:
Merci beaucoup, monsieur le président.
[Français]
Je remercie le comité de cette occasion qui m'est offerte de discuter du projet de loi portant sur la mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange entre le Canada et la République du Honduras et sur les ententes parallèles dans les domaines du travail et de l'environnement.
[Traduction]
J'occupe actuellement le poste de directeur général du Bureau des négociations commerciales au ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement et j'ai précédemment rempli les fonctions d'ambassadeur du Canada au Honduras de 2010 à 2012.
Je suis accompagné de mes collègues du MAECD: Henri-Paul Normandin, directeur général du Bureau de l'Amérique latine et des Caraïbes; Paul Huynh, directeur adjoint, Direction des droits de douane et de l'accès aux marchés des marchandises; et Vernon MacKay, directeur, Direction de la politique commerciale sur l'investissement. Nous avons aussi Pierre Bouchard, directeur des Affaires bilatérales et régionales du travail à Emploi et Développement social Canada.
Monsieur le président, les membres du comité savent très bien que, pour être concurrentielles et réussir sur les marchés mondiaux, tant dans notre hémisphère qu'ailleurs, les entreprises canadiennes doivent être sur un pied d'égalité avec leurs concurrents en ce qui concerne les droits de douane et l'accès aux marchés. L'Accord de libre-échange Canada-Honduras atteint cet objectif. Il démontre concrètement l'engagement du gouvernement à mener un plan ambitieux axé sur le commerce, tout comme notre Stratégie d'engagement dans les Amériques.
[Français]
Le Honduras est bien sûr un partenaire commercial relativement petit, mais on y trouve un potentiel de croissance à long terme et plusieurs entreprises canadiennes mènent déjà des activités dans le pays.
[Traduction]
En effet, notre commerce bilatéral enregistre déjà une croissance. Les échanges commerciaux bilatéraux avec le Honduras se sont accrus de 59 %, passant de 176 millions de dollars à 280 millions de dollars entre 2009 et 2013. Au cours de la dernière année seulement, de 2012 à 2013, les exportations du Canada ont augmenté de presque 17 %, et les importations ont connu une hausse de plus de 7 %. Pour appuyer les entreprises canadiennes présentes au Honduras, Exportation et développement Canada, EDC, est venu en aide à 28 entreprises canadiennes et a enregistré un chiffre d'affaires de plus de 23 millions de dollars au Honduras au cours de l'année 2013.
Toutefois, les entreprises canadiennes doivent faire face à une concurrence féroce au Honduras. Des accords de libre-échange sont déjà en vigueur entre le Honduras et huit partenaires, soit les États-Unis, l'Union européenne, le Mexique, la République dominicaine, le Chili, Taïwan, le Panama et la Colombie. Le Honduras négocie également des ALE avec le Pérou et la Corée. Chacun de ces accords offre aux entreprises de ces pays un avantage concurrentiel mesurable au Honduras par rapport à leurs équivalents canadiens, dont des avantages réels sur les prix prenant la forme de droits de douane moins élevés. Une fois notre ALE en vigueur, les exportateurs canadiens pourront rivaliser sur un pied d'égalité.
Aujourd'hui, les exportations canadiennes au Honduras sont soumises à des droits de douane moyens de 10,5 % sur les produits agricoles et de 4,8 % sur les produits non agricoles. Si le Parlement permet la mise en oeuvre de cet Accord de libre-échange, les entreprises canadiennes pourront tirer davantage profit de l'économie croissante du Honduras grâce à l’élimination des droits de douane sur presque 70 % des lignes tarifaires honduriennes et à la suppression progressive des droits restants sur une période de 5 à 15 ans.
[Français]
La gamme de produits visés comprend les produits agricoles et agroalimentaires, les produits forestiers, les matières plastiques, les produits chimiques, les véhicules et les pièces automobiles ainsi que les machines industrielles.
[Traduction]
Cet accord sera avantageux pour diverses collectivités à l’échelle du Canada, particulièrement dans l’agriculture et l’agroalimentaire. À titre d'exemple, les producteurs de porc du Québec et de l'Ontario, les producteurs de produits à base de pommes de terre du Nouveau-Brunswick, de l'Île-du-Prince-Édouard et du Manitoba, les producteurs de lin de la Saskatchewan et les producteurs de bovins de l'Alberta profiteront tous de la suppression des droits de douane au Honduras, lesquels peuvent atteindre 15 % sur leurs produits.
