CIIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
Comité permanent du commerce international
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le jeudi 10 avril 2014
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Je déclare la séance ouverte.
Merci à nos témoins de s'être déplacés.
Nous sommes saisis de l'examen du projet de loi C-20, Loi portant mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange entre le Canada et la République du Honduras ainsi que des accords de coopération dans les domaines de l'environnement et du travail.
Nous accueillons Karen Spring du Honduras Solidarity Network. Merci de vous être déplacée. Je crois que nous allons commencer par son témoignage, après quoi nous passerons à ceux de Tasleem Thawar et de Carmen Cheung, de PEN Canada, programme international de droits de la personne. Je crois, mesdames, que vous allez vous partager ce temps de parole.
Commençons par Karen. Vous avez la parole.
Bonjour tout le monde.
Je m'appelle Karen Spring et je représente le Honduras Solidarity Network qui est un réseau de plus de 20 organisations de partout aux États-Unis. Nous travaillons au Honduras depuis 2009 et notre projet le plus récent a consisté à organiser une délégation de 170 observateurs électoraux lors des élections de novembre 2013. Nous travaillons donc au Honduras depuis 2009 et j'ai passé le plus clair de mon temps dans ce pays depuis ce moment-là.
Je me propose de vous parler un peu du contexte des droits de la personne au Honduras et plus précisément des droits de la personne en relation avec les intérêts économiques du Canada là-bas et dans les secteurs qui sont peut-être les plus touchés par l'Accord de libre-échange.
Depuis 2009, la violence au Honduras a augmenté considérablement, ce qui est particulièrement troublant sur le plan des droits de la personne, surtout quand on songe à l'impunité qui règne en maître. Peu de crimes font l'objet d'une enquête et il y en a encore moins qui sont entendus par des tribunaux. La Cour suprême du Honduras a estimé que le taux d'impunité est d'environ 98 %, mais selon les personnes avec qui l'on s'entretient, on nous dit que ce taux d'impunité peut varier entre 80 et 98 %.
Ainsi, étant donné ce taux d'impunité, il est très difficile de régler les problèmes de droits de la personne, et il existe de véritables répercussions à cet égard en lien avec les investissements canadiens dans la région, toujours compte tenu de ce taux d'impunité élevé.
Je vais vous parler un peu des trois grands secteurs d'intérêt canadiens au Honduras.
Le premier est celui du textile. Les textiles sont un important produit d'importation en provenance du Honduras. L'industrie du textile emploie surtout des femmes et il y a des usines canadiennes au Honduras qui sont principalement situées dans les zones franches industrielles. Quand je parle de l'industrie des vêtements et du textile, je pense surtout à Gildan, qui est une entreprise canadienne présente au Honduras.
Un grand nombre des usines de Gildan se trouvent dans la zone franche industrielle et elles sont actuellement exonérées de taxes par le gouvernement hondurien. À l'intérieur des zones franches industrielles, les entreprises de textile et les ateliers de sueur n'ont pas à payer de salaire minimum à leurs travailleurs. Il existe deux types de salaire minimum au Honduras et, par la loi, les entreprises seraient normalement tenues de payer un salaire minimum. Mais très souvent, dans le cas des usines de Gildan au Honduras, les salaires des travailleurs et des travailleuses ne sont pas indexés au salaire minimum. Ces personnes sont payées à la production, ce qui veut dire que l'employé de Gildan doit, pour gagner un salaire s'approchant du salaire minimum, effectuer des quarts de quatre jours suivis de quatre jours de repos. Ces personnes doivent aussi effectuer quelque 6 000 opérations semblables par jour. Il peut s'agir de coudre les manches d'un t-shirt 6 000 fois par jour pour atteindre le quota de production élevé imposé par l'entreprise. Encore une fois, tout ça pour gagner le salaire minimum qui est d'environ 192 $ par mois.
Ainsi, comme je l'ai dit, les salaires sont indexés à la production, ce qui exige des travailleurs et des travailleuses d'effectuer énormément de gestes répétitifs durant un quart de travail. Un grand nombre de ces femmes — et je parle des femmes parce que j'ai fait ma thèse de recherche sur les problèmes de santé au travail des femmes dans les usines de Gildan — souffrent de problèmes musculosquelettiques à cause des mouvements répétitifs qu'elles doivent effectuer pour parvenir au quota de production.
Gildan a reconnu la nature du problème dans ses usines, et a essayé de le régler en appliquant un programme ergonomique. Cependant, même l'Association du travail équitable, qui est allée inspecter les usines à la suite des plaintes formulées à cause des problèmes de santé et de sécurité dans ses établissements, a reconnu que les travailleuses et les travailleurs n'ont pas été invités à participer à l'élaboration du programme, ce qui est souvent un aspect important de tout programme ergonomique en milieu industriel.
Quelque 30 à 40 Honduriennes sont en attente de diagnostic médical établissant que leurs problèmes musculosquelettiques ont un rapport avec leur travail d'ouvrière d'usine. Pour des centaines d'autres, l'hôpital subventionné par l'assurance sociale hondurienne a établi ces diagnostics médicaux, faisant un lien entre leurs troubles musculosquelettiques et leur métier.
L'autre grand secteur d'intérêt du Canada au Honduras est la banane. Il existe une longue histoire de l'industrie de la banane au Honduras, une longue histoire marquée par des conflits fonciers.
Deux grandes compagnies bannières possèdent énormément de terres dans l'une des vallées les plus fertiles du pays, et elles ont contribué au conflit social qui a porté sur les revendications foncières au Honduras.
Je vais donc vous parler du plus récent problème de droits de la personne en lien avec l'industrie de la banane.
José María Martínez, directeur des communications de la fédération des syndicats de banane et de l'agro-industrie au Honduras, est également journaliste spécialisé dans le monde du travail et il anime, depuis 19 ans à raison de 5 jours par semaine, une émission sur les ondes d'une radio nationale intitulée El Sindicalista en el aire, soit « le syndicaliste en ondes ». Il a récemment suivi un mouvement d'organisation syndicaliste et a souvent mentionné le nom d'un fournisseur de bananes: Chiquita. La plantation en question est Fincas Las Tres Hermanas. En juin dernier, il a commencé à recevoir des menaces de mort en rapport avec son travail. Chaque fois qu'il se rendait à l'aéroport et parlait avec des représentants de Chiquita, il recevait ensuite des menaces de mort au téléphone et voyait des voitures tourner autour de sa maison et de la station radiophonique où il travaille, après ses émissions. En janvier de cette année, il faisait encore l'objet de ce genre d'intimidation en rapport avec son travail et il a dû aller se cacher par peur pour sa sécurité et pour la sécurité de sa famille.
Les menaces de mort par téléphone sont des tactiques d'intimidation assez courantes au Honduras et nombre de ceux qui s'expriment contre l'industrie bannière ou contre des grands intérêts économiques présents au pays n'ont que très peu confiance dans les institutions en place, des institutions honduriennes qui ont été invitées à faire enquête et à entendre les plaintes de ce genre. Très peu d'enquêtes ont été effectuées et les craintes de Martínez ou de gens comme lui sont très réelles, surtout qu'en 2009, 31 syndicalistes et plus de 33 journalistes ont été assassinés au Honduras.
Je vais vous parler du troisième grand secteur d'intérêt canadien au Honduras: le tourisme.
Le peuple garifoune, sur la côte nord du Honduras, est un groupe afro-indigène réparti entre 46 communautés le long de cette côte. L'industrie touristique canadienne a réalisé d'importants investissements dans une des villes du nord, Trujillo. Un Canadien, Randy Jorgensen, a fait construire un quai pour accueillir des bateaux de croisière et il est en train de construire un ensemble résidentiel protégé, toujours à Trujillo. Il a obtenu les terres où il a réalisé ses deux grands projets, de façon illégale, en les achetant de la municipalité de Trujillo. Ce bout de pays est visé par un titre foncier que détiennent collectivement les communautés de Garifunas. Ce titre foncier remonte à 1901. Les Garifunas n'ont bien sûr pas été consultés quand le Canadien a acheté les terres en question, contrairement à ce qu'exige la loi hondurienne parce que le Honduras est signataire de la Convention 169 de l'Organisation internationale du travail qui exige un consentement libre et éclairé avant le début de tout projet sur un territoire indigène. Les deux communautés les plus touchées par cet investissement touristique ont déposé une plainte en justice en 2011 relativement aux achats illégaux de territoire par Jorgensen, territoire couvert par leur titre foncier; mais jusqu'ici, ils n'ont pas reçu de réponse de l'État hondurien dans le règlement de ce conflit.
Comme je le disais, les conflits fonciers sont souvent à l'origine des violations des droits de la personne au Honduras. Tout à côté de Trujillo, là où a été construit ce quai en vue d'accueillir les bateaux de croisière, un autre conflit foncier, dans la vallée d'Aguán, a dégénéré et 130 paysans ont été tués depuis 2009. Human Rights Watch a récemment publié un rapport au sujet de la situation dans la vallée d'Aguán indiquant que les procureurs publics, la police et les militaires n'ont pas effectué d'enquêtes poussées sur les violations des droits de la personne en lien avec ce conflit foncier. À l'examen de ce dossier de la vallée d'Aguán et des meurtres de paysans commis depuis 2009, de nombreux militants et de nombreuses organisations des droits de l'homme au Honduras ont conclu que des intérêts politiques ou des interventions politiques se cachent derrière un grand nombre d'assassinats, de disparitions et de cas de torture de paysans et de leurs chefs de file.
