:
Merci beaucoup, monsieur le président.
[Traduction]
C'est un grand privilège pour moi de pouvoir échanger des idées avec les élus qui me gouvernent. Mais c'est évidemment un peu difficile de résumer 40 ans de recherches et d'enseignement sur cette question dans un exposé de 10 minutes.
Alors, permettez-moi de le faire en abordant trois sujets. D'abord, je vous parlerai de ce qui a changé — j'ai commencé à travailler dans le domaine des relations canado-américaines vers la fin des années 1960 —, après quoi je me tournerai vers quelques éléments fondamentaux de la nouvelle réalité à laquelle est confronté le Canada en Amérique du Nord. Je terminerai en vous exposant quelques idées sur les choses que vous voudrez peut-être aborder et sur les recommandations qui pourront vous être soumises.
Ce qui a changé, surtout dans nos relations avec les États-Unis, c'est que le Canada joue un rôle moins important dans certains domaines, mais un rôle plus grand dans d'autres. Sur le plan militaire, depuis la fin de la guerre froide, parce que nous ne sommes plus sur la trajectoire de vol, NORAD n'est plus un organisme crucial. Notre importance a aussi diminué sur le plan économique en ce sens que le Canada est un pays considérablement petit, dont l'économie est bien moins importante que celle de la Chine, de l'Inde et d'autres grands pays émergents. Enfin, nous occupons une moins grande place sur la scène politique en ce sens que nous ne sommes pas une source de problèmes — je le dis sans sarcasme — et pour Washington, nous ne constituons pas une préoccupation; nous ne sommes pas sur son écran radar.
D'un autre côté, le Canada joue un rôle plus important relativement à trois aspects liés à la sécurité. Étant donné la paranoïa des Américains en matière de terrorisme, le Canada a un rôle immense à jouer afin d'éliminer toute possibilité que des terroristes franchissent la frontière. Pour ce qui est de la sécurité énergétique, on sait que le Canada est le plus grand fournisseur de pétrole et le seul véritable fournisseur de gaz naturel des États-Unis. Le Canada a par conséquent un grand rôle à jouer dans l'esprit des Américains, qui s'inquiètent de la sécurité énergétique. Étant donné que le nouveau président des États-Unis a inscrit l'environnement sur sa liste des priorités, le Canada jouera un rôle très important, voire positif, dans le dossier de la sécurité environnementale, compte tenu du fait que les sables bitumineux sont à la fois une source de pétrole et une énorme source de pollution. En résumé, on peut donc affirmer que le premier grand changement tient au fait que les domaines où le Canada occupe une place importante ont considérablement changé.
Le deuxième changement est l'évolution du contexte international. Pendant la guerre froide, à cause de la menace soviétique, le Canada était présent sur la scène mondiale en raison de NORAD et de sa participation importante à l'OTAN. Maintenant, ce sont l'ALENA et tout ce qui est en lien avec l'Organisation mondiale du commerce qui occupent le Canada, et c'est d'ailleurs là-dessus que porte la majeure partie de ses rapports avec les États-Unis. Voilà donc des changements très importants survenus durant les 30 ou 40 dernières années touchant l'importance de la place qu'occupe le Canada et le contexte dans lequel il traite avec les États-Unis.
Je vais vous décrire très brièvement la situation actuelle. Aujourd'hui, en Amérique du Nord, 15 ans après l'entrée en vigueur de l'ALENA, nous constatons l'échec presque surprenant de cet accord, qui visait principalement l'intégration économique en Amérique du Nord. C'est un échec essentiellement parce que les inégalités se sont accrues plutôt que de s'atténuer entre les pays et au sein même des pays.
Ce qui veut dire que l'ALENA n'est pas du tout considéré comme un succès, certainement pas au Mexique ni aux États-Unis, même s'il est vu de façon beaucoup plus positive chez nous. C'est un élément important de la réalité actuelle. Et n'oublions pas les énormes difficultés du Mexique; d'après Washington, il s'agit d'un État non viable.
Effectivement, l'Amérique du Nord se désintègre; le symbole en est le mur — en fait un double mur — que les États-Unis construisent le long de leur frontière méridionale. Il s'agit là de la première grande réalité sur laquelle le comité devra se pencher avec le plus grand sérieux.
La deuxième nouvelle réalité concerne la sécurité. Les Américains craignent beaucoup que des terroristes traversent la frontière. Que cela nous plaise ou non, le Canada se trouve logé à la même enseigne que le Mexique. Le département de la Sécurité intérieure considère le Canada comme une menace tout aussi importante sinon plus grave que la menace mexicaine. Vous le savez tous probablement mieux que moi — et on ne l'entend pas seulement à la télévision de la bouche des gens de droite —, on pense qu'il est plus facile pour les gens du Moyen-Orient d'entrer au Canada qu'au Mexique. Si bien que des terroristes islamistes peuvent venir au Canada plus facilement, ce qui rend encore plus réelle la possibilité qu'ils traversent ensuite la frontière. Les États-Unis établissent une distinction entre le Canada et le Mexique, mais je ne pense pas qu'ils considèrent le Canada de façon différente du Mexique pour ce qui a trait à la menace que peuvent représenter nos deux pays, pas à cause des citoyens, mais à cause de ceux qui viennent dans nos pays. Tout comme ils sont considérés comme des sources de drogues illégales.
Monsieur le président, quant à l'avenir, l'ironie de la situation actuelle tient au fait que les élites politique et économique canadiennes, qui nous ont donné l'ALENA, nous disent maintenant que nous devrions quitter cette alliance, essayer de nous déconnecter du Mexique et de rétablir les relations canado-américaines des années 1960, qui étaient considérées comme spéciales — il faut dire que chaque pays aime bien considérer qu'il entretient des relations spéciales avec les États-Unis, bien entendu. En effet, d'après les anciens ambassadeurs Dereck Burney et Allan Gotlieb et les anciens conseillers du gouvernement qui nous avaient poussés vers le libre-échange, comme Michael Hart, nous sommes contaminés par notre relation avec le Mexique et nous devrions créer une nouvelle relation canado-américaine qui se distinguerait d'une façon ou d'une autre de celle que nous entretenons avec le Mexique.
Je veux aborder cette question, parce qu'il serait naïf d'essayer de revenir en arrière, de tout défaire. Je suis sûr que les députés de l'Ouest connaissent bien mieux que moi les problèmes liés aux drogues qui touchent le sud de la Colombie-Britannique. À ce sujet, j'ai lu dans le Globe and Mail — c'est donc la vérité — que la crise de la drogue en Colombie-Britannique est liée directement aux cartels mexicains. Si vous aviez lu leGlobe and Mail deux jours auparavant, vous y auriez trouvé un reportage expliquant que les cartels de la drogue au Mexique sont en contact direct avec la mafia sicilienne, qui a maintenant un nouveau plan d'affaires, c'est-à-dire travailler avec le Mexique.
