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PROC Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre


NUMÉRO 012 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 4 mai 2010

[Enregistrement électronique]

(1110)

[Traduction]

    Je déclare ouverte cette 12e réunion du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. Nous commençons un peu en retard. Le Comité de l'immigration était dans cette salle avant nous, pour essayer de régler tous les problèmes du pays.
    Nous poursuivons donc notre étude des questions liées à la prorogation. Notre premier témoin ce matin est M. Pelletier, de l'Université d'Ottawa. Je tiens à vous remercier de vous être déplacé jusqu'ici pour nous rencontrer aujourd'hui.
    Conformément à la procédure habituelle, nous allons inviter le professeur Pelletier à faire un exposé liminaire. Nous avons une heure à consacrer à chacun de nos témoins aujourd'hui, et je pense qu'il conviendrait sans doute de commencer par des tours de cinq minutes pour la période des questions; mais nous verrons ce qui est possible. Nous allons donc commencer immédiatement.
    Professeur Pelletier, vous avez la parole.

[Français]

    Mesdames et messieurs, merci de me recevoir aujourd'hui comme vous le faites, sur un sujet qui est d'une grande importance, comme on le sait: la prorogation. On m'a demandé de l'aborder sous un angle relativement théorique. D'après ce qu'on m'a dit, il n'y a pas de projet de loi à l'étude en ce moment. Par conséquent, il s'agit surtout de tracer un peu les paramètres de la prorogation, d'essayer de voir quels en sont les tenants et les aboutissants. Il s'agit également de se projeter un peu dans l'avenir et d'essayer de voir quelles pourraient être éventuellement les limites imposées au pouvoir de la Couronne de proroger le Parlement. Ou encore, il s'agit d'essayer de voir, toujours dans une perspective d'avenir, quel usage pourrait éventuellement être fait de la prorogation — ou ne devrait pas être fait dans le futur.
    D'abord, vous me permettrez, à titre préliminaire, de faire un certain nombre de constatations qui sont reliées de près ou de loin au thème de la prorogation. Dans bien des cas, je ne vous apprendrai rien. Néanmoins, il est important de se rappeler un certain nombre de choses lorsqu'on examine justement cette question, qui est celle de la prorogation.
    D'abord, les Parlements, dont celui-ci, assument essentiellement trois grandes fonctions. Les deux premières sont plus connues, et la troisième, dont je vais parler, est plus souvent en fin de compte omise.
    Bien entendu, il y a cette grande fonction d'adopter des lois, qui est au coeur même de la fonction législative.
    La deuxième fonction est de contrôler le gouvernement, de contrôler ses décisions, de contrôler ses gestes, de contrôler, bien entendu, ses dépenses, etc.
    En ce qui concerne la troisième grande fonction, qui est plus souvent occultée que les deux autres, comme je vous l'ai dit, le Parlement sert à légitimer le gouvernement.
    De fait, c'est le Parlement qui donne au gouvernement sa légitimité politique. D'ailleurs, ce que je vous dis là est au coeur du principe du gouvernement responsable. Le principe du gouvernement responsable, ou de la responsabilité ministérielle, veut que le gouvernement, pour jouir d'une légitimité politique, doive constamment bénéficier de l'appui d'une majorité des élus. On voit donc, au fond, qu'il y a un lien direct entre l'activité parlementaire et la légitimité d'un gouvernement.
    À mon avis, ça va beaucoup plus loin que le seul principe de la responsabilité ministérielle. La responsabilité ministérielle — lorsqu'elle s'applique — s'applique de façon draconienne et brutale. Le gouvernement perd la confiance des élus et, dans la majorité des cas, lorsqu'il s'agit d'une question d'importance ou d'une question qui met en cause la confiance de la Chambre envers le gouvernement, il doit offrir sa démission au gouverneur général. Ce sont les cas les plus évidents où l'on applique le principe de la responsabilité ministérielle, ce qui, encore une fois, est relié à la légitimation du gouvernement par le Parlement.
    Ça va plus loin, vous ai-je dit. En effet, plus un Parlement est fragilisé — je ne dis pas « inactif », je ne parle pas de dissolution, de déclenchement d'élections générales, ce n'est pas nécessaire —, plus il est fragilisé dans l'exercice de ses compétences ou de ses responsabilités. Moins un Parlement est valorisé, moins un Parlement est bien vu aux yeux de la population et moins, normalement, le gouvernement peut revendiquer une légitimité politique. C'est-à-dire qu'il y a un lien direct entre la légitimité du Parlement et l'efficacité du Parlement, et la légitimité dont peut se réclamer un gouvernement.
    Par conséquent, normalement, tout gouvernement devrait se préoccuper de la santé du Parlement. Il devrait assumer de façon du moins minimale le respect de l'activité parlementaire, parce qu'il en va de sa propre légitimité politique à gouverner au sein de l'État.
    La deuxième grande constatation, c'est que nous sommes dans un régime de séparation souple des pouvoirs. Comme vous le savez, dans notre régime parlementaire inspiré du modèle de Westminster, les membres du gouvernement — enfin, la grande majorité de ses membres — sont aussi des élus du peuple et, donc, siègent au Parlement où ils rendent compte de leurs décisions et de leurs gestes.
    Nous sommes donc dans un régime de séparation souple des pouvoirs, contrairement au régime existant dans d'autres pays, notamment aux États-Unis, où la séparation des pouvoirs est un peu plus étanche, un peu plus rigide. Chez nous, le système parlementaire se caractérise justement par cette cohabitation des pouvoirs, diront certains. D'autres parlent même de fusion des pouvoirs, c'est-à-dire une complicité qui doit forcément exister entre les pouvoirs exécutif et législatif pour que le Parlement fonctionne.
    Pour assurer cette complicité, ou du moins cette cohabitation harmonieuse des pouvoirs législatif et exécutif, il existe un certain nombre de mécanismes de poids et de contrepoids ou, si vous préférez, de vérifications et de contre-vérifications — ce qu'on appelle souvent en anglais les checks and balances. C'est-à-dire que le Parlement a un certain nombre de mécanismes qui lui permettent soit de sanctionner le gouvernement soit de limiter ses ambitions, ou du moins de s'imposer par rapport au gouvernement. Et l'inverse est aussi vrai: le gouvernement dispose d'un certain nombre de mécanismes qui lui permettent soit de sanctionner le Parlement, soit de le rendre un peu plus docile, soit de le pondérer, de l'appeler à la sagesse, ou tout simplement de s'imposer par rapport au Parlement.
    Dans la première catégorie, bien entendu, les mécanismes sont mis à la disposition du Parlement pour limiter le pouvoir exécutif. Bien entendu, il y a la période de questions — vous le savez —, les comités parlementaires, tout le processus d'adoption des lois, qui entraîne évidemment des débats, des discussions, des amendements et des votes. Il y a tout le processus d'approbation des dépenses gouvernementales et il y a, bien entendu aussi, l'application du principe de la responsabilité ministérielle. C'est le meilleur recours dont dispose un Parlement pour sanctionner un gouvernement. De fait, la responsabilité ministérielle lui permet justement de retirer sa confiance au gouvernement et, sur des questions majeures et d'envergure, de forcer la démission du gouvernement.
    À l'inverse, vous ai-je dit, le gouvernement a aussi des mécanismes à sa disposition pour s'imposer par rapport au Parlement. Les deux plus connus et sans doute les plus efficaces sont la dissolution et la prorogation. Par extension, je pourrais même ajouter un troisième mécanisme, celui de la convocation du Parlement. Par conséquent, le gouvernement dispose de deux importants mécanismes pour discipliner le Parlement ou, du moins, s'imposer par rapport au Parlement — je le répète: la prorogation et la dissolution. Par extension, on pourrait même ajouter un troisième mécanisme, qui est celui de la convocation de la Chambre.
    Je veux faire valoir une troisième constatation. Nous sommes dans un régime où le premier ministre a un pouvoir incommensurable. Bien entendu, ce peut être dit pour l'ensemble de l'exécutif, mais c'est tout à fait évident dans le cas du premier ministre. Celui-ci jouit d'un pouvoir immense. Je n'ai pas besoin de vous le décrire. Je pense que vous connaissez ce pouvoir. Forcément, ce pouvoir du premier ministre est vu par un certain nombre de Canadiens comme étant ou pouvant être une source de déséquilibre dans le rapport de forces entre le Parlement et l'exécutif. Si nous devions, comme pays, prendre une tangente, à mon avis, ça devrait être de limiter davantage le pouvoir de l'exécutif plutôt que de limiter davantage le pouvoir du Parlement. En d'autres termes, s'il devait y avoir un rééquilibrage des forces dans notre système, il ne devrait pas passer par une plus grande mainmise du gouvernement sur les activités parlementaires, mais, au contraire, par un raffermissement du Parlement par rapport à l'exécutif.
    Je fais une quatrième constatation. Le pouvoir de proroger est une prérogative de la Couronne.
(1115)
    Puisqu'il s'agit d'une prérogative, ce pouvoir a priori — je dis bien « a priori » — peut être balisé. Vous allez voir, je vais apporter une nuance importante. Ce pouvoir peut être balisé ou limité par une loi à moins qu'on ne démontre que ce pouvoir de proroger jouit de protections constitutionnelles formelles. Que sont les prérogatives? Dans le fond, ce sont des pouvoirs que la Couronne exerce parce qu'ils ne lui ont pas été enlevés par le Parlement. Ce sont des pouvoirs qui découlent donc de cette époque où le souverain avait tous les pouvoirs dans l'État. On remonte évidement à notre ancêtre, le Royaume-Uni. Petit à petit, les pouvoirs du souverain lui ont été retirés au profit du Parlement. Par essence, une prérogative peut être limitée ou balisée par une loi. Celle-ci n'existe que dans la mesure où le Parlement ne s'est pas approprié ce pouvoir. Elle n'existe que dans la mesure où le Parlement a voulu le laisser à la Couronne, à moins — et c'est une nuance importante —, qu'on ne réussisse à démontrer que la prérogative dont il est question, en l'occurence le pouvoir de proroger, jouit d'une protection constitutionnelle.
    Se pose alors la question de savoir si, dans le contexte canadien, le pouvoir de proroger jouit d'une telle protection constitutionnelle. Si la réponse est oui, cela veut dire qu'on ne peut pas, par une loi, limiter ou abolir ce pouvoir. Du moins, on ne pourrait pas le limiter de façon à le dénaturer. Si la réponse est non — c'est-à-dire si le pouvoir de proroger ne jouit pas d'une quelconque protection constitutionnelle —, normalement, la règle veut qu'une loi puisse venir limiter cette prérogative de la Couronne qu'est le pouvoir de proroger.
    On peut faire une première constatation. Contrairement au pouvoir de dissolution, on ne trouve pas, dans la Constitution canadienne ni dans la Loi constitutionnelle de 1867, à titre d'exemples, de protections constitutionnelles explicites en faveur du pouvoir de proroger. Je dis bien « contrairement au pouvoir de dissolution », car ce pouvoir est nettement prévu par la Loi constitutionnelle de 1867. Cette loi en parle. Bien entendu, c'est relié au mandat maximal d'un Parlement qui est de 5 ans, comme vous le savez. Cela n'existe pas que depuis l'adoption de la Charte de 1982. Cette disposition prévoyant que le mandat maximal d'un Parlement est de 5 ans existe même depuis 1867. Le pouvoir de dissolution de la Chambre est relié à la durée maximale d'un mandat électoral, soit la durée d'un Parlement, et prévoit que le gouverneur général peut dissoudre la Chambre en deça des 5 ans prévus, si le contexte le justifie, évidemment. Cependant, absolument rien ne prévoit une protection explicite du pouvoir de prorogation.
    La Constitution prévoit, cependant, que la Chambre doit se réunir au moins une fois tous les ans. Il doit y avoir une séance de la Chambre au moins chaque année. Cela non plus ne découle pas que de la Loi constitutionnelle de 1982; cela existait aussi dans la Loi constitutionnelle de 1867. C'est tout ce qui est prévu qui peut être relié de près ou de loin au pouvoir de proroger, mais qui est relié dans le cas qui nous occupe, à mon avis, de façon très indirecte.
    Est-ce à dire que le pouvoir de proroger ne jouit d'aucune protection constitutionnelle? C'est difficile à dire, car il n'y a pas de protections constitutionnelles explicites, mais un argument pourrait être avancée voulant qu'il jouisse d'une protection constitutionnelle tacite.
(1120)
    La prorogation, à mon avis, peut être vue comme une composante de la séparation des pouvoirs dans l'État. La séparation des pouvoirs est évidemment un pilier de l'État canadien, et il y a toutes les raisons de croire que la Cour suprême du Canada reconnaîtrait une assise constitutionnelle au principe même de la séparation des pouvoirs. C'est-à-dire que la séparation des pouvoirs jouit d'une protection constitutionnelle tacite, et le pouvoir de proroger, étant une composante essentielle de la séparation des pouvoirs, jouirait de la même protection constitutionnelle.
    Il n'y a rien de clair, on s'avance dans des hypothèses. Personnellement, c'est une hypothèse que je défends. Je défends donc la thèse voulant que la séparation des pouvoirs jouisse d'une protection constitutionnelle implicite et que, par le fait même, le pouvoir de proroger, qui est relié à la séparation des pouvoirs, jouisse de la même protection.
    De quoi découle cette protection? Elle peut découler du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, qui prévoyait qu'à l'origine, en 1867, les Canadiens voulaient une constitution reposant sur les mêmes principes que la Constitution du Royaume-Uni. Forcément, en vertu du préambule, on peut en faire découler une protection pour la séparation des pouvoirs — c'était un principe reconnu au Royaume-Uni en 1867 —  et, par extension, une protection pour le pouvoir de proroger. Ce pouvoir, comme je l'ai dit, est une composante essentielle de la séparation des pouvoirs.
    Si cela ne découlait pas du préambule, il serait possible pour la Cour suprême du Canada de déclarer que la séparation des pouvoirs est un principe constitutionnel inhérent et, par le fait même, que le pouvoir de proroger, qui en est une condition essentielle, jouit lui aussi d'une protection constitutionnelle inhérente.
    On retrouve ces principes constitutionnels inhérents, notamment, dans le renvoi relatif à la sécession du Québec, une décision qui a été rendue par la Cour suprême du Canada, comme on le sait, en 1998. Bien entendu, dans ce renvoi, on n'a pas identifié la séparation des pouvoirs parmi les principes inhérents, mais cette logique qu'a appliquée la Cour suprême dans le renvoi sur la sécession, qui est celle d'identifier des principes constitutionnels inhérents, pourra, à mon avis, venir en appui à la thèse voulant que la séparation des pouvoirs aussi soit un autre principe constitutionnel inhérent, bien que, je répète, la Cour suprême ne l'ait pas reconnu comme tel dans le renvoi sur la sécession. Cependant, personne ne croit que les principes que la cour a identifiés dans ce renvoi sont exhaustifs. Donc, il pourrait y en avoir d'autres, dont la séparation des pouvoirs. Si, éventuellement, la séparation des pouvoirs jouit d'une telle protection constitutionnelle implicite découlant soit du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 soit en tant que principe constitutionnel inhérent, il y a fort à parier que le pouvoir de proroger, qui est une composante essentielle de la séparation des pouvoirs, bénéficie exactement de la même protection.
    Cela m'amène à la question suivante. S'il est vrai que le pouvoir de proroger jouit d'une protection constitutionnelle en vertu de la thèse que je viens d'avancer, que ce soit en raison du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 ou que ce soit comme principe constitutionnel inhérent, dès lors, comment ce principe constitutionnel peut-il être modifié ou abrogé? Si vraiment ce principe jouit de la protection constitutionnelle comme je l'ai décrite, il y a fort à parier qu'on ne puisse le modifier ou l'abroger qu'en conformité avec l'alinéa 41 a) de la Loi constitutionnelle de 1982, qui prévoit l'application de la règle de l'unanimité en ce qui concerne « la charge de Reine, celle de gouverneur général et celle de lieutenant-gouverneur ».
(1125)
    N'oubliez pas que, si l'on en venait à la conclusion que, contrairement à ce que je prétends, le pouvoir le proroger ne jouit pas de protections constitutionnelles implicites ou tacites, il n'y aurait alors probablement pas lieu d'appliquer l'alinéa 41 a) puisque cet alinéa s'applique à la modification de la Constitution du Canada. Dès lors, ce serait par simple loi qu'on pourrait limiter, voire abolir le pouvoir de proroger —, cette prérogative de la Couronne que j'ai décrite précédemment. Au contraire, si on lui donne un statut constitutionnel, comme je le prétends, la modification devrait alors passer par la procédure de l'unanimité qui est celle de l'alinéa 41 a).
    Dans ce contexte, voici un peu le décor constitutionnel, si je puis m'exprimer ainsi, qui, je crois est applicable au pouvoir de proroger. Bien entendu à côté du décor constitutionnel se pose un ensemble de questions qui, elles, sont de nature politique. En d'autres termes, un usage trop fréquent du pouvoir de proroger n'en vient-il pas à fragiliser le Parlement et à déstabiliser l'activité parlementaire? Et, au fond, n'en vient-il pas à augmenter d'une façon trop importante les pouvoirs de l'exécutif par rapport au législatif? Honnêtement, je le crois. Je pense qu'un usage du pouvoir de proroger qui serait répété, régulier, même annuel dans notre système politique à nous — propre au Canada — risquerait de trop fragiliser le Parlement par rapport au gouvernement. C'est d'autant plus vrai que nous sommes dans un régime, comme je l'ai dit précédemment, où le pouvoir du premier ministre et de l'exécutif est déjà incommensurable et sans doute même trop important par rapport au Parlement.
    Si nous devions prendre une orientation, à mon avis, ce devrait être dans le sens contraire. Il ne s'agit pas d'augmenter le pouvoir du gouvernement, comme je l'ai dit précédemment, en lui permettant de proroger la Chambre sur une base régulière ou même sur une base annuelle. Ce devrait être l'inverse. Ce devrait être de raffermir le pouvoir du Parlement par rapport à l'exécutif, par rapport au gouvernement.
(1130)