De plus, grâce à l'approbation par le Honduras des systèmes d'inspection du boeuf et du porc du Canada l'automne dernier, les producteurs et les exportateurs canadiens de boeuf et de porc peuvent profiter des réductions tarifaires dès la première journée de la mise en vigueur de l'Accord de libre-échange.
[Français]
Cet accord éliminera aussi les droits de douane sur une grande variété de produits industriels exportés, comme les produits chimiques, le bois, les produits de pâtes et papiers, les véhicules et les pièces automobiles, en plus des poissons et des fruits de mer. Les gains liés à l'accès aux marchés des marchandises bénéficieront aux entreprises de divers secteurs partout au Canada.
[Traduction]
Le secteur canadien des services pourrait également en bénéficier. L'ALE va plus loin que les engagements existants du Honduras en vertu de l'Accord général sur le commerce des services de l'Organisation mondiale du commerce dans les secteurs d'exportation d'intérêt du Canada comme les services professionnels et les technologies de l'information et des communications. Dans l'ensemble, l'ALE procurera aux fournisseurs de service canadiens un traitement sûr, prévisible et équitable.
Les investisseurs en tireront aussi profit. L'Accord de libre-échange Canada-Honduras comporte des dispositions visant à protéger l'investissement bilatéral à l'aide d'obligations juridiquement contraignantes et à assurer le traitement non discriminatoire des investisseurs. Grâce à l'ALE, les investisseurs auront aussi accès à des règlements des différends transparents, impartiaux et contraignants. Les dispositions de l'accord établiront un cadre juridique protégeant les investissements du Canada au Honduras, et, inversement, garantissant le transfert de capitaux d'investissement tout en protégeant les investisseurs contre l'expropriation sans que des indemnités suffisantes ne leur soient versées promptement. Les dispositions relatives à l'investissement comprennent aussi un article sur la responsabilité sociale des entreprises qui reconnaît que les deux gouvernements encouragent leurs entreprises respectives présentes à l'étranger à respecter les normes reconnues internationalement sur la conduite responsable des affaires et s'attendent à ce qu'elles le fassent.
L'ALE contient aussi des dispositions solides en ce qui concerne les marchés publics. Le Honduras compte de nombreux projets d'infrastructure en cours d'exécution reliés aux ports, aux aéroports et à la production d'énergie à partir de sources renouvelables. Ces projets visent notamment à améliorer l'accès, la qualité et la durabilité des services d'infrastructure pour les pauvres en milieu rural. L'ALE élargira l'accès des fournisseurs canadiens à ce genre de possibilités d'approvisionnement, réduira le risque associé aux affaires dans la région et créera des occasions attrayantes dans des domaines comme ceux des technologies de l'environnement, de l'ingénierie, des projets d'infrastructure et des services de construction.
Enfin, conformément à son approche habituelle en ce qui concerne les accords de libre-échange, le Canada a négocié des accords parallèles de coopération dans les domaines du travail et de l'environnement. L'Accord de coopération dans le domaine de l'environnement — à l'image d'autres accords qui ont été signés par le Canada — engage le Canada et le Honduras à appliquer de façon efficace leurs lois respectives sur l'environnement et à veiller à ce qu'elles ne soient ni adoucies ni affaiblies dans le but d'encourager le commerce ou l'investissement. De façon similaire, l'Accord de coopération dans le domaine du travail veille à ce que les échanges accrus entre nos pays ne se fassent pas au détriment des droits des travailleurs.
[Français]
Les entreprises canadiennes qui font des affaires à l'étranger respectent des règles commerciales justes, transparentes, prévisibles et non discriminatoires. Grâce à l'Accord de libre-échange entre le Canada et la République du Honduras, nous aidons à fournir aux entreprises canadiennes les règles dont elles ont besoin pour rivaliser et décrocher des marchés à l'étranger, ainsi que pour bâtir une économie canadienne plus forte.
[Traduction]
Bien sûr, les Honduriens tireront également profit de cet ALE. Les entreprises canadiennes implantées au Honduras et les importateurs canadiens qui achètent des marchandises honduriennes offrent déjà des possibilités d'emplois et des occasions d'affaires. Au fil du temps, cet ALE créera les conditions favorables à davantage d'occasions de ce genre pour les Honduriens. Les membres du comité savent très bien que le Honduras éprouve des difficultés sur tous les fronts, entre autres en ce qui a trait à la pauvreté, à la violence, au trafic de stupéfiants et au respect des droits de la personne.
