en ayant recours aux forces de sécurité gouvernementales pour réprimer les mouvements d'opposition.
Voilà l'essentiel du débat que suscite le projet de loi se trouvant devant vous. Comment faire en sorte que l'investissement étranger des entreprises canadiennes contribue positivement aux populations qui les reçoivent? Comment assurer la responsabilité de ces entreprises alors que la loi internationale portant sur les droits humains n'est pas respectée? Comment assurer que les personnes et communautés affectées peuvent avoir accès à un remède pour des violations de leurs droits?
Depuis 1994, Droits et Démocratie s'investit activement dans divers projets touchant la responsabilité sociale des entreprises ainsi que les impacts du commerce et de l'investissement étranger sur les droits humains. Nous avons participé, comme membre du groupe consultatif, aux Tables rondes nationales sur la responsabilité sociale des entreprises et les industries extractives canadiennes dans les pays en développement.
En 2005, de concert avec des organismes de la société civile dans cinq pays, nous avons évalué l'impact de projets d'investissements étrangers. Au fil de ces études, nous nous sommes rendu compte que les communautés touchées par des projets étaient souvent mal outillées pour faire des représentations auprès de l'État, négocier avec les entreprises, participer à la prise de décision et influencer cette dernière, ou même comprendre les mécanismes de recours nationaux et internationaux dont elles disposaient.
Sur la base de ces constats, nous avons développé une méthodologie que les communautés utilisent maintenant, du Cameroun à l'Équateur, pour faire valoir leurs droits face à l'investissement étranger. Plus que jamais, il faut veiller à ce que le mouvement accru des investissements internationaux et de l'activité des grandes entreprises ne fasse pas obstacle à notre engagement et à nos obligations.
[Traduction]
Pour les besoins de votre étude du et de la question plus générale de la responsabilité des sociétés, nous espérons vous doter de certains des principes que, au cours des 15 dernières années, nous sommes venus à considérer comme essentiels pour la responsabilisation efficace des sociétés. Ces principes peuvent se subdiviser en trois catégories, qu'applique John Ruggie, le représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies pour la question des sociétés et des droits de l'homme. Ce sont la protection, le respect et les remèdes.
Le premier principe concerne le devoir de l'État d'offrir une protection contre les abus en matière de droits de la personne par des tiers, y compris les entreprises.
D'après notre expérience, les pays en développement ont souvent ratifié d'importants traités internationaux sur les droits de la personne, mais ils sont soit incapables soit réticents à les mettre complètement en oeuvre. C'est particulièrement vrai dans les pays moins développés ou les pays en guerre ou sous la botte de dictateurs. Les entreprises qui évoluent dans ce contexte sont susceptibles d'être complices de violations des droits de la personne ou, plus souvent qu'autrement, de bénéficier de ces violations commises par les mêmes autorités. Dans le cas où l'État hôte est faible ou corrompu, les sociétés étrangères et leur État d'origine ont la responsabilité supplémentaire d'éviter de transgresser les droits d'autrui.
Le gouvernement du Canada et les Canadiens peuvent contribuer, et ils contribuent vraiment, au renforcement des capacités des pays en développement. Ils encouragent aussi la mise en oeuvre d'obligations à l'égard des droits de la personne, mais rien ne vaut des actions à l'étranger qui ne contreviennent pas aux lois relatives aux droits de la personne.
Le deuxième principe concerne la responsabilité, pour l'entreprise, de respecter les droits de la personne. Cela signifie que les sociétés doivent prendre toutes les précautions possibles pour éviter de violer les droits de la personne ou de profiter des violations de ces droits. D'après notre expérience, la plupart des sociétés respectent la loi et les droits de la personne, mais certaines d'entre elles sont de fait responsables de violations des droits de la personne. Nous ne pouvons pas passer cela sous silence. Pour ce groupe minoritaire de sociétés, il faut des règlements fondés sur les droits de la personne; souvent, les mesures volontaires ne suffisent pas. Elles ont une utilité proclamatoire, mais elles ne suffisent pas.
