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Bon après-midi, chers collègues. Aujourd'hui, le mercredi 4 mars 2009, c'est la septième rencontre du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
Nous nous rencontrons à nouveau pour étudier le rapport de notre comité de direction, ce que nous ferons un peu plus tard. Nous continuons donc notre examen des éléments clés de la politique étrangère canadienne.
Au cours de la première heure, nous accueillerons comme témoin M. Paul Heinbecker, ancien ambassadeur et représentant permanent du Canada auprès des Nations Unies. M. Heinbecker est actuellement directeur du programme de relations internationales et de communications au Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale.
Au cours de la deuxième heure, M. Michael Byers, professeur à l'Université de la Colombie-Britannique et titulaire de la chaire de recherche du Canada en politique mondiale et en droit international, sera avec nous par vidéoconférence.
Notre comité prévoit une déclaration préliminaire d'environ 10 minutes; nous entamerons ensuite la première série de questions.
Monsieur Heinbecker, je ne compte plus le nombre de fois où vous avez comparu devant notre comité. Je peux vous assurer que nous sommes chaque fois ravis de votre présence. Nous apprécions votre expérience et votre expertise dans le domaine sur lequel nous nous penchons aujourd'hui. Bienvenue parmi nous.
Nous nous excusons du retard. Comme je l'ai mentionné, nous venons de rendre hommage à un ancien Président de la Chambre, M. Gib Parent. Je sais que certains des membres de notre comité sont toujours là-bas.
Nous sommes conscients que vous pourriez devoir partir un peu plus tôt. Nous sommes impatients d'entendre ce que vous avez à nous dire.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vais être bref, enfin je l'espère — c'est pour moi un énorme défi —; j'ai trois grandes propositions à vous faire, assorties de cinq, six ou sept mesures que le Canada peut prendre. Alors je vais essayer de m'en tenir à ça. Il se pourrait que mes propos suscitent des réactions, mais ça devrait être bref.
Je propose tout d'abord que nous croyions en nous, car nous pouvons faire beaucoup dans ce monde. Je trouve cela très pénible chaque fois que j'entends parler du Canada comme étant une puissance moyenne, chaque fois que nous nous considérons comme un petit pays et nous demandons ce que nous pouvons faire. Nous pouvons faire beaucoup si nous croyons en nous.
Deuxièmement, plus nous serons efficaces dans le monde, plus on nous prêtera une oreille attentive à Washington; et plus Washington écoutera ce que nous avons à dire, plus nous serons efficaces dans le monde. Ainsi, une politique étrangère indépendante et efficace sert à la fois nos objectifs d'une manière générale et nous aide à atteindre nos objectifs bilatéraux avec Washington.
À plusieurs reprises au cours de ma carrière, lorsque nous sommes allés à Washington pour nous plaindre à propos du bois d'œuvre résineux ou pour parler d'une série d'enjeux bilatéraux avec le secrétaire d'État, nous avons eu... On ne nous répond pas froidement; leur réponse est courtoise, mais nous n'obtenons pas de véritable engagement. Si les États-Unis sont la plus importante puissance au monde, ils ont beaucoup de pain sur la planche et ont besoin d'aide. Ils apprécient donc qu'une politique étrangère soit efficace.
Troisièmement, je voudrais préciser que pour être efficaces dans le monde, nous devons investir dans la diplomatie. C'est quelque chose que nous négligeons; en fait, nous avons même désinvesti dans ce domaine. Les budgets du ministère des Affaires étrangères ont décliné. Le ministère subit de nombreuses contraintes, alors que les défis diplomatiques ne cessent de croître, comme je l'expliquerai dans un moment.
Je glisserai quelques mots sur l'homme qu'est Obama, parce que bien que je croie qu'on ne l'oublie pas, peut-être ne mesurons-nous pas à quel point cet homme est différent. C'est le président le plus ouvert sur le monde que les États-Unis ont jamais élu, avec un père kényan et une famille qui habite toujours au Kenya. Sa mère a passé le plus clair de sa vie à travailler à l'étranger pour une ONG américaine et l'a amené avec elle. Il a étudié en Indonésie avec des enfants musulmans et a fréquenté l'école secondaire à Hawaii, qui est le centre multiculturel des États-Unis. Hawaii n'est pas situé sur le continent et se trouve un peu à contre-courant. Cela a pour résultat un esprit différent.
Pensons un instant à ce que représentait l'autre candidat. Le sénateur McCain, fils et petit-fils d'amiraux, a étudié à l'école navale avant de joindre la marine. Il est ensuite entré au Congrès et s'est impliqué dans le Senate foreign relations committee. Toute sa carrière a tourné autour de la sécurité nationale. C'est une mentalité très différente de celle que représente Obama, et je crois que nous devrions vraiment garder cela à l'esprit.
