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Monsieur le Président, au nom de l'opposition officielle, je prends la parole au sujet de la question de privilège qui a été soulevée le 5 juin par mon collègue d' afin de savoir si, oui ou non, les députés de et de devraient pouvoir continuer de siéger et de voter à la Chambre, même s'ils auraient supposément enfreint certains articles de la Loi électorale du Canada.
Le député d' a soulevé un point très intéressant, se fondant sur une décision rendue par le Président Lamoureux en 1966 au sujet du rôle joué par la Chambre à l'égard des tribunaux et du rôle joué par la Chambre à l'égard du Président dans une situation liée au droit d'un député de siéger et de voter à la Chambre lorsqu'il n'a pas respecté les dispositions de la Loi électorale du Canada, entrées en vigueur en 1960, quant à la production des comptes des dépenses électorales.
Pour commencer, j'aimerais souligner qu'il est plutôt étrange que la Chambre soit encore une fois saisie d'une question liée à la façon dont le gouvernement interprète la Loi électorale du Canada.
Au fil des ans, de nombreuses questions ont été soulevées au sujet des activités électorales des conservateurs, qu'il s'agisse du scandale des transferts de fonds de la campagne électorale de 2006, du jugement rendu récemment par la Cour fédérale au sujet des appels automatisés qui ont donné lieu à une fraude électorale à grande échelle en 2011, ou encore des nombreuses questions entourant les dépenses électorales de Peter Penashue. Ce ne sont là que quelques exemples.
Les conservateurs remettent régulièrement en question la légitimité de notre système électoral, et bon nombre de Canadiens s'en inquiètent.
Le directeur général des élections a conclu que deux députés, soit la députée de et le député de , ont contrevenu au paragraphe 457(2) de la Loi électorale du Canada en refusant de corriger leurs dépenses visant l'élection de 2011, corrections qui avaient été demandées par le directeur.
Il est important que tout le monde sache ce que le paragraphe 457(2) prévoit. On peut y lire que le directeur général des élections peut demander par écrit à un candidat ou à son agent officiel de corriger, dans le délai imparti, un document visé aux paragraphes précédents.
Le directeur général des élections a écrit au Président de la Chambre des communes pour l'informer de cette violation et pour lui souligner que le paragraphe 463(2) de la Loi électorale du Canada interdit expressément aux députés de siéger et de voter s'ils n'apportent pas les corrections demandées.
Voici le libellé du paragraphe 463(2):
Le candidat élu qui omet de produire un document conformément aux articles 451 ou 455 ou d’effectuer une correction visée aux paragraphes 457(2) ou 458(1) dans le délai imparti ne peut continuer à siéger et à voter à titre de député à la Chambre des communes jusqu’à ce qu’il ait remédié à son omission.
Dans sa lettre, que j'ai lue sur le site Web de CBC parce qu'elle n'a pas encore été déposée à la Chambre, le directeur général des élections n'a pas expressément dit ce à quoi il s'attendait du Président ou de la Chambre. Il a fait remarquer que le paragraphe 463(2) interdit aux députés de siéger et de voter, mais il a aussi souligné que les députés pouvaient contester sa décision devant les tribunaux. Le directeur n'a pas renvoyé à la disposition de la Loi électorale du Canada qui accorde ce recours aux députés, mais il s'agit de l'article 459.
On peut lire ce qui suit à l'article 459:
Le candidat ou son agent officiel peut demander à un juge habile à procéder au dépouillement judiciaire du scrutin de rendre une ordonnance autorisant [...] le candidat ou son agent officiel à se soustraire à la demande prévue au paragraphe 457(2) [...]
Voilà les trois dispositions pertinentes de la Loi électorale du Canada.
Avant de passer à l'argument du député d', je tiens tout d'abord à parler d'un point connexe qui a été soulevé la semaine dernière par mes collègues du troisième parti à la Chambre, soit le dépôt de la correspondance entre le directeur général des élections et la présidence. Le Président a dit vendredi que ni la loi ni le Règlement n'obligeaient le dépôt de cette correspondance et que, par conséquent, il n'était pas d'avis qu'il était tenu de la déposer.
Je reconnais que la lettre du directeur général des élections n'a jamais été présentée comme une lettre directe à la Chambre et que, dans celle-ci, le directeur général des élections semble indiquer que la disposition de la Loi électorale du Canada sur l'accès à un juge avait une certaine influence sur l'application des dispositions relatives à la suspension prévues au paragraphe 463(2).
Néanmoins, je soutiens respectueusement que la divulgation de ce type de renseignements est préférable et que la lettre aurait dû être déposée pour la gouverne de tous les députés. Je ferais remarquer que, même si ni la loi ni le Règlement n'obligent le Président à déposer une lettre dans ces circonstances, rien ne lui interdit non plus de le faire. À tout le moins, le Président a donc le pouvoir de déposer la lettre et, pour cette seule raison, il aurait été souhaitable qu'il le fasse.
Étant donné la façon dont la lettre du directeur général des élections a été formulée et l'ambiguïté à propos des mesures que le directeur général des élections s'attendait à ce que le Président prenne, il est compréhensible que ce dernier ait souhaité prendre un peu de temps pour déterminer comment décrire l'importance de la lettre au moment de son dépôt. Cependant, dès que le Président a déterminé qu'il n'y aurait pas de suspension tant que les tribunaux ne se seraient pas prononcés sur la question, il aurait été souhaitable qu'il informe la Chambre du contenu de la lettre et qu'il lui explique ce qui, selon lui, en découlait. Cela aurait permis aux députés de mieux déterminer s'il y avait eu atteinte à leurs privilèges, parce qu'ils auraient entendu les arguments du Président sur les raisons pour lesquelles il croyait initialement, s'il demeure prêt à changer son opinion à ce sujet, que, premièrement, les dispositions sur la suspension prévues à l'article 462 ne s'appliquent pas tant que le tribunal n'a pas pris de décision et, deuxièmement, que c'est le Président qui doit prendre cette décision au nom de la Chambre.