Le Honduras a besoin d'aide, et le Canada réagit. Le Canada ainsi que le gouvernement, la société civile et d'autres donateurs internationaux sur le terrain s'engagent à aider les Honduriens à régler leurs problèmes relatifs aux droits de la personne, à la sécurité et au développement.
[Français]
Le gouvernement canadien estime que la prospérité, la sécurité et la gouvernance démocratique — dont le respect total des droits de la personne — sont étroitement liées et se renforcent les unes les autres.
[Traduction]
Les gouvernements du Canada et du Honduras s'entendent pour dire qu'une prospérité accrue grâce aux échanges et aux investissements stimulés par un ALE solide peut contribuer à la réduction de la pauvreté et de l'exclusion sociale au Honduras.
[Français]
Je vous remercie. Nous serons heureux de répondre à toutes les questions que pourraient avoir les membres du comité.
:
Nous avons mené des recherches sur le Honduras et avons consulté un vaste éventail de sources, dont le Département d'État américain,
The Economist, Human Rights Watch, les Nations Unies, PEN et bien d'autres. Voici un aperçu de ce que nous avons trouvé.
Le Honduras n'est pas considéré comme une démocratie, mais plutôt comme un régime hybride. Il a glissé du 74e rang au 85e rang de 2008 à 2012 et s'en va donc dans la mauvaise direction. Transparency International estime que le Honduras est le pays le plus corrompu d'Amérique centrale. Le Département d'État américain estime que 70 % de tous les envois de cocaïne en provenance d'Amérique du Sud, la région où il se produit le plus de cocaïne dans le monde, aboutissent au Honduras.
Selon The Economist, les pays du triangle du Nord de l'isthme centre-américain, dont fait partie le Honduras, forment maintenant « la région la plus violente sur terre ». L'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime signale qu'en 2011, les meurtres qui y ont été perpétrés sont au nombre de 92 par tranche de 100 000 personnes, ce qui en fait le pays le plus violent d'Amérique centrale. L'année suivante, en 2012, le Honduras est devenu la capitale mondiale du meurtre, avec ses 7 172 homicides. En 2013, l'année passée, il y a eu en moyenne 10 massacres par mois. On entend par « massacre » le meurtre d'au moins trois personnes en un seul événement.
Selon le Groupe d'orientation politique pour les Amériques, moins de 20 % des homicides font l'objet d'enquêtes, et vous pouvez oublier les mises en accusation. D'après eux, ce degré élevé d'impunité sert à masquer la violence politique. Depuis 2010, il s'est commis au moins 200 meurtres de nature politique. Selon un rapport publié en 2013 par Human Rights Watch, le Honduras est l'endroit le plus dangereux pour les journalistes. La commission des droits de la personne du Honduras a indiqué que 36 journalistes ont été tués entre 2003 et 2013 — 29, depuis 2009, quand le président Lobo a pris le pouvoir illégalement, celui-là même avec lequel vous dites avoir négocié.
Plus de 149 cas d'exécutions extrajudiciaires menées par la police ont été documentés, en 2011 et en 2012. Seulement au cours des 18 derniers mois, au moins 16 candidats et travailleurs du parti de l'opposition, Libre, ont été assassinés. En juin 2013, 94 membres du Congrès américains ont demandé au Département d'État de mettre fin à toute aide militaire...
Je vais vous expliquer pourquoi je pose la question. Nous n'entretenons pas de dialogue avec la Corée du Nord, ni avec l'Iran — d'ailleurs, nous leur imposons des embargos —, ni avec le gouvernement Yanukovych en Ukraine, car ces pays ne respectent pas certaines normes internationales, pour diverses raisons. Je ne les compare pas. Lorsque des pays ne se comportent pas de manière civilisée, qu'ils n'affichent pas un comportement de base auquel nous nous attendons, habituellement, nous ne leur accordons pas d'avantages de commerce préférentiels.
Contrairement à la caractérisation qu'a faite M. O’Toole des renseignements que j'ai fournis, les qualifiant de faits recueillis sur Google, la liste des faits soulignés, une liste longue comme le bras et provenant de sources fiables de toutes sortes, la situation en matière de démocratie et de droits de la personne au Honduras est simplement épouvantable. Et ce n'est pas uniquement dans la société civile; le gouvernement lui-même participe à ces violations des droits démocratiques et de la personne. Donc, je demande simplement…
Certains diront que nous devrions nouer le dialogue avec tous les pays du monde, car c'est la façon d'améliorer les choses. Mais, ce n'est pas ainsi que nous menons notre politique étrangère. Nous ne prétendons pas qu'il faudrait négocier un accord commercial avec l'Iran, car ce n'est qu'en nouant le dialogue avec ce pays que les choses vont s'améliorer.