Comme John Ruggie l'a affirmé dernièrement:
Un pur modèle d'autoréglementation qui n'aurait pas à se plier aux lois nationales manque de crédibilité de prime abord. Nous vivons dans un monde où coexistent 192 États, 80 000 sociétés transnationales, des millions de succursales et de fournisseurs et un nombre infini d'autres firmes, grandes et petites. Il n'y a pas suffisamment de magie, sur aucun marché, réel ou imaginaire, pour vaincre les problèmes très graves qui découlent de l'action collective.
Les droits de la personne constituent le canevas des normes internationales qui ont été négociées et adoptées par les États. À ce titre, ils servent à former un consensus international. En outre, les normes qui en découlent lient aussi directement les joueurs non étatiques. Les droits de la personne offrent un cadre bien établi pour la gouvernance et la surveillance, à la faveur des diverses activités et procédures du système onusien des droits de la personne. Ils assurent un ensemble de principes procéduraux qui permettent de vérifier la diligence raisonnable des sociétés lorsqu'on évalue d'éventuels projets. Ces principes sont notamment la non-discrimination, la transparence, la participation et la responsabilisation.
Caractéristique importante, les droits de la personne n'imposent aucune norme nouvelle ni engagement nouveau, si ce n'est ceux qui sont déjà affirmés et reconnus. Il ne devrait donc pas être difficile, pour des pays comme le Canada, de se doter d'un cadre réglementaire inspiré des principes des droits de la personne ni prohibitif pour les sociétés d'y adhérer.
Enfin, le troisième principe concerne la nécessité, pour les victimes, de pouvoir mieux accéder à des remèdes efficaces. Les victimes les plus gravement touchées par les projets d'investissement étranger ne sont presque jamais consultées. Quand les choses vont mal et que leurs droits sont violés, elles n'ont aucun recours pour obtenir justice.
Les victimes doivent pouvoir présenter leurs demandes de dédommagement à un organisme juridictionnel lorsque leurs droits sont violés, et elles doivent pouvoir le faire sans craindre ni poursuites ni représailles. Dans de nombreux pays en développement, les mécanismes de plainte ou les processus judiciaires justes et impartiaux sont inexistants, mais une société ne doit pas considérer cela comme une permission pour évoluer dans ce vide et échapper à ses responsabilités.
À cet égard, le gouvernement du Canada peut jouer un rôle important. Notre gouvernement a une responsabilité partagée, en vertu du droit international sur les droits de la personne, d'assurer la protection des droits humains, même à l'extérieur de son propre territoire. Une fois que le Canada a affecté des fonds publics à un projet d'investissement, il devient responsable de ses répercussions, peu importe l'endroit où elles se font sentir. Le Canada a l'obligation morale de faire en sorte que ces fonds ne sont pas utilisés d'une manière qui serait illégale en vertu du droit national, sous la rubrique des violations des droits humains.
En établissant un mécanisme d'application dont le mandat serait de faire enquête sur les plaintes, de rendre des décisions exécutoires et à qui les victimes peuvent s'adresser pour obtenir réparation contre les infractions commises par des sociétés canadiennes à l'étranger, le Parlement pourrait franchir une étape importante vers la réalisation de la promesse qu'il a faite concernant la responsabilisation sociale des entreprises. Il serait beaucoup plus efficace et bénéfique pour tous les joueurs de consulter les collectivités locales avant d'entreprendre des projets d'investissement à l'étranger et de s'assurer de réduire les risques pour les droits de la personne. Afin d'uniformiser les règles du jeu, il faut un mécanisme efficace d'application.
Ces trois principes devraient guider vos délibérations sur le projet de loi afin de faire en sorte que les actions du Canada à l'étranger favorisent les droits universels de la personne plutôt que de leur nuire.
Merci.
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Je vous remercie, monsieur le président, ainsi que les membres du comité, de m'accorder de votre temps aujourd'hui.