Pour terminer, permettez-moi de vous parler un peu de la violence qui a marqué les élections de novembre 2013 et le contexte dans lequel celles-ci se sont déroulées.
Lors de ces élections, les droits de la personne ont été mis à mal, compte tenu du taux d'impunité très élevé et du nombre d'homicides commis. Un rapport portant sur les assassinats politiques au Honduras, publié un an et demi avant les élections de novembre 2013 , nous apprend que 36 candidats ou aspirants candidats aux élections de novembre 2013 ont été assassinés à cette époque. Vingt-quatre agressions armées ont été menées contre des candidats.
La liste des assassinats publiée par Rights Action indique que ce sont principalement les membres du parti de l'opposition, le parti Libre, qui ont été visés. Nombre de ces cas ont été traités dans les publications de la Fédération internationale des droits de l'homme qui a également fait part de son inquiétude face aux assassinats ciblés de membres de l'opposition, à la veille des élections.
On peut donc dire, de façon générale, qu'un grand nombre de violations des droits de la personne sont associés aux intérêts économiques du Canada dans la région et qu'à cause du taux d'impunité très élevé, il est absolument impossible de limiter l'ampleur du problème.
Je vais m'arrêter ici et vous parlerai du reste en réponse à vos questions.
Merci, monsieur le président.
Au nom de PEN Canada et du International Human Rights Program de la Faculté de droit de l'Université de Toronto, je tiens à remercier le comité de me donner ainsi l'occasion de lui parler du projet de loi C-20. Je partagerai mon temps avec Tasleem Thawar, directrice exécutive de PEN Canada.
Depuis 2010, le PEN et International Human Rights Program collaborent à des recherches et à la production de rapports sur les menaces qui, de par le monde, pèsent contre la liberté d'expression. Au mois de janvier de cette année, nous avons publié notre dernier rapport conjoint qui traite d'impunité et de violence contre les journalistes au Honduras. Je me suis chargée de la recherche pour ce rapport et nous nous sommes notamment livrés à un examen documentaire de tout ce qui a été publié sur le problème de l'impunité dans ce pays, nous avons réalisé des entrevues poussées sur place avec des journalistes, des défenseurs de droits de la personne, des avocats, des hauts fonctionnaires du gouvernement et d'autres intervenants.
Quand nous nous sommes lancés dans cette étude, le Honduras a retenu notre attention parce que, pour tout vous dire, nous avons été alarmés par ce que nous avons constaté: assassinats de journalistes dans un pays qui, jusqu'à très récemment, n'était pas particulièrement connu pour ce genre de choses. Bien que le Honduras soit miné, depuis des années, par la violence et un taux de criminalité élevé, tout semble indiquer que l'augmentation très nette de la violence contre les journalistes ne peut être associée à la tendance générale.
Nous avons donc constaté que les journalistes sont ciblés à cause de leur travail, qu'ils sont des membres particulièrement vulnérables de la population. Comme nous l'indiquons dans notre rapport, la liberté d'expression au Honduras a fait l'objet d'énormément de restrictions depuis le dépôt du Président Zelaya en juin 2009. Au cours des cinq dernières années, on a assisté à un recul sur le plan de la défense de la liberté d'expression au Honduras. Les journalistes sont menacés, ils sont harcelés, attaqués et assassinés presque en toute impunité et, parfois, dans des circonstances qui donnent sérieusement à penser que des agents de l'État sont derrière ces affaires. Tout cela a eu un effet catastrophique sur la situation générale des droits de la personne et sur la primauté du droit dans ce pays, puisque, très souvent, ces violences contre les journalistes mettent un étouffoir sur le traitement journalistique de sujets comme la corruption, le crime organisé, le narcotrafic et les affaires politiques. Craignant pour leur sécurité personnelle, de nombreux journalistes s'autocensurent ou fuient carrément le pays.
Les journalistes et les défenseurs de droits de la personne avec qui nous nous sommes entretenus se sentent en général menacés et croient que, dans le meilleur des cas, l'État n'est pas en moyen ou n'a pas envie de les défendre; dans le pire des cas, ils le pensent complice de ces débordements. Ce sentiment général est ressenti par beaucoup. Comme nous l'expliquons dans notre rapport, entre 2003 et 2013, deux condamnations seulement ont été obtenues tandis que 38 journalistes ont été assassinés, ce qui correspond à un taux d'impunité de 95 %.
Les enquêtes par la police nationale sont bâclées, quand elles sont effectuées. Et l'on reconnaît d'ailleurs généralement que la police est particulièrement corrompue, malgré des décennies de ce qu'on a appelé la « purification ». Quand nous étions sur place au Honduras, le sous-ministre de la Justice et des Droits de la personne nous a avoué que les policiers et les corps policiers sont aux prises avec de graves problèmes institutionnels, notamment à cause du crime organisé qui les a infiltrés. Un représentant d'un organisme intergouvernemental nous a déclaré que son bureau part du principe que des groupes de narcotrafiquants sont en liaison avec des politiciens, des militaires et des policiers.
Ces relents de corruption et la culture de l'impunité ont sapé la confiance au sein des agences de l'État de même que la confiance de la population envers les grandes institutions. Ce manque de confiance du public envers la police est tellement important que 20 % seulement des crimes sont signalés et que moins de 4 % font l'objet d'une enquête. Cela étant, et d'après les propres statistiques honduriennes, la police fait enquête sur moins de 1 % des crimes dans ce pays.
Les problèmes sont graves partout dans l'appareil de justice pénale. La police affirme qu'il y a enquête, tandis qu'il n'y en a aucune. Le Bureau du procureur spécial pour les droits de la personne n'a pas compétence pour poursuivre les responsables des meurtres de journalistes et il n'a pas les ressources nécessaires pour effectuer ne serait-ce que des amorces d'enquête sur les violations aux droits de la personne.
Nous avons rencontré deux procureurs spéciaux travaillant pour les défenseurs des droits de la personne, durant notre passage à Tegucigalpa. L'un d'eux, Rosa Seaman, nous a avoué qu'elle était personnellement chargée de 200 cas. Pourtant, son bureau reçoit à peine suffisamment de fonds pour son salaire et un véhicule. Elle n'a pour ainsi dire pas d'enquêteur, aucune équipe pour l'assister et l'autre procureur spécial des droits de la personne n'a pas d'analyste-enquêteur ni aucune capacité technique pour ne serait-ce que retracer l'origine des menaces formulées par courriel ou par téléphone.
Elle a estimé ne pouvoir, de façon réaliste, faire enquête que sur une seule cause par mois en vue de la défendre devant la justice. Cela veut dire 12 causes sur les 200 dont elle est chargée. Et ce n'est pas tout, elle-même et l'autre procureur avec qui nous nous sommes entretenus nous ont dit faire l'objet de menaces dans leur travail de défense des droits de la personne. Ainsi, même s'il existe théoriquement un bureau du procureur spécial pour les droits de la personne, sa capacité d'exécuter son mandat est gravement compromise par un sous-financement important et des menaces à la sécurité des poursuivants eux-mêmes.
Soyons clairs: en vertu du droit international, dès qu'un État n'est pas en mesure ou n'a pas la volonté de judiciariser les crimes, il devient complice des violations des droits de la personne. Le Honduras est aux prises avec une grave crise en matière de droits de la personne. Il n'est pas simplement question de travailler aux côtés du Honduras pour lui permettre de sortir de son passé trouble. La violence contre les journalistes, la disparition complète de toute forme de protection de la liberté d'expression et l'impunité accordée aux auteurs de crimes violents et de violations des droits de la personne demeurent la norme au Honduras.
Madame Thawar va vous expliquer en quoi tout ça est important pour le Canada et pour nos intérêts dans la région.
Je vous remercie de m'avoir permis de prendre la parole et j'ai hâte de répondre à vos questions.
Je m'appelle Tasleem Thawar et je suis directrice exécutive de PEN Canada. Avant de commencer, permettez-moi de vous parler un peu de PEN Canada. Nous sommes le pole canadien de PEN International, la plus vieille organisation de droits de la personne dans le monde qui est présente dans plus de 100 pays. Bien que nous soyons actifs dans le domaine de la liberté d'expression dans le monde — et nous rentrons tout juste de Washington où nous avons témoigné au sujet du Honduras devant la Commission interaméricaine des droits de la personne de l'Organisation des États américains — nous intervenons rarement au sujet de la politique étrangère du Canada. Cependant, comme vous l'a dit Mme Cheung, la situation de la liberté d'expression au Honduras est très préoccupante. Et nous sommes préoccupés.