Alors, qu'en est-il du Honduras? Avez-vous eu ce genre de réflexion ou de discussions?
:
Merci beaucoup d'avoir accepté de venir nous livrer votre témoignage.
Monsieur MacKay, vous dites que l'élimination des tarifs douaniers et la création de meilleures conditions pour l'investissement au Honduras sont les facteurs qui ont motivé la négociation de l'Accord de libre-échange entre le Canada et la République du Honduras. Toutefois, en analysant les rapports internes du MAECI, notamment celui publié en octobre 2013, j'ai été surprise d'apprendre que la majeure partie des marchandises importées et exportées entre le Canada et le Honduras sont assujetties à des tarifs douaniers très faibles, soit moins de 5 %. Par ailleurs, les statistiques sur les investissements directs canadiens au Honduras ne sont pas accessibles au public.
Nous savons que le Honduras, sur le plan de la valeur des exportations, pointe au 104e rang des marchés d'exportation pour le Canada. Selon des rapports internes du MAECI, les avantages que tirera le Canada de cet accord de libre-échange sont marginaux. En tant que parlementaire, j'ai beaucoup de difficultés à comprendre l'urgence et la nécessité de négocier un accord de libre-échange avec un pays comme le Honduras, notamment si l'on tient compte des violations endémiques des droits de la personne qui y sont commises.
Mais, j'aimerais parler du secteur agricole au Honduras. Les bananes sont la deuxième marchandise en importance importée au Canada en provenance de ce pays. Selon Festagro, une fédération de syndicats agro-industriels, 31 syndicalistes et 52 travailleurs ruraux ont été tués depuis 2009. Selon certains rapports, des syndicalistes bien en vue, comme José Maria Martinez, de Festagro, continuent de recevoir des menaces de mort.
Le MAECI est-il au courant de ces violations des droits de la personne? Que sait le ministère sur ces violations des droits de la personne et les menaces faites à l'endroit des syndicalistes?
: (Traduction de l'interprétation):
Merci infiniment de me donner la parole 10 minutes. Je vais tâcher d'en faire le meilleur usage possible. Je vous parlerai de mon organisation, le COFADEH, et de ce qui nous inquiète en tant que défenseurs des droits de la personne.
Permettez-moi de mettre les choses en contexte. La situation au Honduras est très inquiétante aux yeux du COFADEH. Les droits de la personne se sont nettement détériorés, et c'est pourquoi nous sommes ici. Le fait que vous nous écoutiez nous envoie le message prometteur que les droits de la personne ne sont pas que des mots sur papier; ils doivent se traduire dans la réalité. De plus, vous devez absolument savoir que la situation s'est détériorée depuis le coup d'État de 2009. Je suis persuadée que vous en êtes déjà conscients, mais n'oubliez pas que la démocratie ne peut pas fonctionner sans un profond respect des droits de la personne.
Voilà pourquoi j'aimerais vous parler de ce que nous faisons et des raisons de notre inquiétude. Nous avons été occupés, et nous sommes bien sûr de plus en plus alarmés par les violations de plus en plus graves des droits de la personne.
Le Honduras a des institutions nationales, mais elles ne fonctionnent pas vraiment. Il n'y a aucun cadre institutionnel. Je vous en informe en guise d'introduction puisque les investisseurs pourraient se demander comment il est possible d'investir dans un pays dont les institutions sont aussi inefficaces. Comment le rendement du capital investi peut-il être garanti?
Un autre élément est essentiel à mes yeux lorsqu'on parle d'un pays comme le Honduras et de personnes comme vous: comment pouvez-vous croire que la situation en matière de droits de la personne n'est pas la priorité? Il faut y accorder la priorité. Voilà ce que nous avons à dire.
Nos données sur les violations des droits de la personne nous donnent la chair de poule. Ces derniers temps — c'est-à-dire l'an dernier —, plus de 600 femmes ont été assassinées, meurtres qui ne sont pas uniquement attribuables à leur sexe, mais plutôt au fait que ces femmes se consacrent entièrement à défendre les droits dont on les a privées. Plus de 30 journalistes ont été assassinés. Ce n'était pas ainsi dans notre pays; nous n'étions pas touchés par ce phénomène auparavant. Voilà qui indique clairement une violation des droits à la liberté d'expression et à l'information.