[Traduction]

    Merci d'avoir exposé tous les arguments; essayons donc maintenant de susciter la réflexion des uns et des autres au cours de la période des questions.
    Monsieur Proulx, est-ce vous qui allez commencer aujourd'hui?

[Français]

    Oui, monsieur le président.

[Traduction]

    Très bien. Commençons par un tour de cinq minutes pour que tous aient la possibilité d'intervenir, et s'il nous reste un peu de temps après cela, nous pourrons toujours…
    Si je pose de bonnes questions, allez-vous me donner un peu plus de temps?
    Vous savez bien que je fais toujours cela.
    Merci.

[Français]

    Maître Pelletier, merci d'avoir accepté d'être témoin devant ce comité ce matin. À vous écouter, je suis convaincu qu'il y a plusieurs personnes autour de la table qui vont vouloir s'inscrire à vos cours à l'université. C'est particulièrement compliqué mais particulièrement intéressant.
    Présumons, maître Pelletier, que votre thèse soit la bonne — je dis bien « présumons ». Existe-t-il des façons, des moyens desquels on pourrait se prévaloir, sans nécessairement qu'on limite le droit à la prorogation? Pourrions-nous rattacher des conséquences à la prorogation? Cela a été soulevé lors des dernières rencontres. Par exemple, si le gouvernement prorogeait, en retour, pendant un certain nombre de mois, le gouvernement n'aurait pas droit à des dossiers d'affaires émanant de ses députés ou n'aurait pas droit à différentes possibilités qu'il pourrait y avoir à la Chambre. Ainsi, ça deviendrait une espèce de... Je ne parlerais pas d'un empêchement. Néanmoins, cette question favoriserait un peu plus la réflexion ou comporterait un peu plus de conséquences, relativement au fait que le Parlement soit prorogé. Le gouvernement serait donc forcé à vraiment peser le pour et le contre, et à décider si cela en vaut le coup.
    Dans la réponse que je vais vous donner, je tiens pour acquis que la thèse que j'avance est la bonne, tout en n'en n'étant pas certain.
    C'est ce que je vous dis: présumons que votre thèse soit la bonne.
    D'ailleurs, aucun expert qui viendrait vous voir ne pourrait parler de ce sujet avec une certitude totale, à moins qu'il ne veuille vous convaincre d'abord et avant tout. On ne peut pas parler de ce sujet avec la pleine certitude puisqu'il n'y a pas de dispositions concernant expressément le sujet.
    À mon avis, l'essence même d'une prérogative est de pouvoir être exercée d'une façon discrétionnaire. Quand la prérogative ne devient possible que dans certains contextes prévus par une loi, ce n'est plus une prérogative. Pour qu'une prérogative soit une prérogative et qu'elle le demeure, à mon avis, il faut respecter la discrétion de la Couronne —, comprenez la discrétion du premier ministre comme conseiller principal du Gouverneur général. Il faut donc respecter la discrétion de la Couronne d'exercer le pouvoir lorsque bon lui semble.
    Une prorogation pourrait-elle être prévue sur une base annuelle, comme c'est le cas au Royaume-Uni? Probablement, mais ça n'empêcherait pas, par exemple, que d'autres prorogations se fassent en cours d'année. Dans la mesure où l'on respecte la discrétion de la Couronne de proroger quand bon lui semble, à mon avis, on respecte la nature même de la prérogative. C'était là le premier point.
    Voici le deuxième point. Les limites dont vous parlez ne doivent pas être telles qu'elles en viennent à dénaturer la prérogative. En fin de compte, elles ne doivent pas, en ce qui a trait au nombre, à l'importance ou à la portée, être de nature à rendre nul ou invalide le pouvoir de proroger la Chambre. Au fond, ces conditions à l'exercice du pouvoir de proroger ne doivent pas être tellement onéreuses que, encore une fois, on dénature l'esprit d'une prérogative qui est reliée à la discrétion de la Couronne.
    Cependant, est-ce que certaines limites, qui feraient en sorte qu'un gouvernement aurait à subir certaines conséquences du fait de proroger, seraient pensables? À mon avis, c'est tout à fait envisageable. Encore une fois, c'est sous réserve de ne pas dénaturer le pouvoir de proroger. En d'autres mots, ces limites doivent être suffisamment bien couchées sur papier, pour qu'on ne conclue pas que le pouvoir de proroger est dénaturé et que l'on n'est plus en présence d'une prérogative de la Couronne.
(1135)

[Traduction]