Je suis ici à titre personnel pour vous faire part de mes préoccupations à l'égard des répercussions du . OTD est une entreprise familiale. Mon épouse et moi-même travaillons dans le secteur des minéraux depuis plus de vingt ans, et nous avons géré et appuyé beaucoup de petites sociétés d'exploration canadiennes constituées en personne morale, de même que de productives sociétés d'exploration au Canada et à l'étranger.
Comme l'indique le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international sur son site Web, quelque 7 000 à 8 000 projets d'exploration minérale sont menés par des prospecteurs canadiens dans plus de 100 pays. C'est donc dire que des Canadiens contribuent au développement local de nombreuses collectivités un peu partout dans le monde. Les images qui nous parviennent de ces endroits sont spectaculaires, qu'elles soient affichées sur le site Web d'une entreprise d'exploration, ou qu'elles nous arrivent d'un organisme d'aide ou d'une société civile. On y voit toute une gamme de milieux naturels, des mieux préservés aux plus malmenés, qui reflètent la même échelle de conditions humaines. Nous espérons que le secteur des minéraux, la société civile et le gouvernement canadien envisageront l'exploitation minérale comme une partie de la solution pour améliorer les conditions de vie de ces communautés et pays qui nous accueillent. Ce sont d'ailleurs des endroits qui ne permettent peut-être pas d'autres investissements économiques pour le Canada, ni la possibilité d'y prendre la tête de différents projets. Il faut également penser qu'aucun leadership international ou national n'est peut-être assuré dans ces pays.
Vous vous demandez peut-être pourquoi la question me préoccupe étant donné que je travaille pour de petites sociétés d'exploration. Les petites entreprises n'utilisent généralement pas les mécanismes financiers qui sont susceptibles de leur valoir des sanctions de la part du ministre. En tant que géologue prospecteur, je pourrais passer la quasi-totalité de ma carrière à travailler en exploration minérale sans jamais tomber sur un projet qui nécessiterait de recourir aux mécanismes financiers que le projet de loi C-300 propose de suspendre. Je suis inquiet, car bon nombre des exemples donnés dans les positions publiques prises à l'égard du projet de loi C-300 mettent en scène de petites sociétés d'exploration à différents stades de prospection.
Le projet de loi C-300 ne fait pas de lien entre l'examen ministériel des plaintes et les mises en candidature pour obtenir du financement. N'importe quelle allégation peut être soumise, peu importe le lien financier potentiel du projet au gouvernement du Canada. Les sanctions imposées à une société fautive au stade de la production sont clairement définies dans le projet de loi C-300. À l'issue d'une longue et difficile enquête, le ministre devra décider si des sanctions doivent être imposées. Ces sanctions arrivent aussi à la fin d'un processus plus long encore d'exploration pour le projet minier. La société a alors investi beaucoup d'argent, et elle doit protéger les retombées futures qu'elle avait mesurées, de même que sa réputation.
Les sanctions pourraient nuire aux plans du pays hôte ou à ses possibilités de développement. La société visée pourrait être forcée d'abandonner le projet. Toutefois, l'imposition de sanctions à ce stade du projet pourrait permettre à quelqu'un d'autre d'exploiter le même site plus tard, au coeur de la communauté affectée ou de la prochaine génération.
Les sanctions non monétaires auront un impact plus immédiat sur les projets d'exploration. Dans bien des cas, on ne verra jamais la fin de la procédure établie dont il est question dans la Gazette. J'ai pris soin d'employer le terme « projet » plutôt que « société », car les petites sociétés d'exploration ont souvent une plus courte durée de vie que les projets eux-mêmes. Il est possible que l'entreprise passe à autre chose ou qu'elle soit dissoute. Les sociétés sont composées d'entités techniques, financières et administratives qui sont appelées à se séparer pour se réunir à nouveau pour un autre projet. C'est monnaie courante dans le domaine. On parle d'exploration et de financement de l'exploration. Le projet de loi C-300 ne fera que fournir une raison de plus aux sociétés de maintenir cette pratique. C'est un peu comme ajouter un gorille de 300 livres à l'équation. La petite société pourrait disparaître avant la fin de l'enquête du ministre, que la plainte déposée contre elle ait été fondée ou non. Elle pourrait très bien juger que la valeur d'exploration actuelle du projet n'est pas assez importante pour qu'il en vaille la peine de se lancer dans une telle bataille ou de dépenser autant pour assurer sa défense. C'est peut-être même le résultat qu'espérait le plaignant au départ.