Je viens d'affirmer que la présidence a le pouvoir de déposer les lettres et qu'il serait souhaitable qu'elle le fasse. Cependant, je me permets d'ajouter très respectueusement que, tout en reconnaissant l'absence d'obligation explicite aux termes de la Loi électorale du Canada ou du Règlement, l'opposition officielle estime néanmoins qu'il existe une l'obligation implicite de déposer ces lettres. À notre avis, cette obligation découle non seulement du lien entre le Président et la Chambre, mais aussi de l'importance du contenu des lettres.
Concernant l'obligation de divulguer découlant du lien entre le Président et les députés, je fais remarquer que la Chambre ne peut fonctionner sans Président et qu'elle ne peut fonctionner si l'ensemble de ses éléments ne travaillent pas de concert. En conséquence, il existe une forte présomption d'obligation de divulguer toute correspondance au sujet de la Chambre et des privilèges de ses députés.
Cela dit, il n'est pas nécessaire, en l'occurrence, de déposer les documents en question à la Chambre. La présidence pourra éventuellement décider de divulguer les documents à des membres respectés des partis, aux dirigeants de la Chambre, qui sont disposés à prendre connaissance de cette information et la partager avec leur caucus, tout en reconnaissant que les députés indépendants auraient eux aussi le droit de savoir si la présidence décide de ne pas divulguer les documents visés à l'ensemble des députés. Peut-être que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre pourrait se pencher sur la question lorsqu'il étudiera d'autres modifications proposées au Règlement permettant de favoriser la clarté des attentes à l'avenir.
Au sujet de l'obligation de divulguer découlant de l'importance des renseignements en question, c'est un peu comme l'histoire de la poule et de l'oeuf. S'il est déterminé que les députés devraient être suspendus en vertu de l'article 463, à partir du moment où le directeur général des élections a déterminé la non-conformité au paragraphe 457(2), la Chambre, de concert avec la présidence, doit suspendre les députés. Cependant, les députés ne peuvent savoir qu'il y a eu violation et que deux de leurs collègues ne devraient pas être autorisés à siéger et à voter si le Président ne fait pas savoir à la Chambre ce qui s'est passé dès qu'il en a lui-même pris connaissance. Les députés ne sauraient même pas qu'il y a eu atteinte à leurs privilèges, comme c'est le cas en l'occurrence, si les médias n'avaient pas appris que les deux députés considérés comme ayant enfreint le paragraphe 457(2) demandent une révision judiciaire de la décision.
Autrement dit, pour que les députés puissent soulever une question de privilège sur le fait que, en continuant de siéger et de voter, les députés en question portent atteinte à leurs privilèges, ils doivent savoir que le directeur général des élections a statué que le paragraphe 457(2) de la Loi électorale du Canada a été enfreint et que, par conséquent, l'article 463(2) devient applicable. Je soutiens respectueusement qu'ils ne devraient pas apprendre dans les médias que les tribunaux ont été saisis d'une affaire ni avoir accès à la lettre en question par d'autres moyens. De toute évidence, le Président croit que la poule est apparue en premier, alors que les députés pensent que c'est plutôt l'oeuf.
Selon ses porte-parole, le Président pourrait être porté à penser qu'une question de privilège ne pourrait pas être soulevée, car les suspensions ne sont pas encore applicables. Si c'est le cas, il est compréhensible que le Président soit d'avis qu'il n'est pas obligatoire de divulguer la lettre, à tout le moins jusqu'à ce qu'un tribunal ait maintenu la décision du directeur général des élections.
Je ne suis pas sûr de la façon dont le Président voit les choses. Il pense peut-être que l'article 463 ne s'applique pas encore, car il faut attendre le résultat des procédures judiciaires, ou bien il est peut-être d'avis que les suspensions en vertu de l'article 463 sont justifiées en raison de la décision prise par le directeur général des élections, mais que, pour une raison ou une autre, il a décidé de surseoir à la suspension, de la même façon qu'un tribunal peut suspendre une ordonnance administrative.
En d'autres mots, pour des raisons différentes au titre des institutions en cause — le rôle de l'appareil judiciaire et le rôle du Président —, il pourrait être d'avis que les suspensions sont justifiées, mais qu'elles doivent être suspendues pour l'instant.
Monsieur le Président, vous pouvez voir à quel point je me suis basé sur des suppositions dans ce qui précède, pour la simple et bonne raison que nous n'avons pas eu de déclaration ou de décision de la présidence expliquant la façon dont elle interprète son rôle et celui de la Chambre par rapport aux trois articles et paragraphes pertinents que j'ai cités précédemment. Pour cette seule raison, nous attendons impatiemment une déclaration du Président.
Bien entendu, le Président rendra maintenant une décision sur la question de privilège soulevée par le député d', qui a agi uniquement parce que l'on doit à la presse d'avoir eu vent de la décision du directeur général des élections. Or, avec le recul, je crois que le processus aurait été beaucoup plus transparent si la lettre avait été déposée immédiatement à la Chambre accompagnée d'une explication de la formule proposée par le Président.
Tout cela m'oblige à traiter de la question de privilège soulevée par le député d' au-delà de la question connexe de la divulgation de la lettre.
En bref, l'opposition officielle, c'est-à-dire le NPD, estime que d'une façon ou d'une autre, les deux députés ne devraient ni siéger ni voter tant et aussi longtemps qu'ils n'auront pas effectué la correction demandée par le directeur général des élections ou qu'ils n'auront pas obtenu gain de cause devant les tribunaux.