    Merci.
    Vous avez pris exactement cinq minutes; donc, nous allons essayer de donner un tour à tout le monde.
    M. Marcel Proulx: C'était une bonne question.
    Le président: C'était une excellente question, et la réponse que vous avez obtenue l'était tout autant.
    Monsieur, Reid, vous avez la parole.
    Je vois que vous vous êtes muni de votre propre chronomètre aujourd'hui. Donc, vous ne faites pas confiance au président.
    Je ne me fais pas confiance, monsieur le président. Je veux m'assurer de ne pas dépasser le temps qui m'est imparti.
    Bienvenue, professeur. Nous sommes ravis de vous recevoir aujourd'hui.
    En examinant la question de la prorogation, et les limites légitimes de ce pouvoir, je pensais qu'il serait peut-être utile de chercher des comparaisons ailleurs — c'est-à-dire, des exemples précis tirés de l'expérience d'autres pays qui ont adopté le régime de Westminster, et surtout d'autres provinces du Canada.
    Je constate qu'il n'existe pas autant d'information utile que nous l'aurions souhaité. Le phénomène des gouvernements minoritaires à répétition est plutôt rare, dans le contexte canadien à la fois fédéral — il y en a eu dans les années 1960 et 1920 — et provincial. Je ne crois pas me tromper en disant que, au cours du dernier siècle, il n'y a eu au Québec qu'un seul gouvernement minoritaire. C'est bien cela?
    C'est exact; malheureusement, il y en a eu un.
    Toutes les observations à propos de la prorogation, dans le contexte d'un système de discipline de parti rigoureuse, cessent d'être pertinentes dès lors qu'il s'agit d'un gouvernement majoritaire, ce qui correspond majoritairement à l'expérience canadienne aux paliers à la fois fédéral et provincial.
    Évidemment, s'il y avait eu, le 30 décembre, un gouvernement majoritaire au pouvoir, personne n'aurait pu contester la décision de proroger en disant: « Le gouvernement fait cela pour empêcher tel comité de tenir des audiences »; ou encore « Le gouvernement ne souhaite pas qu'il y ait trop d'audiences sur cette question-là, et le gouvernement a donc mis fin à ces audiences en ordonnant simplement à ses membres, qui ont la majorité des sièges au comité, de ne pas convoquer de réunion. » On n'aurait pas eu de critiques de ce genre.
    De même, la prorogation qui a été déclarée une année plus tôt n'aurait jamais eu lieu. Les partis représentant la minorité au Parlement auraient difficilement pu dire: « Nous avons formé une coalition et nous voulons maintenant remplacer le gouvernement. »
    Je m'intéresse surtout à votre expertise concernant l'expérience provinciale, même si ce gouvernement n'a pas duré très longtemps. Je ne sais pas s'il y a eu des prorogations.
    Non, il n'y en a pas eu.
    Très bien. Et ce gouvernement a duré deux ans, ou un an et demi?
    C'était entre 2007 et 2008, soit un an et demi, mais sans prorogation.
    La question que je voudrais vous poser maintenant est d'ordre davantage conceptuel. Je vais sans doute poser la même question au professeur Franks.
    N'est-il pas vrai que, à un niveau conceptuel, disons, nous essayons de déterminer la bonne utilisation d'un outil qui, au cours de notre histoire constitutionnelle, a été employé de façon complètement différente, dans des circonstances complètement différentes, qui ne sont tout simplement pas pertinentes, par rapport à la situation actuelle? Dans ce contexte, n'est-il pas plus exact de dire que nous essayons, non pas de voir comment empêcher un premier ministre d'être un dictateur, ce qui va se produire de toute façon dans le contexte d'un gouvernement majoritaire — comme c'est le cas dans toutes les provinces — mais plutôt d'améliorer le fonctionnement des gouvernements minoritaires, alors qu'il n'existe pas de conception commune de la façon dont les gouvernements minoritaires devraient fonctionner?
    Je vous lance la question et vous pourrez y répondre quand vous voudrez.
(1140)
    Je ne suis pas sûr de pouvoir vous fournir une réponse aussi complète que vous le souhaitez, mais je dirais, dans un premier temps, que les Canadiens réagissent très vivement à présent à l'utilisation du pouvoir de prorogation, et c'est assez surprenant, car il y a eu de nombreuses prorogations au cours de l'histoire du Canada — plus de 105. Donc, comment se fait-il que la population réagisse aussi vivement maintenant à une prorogation, comme ce fut le cas en décembre et en janvier dernier?
    Il est possible que la population soit d'avis que l'Exécutif détient à présent trop de pouvoir par rapport à celui du Parlement. Je dirais que bon nombre de Canadiens — pas tous, bien entendu, car certains ne s'intéressent pas à de telles questions et ont une attitude trop cynique à l'endroit du Parlement pour vraiment vouloir le défendre ou le protéger — sont très préoccupés par le pouvoir excessif de l'Exécutif, comparativement à celui du Parlement. Elle souhaite donc que le pouvoir de l'Exécutif soit mieux encadré.
    Je dirais également que certains estiment que le Parlement actuel est en droit de limiter le pouvoir de prorogation, c'est-à-dire le pouvoir de la Couronne, mais surtout du gouvernement, comme vous le savez, et du premier ministre. En même temps, je pense qu'il faut faire très attention, car il s'agit toujours d'une prérogative et, selon moi, elle doit continuer de l'être. De plus, je vous disais tout à l'heure que des protections constitutionnelles implicites ou tacites sous-tendent ce pouvoir, si bien qu'il faut vraiment éviter de réagir de façon trop spontanée; il est préférable d'approfondir toutes ces questions, comme le fait le comité, en l'absence de pressions extérieures.
    Cela dit, il est intéressant de constater qu'il y a une prorogation annuelle au Royaume-Uni. C'est étonnant, n'est-ce pas? Le pays qui a donné naissance au Canada et le même pays qui opte pour une prorogation annuelle, encore que le contexte politique n'est pas le même. Je dirais que la ligne de parti ou la discipline de parti n'est pas ce qu'elle est au Canada. Au Canada, la discipline de parti est plus forte que celle qui existe au Royaume-Uni. Vu la discipline de parti et le pouvoir du premier ministre et de l'Exécutif sur les députés, la population souhaite que la situation soit inversée et que les pouvoirs du Parlement soient réaffirmés par rapport à ceux du gouvernement; si tel est le cas, il est évident qu'une prorogation annuelle n'est pas la bonne solution. La situation n'en serait que plus grave, puisque le pouvoir de l'Exécutif se trouverait renforcé, par rapport à celui du Parlement, alors que la plupart des Canadiens souhaitent que ce soit l'inverse.
    Merci.
    Nous avons un peu dépassé le temps prévu, mais comme la réponse était fort intéressante, il me semblait approprié de l'entendre au complet.
(1145)
    Oui, j'ai remarqué.
    Si cela s'est remarqué, c'est une bonne chose.
    Monsieur Paquette, c'est vous qui prenez la parole pour votre parti aujourd'hui?
    Merci, et bienvenue de nouveau.

[Français]

    Merci de votre exposé, monsieur Pelletier. J'étais déjà un peu sensibilisé à votre thèse. Je vous remercie donc d'avoir accepté l'invitation du comité.
    Comme vous l'avez mentionné, c'est un comité d'études ayant pour but de voir s'il y a effectivement quelque chose à faire ou si cette idée d'encadrer le pouvoir de prorogation du premier ministre va nulle part.
    Je voudrais que vous nous réexpliquiez — comme je n'ai pas fait beaucoup de droit constitutionnel à l'université — en quoi vous considérez que le pouvoir de proroger est une composante de la séparation des pouvoirs.
    Encore une fois, c'est relié à ces checks and balances, ces vérifications et contre-vérifications dont j'ai parlé au début de mon exposé. Autrement dit, le Parlement a un certain nombre de mécanismes à sa disposition pour discipliner le gouvernement.
    J'ai mentionné la période de questions, les comités ministériels et la responsabilité ministérielle elle-même. Quant au gouvernement, il peut utiliser un certain nombre de mécanismes pour faire pression sur le Parlement et ces mécanismes sont bien connus. Les deux principaux sont la dissolution, bien entendu, et la prorogation. Et j'ai aussi dit, par extension, la convocation.
    Ce sont les mécanismes considérés dans notre régime parlementaire comme servant à ce système de poids et de contrepoids, dont j'ai parlé, entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.
    Dans ce contexte, j'en viens à la conclusion que le pouvoir de proroger est relié à la séparation des pouvoirs, car il sert à ce checks and balances entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Il sert à cette vérification et à cette contre-vérification. Ainsi, je vois mal comment on pourrait dissocier le pouvoir de proroger du principe même de la séparation des pouvoirs.
    Évidemment, d'autres experts pourraient ne pas partager mon point de vue, mais en ce qui me concerne, ça fait vraiment partie des poids et contrepoids qui sont essentiels dans notre système parlementaire.
    Beaucoup de personnes ont abordé le sujet à ce jour. Je pense notamment au professeur Mendes, de l'Université d'Ottawa, que vous connaissez probablement. Il dit que, sans toucher au pouvoir de la Gouverneure générale de proroger, on peut encadrer la capacité du premier ministre, comme conseiller principal, d'aller voir la Gouverneure générale pour lui demander la prorogation.
    Certains ont fait la comparaison avec le projet de loi C-16 sur les élections à date fixe. Au fond, c'est un voeu exprimé par la Chambre voulant que le gouvernement n'utilise pas à des fins partisanes le déclenchement d'une élection et que le mandat soit fixé. Cependant, on sait que, dans le projet de loi, il y avait une disposition qui ne remettait pas en cause... D'une certaine façon, c'est un voeu pieux. Et M. Mendes nous expliquait que, même si c'est un voeu pieux, au fil des ans, il va s'établir une espèce de convention constitutionnelle selon laquelle on ne peut pas, en dehors des conditions prévues par le projet de loi, user abusivement de la prorogation.
    Par ailleurs, il nous donnait des pistes et je vais vous les suggérer pour voir comment vous réagissez.
    D'abord, il parlait entre autres d'utiliser des ordres permanents de la Chambre qui feraient en sorte que le premier ministre ne pourrait pas demander une prorogation au cours de la première année suivant un discours du Trône.
    Ensuite, le premier ministre devrait donner un préavis au Sénat et à la Chambre des communes pour avoir un débat ultérieurement, à savoir que le maximum de la durée de la prorogation serait d'un mois. En fait, il avait proposé un certain nombre d'éléments pour créer justement ces conventions constitutionnelles qui deviendraient contraignantes avec le temps.
    Est-ce une avenue qui peut être envisageable ou est-ce vraiment une modification constitutionnelle?
    Ainsi que vous me le dites, à mon avis, ce n'est pas autant envisageable que M. Mendes le démontre.
    Le premier point, c'est que beaucoup d'experts ne considèrent que l'alinéa 41a) de la Loi constitutionnelle de 1982, soit la charge de reine. Tout le monde conviendra qu'on ne peut modifier la charge de reine sans une modification constitutionnelle formelle.
    Je vais un cran plus loin et je pense que le pouvoir de proroger lui-même jouit de sa propre protection constitutionnelle comme composante de la séparation des pouvoirs. Sans même discuter de la charge de reine, je pense que le pouvoir de proroger, en tant que pouvoir discrétionnaire et en tant que prérogative, jouit d'une protection constitutionnelle.
    Si c'est le cas, cela veut dire qu'on ne pourrait pas limiter de façon trop importante la discrétion de la Couronne.
    L'encadrement dont vous parliez un peu plus tôt, empêcher que des prorogations aient lieu...
(1150)
    Il y aurait un prix politique à payer.
    Oui, mais en fait, à mon avis, je ne suis pas sûr que ce serait légalement faisable. Car je crois que la prorogative est protégée constitutionnellement et qu'elle implique une discrétion. Cette discrétion ne doit pas être touchée, on ne doit pas y porter atteinte dans une loi.
    Il y a un deuxième point. Vous avez parlé de la loi sur les élections à date fixe, mais vous aurez remarqué que le principe de la responsabilité ministérielle est néanmoins protégé et respecté dans ce projet de loi. À mon avis, c'est un mauvais exemple dans ce contexte. On laisse tel quel le principe en cause, soit le principe premier qui est celui de la responsabilité ministérielle. Si j'appliquais le même argument dans le contexte de la prorogation, je dirais que vous devriez respecter aussi le principe de la prorogation dans tout projet de loi qui viserait à le baliser. Cela revient à ce que je vous disais: le projet de loi ne peut pas être d'une portée telle qu'il dénature le pouvoir de la prorogation ou qu'il limite de façon trop considérable le pouvoir de la prorogation.
    Enfin, vous avez parlé d'une convention constitutionnelle qui pourrait éventuellement s'instaurer. Il n'en demeure pas moins que même si une convention constitutionnelle devait s'instaurer voulant que le gouvernement se discipline lui-même dans l'usage qu'il fait du pouvoir de proroger, s'il décidait un jour de ne plus se discipliner, à mon avis, la Constitution l'emporterait sur la convention constitutionnelle. Et puisque, selon moi, le pouvoir de proroger a une protection constitutionnelle implicite, cela l'emporterait sur la convention constitutionnelle.
    Ai-je encore un peu de temps?