Mais ce que je tiens à dire c'est qu'il est impossible de rompre nos liens avec le Mexique. Il n'est pas possible de dire à Bombardier de fermer son usine d'aéronefs à Querétaro. Il n'est pas possible de dire à Magna de fermer ses 19 usines du Mexique et de rapatrier ses activités chez nous. Je pense qu'il faut se rendre à l'évidence que nous ne pouvons pas prétendre que le Mexique n'existe pas.
Ce que je pense, c'est que nous devrions faire face à la situation en ce qui concerne le Mexique plutôt que de nier l'existence de ce pays. Nous ne pouvons pas ignorer les grands problèmes auxquels le Mexique est confronté. Nous ne pouvons pas ignorer non plus qu'il s'agit d'un marché pour nous en pleine croissance. Nous ne pouvons pas nier que ce pays a une population de 110 millions d'habitants, c'est-à-dire trois fois celle du Canada, qu'il deviendra plus puissant que le nôtre un jour et qu'il a déjà plus d'influence que le Canada à Washington.
Avant les dernières élections, plus de 5 000 citoyens américains d'origine mexicaine avaient été élus à divers postes au sein du gouvernement fédéral, des gouvernements des États et des administrations municipales. Quelque 60 p. 100 des immigrants illégaux aux États-Unis sont Mexicains. Quelque 30 p. 100 des immigrants légaux aux États-Unis sont Mexicains. Au sein du dernier Congrès, il y avait un caucus formé de 27 Hispaniques, dont la plupart étaient Mexicains.
Ce que je veux dire, c'est que le Mexique donne peut-être des maux de tête aux Américains, mais ils le prennent au sérieux. Je crois que le Canada devrait collaborer avec le Mexique quand il s'agit de traiter avec Washington des nombreux dossiers où les deux pays ont des intérêts communs, dont celui des frontières et celui de la réglementation régissant le commerce et l'investissement.
Je concluerai en vous disant que si nous avions dépensé 20 milliards de dollars pour bâtir un partenariat en vue d'aider le Mexique à améliorer ses infrastructures afin de favoriser son développement au lieu de consacrer cette somme à nos vains efforts militaires en Afghanistan, alors je pense... Quoi qu'il en soit, ce sont des conjectures, mais il demeure que le Canada doit collaborer avec le Mexique quand vient le temps de traiter avec Washington des questions qui leur sont communes.
Merci beaucoup.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je tiens à remercier le comité de m'avoir invité à vous adresser la parole aujourd'hui. Je vais essayer de diviser mes propos en trois segments, un peu comme l'a fait M. Clarkson.
D'abord, je vais rappeler pourquoi le Canada a conclu un accord de libre-échange avec les États-Unis, qui s'est étendu éventuellement au Mexique. Je vais ensuite parler de la façon dont cet accord a évolué vis-à-vis des priorités d'alors du Canada. Finalement, je vais faire quelques suggestions pour l'avenir, vu le changement de contexte et d'administration à Washington.
Je suis bien conscient que ce comité est celui des affaires étrangères et du développement international et qu'il y a un comité distinct traitant du commerce international. Mais vous conviendrez avec moi qu'une grande partie des relations avec les États-Unis sont d'abord commerciales.
Lorsque M. Mulroney a écrit au président Reagan en septembre 1985, il avait énoncé deux objectifs pour le Canada: d'abord, il voulait un accès plus sûr au marché américain et, ensuite, un meilleur accès. Qu'est-ce que ça voulait dire? Que le Canada, essentiellement, recherchait cet accord de libre-échange avec les États-Unis, qui était le fruit de 150 ans d'efforts, d'abord pour solidifier les gains qu'il avait faits au cours des négociations du GATT. Il y en avait eu sept à l'époque. On voulait solidifier ces gains parce qu'on utilisait à l'occasion des mesures de protection contingente comme les droits compensateurs, en cas de subventionnement, et les droits antidumping, en cas de dumping allégué. En payant un prix en termes d'ouverture de son propre marché, il y avait érosion des gains faits par le Canada auprès des États-Unis. Déjà à l'époque, on a eu la première cause sur le bois d'oeuvre; en fait, c'était il y a plus de 25 ans. C'était un souci très évident du Canada.
Le deuxième objectif était d'améliorer l'accès. Effectivement, des tarifs américains d'environ 4 p. 100 étaient appliqués aux exportations canadiennes.
Lorsqu'on fait un bref bilan, on peut constater qu'on a amélioré notre accès: la plupart des tarifs ont été éliminés, de part et d'autre. Au Canada, on a gardé des tarifs assez élevés sur certains produits agricoles à cause des négociations du GATT qui ont eu lieu au cours des années 1990 et qui ont transformé un certain nombre de quotas qu'on estimait nécessaires à l'époque pour le système de gestion de l'offre canadienne pour les produits laitiers, la volaille et les oeufs. Ces quotas ont été transformés en tarifs, et malgré certaines coupes, ces tarifs restent quand même assez élevés. On a eu un meilleur accès; on peut le confirmer.
Un accès plus sûr voulait dire un meilleur système de règlement des différends commerciaux. C'est devenu rapidement le principal enjeu des négociations de 1987, notamment, de telle sorte qu'à la fin, le négociateur en chef du Canada, M. Reisman, avait rompu les négociations parce qu'on ne faisait pas de progrès sur la question, cruciale pour le Canada, d'un meilleur système de règlement des différends commerciaux.
Éventuellement, les négociations ont repris et on a obtenu ce qu'on appelle le chapitre 19. Ce chapitre a créé un système de règlement des différends complètement nouveau. Pour la première fois, les États-Unis acceptaient que des décisions de leurs agences soient revues par des non-Américains. Ils n'ont pas aimé ça dès le départ, mais il faut dire que pour la première phase, celle de l'Accord de libre-échange Canada—États-Unis, ce système a bien fonctionné comme prévu, c'est-à-dire qu'on a réduit les délais à environ 315 jours, alors que les anciens délais, avec les cours américaines, étaient de plus de 1 000 jours. On a aussi réduit les coûts parce qu'il n'y avait pas d'appel; en vertu de ce système, la décision de ces panels était définitive.
Les choses se sont gâtées sérieusement lorsqu'on a conclu l'ALENA. Est-ce parce qu'on a ajouté un nouveau pays, le Mexique, qui est un pays en développement? J'en doute. Je crois plutôt que les groupes d'intérêt américains, les lobbys qui sont très puissants à Washington, ont réussi à convaincre les autorités américaines de s'opposer systématiquement au chapitre 19. Une panoplie de moyens ont alors été déployés pour contrer l'opération du chapitre 19.