Permettez-moi de citer les propos d'Obama, qui, je crois, sont appropriés:
Si on ne comprend pas les autres cultures, il est très difficile de prendre de bonnes décisions en matière de politique étrangère. La politique étrangère est une question de jugement. L'aspect positif de ma vie, le fait d'avoir à la fois vécu et voyagé à l'étranger... me permet de mieux comprendre la manière de penser des gens et de savoir à quoi ressemble réellement leur société. Une grande partie de mes connaissances en matière d'affaires étrangères n'est pas seulement le fruit de mes études... ce n'est pas seulement le travail que j'ai effectué au sein du Senate foreign relations committee. C'est plutôt ce que je sais de la manière dont les gens ordinaires vivent dans ces autres pays.
On pourrait dire la même chose en ce qui concerne la diplomatie. C'est l'un des atouts de la diplomatie. C'est une forme d'expérience globale, et ça fait partie du nouveau monde dans lequel nous allons vivre.
Alors si le monde est réellement en train de changer, comment perçoit-il les États-Unis? Ce n'est un secret pour personne. Si on regarde les divers sondages, le sondage Pew en particulier — la série de sondages Pew réalisés depuis l'an 2000 —, la constatation la plus évidente est que l'image publique des États-Unis est entachée partout dans le monde. Cent soixante-quinze mille personnes ont été interrogées dans 54 pays. Ce n'était pas une question Gallup posée au cours d'une seule et même journée. Les États-Unis ont été écorchés partout, y compris dans les pays industrialisés importants, où ils sont blâmés pour la guerre en Iraq et pour la manière dont les choses se déroulent en Afghanistan. On les tient responsables de la crise financière actuelle, des changements climatiques, du terrorisme et des excès de la guerre contre le terrorisme.
Prenons la Turquie, l'un des pays alliés des États-Unis le plus sympatique et fidèle où, au cours de ces sept années, le pourcentage d'appui a chuté sous la barre des 10 p. 100. Aujourd'hui, cet appui se situe à 12 p. 100. On constate donc une remontée dans les sondages — pas très marquée, mais néanmoins présente — attribuable à la nomination de Barack Obama. Il peut changer la façon de penser de la population. Et il n'est pas surprenant que parmi tous les pays interrogés dans le cadre d'un sondage Ipsos Reid, le pays occidental le plus ouvert à l'endroit des États-Unis et de Obama était le Canada.
Aujourd'hui, la situation est donc tout à fait différente. Alors que nous étions habitués à un leader américain vilipendé partout dans le monde, il y a maintenant en poste un chef admiré de tous, que tout le monde veut voir réussir et considère comme un héros. Voici ce qu'en a dit l'humoriste Bill Maher:
Le reste du monde peut recommencer à jalouser l'Amérique. Eh oui, notre pays majoritairement blanc vient tout juste d'élire démocratiquement un président noir, ce qu'aucune autre démocratie n'a jamais fait. Voilà pour vous, les Canadiens!
Obama est un homme de son temps et le monde espère qu'il œuvrera « pour son temps », et pour paraphraser Bob Dylan, disons que les temps changent. L'ère de la superpuissance unique est passée à l'histoire. Les États-Unis étendront leur prédominance mais non leur domination.
Nous, occidentaux, avons tendance à oublier que c'est exceptionnel si, depuis la révolution industrielle — aux dires de Kishore Mahbubani, ça remonte à 200 ans alors que Fareed Zakaria parle de 300 ans — l'Asie n'est pas au centre des affaires internationales comme elle l'a toujours été. En effet, ce n'est que depuis cette révolution industrielle que l'Europe et le monde occidental occupent le devant de la scène.
On trouve également des chiffres intéressants dans un ouvrage de Kishore Mahbubani sur la révolution industrielle. Ils nous font sentir la vitesse à laquelle les choses changent:
« Cette époque s'appelle la Révolution industrielle parce que, pour la première fois de toute l'histoire de l'homme, la croissance du niveau de vie a été telle qu'on a constaté des changements importants dans une vie — un taux de changement de près de 50 p. 100 dans une vie. En Asie aujourd'hui, on peut parler d'une hausse du niveau de vie de l'ordre de 100 p. 100 dans une vie. »
Nous assistons non seulement à une vague de changements mais à une transformation structurelle totale. Peut-être que cela ne surprendra personne mais il faut se rappeler que la Chine, le Japon et l'Inde se classent, dans l'ordre, deuxième, troisième et quatrième à l'échelle mondiale pour ce qui est de la parité du pouvoir d'achat. En outre, le Japon et la Chine sont respectivement premier et deuxième détenteurs des avoirs du trésor américain. Le pouvoir économique n'est peut-être pas en train de changer; il a peut-être déjà changé. La Russie reprend sa place, l'Afrique fait des progrès et les Latino-Américains sont invités à la table d'honneur tandis que l'Union européenne demeure l'un des endroits le plus riche de la planète. Ce qu'il faut retenir, c'est que la domination des États-Unis diminuera, même avec à sa tête le président Obama. L'Amérique demeurera à l'avant-plan sans dominer.