Plus de 400 jeunes ont été tués récemment, et plus de 120 paysans aussi dans la région de Bajo Aguan seulement. L'État et ses agents n'ont pas la moindre volonté de faire enquête sur ces meurtres. Lorsqu'aucune enquête sérieuse, indépendante et responsable n'est menée dans un pays, c'est l'impunité qui règne.
Nous ne sommes pas ici pour parler du climat d'insécurité et de violence au pays, puisque le Honduras est un des pays les plus violents au monde, mais plutôt des violations graves des droits de la personne qui sont attribuables à la violence généralisée. La situation est encore pire que ne le laisse entendre l'information que je vous ai présentée. Des efforts sont déployés, mais ceux qui dénoncent la situation et qui essaient de changer les choses se heurtent à une culture de la peur.
Ceux qui défendent les droits de la personne se trouvent dans une impasse. Dans les médias, on dit que ces personnes ont un effet déstabilisant. Or, nous aidons les victimes et le peuple. Nous exprimons nos inquiétudes et essayons de renforcer la primauté du droit au Honduras.
Pour l'instant, la primauté du droit est reconnue officiellement, mais pas dans les faits. Cette situation nous inquiète, car le respect des droits de la personne s'est nettement détérioré. Mais ce n'est pas tout. Avec le travail que nous réalisons depuis des années, nous pensions avoir mis un terme à l'intolérance politique et à la militarisation.
N'oublions pas la pauvreté. Lorsque la population vit dans la pauvreté, la militarisation ne règle rien. Or, les interventions militaires se multiplient partout au pays. C'est très grave, et nous tenons à vous en faire part. Nous sommes inquiets puisque nous voulons renforcer l'État. Nous voulons permettre au peuple hondurien de vivre dans un pays qui respecte pleinement les droits de la personne, mais nous n'y sommes pas encore arrivés. Ce n'est pas ce dont nous sommes témoins. Nous constatons plutôt une consolidation du pouvoir par le parti en place, ce qui empêche l'indépendance de l'État du Honduras. La consolidation des pouvoirs est nécessairement une menace pour les droits de la personne, et c'est ce qui se passe à l'heure actuelle. C'est saisissant, et je tenais à vous en faire part.
Ceux qui souhaitent investir au Honduras doivent savoir qu'il est impossible de garantir les investissements dans le contexte actuel. Les conditions ne sont pas réunies non plus pour augmenter la force du peuple — bien au contraire. Les collectivités tentent d'intensifier le plus possible leurs pressions puisqu'elles ne sont pas consultées, ce qui donne lieu à des violations des droits de la personne.
J'aimerais aussi vous parler des déplacements de gens d'une collectivité à l'autre en raison du climat de terreur qui règne. Depuis les élections, certains de ceux qui s'opposent aux politiques ont aussi été victimes de meurtre. Nous n'inventons rien. C'est vraiment ce qui se passe.
J'aimerais aussi attirer votre attention sur l'exode vers d'autres pays, non pas que les habitants souhaitent quitter leur pays, mais parce qu'ils craignent d'être assassinés. L'exode des Honduriens se poursuit, soit pour des raisons politiques ou parce qu'ils s'opposent à ce qui se passe, car ceux qui parlent sont persécutés, menacés et accueillis avec hostilité.
La consolidation des pouvoirs de l'État donne actuellement lieu à un autre phénomène inquiétant, à savoir la persécution de la plupart des gens au moyen de mécanismes légaux. Il leur est donc impossible d'exercer leur droit de contester ce qui se passe au Honduras.
J'ignore si les 10 minutes sont écoulées, mais je vais m'arrêter ici. Si vous avez des questions, je serai ravie d'y répondre.
:
Merci, monsieur le président.
Permettez-moi de commencer en exprimant ma profonde gratitude pour l'invitation à comparaître aujourd'hui. Nous avons énormément de respect pour les travaux de votre comité. Nous nous réjouissons plus particulièrement de pouvoir contribuer à votre étude de la Loi sur la croissance économique et la prospérité — Canada-Honduras.
[Français]
Je m'appelle Peter Iliopoulos et je suis vice-président principal, Affaires publiques et corporatives, chez Gildan.