Je ne ferai pas la généalogie de tout cela: je pense que c'est déjà assez bien documenté. Quoi qu'il en soit, il en résulte qu'aujourd'hui, une moyenne de près de 1 000 jours est nécessaire pour régler un différend. Certaines causes, par exemple celle du magnésium, ont nécessité 2 300 jours. Lors du dernier épisode, les nombreuses causes relatives au bois d'oeuvre ont pris environ 1 700 jours. Évidemment, dans ces conditions, on ne peut pas dire que ce processus a répondu avec succès au deuxième objectif du Canada. Il faut se le rappeler, c'était le principal enjeu pour le Canada. Le principal enjeu des États-Unis, comme nous l'avons appris plus tard, était un accès plus sûr aux ressources énergétiques. Le professeur Clarkson vient d'y faire allusion.
Donc, en ce qui nous concerne, ça n'a pas fonctionné. C'est dû non seulement aux pressions protectionnistes des États-Unis et aux efforts des lobbies visant à détruire littéralement ce qui avait été convenu au moment de la première négociation, mais aussi à notre propre gouvernement. En effet, le gouvernement canadien a commis une série de négligences plus ou moins volontaires — et je pense qu'elles étaient, dans certains cas, plus volontaires que moins — qui ont aussi miné ce système, par exemple en ne nommant pas de panélistes dans les délais prescrits, en acceptant les délais inacceptables des États-Unis ou en ne contestant jamais les décisions américaines par l'entremise du mécanisme de contestation extraordinaire, alors que les Américains en ont fait littéralement un mécanisme d'appel. Je ne pense pas que ce soit là une critique partisane, étant donné que plusieurs gouvernements successifs ont eux aussi eu des torts, ce qui est malheureux. Ce mécanisme est érodé, et je pense qu'on peut se demander sérieusement s'il va vraiment être utile dans l'avenir.
Un peu comme M. Clarkson, je ne crois pas non plus qu'on puisse défaire l'omelette. On est dedans, et il faut donc faire du mieux qu'on peut. Que peut-on faire? La nouvelle administration américaine et l'arrivée de M. Obama suscitent évidemment beaucoup d'espoir partout sur la planète. De toute évidence, M. Obama voit les choses de façon très large et très pratique. La crise dans laquelle il s'est trouvé plongé dès son arrivée à la Maison-Blanche va probablement renforcer cette attitude. Par exemple, à la lecture de son énoncé sur la politique commerciale, paru le 27 février dernier, on est frappé par le fait qu'il met beaucoup de choses dans le même panier. Je pense que s'il veut se faire entendre du nouveau président, le Canada va devoir tenir compte de cette réalité.
La liste d'épicerie, c'est-à-dire l'approche voulant que nous nous rendions à Washington avec une liste des sujets qui nous intéressent, ne fonctionne pas. Par contre, le Canada a beaucoup d'avantages. Le président lui-même en a d'ailleurs souligné un quand il est venu ici il y a quelques semaines, à savoir la réglementation de notre système bancaire. On a beaucoup d'avantages à faire valoir et sur lesquels on peut fonder une nouvelle approche face à la nouvelle administration américaine. Je pense, par exemple, à un environnement moins dégradé et à des sources d'énergie — dont certaines sont très polluantes — qui intéressent déjà beaucoup les États-Unis.
Je pense que si nous voulons améliorer nos relations avec les États-Unis, tout en laissant un peu de côté cette approche moraliste qui est souvent la nôtre, nous allons devoir littéralement nous insérer dans l'agenda du président Obama.
Merci.
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Merci, monsieur le président. Je suis très heureux de pouvoir m'adresser à vous aujourd'hui.
Je voudrais m'en tenir à une question un peu moins vaste, quoiqu'elle se rattache à ce que M. Grenier vient de nous dire. Il s'agit des modes de règlement des différends entre le Canada et les États-Unis.
De toute évidence, nous avons toujours des différends ou des divergences avec les États-Unis. Parfois, nous arrivons à les résoudre à l'amiable. D'autres fois, on parvient à une solution à la suite du soulèvement de l'opinion publique. Il arrive aussi qu'on doive avoir recours aux processus de règlement des différends. Ce que je voudrais étudier avec vous aujourd'hui, c'est la question de savoir si les processus de règlement des différends ont été utiles et s'il y a lieu de les développer davantage.
Je commencerai par un bref survol historique. Avant que le Canada ne commence à gérer lui-même ses relations extérieures, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont eu recours à l'arbitrage à plusieurs reprises pour régler des différends touchant les frontières et le partage des eaux, tant du côté de l'Atlantique que du côté du Pacifique, y compris le tristement célèbre litige concernant la frontière de l'Alaska en 1903. Après cette année-là, peut-être à cause de cette querelle, nous n'avons plus eu recours à ce genre de mécanisme pendant longtemps. En effet, ce n'est qu'en 1984 que cela s'est reproduit, lorsque nous nous sommes adressés à la Cour internationale de justice au sujet de la frontière maritime du golfe du Maine. Bien entendu, à ce moment-là, on s'inquiétait beaucoup de savoir si c'était une bonne idée. On se demandait quelles seraient les retombées politiques pour le Canada, qui avait porté en justice un différend avec les États-Unis. Est-ce que les États-Unis se vengeraient s'ils devaient perdre? Je crois que l'affaire du golfe du Maine a démontré que nous pouvions contester une décision américaine, que nous pouvions avoir gain de cause et que nos relations politiques n'en seraient pas affectées.
La principale modification en matière de règlement des différends entre le Canada et les États-Unis découle de l'Accord de libre-échange canado-américain, l'ALENA, et de l'OMC. L'ALENA comporte trois processus distincts de règlement des différends. Le chapitre 20 concerne le mécanisme permettant de régler les différends entre le Canada et les États-Unis — on ne l'a utilisé qu'une seule fois; le chapitre 19, dont M. Grenier nous a parlé, porte sur le mode de règlement des différends en matière de droits antidumping et de droits compensateurs, qui a été discrédité par suite du désastre de l'affaire du bois d'oeuvre, si l'on peut dire. Il y a enfin le chapitre 11, qui permet aux investisseurs de présenter des requêtes en justice contre l'un des gouvernements signataires de l'ALENA.
L'Organisation mondiale du commerce possède un seul processus de règlement des différends. Les désaccords au sujet de l'interprétation des ententes de l'OMC sont présentés à un comité. Ce qui est bien, c'est que les décisions du comité peuvent être soumises à un organe d'appel. Le processus est obligatoire, il comporte des délais fixes et il est généralement considéré comme efficace. Un certain nombre de litiges entre le Canada et les États-Unis ont été traités par l'entremise du processus de règlement des différends de l'OMC.
Donc, dans le domaine des différends commerciaux, le Canada et les États-Unis ont une assez longue expérience du recours aux processus de règlement. Quant aux autres types de litiges, l'expérience est très limitée. J'ai parlé de l'affaire du golfe du Maine, qui est en fait le seul exemple d'un recours aux mécanismes officiels de règlement des différends dans ce genre de cas.