C'est pourquoi, à son audience d'approbation, Mme Clinton a dit:
« La leçon des vingt dernières années nous apparaît clairement en 2009: nous devons à la fois combattre les menaces et saisir les occasions liées à notre interdépendance. Et, pour le faire efficacement, nous devons faire en sorte d'avoir plus de partenaires et moins d'adversaires à l'avenir. L'Amérique ne peut résoudre seule les problèmes les plus pressants et le monde ne peut les résoudre sans l'Amérique. »
Puis elle a parlé de l'importance d'investir dans les efforts diplomatiques.
Même pendant le mandat de la secrétaire d'État Rice, on a vu une augmentation très importante des ressources consacrées au département d'État. Maintenant, sous la secrétaire d'État Clinton, nous assisterons à un déploiement d'efforts encore plus grands et je vous invite à comparer les deux situations. La nouvelle administration américaine estime que le pays doit investir davantage dans sa capacité à pratiquer une diplomatie active, à assurer l'aide requise à l'étranger, à s'ouvrir au monde et à agir efficacement de concert avec les militaires. Autant d'aspects avec lequels nous sommes très familiers, nous, à Ottawa. Les défis sont presque identiques, mais il sera intéressant de voir quelles seront les réactions.
Le budget du département d'État augmente alors que celui du ministère des Affaires étrangères diminue. Quant à nos budgets d'aide, ils sont plus ou moins stables.
Alors, que pouvons-nous faire? Eh bien, il y a cinq ou six choses que le Canada peut faire.
Nous pouvons investir dans la diplomatie.
Nous pouvons croire en notre capacité de faire une différence, raison pour laquelle nous devons investir.
Je ne sais pas dans quelle mesure ce que je vais dire soulèvera la controverse, mais nous ne devrions pas changer de ministre des Affaires étrangères chaque année. Et, soit dit en passant, nous ne devrions pas nous engager dans une « diplomatie de commutateur » chaque fois que nous changeons de ministre des Affaires étrangères. En fait, ce concept de « diplomatie de commutateur » a été mis de l'avant par George Schultz et signifie un changement de politique chaque fois qu'un nouveau secrétaire d'État est nommé. Ce qui est effectivement une tendance au Canada.
Si nous voulons entretenir de bonnes relations avec Washington, nous devons bien faire les choses au niveau de l'ambassade, notamment nous devons veiller à ce que l'ambassade prenne de nouveau une part active à la politique étrangère américaine. En examinant la façon dont l'ambassade canadienne s'est comportée, plus particulièrement au cours des dernières années, on constate que ses relations ont toutes été bilatérales. En effet, les représentants de l'ambassade n'ont pas été très présents sur la scène internationale et, ce faisant, nous nous sommes privés de moyens étant donné qu'aujourd'hui la meilleure carte que nous pouvons jouer est probablement celle de l'Afganistan. Je suis conscient de la controverse que peut susciter cette affirmation auprès de vous.
Il faut nous doter d'une politique étrangère et désigner des personnes qui, à l'ambassade auront pour tâche d'entretenir des liens avec les hauts responsables américains de la politique étrangère... Et je peux vous dire que tant les Britanniques, les Français, les Allemands, les Russes et les Chinois le font, tout comme les Indiens. En fait, tous ceux à qui je pense souhaitent procéder ainsi parce que c'est le signe que nous prenons nos responsabilités à cœur et que nous assumons la responsabilité de tout ce qui arrive dans le monde.
J'ajouterai un mot au cas où quelqu'un voudrait poursuivre la discussion. Je ne suis pas très partisan de l'idée d'instaurer à l'ambassade un secrétariat assurant une représentation fédérale-provinciale. Je crois que cela sème la confusion chez les gens de Washington qui ne savent pas qui est qui, qui fait quoi et au nom de qui.
Je ne m'attarderai pas à ce que nous pouvons faire sur le plan économique. Je crois que nous pouvons tirer une leçon très importante du G20.
Combien de temps me reste-t-il?
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Sous la rubrique de ce que le Canada peut faire en Afghanistan, j'avais ces points, bien sûr: continuer à entraîner les forces afghanes, ce qui est la mission principale des Forces canadiennes en poste là-bas actuellement, et continuer à renforcer les institutions afghanes, une tâche qui doit s'accomplir en partie à Kaboul. C'est à ce moment-là que je me suis mis à parler de la nomination d'un envoyé spécial là-bas.