Nous sommes conscients que la Loi électorale du Canada prévoit précisément le recours à un juge de première instance à l'article 459, et nous ne remettons aucunement en question le droit légal qu'ont ces deux députés de se prévaloir de ce recours au tribunal ni le droit de la Chambre de lever toute suspension advenant que les députés réussissent à persuader le juge qu'ils ont raison.
Toutefois, nous estimons qu'il incombe toujours aux députés de démontrer, à la satisfaction du directeur général des élections, que leurs comptes sont en règle et conformes à la structure établie dans la Loi électorale du Canada. Rien, dans le paragraphe 459(1), ne dit directement ou implicitement que le fardeau de la preuve est transféré au directeur général des élections maintenant que la cause est portée devant les tribunaux.
Il est également important de souligner que, dans notre système judiciaire, les ordonnances administratives et les décisions ne font pas l'objet d'un sursis à l'exécution lorsque le sujet visé par une telle ordonnance décide de demander une révision judiciaire. Normalement, la personne qui demande une révision judiciaire doit adresser une demande au tribunal pour obtenir un sursis d'exécution de l'ordonnance le temps que la cause soit entendue, et habituellement, une loi établit une procédure précise pour l'application d'un tel sursis, ce que la Loi électorale du Canada ne fait pas. Si le tribunal décide de ne pas accorder de sursis, souvent en citant le défaut d'avoir trouvé qu'il y avait préjudice irréparable, l'ordonnance demeure en vigueur pour la durée des poursuites.
La Chambre est souveraine dans l'application des dispositions de la loi ayant une incidence sur son fonctionnement interne touchant les droits et les obligations des députés, dont les droits fondamentaux de siéger et de voter. La Chambre, par l'entremise de la présidence ou avec son concours, peut et, à mon avis, doit considérer qu'il s'agit essentiellement de déterminer si on devrait surseoir à la suspension découlant du paragraphe 463(2) dans l'attente du résultat de la révision judiciaire.
Nous estimons qu'une telle dérogation ne devrait pas être accordée en l'occurrence. Notre position découle en bonne partie de notre interprétation du rôle du directeur général des élections, qui est chargé de l'application de la Loi électorale du Canada, et du respect que nous avons pour ce poste.
Pour comprendre le respect que nous estimons être dû au directeur général des élections, et qui explique que nous devons considérer que ses décisions sont justes, jusqu'à preuve du contraire, penchons-nous sur son rôle.
Le directeur général des élections est un haut fonctionnaire du Parlement qui a pour tâche de gérer l'ensemble du système électoral et qui détient les pouvoirs de surveillance nécessaires.
Dans la décision unanime rendue par trois juges en 2011 dans l'affaire Callaghan, qui portait sur le stratagème des transferts de fonds utilisé par le Parti conservateur lors de la campagne électorale de 2006, la Cour d'appel fédérale donne raison au directeur général des élections. Elle confirme qu'il était raisonnable que celui-ci conclue que le Parti conservateur et les agents officiels de certains candidats conservateurs s'étaient livrés à ce que certains appelleraient un stratagème analogue au blanchiment d'argent pour permettre au Parti conservateur de dépasser le plafond des dépenses permises pendant les campagnes électorales nationales.
La cour indique que 67 agents officiels de candidats conservateurs avaient pris part à ce stratagème de transferts de fonds en collaboration avec le Parti conservateur.
Dans sa décision, elle décrit aussi le rôle du directeur général des élections.
Au paragraphe 22 de la décision, la Cour d'appel fédérale insiste sur la « neutralité [...] de ce poste » et dit:
Pour souligner l’importance du rôle du DGEC pour le maintien de la démocratie au Canada, le directeur général des élections est un haut fonctionnaire parlementaire, qui exerce ses fonctions selon des conditions analogues à celles d’un juge d’une cour supérieure [...]
La Cour d'appel affirme que, en règle générale:
[...] le [directeur général des élections] a de vastes responsabilités en matière de surveillance des opérations électorales, et il exerce les pouvoirs et fonctions nécessaires à l'application de la Loi.
Il est tout aussi pertinent de rappeler que, dans l'arrêt Callaghan, la Cour d'appel fédérale a comparé l'approche du directeur général des élections à l'égard de la Loi électorale du Canada avec les résultats qui auraient été obtenus si le tribunal n'avait pas été d'accord avec le directeur général des élections et avait plutôt interprété la loi de la façon que le Parti conservateur préconisait.
La cour d'appel a conclu que les arguments du Parti conservateur:
[...] réduisent le rôle du [directeur général des élections] [...] en ce qui touche les états produits par les candidats relativement à leurs dépenses électorales, à un niveau qui est incompatible avec l’économie de la loi et avec ses objectifs.
La cour a aussi rejeté ce que je ne peux franchement voir que comme un argument orwellien — les mots sont très durs — de la part du Parti conservateur, selon lequel le directeur général des élections représente en quelque sorte lui-même une menace à la démocratie:
[...] l’on ne saurait plausiblement dire que d’interpréter les pouvoirs du DGEC comme incluant le pouvoir de regarder au-delà des documents présentés par les candidats et les partis politiques enregistrés dans leurs comptes de campagne électorale compromet la démocratie. S’enquérir de la régularité de dépenses électorales est une mesure routinière [...]
Enfin, toujours dans la même cause, voici ce que la cour d'appel avait à dire au sujet de la nature des arguments invoqués par le Parti conservateur pour justifier son programme de dépenses électorales, qu'il appelait par euphémisme un déplacement des coûts:
L’interprétation que les intimés font du paragraphe 465(1) fragiliserait le respect des plafonds fixés par le législateur en ce qui a trait au montant d’argent que les candidats peuvent dépenser pour leur élection et se faire rembourser à même les deniers publics. De nombreux abus pourraient aussi survenir, et l’objectif de la Loi qui consiste à promouvoir une saine démocratie en garantissant des conditions égales pour tous en matière électorale pourrait être compromis.