Il est également important de mentionner que PEN Canada n'a rien à dire sur la façon dont le Canada doit ou devrait conclure un accord commercial préférentiel avec le Honduras. Cela étant posé, nous estimons que les négociations bilatérales avec ce pays doivent tenir compte de la situation catastrophique qui règne là-bas et être l'occasion d'améliorer la liberté d'expression au Honduras. Nous croyons que le Canada, qui est un des principaux bailleurs de fonds pour ce pays à qui il entend conférer le statut de partenaire commercial préférentiel, devrait en faire une priorité. Une presse libre et indépendante est essentielle à toute société libre et démocratique, à la primauté du droit et à la lutte contre la corruption. Nous estimons que le dossier catastrophique du Honduras en matière de liberté d'expression représente un grand risque pour les entreprises canadiennes et pour le Canada en général.
Je me propose de souligner deux ou trois aspects.
Premièrement, le Honduras est beaucoup plus mal loti que les actuels partenaires commerciaux du Canada dans la région. Pour vous donner une idée de sa situation par rapport aux autres pays, sachez que selon le palmarès de la liberté de la presse dans le monde établi pour 191 pays par Freedom House, le Canada arrive au 29e rang, le Chili au 64e, le Pérou au 89e et même la Colombie — un autre pays aux prises avec le narcotrafic — arrive à la 112e place. Où se trouve le Honduras? Eh bien, il est 140e, à égalité avec l'Égypte qui a emprisonné deux journalistes canadiens au cours des huit derniers mois. Depuis le coup d'État de 2009, 39 journalistes ont été assassinés au Honduras.
Premièrement, cet accord ne s'inscrit pas dans la continuité des affaires courantes pour le Canada. S'agissant de la liberté d'expression, le Honduras présente un bilan nettement plus mauvais que celui de ses voisins et des autres partenaires commerciaux préférentiels du Canada.
Deuxièmement, non seulement les institutions honduriennes ne sont pas parvenues à protéger les droits fondamentaux de la personne pour les Honduriens, mais l'implication du gouvernement dans les violations des droits de la personne est une tradition. Notre recherche a fait ressortir que, non seulement l'État ne fait pas enquête au sujet des crimes de journalistes, mais que, dans bien des cas, des acteurs étatiques ont été complices de ces crimes. Ce gouvernement est rongé par la corruption et il a, traditionnellement, échoué à traduire les coupables en justice.
Troisièmement, un grand nombre des dossiers à cause desquels les journalistes sont en danger concernent le commerce, l'investissement et les échanges. Tout indique que les journalistes qui écrivent sur des sujets délicats, comme l'environnement, les ressources naturelles et les conflits fonciers sont beaucoup plus susceptibles que les autres d'être pris pour cibles. Il s'ensuit que le Canada et les entreprises canadiennes pourraient très bien être touchés par cette situation de la liberté d'expression au Honduras. Même si les entreprises canadiennes présentes sur place agissent en vertu des valeurs canadiennes, elles se trouvent dans un pays où des journalistes se font tuer parce qu'ils traitent de questions susceptibles de les concerner de toute façon, directement ou indirectement. Rappelons-nous ce qui est arrivé au Nigéria, avec l'affaire Shell et l'assassinat de Ken Saro-Wiwa, et nous aurons une idée du genre de répercussions catastrophiques que tout cela pourrait avoir sur la réputation des entreprises canadiennes. D'ailleurs, la réputation du Canada pourrait être menacée de façon générale. Il n'est pas rare, sur la scène internationale, qu'on juge qu'il y a culpabilité par association en matière de droits de la personne.
Ainsi, demandons-nous ce que nous pourrions faire pour améliorer la situation au Honduras et atténuer ce genre de risques. S'il devait être adopté dans sa forme actuelle, le projet de loi C-20 mettrait en oeuvre un traité qui passe sous silence le désastre qui s'annonce, au Honduras, sur le plan des droits de la personne. Ce serait un rendez-vous manqué. Les négociations commerciales bilatérales et l'intensification des relations envisagées entre le Canada et le Honduras placent notre pays en position unique de faire pression sur le Honduras afin que ce pays fasse davantage pour s'attaquer à cette crise. Il n'est pas trop tard pour nous pour saisir cette opportunité.
Je demande aujourd'hui au comité permanent de recommander que le Canada diligente une évaluation et un rapport sur les droits de la personne au Honduras et, deuxièmement, qu'il veille à ce que les droits fondamentaux de la personne soient obligatoirement respectés par le biais de cet accord commercial.
Je vais un peu vous expliquer ces deux instruments.
Le premier, celui des évaluations en matière de droits de la personne, n'a rien de nouveau. Il a déjà été appliqué par de nombreux pays dans le cadre de la signature d'ententes commerciales, y compris par le Canada avec la Colombie. Cette recommandation comporte deux parties. Premièrement, et pour établir un point de départ, le Canada doit diligenter une évaluation indépendante, impartiale et complète de la situation des droits fondamentaux de la personne au Honduras, notamment en insistant plus précisément sur la liberté d'expression et en rendant cette évaluation publique. Deuxièmement, pour s'assurer que des progrès seront réalisés dans le sens du respect des obligations en matière de droits de la personne, le Canada devrait négocier un accord, avec le Honduras, en vertu duquel les deux parties seraient tenues de soumettre annuellement un rapport public, indépendant, impartial et complet sur les droits de la personne, chaque rapport subséquent devant faire le point sur la façon dont les améliorations signalées ont été apportées.
Enfin, comme il y a lieu de douter sérieusement de la volonté ou de la capacité du Honduras à se plier à ses actuelles obligations en matière de droits de la personne, nous aimerions que les droits fondamentaux de la personne soient exécutables par le truchement de cet accord commercial. Cela veut dire qu'il faudrait prévoir un libellé faisant état des obligations actuelles des deux pays en matière de droits de la personne et faisant en sorte que ces obligations soient exécutoires dans le cadre du traité.
Merci pour le temps que vous m'avez accordé et nous sommes prêtes à répondre à vos questions.
Merci à nos témoins de s'être déplacés aujourd'hui.
Je remercie PEN Canada d'avoir déposé son rapport devant le comité, rapport intitulé « Honduras: Journalism in the Shadow of Impunity ». Je crois savoir qu'il a été présenté et déposé à Washington auprès des hauts fonctionnaires du gouvernement hondurien et de la Commission des droits de la personne de l'OEA. Quand Brendan de Caires, qui a dirigé les recherches de PEN Canada pour ce rapport, a témoigné lors de l'audience à Washington, il a déclaré que les journalistes sont menacés, harcelés, attaqués et assassinés, parfois dans des circonstances qui donnent fortement à penser que des agents de l'État étaient impliqués.
Pouvez-vous nous parler de cela?
Il convient de remarquer que nous partons du principe qu'il n'y a pas de véritables enquêtes au Honduras, ce qui complique l'attribution de responsabilité pour ces assassinats de journalistes. Notre rapport examine deux ou trois choses, notamment les sujets couverts par les journalistes au moment où ils ont été assassinés. Nous avons trouvé des thèmes communs comme la corruption, les affaires politiques et le crime organisé.
Quant à la participation de l'État, à cause des liens entre le crime organisé et les forces de sécurité honduriennes, qu'il s'agisse de la police ou de l'armée, il est très difficile de ne pas associer les actes violents attribués à des acteurs non étatiques et les violations des droits de la personne commises par des agents de l'État. Dans certains cas — et c'est ce que nous précisons dans notre rapport — la preuve circonstancielle donne sérieusement à penser que l'État était derrière les assassinats de journalistes.
Puis-je vous donner des exemples.
Dans les premiers mois de 2013, l'ancien procureur spécial des droits de la personne a ouvert plus de 200 dossiers concernant les violations par la police, les cas d'inconduite et d'assassinats. Un rapport du caucus sénatorial des États-Unis sur la lutte contre le narcotrafic international indique que les réseaux criminels en Amérique centrale sont étroitement liés aux élites gouvernementales et militaires des pays concernés. En novembre 2011, quand Pompeyo Bonilla était ministre de la Sécurité du Honduras, on a estimé à un millier le nombre de policiers de la police nationale hondurienne qui étaient corrompus. Pour revenir sur ce qu'a dit Carmen, un observateur international a déclaré que son bureau partait du principe que les groupes de narcotrafiquants avaient établi des liens avec des politiciens, des militaires et des policiers.
À cause de ce phénomène de corruption, il est très probable que des acteurs étatiques se cachent derrière les assassinats de journalistes et que ceux qui seraient normalement chargés de faire enquête sur ces crimes n'en ont pas montré le désir ou la capacité.
Merci.
Sur le même sujet, le Toronto Star a récemment publié un article sur la journaliste hondurienne Dina Meza qui nous apprend que, selon elle, il ne reste plus une seule institution d'État honnête dans son pays natal, la République du Honduras, en Amérique centrale.
Pouvez-vous nous en dire davantage?
Il suffit de regarder la police nationale qui a connu des décennies de ce qu’ils appellent une « purification », avec de piètres résultats. Cela fait partie des points que nous abordons dans notre rapport et nous nous sommes justement entretenus avec le responsable de cette purification, au sein de la police. Il reconnaît que le processus en place n’est pas adéquat. Certains des volets de ce processus de purge, au sein de la police, ont été jugés inconstitutionnels par la Cour suprême du Honduras. Cette purge se limite aux échelons inférieurs, à savoir aux simples agents de police, sans jamais atteindre les cadres. En dépit de la purge au niveau des échelons inférieurs, les choses ne suivent pas une méthode exhaustive. Un témoin nous a confié que si l’on voulait appliquer le processus à l’ensemble du corps policier, cela prendrait 25 ans. La situation est donc très préoccupante.