[Traduction]
J'aimerais commencer par vous donner un bref aperçu des activités de Gildan. Fondée en 1984 par la famille Chamandy, notre société dont le siège social se trouve à Montréal, au Québec, est maintenant cotée à la Bourse de Toronto et au New York Stock Exchange.
La société compte plus de 34 000 employés dans le monde et distribue ses produits dans plus de 30 pays. Nous sommes fiers de pouvoir livrer un produit de grande qualité à nos clients en misant sur nos pratiques sociales et environnementales de calibre et sur notre gouvernance d'entreprise canadienne.
Nous sommes un fabricant de vêtements verticalement intégré, et notre principal centre manufacturier est situé au Honduras. Du côté de la fabrication, nous avons des installations au Honduras, en République dominicaine et au Nicaragua. Nous avons aussi récemment fait l'acquisition d'une petite usine de fabrication verticalement intégrée au Bangladesh.
Dans le cadre de notre intégration verticale, nous possédons également des installations de filature aux États-Unis. Nous distribuons nos produits dans deux marchés principaux, à savoir les grossistes du Canada, des États-Unis et d'autres marchés étrangers, et, depuis peu, les détaillants des États-Unis. Nous vendons des tee-shirts, des chandails de sport et des vêtements en molleton dans le réseau de distribution en gros. Nous avons également élargi notre gamme de produits pour y ajouter des chaussettes et des sous-vêtements afin d'offrir une ligne plus complète au réseau de vente au détail.
En ce qui a trait à nos activités au Honduras, elles ont commencé en 2001 et représentent le plus gros volet de notre production totale. Nous avons quatre installations de fabrication de textiles, deux installations intégrées de fabrication de chaussettes, quatre installations de couture et une installation de sérigraphie, lesquelles sont chargées de produire nos vêtements de sport, articles chaussants et sous-vêtements. Au total, cela représente plus de 700 millions de dollars de dépenses en immobilisations. Nous avons plus de 24 000 employés dans le pays, faisant de nous le plus important employeur privé de la région.
Nous avons choisi le Honduras en raison de son emplacement stratégique pour servir notre principal marché aux États-Unis. Notre expérience nous a montré qu'il y avait une main-d'oeuvre très qualifiée là-bas, ce qui permet la mise en place d'une équipe de gestion locale et décentralisée robuste pour gérer nos activités. Nous pouvons aussi tirer parti de l'accord de libre-échange CAFTA-DR, qui donne au Honduras et à la République dominicaine un accès au marché américain en franchise de droits.
Les négociations de l'Accord de libre-échange entre le Canada et la République du Honduras ont pris fin à l'été 2011, et la signature a eu lieu en novembre 2013. Nous attendons maintenant avec impatience la ratification de l'accord qui, lorsqu'il sera en vigueur, nous permettra d'alimenter efficacement le marché canadien de la vente au détail, surtout pour faire concurrence aux importations asiatiques.
L'engagement véritable de Gildan pour l'intendance, ou Genuine Stewardship, est notre programme de responsabilité sociale d'entreprise, ou RSE, qui n'a cessé d'évoluer pendant plus de 10 ans et qui est basé sur quatre piliers: les gens, l'environnement, la communauté et le produit. La RSE représente un élément clé de nos valeurs et de notre stratégie d'entreprise globale, et nous pensons que nos pratiques nous placent en tête de l'industrie. Notre programme de conformité sociale inclut un code de conduite et d'éthique strict basé sur des normes reconnues à l'échelle internationale et un processus de vérification très rigoureux, notamment au moyen de vérifications régulières par un tiers indépendant dans chacune de nos installations.
En 2007, Gildan était le premier fabricant de vêtements verticalement intégré à être accrédité par la Fair Labor Association, qui a servi de tremplin à notre programme aujourd'hui complet et solide de RSE. En outre, chacune de nos installations de couture a été certifiée par le programme Worldwide Responsible Accredited Production.
Depuis 2009, Gildan est reconnue annuellement par Jantzi-Macleans comme étant l'une des 50 meilleures entreprises citoyennes au Canada. En 2013, Gildan a été inscrite dans le Dow Jones Sustainability World Index; elle est une des deux sociétés nord-américaines et la seule société canadienne du secteur du textile, du vêtement et des biens de luxe à faire partie de l'indice. L'examen annuel de l'indice est basé sur une analyse rigoureuse du rendement de l'entreprise et des volets économique, environnemental et social, en tenant compte de questions comme les normes de la chaîne d'approvisionnement et les pratiques de travail, les systèmes de gestion de l'environnement, la gouvernance d'entreprise et la gestion du risque.