C'est le paragraphe 77 des motifs du jugement rendu.
Dans la mesure où la Chambre a le pouvoir de surseoir à la suspension prévue au paragraphe 463(2), ce que j'ai appelé le pouvoir de suspendre la suspension, ce qu'il faut se demander, dans la situation concrète dont la Chambre est saisie, c'est si les députés en cause devraient avoir droit à un sursis.
Or, nous constatons que les députés de et de ont eu, pendant deux ans, avec le directeur général des élections, des interactions qui, bien franchement, ne dénotent pas une grande envie de collaborer avec lui.
Il est généralement reconnu qu'Élections Canada a pour habitude de donner aux candidats, aux agents officiels et aux partis le bénéfice du doute et de faire tout ce qu'il peut pour les aider à se conformer à la loi, mais voilà que deux députés — deux de nos collègues — font traîner les choses durant deux ans en interprétant à leur manière les articles de la loi qui portent sur les dépenses, alors que personne, aucun candidat, aucun agent officiel et aucun parti — du moins à ce que l'on en sait —, n'avait eu de mal à s'y conformer jusqu'ici.
Nous arrivons maintenant à mi-chemin entre les dernières et les prochaines élections. Justice différée est justice refusée.
Tout cela se rapporte à la question de déterminer si, oui ou non, la Chambre devrait surseoir aux suspensions, c'est-à-dire exercer son pouvoir discrétionnaire en ce sens, sans perdre de vue le fait que les députés ont le droit de faire appel aux tribunaux au titre de l'article 459, mais pas celui de faire suspendre entre-temps leur suspension respective, une décision qui relève strictement du pouvoir discrétionnaire de la Chambre.
D'autres faits apparaissent utiles, aux yeux du NPD, pour déterminer si la Chambre devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de surseoir à la suspension des deux députés, à savoir que le Parti conservateur et certains de ses députés ont abusé des instances judiciaires dans le but de retarder leurs travaux ou de leur faire obstruction, comme il a été établi, sans compter que le gouvernement refuse systématiquement de coopérer avec Élections Canada. C'est ce qu'il fait depuis sept ans dans toutes sortes de dossiers, à commencer, dès 2006, par celui des manoeuvres de transfert.
En ce qui concerne ce dernier point, nous sommes tous au courant maintenant du jugement rendu le 25 mai dernier par le juge Mosley, de la Cour fédérale, concernant l'affaire McEwing. Le juge Mosley en est venu à la conclusion qu'une fraude généralisée et concertée avait été menée partout au pays, fort probablement grâce à une base de données du Parti conservateur contenant des renseignements sur les électeurs, mais que les preuves concernant les conséquences de cette fraude ne permettent pas de justifier l'annulation de l'élection des six députés conservateurs.
Même si le gouvernement a fait de son mieux pour présenter les constatations de ce juge — qui, soit dit en passant, est l'un des plus respectés au pays — comme une sorte de victoire, il n'a pas tenu compte des autres constatations du juge et, en fait, il a essayé de faire en sorte que les Canadiens n'en tiennent pas compte eux non plus.
Le juge Mosley a tout d'abord indiqué que le Parti conservateur « a dès le départ fait bien peu d’efforts pour aider au déroulement de l’enquête, et ce, même si on le lui avait demandé tôt ».
Il est de notoriété publique que tout ceci a débuté à cause d'un avocat du Parti conservateur du Canada qui s'est traîné les pieds pendant trois bons mois avant même de daigner répondre à une demande des enquêteurs d'Élections Canada visant à rencontrer des membres du personnel de la campagne électorale du Parti conservateur. Après cela, on ne sait pas pendant combien de temps les choses ont continuer de traîner avant que les entrevues n'aient lieu. Si j'ai bien compris, il s'agit du même avocat qui représente maintenant les députés de et de dans leurs contestations judiciaires contre le directeur général des élections.
De plus, toujours dans l'affaire McEwing, le juge Mosley a vertement condamné le comportement du Parti conservateur pendant les procédures, indiquant clairement que le Parti conservateur du Canada est d'abord et avant tout intéressé à cacher la vérité. Il a observé que les six députés conservateurs — ce qui veut vraiment dire le Parti conservateur et ses avocats — « s’étaient livrés à une guerre de tranchées pour essayer d’empêcher que la présente affaire soit entendue sur le fond [...] manifestement en vue de faire échouer la présente affaire », et que « les députés défendeurs ont eu pour position d’entrée de jeu, d’après le dossier, de faire obstacle par tous les moyens à la présente procédure ».
En gardant à l'esprit la confiance de la Cour d'appel fédérale à l'égard du directeur général des élections dans l'affaire Callaghan, confiance que partage l'opposition officielle, ainsi que le fait que rien en particulier ne justifie que la Chambre exerce un quelconque pouvoir discrétionnaire en faveur des députés de et de afin suspendre leur suspension, si je puis m'exprimer ainsi, examinons d'autres faits afin de comprendre pourquoi l'opposition officielle ne croit pas que quoi que ce soit ne permette d'en arriver à la conclusion que la Chambre devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et mettre ces suspensions en veilleuse.
Il appert qu'Élections Canada a échangé avec ces deux députés à propos de l'exactitude et du caractère approprié de leurs rapports pour la campagne électorale de 2011, la question en litige concernant le coût exact des affiches utilisées par les candidats durant la campagne et, pour l'un des deux au moins, un site Web de dons.