Merci.
Madame Spring, au Honduras, à votre avis, qui bénéficie le plus de l’impunité, de l’anarchie et des violations de droits de la personne, à l’heure actuelle?
Je vous répondrais que, de manière traditionnelle, on dénombre une dizaine ou une douzaine de familles honduriennes qui dominent la scène politique et économique. J’ajouterais que la situation bénéficie aussi à des investisseurs étrangers. Par conséquent, je dirais que ce sont les entreprises étrangères, les capitaux privés et environ 10 ou 12 familles qui traditionnellement dirigent l’économie et la politique au Honduras.
Le comité étudie actuellement un accord de libre-échange qui s’accompagne de deux accords parallèles, dans les domaines de l’environnement et du travail, qui, contrairement à l’accord de libre-échange, ne prévoient aucun mécanisme d’application des droits de la personne, au Honduras et au Canada.
Par conséquent, madame Spring, quel effet l’ALE pourrait-il avoir, selon vous, sur les droits de la personne au Honduras? Cet effet serait-il positif, négatif ou neutre?
Je vous répondrais que même les mécanismes exécutoires prévus par la loi hondurienne ne sont pas du tout appliqués en raison d’une impunité galopante. Par conséquent, je dirais que la situation des droits de la personne sera déplorable si l’on encourage davantage les intérêts économiques dans des secteurs traditionnellement liés à des violations massives des droits de la personne qui n’ont pas suscité l’intervention de l’État.
Je pose la même question à PEN Canada. Vous nous avez dit que les journalistes sont souvent ciblés pour avoir couvert des sujets reliés aux investissements commerciaux et aux affaires. Pensez-vous que l’ALE Canada-Honduras aura un effet positif, négatif ou neutre sur les droits de la personne des journalistes?
C’est une excellente question qui, bien évidemment, porte sur une question complexe. Il est difficile de le savoir. Je crois cependant que si nous regardons les zones de libre-échange comme Ciudad Juarez ou si nous regardons Buenaventura, nous voyons clairement que le fait d’investir de l’argent dans l’espoir de résoudre le problème n’a tout simplement rien résolu. Au contraire, dans bien des cas, cela a envenimé les choses.
Ainsi, étant donné la corruption qui règne au Honduras, j’ai le sentiment que cela aggraverait les choses, mais il s’agit bien évidemment d’un enjeu complexe et tout va dépendre de la façon dont on formule cet accord commercial. Je crois que l’on pourrait faire tout un tas de choses, dès aujourd’hui, pour veiller à ce que le Canada n’envenime pas les choses.
Mardi, le comité a reçu Bertha Oliva, coordonnatrice générale du Comité des familles des détenus et des disparus du Honduras. Elle nous a indiqué qu’on n’avait pas mis en œuvre les recommandations de la Commission de vérité et de réconciliation, au Honduras, commission que soutient également le gouvernement du Canada.
J’ai une question à poser à Mme Spring.
Est-ce qu’on a mis en œuvre les recommandations importantes de la Commission qui visaient à améliorer la gouvernance et à protéger les droits de la personne?
Je crois qu’il n’y en a que très peu qui ont été mises en œuvre. C’est intéressant, car un diplomate canadien a participé à la Commission de vérité par le biais de l’Organisation des États américains. Des dizaines de recommandations ont été formulées dans le rapport de la Commission, mais la majorité d’entre elles n’ont pas été appliquées. Je peux vous donner quelques exemples.
La Commission de vérité a recommandé que l’on retire les fonctions politiques à l’armée, notamment en ce qui concerne son rôle dans les élections et la distribution des urnes électorales. Cela n’a pas été fait. Au contraire, l’armée a joué un rôle très actif et a été très présente, tout au long du processus électoral, en novembre.
La Commission de vérité a recommandé qu’on augmente la transparence financière et électorale pour les partis politiques honduriens, notamment étant donné les allégations selon lesquelles les narcodollars finissent, en grande partie, dans les poches des partis politiques. Contrairement aux recommandations, les renseignements financiers des partis politiques n’ont pas été publiés lors des élections de novembre.
On n’a pas réussi à dépolitiser le Tribunal Supremo Electoral, à savoir le tribunal électoral suprême qui est responsable du scrutin. La Commission de vérité a recommandé qu’on le dépolitise pour qu’il puisse prendre des décisions plus impartiales, mais on n’a pas appliqué la majeure partie des recommandations.
Merci, Monsieur le président. Je tiens à tous vous remercier de votre témoignage et de votre travail.
C’est intéressant de vous écouter, une séance après le témoignage de Mme Oliva, car le ministère — c’est-à-dire les fonctionnaires qui ne sont pas des politiciens — et Mme Oliva ont tous parlé des graves problèmes que connaissait le Honduras et vous en avez mentionné un grand nombre, aujourd’hui, notamment la criminalité, le narcotrafic et toutes leurs terribles retombées sur le pays.
La chose importante que j’ai retenue de Mme Oliva, c’est que, malgré ses frustrations, lorsqu’on lui a demandé si le Canada devait pratiquer une politique d’engagement ou d’isolationnisme, même si elle compte parmi les plus fervents militants, elle s’est dit contre l’isolationnisme, Je crois que nous sommes tous d’accord. En fait, j’adore la citation de John Ralston Saul qui dit combien le silence plaît au pouvoir. Donc, à mon avis, l’isolationnisme n’est pas la bonne solution.
Au-delà de nos relations commerciales que cet accord de libre-échange permettrait de renforcer, le Honduras est un pays cible pour le Canada. Selon l’année, le Canada se situe troisième ou cinquième au classement des donateurs bilatéraux. Nous sommes intervenus par l’entremise de l’OEA. Certains d’entre vous ont fait allusion à Vérité et Réconciliation, la Commission interaméricaine sur les droits de l’homme. Une partie de notre argent a notamment servi à la réforme de la justice.
Madame Spring, je crois que vous avez prononcé le mot « impunité » une dizaine de fois dans vos remarques. Pensez-vous qu’en raison des importants défis dans ce domaine, nous devions poursuivre nos efforts en nous concentrant sur la réforme de la justice et sur ce que j’appelle le renforcement des institutions, tant au niveau des enquêtes que des poursuites?
Je pense que si on pose la question en ces termes — à savoir en utilisant la dichotomie engagement/isolationnisme — on limite les possibilités, car je crois que ce que le Canada doit faire, c’est examiner son niveau d’engagement, jusqu’à maintenant, auprès du Honduras pour voir quels en ont été les résultats. Il y a eu la Commission de vérité, à laquelle le Canada a participé, puis les recommandations formulées par cette commission. La grande majorité, voire la quasi-totalité, de ces recommandations n’ont pas été mises en œuvre.
Le Canada a joué un rôle actif dans le domaine de la sécurité et des enquêtes, en examinant le système de justice et l’organe du Parquet par l’entremise de la Commission sur la réforme de la sécurité. Il s’agit d’une initiative vraiment mise de l’avant par le Canada pour s’attaquer à l’impunité.
Ce nouveau gouvernement a abrogé la loi qui avait créé la commission chargée de faire le ménage au sein des forces policières. Cette entité n’existe plus. Comme le reste, cette commission avait eu très peu de résultats positifs. Je crois que seule une poignée de policiers ont été limogés. La majorité du système judiciaire et de la structure policière est restée intacte.
À mon avis, le Canada doit examiner son engagement au Honduras pour en identifier les échecs. Il faut que les choses bougent radicalement pour que la situation des droits de la personne change.
Mais lorsque vous dites que les choses doivent bouger radicalement… j’imagine qu’on pourrait dire que les mesures ont toutes échoué, qu’elles n’ont pas pris racine, ou bien que les problèmes sont tellement profonds qu’il faudrait probablement attendre une décennie ou plus avant que les investissements ne portent fruit. Je sais que la Justice Education Society of British Columbia a été particulièrement mise à contribution dans certaines de ces initiatives, dans le domaine de la justice.
Cela nous ramène en quelque sorte au débat qui consiste à savoir si l’on doit considérer l’échec comme une raison de mettre fin à notre engagement. Le Honduras est un de nos pays prioritaires en termes d’indice de développement. Que proposez-vous donc? Si les initiatives sur lesquelles nous travaillons ne prennent pas racine et si l’effet de levier potentiel du Canada sur un pays comme le Honduras s’accroît avec le commerce, ne faudrait-il pas en tirer parti en continuant de faire pression à l’échelle bilatérale, en passant par l’Organisation des États américains?
Je sais qu’il n’existe pas de solution, mais je crois que la divergence entre les partis tient au fait que là-dessus, nous croyons qu’un plus grand engagement, une diplomatie plus directe, une utilisation accrue du commerce et une augmentation des niveaux de revenus, même de manière modeste, entraînera plus de progrès que l’autre solution, mais vous n’êtes pas en train de suggérer de solution de rechange.