[Traduction]

    Vous avez déjà eu sept minutes et demie. Donc, tout va bien aujourd'hui.
    Monsieur Christopherson, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Professeur, merci beaucoup de votre présence parmi nous aujourd'hui.
    Au risque de dire quelque chose que je ne devrais peut-être pas dire — et je vais le savoir si c'est le cas — je pense que bon nombre d'entre nous reconnaissent que le pouvoir de prorogation est inscrit dans la Constitution. Ainsi si nous souhaitons modifier le pouvoir de prorogation, il faut nécessairement passer par une modification constitutionnelle. Je précise que l'opinion que j'exprime est celle d'un profane, et non d'un universitaire, et je vais donc m'exprimer en termes très prosaïques. Nous parlons ici de la possibilité de modifier la procédure qui est suivie avant que le premier ministre au pouvoir ne présente la demande officielle de prorogation au gouverneur général. Nous savons que le gouverneur général détient le pouvoir résiduel ou direct de l'autoriser. Nous nous demandons simplement s'il serait possible de proposer au premier ministre certaines restrictions qui ne s'appuieraient pas sur une disposition constitutionnelle mais qui seraient exécutoires grâce à un ensemble d'autres mesures, y compris certains moyens de dissuasion. Par exemple, l'une des possibilités qui a été évoquée serait qu'un premier ministre qui décide de proroger le Parlement, sans suivre la procédure prévue dans une résolution ou dans le Règlement de la Chambre, ne serait pas autorité à déposer certains projets de loi du gouvernement ou à prendre d'autres mesures qu'un gouvernement peut normalement prendre; en d'autres termes, il y aurait un prix politique à payer. Nous n'en sommes pas encore au point de pouvoir préciser en quoi consisteraient ces éventuels moyens de dissuasion. Pour le moment, nous essayons toujours d'élucider nos axes d'intervention et les possibilités qui en découlent.
    Je voudrais simplement vous demander de préciser une chose. Quand vous parlez du pouvoir constitutionnel, vous parlez bien de la Couronne, et non du premier ministre à proprement parler. Ma question est donc…
    Je vois que vous dites non de la tête alors je devrais peut-être m'arrêter là.
    Le pouvoir de la Couronne que j'ai évoqué tout à l'heure représente de fait le pouvoir du premier ministre. Que je sache, il n'existe aucun pouvoir de la Couronne qui soit un véritable pouvoir de la Couronne proprement dite et qui ne serait pas exercer, disons, sous l'influence du premier ministre. Donc, dans le monde d'aujourd'hui, le pouvoir de la Couronne est de fait exercé par le premier ministre.
(1155)
    Donc, en ce qui vous concerne, le gouverneur général ne détient aucun pouvoir décisionnel discrétionnaire ou résident?
    Non, voilà. En ce qui concerne la prorogation, je dirais que…
    Excusez-moi de vous interrompre, mais je veux m'assurer de bien comprendre ce que vous nous dites. Selon vous, le gouverneur général n'aurait pas le droit de dire non.
    Exactement — en ce qui concerne la prorogation. Pour ce qui est de la dissolution, là la situation serait différente, en raison des conséquences possibles.
    Très bien. Dans ce cas, serait-il possible de modifier son action, c'est-à-dire les procédures que suivrait le premier ministre — lui ou elle — avant la tenue de la réunion officielle.
    Vous serait-il possible de limiter le pouvoir de prorogation de la Couronne, pouvoir qui est exercé sous l'influence du premier ministre?
    Je vois ce que vous nous dites; pour vous, c'est un lien très étroit. Au fond, vous nous dites que tout ce que nous essaierions d'imposer au premier ministre signifierait que nous…
    Non.
    Dans ce cas, je ne vous suis pas.
    Seriez-vous en mesure d'imposer certaines limites? La réponse est oui. C'est ce que j'ai dit à M. Proulx tout à l'heure. Mais votre capacité d'encadrer ce pouvoir est tout de même limité. Toute limite que vous envisageriez d'imposer ne devrait pas être excessive, car si vous allez trop loin, vous modifiez la nature même du pouvoir à un point tel qu'il ne s'agit plus d'une prérogative. Où se situe la ligne de partage? Eh bien, elle est très difficile à tracer. Où se situe la frontière entre ce que vous pouvez faire et ce que vous ne pouvez pas faire? C'est difficile à dire.
    Donc, pourriez-vous imposer des limites? La réponse est oui, selon moi, comme je l'ai dit tout à l'heure à M. Proulx. Mais il y a tout de même une limite à ce que vous pouvez faire pour ce qui est d'encadrer…
    Pourriez-vous nous donner un exemple de ce que nous pourrions faire?
    Si vous interdisez le recours au pouvoir de prorogation pour une certaine période, à mon avis, ce serait contraire à la nature même de cette prérogative. Une prérogative est un pouvoir qui est exercé en toute liberté par la Couronne, c'est-à-dire le premier ministre. Donc, si vous limitez la période pendant laquelle le pouvoir de prorogation peut s'exercer, vous allez trop loin.
    Je vais manquer de temps, et c'est pour cela que je vous interromps; veuillez m'en excuser.
    Cela va se produire très bientôt.
    Oui, je m'en doutais.
    Ce n'est pas ce que je préconise, mais la motion qui est à l'origine de cette étude se lit ainsi:
Que, de l'avis de la Chambre, le premier ministre ne recommande pas au gouverneur général de proroger la session d'une législature de plus de sept jours civils sans une résolution expresse de la Chambre des communes en ce sens.
    Est-ce l'un des moyens d'intervention que le Parlement pourrait envisager de prendre ou, en ce qui vous concerne, une telle mesure dépasserait-elle les limites?
    Je n'ai pas eu le temps de l'examiner en profondeur, mais je dirais a priori qu'elle va peut-être un peu trop loin.
(1200)
    Vraiment? Puisque vous me dites qu'on ne peut pas faire cela, à votre avis, que pouvons-nous faire?
    Comme l'a fait remarquer M. Proulx, il peut y avoir des conséquences lorsque le pouvoir de prorogation est exercé. Vous pourriez dire, par exemple, que si le gouvernement exerce son pouvoir de prorogation, il va y avoir telle ou telle autre conséquence, encore que ces conséquences vont suivre la prorogation. Par contre, si vous voulez limiter la capacité du gouvernement de proroger le Parlement, vous devez nécessairement bien encadrer le pouvoir à proprement parler. Mais personne ne peut en être tout à fait certain.
    Vous avez dit au départ, si je vous ai bien compris, que bon nombre d'experts s'entendent à reconnaître que ce pouvoir est protégé aux termes du paragraphe 41a) de la Loi constitutionnelle de 1982, là où il est question de « la charge de Reine, celle de gouverneur général et celle de lieutenant gouverneur ». Je parle toujours du pouvoir de prorogation.
    S'il est vrai que bon nombre d'experts s'entendent à reconnaître que ce pouvoir est protégé aux termes du paragraphe 41a), cela signifie que c'est un pouvoir inscrit dans la Constitution. Mais s'il est inscrit dans la Constitution, où se trouve-t-il au juste? Et s'il est inscrit dans la Constitution, quelles en sont les limites précises? Voilà la question que je soulève devant le comité.
    J'estime, personnellement, que ce pouvoir jouit d'une protection constitutionnelle implicite. Si cela est vrai, comment le Parlement peut-il limiter la Constitution du Canada? Voilà la question fondamentale qui se pose. Et s'il peut le faire, jusqu'à quel point peut-il le faire?
    Merci.
    Le temps prévu pour entendre ce témoin est maintenant écoulé. Je veux bien qu'il y ait une ou deux autres questions par des membres, mais sachez que cela va nécessairement réduire le temps que nous pourrons consacrer au prochain témoin. Il faudra que j'essaie d'être juste envers tous.
    Je vous demande donc de vous en tenir à des questions et des réponses très rapides.
    Madame Jennings, vous avez la parole.

[Français]

    Sauf erreur, en ce qui a trait à la possibilité de limiter le pouvoir, de votre point de vue, ce n'est pas possible, mais le Parlement peut décider que, dans telle ou telle circonstance, il y aurait telle ou telle conséquence. Le conseiller juridique du Parlement est justement venu nous dire ça. Au lieu d'invoquer un règlement de la Chambre qui dit que le premier ministre ne peut demander la prorogation sans avoir rempli telle ou telle condition, le Parlement pourrait plutôt dire quelle serait la conséquence si jamais le premier ministre demandait la prorogation sans avoir fait ça.
    Dans votre esprit, cela pourrait peut-être contrer un peu a fragilisation du Parlement, de sorte que le Parlement, comme on le dit en anglais,

[Traduction]

montre son pouvoir. On dit que vous pouvez faire ce que vous voulez, mais on vous prévient aussitôt que, si vous faites des choses qui ne nous plaisent pas, il y aura un prix à payer.

[Français]

    Oui, exactement. Je pense donc que certaines limites peuvent être imposées, comme celles dont a parlé M. Proulx. Des conséquences pourraient ultérieurement découler de l'exercice du pouvoir de prorogation. Il pourrait y avoir aussi d'autres limites acceptables, encore une fois, sous réserve que ça ne dénature pas la prérogative.
    Comme quoi?
    On devra examiner jusqu'où on peut aller. Je n'ai pas d'idées précises. Honnêtement, ça ne peut pas en venir, à mon avis, à émasculer la prérogative ou à éliminer le caractère discrétionnaire de la prérogative.
    Si je vous dis, madame, que je vous donne la prérogative de décider qui, ici, aura le droit de quitter, je présume que je vous donne une discrétion.

[Traduction]

    Le terme « prérogative » suppose la liberté de choix, selon moi. S'il n'y a pas de liberté de choix, il n'y a pas de prérogative. Et si la prérogative est protégée par la Constitution, il s'ensuit que cette liberté de choix l'est tout autant. Dans ce cas, une loi du Parlement ne saurait limiter cette liberté de choix ou pouvoir discrétionnaire.
    Je vous remercie.
    Monsieur Lukiwski.
    Merci, monsieur le président.
    Professeur, merci infiniment de votre présence. La discussion a été tout à fait fascinante jusqu'ici, mais le fait est que, après une heure d'observations, j'ai encore plus de questions que de réponses.
    Une de mes questions — qui découle de certaines observations selon lesquelles il pourrait y avoir des conséquences pour le gouvernement — concerne la mesure dans laquelle le pouvoir de prorogation devrait être exercé de façon inconsidérée, si je peux l'exprimer ainsi.
    J'en reviens à ce que vous avez dit au départ, à savoir que le gouvernement a trois fonctions principales. Premièrement, celle de faire adopter des lois. Mais quand vous parlez de l'imposition éventuelle de limites qui prendraient la forme de conséquences, ne pensez-vous pas que si les conséquences en question empêchaient le gouvernement de faire adopter des lois, cela irait trop loin par rapport aux limites qui, d'après vous, pourraient éventuellement être envisagées…?
    Non, je ne crois pas. D'après moi — et je peux me tromper — ce n'est pas le gouvernement qui adopte les lois; c'est le Parlement lui-même.
    Mais si le Parlement n'avait pas la possibilité de le faire…? Par exemple, l'une des possibilités qu'a mentionnées M. Christopherson, et qui a été évoquée devant le comité, concernait d'éventuelles conséquences pour le premier ministre, s'il exerçait son pouvoir de façon inconsidérée, soit qu'il ne puisse pas déposer des projets de loi pendant un certain temps. À votre avis, une telle mesure n'aurait-elle pas pour conséquence d'enfreindre le pouvoir du gouvernement et du Parlement d'adopter des lois?
    C'est difficile à dire. Je n'ai pas approfondi la question. Je dirais que, si le Parlement le décide, il serait peut-être possible de limiter le pouvoir de déposer des projets de loi. Mais il faudrait approfondir la question car, selon une disposition de la Loi constitutionnelle de 1867, seul le gouvernement peut proposer certains types de projets de loi. Ainsi on pourrait faire valoir que cette disposition protège le droit du gouvernement de déposer des projets de loi. Si tel est le cas, et si vous limitez l'exercice de ce droit, vous agissez contrairement à la Constitution. Donc, il faudrait étudier tout cela en profondeur.
    Voilà le message que je cherche à vous transmettre aujourd'hui: contrairement à bon nombre de citoyens canadiens qui voudraient qu'on interdise la prorogation et que le gouvernement actuel paie le prix d'une pratique qui existe depuis des années au Canada, je dis qu'il faut faire très attention. Il ne faut pas aller trop loin en décidant d'interdire ou de limiter le pouvoir de prorogation; en même temps, il faut essayer de trouver le moyen de rétablir l'autorité du Parlement par rapport à celle du gouvernement. Si le fait d'encadrer le pouvoir de prorogation permet de rétablir l'autorité du Parlement par rapport à celle du gouvernement, il convient effectivement d'examiner cette possibilité, mais il faut le faire de façon parfaitement objective. Voilà ce que je pense.
(1205)
    Je vous remercie.
    Très bien. Merci.
    La discussion de ce matin a été fascinante. Professeur, si le comité le désire, il faudra peut-être vous rappeler à un moment donné pour répondre à d'autres question ou, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, nous vous ferons peut-être parvenir une lettre en vous posant d'autres questions. Je vous remercie de votre présence parmi nous aujourd'hui, et surtout des renseignements fort utiles que vous nous avez fournis.
    Monsieur le président, permettez-moi de vous remercier de m'avoir reçu. Si jamais vous êtes saisi d'un projet de loi, je serais ravi de l'étudier avec vous.
    Donc, vous souhaitez revenir. Très bien. C'est parfait. Vous êtes invité.
    Nous allons maintenant suspendre nos travaux pendant une minute, pour permettre à l'autre témoin de s'installer.