Il reste néanmoins un site d'exploration minérale sur place. La décision du ministre ne sera pas une finalité en soi, mais plutôt le début d'un plus grand engagement de la part du Canada dans le traitement des plaintes relatives aux droits de la personne dans le secteur des ressources. Si le gouvernement fédéral décide que le Canada doit empêcher une société canadienne d'entreprendre un projet ou qu'il doit refuser la candidature d'une entreprise pour l'exploitation d'un projet, il doit reconnaître qu'il a ainsi l'obligation de veiller à ce que le résultat soit moins dommageable que la situation contre laquelle il est intervenu. En prenant des mesures contre une société, le Canada accepte d'assumer les responsabilités qui accompagnent son geste, et il doit s'assurer que son intervention ne viendra pas aggraver la situation des gens qu'il tente de protéger.
Que le ministre décide de retenir la plainte ou non, le processus laissera des traces derrière lui, à l'endroit même où l'entreprise, les deux pays, la société civile et tous les membres de la collectivité se sont battus pour défendre leurs intérêts et leurs droits. On imagine difficilement que le pays hôte aura le même sentiment de finalité que le ministre éprouvera lors du dépôt de son rapport annuel. Les collectivités touchées de près pourraient se sentir encore plus bafouées par l'externalité du processus, particulièrement si l'arbitre n'offre aucune suggestion ou solution pour améliorer la position de l'entreprise par rapport à la situation précédente. Si le projet de loi visait à faire régner la justice, il proposerait des mécanismes à cet égard.
Qu'est-ce que le Canada pourrait offrir au pays hôte pour compenser l'occasion perdue et l'aider à améliorer ses conditions après la tempête?
Les plaintes formulées à l'égard des sociétés d'exploration et des projets canadiens seront nombreuses aux premiers stades du processus. Il sera aussi difficile de faire enquête sur ces plaintes, qui seront souvent motivées par l'avidité, l'ambition et les politicailleries, des réactions typiques de la race humaine. Il ne serait pas présomptueux d'affirmer que 5 p. 100 des quelque 7 000 projets ont fait l'objet d'une plainte locale suffisamment légitime pour être acheminée au ministre. Cela signifie que le ministre recevrait une nouvelle note d'information quotidiennement, et qu'une nouvelle enquête devrait être entreprise chaque jour.
D'après mon expérience, les opérations minières, surtout celles représentées par un intervenant étranger, peuvent susciter des doutes et s'attirer les foudres de la population, qui réagit de la sorte pour le simple principe de la chose. Les sociétés que j'ai guidées dans le cadre de projets d'exploration ont été accusées d'avoir déversé du cyanure dans une rivière et de faire de l'exploration de nuit à l'aide d'hélicoptères pour éviter les manifestants en El Salvador; en Argentine, on les a accusées d'avoir volé de l'or et d'avoir contaminé la nappe phréatique. On nous a aussi reproché d'avoir corrompu des fonctionnaires presque partout où nous sommes allés. Toutes ces allégations sont non fondées. Je n'ai jamais rien fait qui aurait pu se rapprocher des gestes dont on nous avait accusés, pas même en théorie. Malgré l'absence de preuves factuelles, ces calomnies ont été publiées sur Internet, et des diffuseurs canadiens et américains ont continué à les répandre, sans même tenter de les vérifier ou de me parler au préalable, et ils ne l'ont toujours pas fait d'ailleurs.
Je crois que la première chose à vérifier lorsqu'une plainte est présentée au ministre, c'est de tenter de déterminer si celle-ci est fondée ou non.