Je crois qu'il ne s'agit pas d'une question de diplomatie avec l'Afghanistan. Je crois que la question est plutôt de savoir ce qui se passe parmi nos alliés, au sein des pays de la région. Il y a déjà eu un groupe de six pays dont le rôle était de superviser, ou de gérer, la situation en Afghanistan. Si je me rappelle bien, il était composé des États-Unis, de la Russie, de la Chine, de la Grande-Bretagne... Je ne sais plus exactement. Mais il est clair que nous ne résoudrons pas le problème de l'Afghanistan sans règlement de la situation au Pakistan ou, à tout le moins, sans de meilleurs résultats.
Il est aussi clair que la relation avec l'Iran peut être très importante. Elle peut être constructive ou destructive, selon l'orientation que prennent les événements. En passant, je ne pense pas que nous critiquions l'Iran de façon excessive, et je crois qu'on devrait trouver le moyen de renouer avec ce pays. Je suis parfaitement au courant de la situation de Mme Kazemi, de la réaction totalement corrompue qu'ont eue les Iraniens à la suite de ces événements. Je n'ai aucun doute là-dessus. Je ne doute pas non plus de l'influence de l'Iran en Irak. Mais en même temps, nous avons des intérêts en Afghanistan, et je crois que tisser des liens avec les Iraniens, par exemple, est un volet de la diplomatie.
À mon avis, l'autre volet consiste à essayer, parmi les alliés principaux, de s'investir et d'influencer leur façon de penser. Ça aussi, c'est de la diplomatie: influencer la façon de penser de Washington, des Anglais, des Allemands et des Français, et ainsi de suite. Il faut aussi trouver le moyen d'avoir un impact sur le Pakistan, comme je le disais. Selon moi, c'est là le problème le plus difficile à régler. Si vous me demandiez comment faire exactement, je ne suis pas sûr que je pourrais répondre. Je pense seulement que tant que les relations ne s'amélioreront pas entre l'Afghanistan et le Pakistan, la situation ne changera pas.
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Oui, j'ai quelques suggestions, et elles tiennent compte du fait que la population parle de désarmement nucléaire.
L'administration Bush parlait de contrôle des armements. Elle parlait de beaucoup de choses, mais jamais de désarmement. Ce sujet est maintenant ramené au programme, et des discussions ont déjà été entamées entre la Russie et les États-Unis. Quand le moment sera venu, d'autres pays se joindront aux Russes et aux Américains. Mais ils ont déjà commencé à discuter de la possibilité de réduire le nombre d'armes nucléaires.
Je crois que nous devrions appuyer et encourager cette initiative autant que possible. Nous devrions être prêts à jouer un rôle constructif. Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires sera revu en 2010. Ce traité a été négligé par l'administration Bush, mais Obama veut maintenant le ramener sur la table. Il est évidemment dans notre intérêt de le faire.
Il en est de même du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires. Nous pouvons jouer un rôle actif sur le plan diplomatique et tenter d'obtenir la ratification par d'autres pays. Le Traité sur l'interdiction de la production de matière fissile, le Traité sur l'arsenalisation de l'espace, sont autant de choses auxquelles le gouvernement du Canada a déjà contribué et pour lesquelles il a l'expertise nécessaire. C'est un jeu auquel nous pouvons jouer, et nous avons les gens pour le faire. Nous avons notre mot à dire en ce qui concerne le cycle du combustible nucléaire, par exemple, pour lequel il faut se demander si les pays devraient pouvoir utiliser le combustible nucléaire, si cela devrait être fait à l'échelle planétaire, et s'il existe une façon d'éviter les problèmes que crée l'Iran. Nous sommes l'un des principaux exportateurs d'uranium, nous sommes l'un des principaux exportateurs de technologie nucléaire, et je crois que nous devrions avoir voix au chapitre.
Il y a donc beaucoup de choses à faire en ce qui concerne le contrôle des armements et le désarmement. Et je tiens à préciser que ce ne sont pas des chimères. Certains défenseurs de ces idées ont récemment été publiés dans le Wall Street Journal, rien de moins, dont George Shulz, Henry Kissinger, William Perry et Sam Nunn. Ces personnes ont une vaste expérience, ont un point de vue des plus réalistes et croient qu'il faut faire quelque chose au sujet du nombre d'armes nucléaires, notamment en raison du fait qu'elles peuvent être déclenchées à tout moment, ou presque.
Il s'agit donc d'une question importante que l'administration Obama a l'intention d'approfondir; ce qui va dans le sens de nos intérêts, et nous avons l'expertise nécessaire pour les faire valoir.