En bien, je crois que si l’on veut faire appliquer… je crois qu’en fait, il existe une solution. À mon avis, on a besoin d’un système de justice fonctionnel, en quelque sorte, avant de s’engager davantage auprès d’un pays où l’inégalité continue de grandir et, plus particulièrement, parce qu’une grosse partie des retombées économiques de ce genre d’accords vont dans les poches des 10 ou 20 familles qui dominent traditionnellement la scène économique du Honduras.
Je crois qu’en ce qui concerne les droits de la personne, il faut trouver une sorte de mécanisme exécutoire auquel le Honduras devra se conformer, s’il veut que le Canada s’engage davantage. Je ne crois simplement pas que la méthode utilisée par le Canada pour s’engager… Depuis 2009, nos mécanismes d’engagement ont misérablement échoué. Je ne pense pas qu’on doive poursuivre sur la même voie. Ce qu’il faut, c’est réexaminer les choses.
Rapidement, madame Thawar, permettez-moi de vous dire que ça fait longtemps que j’apprécie le travail de PEN. Je vous remercie de votre comparution, aujourd’hui.
Vous avez dit une chose qui m’a frappé. Vous avez parlé du risque de culpabilité par association. Dans notre cas, pour le Canada et notre ALE, notre engagement est relativement lent, à ce niveau-là. Les États-Unis et l’Union européenne, qui ont des positions tout aussi musclées vis-à-vis des droits de l’homme, font déjà du commerce avec le Honduras. Sommes-nous donc si décalés que ça en intensifiant notre commerce bilatéral?
Eh bien, comme mon père disait tout le temps, si Bob saute de la falaise et si Julie saute de la falaise, vas-tu également sauter? Je crois que nous devons vraiment penser à ce qu’un engagement accru pourrait signifier, dans un pays où se produisent ces violations des droits de la personne.
Sommes-nous en train de dire: « Ne traitez pas du tout avec le Honduras? » Non. Ce que nous disons, c’est que si vous voulez faire de la bicyclette, il faut porter un casque, car il y a de très très nombreuses violations de droits de la personne qui se produisent actuellement et cela constitue des risques, à mes yeux.
Comme vous pouvez le deviner, d’après nos recommandations, PEN n’a pas d’opinion sur les pays avec lesquels le Canada devrait faire du commerce. En revanche, ce que nous disons, c’est que, dans les activités qu’il mène dans les pays où il est engagé, le Canada ne devrait pas faire empirer la situation. En fait, nous devrions sauvegarder les vies et les droits des Honduriens et, ce faisant, vraiment penser aux valeurs canadiennes et aux valeurs dont nous voulons faire la promotion à l’étranger.
Merci, monsieur le président.
Je voudrais remercier les témoins; c’est très intéressant.
J’ai un certain nombre de questions et je ne sais pas vraiment par où commencer.
Je crois que je vais commencer par vous, madame Spring, et il s’agit d’une question quelque peu différente, mais avez-vous dit que vous viviez là-bas, au Honduras?
Et comment décririez-vous la situation des femmes? N’ayons pas peur des mots. Comment vous sentez-vous? Vous sentez-vous à l’aise, notamment dans le cadre de votre travail? J’imagine que vous faites votre travail dans cet environnement. Vous sentez-vous menacée? Vous sentez-vous en danger?
Absolument. La violence est générale, au Honduras. J’ai certainement remarqué que le climat de peur s’est aggravé au sein de la population, depuis deux ans. Personnellement, j’ai été victime de vol à de multiples reprises et j’ai été suivie par des entreprises canadiennes ou par des gens qui travaillaient avec des sociétés canadiennes, dans les régions où j’ai travaillé.
Alors, tout à fait, j’ai certainement...
Je suis désolé de devoir vous interrompre, mais le temps dont je dispose est limité.
Dans le cadre de votre travail, par exemple, pour obtenir certains des renseignements dont vous avez parlé avec Gildan, vous rendez-vous sur place, pour voir les choses de vos propres yeux? Travaillez-vous sous couvert de l’anonymat? Comment effectuez-vous votre travail?
Non, je ne suis jamais allée dans les usines de Gildan. Toutefois, j’ai examiné un grand nombre de documents que Gildan a publiés. Je travaille également avec les femmes qui travaillent pour Gildan, précisément sur ce sujet.
Je crois que vous aviez commencé de mentionner certaines solutions. Donc, quelle serait une des principales solutions pour résoudre certains des points que vous avez soulevés? Vous n’avez rien indiqué, dans votre mémoire, mais je crois que lorsque vous avez répondu aux questions de Mme Liu ou de M. O'Toole, vous avez dit qu’il existait quelques pistes de solution. Laquelle préférez-vous?
Je dirais qu’il est absolument primordial d’avoir un système de justice qui fonctionne correctement.
Et au sujet de nos entreprises canadiennes, quelle serait votre solution? J’imagine que des cours d’ergonomie ne seraient pas suffisants pour envoyer quelqu’un représenter ces entreprises, là-bas? Je ne pense pas qu’il serait bon de ne pas envoyer d’entreprise canadienne au Honduras.
Encore une fois, je vous dirais probablement que si les travailleurs de Gildan se plaignent de l’entreprise, ils devraient bénéficier de la médiation d’un système judiciaire. S’il n’y a pas de médiation par un système judiciaire, au Honduras, ces travailleurs devraient avoir la possibilité de venir devant des tribunaux canadiens, d’obtenir une audience et dev faire entendre leurs plaintes.
Merci.
Madame Cheung, vous avez déclaré qu’avec la violence et les menaces, le système judiciaire n’était pas respecté. Est-ce que cela est dû au fait que les gens ne veulent pas respecter la loi ou bien au fait qu’ils n’en sont pas capables? Je sais qu’il y a une différence, mais s’agit-il d’une incapacité ou d’un manque de volonté? Est-ce que c’est dû aux gens, là-bas? Pensez-vous que les problèmes liés aux droits de la personne émanent d’en haut?
Je crois que c’est un mélange des deux. Je pense certainement que le Honduras souffre d’un manque criant de ressources. Toutefois, une des principales questions abordées dans notre rapport concernait la façon dont ces ressources sont affectées. S’agit-il véritablement d’une pénurie de ressources ou bien d’une répartition sélective des ressources? À notre avis, bien des choses pointent dans la direction d’une allocation sélective des ressources.
Si tel est le cas, il s’agit d’un refus d’enquêter et d’un refus d’appliquer la loi. L’État crée des institutions qu’il ne finance tout simplement pas. Il a un ombudsman des droits de la personne à qui il ne fournit que très peu d’argent. Il crée des bureaux judiciaires qu’il finance pour mener certains types d’enquêtes, mais pas celles qui portent sur les droits de la personne. Ainsi, pour nous, cela a tout l’air d’être un refus ou un manque de volonté.
Merci.
Madame Thawar, qu’en pensez-vous? Une de vos premières recommandations concernait la liberté de la presse. Pour sa part, Mme Spring recommande un bon système de justice. Quelle serait votre préférence? Dans quoi aurait-on avantage à investir notre argent?
Les fonctionnaires que nous avons reçus, cette semaine, nous ont dit qu’ils investissaient dans le développement; toutefois, en l’absence de points de référence, il n’y a aucune condition liée à cet argent. Ils investissent de l’argent — je ne suis pas en train de dire que ces gens-là ne font pas leur travail — mais il n’y a aucun point de référence, aucun résultat en bout de ligne, ni aucune indication de leurs objectifs à atteindre et cela me pose problème. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
Il y a deux choses, ici. Il y a deux façons de vous répondre. Tout d’abord, qu’est-ce qui explique vraiment cet échec de la liberté de la presse ou de la liberté d’expression, au Honduras? C’est la même chose qui est à la base des problèmes de justice dont parlait Mme Spring. Il s’agit vraiment d’un échec institutionnel répandu au Honduras. Outre une allocation sélective des ressources, outre le fait que les institutions manquent tout simplement de ressources, le pays souffre également de corruption.
Ce sont des institutions qui, tout d’abord, sont impuissantes, si vous regardez dans l’histoire du pays, les institutions sont créées pour que le gouvernement puisse dire qu’il dispose d’un procureur spécial, mais dans la réalité, par derrière, ils leur coupent totalement les vivres. Le gouvernement a également la possibilité de dire qu’il travaille avec le Canada sur ce dossier ou qu’il collabore avec les États-Unis sur un autre dossier ou encore de dire qu’une organisation internationale l’aide à faire telle et telle chose, ce qui lui permet de vraiment diluer ses responsabilités par rapport à ce qu’il devrait faire.
Je ne sais pas si Carmen pourrait nous en parler un peu.
Votre temps est pratiquement écoulé, mais vous aurez peut-être l’occasion d’en parler au prochain tour.
Monsieur Hoback, vous avez la parole.
Merci, monsieur le président, et merci à vous, mesdames, d’être venues ici, cet après-midi.
Vous venez vraiment de confirmer ce que bien des gens ont dit sur la situation, au Honduras, sur ce qui se passe là-bas et sur ce que traverse le pays depuis plusieurs années.