Celle que je préfère avait été déposée par les femmes de 70 de mes employés à Madagascar, qui nous avaient accusés d'avoir rendu leurs maris impuissants. J'admets que j'ai peut-être commis une maladresse culturelle dans cette histoire. J'ai réussi à régler le différend, mais je suis persuadé que la manchette aurait fait le délice des auditeurs des émissions du matin à la radio de Radio-Canada.
J'ai tenté de vous décrire les difficultés que pose le projet de loi pour le Canada en ce qui a trait aux décisions concernant les sociétés d'exploration canadiennes et les pays hôtes. Je suis maintenant tenté de faire preuve d'un peu de cynisme.
J'en viens parfois à me dire que le projet de loi C-300 ne porte pas du tout sur les sociétés d'extraction. Je crois qu'il vise à contester les politiques et les interventions du gouvernement du Canada sur la scène internationale. Il se veut la voix de tout membre de la société, peu importe son origine, qui veut exprimer ce qu'il souhaite voir dans la politique morale du Canada. Il sert à guider l'interprétation du paragraphe 5(2), dont il a été question plus tôt, à savoir ce qui respecte les normes internationales en matière de droits de la personne, selon l'orientation que l'on souhaite donner au Canada. Il pourrait être question d'un faible gouvernement étranger orchestrant le retrait d'une société canadienne pour la remplacer par une entreprise locale, ou encore par une autre entreprise étrangère qui offre des incitatifs d'État à État plus attrayants.
Si j'osais, je demanderais au gouvernement canadien s'il est satisfait des répercussions qu'a eues l'expulsion de la société Talisman sur les Somaliens concernés. De quoi aurait eu l'air l'intervention du ministre si le projet de loi avait été en vigueur à ce moment-là?
Le projet de loi C-300 tiendra le Canada responsable de ramasser les pots cassés à la suite de l'exercice de nos convictions humanitaires les plus louables, tout en le privant de son outil le plus efficace: une société d'extraction qui se consacre entièrement à ses activités. Bien qu'il vise à ajouter un niveau de responsabilisation pour ce qui est des gestes posés par les Canadiens à l'étranger, ce projet de loi ne permet pas concrètement ni efficacement de le faire, pas plus qu'il ne propose de définir des mécanismes afin de veiller à ce que les pays hôtes soient traités justement.
En terminant, chers membres du comité, je vous prierais de consulter les outils que mes collègues du secteur des matières extractives vous présenteront lors de ces audiences: le cadre e3Plus de l'Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs, la stratégie « Vers le développement minier durable » de l'Association minière du Canada, de même que les principes de l'Équateur. J'ai l'impression que l'ensemble du secteur des matières extractives, y compris moi-même, commence à adopter les aspects opérationnels qui y sont donnés et, surtout, comprend de mieux en mieux les raisons qui ont motivé leur création. En fait, les aspects opérationnels nous faisaient défaut. J'ai participé à l'élaboration du cadre e3Plus, et le but premier de ce cadre était de fournir de bons outils opérationnels au personnel travaillant sur le terrain avec les collectivités hôtes.
Il faut préciser que le cadre e3Plus a été produit alors que l'industrie et la société civile attendait la stratégie de RSE du gouvernement, Renforcer l'avantage canadien, de même que la politique connexe, qui est maintenant affichée sur le site Web de MAECI. Les deux sont en place, mais ils continuent à évoluer. Comme il s'agit de nouvelles initiatives, elles n'ont pas encore été éprouvées comme ensembles de pratiques ou de mécanismes visant à accroître la RSE. Toutefois, elles ont toutes deux pour objectif d'améliorer le rendement des sociétés canadiennes d'extraction dans tous les aspects de leurs activités, y compris le respect des droits de la personne. C'est ce que ces initiatives persisteront à faire, même si le projet de loi viendra ultimement nuire aux efforts du Canada et du secteur de l'extraction pour résoudre les problèmes sociaux et régler les différends au sein des communautés où ils ont pris naissance. Et on le fera aux endroits où les collectivités hôtes en auront le plus besoin.