    Nous allons reprendre immédiatement nos travaux, de façon à consacrer autant de temps que possible au professeur Franks.
    Nous sommes très heureux de vous accueillir parmi nous aujourd'hui. C'est toujours un privilège de vous recevoir. Vous avez entendu certaines des observations du professeur Pelletier. Je sais que le monde serait bien ennuyeux si tout le monde était toujours d'accord sur tout, et j'espère donc que vous allez rendre notre monde un peu moins ennuyeux aujourd'hui.
    Je vais vous donner l'occasion de faire des remarques liminaires. Je précise, cependant, qu'il est préférable qu'elles soient brèves, car les députés pourront poser davantage de questions si vous êtes bref. Si vous ne l'êtes pas, nous allons tout de même apprendre bien des choses; donc, l'un ou l'autre scénario me convient.
    Je vous cède dont la parole, et je vous remercie encore de votre présence.
(1210)
    Les observations du professeur Pelletier m'ont beaucoup intéressé, même si je ne suis pas d'accord avec certaines d'entre elles. Dans le contexte de mes propres remarques, je vais essayer de vous expliquer pourquoi.
    J'ai préparé un texte écrit qui, me semble-t-il, est en train d'être traduit et de vous être distribué.
    Oui, nous l'avons reçu, mais la traduction n'est pas encore terminée; par conséquent, nous ne pouvons pas le distribuer aujourd'hui. Les membres du comité le recevront à un moment donné, mais probablement pas aujourd'hui.
    Très bien. Mais je peux tout de même vous en lire des extraits, n'est-ce pas?
    Oui, vous pouvez certainement nous en lire des extraits.
    Je commence par préciser que la prorogation n'est pas un mot à proscrire. La prorogation est au contraire un outil nécessaire et utile pour mettre fin à une session du Parlement et en commencer une nouvelle entre les élections générales. Ensuite j'explique en quoi consiste la prorogation.
    J'établis une distinction entre la prorogation et l'ajournement, car j'ai l'impression qu'on confond souvent les deux et que le sens précis de chacun est mal compris. Par le passé et encore aujourd'hui, l'ajournement relève du contrôle de la Chambre des communes, alors que la prorogation est autorisée par le gouverneur général, c'est-à-dire la Couronne, sur l'avis du premier ministre.
    Quand a-t-on abusé de la prorogation et pourquoi l'a-t-on fait? Là aussi, je dirais qu'il existe une certaine confusion, et vous me permettrez donc, je l'espère, d'approfondir cette question. En 1873, Sir John A. MacDonald, premier ministre, craignant un vote de censure au sujet du scandale du Pacifique, pria le gouverneur général, Lord Dufferin, de proroger le Parlement afin d'éviter un vote de confiance.
    Dufferin réfléchit longuement et consulta de nombreux experts, notamment au sein du gouvernement britannique. Après moult délibérations, Dufferin accorda à MacDonald la prorogation, mais la limita à 10 semaines, rattachées à la fin de la période d'ajournement estival. Ainsi le Parlement ne siégea pas entre le 25 mai et le 12 octobre de cette année. Lorsque la Chambre se réunit de nouveau, MacDonald faisait toujours face à un vote de confiance. Constatant qu'il perdait encore des appuis, il démissionna le 5 novembre.
    Sir Alexander Mackenzie assuma les fonctions du premier ministre deux jours après, puis demanda et obtint la prorogation du Parlement le même jour. Sans même se réunir de nouveau, la deuxième législature du Canada fut dissoute le 2 janvier 1874 et il fut tenu le 22 janvier des élections générales que remporta aisément Mackenzie. Le premier ministre MacDonald abusa de la prorogation pour éviter un vote de confiance, mais la sanction ne fut que reportée et non pas évitée. Comme vous le savez, Mackenzie n'a pas gardé longtemps son poste de premier ministre. On disait de lui que son plus grand atout comme premier ministre était ses antécédents de maçon et que sa plus grande faiblesse comme premier ministre était également ses antécédents comme maçon.
    En novembre 2008, le premier ministre Harper, peu après des élections et après une session d'à peine 13 jours, faisait face à un vote de confiance imminent qu'il aurait probablement perdu. Les trois partis de l'opposition, qui détenaient en Chambre une majorité des sièges, s'étaient engagés publiquement à soutenir un gouvernement de coalition composé du Parti libéral du Canada et du Nouveau Parti démocratique; pourtant, la gouverneure générale, Michaëlle Jean, accéda à la requête de M. Harper. Les experts ne s'entendent pas quant à savoir si la gouverneure générale a pris la bonne décision, au regard des traditions et des pratiques constitutionnelles. Le Parti libéral avait un nouveau chef et l'unité des trois partis de l'opposition s'était désintégrée au moment où débuta la nouvelle session fin-janvier 2009.
    Je devrais peut-être préciser tout de suite que je suis d'accord avec ceux qui estiment qu'elle a pris la bonne décision.
    En décembre 2009, pendant la période d'ajournement du Parlement, le premier ministre Harper demanda la prorogation de la session. Cela ressemblait à une manoeuvre stratégique de la part de M. Harper pour obtenir la majorité au Sénat, et ce dernier a ainsi repoussé à plus tard les critiques concernant le dossier des détenus afghans, qui revinrent toutefois avec plus de rigueur lors de la rentrée parlementaire en mars 2010. Cette dernière prorogation n'a pas soulevé de grandes questions constitutionnelles, mais elle a suscité de nombreuses questions au sujet de l'exercice et de l'abus du pouvoir du premier ministre de contourner ou d'éviter l'action du Parlement en priant le gouverneur général de proroger le Parlement. Et, bien entendu, c'est la raison pour laquelle nous nous réunissons aujourd'hui pour en discuter.
    Il y a une chose sur laquelle je voudrais insister, et c'est l'ajournement de novembre 2003, alors que le premier ministre Chrétien était au pouvoir. À cette époque, pendant que la session était ajournée, le premier ministre Chrétien pria le gouverneur général de proroger le Parlement. Ce geste est fréquemment présenté comme un abus car, selon certains, il aurait permis à M. Chrétien d'éviter de devoir accepter le rapport du vérificateur général sur l'affaire des commandites. À ce moment, M. Chrétien n'avait aucune raison de proroger la session pour empêcher le dépôt du rapport du vérificateur général, car la session avait déjà été ajournée. Des rapports ne peuvent être déposés devant un Parlement qui ne siège pas. Il est fort probable que l'ajournement hâtif de la session — qui aurait normalement dû être prononcé un mois plus tard, soit en décembre — visait à retarder le dépôt du rapport du vérificateur général, ce que la prorogation ne pouvait pas faire et n'a pas fait… M. Martin remplaça M. Chrétien au poste de premier ministre le 12 décembre 2003, pendant la période de prorogation. La prorogation visait presque assurément à faciliter le changement de premier ministre et à permettre au nouveau premier ministre, Paul Martin, de commencer en faisant table rase. Selon moi, elle n'avait donc rien à voir avec le moment du dépôt du rapport du vérificateur général.
    Cette prorogation suivait les procédures parlementaires. Elle n'a pas soulevé à l'époque, et elle ne soulève toujours pas aujourd'hui à mes yeux, de questions constitutionnelles ou autres liées à l'abus du pouvoir de prorogation. Je voulais simplement apporter cette précision.
(1215)
    Voilà donc une question qu'on peut se poser: est-ce que le Parlement a le pouvoir constitutionnel de limiter le recours à la prorogation par le premier ministre en légiférant ou par d'autres moyens? C'est là que je ne suis pas nécessairement d'accord avec les observations de certains des témoins que vous avez reçus.
    Cette question a été soulevée en rapport avec les problèmes éprouvés récemment au Canada; il a été prétendu que la prorogation est une prérogative de la Couronne qui ne peut être limitée par le Parlement. Or cette prémisse est erronée.
    Le Parlement britannique a adopté des lois à plusieurs reprises pour limiter le recours à la prorogation. En 1640, lorsque le Parlement et le roi Charles Ier s'affrontait pour une question de taxation, le Parlement adopta une loi qui empêchait sa dissolution ou sa prorogation sans son consentement. Cette loi stipulait:
[…] que ce Parlement-ci assemblé ne peut être dissous sauf par une loi du Parlement adoptée à cette fin; ni ne doit, à tous moments pendant son existence, être prorogé ou ajourné, à moins que ce soit par une loi du Parlement également adoptée à cette fin.
    Le Parlement abusa de ce pouvoir en continuant à siéger pendant encore neuf ans sans être dissous — ce fut le Long Parlement de triste mémoire. Peu importe de savoir si le Long Parlement fut un abus pire que de voir Charles Ier gouverner l'Angleterre en monarque absolu en l'absence du Parlement pendant les 11 années précédentes. Le fait est que le Parlement britannique affirma son droit constitutionnel fondamental de mener ses propres affaires en décidant à ce moment que lui, et lui seul, pouvait déterminer le moment où il pouvait être dissout ou prorogé. Ce fut simplement une affirmation du pouvoir constitutionnel. Le monarque britannique conserve encore à ce jour le pouvoir de proroger le Parlement, mais ce pouvoir, comme au Canada, doit être exercé sur l'avis du premier ministre.
    Quoi qu'il en soit, le Parlement britannique n'a pas été réticent à adopter des lois pour encadrer le pouvoir de prorogation. En 1867 puis en 1918, il adopta des lois garantissant que la période de prorogation après des élections — c'est-à-dire, en jargon canadien, après le retour des brefs — serait suffisamment longue pour permettre aux députés d'assister à l'inauguration de la nouvelle législature. Ce fut particulièrement important en 1918, car la loi donna aux députés qui étaient membres des forces armées le temps de revenir en Angleterre de l'étranger.
    L'article II.18 de la Loi constitutionnelle de 1867, modifiée, stipule que le Parlement du Canada a les pouvoirs que le Parlement britannique avait en 1867:
18. Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada; mais de manière à ce qu'aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoirs ne donnera aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de la passation de la présente loi, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande et par les membres de cette Chambre.
    Le Parlement britannique a légiféré au sujet de la prorogation en 1867 et en 1918. Le Parlement du Canada possède donc également ce pouvoir. La prorogation n'est plus un sujet de désaccord en Grande-Bretagne depuis des siècles. Les sessions parlementaires continuent de se dérouler selon un calendrier annuel, et le Parlement britannique est normalement prorogé, comme cela se passait jadis au Sénat du Canada, dans le cadre d'une cérémonie à la Chambre des lords, au cours de laquelle la reine ou son représentant énumère les réalisations de la session et annonce la date de la rentrée parlementaire.
    La période de prorogation en Grande-Bretagne est d'environ une semaine et arrive durant l'automne. La longue relâche estivale, et non la prorogation, est la pause qui rafraîchit le Parlement et les parlementaires britanniques.
    Je voudrais insister sur l'élément suivant car, à mon avis, il fait l'objet d'une certaine confusion. Ce pouvoir du Parlement de légiférer au sujet de la prorogation n'influe pas sur les pouvoirs de réserve de la Couronne. La gouverneure générale, Michaëlle Jean, aurait exercé ses pouvoirs de réserve si elle avait refusé l'avis du premier ministre Harper de proroger la session en 2008.
    Les pouvoirs de réserve de la Couronne ne sont pas définis. Mais leur simple existence confirme le fait qu'il peut être dans l'intérêt national, en de rares occasions, qu'un monarque britannique ou un gouverneur général canadien ne tienne pas compte de l'avis du premier ministre ou agisse à son encontre ou encore prenne une initiative sans égard à l'avis ou à l'absence d'avis du premier ministre. En d'autres termes, les lois adoptées sur la prorogation en Grande-Bretagne n'influent aucunement sur ces pouvoirs de réserve, et il en va de même pour le Canada.
(1220)
    Si la Grande-Bretagne devait vivre une longue période de ce que les Britanniques qualifient de « hung Parliament » et les Canadiens, de gouvernement minoritaire, un premier ministre britannique, à l'image de Stephen Harper, pourrait fort bien être tenté de recourir à la prorogation en guise de tactique politique. Le Parlement britannique devrait alors décider, comme devrait également le faire le Parlement canadien, d'imposer des restrictions aux pouvoirs du premier ministre de recourir à la prorogation.
    Quelles sont les options de réforme? Le Parlement a le pouvoir de définir les circonstances dans lesquelles une session parlementaire peut être prorogée et les conditions et modalités de la prorogation. La solution la plus simple consisterait probablement, pour le Parlement, à définir dans une loi les modalités, les conditions et les circonstances dans lesquelles le premier ministre peut conseiller au gouverneur général de proroger la session.
    Si on essayait de limiter le pouvoir du premier ministre de demander la prorogation par une motion, on risquerait de pousser un premier ministre réfractaire à considérer que la motion a simplement valeur consultative et n'est pas exécutoire.
    Voici donc quelques options qui consistent en des mesures de plus en plus lourdes:
    Premièrement, ne rien faire. Avec seulement trois prorogations litigieuses en plus de 140 ans, le problème n'est certes pas le plus pressant au Canada. En revanche, avec deux prorogations litigieuses en moins de deux ans, et la perspective d'autres Parlements et gouvernements minoritaires, il semblerait opportun de procéder à l'examen de la prorogation dans tous ses aspects.
    Je devrais ajouter que, quoi que fasse le Parlement, la conséquence ultime des actes du gouvernement se situe au niveau de l'opinion de l'électorat. Je pense qu'il faut garder à l'esprit, en envisageant de réformer quelque peu l'appareil constitutionnel, et plus précisément le mécanisme de la prorogation, qu'en fin de compte, ce sont les électeurs qui porteront un jugement sur la conduite du gouvernement. Souvent il convient de s'incliner devant le jugement des électeurs.
    Deuxièmement, il serait possible d'empêcher que le Parlement soit prorogé avant que la session ait duré une période donnée. Cette solution a ses attraits, mais elle risque d'empêcher qu'un Parlement ait de courtes sessions, ce qui est parfois utile. Par exemple, pendant la première session de la 34e législature, en 1988-1989, la Chambre des communes a siégé pendant seulement 11 jours et un seul projet de loi a été présenté par le gouvernement. Ce projet a obtenu la sanction royale; or cette loi, sur l'Accord de libre-échange avec les États-Unis, avait été, et de loin, le plus important sujet de la dernière campagne électorale. Selon moi, cette courte session était appropriée, et il en va de même pour le recours à la prorogation.
    Troisièmement, limiter la durée de la prorogation. En théorie, la Loi constitutionnelle de 1867 n'empêche pas un gouvernement de terminer une session tôt une année et de reporter tard l'année suivante le début de la session suivante. Autrement dit, en théorie, la Constitution permet au Parlement de cesser ses activités pendant près de deux ans.