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Au cours de la deuxième heure, nous sommes heureux de recevoir par vidéoconférence M. Michael Byers, professeur à l'Université de la Colombie-Britannique. M. Byers est titulaire d'une chaire de recherche du Canada en politique mondiale et en droit international.
Monsieur Byers, nous sommes impatients de vous entendre. La connexion n'est pas parfaite, mais nous avons hâte d'entendre vos commentaires. Nous procéderons ensuite à une première ronde de questions. Nous avons eu de la difficulté à établir la connexion avec vous, monsieur Byers, et nous continuons d'éprouver quelques difficultés techniques. Est-ce que vous m'entendez?
Nous ne savons pas si nous pouvons vous entendre. Pouvez-vous parler dans votre microphone? Il y a quelqu'un sur le toit qui ajuste l'antenne parabolique...
Des voix: Oh, oh!
Le président: Bienvenue. Nous pouvons enfin vous entendre.
Nous avions hâte d'entendre votre témoignage, monsieur Byers. Je vous ai déjà présenté et j'ai mentionné le poste que vous occupez. Nous allons donc passer immédiatement à votre témoignage, si cela est possible. Nous procédons à l'examen des éléments clés de la politique étrangère du Canada à l'heure actuelle, et nous mettons l'accent sur la relation canado-américaine et sur la politique étrangère. Nous sommes donc impatients d'entendre vos commentaires. Nous passerons ensuite à une ronde de questions.
Je dois toutefois vous aviser, monsieur Byers, qu'à 17 h 30, notre heure, c'est-à-dire dans 45 minutes, nous tenons un vote à la Chambre des communes. Il faudra donc s'arrêter à 14 h 30 précise, votre heure, si vous êtes en Colombie-Britannique.
Nous sommes impatients d'entendre votre témoignage. Bienvenue.
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Merci beaucoup. Merci de m'avoir invité à faire un exposé et de me permettre de le faire par vidéoconférence aujourd'hui. En restant à Vancouver, je vais pouvoir m'adresser à un auditoire encore plus intimidant plus tard cet après-midi, puisque je vais parler devant 150 étudiants de premier cycle.
Le sujet des relations canado-américaines me tient beaucoup à cœur. Mes deux enfants sont nés à Durham, en Caroline du Nord, où j'étais professeur de droit international et directeur du Center for Canadian Studies à l'Université Duke. Ils sont donc citoyens américains, et j'espère qu'ils sauront bien servir les intérêts de leurs deux pays.
Il est clair que Barack Obama s'intéresse lui aussi aux relations canado-américaines, puisqu'il a dit « j'aime ce pays » lors de sa visite à Ottawa. Je crois que le président Obama a exprimé simplement son affection non seulement en raison de ses liens familiaux, mais aussi parce qu'il connaît le rôle important que le Canada a joué sur le plan historique, en tant que gare d'arrivée du chemin de fer clandestin, en tant que défenseur des droits de la personne, du droit international et de la diplomatie multilatérale, et en tant que modèle de réussite en ce qui concerne le multiculturalisme et les soins de santé publics et universels.
Je crois aussi que le commentaire du président Obama montre qu'il sait à quel point le Canada peut jouer un rôle important pour l'aider à atteindre ses objectifs en matière d'économie, d'environnement et de politique étrangère.
La secrétaire d'État Hillary Clinton a placé la puissance intelligente au cœur de la politique étrangère de l'administration Obama. Selon cette approche, l'influence découle de nombreux facteurs, dont la diplomatie, la coopération, une bonne réputation et la vitalité économique. Et la puissance intelligente met en valeur les atouts du Canada, qui sont réellement diversifiés.
Sur le plan géographique, le Canada vient au deuxième rang dans le monde pour sa superficie et se classe au 8e rang des économies mondiales. Nous sommes le plus important partenaire commercial des États-Unis. Nous avons une population de 33 millions d'habitants scolarisés et branchés sur le monde. Notre armée est petite, mais elle est très compétente. Notre service extérieur est l'un des meilleurs au monde. Dans l'optique de la puissance intelligente, le Canada peut avoir une influence considérable qu'il pourrait et qu'il devrait exercer pour le compte des citoyens canadiens, de la communauté internationale et, sur des éléments d'intérêt commun, pour le compte des États-Unis.
Il est clair que l'Afghanistan est un élément d'intérêt commun. De toutes les troupes alliées présentes dans ce pays, les Forces canadiennes affichent le taux de mortalité le plus élevé par soldat. Les décès, les blessures et les autres contraintes liés à la mission ont amené le major-général à la retraite Lewis MacKenzie à conclure que « le Canada ne sera pas en mesure de demeurer en Afghanistan dans un rôle de combat au-delà de 2011 ».