Quelles leçons avons-nous tirées de tout ceci? Notamment, nous pouvons dire que nous avons appris que le Canada n'est pas nécessairement désavantagé par ces processus. L'idée que les États-Unis gagneront toujours et que nous perdrons toujours est tout simplement fausse. Dans le cas des différends commerciaux, on constate que les gains et les pertes sont plutôt équilibrés, qu'il s'agisse des différends réglés en vertu du mécanisme de l'OMC ou des processus prévus dans l'ALENA.
Deuxièmement, l'idée que les États-Unis ne respecteront pas les décisions ne résiste pas à l'analyse, si vous étudiez la gamme des causes réglées par l'OMC et en vertu de l'ALENA. L'affaire du bois d'oeuvre saute aux yeux, mais c'est l'exception plutôt que la règle. Je ne m'attarderai pas à ce dossier.
En troisième lieu, ce ne sont pas tous les différends qui risquent d'être soumis à l'arbitrage ou traités par un tribunal. Parfois, il existe un meilleur moyen de régler un différend. J'illustrerai mon propos en vous parlant du différend concernant le saumon du Pacifique, dossier auquel j'ai travaillé vers la fin des années 1990. Au milieu des années 1990, le problème du saumon du Pacifique semblait parfaitement insoluble. Nous ne pouvions pas nous entendre sur les allocations des prises. Les esprits se sont échauffés sur la côte du Pacifique. On a empêché un traversier de l'Alaska d'entrer au port de Prince Rupert. À ce moment-là, on soutenait que le différend devait être soumis à l'arbitrage. Les États-Unis n'étaient pas disposés à accepter l'arbitrage et nous ne pouvions pas les y forcer, comme nous aurions pu le faire s'il s'était agi d'un différend commercial ou au moins d'un litige relevant de l'OMC.
Même si nous avions forcé les États-Unis à accepter l'arbitrage et que nous avions gagné, je ne suis pas persuadé que les Américains se seraient conformés à la décision. Je ne dis pas cela parce que je pense que les États-Unis ne respectent pas leurs obligations internationales, c'est plutôt à cause de la nature du différend. C'était une affaire très complexe impliquant des intérêts divergents relativement à la gestion des pêches aux États-Unis, précisément les intérêts de l'Alaska, de l'État de Washington et des pêcheurs autochtones. C'était des intérêts que le gouvernement fédéral américain n'était pas en mesure de concilier. Par conséquent, il n'aurait pas été à même de respecter la décision résultant d'un arbitrage.
À bien des égards, nous pouvons établir un parallèle entre le différend du saumon du Pacifique et celui du bois d'oeuvre résineux. Les deux parties avaient des interprétations fort différentes des règles applicables et incarnaient des conceptions fondamentalement différentes de l'objectif de règles. Il existait aussi des clientèles puissantes dans chacun des deux pays, et les gouvernements fédéraux devaient en tenir compte. M. Grenier y a fait allusion. Comme nous l'avons vu, le différend du bois d'oeuvre a fini par se régler par un accord. Et ce fut la même chose pour le différend du saumon du Pacifique. Je reviendrai sur quelques enseignements à tirer de cette expérience, mais il faut retenir que ce ne sont pas tous les différends qui doivent être soumis à une tierce partie. Tous ne se prêtent pas à un règlement imposé par une tierce partie.
Selon moi, il y a trois conditions à prendre en considération, quand on songe aux modalités de règlement des différends. Il faut d'abord établir des règles claires et convenues, des règles qui peuvent s'interpréter au moyen de processus juridiques et ont une certaine légitimité. Le résultat doit avoir une certaine légitimité dans les processus d'interprétation.
Deuxièmement, il faut être sûr que l'autre partie aura une bonne chance d'appliquer toute décision de la cour ou du tribunal.
Troisièmement, et je crois qu'il y a un rapport, les deux parties doivent pouvoir assumer les conséquences, au plan intérieur, de l'issue de tout processus de règlement des différends. En d'autres termes, et pour dire les choses simplement, si on se présente devant la cour ou devant un tribunal d'arbitrage, il faut être prêt à perdre.
Compte tenu de ces faits, on se demande si les processus de règlement doivent être appliqués en dehors du domaine du commerce et, je dirais, celui de l'investissement. On a proposé par le passé des mécanismes de plus grande portée pour le règlement des différends entre le Canada et les États-Unis. Certains différends pourraient se régler de cette façon. Un exemple évident est celui du différend frontalier entre Alaska et Yukon dans la mer de Beaufort. Il existe un ensemble clair de règles sur la délimitation des frontières maritimes. Les tribunaux ont de l'expérience en la matière, et cette formule est applicable. Le Canada et les États-Unis ont également de l'expérience.
Hormis ce genre de différend, je dirais qu'il faut faire preuve de prudence lorsqu'il s'agit d'adopter des processus d'arbitrage ou de règlement des différends dans d'autres domaines des relations entre le Canada et les États-Unis. Jusqu'à un certain point, les différends commerciaux sont uniques. Les accords commerciaux ont des règles assez précises qui peuvent s'interpréter. Elles ne sont pas toujours précises — c'est l'une des critiques visant les accords de l'OMC —, mais elles peuvent être interprétées. Dans d'autres domaines, la nature du différend tient au fait qu'il n'y a pas toujours de règles claires et qu'il y a souvent désaccord sur les règles qui s'appliquent.
Que pouvons-nous dire généralement du processus? Dans les différends commerciaux, il nous faut nous demander, dans le contexte canado-américain, si nous voulons recourir à l'OMC ou à l'ALENA. Selon moi, l'OMC a été le meilleur mécanisme. Son mécanisme de règlement des différends est meilleur. Il y a un processus d'appel et un dispositif qui peut jouer en cas de non-observation. Beaucoup de ces éléments manquent dans l'ALENA. Le chapitre 20 de l'ALENA est la solution de rechange, mais il y a des raisons si les parties ne s'en sont pas prévalues.
En dehors du commerce, au lieu de chercher de nouveaux mécanismes de règlement, nous pourrions peut-être prendre appui sur des mécanismes existants. La Loi du Traité des eaux limitrophes internationales prévoit un dispositif d'arbitrage pour la Commission mixte internationale, mais les parties ne l'ont jamais utilisé. Il est là, et la commission pourrait arbitrer un différend entre le Canada et les États-Unis, mais aucune des parties n'a été disposée à lui soumettre un différend.
Les Accords additionnels de l'ALENA prévoient des dispositifs que nous pourrions développer. Des plaintes pourraient être portées à l'encontre des parties à l'ALENA parce qu'elles n'appliquent pas leurs propres lois en matière d'environnement. Les gouvernements ont beaucoup répugné à permettre la présentation de plaintes et elles ont limité à la fois la portée des plaintes et celle des dossiers factuels, qui est le résultat du différend. Ce dispositif mérite d'être renforcé.