Pendant six années consécutives, Gildan a justement reçu le sceau de la fondation pour la RSE au Honduras, qui reconnaît nos normes rigoureuses et notre ferme engagement au pays en matière de RSE.
Les conditions de travail des employés de nos usines partout dans le monde comprennent des salaires concurrentiels largement au-dessus du salaire minimum dans l'industrie; l'accès 24 heures sur 24 à des cliniques en milieu de travail; une équipe de 22 docteurs et de 37 infirmières; le transport gratuit aller-retour du logement au travail; les repas subventionnés. Nous sommes aussi en train de mettre en oeuvre le meilleur programme d'ergonomie de sa catégorie en collaboration avec l'Ergonomics Center de la Caroline du Nord. La mise en oeuvre devrait prendre fin au Honduras d'ici la fin de 2014, puis le programme s'appliquera à toutes nos usines. Dernièrement, nous avons inauguré trois écoles de santé du dos au Honduras, une première pour notre industrie dans ce pays.
En général, les conditions de travail de nos employés, qui représentent notre principal actif et notre meilleur gage de succès, revêtent une importance capitale pour nous. Après près de 15 ans dans la région, nous avons pris nombre d'initiatives qui favorisent grandement le mieux-être de nos employés et des collectivités. Je vais vous donner quelques exemples.
Depuis 2003, Gildan est partenaire du ministère de l'Éducation du Honduras et de l'Agence américaine de développement international pour offrir l'éducation primaire et secondaire dans les régions défavorisées du Honduras, dont 900 de nos employés ont aussi profité. En 2010, Gildan a facilité l'ouverture d'une pharmacie adjacente à nos cliniques en milieu de travail au Honduras, qui a fourni plus 57 000 médicaments prescrits par nos médecins seulement en 2013. En 2011, une des infirmières de nos cliniques en milieu de travail a élaboré un atelier pour toutes les employées enceintes, auquel près de 500 employées ont participé.
Sur le plan environnemental, nous appliquons une politique, un code d'usages et un système de gestion stricts. Comme pour notre programme de conformité du travail, nous menons régulièrement des vérifications environnementales dans toutes nos usines. Nos systèmes de traitement biologique secondaire sont très efficients, tout comme nos centrales à la biomasse de production de vapeur qui réduisent considérablement nos émissions de gaz à effet de serre.
Nous mettons l'accent sur les partenariats avec les collectivités où nous travaillons, sur l'éducation des jeunes et sur l'aide humanitaire. En 2005, nous avons dirigé la mise en oeuvre d'une école technique au Honduras pour toute l'industrie. Jusqu'ici, notre investissement de plus de 1,6 million de dollars a permis à 7 000 étudiants de décrocher un diplôme à cette école.
Concernant la durabilité, tous nos produits sont certifiés à la norme OEKO-TEX Standard 100, qui garantit aux consommateurs que nos produits sont sécuritaires et ne contiennent aucun produit chimique ou matière dangereuse.
Malheureusement, je ne peux que résumer nos pratiques de responsabilité sociale à cause du temps dont je dispose.
Je tiens à souligner l'importance de l'accord de libre-échange Canada-Honduras pour Gildan et nos activités au Canada. Lorsque cet accord sera mis en oeuvre, notre entreprise canadienne sera plus concurrentielle ici au pays, surtout par rapport aux importations asiatiques dont certaines profitent déjà d'un accès en franchise de droits. Cet accord nous permettra aussi d'entrer sur le marché de détail au Canada, ce que nous n'avons pas réussi à faire jusqu'ici. Présentement, nos ventes au Canada ne représentent que 3 % de nos ventes consolidées.
Notre entrée sur le marché de détail au Canada profitera aussi aux consommateurs canadiens, qui auront une option moins chère pour les vêtements, les articles chaussants et les sous-vêtements. Surtout, les Canadiens auront accès à nos produits à bas prix haut de gamme fabriqués selon les meilleures normes reconnues en matière de responsabilité sociale des entreprises et de valeurs canadiennes.
En terminant, nous avons hâte que l'accord soit ratifié et mis en oeuvre. Nous attendons le libre-échange entre ces deux pays depuis plus de 10 ans. Nous espérons donc qu'il sera mis en oeuvre rapidement.