Le directeur général des élections en est évidemment venu à la conclusion qu'il ne pouvait pas compter sur les deux députés pour coopérer et corriger leurs rapports, comme Élections Canada, en vertu du paragraphe 457(2) de la Loi électorale du Canada, leur avait demandé de le faire au plus tard le 17 mai dernier. Les députés ont envoyé une réponse que le directeur général des élections a jugée non conforme à la demande faite aux termes du paragraphe 457(2), du fait que les corrections demandées n'avaient simplement pas été apportées.
Par conséquent, passé la date limite du 17 mai, le directeur général des élections a déterminé que le paragraphe 463(2), la disposition sur la suspension que j'ai lue plus tôt, devenait applicable.
Signalons que le paragraphe 463(2) énonce une conséquence juridique, plus précisément qu'une infraction au paragraphe 457(2) entraîne la suspension du droit de siéger et de voter du député.
Toutefois, il tait trois choses fondamentales: premièrement, il ne dit pas expressément qu'il suffit que le directeur général des élections ait déterminé qu'il y a eu infraction pour qu'il y ait suspension; deuxièmement, il ne dit pas expressément qu'une suspension peut être retardée jusqu'à ce qu'un tribunal ait déterminé si le directeur général des élections a raison d'estimer que les modifications demandées n'ont pas été apportées au rapport; et, troisièmement, le paragraphe 463(2) ne décrit pas ni n'évoque, même vaguement, le mécanisme de suspension à la Chambre. Appartient-il au Président d'en décider et, le cas échéant, à quel moment, ou le Président doit-il solliciter l'avis de la Chambre et, dans l'affirmative, à quel moment?
On peut voir que les imprécisions du paragraphe 463(2) indiquent et expliquent la nature particulièrement complexe de la question dont la Chambre est saisie, puisque non moins de quatre agents institutionnels peuvent jouer un rôle d'interprète ou d'exécutant lorsqu'il s'agit de déterminer si les dispositions du paragraphe 457(2) ont été violées, et d'établir les conséquences s'il y a eu infraction. Ces agents sont le directeur général des élections, les tribunaux, la présidence et la Chambre. Outre cette complexité, ajoutons qu'il faut aussi tenir compte, évidemment, des intérêts des deux députés, qui, selon le directeur général des élections, n'ont pas respecté les dispositions relatives à deux aspects de la loi: d'une part, les droits que leur confère la Loi électorale du Canada, et d'autre part, leurs privilèges en tant que députés élus.
Autre point essentiel, le directeur général des élections détermine évidemment que, afin de mettre en oeuvre une suspension aux termes du paragraphe 463(2), il doit écrire au Président de la Chambre des communes pour l'informer des faits et des dispositions législatives pertinents. Encore une fois, c'est ce qu'a fait le directeur général des élections en rédigeant, le 23 mai 2013, deux lettres distinctes mais quasi identiques au sujet de chaque député concerné. Puisque ces lettres sont déterminantes lorsqu'il s'agit d'appliquer une suspension aux termes du paragraphe 463(2) et d'établir le bien-fondé de la question de privilège soulevée par le député d', j'aimerais résumer certaines caractéristiques importantes des lettres rédigées par le directeur général des élections. Je crois qu'il est particulièrement important de donner un aperçu de ces éléments, car je suppose que les termes prudents employés dans les lettres du directeur général des élections ont probablement influencé l'avis du Président quant au processus à suivre pour y donner suite.
Premièrement, les deux lettres sont adressées au Président de la Chambre des communes. Le destinataire est le Président, mais le corps de la lettre ne mentionne pas du tout la Chambre des communes. Deuxièmement, les lettres portent à l'attention du Président certains faits que je qualifierais de constats juridiques, mais ne lui demandent pas explicitement de prendre des mesures relativement à ces faits.
Troisièmement, le directeur général des élections indique clairement avoir déterminé, dans l'exercice de ses fonctions officielles, que les députés de et de ont enfreint le paragraphe 457(2) en ne corrigeant pas leur rapport. Quatrièmement, le directeur général des élections indique que, conformément au paragraphe 463(2), le député qui a omis de corriger un document prévu au paragraphe 457(2) ne peut pas continuer à siéger et à voter comme député à la Chambre des communes tant qu'il n'a pas remédié à son omission. Cependant, le directeur général des élections se contente d'énoncer cette règle de manière générale et ne précise pas si, en vertu de la loi, les deux députés concernés devraient être immédiatement empêchés de siéger ou de voter pour avoir enfreint du paragraphe 457(2).
À la lecture des lettres, force est de conclure que l'approche du directeur général des élections consiste à indiquer au Président que le paragraphe 463(2) s'applique aux cas des deux députés, sans toutefois lui préciser ni le délai, ni le mécanisme de la suspension. Le directeur général des élections se contente de dire que l'article 457 a été enfreint et que, par conséquent, l'article 463 devrait s'appliquer. Cela dit, une telle circonspection de la part du directeur général des élections découle évidemment de la reconnaissance de la compétence exclusive du Parlement dans la gestion de ses affaires. Le directeur général des élections estime qu'il ne lui revient pas de dicter au Président ou à la Chambre leur conduite.
Cinquièmement, le directeur général des élections précise qu'une personne se trouvant dans la situation des députés de et de peut s'adresser à un juge pour lui demander d'être soustrait à l'obligation de corriger leur rapport, tel que demandé, mais il ne précise pas quel article peut être invoqué pour ce faire. On peut néanmoins supposer que le directeur général des élections songe au paragraphe 459(1), que j'ai lu à voix haute tout à l'heure.
On ne peut que présumer que le directeur général des élections a considéré pertinent que la loi prévoie un recours judiciaire, et juge cette information utile pour le Président quant à ce que ce dernier peut ou doit faire en réponse à cette lettre. Je le répète, à l'évidence, cette démarche est aussi cohérente avec le fait que le directeur général des élections reconnaît que c'est à la Chambre de décider s'il faut mettre sa décision en veilleuse, c'est-à-dire attendre que l'affaire ait été portée devant les tribunaux avant d'imposer la suspension. Ainsi, le directeur général des élections agit avec circonspection pour ne pas donner l'impression de donner des instructions au Président ou à la Chambre.