Si nous voulons renforcer le mécanisme de règlement des différends, nous devons aussi mettre l'accent sur une leçon du différend du bois d'oeuvre: le critère ultime de tout processus est sa mise en oeuvre. La décision d'une cour ou d'un groupe spécial ne sert pas à grand-chose si l'une des parties a la liberté de n'en tenir aucun compte. Cela a des conséquences pour la façon dont nous assurons la mise en oeuvre. Cela veut dire que les décisions découlant du mécanisme de règlement doivent être exécutoires dans le droit national des deux parties.
Dans l'Union européenne, on parle d'effet direct. Les décisions de la Cour européenne sont automatiquement exécutoires. Si nous évoluons vers un plus grand nombre de mécanismes de règlement des différends, il faut que ces mécanismes soient intégrés aux lois nationales des deux pays. Cela veut dire une intégration plus étroite entre les deux pays. Cela soulève toute une série d'autres questions et de préoccupations au sujet du degré d'adaptation de ce type d'intégration. Mais si nous voulons avoir un mécanisme de règlement, c'est la seule solution, selon moi.
En réalité, la plupart des différends entre le Canada et les États-Unis seront négociés. Il n'y aura pas de Cour nord-américaine. Je reviens brièvement aux négociations sur le saumon du Pacifique, dans les années 1990, pour voir ce qu'elles nous ont appris. Nous avons appris que l'asymétrie des deux parties ne veut pas nécessairement dire que l'accord sera mauvais. Beaucoup d'accords que le Canada a signés avec les États-Unis ne peuvent pas être considérés comme plus favorables à l'une des parties.
Deuxièmement, négocier avec les États-Unis, ce n'est pas simplement négocier d'État à État. Le Canada ne peut pas présumer que le gouvernement fédéral américain est le bon interlocuteur dans tous les différends. Dans les années 1970, lorsque nous avons négocié l'Accord sur les ressources halieutiques de la côte est avec des représentants de haut rang et l'appui de la Maison-Blanche, le Congrès a rejeté l'accord.
Dans le différend sur le saumon du Pacifique, nous avons négocié avec l'État de Washington, avec l'Alaska, avec les pêcheurs tribaux. Au lieu de penser que nous négocions seulement avec les États-Unis, nous devons aller au-delà et tenir compte des intérêts internes.
Beaucoup de différends entre le Canada et les États-Unis sont ainsi multiples et variés. On ne peut compter simplement que le gouvernement fédéral américain est le bon interlocuteur et qu'il sera en mesure de mettre en oeuvre le résultat des négociations.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Merci aux témoins de comparaître aujourd'hui. Je vais partager mon temps de parole avec Mme Brown et, s'il reste quelques minutes, M. Lunney.
Je vais faire une observation, suivie d'une question, et peut-être pourrez-vous répondre une fois que nous aurons terminé nos questions, de façon que nous puissions en caser un peu plus.
Vous avez parlé du commerce avec les États-Unis et du recul, peut-être, de l'engagement au Mexique. Il y a la récession et la question de la sécurité, une frontière plus opaque entre le Canada et les États-Unis et la possibilité, qui n'existe plus, de transporter directement des marchandises par train jusqu'au Mexique. La situation devient de plus en plus difficile. C'était plus facile lorsque nous pouvions expédier des marchandises vers les Antilles par les États-Unis et la Floride.
Ne devrions-nous pas plutôt multiplier nos possibilités en expédiant davantage à partir de nos ports du Pacifique et de l'Atlantique, le long des côtes américaines, pour faciliter l'accès? Ensuite, nous serions prêts à aller vers les Antilles, la Jamaïque, Trinité-et-Tobago et d'autres pays. Nous pourrions aussi descendre jusqu'à San Diego, aux États-Unis, d'où nous pourrions expédier directement au Mexique. Est-ce que ce ne serait pas une occasion à saisir?
S'il s'agit d'une approche à paliers multiples du commerce et de l'expansion de notre présence auprès des États-Unis et via leur territoire, la chose est-elle compliquée par l'ALENA ou d'autres de nos accords?
Je cède la parole à Lois.
[Français]
C'est avec plaisir que je comparais devant ce comité parlementaire. Je m'y sens un peu chez moi.
Je crois que c'est le moment propice pour revoir le rôle important et large que joue le Canada à l'échelle internationale.
Je voudrais présenter neuf observations brèves. J'ai fait circuler des graphiques, et j'espère qu'ils ne seront pas distribués de façon à distraire l'auditoire des propos très sérieux que je vais tenir. Mais, de toute façon, il faudrait les distribuer.
D'abord, le Canada jouit d'une réputation solide et enviable dans le monde. Il s'agit d'un actif national comparable à nos richesses en ressources et qui peut être investi pour notre plus grand avantage mutuel.
Deuxièmement, au moment où les clivages religieux, culturels et économiques s'accentuent dans le monde, les compétences les plus importantes en ce moment et dans l'avenir prévisible, ce sont celles qui permettent de transcender les différences, de créer des alliances et de trouver des terrains communs, de gérer la diversité et de susciter la confiance. Ce sont là les qualités traditionnelles et authentiques du Canada dans les affaires internationales
Troisièmement, utiliser cet atout est dans notre intérêt national. L'un des graphiques qui sont distribués ou le seront illustre une projection de Goldman Sachs — ce ne sont pas des conseils sur l'économie, mais des prévisions — sur la situation économique dans le monde de divers pays d'ici 2050. Le Canada sera alors une économie respectable: un peu plus petit que le Vietnam et un peu plus grand que les Philippines.
Dans ces circonstances, pendant combien de temps le Canada pourra-t-il conserver sa place au sommet du G-8? Serions-nous même assez importants pour participer au sommet du G-20? Autrement dit, pourrions-nous garder notre place au sein du groupe restreint de pays qui définissent la politique sur le commerce international et la politique militaire et diplomatique? Pas si nous mettons l'accent de façon étroite sur la politique commerciale et économique ou définissons notre profil international par la seule présence militaire. Mais il y a des chances pour que nous restions un pays influent si nous renouvelons notre position comme pays de confiance sur les plans du militantisme, de la diplomatie et du développement.
Quatrièmement, le Canada a été particulièrement efficace au plan international — et je le dis parce que j'ai été secrétaire d'État à une époque où, simultanément, nous avons dit non à l'initiative de défense stratégique du président Reagan et persuadé les Américains de conclure un accord de libre-échange et un traité sur les pluies acides — lorsqu'il a poursuivi simultanément deux priorités. Nous avons cultivé avec soin notre amitié avec les États-Unis, et nous nous sommes efforcés d'affirmer notre rôle indépendant et innovateur dans l'ensemble du monde. Monsieur, ce ne sont pas là des positions contradictoires. Ce sont les deux faces d'une même pièce.
Le fait que nous ayons nos entrées à Washington ajoute à l'influence que nous acquérons dans d'autres pays, car nous sommes perçus comme capables d'influencer notre puissant voisin.
Dans le même ordre d'idées, notre solide réputation dans les pays en développement ainsi que notre rôle actif au sein de la communauté multilatérale représentent des atouts non négligeables pour le Canada. Les États-unis ne peuvent en dire autant.