Heureusement, le président Obama applique déjà le concept de la puissance intelligente à l'Afghanistan. Le fait qu'il ait nommé Richard Holbrooke comme envoyé montre clairement à quel point l'angle diplomatique est devenu important. Et si le président Obama est en voie d'augmenter le nombre de troupes en Afghanistan, il n'en demeure pas moins qu'il a en fait réduit d'environ 100 000 le nombre de soldats américains déployés à l'étranger. C'est ce qui explique que la présence des soldats canadiens est moins nécessaire qu'elle n'aurait pu l'être avant.
Dans la logique du concept de puissance intelligente, nous pouvons et nous devrions offrir de contribuer d'autres façons. Nos diplomates pourraient participer aux négociations avec les chefs des tribus et des insurgés ainsi qu'avec les acteurs régionaux, comme l'Iran, l'Inde et le Pakistan. L'ACDI pourrait accroître l'aide qu'elle fournie pour la reconstruction. La GRC pourrait en faire davantage pour la formation des policiers afghans.
Tout indique que l'administration Obama a fait le même calcul et qu'aucune pression ne sera exercée pour maintenir les soldats canadiens en Afghanistan dans un rôle de combat après 2011. Il n'y a donc absolument aucune raison de même envisager une autre prolongation.
Quant à l'économie, le président Obama fait preuve d'un leadership extraordinaire en faisant face à la crise économique mondiale. Je crois qu'il cherche à gagner un plus grand soutien international pour son plan de relance économique et certainement à en obtenir beaucoup plus de la part du Canada.
D'après le directeur parlementaire du budget, l'effet net du plan de relance du Canada ne représente que 0,7 p. 100 du PIB, soit seulement le quart de ce que prévoit le plan du président Obama et moins de la moitié du niveau de relance recommandé par le Fonds monétaire international.
La Grande Crise a conduit à la création de la Banque mondiale du Fonds monétaire international et de l'Organisation mondiale du commerce. La crise actuelle pourrait bien entraîner des réformes institutionnelles similaires à l'échelle internationale, notamment l'établissement de mécanismes de réglementation des banques, des marchés boursiers et des spéculateurs sur les devises. Le Canada pourrait jouer un rôle prépondérant dans l'élaboration et la diffusion de propositions concrètes sur lesquelles pourrait s'appuyer la prise de décisions collectives.
Le Canada pourrait également tirer parti de l'intention du président Obama d'inclure des normes en matière de travail et d'environnement au corps du texte de l'ALENA. Comme le Canada dispose déjà de normes relativement rigoureuses, l'ajout de normes de ce genre permettrait d'accroître l'avantage comparatif du pays, tout particulièrement si cette pratique venait à s'étendre à d'autres accords sur le commerce, par exemple l'OMC.
L'environnement est un enjeu économique d'une grande importance, car c'est là que toute l'activité humaine se déroule.
Dans son rapport sur les changements climatiques à l'intention du premier ministre du Royaume-Uni de l'époque, Tony Blair, Sir Nicholas Stern avait souligné que chaque dollar investi aujourd'hui dans la lutte aux changements climatiques permettrait d'économiser 20t $ de dépenses en 2050. Le président Obama comprend ce principe. Peu de temps après son élection, il a confirmé que les États-Unis aideraient à faire entrer le monde dans une nouvelle ère de coopération mondiale dans la lutte aux changements climatiques. Il a également affirmé qu'il était maintenant temps de relever le défi une fois pour toutes; la procrastination n'est plus une option, le refus n'est plus une réponse acceptable et les enjeux sont trop importants, les conséquences trop lourdes.
D'un autre côté, toutes les crises créent de nouvelles possibilités; dans ce cas-ci, nous aurons l'occasion d'établir une nouvelle économie fondée sur des sources d'énergie autres que les hydrocarbures après avoir traversé une révolution industrielle. Et la nomination de Steven Chu, physicien lauréat du prix Nobel, au poste de secrétaire à l'Énergie par le président Obama revêt une très grande importance.
Le vent a tourné, et j'ai bien peur que le Canada ne risque de se retrouver à la dérive. Déjà, on observe un profond changement dans l'opinion publique aux États-Unis. Le numéro de ce mois-ci du National Geographic ne reflète qu'une partie de cette tendance. La question qu'il faut se poser est donc la suivante: sommes-nous prêts à tenir ensemble les rênes dans la lutte aux changements climatiques, ou le Canada se condamnera-t-il à suivre les autres à contrecœur?