    La cinquième session de la 18e législature, de 1936 à 1940, ne dura que six jours et la sixième session ne dura qu'une journée — la Chambre se réunit et la session fut ajournée le jour-même, le 25 janvier 1940. Autrement dit, entre le 3 juin 1939 et le 16 mai 1940, une période de plus de 11 mois, la Chambre des communes ne siégea que sept jours. Le Canada déclara la guerre à l'Allemagne le 10 septembre 1939, au cours de la session de six jours de septembre 1939.
    Pendant le reste de cette période cruciale, le Canada fut gouverné sans le concours du Parlement. Cette absence pendant une période critique de l'histoire, au moment où le Canada se mobilisait pour la Seconde Guerre mondiale, ne souleva pas beaucoup d'indignation ni de contestations à l'époque. La session de moins d'une journée du 25 janvier 1940 fut tenue dans le seul but de faire en sorte que le Parlement se réunisse au moins une fois pendant cette année.
    Quatrièmement, on pourrait exiger l'appui de la Chambre des communes pour une prorogation. Le pouvoir discrétionnaire de demander la prorogation pourrait être retiré au premier ministre et donné à la Chambre des communes. En d'autres termes, le Parlement pourrait légiférer pour que le premier ministre ne puisse conseiller au gouverneur général de proroger le Parlement que lorsque la Chambre a adopté une motion en ce sens. Si la Chambre est ajournée et ne siège pas au moment où le premier ministre veut proroger une session — ce qui s'est produit fréquemment par le passé — l'avis en faveur de la prorogation devrait être appuyé par les chefs des partis représentant la majorité des députés de la Chambre des communes.
    Je pourrais continuer, mais je vais m'arrêter là, en insistant sur le fait que le mécanisme de la prorogation ne doit pas être examinée en vase clos. Le régime parlementaire au Canada est en proie à des difficultés en raison des importantes pressions qui s'exercent sur lui et des nombreuses fonctions et activités qui s'y déroulent. L'exercice et l'abus du pouvoir de prorogation n'est qu'un moyen parmi d'autres pour un gouvernement de réagir face à ces pressions. Bon nombre des contraintes — mais non toutes — dont on parle sont le résultat d'une succession de Parlements minoritaires. À mon avis, la Grande-Bretagne suit avec grand intérêt ce qui se passe actuellement au Canada afin d'apprendre et éventuellement de profiter de notre expérience.
    Je vous remercie, monsieur le président.
(1225)
    Si j'avais su qu'on nous suivait de cette façon, j'aurais mis un plus beau costume.
    Des voix: Oh, oh!
    Le président: Madame Jennings, c'est vous qui allez entamer le prochain tour. Merci.
    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie de votre exposé, monsieur Franks. J'apprécie la clarté de vos arguments, et surtout le fait que vous n'êtes pas d'accord avec ceux qui prétendent que le Parlement ne peut limiter d'aucune façon le pouvoir discrétionnaire du premier ministre de demander la prorogation du Parlement, soi-disant qu'une telle limite serait inconstitutionnelle — encore une fois, selon ceux qui soumettent que nous n'avons pas ce droit en citant l'exemple du Parlement de Westminster, alors que ce dernier a au contraire adopté des lois pour que cela puisse se faire.
    Étant donné que vous croyez que le Parlement peut effectivement encadrer le pouvoir discrétionnaire du premier ministre de conseiller au gouverneur général d'exercer ses pouvoirs de réserve et donc de proroger le Parlement, pensez-vous qu'il faut dans ce cas procéder par voie législative, ou serait-il possible de passer par le Règlement de la Chambre des communes — ou éventuellement, une combinaison des deux?
    En temps normal, je dirais que le Règlement suffirait, étant donné que ce dernier établit les règles du Parlement et qu'il doit donc être respecté. Ce n'est pas toujours le cas. C'est pour cette raison que j'ai déclaré tout à l'heure que, si le Parlement décide de faire quelque chose, il devrait plutôt opter pour la voie législative.
    Pour aller jusqu'au bout de ma logique, je dirais également que, à mon avis, si vous optez pour la voie législative, de toucher un peu à tout. Les exemples que j'ai cités de sessions longues, de sessions courtes, et de périodes de prorogation à la fois longues et courtes indiquent bien, selon moi, qu'une loi ne peut englober toutes les circonstances possibles et imaginables. Il faut s'en remettre au jugement des responsables pour régler les détails. C'est pour cela que je dis qu'il faut une loi, d'une part, et que la majorité des députés appuient la décision de proroger le Parlement, d'autre part.
    Je ne suis pas sûr que ce soit nécessairement la solution idéale, mais à mon avis, il ne faut pas employer le mécanisme du Règlement de la Chambre.
    Très bien. Merci.
    Nous avons aussi reçu le professeur Peter Russell. Ce qu'il nous a dit entre autres, c'est qu'une bonne partie de ce qui se produit au sein de notre démocratie parlementaire est régie par des conventions constitutionnelles qui n'existent pas nécessairement sous forme écrite. À son avis, le mécanisme idéal pour un Parlement souhaitant se prononcer sur la question de la prorogation, dès lors qu'elle se poserait, serait une convention constitutionnelle ayant l'appui de tous les partis.
    À mon avis, il ne s'agirait pas d'une convention.
    Il me semble que j'ai correctement présenté son opinion, telle qu'il l'a exprimée.
    Oui, mais il ne suffit pas de dire « c'est une convention » pour que la procédure en question ait cette valeur-là. Au fond, vous dites « nous estimons que telle procédure devrait constituer une convention ». Mais cela ne veut pas dire que c'est le cas.
    À ce chapitre, je vais citer les propos d'un député britannique qui a dit — et à mon avis, cela s'applique justement à ce que vous décrivez: « La Constitution, c'est ce qui se produit. »
    Très bien.
    Donc, même si vous ne recommandez pas de passer par le Règlement de la Chambre, vous acceptez que cette possibilité existe et que c'est un mécanisme auquel on pourrait éventuellement recourir. Si le Parlement ou la Chambre des communes décidait de passer par le Règlement, et étant donné que le Règlement a été élaboré et adopté par la majorité des députés et que les futurs premiers ministres seraient tenus de s'y conformer, pensez-vous qu'un ajout en ce sens au Règlement pourrait éventuellement devenir une convention constitutionnelle?
(1230)
    Oui, mais je vous ai cité des exemples — même si je n'ai pas lu tout mon texte — de sessions qui avaient duré moins d'une journée. Je vous ai également cité des exemples de périodes de prorogation qui ont duré un an. Si je voulais vous donner des exemples de sessions ayant eu différentes durées, je pourrais vous citer des cas de sessions qui ont duré plus de trois ans ou, encore une fois, moins d'un jour.
    Mon esprit se paralyse à l'idée de rédiger un Règlement qui autoriserait une prorogation à la suite d'une session d'un jour ou qui durerait presque un an, ou encore des sessions qui durent moins d'un jour ou plus de trois ans.
    À un moment donné, il faut bien se rendre à l'évidence qu'il est impossible de préciser toutes les possibilités et toutes les raisons qui pourraient influencer la situation.
    Dans ce cas, ne pourrait-on pas simplement inscrire au Règlement une disposition prévoyant simplement, et en termes généraux, que si le premier ministre n'a pas consulté la Chambre des communes avant de prier le gouverneur général de proroger le Parlement, la première question à l'ordre du jour, dès la rentrée parlementaire, sera une discussion ou un débat sur la question?
    Oui, tout à fait, et de telles possibilités existent. À ce moment-là, vous ne limitez pas le droit ou le pouvoir du premier ministre — appelez ça comme vous voulez — de recommander la prorogation; il s'agirait simplement d'insister sur le rôle de la Chambre des communes pour ce qui est d'obliger le premier ministre à assumer la responsabilité et les conséquences de ses actes. Selon moi, ce n'est pas une mesure qui prêterait à controverse. Mais il faut bien comprendre que cela n'aurait aucune incidence sur l'exercice du pouvoir de prorogation à proprement parler. Dans ce cas-là, vous vous contenteriez d'inscrire quelque chose au Feuilleton de la Chambre des communes.
    Il vous reste 30 secondes, si vous les voulez.
    Non, ça va.
    C'est excellent.
    Je crois que c'est encore une fois à M. Reid d'intervenir.
    Merci.
    Professeur Franks, je voudrais revenir dans quelques instants sur l'article 18 de l'Acte d'Amérique du Nord britannique. Mais, s'agissant de conventions et la façon de les établir, je voudrais, tout d'abord, postuler deux scénarios qui auraient pu se présenter au cours de la première semaine suivant la reprise des travaux de la Chambre au début de 2009 ou de 2010.
    Supposons que, moins d'une semaine après la reprise des travaux, une motion de censure soit déposée. Cette motion dit que, attendu qu'il était illégitime de proroger le Parlement afin de faire ce que le premier ministre voulait faire, le gouvernement a perdu la confiance de la Chambre des communes. À ce moment-là, si la majorité des députés appuient la motion, des élections sont déclenchées. Les électeurs élisent un gouvernement qui n'est pas un gouvernement conservateur — il pourrait s'agir d'un gouvernement libéral, minoritaire ou majoritaire, ou d'un autre scénario. À mon avis, après une telle expérience, on pourrait conclure à l'existence d'une convention en bonne et due forme.
    En revanche, s'il y a des élections et un gouvernement conservateur est réélu, pour moi, cela voudrait plus ou moins dire qu'il n'existe pas de telle convention.
    Donc, pour ce qui est de déterminer à quel moment une convention est effectivement établie, ces scénarios vous semblent-ils raisonnables?
    Il existe une expression qui me semble apte, si j'arrive à m'en souvenir: une hirondelle ne fait pas le printemps. Selon moi, une motion votée par le Parlement n'établit pas une convention.
    Mais je rappelle qu'il y aurait déjà eu des élections, et que les électeurs auraient pu exprimer une opinion…
    Non, je ne crois pas non plus que ce sont les électeurs qui établissent les conventions. Il s'agit de quelque chose de beaucoup plus complexe que cela.
    Ces questions sont de nature telle qu'elles peuvent être abordées de plusieurs façons différentes. En général, les conventions sont imprécises. Par contre, il y en a un certain nombre qui sont assez précises. Par exemple, si un gouvernement perd un vote qui est présenté comme un vote de confiance — il s'agit justement d'une convention — à ce moment-là, le gouvernement doit soit démissionner, soit déclencher des élections en dissolvant la Chambre. À mon sens, il ne peut y avoir de règle plus stricte, et c'est un mécanisme très simple. Mais quand les gens vont aux urnes, je ne crois pas qu'ils votent en songeant à la prorogation; ils votent en fonction du bilan complet du gouvernement.
    Il faut dire qu'il ne s'agit pas — comme on disait autrefois en Russie — de la classe ouvrière qui fait front commun en s'insurgeant contre le recours abusif à la prorogation par le gouvernement. D'ailleurs, il n'y a pas de front commun au sein de notre classe ouvrière. Et je soupçonne qu'il existe encore un assez grand nombre de Canadiens, et probablement même d'élus, qui ignorent les subtilités techniques du mécanisme de la prorogation.
(1235)
    Pour vous dire la vérité, je pensais que vous alliez dire que mon hypothèse vous semblait valable.
    En fait, elle présente l'essentiel de ce que j'essayais de vous dire, à savoir que les conventions n'apparaissent pas comme par magie. Il est très difficile de les établir. Une convention ne s'établit pas simplement parce qu'un acteur du régime politique voudrait qu'elle soit établie; sa création suppose un accord plus général parmi les intéressés.
    Certaines conventions peuvent être appliquées par les tribunaux, et je pense que ce serait justement le cas de la convention concernant la confiance de la Chambre. Mais de nombreuses conventions correspondent tout simplement à ce qu'on pourrait appeler un condensé des opinions d'experts sur ce qui s'est produit par le passé, si bien qu'elles peuvent être contestées. C'est la raison pour laquelle j'insiste sur le fait que le Parlement du Canada détient le pouvoir, selon moi, d'adopter une loi sur la prorogation qui en définirait les modalités, mais qu'en même temps, d'autres personnes ont l'opinion inverse.
    J'ai une dernière question à vous poser. Il me reste moins d'une minute pour la poser et pour obtenir votre réponse.
    L'article 18 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, que vous avez cité tout à l'heure, concerne les privilèges, les immunités et les pouvoirs que possède le Parlement du Canada, le Sénat et la Chambre des communes et établit un lien direct entre ces pouvoirs et ceux que détenait le Parlement britannique autour de 1867, lors de l'adoption de la loi en question. Vous avez expliqué le rapport entre cela et l'adoption de lois du Parlement régissant le pouvoir de prorogation. Notre premier témoin a laissé entendre qu'on pourrait éventuellement recourir au Règlement de la Chambre pour refuser au gouvernement le droit de déposer certains types de projets de loi si, de l'avis du Parlement, ce dernier avait abusé du pouvoir de prorogation avant la reprise des travaux parlementaires.
    Il me semble qu'une mesure qui viserait à limiter le pouvoir du gouvernement de déposer des projets de loi devant la Chambre des communes outrepasserait le pouvoir que détenait le Parlement britannique vers 1867, par l'entremise d'un règlement. Ce dernier n'aurait pas pu faire cela à ce moment-là, et il me semble qu'il ne pourrait donc pas le faire maintenant. Mais j'aimerais bien savoir si vous êtes d'accord ou non avec mon évaluation.
    Je dirais que c'est une démarche plus douteuse qu'une loi. Quand j'y songe, j'entrevois tellement de conséquences que cela m'inquiète. C'est un peu l'équivalent parlementaire d'un professeur qui dirait à son élève: « Va te mettre dans le coin et ne parle plus pendant deux heures. » Je ne pense pas que le Parlement désire que ses relations avec le gouvernement soit de cet ordre-là; en tout cas, j'espère que non.
    À la rigueur, le pays ne serait plus gouvernable en quelque sorte, et dans ce cas-là, il serait préférable de simplement voter la censure et de tenir des élections pour voir si les électeurs sont d'accord.
    Oui, je suppose. Encore une fois, je peux difficilement imaginer que la prorogation soit un grand enjeu électoral, mais en même temps, quand les gens votent… vous savez, il suffit de marquer un bout de papier, mais c'est néanmoins l'un des actes les plus complexes que nous accomplissons dans notre vie, car cet acte traduit toutes nos réflexions au sujet du gouvernement, de l'opposition et de tout le reste, de même que nos sentiments à l'égard de nous-mêmes, à l'égard du pays, et à l'égard de l'avenir — tout cela est réuni dans l'acte d'inscrire un « X » sur le bulletin de vote.
    La seule fois, selon moi, où on pourrait dire que les élections portaient surtout sur un enjeu étaient celles dont j'ai parlé tout à l'heure qui nous ont donné le gouvernement de Mulroney — c'est-à-dire les élections sur le libre-échange, mais même là, il n'y avait pas que le libre-échange comme enjeu électoral; la situation était plus complexe. Donc, je m'inquiète de la possibilité que des élections soient déclenchées sur la question de la prorogation car, si je devais énumérer les 20 questions qui préoccupent le plus les Canadiens, la prorogation n'en ferait pas partie.
    Merci, monsieur Reid.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Paquette, est-ce vous qui intervenez de nouveau?