En effet, depuis au moins 60 ans, le Canada a établi des partenariats et s'est mérité la confiance ainsi que le respect de régions où les États-unis suscitent parfois l'envie ou la peur. Cette capacité du Canada est certainement comprise par l'administration du président Obama.
Cinquièmement, le pouvoir dans le monde est en train de changer. Le nouveau monde qui prend forme offre un double avantage au Canada. Nous sommes une économie et une société industrialisées et novatrices. Nous sommes un pays indépendant et respecté, souvent un pont entre les pays industrialisés et les pays en développement.
[Traduction]
Comme Fareed Zakaria prend soin de le signaler dans son ouvrage, The Post-American World, le déplacement du pouvoir ne s'explique pas par le déclin de qui que ce soit, mais plutôt par la montée et l'affirmation de forces nouvelles. Le Canada est plus à même que la majeure partie du monde industrialisé de bâtir et d'étendre des relations avec les cultures et les sociétés dont l'influence grandit dans le monde. Beaucoup de ces cultures sont des éléments dynamiques de l'identité canadienne et ce que nous avons fait par le passé nous a mérité le respect du monde en développement.
Sixièmement, le Canada peut avoir, relativement, plus d'influence en politique et en diplomatie que sur les plans commercial et économique. La puissance économique dépend de la taille. La diplomatie dépend davantage de l'imagination, de la souplesse et de la réputation. Les forces politiques et diplomatiques du Canada resteront plus d'actualité si nous décidons de nous en servir, mais nous les laissons se dégrader alors que nous devrions les renforcer.
Septièmement, et là encore, l'un des graphiques distribués concerne ces chiffres, il y a trois entités fédérales qui ont une vocation internationale explicite. Ils sont classés ici d'après les rapports gouvernementaux publiés sur les dépenses de 2008-2009. La Défense nationale accapare 8,29 p. 100 des dépenses fédérales de programme; le budget de l'ACDI représente 1,39 p. 100 et celui des Affaires étrangères et du Commerce international 1 p. 100. Par rapport à 2007-2008, le budget du ministère de la Défense nationale a augmenté de près de 8,4 p. 100 et celui de l'ACDI de 0,68 p. 100, alors que celui du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international a diminué de 17,96 p. 100. Le MAECI estime que cette diminution va se poursuivre pendant au moins les deux prochaines années et que, d'ici 2010-2011, son budget fléchira encore de 13,38 p. 100. En chiffres absolus, il s'agit d'une perte de 700 millions de dollars en trois ans, sur un budget qui s'élève maintenant à environ 2,4 milliards de dollars.
Huitièmement, et c'est à l'honneur du gouvernement Harper, le Canada a accru ses dépenses au titre de la défense pour réparer le tort causé à l'époque où nous avons laissé d'autres pays se charger d'une part croissante du fardeau de notre défense. Pourtant, nos ressources diplomatiques et notre capacité en développement diminuent aussi régulièrement et sûrement que nos ressources en défense l'ont fait par le passé. Pourquoi deux poids, deux mesures? Pourquoi sommes-nous plus disposés à accepter notre part du fardeau militaire que notre part du travail diplomatique et du développement?
Je voudrais aborder un certain nombre de questions, mais peut-être le ferons-nous pendant les questions.
Enfin, je veux faire ressortir un point au sujet de ce que les ministères des Affaires étrangères modernes peuvent faire, car je suis peut-être plus conscient que d'autres des différences entre l'époque où j'ai eu l'honneur d'être ministre des Affaires étrangères et aujourd'hui. Le monde a changé profondément, ce qui a eu un effet sur ce que les pays peuvent faire. Un changement saisissant a été l'accroissement du rôle et du pouvoir des ONG et des militants — particuliers ou organisations — depuis l'International Crisis Group, qui donne des séances d'information qui sont peut-être les meilleures qu'on puisse trouver sur les affaires internationales, et la Fondation Gates, jusqu'au mouvement écologiste.
Très souvent, ces nouveaux protagonistes sont plus agiles et ont moins de contraintes que les gouvernements ou les grandes institutions comme l'ONU, mais, s'ils font un travail complémentaire de celui des gouvernements et des institutions internationales, ils ne les remplacent pas. C'est encore un monde d'institutions. Les États souverains prennent toujours des décisions d'une importance cruciale: réduction ou augmentation des budgets, respect ou dénonciation des traités, envoi ou retrait de troupes, versement de leurs contributions aux institutions, intervention ou non dans les crises.
Actuellement, pour un pays comme le Canada, le défi et la chance, c'est d'allier mandat et imagination, de conjuguer la créativité de ces forces indépendantes et la capacité d'agir des institutions. Dans l'expérience canadienne, c'est ce qu'on a observé dans la lutte contre l'apartheid, la signature du Traité sur les mines antipersonnel, le processus de Kimberley visant à mettre un terme au trafic des diamants de la guerre, et une longue série d'autres initiatives moins connues.
Cela pourrait devenir une pratique canadienne si le développement et la diplomatie redevenaient prioritaires.
Merci, monsieur le président.
D'abord, je remercie le comité de l'honneur qu'il m'a fait en m'invitant à prendre la parole cet après-midi. Et je suis d'autant plus honoré que je comparais en compagnie de M. Clark.
[Français]
La Caroline du Sud entretient depuis longtemps d'importantes liaisons à la fois économiques et culturelles avec le Canada. En 2007, nous avons reçu au-delà de 850 000 visiteurs canadiens. La plupart d'entre eux, environ 80 p. 100, ont passé leurs vacances sur nos plages. Les autres sont des visites d'affaires.
Selon l'ambassade du Canada à Washington, le commerce entre la Caroline du Sud et le Canada soutient environ 85 000 emplois dans notre État. Même si nous avons de la difficulté à réconcilier ce niveau d'emploi, je peux vous assurer que nous en sommes reconnaissants et que les relations entre le Canada et notre État sont de la première importance.
[Traduction]
Je dois souligner que je représente la Caroline du Sud et non un pays. Nous sommes un bureau de commerce et d'investissement. Je pourrais peut-être vous présenter, pour contribuer à vos délibérations, notre conception de la façon de développer les relations commerciales et les occasions de développement économique ou d'investissement.
La Caroline du Sud est un très petit État d'environ quatre millions d'habitants. Sa superficie est un peu plus grande que celle du Nouveau-Brunswick. Elle est peut-être égale lorsque la marée est basse dans la baie de Fundy. Sinon, la superficie des deux régions est à peu près semblable. Par le passé, l'économie était fondée sur l'agriculture et les textiles. Certains d'entre vous sont peut-être au courant, mais depuis 20 ans, nous redéveloppons l'État. Nous déployons maintenant des efforts très ciblés, et très fructueux du reste, visant le développement économique et la croissance des secteurs de la fabrication, de la logistique, de la distribution et du tourisme. Le ralentissement économique a un impact majeur. Il s'agit d'un État manufacturier, mais il est très conservateur sur le plan budgétaire. Voilà pourquoi nous croyons que nous serons parmi les premiers à ressentir la relance.