L'Arctique, mon dernier point, n'est pas une priorité pour l'administration Obama, qui sait très bien que la coopération internationale en place a déjà parcouru beaucoup de chemin. En mai dernier, les cinq pays bordés par l'océan Arctique — le Canada, le Danemark, la Norvège, la Russie et les États-Unis — ont affirmé leur volonté commune de respecter le droit de la mer et de régler méthodiquement les chevauchements de territoires revendiqués susceptibles de se présenter.
Sans vouloir manquer de respect à quiconque, je crois que le gouvernement du Canada cause du tort à tout le monde en alimentant l'intérêt des médias pour les conflits. Je parle entre autres des commentaires qui ont été faits la semaine dernière après que deux bombardiers russes ont exercé leur droit de voler dans l'espace aérien international, droit qu'ont tous les pays.
Il est important de se rappeler qu'il n'y a pas si longtemps, en novembre 2007, le premier ministre Harper et le premier ministre de la Russie ont signé une déclaration conjointe de coopération concernant l'Arctique. Et depuis ce temps, les diplomates et les scientifiques du Canada et de la Russie travaillent ensemble à exercer le droit incontesté des deux pays de définir les limites extérieures de leur plateau continental étendu baigné par l'océan Arctique.
Le Canada collabore aussi étroitement avec les États-Unis dans l'Arctique. En 1988, nous avons établi des procédures concernant les brise-glaces de la Garde côtière qui transitent par le passage du Nord-Ouest et nous avons déterminé qu'aucun préjudice ne devrait être porté en raison du différend d'ordre juridique. Il y a trois ans, nous avons inclus une disposition de surveillance conjointe du passage du Nord-Ouest à l'Accord du NORAD. Depuis, les deux pays signataires cartographient conjointement le fond de la mer de Beaufort à l'aide de brise-glaces appartenant aux États-Unis et au Canada.
Pour la minute qu'il me reste, j'aimerais souligner qu'on pourrait en faire bien plus. Le Canada pourrait, et même devrait, emboîter le pas aux États-Unis, qui ont décidé de rendre publiques toutes les données recueillies par ses scientifiques sur le plateau continental étendu, de façon à ce que les pays exposés à un chevauchement des territoires revendiqués disposent d'un ensemble de données commun. Nous devrions également entamer des discussions avec les États-Unis au sujet du passage du Nord-Ouest avant que le trafic croissant n'entraîne une crise diplomatique.
Il y a un an, l'ancien ambassadeur des États-Unis, Paul Cellucci, et moi-même avons fait la preuve qu'il était possible de mener des négociations fructueuses. Au cours d'une simulation de négociations d'une journée et demie, nos deux équipes de spécialistes de l'extérieur du gouvernement ont cerné neuf moyens concrets pour que les deux pays établissent un lien de confiance et collaborent quant au passage du Nord-Ouest. Des négociations de ce genre pourraient également permettre de trouver une solution qui convient à tous en ce qui a trait au différend sur les frontières maritimes de la mer de Beaufort.
Pendant des décennies, la relation entre le Canada et les États-Unis a été perçue comme une de dépendance en quelque sorte, voire de servilité, mais les crises économique et environnementale ont beaucoup fait changer les choses. Le président Obama fait preuve de leadership sur la scène internationale, et c'est tout à son honneur. Ce n'est toutefois pas le temps de célébrer, car ces crises ont engendré de grands dangers communs aux deux pays, de sorte qu'ils doivent absolument travailler ensemble, peu importe s'ils ont moins besoin l'un de l'autre qu'auparavant. Je suis d'avis que les États-Unis ont aujourd'hui désespérément besoin du Canada, et j'espère sincèrement que vous recommanderez que nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir.
Je vous remercie.
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Je vous remercie pour ces questions d'une grande pertinence.
Pour ce qui est du passage du Nord-Ouest, je crois que les deux pays ont des arguments défendables. Il vaudrait mieux ne pas porter cette affaire en justice parce que le risque de perdre est trop élevé. Je crois d'ailleurs que les États-Unis auraient la même opinion et préféreraient la négociation au procès ou à l'arbitrage.
Donc, la question n'est pas de savoir lequel des arguments juridiques est le plus solide, mais plutôt de trouver une solution au différend qui convienne aux deux parties. Qu'il soit question de protection de l'environnement, qui est depuis longtemps le principal intérêt du Canada, ou de la sécurité en Amérique du Nord, le principal intérêt des États-Unis, je crois qu'il y a moyen de trouver un argument plausible, et c'est ce que M. Cellucci et moi avons fait. Nous devrions chercher à négocier une entente bilatérale qui reconnaît la souveraineté du Canada sur ces eaux et qui exige qu'en retour, le Canada s'engage concrètement à patrouiller le secteur et à en faire une route de navigation internationale sécuritaire — non pas un détroit international —, comme la Voie maritime du Saint-Laurent, qui est gérée méthodiquement et dispose d'une infrastructure appropriée. Cette solution ferait en sorte que les navires puissent naviguer de façon sécuritaire, dans l'intérêt de tous d'un point de vue économique, et qu'en même temps, les menaces à la sécurité puissent être contrées et désamorcées.