Je vous remercie encore de l'invitation et je suis prêt à répondre à vos questions.
Merci.
Nous voulons être très clairs. Nous ne comprenons pas la pauvreté extrême qui accable notre pays. Peter parlait de tout ce qui va bien, mais un certain nombre de graves violations des droits de la personne sont commises. Nous y travaillons, parce que le législatif ne prend aucune mesure, au pays. Nous avons exprimé nos préoccupations à la Cour interaméricaine des droits de l'homme, concernant l'entreprise Gildan. Il nous paraît fondamental de savoir que les jeunes femmes constituent l'essentiel de la main-d'oeuvre. Il y a un manque de vision claire sur les conséquences que le travail de ces femmes entraîne sur leur santé. Nous voulons tirer la question au clair sur le plan juridique et en bonne et due forme.
En réponse à votre question, nous ne pouvons pas nier que le Honduras est victime de narcotrafic et de violence généralisée. C'est pourquoi on dit que c'est le pays le plus violent. Cela dit, notre travail ne porte pas sur le crime organisé ou le narcotrafic, mais sur les violations des droits de la personne commises par les autorités du pays contre les dissidents politiques. Nous voulons être très clairs là-dessus.
C'est difficile de travailler dans le secteur des droits de la personne au Honduras de nos jours, car le taux de criminalité excède nos capacités. Le nombre de morts et d'arrestations ainsi que la persécution et les accusations politiques dans le système de justice découragent la population à formuler des demandes.
Une escouade suit un schéma bien établi pour tuer les gens, avec l'aval ou dans l'indifférence des agents d'État ou des organismes. Nous dénonçons à répétition les lieux clandestins où les gens sont emmenés et torturés, comme à la naissance du COFADEH. Avec de la chance, ces gens sont libérés, mais ils sont tués la plupart du temps.
Oui, nous ne pouvons pas nier ce qui a été dit ici. Des activités sont liées au narcotrafic, mais ne pouvons pas tolérer les graves violations des droits de la personne à cause de l'ampleur du narcotrafic. Dans la collectivité d'Ahuas, deux femmes enceintes, un mineur et un homme d'environ 40 ans ont été tués. Cette attaque est importante, car quatre personnes sont mortes, mais quatre autres ont été blessées dont deux mineurs. Ces gens ne peuvent plus mener une vie épanouie, en raison des dommages causés par cette attaque.
De graves violations des droits de la personne sont passées sous silence à cause du narcotrafic. Ces attaques visent les dissidents politiques.
Nous sommes ici pour vous demander de réfléchir à la ratification du traité, de faire des recherches, d'aller sur place et de rencontrer les divers groupes sociaux au Honduras. Ne parlez pas seulement à ceux qui appuient ce projet.
Il faut intégrer et créer la stabilité démocratique au Honduras. Cet exercice ne se réalisera pas en quatre ans seulement, parce que de graves violations des droits de la personne sont commises.
Ma question s'adresse à Mme Oliva.
Merci de votre présence et de votre travail axé sur la défense et la compassion. J'ai lu une partie de votre biographie, qui décrit une situation horrible. Votre mari est disparu, et je suis convaincu que personne autour de la table ne peut comprendre cette situation ou s'identifier à votre parcours. Nous voulons aider la population au Honduras.
Ma question fait suite au commentaire de M. O'Toole sur le retrait et l'isolationnisme ou notre participation à l'amélioration de la société et de la justice sociale, ainsi qu'aux projets de promotion des droits de la personne et au développement économique au Honduras. Pensez-vous que nous sommes dans la bonne voie?
Concernant l'accord, nous avons parlé des droits des travailleurs. Le Canada et le Honduras ont négocié le chapitre sur le travail de l'accord de libre-échange, un accord parallèle sur la coopération dans le domaine du travail, ainsi que de vastes obligations d'application et des sanctions.
En vertu de l'accord de coopération dans le domaine du travail, le Canada va travailler avec le Honduras pour promouvoir les normes de travail et pour mieux protéger les travailleurs. Le Canada fournit une aide technique en matière de travail pour aider le Honduras à assumer ses obligations aux termes de l'accord. Pensez-vous qu'il s'agit d'une initiative positive, en plus de la baisse des prix du boeuf et du porc? Devrions-nous nous retirer, quitter le Honduras et cesser de participer au développement?