Je suis conscient que le temps est limité. Au lieu de débiter une foule de statistiques sur le commerce, que vous connaissez probablement tous, je vais conclure par ceci: que l'État soit une destination touristique ou un lieu favorable aux affaires pour l'industrie canadienne qui veut établir et élargir ses marchés aux États-Unis, nous avons derrière nous une longue et belle histoire d'accueil des Canadiens, et nous comprenons qu'il est essentiel de nous appuyer sur cette relation très importante.
Merci.
[Français]
Encore une fois, je vous remercie de m'avoir invité aujourd'hui.
Il y a un risque, celui que les jeunes n'attendent rien des gouvernements. Je comprends et encourage leur intérêt pour les ONG et ce qu'ils peuvent faire eux-mêmes. C'est un élément bien plus important que dans les générations antérieures. Voilà pourquoi j'insiste sur le fait que les décisions prises dans un monde d'institutions sont prises par les gouvernements. Nous devons trouver le moyen de conjuguer les deux mouvements.
Une des choses regrettables que j'ai à dire sur le Canada, c'est que, si on tenait un référendum sur la politique étrangère — je ne recommande pas la tenue de référendums, mais s'il y en avait un —, il n'y aurait pas un appui très solide pour les initiatives internationales. Notre bilan éclatant sur le plan international a toujours été le fait de dirigeants. Le mouvement a été multipartite, et il existe à la base un vif intérêt pour ces questions, mais ce n'est pas une chose qui vient de la base. Il faut des dirigeants qui donnent le ton.
Troisièmement, les anciennes modalités du travail de l'ACDI et des Affaires étrangères de l'époque où j'étais ministre ont changé. Il faut notamment susciter la confiance envers les fonctionnaires et d'autres agents, envers ceux qui travaillent avec les ministères, pour qu'ils abordent les changements dans une optique créative.
Ce qui m'inquiète le plus maintenant, lorsque je discute avec ceux qui travaillent dans nos services diplomatiques et de développement, c'est qu'ils sont abattus, qu'ils sont peu disposés à parler avec confiance de missions qui, il n'y a pas très longtemps, leur inspiraient la confiance. C'est un problème institutionnel, et je crois que le comité peut aider à le résoudre.
Il faut d'abord reconnaître qu'il existe un vaste monde où des personnes peuvent mener une action déterminante. Mais, au bout du compte, il faut consolider nos institutions. Celles-ci doivent se réexaminer dans un contexte moderne et contemporain. Certains des meilleurs architectes du changement seront ceux qui ont travaillé dans ces institutions, mais qui sont maintenant paralysés par l'impression que leur contribution n'est pas respectée. Eux et d'autres pourraient selon moi beaucoup contribuer au changement.
Autre chose: que nous le méritions ou non, nous avons toujours une excellente réputation dans le monde. Elle ne restera pas aussi bonne éternellement, mais elle est toujours excellente dans le monde, y compris, je crois, dans la nouvelle administration Obama. Il est reconnu que nous pouvons faire dans l'hémisphère et dans le monde des choses que les États-Unis ne peuvent pas faire. Je ne veux pas commenter les comportements récents. Je veux simplement dire que cette réputation demeure solide et qu'elle est un atout pour le Canada.
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Merci, monsieur le président.
Merci beaucoup aux deux témoins.
Monsieur Clark, je voudrais revenir sur vos propos de tout à l'heure. Vous avez parlé de notre fière histoire d'engagement et de travail acharné concernant deux priorités: nos relations avec les États-Unis et notre politique étrangère indépendante. Vous avez dit que le monde changeait beaucoup et que notre politique devrait être innovatrice et indépendante.
Vous avez fort justement décrit la nature multiculturelle du Canada, qui nous donne la possibilité d'établir des ponts avec de nombreuses régions du monde, puisque nous avons beaucoup de liens historiques et culturels.
Comme vous l'avez dit, la difficulté, pour un petit pays, est d'orienter ses efforts. Pendant nos audiences, jusqu'à maintenant, beaucoup d'échanges ont porté sur le Canada et les États-Unis, et il a été question aussi des relations entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Vous avez peut-être entendu les témoins précédents se demander si nous devions nous concentrer sur les relations trilatérales ou si nous devrions faire porter nos efforts davantage sur les relations bilatérales.
Je voudrais simplement vous demander d'abord ce que vous pensez de cette question. Le Canada devrait-il mettre l'accent sur les relations bilatérales ou sur les relations trilatérales?
Je vous signale, monsieur le président, que je vais céder la place à mon collègue, M. Young, pour qu'il puisse poser des questions.
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D'abord, dans le dossier nord-américain, j'estime qu'il faut insister sur l'arrangement trilatéral. L'arrangement canado-américain est très important et exige beaucoup d'attention. Une grande partie de la difficulté consiste à obtenir sans cesse l'attention des Américains. Je ne crois pas que mettre le Mexique à l'écart serait utile.
Je voulais éviter de parler du passé, mais le premier problème qui m'a été soumis, comme ministre des Affaires étrangères, en 1984, a été une requête du Mexique, qui demandait notre aide pour adhérer au GATT. À l'époque, notre partenaire de l'ALENA n'était pas membre du GATT. Chose curieuse, il n'a pas demandé l'aide des États-Unis, mais la nôtre. Nous avons une foule de raisons de maintenir cet arrangement tripartite.
Le très difficile problème du Canada et du comité sera celui des choix déchirants à faire: à quoi faut-il consacrer l'argent? Dans l'enveloppe du développement et de la diplomatie, où faut-il dépenser? Et, à l'inverse, où faut-il éviter de dépenser? Les questions sont étroitement liées. J'espère que vous aurez la possibilité d'étudier de très près ces deux questions.
La question afghane est très intéressante, car, entre autres choses, il y a eu un élément du dispositif militaire qui n'était pas largement connu. Cet élément a une réelle compétence, une vraie aptitude en développement et dans d'autres capacités militaires non traditionnelles. Mais ce n'est pas le premier travail des militaires, et, naturellement, leur approche est colorée par leur mission première. Des membres extrêmement compétents des Affaires étrangères et de l'ACDI ont travaillé aux côtés du MDN en Afghanistan, mais je soupçonne que notre approche du développement, de l'après-conflit, si on veut, aurait été plus solide si ces gens des Affaires étrangères et de l'ACDI avaient eu un meilleur morale, un enthousiasme et une confiance plus solides.
Un débat très vif se déroule aux États-Unis, où on se demande si le développement doit être dirigé par un personnel militaire. Ce débat n'a pas eu lieu chez nous, et nous n'avons pas tendance à tenir ce genre de débat. Il n'y a pas eu de débat sur l'accroissement des dépenses militaires. Pas de vote, pas de débat.