Voilà ce que nous devrions faire en ce qui concerne le passage du Nord-Ouest. J'ai bien peur que la position actuelle du Canada, qui consiste essentiellement à ne pas ouvrir le dossier et à laisser le temps faire les choses, comporte de grands risques parce que l'activité s'accroît dans cette région et qu'il est probable que notre position juridique soit remise en question, et pas nécessairement par les États-Unis.
Pour ce qui est de la mer de Beaufort, je crois que les sociétés pétrolières multinationales qui souhaiteront explorer le secteur de 6 000 milles carrés qui fait l'objet du différend feront des pressions pour que le différend soit réglé. Encore une fois, il existe des solutions parfaitement acceptables. Un moyen serait de déclarer la région « zone commune contenant des hydrocarbures », comme l'ont déjà fait d'autres pays dans des circonstances similaires, de partager les redevances, de mener une étude conjointe d'impact sur l'environnement et d'établir un processus de délivrance de permis. Ou on pourrait tout simplement tracer une ligne au milieu de la zone qui fait l'objet du différend et laisser les choses ainsi.
Ce dossier ne devrait pas susciter de préoccupations ou d'hostilités entre les deux pays. Il se trouve que, grâce au chapitre 6 de l'ALENA, nous faisons partie d'un marché commun dans le domaine de l'énergie. Donc, si on en venait à établir une ligne, il y aurait autant de chances qu'EnCana effectue des forages du côté des États-Unis qu'une société pétrolière américaine. Ici encore, il faut mettre au premier plan la nécessité de collaborer et de prendre conscience que nous avons des intérêts communs. Et, par-dessus tout, nous ne devrions pas avoir peur de traiter avec les États-Unis à ce sujet. Nous sommes un grand pays de l'Arctique. Comme le Canada est le principal fournisseur d'énergie des États-Unis, je crois que nous pourrions négocier en toute bonne foi et nous attendre à un bon résultat.
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Tout à fait. Il n'est vraiment pas dans notre intérêt ni dans l'intérêt des États-Unis de différer les démarches diplomatiques dans ce dossier.
Ce n'était pas si pressant, il y a 20 ans, avant que la glace commence à fondre. Mais les deux derniers étés, le passage du Nord-Ouest était grand ouvert. Des navires de croisière européens, sans coque renforcée, l'empruntent maintenant régulièrement. Ils naviguent dans ce secteur comme ils le font partout ailleurs. Il faudrait donc pouvoir compter sur du personnel de recherche et sauvetage là-bas. Il faudrait disposer de cartes réellement fiables pour guider les gens, et avoir de solides ressources pour les observations et les bulletins météorologiques. Une surveillance est aussi nécessaire. Tous les autres pays voudraient que nous prenions ces dispositions. En nous dotant de ces capacités, en veillant à ce que le passage du Nord-Ouest soit sécuritaire, nous donnons du poids à notre revendication de compétence et de souveraineté sur ce secteur.
Pour nous, le principal obstacle dans ce genre de démarche est le fait que les États-Unis se sont toujours opposés à notre position juridique, et disent que n'importe quel navire de n'importe quel pays a un droit d'accès illimité au passage du Nord-Ouest. Ca n'a pas de sens, ni pour nous, ni pour les États-Unis. La seule chose qui serait pire pour les États-Unis, c'est s'ils acceptaient que nous avons la souveraineté sur le passage du Nord-Ouest, et que nous ne faisions absolument rien pour protéger nos intérêts ou les leurs.
Il faut donc prendre la situation en main en faisant d'importants investissements, par exemple en recherche et sauvetage. Nous devons également négocier avec les États-Unis pour qu'ils se rendent compte que dans nos efforts conjoints de défense de l'Amérique du Nord, il est logique pour l'État qui est présent des deux côtés du passage du Nord-Ouest d'assumer cette responsabilité, c'est-à-dire que le Canada en assume la souveraineté, par des investissements et des démarches diplomatiques.
C'est ce qui serait la meilleure approche à mon avis, et je l'ai testée avec Paul Cellucci. Pendant une journée et demie, nous avons mené des négociations laborieuses avec les meilleures équipes de spécialistes non gouvernementaux que nous avions pu trouver. Nous n'avons pas réglé le différend concernant la souveraineté, mais nous en sommes arrivés à neuf recommandations concrètes qui nous permettraient de faire les neuf dixièmes du chemin vers cet objectif.