Enfin, sixièmement, en ce qui a trait à la lettre, le directeur général des élections fait remarquer que les députés n'avaient pas encore, à l'envoi de sa lettre, présenté une demande aux tribunaux en vertu de l'article 459, mais que s'ils le faisaient, il en aviserait le Président. Permettez-moi d'observer qu'après l'envoi de la lettre du directeur général des élections au Président, les députés de et de se sont adressés à la cour fédérale en vertu du paragraphe 459(1), comme ils l'ont indiqué vendredi dernier.
Si j'ai bien compris, le directeur général des élections a alors informé le Président que, conformément à ce qu'il avait annoncé dans sa lettre, les députés avaient contesté sa décision qu'il y avait eu violation du paragraphe 457(2). Il semble que la date de la comparution de la députée de soit fixée au 21 juin et que celle du député de soit prévue en septembre.
Si j'ai bien compris ses arguments — il est possible que ce ne soit pas le cas —, il semblerait que le député d' ferait valoir deux propositions interreliées.
Premièrement, les suspensions prévues à l'article 463(2) s'appliquent dès que le directeur général des élections juge qu'il y a eu faute. À cet égard, lors d'une intervention ultérieure, un collègue du député d' a fait valoir que la raison du caractère immédiat des suspensions était que, selon lui, le paragraphe 463(2) se veut un outil pour forcer ou contraindre les députés à se conformer à l'exigence qu'ils ont de produire des déclarations exactes. La disposition ne prévoit pas de recours civils ou criminels. C'est plutôt un mécanisme d'exécution, si cette paraphrase correspond à ce que souhaitait le député de . Ce point de vue suppose que nous devrions fonctionner en présumant que le directeur général des élections a raison dans son interprétation de la loi. Toutefois, cette présomption ne sera réfutée qu'après qu'un député aura décidé d'aller devant les tribunaux et que ceux-ci auront tranché en faveur du député plutôt que du directeur général des élections.
Deuxièmement, le député d' reconnaît que l'application immédiate de la suspension ne peut se faire sans une mesure institutionnelle. Autrement dit, cela ne se fait pas tout seul. Les suspensions se font à l'intérieur du Parlement. Par conséquent, un mécanisme ou un processus doit être en place au Parlement pour mettre en oeuvre la mesure légale prévue au paragraphe 463(2). Le député d'Avalon fait valoir que c'est la Chambre, et non le Président, qui décide si des députés devraient être suspendus et ne pas pouvoir siéger ou voter. À cet égard, il se fonde principalement sur une décision rendue en 1966 par le Président Lamoureux. On suppose que le député d'Avalon fait allusion à un vote pris à la Chambre en comité plénier. Toutefois, il laisse peut-être entrevoir la possibilité, même s'il n'y pas fait allusion, qu'un comité approprié de la Chambre puisse se voir confier cette responsabilité, comme par exemple le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre. De même, il accepterait peut-être aussi une procédure par étapes en vertu de laquelle le Président prendrait une mesure initiale qui serait ensuite entérinée par la Chambre.
Ensemble, ces deux points semblent servir de fondement à l'affirmation du député d' portant qu'il y a eu, et qu'il continue d'y avoir atteinte au privilège. D'une part, on a porté atteinte à ses privilèges et à ceux des autres députés, y compris aux miens, parce que les députés de et de continuent de siéger et de voter, au lieu d'être suspendus. D'autre part, on a porté atteinte à des privilèges parce que le Président n'a pas confié ce dossier à la Chambre pour qu'elle rende une décision.
Deux autres affirmations ont été faites. Je vais les appeler les troisième et quatrième propositions. Celles-ci sont présentées de façon implicite. Elles ne sont pas déclarées expressément par le député d', mais je pense qu'elles découlent de ses propos.
Troisièmement, si le mécanisme que le député d' juge applicable est un vote tenu par tous les députés de la Chambre, cela semble sous-entendre que tous les députés ont le devoir de tout simplement confirmer l'interprétation du paragraphe 463(2), selon lequel une suspension est immédiate, parce que le directeur général des élections a jugé qu'une déclaration inadéquate a été produite. Ainsi, même si nous votions, nous devrions le faire d'une seule façon.
Il importe de souligner que si la Chambre tient un vote sur cette question, il est loin d'être garanti qu'il entraînera nécessairement la réalisation de ces deux propositions, c'est-à-dire une suspension immédiate et le fait que la Chambre exécute la suspension. Permettez-moi de rappeler deux évidences: d'abord, le parti au pouvoir possède la majorité des votes à la Chambre et ensuite, le leader du gouvernement à la Chambre a déjà déclaré que, selon son interprétation du paragraphe 463(2), les suspensions ne s'appliquaient pas immédiatement, mais bien seulement lorsque la position du directeur général des élections aura été reconnue juste par les tribunaux. Selon moi, si la Chambre tenait un vote à ce stade-ci, il y aurait peu de chances qu'il entraîne une suspension immédiate des députés.
Il est donc particulièrement important, monsieur le Président, que la Chambre entende votre opinion sur les liens et les frontières entre vos pouvoirs et ceux des députés, en ce qui concerne cette affaire de suspension de leurs droits à siéger et à voter.