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Merci, monsieur le président.
Merci à nos invités.
Je dois dire que c'est un honneur, monsieur le président. Le Canada doit profiter beaucoup plus du fait que les anciens premiers ministres ont beaucoup à apporter. Je suis heureux d'entendre les judicieux conseils d'un ancien premier ministre. Je recommanderais peut-être au comité de mieux exploiter cette ressource. Les États-Unis font beaucoup mieux que nous sur ce plan.
Il est agréable que vous soyez parmi nous aujourd'hui.
J'ai eu l'occasion de vous entendre parler récemment du rôle du Canada par rapport aux États-Unis. Vous avez abordé certains des points sur lesquels vous êtes revenu aujourd'hui. J'ai aussi hâte de voir les données que vous nous avez remises, notamment en ce qui concerne les budgets. Nous savons tous, ici, que l'argent est important et que la façon de le dépenser l'est tout autant. J'ai toujours dit que, par son budget, tout gouvernement montre aux Canadiens où se situent ses priorités. Les données sont importantes pour que nous puissions comprendre.
Je commence par vous, monsieur Clark. Il s'agit du rôle du Canada auprès des États-Unis en ce qui concerne le Mexique. Nous en avons parlé un peu avec les témoins précédents. Selon vous, comment pouvons-nous les amener à s'investir dans le dossier de l'environnement?
Il a été intéressant d'entendre M. Obama aborder les changements climatiques dans une optique trilatérale. J'ai demandé à un fonctionnaire qui était le ministère principal, en environnement, pour ce qui est du plafonnement des émissions et de l'échange de droits d'émission. Ce n'était certainement pas celui des Affaires étrangères. Néanmoins, nous entendons parfois le ministre des Affaires étrangères dire qu'il s'agit d'une initiative majeure. Je voudrais connaître votre opinion, vu votre expérience dans le dossier du traité des pluies acides. Comment le Canada devrait-il s'attaquer à la question du plafonnement et de l'échange de droits, car ce semble être l'orientation prise — selon moi, c'est une bonne chose, et nous avons fait campagne à ce sujet —, et où se situe le Mexique? Quel devrait être le ministère de première responsabilité?
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Merci, monsieur le président.
Je veux simplement faire un commentaire.
Monsieur LeBlanc, il y a quelques années, j'ai travaillé pour une entreprise canadienne qui a brassé beaucoup d'affaires dans les Carolines. Le bureau se trouvait en fait à Raleigh-Durham. J'ai passé six merveilleux mois là-bas à titre de représentante de l'entreprise, et j'ai beaucoup apprécié l'hospitalité des gens du Sud. Je leur recommanderais toutefois d'apprendre à se servir d'une théière. Il est bien malheureux que, étant donné qu'il y a eu le Boston tea party, ils n'aient jamais vraiment appris à se servir d'une théière.
Ma question s'adresse à M. Clark, et je vous remercie beaucoup de votre exposé.
J'aimerais parler de ce que vous avez dit au sujet du rôle accru des ONG et des militants en particulier, aspect que j'aimerais explorer davantage dans le cadre de mes fonctions. L'une des choses que nous avons constatées, c'est qu'ils sont capables de réagir très rapidement, particulièrement dans des situations catastrophiques. Pensons au tsunami et à la façon dont ces ONG ont été capables d'acheminer l'aide jusque dans les pays touchés, et il y a des organismes comme ceux que vous avez mentionnés, la Fondation de Bill et Melinda Gates. Cela me fait penser à Vision mondiale et à l'excellent travail que fait cet organisme partout dans le monde, ou à la Croix-Rouge internationale, capable d'intervenir dans une foule de situations.
J'aimerais revenir à la discussion sur les budgets, qui nous a permis de constater que l'ACDI dispose de plus d'argent dans son budget que le MAECI. Je me demande, et il s'agit de pure spéculation de ma part, s'il y a eu un changement considérable de la capacité de la technologie. Ma soeur a travaillé pour USAID au Kenya pendant un certain nombre d'années, et elle a expliqué comment, au cours des années où elle était en poste là-bas, l'amélioration de la technologie — même pendant les années où elle travaillait au bureau — a permis à USAID d'acheminer plus facilement les biens de première nécessité jusqu'aux personnes qui en avaient besoin. Cela explique-t-il en partie ce que nous constatons dans le cas présent, à savoir que le gouvernement alloue plus d'argent à l'ACDI qu'au MAECI? Fait-il cela pour la très bonne raison que le Canada peut ainsi fournir davantage de services de santé, de nourriture et de services d'éducation? Cela fait-il partie de l'équation?
J'ai lu le livre de Thomas Friedman, La terre est plate: Une brève histoire du XXIe siècle, et l'auteur parle abondamment des possibilités dans le domaine des communications et de l'incidence considérable qu'elles ont eue sur nos vies. Est-il possible d'affirmer que cela explique en partie ce qui se produit actuellement dans notre monde en constante évolution?
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Si j'étais toujours un parlementaire et que je participais à un débat partisan, je serais tenté de dire que les lecteurs du hansard n'auraient pas eu cette impression si vous n'aviez pas fait consigner cette idée dans le compte rendu.
Des voix: Oh, oh!
Le très hon. Joe Clark: Néanmoins, sur la question des Amériques, je crois qu'il est heureux que le gouvernement actuel ait adopté sa politique sur les Amériques avant l'élection du nouveau président, car, de cette façon, les gens n'ont pas l'impression qu'il s'agit d'une initiative de dernière minute. Je crois que, maintenant, le problème qui se pose — et les changements apportés dans l'attribution de l'aide font entre autres partie de l'intervention —, c'est d'être capable d'utiliser efficacement cette initiative.
Je suis très impressionné par le travail du nouveau ministre sur le terrain. Je viens tout juste de passer deux ou trois jours à Washington, où j'ai discuté avec des personnes qui travaillent dans ce domaine; le travail du ministre a bel et bien des répercussions, et on comprend bien quelle est la capacité du Canada.
En ce qui concerne l'Afrique, je crois que nous pourrions tenir un débat sur le montant de l'aide accordée, mais cela ne vous servirait probablement pas à grand-chose. Je crois que le Canada accorde moins d'attention à l'Afrique qu'auparavant, particulièrement du côté du gouvernement. Vous avez tout à fait raison, et les autres ont également raison: ce n'est pas le cas des ONG, des groupes confessionnels et d'autres organismes, qui sont plus présents et plus efficaces que jamais en Afrique. Et je crois que cette question ne devrait jamais être de nature partisane.
Selon moi, l'Afrique est un continent qui est à la fois très débrouillard et très troublé, et il a besoin de notre attention, il a besoin d'alliés parmi les pays développés. Bien souvent, nous avons été en mesure de lui tendre la main. Nous sommes capables de réaliser de grandes choses avec peu de moyens, simplement parce que cela fait partie de notre tradition. J'espère que nous poursuivrons activement notre travail dans ce domaine.