Madame Spring, vous nous avez un peu parlé de Gildan. En fait, j’ai visité l’usine ou une des usines de Gildan, au Honduras. Vous avez dit — et vous pouvez peut-être m’aider — qu’il y avait 30 ou 40 ouvriers qui avaient des problèmes à cause des mouvements répétitifs qui leurs causaient des crampes musculaires. De quoi s’agit-il?
Cela concerne donc une trentaine ou une quarantaine de travailleurs. Vous avez indiqué qu’il y avait une centaine de travailleurs qui souffrait d’autres problèmes.
Par conséquent, sur 24 000 travailleurs, qu’est-ce que ça représente réellement? Est-ce que cette proportion de personnes souffrant de ces problèmes vous semble correspondre à la moyenne, par rapport au total de 24 000 travailleurs? Car lorsque Gildan a comparu, hier, ils nous ont dit qu’ils versaient des salaires sensiblement supérieurs au salaire minimum. Ils payent peut-être en fonction des produits.
Je connais des entreprises en Saskatchewan qui fabriquent du matériel de semis et qui payent par unité de produit. Donc, si vous produisez 20 manches, on vous paye en conséquence et si vous en produisez 15, c’est la même chose. Vous pouvez vous servir de n’importe quel produit comme exemple. Peu importe, car le salaire qui est versé, en bout de ligne, est nettement plus élevé que le salaire minimum.
En fait, j’essaye de voir comment concilier les propos des représentants de Gildan et les vôtres. Comment trouvez-vous la différence? Si je prends l’exemple de Gildan, là-bas, car j’ai visité leur installation. Je suis sûr que si je comparais l’installation en question, après en avoir fait la visite, à une autre installation, ici, au Canada, j’obtiendrais des statistiques assez semblables pour ce qui est des mouvements répétitifs, des enjeux relatifs aux soins de santé et des plaintes à l’égard de l’entreprise. Il s’agit d’une entreprise canadienne, peu importe qu’elle soit implantée au Canada ou au Honduras.
Comment se compare-t-elle, disons, à la moyenne sectorielle? Je parle uniquement de Gildan, car je crois que si l’on examinait d’autres entreprises au Honduras, il y aurait toutes sortes d’autres enjeux… S’il s’agissait d’une entreprise chinoise, elle ne s’en ferait peut-être pas pour ces 30 ou 40 employés, tandis que si vous alliez voir Gildan, je suis certain qu’ils vous diraient être très préoccupés par la chose et qu’ils essayent de faire des progrès à ce chapitre. Qu’en pensez-vous?
Il s’agit des 30 ou 40 cas sur lesquels une organisation précise est en train de travailler. L’entreprise et les travailleurs ont entamé une procédure judiciaire. Il s’agit de travailleurs qui ont signalé leurs problèmes de santé. Ils n’ont que deux façons d’obtenir des soins médicaux. D’une part, ils peuvent s’adresser aux services de santé, à l’intérieur de l’usine et, d’autre part, ils peuvent s’adresser au système hondurien...
Ainsi, ils ont accès à des services de santé, au sein de l’usine? Combien d’autres usines offrent des services médicaux? Je vais encore prendre l’exemple d’une usine ici, au Canada. Il n’y a pas de service de santé à l’intérieur de l’usine. Ne pensez-vous pas que le fait qu’il y en ait, là-bas, est tout à l’honneur de Gildan, de son travail et de sa responsabilité sociale?
Je viens juste de terminer mon étude sur la santé et sécurité au travail et il y a bien des inquiétudes à avoir sur les cliniques de santé installées dans les usines et qui sont financées par l’employeur. Pour la CODEMUH, l’organisation qui représente les travailleurs de Gildan, le problème, c’est que les données sur les troubles musculosquelettiques ne sont pas rendues publiques. L’hôpital lié à l’assurance sociale, au Honduras, a ajouté qu’il lui avait fallu trouver des spécialistes plus...
Je ne suis pas nécessairement en désaccord avec vous. Je crois que les représentants de Gildan, eux-mêmes, préféreraient dire qu’ils ne veulent pas d’une telle clinique et qu’elle serait mieux ailleurs. Je crois qu’un grand nombre d’entreprises diraient la même chose.
Encore, tout est lié à la situation, au Honduras. S’il y avait un bon établissement public pour y faire traiter leurs employés, c’est probablement ce qu’ils préféreraient. S’ils pouvaient financer un tel établissement en passant par le gouvernement, pour qu’il en organise la construction, c’est probablement ce qu’ils préféreraient aussi. Mais en réalité, ce n’est pas une option.
Quelle est donc la meilleure option pour les ouvriers qui travaillent pour vous? Vous pourriez faire comme si le problème n’existait pas, car c’est ce que feraient bien des entreprises. Elles diraient que ce n’est pas leur problème et qu’elles vont s’adresser à quelqu’un d’autre, mais elles ne font rien. Eux, en revanche, ils ajoutent des services médicaux dans leur usine pour s’occuper de ces gens.
Il y aura toujours des gens qui ont des problèmes. C’est la nature qui veut ça. Vous avez 24 000 employés. Prenez n’importe quelle entreprise de cette taille et vous en aurez de toutes sortes. C’est tout simplement lié au nombre de personnes que vous employez. Ce que j’essaye de savoir, c’est si c’est anormal pour une usine de cette taille? Je ne connais pas la réponse. Et vous? Telle est la question à laquelle il faudrait répondre.
J’aimerais maintenant passer brièvement aux médias. Pourriez-vous nous brosser un portrait des médias, au Honduras? Combien y trouve-t-on de journaux? Combien de journalistes? Y a-t-il des journaux politiques? S’agit-il de journaux comme ici, à savoir relativement neutres? Ils ont leurs chroniqueurs ou éditorialistes qui expriment leur opinion, mais ont-ils des journalistes qui font des reportages? À quoi est-ce que ça ressemble, au Honduras, les journaux, les publications et tout le reste?
Il en existe une assez grande variété. Comme au Canada, vous avez les principaux médias grand public et certaines chaînes de télévision s’adressent davantage au grand public que d’autres. Ensuite, il y a les stations de radio et il y a des journaux. Il y a une radio communautaire et il y a d’autres types de communicateurs sociaux. Je dirais donc que l’éventail est assez large.
J’imagine que ce n’est pas important, finalement, quand on y pense. Lorsqu’on tue un journaliste, ce n’est pas acceptable. Lorsqu’on tue une personne, ce n’est pas acceptable. Peu m’importe que le tueur soit un trafiquant de drogue ou une autre personne. Ce n’est pas acceptable. Si vous faites un reportage sur le monde de la drogue au Honduras et que vous êtes tué, ce n’est pas acceptable. C’est malheureux. C’est inacceptable.
De mon côté, je regarde le Honduras et je me demande « Bon, alors, en tant que député canadien, que puis-je faire pour les aider? Quels sont les outils dont je dispose? Quel est l’atout dont je peux me servir pour les aider? » La chose la plus facile à faire, c’est de leur offrir un meilleur niveau de vie, leur donner le choix entre deux emplois — et je l’ai dit hier — un emploi dans le trafic de drogue, avec tous les types de cancers que cela comporte, ou un emploi chez Gildan. Ce n’est peut-être pas totalement parfait, mais s’il travaille chez Gildan, le gars rentre chez lui, après. Il élève sa famille. Il s’implique généralement auprès de son église. Il s’implique dans la communauté. Vous avez donc deux cas de figure, ici, pour ces 24 000 personnes, car si Gildan, par exemple — je m’en sers à titre d’exemple — n’était pas là, où travailleraient ces 24 000 personnes? Que feraient-elles?
Voilà ma question. Comment puis-je me servir de mes atouts pour essayer d’intervenir et faire en sorte que la vie de cet enfant qui naît aujourd’hui au Honduras sera meilleure, dans 10 ans. Je regarde la Colombie et les pays qui ont connu des situations semblables. Je compare le Medellin d’aujourd’hui à celui de 1985. Comparez le Bogota d’aujourd’hui à celui de 1985. Qu’est-ce qui a fait changer les choses? Qu’est-ce qui a permis d’améliorer la situation? Aujourd’hui, on peut se promener dans le centre-ville de Medellin sans s’inquiéter, tout comme à Bogotta, ce que j’ai fait. Mais c’est impossible au Honduras.
Nous misons sur le commerce et l’activité économique, car ce sont les outils qui ont rendu cela possible. N’est-il pas juste de penser comme ça?
Premièrement, il y a des gens, dont le travail consiste à décider de la meilleure méthode pour le développement, qu’il s’agisse du commerce ou d’accords économiques, ou qu’il s’agisse d’autres moyens et nous ne sommes pas vraiment ici pour discuter de cela. Pour nous, pour moi, ainsi que pour PEN et pour la PIRH…
Bien entendu, nous voulons améliorer les choses.
C’est exactement pour cela que nous avons proposé nos recommandations, car si le Canada le désire, si le Canada pense que le commerce est la meilleure façon d’améliorer le sort du peuple hondurien, nous pouvons, en fait, déjà faire certaines choses pour que améliorer la situation.