Il y a une quatrième proposition qui serait implicite d'après la position du député d', c'est-à-dire que c'est la Chambre, et non la présidence, qui prendra une décision concernant la suspension. Je reviens à mon introduction, où j'ai parlé assez longuement de la lettre envoyée à la présidence par le directeur général des élections. La Chambre doit savoir s'il y a eu violation entraînant une suspension en vertu du paragraphe 463(2); la présidence a donc le devoir d'informer la Chambre lorsqu'elle apprend que le directeur général des élections considère qu'une violation a eu lieu en vertu du paragraphe 457(2). Je ne suis pas certain si le député d'Avalon voulait faire valoir que ses privilèges avaient été brimés parce que les lettres n'avaient pas été déposées, mais selon moi, une telle affirmation ne découle pas naturellement de l'argument voulant que les privilèges des députés soient violés si la présidence décide de reporter la suspension de députés après avoir reçu une lettre du directeur général des élections, plutôt que de s'en remettre à la Chambre pour qu'elle se prononce.
Voilà où le député d' invoque un précédent, c'est-à-dire la décision de la présidence rendue le 1er mars 1966, telle qu'elle est consignée à la page 1939 des Débats de la Chambre des communes. Le Président Lamoureux répondait alors à une question de privilège soulevée par le député de Yukon de l'époque, M. Nielsen, qui dénonçait une atteinte à ses privilèges, car le député de Montmagny—l'Islet, M. Berger, avait continué à voter même s'il n'avait pas respecté la date limite de soumission de ses comptes électoraux.
Bien que son libellé et sa structure diffèrent de ceux de l'actuelle Loi électorale du Canada et de ses articles 457 à 463, l'article 63 détaillé de la Loi électorale du Canada de 1960, qui était en vigueur en 1966, présente certains proches parallèles avec sa version contemporaine, du moins sur trois plans. Primo, l'omission de soumettre des comptes appropriés constitue une infraction à la loi, ce qui, secundo, entraîne la suspension du député concerné jusqu'à ce que les comptes aient été soumis, quoique, tertio, le député puisse se tourner vers les tribunaux afin d'être dispensé de la loi. Le paragraphe 63(12) permettait essentiellement à un candidat — en l'occurrence, M. Berger — de demander à un juge de valider l'excuse invoquée pour ne pas avoir soumis ses comptes dans les délais prescrits.
En ce qui concerne ce troisième et dernier élément, le président Lamoureux observe qu'un ministre intervenu à la défense de M. Berger avait déclaré « qu'aux termes de l'article 63 [...] si les députés ne se conforment pas aux dispositions de la loi, les tribunaux s'en chargent et que, par conséquent, la question relevait des tribunaux », ce qui reflète l'argumentaire de l'actuel leader du gouvernement à la Chambre.
Le Président aborde ensuite la décision rendue en 1966 en mentionnant indirectement le « jugement que le juge en chef Dorion a rendu le 24 février », sans toutefois préciser en quoi il consistait. Par contre, après quelques recherches, nous avons découvert que le Président avait cité ce jugement trois jours auparavant, soit le 28 février 1966. Le jugement — succinct — est repris intégralement à la page 1843 des Débats de la Chambre des communes de 1966:
Nous soussignés, Juge en chef de la Cour supérieure pour la province de Québec, siégeant pour le district de Québec, sur la requête du requérant, après avoir examiné les allégués de la requête et les documents produits: excusons le requérant...
Il s'agit de M. Berger.
[...] pour le défaut de transmettre son rapport de ses dépenses électorales;
AUTORISONS le requérant à présenter son dit rapport dans un délai de quinze jours de la date du présent jugement;
AUTORISONS le requérant à agir comme si son rapport avait été présenté dans le temps prescrit par la loi.
Il n'est pas possible de déterminer hors de tout doute, simplement en lisant la décision rendue par le Président Lamoureux en 1966, si un tribunal avait déjà excusé M. Berger de ne pas avoir présenté son rapport en temps voulu. Cette décision a été rendue le 24 février, soit trois jours après que M. Neilsen eut soulevé la question de privilège, le 21 février.
Par conséquent, lorsque le Président a rendu sa décision, le 1er mars, la question consistant à déterminer si la présidence ou la Chambre avait le pouvoir de suspendre le député en question a été abordée dans le contexte où le tribunal avait déjà excusé le député en question, ce qui signifie qu'il n'y avait donc plus de raison de le suspendre pour cette raison, du point de vue de la loi à tout le moins, telle que les tribunaux l'avaient appliquée.
Ce qui est intéressant ici — et appuie en outre l'argument que mon collègue, le député d', a fait valoir, en l'occurrence la pertinence de la décision rendue en 1966 —, c'est que le Président Lamoureux n'a pas jugé que la question sous-tendant la question de privilège était devenue sans objet, même si la cour avait déjà excusé M. Berger.
Au lieu de cela, le Président a traité la question comme si elle était encore d'actualité et il a cherché à déterminer si M. Berger pouvait tout de même être suspendu. S'il a traité la question de cette façon, c'est parce qu'il s'est fondé sur le raisonnement sous-jacent à l'affaire Bradlaugh c. Gossett, une affaire classique entendue en 1884 en Angleterre par la Cour du Banc de la Reine, composée de trois juges.
À la lumière de ce jugement, il a tenu pour acquis que le pouvoir judiciaire ne pouvait pas intervenir à l'égard de questions liées à la gestion interne des affaires de la Chambre des communes, et que cette dernière pouvait interpréter une loi à ses propres fins et que cette interprétation pouvait aller à l'encontre de la façon dont les tribunaux avaient interprété ou interpréteraient la même loi.
Dans l'affaire Bradlaugh, entendue en 1884, le Président avait refusé qu'un député récemment élu soit assermenté parce qu'il avait perturbé les travaux de la Chambre. Je suppose que c'était avant les élections.
La Chambre des communes a appuyé le Président en adoptant une résolution demandant au sergent d'armes d'assurer l'exécution de la décision de la présidence et d'empêcher le député d'accéder à la Chambre. Le député a demandé à la cour de rendre une injonction contre le sergent d'armes qui assurait l'exécution de la résolution de la Chambre. Les députés se doutent bien quelle a été la décision de la cour.