[Français]

    D'abord, merci de votre présentation. J'ai bien hâte de lire le texte proprement dit.
    Puisque vous avez commencé votre présentation en disant que vous étiez à quelques égards en désaccord avec le professeur Pelletier, comment jugez-vous sa thèse voulant que le droit de prorogation, même pour le premier ministre, est protégé constitutionnellement de façon tacite, qu'il jouit d'une protection constitutionnelle tacite, et que c'est une composante de la séparation des pouvoirs entre l'exécutif et la Chambre?
    J'ai vu que vous étiez là, donc vous avez pu entendre les mécanismes dont dispose la Chambre et ceux dont dispose l'exécutif, le premier ministre. Parmi ces mécanismes, il en a identifié deux: la dissolution et la prorogation, qui sont intouchables sur le plan constitutionnel. Finalement, la seule façon d'encadrer le pouvoir de proroger — sa conclusion —, c'est par une modification constitutionnelle pleine et entière. Comment jugez-vous cela?
(1240)
    Absolument. Je ne suis pas d'accord avec le professeur Pelletier.

[Traduction]

    Si je ne suis pas d'accord avec lui, c'est parce que le Parlement britannique a déjà adopté des lois sur la prorogation, et selon mon interprétation de ces lois — je vous ai lu le libellé des trois lois en question — il n'y est pas du tout question des pouvoirs de la Couronne. Elles stipulent simplement qu'il n'y aura pas de prorogation.
    Ici au Canada, au lieu d'adopter une loi sur la prorogation, nous pourrions limiter le droit et le pouvoir du premier ministre de recommander une certaine ligne de conduite à la Couronne. J'indique dans mon mémoire que ce mécanisme ne présenterait pas de véritable danger; il reste que, selon mon interprétation des précédents britanniques, le Parlement britannique n'a jamais douté de son pouvoir de réglementer l'exercice du pouvoir de prorogation par voie législative. Il n'a jamais remis en question ce pouvoir. Il le détenait en 1867 et en 1918, et j'imagine qu'il est toujours convaincu de le détenir.

[Français]

    Ces législations ont-elles été contestées jusqu'en Cour suprême britannique?
    Elles n'ont jamais été contestées en Angleterre. Je n'ai aucun doute: ce sera contesté ici, au Canada.
    Oui, ça a l'air parti pour ça.
    J'aurais une dernière question. M. Mendes, le professeur Mendes, nous a suggéré en outre que le Président de la Chambre avait aussi un pouvoir constitutionnel tacite de conseiller le Gouverneur général ou la Gouverneure générale et qu'il pourrait donc se faire le porteur de la volonté de la Chambre, à savoir que la Gouverneure générale ne donne pas suite à la demande de prorogation.
     Croyez-vous que c'est quelque chose qui soit réel?
    C'est très intéressant.

[Traduction]

    Je dirais que non. Le gouverneur général peut demander conseil à qui il veut. La gouverneure générale, Michaëlle Jean, la gouverneure générale Clarkson avant elle et, je suppose, d'autres gouverneurs généraux ont demandé conseil à différentes personnes.
    Il y a, bien entendu, le représentant ou conseiller juridique officiel du gouverneur général, soit le professeur Peter Hogg, mais bien d'autres personnes sont consultées par des gouverneurs généraux. Il est évident que le gouverneur général pourrait demander conseil au Président de la Chambre. Il s'agit du titulaire d'un des postes de responsabilité les plus éminents qui sont reconnus dans notre Constitution.
    Mais si on parle de conseil officiel —c'est-à-dire, dans le sens à la fois constitutionnel et juridique — le premier ministre est la seule personne qui puisse conseiller le gouverneur général. Il s'agit d'une convention extrêmement puissante. Il est vrai que c'est une simple convention, mais en même temps, elle représente le fondement même de notre système de gouvernement responsable, du gouvernement qui exerce ses pouvoirs au sein du Parlement, la Couronne faisant partie intégrante du Parlement tout en constituant une entité distincte — c'est-à-dire l'incarnation de la Couronne en la personne du gouverneur général.
    Permettez-moi d'essayer de vous expliquer cela un peu différemment. Je ne doute aucunement que, face à une question comme la prorogation ou la dissolution du Parlement, les gouverneurs généraux demandent conseil à un grand nombre de personnes. Par exemple, si vous avez lu les mémoires d'Adrienne Clarkson, vous savez qu'elle y explique que, lorsque le premier ministre Martin a été réélu pour former un gouvernement minoritaire en 2004 ou 2005, le gouvernement et l'opposition avaient un nombre de sièges presque égal. Je crois que c'est au cours de cette législature-là que Peter Milliken, en sa qualité de Président de la Chambre, a dû départager les voix plus souvent que jamais auparavant — c'est-à-dire, depuis toujours, et pas seulement au cours du mandat d'un président en particulier.
(1245)

[Français]

    Je pense que ça fait 5 ans cette semaine. Ça passe vite, n'est-ce pas!

[Traduction]

    C'est formidable.
    Dans ses mémoires, elle dit qu'elle a réfléchi aux personnes à qui elle devrait demander conseil et qu'elle a consulté un grand nombre de personnes. Si le gouvernement de M. Martin avait été renversé peu de temps après la reprise des travaux de la Chambre, si bien qu'il aurait demandé la dissolution du Parlement pour être remplacé par un autre gouvernement qui aurait été prêt à gouverner, aurait-elle accédé à sa demande de dissolution ou aurait-elle refusé son conseil? Elle indique justement dans ses mémoires qu'elle avait décidé de refuser une demande de dissolution qui surgirait dans les quatre mois suivant la reprise des travaux parlementaires. Au-delà de ce délai, elle l'aurait acceptée.
    C'est une situation hypothétique, et un autre gouverneur général aurait peut-être tiré la même conclusion, mais il s'agit néanmoins d'une situation où un gouverneur général envisagerait de rejeter le conseil d'un premier ministre. Elle a consulté un grand nombre de personnes. De façon informelle, elle a profité des conseils ou des opinions des personnes à qui elle s'est adressée, même s'il ne s'agissait pas de conseils au sens constitutionnel.
    Donc, il faut bien comprendre que, dans ce contexte, le Président de la Chambre des communes lui ferait part de son opinion, mais que cette dernière ne correspondrait pas à un conseil constitutionnel.

[Français]

    Merci, monsieur Franks.