Merci.
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Merci beaucoup, monsieur le président, et merci aux membres du comité de nous donner l’occasion de témoigner devant vous aujourd’hui. Je m’appelle Tyler Giannini, et je dirige la International Human Rights Clinic à la Faculté de droit de l'Université Harvard. Je suis accompagné de Mme Sarah Knuckey, du Center for Human Rights and Global Justice, à la Faculté de droit de l'Université de New York.
Avant de commencer, j'aimerais souligner que je comprends que mon mémoire et les déclarations que je ferai devant ce comité sont protégés par le privilège parlementaire, et je tiens à me prévaloir de cette immunité, dans la mesure où cela est nécessaire.
Mme Knuckey et moi-même sommes des avocats spécialistes des droits de la personne, et nous cumulons ensemble quelque 20 années d’expérience à documenter des cas de violation des droits de la personne. Depuis 2006, Mme Knuckey s’est rendue à trois occasions en Papouasie-Nouvelle-Guinée, ou PNG, et j’y suis moi-même allé deux fois, pour étudier en personne les effets de la coentreprise minière de Porgera, détenue majoritairement et exploitée par des intérêts canadiens depuis son ouverture.
Aujourd’hui, on s’interroge sur la sécurité et le respect des droits de la personne à la mine de Porgera, et nous tentons de déterminer pourquoi le projet de loi est si important, alors qu’il a été impossible de réaliser des enquêtes indépendantes malgré des allégations constantes d’abus. D’abord, je tâcherai d’illustrer de quelle façon le projet de loi C-300 confère au gouvernement du Canada un rôle crucial dans la promotion de la responsabilisation, en offrant un recours aux victimes qui n’ont pu trouver secours auprès des autres intervenants. C’est particulièrement important lorsque des pays hôtes comme la PNG et des entreprises se trouvent en situation de conflit d’intérêts inhérent qui empêche la tenue d’enquêtes indépendantes.
Ensuite, Mme Knuckey vous parlera des graves allégations de violence qui persistent depuis l’ouverture de cette mine, à la lumière de notre incapacité à faire enquête adéquatement sur les plaintes d’abus. La mine de Porgera est exploitée depuis les années 1990 dans une région éloignée de la PNG, conformément à un accord conclu entre le gouvernement de la PNG et Placer Dome, une société canadienne. En 2006, Barrick Gold a acheté Placer Dome et a fait l’acquisition de la mine.
Depuis les années 1990, on a signalé de graves violations des droits de la personne en rapport avec la mine. Des personnes avec qui nous nous sommes entretenus nous ont rapporté des récits détaillés de graves abus: des viols, y compris des viols collectifs; des agressions physiques, et des meurtres. Le gouvernement de la PNG et la coentreprise minière de Porgera ont la responsabilité de faire enquête sur de telles allégations. Cependant, selon nos entretiens et des documents obtenus en PNG, il appert peu probable que ces entités commandent des enquêtes indépendantes.
Premièrement, d’après nombre de témoins et de victimes, les autorités policières locales ont plus d’une fois manqué d’enquêter de façon adéquate sur les allégations d’abus commis par le personnel de la mine de Porgera. Les policiers ont aussi indiqué que des agents de sécurité de la mine les avaient empêchés de bien faire leur travail en leur refusant d’accéder immédiatement aux scènes de crime à l’intérieur du périmètre de la mine et, selon les policiers, les agents de sécurité auraient falsifié les éléments de preuve.
En 2005, à la suite des pressions exercées par des intervenants locaux et après que l’entreprise ait admis que des décès liés aux activités de la mine étaient survenus, le gouvernement de la PNG a créé un comité chargé de faire la lumière sur la situation. Cependant, malgré le fait que le comité a mis fin à ses travaux en 2006, son rapport n’a toujours pas été rendu public.