Le député a soutenu que la Chambre avait mal interprété la Parliamentary Oaths Act et y avait contrevenu. Le juge en chef de la Cour du Banc de la Reine, lord Coleridge, qui a rédigé les motifs principaux, a notamment écrit ce qui suit, et c'est tout simple:
S'il y a eu injustice, les tribunaux ne peuvent aucunement la corriger.
Soyons clairs. Le Président Lamoureux a conclu qu'une décision de la cour selon laquelle M. Berger n'était plus en violation de son obligation de déposer en temps opportun son rapport de dépenses ne voulait pas dire que la Chambre ne pouvait pas prendre d'autres mesures à la lumière d'une interprétation différente de la Loi électorale du Canada.
Passons au second et dernier volet du raisonnement du Président Lamoureux. Ce dernier a ensuite conclu que la présidence n'avait pas le pouvoir d'établir, au nom de la Chambre, si M. Berger devrait être suspendu. Le Président Lamoureux a invoqué une décision que la présidence de la Chambre des communes avait rendu en 1875, quant à savoir si un député pouvait siéger et voter sans avoir été ni inscrit au rôle ni assermenté.
En 1875, le Président avait saisi la Chambre de l'affaire, et la question avait été renvoyée à un comité de la Chambre, qui a annulé le vote du député.
Se fondant sur ce précédent, le Président Lamoureux a terminé sa décision de la façon suivante:
Que l'Orateur n'est pas habilité à décider de la question de fond ni à rejeter un vote, et qu'il incombe à la Chambre elle-même de prendre ces décisions.
Qu'en est-il ressorti? Je n'en suis pas certain. La dernière trace que j'ai trouvée de cette affaire dans les Débats de la Chambre des communes semble être une brève observation de M. Neilsen immédiatement après que le Président eut prononcé sa décision. Il a dit ceci:
J'aimerais l'étudier de façon plus détaillée avant de décider si je dois prendre d'autres dispositions.
L'affaire s'est vraisemblablement conclue ainsi, et c'est probablement pourquoi je n'ai rien trouvé d'autre. Il ne serait pas déraisonnable de penser que M. Nielsen a décidé de laisser tomber l'affaire, parce que le recours de M. Berger devant les tribunaux avait porté fruit: le système judiciaire estimait qu'il n'était plus en violation de la loi.
Si la Chambre avait tout de même invoqué son droit fondamental de le faire, si elle avait décidé d'exercer son droit officiel de suspendre un député pour violation de la Loi électorale du Canada en fonction de sa propre opinion quant à la violation en question, les tribunaux auraient sûrement sourcillé, puisqu'il y a une certaine cohérence entre ce que font la Chambre et les tribunaux.
Permettez-moi de répéter que, aux yeux du NPD, en règle générale, il y a lieu d'officiellement suspendre des députés à la Chambre lorsque le directeur général des élections signale à la présidence et donc à la Chambre qu'une infraction au paragraphe 457(2) a déclenché l'application du paragraphe 463(2). Le cadre de conformité de la Loi électorale du Canada fonctionne seulement lorsqu'on reconnaît le rôle particulier du directeur général des élections au sein de ce cadre, ainsi que lorsqu'on reconnaît qu'un système peut seulement fonctionner lorsque les députés et les partis coopèrent de bonne foi avec Élections Canada et le directeur général des élections.
De plus, tâchons de ne pas oublier l'importance du rôle du directeur général des élections en tant que mandataire du Parlement. De tels mandataires sont en droit de s'attendre à ce que le Parlement leur vienne en aide lorsqu'il est en position de le faire. Dans un tel contexte, il faudrait clarifier la loi de manière à expliciter le fait que le droit procédural des députés de contester la décision du directeur général des élections en cour entend non seulement le droit de comparaître en cour mais aussi le droit d'obtenir que leur suspension soit reportée. La loi ne va pas jusque là.
En conclusion, je signale que nous nous en remettons respectueusement au Président quant à l'application de la décision de la présidence de 1875 qui a créé le précédent sur lequel le président Lamoureux s'est appuyé en 1966, ainsi que de la décision du président Lamoureux elle-même. La Chambre se souviendra que, dans sa décision, le Président précise que c'est à la Chambre de suspendre un député, et non à la présidence. Toutefois, tâchons de ne pas oublier qu'il s'agit d'un précédent datant de près d'un demi-siècle qui se fondait peut-être sur une division trop nette des tâches entre le Président et les députés. À ce sujet, soulignons la description à la page 306 de la deuxième édition de la La procédure et les usages de la Chambre des communes, qui dit:
C’est [de la Chambre] que la présidence tient son autorité, et le titulaire du poste de Président peut, à juste titre, être considéré comme son représentant et son conseiller spécialisé sur toutes les questions de forme et de procédure.
Nous faisons confiance au bon jugement du Président dans cette affaire, et nous sommes conscients de la situation dans laquelle il se trouve à cause de l'absence de directive précise, que ce soit dans la Loi électorale du Canada ou dans le Règlement de la Chambre, quant à la façon dont une suspension peut être appliquée aux termes du paragraphe 463(2). Il est probable que la Chambre doive suivre à l'égard de la suspension une procédure qui ne concerne pas que la présidence, mais il pourrait exister d'autres mécanismes à part le fait de soumettre la question de façon directe et immédiate à un vote majoritaire à la Chambre. Par conséquent, je conclue en disant que la Chambre ne peut pas fonctionner sans collaboration entre la présidence et l'ensemble des députés. Nous attendons que la présidence se prononce sur la façon dont ce genre de question pourra être réglée à l'avenir.