Il y a deux choses que nous pouvons faire. Premièrement, nous pouvons commander une évaluation indépendante des droits de la personne et, je le répète, cela ne nécessite aucun amendement au traité. Le Canada peut commander une telle évaluation à n’importe quel moment. Il s’agit d’une chose relativement simple. Deuxièmement, nous devons nous assurer que nos obligations existantes en matière de droits de la personne — sans en créer de nouvelles pour le Honduras ou pour le Canada — soient exécutoires dans ce traité, de manière à nous servir de cette occasion unique pour pousser le Honduras à répondre à ces obligations.
D’accord. Merci beaucoup.
J’aimerais vous remercier, toutes les trois, d’avoir témoigné et répondu à nos questions. Cette séance s’est avérée très intéressante et instructive.
Sur ce, nous allons suspendre la séance, le temps d’accueillir notre prochain groupe de témoins.
Nous allons reprendre nos travaux.
Nous tenons à remercier notre prochain groupe de témoins d’être venu comparaître.
De l’Institut Nord-Sud, nous recevons Pablo Heidrich, chercheur principal, Programme Gouvernance des ressources naturelles. Merci d’être ici.
De Mines Alerte Canada, nous recevons Jennifer Moore, coordonnatrice du programme d’Amérique latine. Merci d’être ici.
Nous allons commencer par vous, Jennifer. Je vous cède la parole.
Pour rentrer dans le vif du sujet, j’ai voulu me pencher sur certaines questions: dans une entente bilatérale, qu’est-ce qui pousserait une compagnie minière canadienne à vouloir investir ou à investir davantage au Honduras? De manière générale, il s’agit de réduire les risques pour une compagnie en maintenant l’environnement opérationnel actuel, pour lui donner un sentiment de stabilité par rapport à la réglementation et à la fiscalité en vigueur lorsqu’elle investit. Il s’agit également de lui donner accès à des outils d’arbitrage qui comptent parmi les plus efficaces au monde et qui permettent aux sociétés d’entamer des poursuites coûteuses contre les gouvernements lorsque ces derniers, leurs gens ou même leurs tribunaux prennent des décisions qui ne plaisent pas aux compagnies. Même si la société est déboutée, les étapes initiales du processus peuvent coûter des millions de dollars que les deux parties auraient bien mieux fait de dépenser autrement.
C’est de cela dont j’aimerais parler, en premier. Quel est l’environnement opérationnel, au Honduras, aujourd’hui? En d’autres termes, qu’est-ce que cet accord permettrait de cimenter?
Si les dernières années, et surtout les derniers mois, du gouvernement sortant de l’ancien président Lobo ont été marqués par l’adoption en force de centaines de réformes législatives, je vais me concentrer sur une loi qui est hautement pertinente pour le secteur minier: la nouvelle loi minière appuyée par le Canada et adoptée en janvier 2013. Cette loi a été élaborée et adoptée avec un fort soutien diplomatique de l’ambassade canadienne et avec l’aide du ministère des Affaires étrangères et de l’ancienne Agence canadienne de développement international.
Le gouvernement canadien et l’industrie minière, de concert avec l’association de l’exploitation minière industrielle du Honduras, ont milité pour l’adoption de cette loi, principalement pour lever un moratoire qui était imposé, au Honduras, sur les nouvelles concessions minières et les projets miniers, depuis 2006. Ce moratoire avait été mis en place par le président évincé Mel Zelaya, qui avait cédé aux pressions de la société civile hondurienne. Depuis des années, cette dernière se battait pour faire modifier la loi et remédier aux insuffisances du cadre législatif, afin de contrer les effets sur l’eau et sur la santé qu’ont commencé à ressentir les communautés de la vallée Siria, près de la mine San Martin de Goldcorp, très peu de temps après l’entrée en activité de cette mine.
On peut supposer, avec certitude, selon moi, que le gouvernement canadien et l’industrie se sont engagés dans cette démarche pour faire adopter cette nouvelle loi, à une période d’après-coup hautement répressive et violente, entre 2010 et 2013, afin que la loi sur les activités minières soit différente du projet de loi qui attendait en coulisse et qui était prêt à être débattu, avant le coup d’État de juin 2009, appuyé par l’armée. Le projet de loi de 2009, qui devait faire l’objet d’un débat en août 2009, incluait des propositions clés de la société civile, notamment l’interdiction des mines à ciel ouvert, l’interdiction d’utiliser le cyanure et le mercure pour le traitement des minerais et l’obligation d’obtenir l’approbation préalable de la communauté, avant d’octroyer des concessions minières.
Que retrouve-t-on dans la nouvelle loi? Elle ne contient que quelques points. Elle laisse la porte ouverte aux mines à ciel ouvert. Les sources d’eau ne sont pas protégées, à l’exception de celles qui ont déjà été identifiées et enregistrées — ce qui ne concerne qu’une minorité d’entre elles. Les activités minières ne sont pas interdites dans les zones peuplées, ce qui signifie que l’on peut continuer d’exproprier et de déplacer des communautés entières. On prévoit consulter les communautés, mais uniquement une fois les activités d’exploration terminées et une fois qu’on a établi un contrat avec les compagnies minières. Les consultations se font à un stade très tardif du processus minier, ce qui signifie que même si une communauté peut vraisemblablement faire valoir sa position sur les activités minières, à cette étape-ci, advenant une opposition locale que l’État du Honduras prendrait au sérieux, le gouvernement ferait face à des risques élevés de poursuites, avec le type d’accord de libre-échange dont nous discutons aujourd’hui. Cette loi prévoit le partage d’une nouvelle redevance de 6 % sur les ventes de minerais issus de projets d’exploitation minière de métaux. Cela comprendrait notamment une taxe de 2 % pour les forces de sécurité.
Même sans s’attarder sur les conditions actuelles, sur le terrain, nous pouvons deviner que les conditions sont réunies pour qu’un conflit éclate, premièrement, avec les communautés qui s’opposent farouchement aux mines à ciel ouvert. En 2011, un sondage d’opinion publique réalisé par le centre de recherche pour la démocratie a indiqué que quelque 90 % des Honduriens étaient contre les mines à ciel ouvert.
Deuxièmement, il y a des communautés qui se battent pour protéger des sources d’eau importantes ou pour rester sur leurs terres. Cette loi permet aux compagnies de monopoliser l’approvisionnement en eau pour leurs activités minières industrielles. Cela pourrait entraîner le déplacement de communautés entières qui feraient obstacle à de nouveaux projets, compromettant ainsi gravement la survie et la subsistance économique de communauté d’agriculteurs et de paysans.
Il s’agit des mêmes lacunes que l’on retrouvait dans l’ancienne loi sur les mines et qui défavorisaient énormément certaines communautés comme celle de la vallée Siria, autour de la mine San Martin de Goldcorp. Cela a entraîné la perte des sources d’approvisionnement en eau, le déplacement d’une communauté dans son ensemble, ainsi que des risques, à long terme, pour l’environnement et la santé publique causés par le drainage minier acide, phénomène observé par un grand spécialiste de l’université de Newcastle, en 2008.
Troisièmement, j’ai peur que la nouvelle taxe de sécurité prélevée sur la production minière agisse comme un incitatif direct à la corruption des forces de sécurité pour protéger les installations minières plutôt qu’assurer la sécurité de la population, ce qui devrait être leur principale préoccupation. Je crois que les intervenants précédents ont déjà passé en revue les terribles antécédents des forces de l’État hondurien.
Qu’avons-nous entendu dire au sujet de l’activité minière au Honduras, depuis l’adoption de cette nouvelle loi? Je vais vous donner quelques exemples.
Tout d’abord, dans le Nord du Honduras, dans les montagnes situées à proximité de la côte des Caraïbes, dans la communauté agricole de Nueva Esperanza, dans la municipalité de Tela, la lutte se poursuit au sujet d’un projet d’extraction de minerai de fer qui appartient au beau-fils d’un des hommes les plus riches du pays. La communauté s’est plainte de ne pas avoir été consultée et, au milieu de 2013, on signalait déjà des taux de sédimentation élevés venant contaminer la rivière locale.
Au mois de juin dernier, le projet d’accompagnement du Honduras a signalé que des hommes armés étaient arrivés dans la communauté, sous escorte policière, pour assurer la sécurité de la mine. La police et les hommes armés auraient, semble-t-il, proféré des menaces et commis des actes d’intimidation à l’égard de la communauté. Par exemple, des hommes armés ont ciblé certains membres de la communauté qui refusaient de vendre leurs terres. Les habitants ont signalé avoir fait l’objet de menaces de mort et de couvre-feux nocturnes pendant les mois d’été. Le 25 juillet 2013, des hommes armés ont également pris en otage deux militants des droits de la personne en provenance de la France et de la Suisse et qui participaient au projet d’accompagnement du Honduras et les ont menacés pendant plusieurs heures. Un certain nombre de résidents ont été forcés de s’enfuir en août 2013.
Il existe d’autres exemples que nous pourrions aborder, mais je voudrais vous signaler que dans la vallée de Siria, là où Goldcorp a implanté son projet San Martin, Carlos Amador, militant environnementaliste bien connu, journaliste communautaire et enseignant, a dénoncé publiquement le fait qu’il était surveillé et suivi, depuis quelques mois, par des individus inconnus se déplaçant à bord de véhicules aux vitres teintées et sans plaques d’immatriculation; on pense que sa femme a été gravement menacée. Les communautés de la région ont peur qu’on approuve de nouvelles concessions minières sur lesquelles elles n’ont pas suffisamment d’information.