Deuxièmement, nous avons des réserves à l’égard de la tenue d’enquêtes indépendantes, car le service de sécurité de la mine est composé principalement de réservistes des forces policières. Bon nombre des allégations d’abus commis par le service de sécurité de la mine sont attribuées à ces agents réservistes.
Nous nous sommes rendus sur place en mars 2009 afin de recueillir des faits. Nous avons alors pu consulter et transcrire un protocole d’entente conclu entre l’entreprise minière et les autorités policières, que nous vous avons soumis en intégralité comme document de référence. Ce document, qu’un agent de police supérieur a montré aux membres de l’équipe de Harvard en PNG, autorisait le déploiement d’un nombre convenu d’agents de police réservistes (qui sont des employés de la coentreprise minière de Porgera). Le protocole d’entente précise également que l’entreprise est responsable de tous les coûts associés au déploiement des réservistes — des employés de la mine de Porgera —, y compris les salaires, les frais de formation et la fourniture d’uniformes et d’équipements.
Les bureaux d'application de la loi que nous avons consultés nous ont aussi indiqué que le service de sécurité armé de la mine était composé majoritairement de policiers réservistes, qui exécutent quotidiennement les ordres des responsables de la mine.
On nous a aussi appris que les armes et l'équipement qu'utilisent les réservistes (les armes et l'équipement qui auraient pu servir à commettre les abus allégués) sont achetés par l'entreprise minière. En apparence, le protocole d'entente suscite une grave situation de conflit d'intérêts.
Dans l'état actuel des choses, il est très peu probable que les intervenants de la PNG déclenchent une enquête approfondie, indépendante et juste sur les abus allégués, premièrement parce que le gouvernement de la PNG a décidé de ne pas intervenir et même de ne pas publier le rapport de son comité gouvernemental sur les décès associés à la mine; deuxièmement, parce que l'existence du protocole d'entente crée des conflits d'intérêts inhérents; et troisièmement, on continue à fermer les yeux sur le terrain malgré la persistance des allégations. Dans une telle situation, il est évident qu'une tierce partie doit intervenir et mener une enquête indépendante. Et c'est exactement ce que permet de faire le projet de loi . Il établit un mécanisme qui rend possible ce genre d'examen externe.
Sur ce, je cède la parole à Mme Knuckey, qui vous exposera en détail la gravité des allégations. Elle tentera également de vous démontrer davantage à quel point il est important d'adopter un projet de loi comme le projet de loi C-300.
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Monsieur le président et membres du comité, tout comme M. Giannini, je me prévaux de l'immunité parlementaire.
Monsieur le président, nous avons des allégations, avec preuves à l'appui, de violations graves des droits de la personne par des agents de sécurité à l'emploi d'entreprises canadiennes qui se sont rendus coupables de meurtres, de viols et de voies de fait. Compte tenu de la gravité de ces crimes présumés et de l'absence actuelle de mécanismes de reddition de comptes à cet égard, il apparaît évident que nous avons besoin d'une mesure comme le projet de loi qui créerait une instance indépendante chargée de recevoir et d'examiner les plaintes des victimes.
Dans le cadre de notre travail, nous avons interviewé plus de 250 personnes, y compris des victimes présumées, des témoins, des proches des victimes, des résidents locaux, des membres de la société civile locale et internationale, des responsables de la santé, des représentants gouvernementaux, des membres des forces policières, des employés des mines et des gardiens de sécurité anciens et actuels de la mine PJV. Nous avons également examiné les dossiers médicaux et les rapports de police.
À Porgera, la pauvreté incite les résidents locaux à entrer sans autorisation sur ce qui est maintenant la propriété de la mine. Le recours à la force par les gardiens de PJV était sans doute justifié dans certains cas, que ce soit pour la défense de la propriété ou de leur propre vie. J'aimerais toutefois vous faire part aujourd'hui de cas de viols particulièrement brutaux dont nous avons établi la véracité et qui, bien évidemment, ne sauraient être justifiés d'aucune manière.