[Traduction]

    Monsieur Christopherson, vous avez la parole.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Professeur, je suis ravi de vous revoir.
    Pareillement.
    Je suis content d'avoir de nouveau l'occasion de travailler avec vous.
    Je vais profiter de votre présence pour vous poser une question très rapide, car il est possible que nous en arrivions là. Si une motion d'outrage est adoptée, peut-elle être jugée correspondre à un vote de censure? Certains se demandent comment il serait possible de dire, après avoir conclu qu'un gouvernement ou que certains ministres sont coupables d'outrage, que l'on continue d'avoir confiance dans le gouvernement. D'après certaines personnes, il serait possible de préciser dans la résolution qu'il ne s'agit pas d'une motion de confiance. En d'autres termes, si l'on voulait condamner le gouvernement pour outrage sans déclencher des élections, serait-il possible de faire cela ou cette première mesure entraîne-t-elle nécessairement la deuxième, qu'on le veuille ou non?
    Non. Je n'ai pas examiné les précédents historiques à ce sujet. J'ai l'impression que, si nous faisions des recherches poussées sur la question, nous constaterions que, au cours de l'histoire, des ministres de la Couronne avaient été trouvé coupables d'outrage ou l'équivalent — à cette époque, le mécanisme le plus couramment utilisé était celui de la destitution — sans que le gouvernement soit obligé de démissionner. Quant à savoir si c'est vrai pour un premier ministre, je ne saurais dire, mais d'après ce que nous avons pu comprendre, le poste de premier ministre est une innovation relativement récente — qui existe depuis moins de 200 ans.
    La réponse que je vais vous faire vous semblera très curieuse. De par leur nature, les motions de procédure ne sont pas des motions de confiance. Je vais vous donner un exemple d'une motion procédurale qui n'a jamais existé au Canada mais qui me semble souhaitable.
    Au fil des ans, j'ai constaté que la Loi d'exécution du budget ne cesse de devenir plus volumineuse et comprend même des éléments qui, parfois, ne sont même pas inscrits dans le budget. Le Sénat a d'ailleurs recommandé que la Loi d'exécution du budget soit scindée en plusieurs parties qui seraient ensuite renvoyées aux divers comités pour examen. Je suis d'avis qu'il faudrait effectivement faire cela. Il s'agirait alors d'une motion de procédure mais, selon moi, le vote sur la question ne serait pas un vote de confiance.
    Je devrais peut-être mentionner en passant que, si cette question suscite un certain émoi chez moi, c'est parce que je suis un canoéiste en eau vive passionné, et j'estime que celui de l'an dernier ne protège pas suffisamment les rivières avec rapides.
    Merci.
    Je vais passer directement à une question qui vous permettra, je l'espère, d'aborder tous les éléments pertinents. D'abord, je voudrais vous lire le texte d'une motion adoptée par la Chambre. Le voici:
le premier ministre ne recommande pas au gouverneur général de proroger la session d'une législature de plus de sept jours civils sans une résolution expresse de la Chambre des communes en ce sens.
    Professeur, puis-je conclure de vos observations que nous pourrions envisager de proposer une résolution visant à modifier le Règlement, ou encore un projet de loi — donc, l'un ou l'autre ou une combinaison des deux? Je sais que l'idée de modifier le Règlement ne vous enthousiasme pas, et je suis donc conscient de votre réticence à ce sujet.
(1250)
    L'une des grandes vertus du système parlementaire est justement le fait que la Constitution traduit ce qui se produit. Notre Constitution existe jusqu'à un certain point sous forme écrite; celle du Royaume-Uni repose sur toute une série de cas et d'événements qui comprennent de nombreux éléments contradictoires.
    J'ai essayé tout à l'heure de vous citer des exemples de prorogations qui avaient duré très peu de temps et qui étaient intervenues après une session qui n'avait duré que quelques jours, ou encore d'autres situations où la prorogation a duré très longtemps et s'était produite à la suite d'une longue session du Parlement. Dans chacun des cas, la décision pouvait se justifier.
    J'avais l'impression que la motion dont vous parlez n'était pas assez exhaustive et ne traitait pas la question d'une manière qui me semblait appropriée. Il s'agissait d'empêcher le premier ministre de recommander la prorogation afin d'échapper à la surveillance du Parlement. Mais chaque fois que j'y pense de nouveau, je me dis que, si l'on souhaite qu'une telle procédure soit incorporée dans le Règlement ou fasse l'objet d'une loi en bonne et due forme, il faudrait prévoir que la prorogation reçoive l'appui de la Chambre des communes sous forme de motion.
    À votre avis, s'agit-il d'une limite raisonnable des pouvoirs du premier ministre, selon la Constitution?
    Vous savez, je change souvent d'avis à ce sujet. Disons que je pourrais m'en accommoder. Vous comprendrez certainement que c'est uniquement dans le contexte d'un gouvernement minoritaire qu'une telle mesure serait significative. C'est seulement dans ce contexte-là que la prorogation est considérée comme une abomination.
    Je conclus toujours en disant que, plus on s'en remet au bon sens de l'électorat, et que plus les élus de toutes les allégeances politiques tremblent à la pensée du jugement que porteront les électeurs sur leurs actes, mieux ce sera pour nous, comme pays. C'est une formule qui relève de l'hyperbole, mais j'espère que vous me la pardonnerez.
    J'avoue que les deux idées — soit une loi, soit une modification du Règlement — me mettent mal à l'aise. C'est un peu comme une décision partagée à la Chambre. Dans ce cas, je me range du côté des non. En d'autres termes, il ne faut rien changer; il faut continuer à discuter. Je pense que je finirais par faire valoir qu'il ne convient pas de modifier le régime actuel; qu'il s'agit plutôt de s'assurer que les activités du Parlement — et celle-ci est justement excellente — permettent de renseigner les médias, les citoyens et les parlementaires sur les enjeux liés à la prorogation, de même que ses conséquences, pour que nous comprenions mieux de quoi il s'agit.
    Vous vous souviendrez que, quand j'ai cité l'exemple de la prorogation de 2003, je vous ai dit que c'était un faux débat. Les journalistes ont si mal compris la situation que je trouve vraiment assez déprimant de voir qu'ils continuent à citer cela comme exemple de recours abusif au pouvoir de prorogation. Si abus il y avait, c'était plutôt un abus du pouvoir d'ajourner la Chambre et l'ajournement en question a suivi l'adoption d'une motion à la Chambre, étant donné que cette procédure ne cadrait pas avec les dispositions normales du Règlement.
    Votre manque de clarté m'empêche de comprendre exactement où vous vous situez.
    Vous n'êtes pas le seul.
    Ce sera une question très rapide, si vous voulez la poser tout de suite, ou alors on peut en rester là pour le moment.
    M. Lauzon et M. Reid aimeraient poser une petite question chacun.
    David, vous en aurez peut-être une aussi.
    Essayons de faire vite.
    Guy, vous avez la parole.
    Très rapidement, si j'ai bien compris, vous avez présenté quatre possibilités que nous pourrions examiner ou qui seraient, selon vous, envisageables. La première consiste à ne rien faire. On parle de trois prorogations qui ont suscité des controverses ces dernières années… et si je peux reformuler un peu votre observation, vous disiez qu'il y a des questions bien plus importantes qui devraient nous intéresser. Je vous remercie, d'ailleurs, d'avoir dit cela.
    Vous avez dit également que c'est seulement dans le contexte d'un Parlement minoritaire que la prorogation pose problème.
    J'ai également trouvé intéressant que vous disiez que, si vous deviez énumérer les 20 questions qui sont jugées les plus importantes, la prorogation n'y serait — peut-être parmi les 40 questions les plus prioritaires, mais certainement pas les 20 questions les plus prioritaires. On a aussi beaucoup parlé du fait que 140 000 personnes, si je ne m'abuse, sont allées sur Facebook pour déclarer leur opposition à la prorogation. Mais nous avons appris depuis que bon nombre d'entre eux ne savent même pas écrire le mot « prorogation » et ne savent pas non plus ce que signifie ce terme — ce qui rejoint ce que vous disiez tout à l'heure. Et, au milieu de tout cela, il y a 33 millions de Canadiens qui subissent les contrecoups d'une récession. Vous avez évoqué le bon sens de l'électorat. Or, si nous faisions à ce point fausse route, je pense que l'électorat nous le ferait savoir.
    Si nous laissons les choses telles quelles, quels en seraient les avantages? Nous voilà en train de consacrer beaucoup de temps et d'efforts à cette question, mais pourquoi au fond? Peut-être pourriez-vous nous éclairer à ce chapitre.
(1255)
    Je suis professeur retraité, mais j'ai passé une bonne partie de ma carrière à essayer de convaincre mes étudiants de penser que des questions simples étaient difficiles et que des questions difficiles étaient simples.
    S'agissant de la prorogation, je dirais que le Parlement a été un excellent professeur pour le Canada, parce que vous avez fait comprendre à la population qu'un mécanisme relativement simple qui permet de mettre fin à une session du Parlement peut en réalité s'avérer très compliqué, si bien qu'il faut y réfléchir.
    Donc, à mon avis, ce que vous faites et ce qui s'est produit par le passé sont d'une très grande utilité. Quel qu'en soit le résultat, les journalistes et les électeurs seront plus avertis.
    En tout cas, nous n'avons pas besoin d'une matraque pour tuer ce moustique.
    Merci, monsieur Lauzon.
    Je vais redonner la parole à M. Christopherson, qui sera suivi de vous-même, monsieur Reid. Essayons de faire vite pour pouvoir entendre les deux questions.
    J'essaie d'élucider une question sans même savoir à qui m'adresser pour obtenir des éclaircissements. Je parle de la lettre signée par les partis de l'opposition qui était censée faire comprendre à la gouverneure générale que, si elle décidait de rejeter le conseil du premier ministre, elle pourrait faire appel à une majorité qui accepterait de gouverner à la place. La question est donc de savoir si la gouverneure générale a vraiment vu cette lettre.
    Étant donné que seul le premier ministre peut faire une recommandation officielle au gouverneur général, certains d'entre nous ont été informés que la lettre en question ne lui est jamais vraiment parvenue, même si les journalistes et d'autres en ont obtenu une copie; mais, strictement parlant, et pour des fins juridiques, la gouverneure générale n'en a jamais été saisie.
    Pourriez-vous m'apporter des éclaircissements à ce sujet en expliquant les circonstances qui entourent ce genre de situation et de quelle façon le Parlement doit procéder, s'il s'agit d'un Parlement minoritaire, pour transmettre l'opinion de la majorité au gouverneur général, si cette dernière est différente du conseil qu'elle a reçue du premier ministre.
    À l'époque, la gouverneure générale était en Afrique, dans le cadre d'une visite officielle, si je ne m'abuse. Je doute donc que la lettre proprement dite lui ait été remise. En revanche, je ne doute pas qu'on lui en a fait connaître la teneur. Donc, je ne doute aucunement — mais vraiment pas du tout — que, à l'époque où elle a pris sa décision en 2008, la gouverneure générale avait été informée de la teneur de la lettre en question.
    J'ai écrit à ce sujet-là. À tort ou à raison, je pense qu'une considération importante pour elle — et je dis « je pense » parce que je ne le sais pas de façon certaine — était la viabilité de la coalition qui était proposée. C'était assez différent en Ontario en 1985, car il n'y avait gère de doute concernant le désir des deux partis de l'opposition d'appuyer l'un ou l'autre, comme gouvernement, pendant un certain temps. Vous vous souviendrez qu'à l'époque, le camp du premier ministre avait avancé un argument très efficace — même s'il n'était pas particulièrement instructif sur le plan constitutionnel — voulant qu'il avait été élu premier ministre et que l'autre gouvernement serait illégitime.
    M. David Christopherson: C'est une absurdité.
    M. Ned Franks: D'accord; nous allons donc en rester là.
    Monsieur Reid, faites vite, s'il vous plaît.
    Merci.
    Je comprends votre argument au sujet de la prorogation demandée en 2003 par Jean Chrétien afin d'éviter le dépôt du rapport du vérificateur général, mais on peut tout de même se demander si cette prorogation était illégitime. La Chambre a été ajournée pour que cette dernière ne puisse pas recevoir le rapport du vérificateur général; dans ce cas, ne s'agit-il pas d'un ajournement tout aussi illégitime?
(1300)
    J'ai eu une fois l'occasion de discuter avec ce merveilleux sociologue suédois — on peut aussi lui donner d'autres titres — du nom de Gunnar Myrdal. Quand j'ai employé le terme « illégitime », il m'a répliqué en disant: « Il ne faut jamais traiter un enfant d'illégitime, car aucun enfant n'est illégitime. L'illégitimité est quelque chose de subjectif. »
    Je n'ai pas vérifié le compte rendu, mais je suis à peu près certain qu'une motion d'ajournement a été déposée à la Chambre et qu'elle a été adoptée.
    Oui, mais il s'agissait d'un gouvernement majoritaire. Le premier ministre pouvait faire ce que bon lui semblait. C'est justement ça le problème fondamental, à mon avis. Je ne vous critique pas; je vous dis simplement que tous ces commentaires au sujet de l'exercice abusif des pouvoirs d'un premier ministre ont été faits dans le contexte d'un gouvernement minoritaire. Dès lors qu'il s'agit d'un gouvernement majoritaire, le voeu d'un premier ministre se transforme en décret.
    Dans le contexte d'un régime parlementaire, je dirais qu'une décision qui est prise par la majorité des députés — et cette majorité a pu correspondre à seulement sept députés à certaines occasions — représente une réponse à la fois légitime et légale sur le plan constitutionnel — même si elle ne me plaît pas.
    Merci à vous tous. Encore une fois, nous avons eu une excellente réunion.
    Professeur, je tiens à vous remercier de votre aide. Je vous encourage à suivre nos travaux et à nous faire part éventuellement de vos contributions futures. Nous serions ravis d'avoir de vos nouvelles, si vous constatez, à un moment donné, que nous commençons à nous fourvoyer. Merci donc infiniment de ce que vous avez pu faire.
    Je serais ravi de vous aider. Merci, monsieur le président.
    Merci.
    La séance est levée.
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