Ces viols se déroulent souvent suivant un scénario semblable. Les gardiens, qui sont généralement en groupe de cinq ou plus, trouvent une femme pendant leur patrouille sur les terrains de la mine ou à proximité. Ils se relaient alors pour la menacer, la battre et la violer. Dans bien des cas, les victimes ont indiqué avoir été forcées de mâcher et d'avaler les condoms utilisés par les gardiens pour les violer.
La plupart des femmes m'ont dit qu'elles n'avaient pas signalé le viol par crainte de représailles. Celles qui l'ont fait ont déploré l'inaction de la police. Lorsque la famille d'une victime est mise au courant, la femme se retrouve souvent davantage marginalisée. Nous n'avons recensé aucun cas où la victime pouvait nous dire qu'il y avait eu enquête, poursuite ou sanction contre les présumés coupables.
J'aimerais maintenant vous relater les circonstances d'un cas particulier qui m'a été rapporté en mars dernier par une femme de 25 ans.
Elle habitait à quelques minutes de marche de la mine et s'y rendait souvent pour chercher de l'or. Elle utilisait l'argent qu'elle tirait de la vente de l'or pour acheter des biens de première nécessité, comme des vêtements et de la nourriture, pour les membres de sa famille. En 2008, cinq gardiens de sécurité de PJV l'ont attrapée alors qu'elle se trouvait sur les terrains de la mine. Elle m'a dit que les gardiens lui avaient demandé si elle voulait rentrer chez elle ou bien aller en prison. Lorsqu'elle a répondu qu'elle voulait rentrer chez elle, ils lui ont dit qu'ils allaient la violer d'abord.
Elle m'a expliqué qu'elle avait essayé de s'enfuir, mais qu'ils l'avaient maintenue de force, lui avaient déchiré ses shorts, sa blouse et ses sous-vêtements avant de la projeter sur les rochers. Elle m'a indiqué que les cinq gardiens l'ont violée à tour de rôle pendant que les autres faisaient le guet sur la route. Ils ont pointé leur arme sur elle en la menaçant de tirer si elle essayait de fuir. Ils lui ont frappé les jambes et l'ont battue avec des pierres. Ils l'ont maintenue au sol avec la crosse d'une arme sur sa tête. Elle m'a montré les cicatrices qu'elle s'était faites à l'épaule et à la main en se débattant pendant qu'on la violait.
Un de ses proches a indiqué avoir été témoin d'une partie de l'agression et l'avoir signalée à la police, mais il semble qu'aucune mesure n'ait été prise.
Ce n'est qu'un exemple d'un des nombreux cas présumés de mauvais traitements dont nous avons établi la preuve. Des gardiens de sécurité m'ont eux-mêmes raconté les agressions dont ils avaient été témoins ou responsables. Au cours d'un de mes voyages en Papouasie-Nouvelle-Guinée en 2006, j'ai moi-même vu un gardien crier à une résidente locale qu'il avait déjà violé plusieurs femmes et l'inviter à se rapprocher pour qu'il puisse lui faire subir le même sort.
Monsieur le président, membres du comité, nous avons documenté des cas sérieux et récurrents de violations graves des droits de la personne sur les terrains d'une mine appartenant à une entreprise canadienne et exploitée par celle-ci. Ces délits ont cours depuis bientôt 20 ans et la violence semble se poursuivre. En dépit de la gravité de ces allégations, peu d'efforts ont été déployés pour faire véritablement enquête.
Les victimes ont pourtant droit à une enquête transparente, exhaustive et indépendante lorsqu'elles portent plainte. Le projet de loi est un pas dans la bonne direction dans les efforts visant à offrir aux victimes un mécanisme indépendant à cette fin. Il est important de noter que le projet de loi pourrait ainsi permettre de dissuader d'éventuels contrevenants et de prévenir les cas futurs de brutalité et de violence en favorisant une plus grande responsabilisation des entreprises canadiennes à l'égard de leurs agissements à l'étranger.
Je vous remercie.