À l’heure actuelle, on peut dire que les campesinos et les militants vivent dans une atmosphère de peur et de violence, car ils se battent pour protéger leur eau, leurs terres et leur droit de dénoncer les ravages de l’industrie minière, sans bénéficier de la protection de l’État ou de leur propre système de justice.
Imaginons que les choses ne soient pas ainsi, imaginons que le vent tourne et que le gouvernement hondurien fasse d’importants efforts pour respecter la volonté des communautés et pour mieux protéger leurs sources d’eau, leur environnement et leur droit de décider des activités qu’elles jugent bonnes pour elles! Que se passerait-il? La situation au Salvador offre un exemple marquant.
À l’heure actuelle, Pacific Rim Mining, de Vancouver, qui appartient actuellement à Oceana Gold, une société canado-australienne, a intenté des poursuites contre le Salvador pour la somme de 301 millions de dollars, car elle n’a pas obtenu le permis social et environnemental dont elle avait besoin pour ouvrir une mine d’or, dans le département de Cabañas, et après s’être heurtée à une opposition nationale contre les mines d’or, dans le pays.
Chose à noter, Pacific ne répondait pas aux exigences réglementaires nécessaires pour obtenir un permis d’extraction au Salvador; elle s’est plutôt rabattue sur les pressions politiques. Pacific Rim n’avait pas non plus entrepris d’examen adéquat pour comprendre — et encore moins mitiger — les effets indésirables éventuels du projet d’El Dorado, notamment sur l’approvisionnement en eau. Que la compagne finisse par gagner ou perdre sa cause en arbitrage qui est en cours, le Salvador a déjà dépensé 5 millions de dollars pour contester la poursuite, ce qui représente une somme suffisante pour fournir des cours d’alphabétisation à 140 000 adultes, pendant un an. Entre-temps, plusieurs militants écologistes ont été tués, d’autres ont été menacés à maintes reprises et l’élaboration des politiques pour le secteur minier est en stagnation.
Maintenant, si un futur gouvernement faisait ce que demandent les communautés honduriennes, à savoir s’il respectait leur droit de décider et s’il protégeait adéquatement l’approvisionnement en eau et l’environnement, cela lui vaudrait probablement un autre procès de ce genre, en vertu d’un accord de libre-échange comme celui dont nous débattons aujourd’hui.
Pour résumer, quelles seraient les retombées d’un accord de libre échange Canada-Honduras sur le secteur minier? Il viendrait cimenter un arrangement injuste pour les communautés, arrangement qui ne fournit aucune garantie de protection pour des consultations adéquates, aucune protection des terres et des sources d’approvisionnement en eau, ni de recours suffisants, en cas de dérapages. Tout cela se déroule dans un environnement, où les gens font l’objet de menaces, sur une base régulière. En même temps, il préconise des protections très solides pour les compagnies qui pourront utiliser un mécanisme d’arbitrage allant au-delà du système de justice hondurien et auquel les communautés, elles, n’ont pas accès.
Merci beaucoup.
Bonjour. Merci de m’avoir invité et de me donner l’occasion de discuter avec vous du projet de loi C-20.
À l’Institut Nord-Sud, mon domaine de recherche porte sur le commerce international et l’investissement. C’est sous cet angle que j’ai préparé mon témoignage. Cela fait six ans que je me consacre à la recherche sur le commerce entre le Canada et l’Amérique latine. Je fais également des recherches sur les relations en matière d’investissement entre le Canada et différents pays d’Amérique latine, notamment ceux avec lesquels le Canada a signé un ALE ou accord de libre-échange.
Mon exposé sera donc axé sur les éventuels avantages que ces ALE peuvent apporter au Canada, ainsi qu’au Honduras. Je vais d’abord vous parler un peu d’études théoriques, mais également empiriques, réalisées au Canada et à l’étranger et qui montrent les conditions qui permettraient à ces accords d’être porteurs de croissance économique et de développement économique pour nos deux pays. Ensuite, je vous parlerai des conditions économiques et de la gouvernance au Honduras, du point de vue économique. Enfin, je vous proposerai des politiques ou des instruments, dont le Canada peut se servir pour tisser des liens encore plus fructueux avec le Honduras.
Commençons par les accords de libre-échange. On dénombre actuellement quelque 400 accords de libre-échange en vigueur dans le monde. La plupart des pays en ont signé au moins un. Il s’agit d’une pratique qui est plus courante parmi les pays en voie de développement que parmi les pays industrialisés. Il existe déjà un nombre impressionnant d’études en cours pour voir quelles sont les conditions nécessaires pour que ces accords arrivent à remplir les objectifs visés. La plupart des ALE sont en fait signés entre les pays en développement, tandis qu’un très petit pourcentage d’entre eux sont signés entre des pays en développement et des pays développés — et il y a de bonnes raisons à cela. À ce sujet, la plupart des pays en développement signent des accords avec d’autres pays en développement, car ils essayent d’imiter l’expérience historique de l’Union européenne et, dans une certaine mesure, celle de l’ALENA, en essayant d’appliquer cette expérience à leur propre situation et à leur propre géographie.
Les écrits sur le sujet nous indiquent qu’il existe des degrés de réussite très variés. En général, les pays en développement sont trop petits et ne sont pas suffisamment avancés du point de vue technologique pour profiter d’un accès accru aux marchés que procurent ces ALE. Pour la plupart, les exportateurs de pays développés trouvent l’accès accru au marché des pays en développement assez décevant, notamment lorsqu’il s’agit de petits pays.
J’ajouterais que les ALE nord-sud sont plus difficiles à réaliser que ceux entre des pays en développement. En général, un des problèmes majeurs tient au niveau moyen de gouvernance et de l’État de droit, dans les pays en développement. Même lorsque ces conditions sont respectées, les gains pour les pays en développement ne sont pas importants: ils oscillent entre 0,1 et 0,2 % du PIB par an, pendant les 10 premières années qui suivent la signature de l’accord, pour ensuite diminuer.
Il existe d’autres indicateurs qui rapportent 10 à 20 fois plus de gains par an qu’un ALE, comme l’amélioration du système juridique, l’amélioration de la gouvernance, l’éducation publique et la santé publique. En d’autres termes, du point de vue des économistes, les mesures qui affectent le commerce, notamment si elles sont reliées au développement, revêtent une importance secondaire lorsqu’on essaye de stimuler la croissance économique des pays en développement. Ce qui est crucial, en revanche, c’est la gouvernance et l’accès à l’éducation publique et à la santé publique.
Je vais maintenant me concentrer sur l’ALE que le Canada et le Honduras ont signé. J’en ai lu le texte et, en résumé, je dirais que ces accords ressemblent beaucoup à ceux que le Canada a déjà signés avec d’autres pays d’Amérique latine, dont le Panama, la Colombie et le Pérou. L’accès préférentiel substantiel qui est accordé au Honduras, dans le secteur des textiles et des vêtements, des fruits et des légumes frais et de certains aliments transformés, ces avantages accordés au Honduras correspondent assez bien à l’avantage comparatif dont le Honduras a déjà fait preuve depuis 10 ans.
Cependant, la CNUCED, soit la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, tient un classement des pays selon l'accès qu'ils ont aux marchés de leurs principaux partenaires; le Honduras fait partie des pays en tête de liste. Autrement dit, le Honduras n'a pas besoin d'un accès élargi aux marchés pour augmenter ses exportations dans le reste du monde, contrairement à la plupart des autres pays en développement.
Par ailleurs, le Canada, grâce à l'ALE, améliore son accès aux produits agricoles, aux céréales, aux viandes et à certains produits manufacturiers s'appuyant sur la technologie. Ce qui est plus intéressant pour le Canada, c'est la meilleure protection générale des investissements dont Jennifer a déjà fait mention et en particulier, je dirais, c'est là un raisonnement que tiennent plutôt les économistes, parce que le Honduras est classé par la Banque mondiale au rang des pays présnetant l'une des pires gouvernances, ce qui nuit à toutes sortes d'investissements, tant au niveau national qu'au niveau international. C'est un sérieux handicap pour le Honduras qui souhaite recevoir d'autres investissements.
Néanmoins, je suis très inquiet du fait que le Honduras introduise des exceptions notables à l'application de l'accord, comme les investissements dans le domaine de la construction, le raffinage du pétrole, la distribution de carburant, les casinos et la possibilité d'exclure toute entreprise canadienne de toute privatisation future réalisée par le gouvernement hondurien. En réponse à vos questions, je serai en mesure de mieux expliquer pourquoi le gouvernement hondurien agit de la sorte.
Un simple calcul me fait dire que les échanges entre le Canada et le Honduras, si cet accord est conclu, augmenteront; par contre, cette augmentation serait minimale pour le Canada et plutôt mince pour le Honduras, et ce, à la condition que le rendement de ce dernier soit aussi bon que celui des autres pays latino-américains qui ont déjà conclu un ALE avec le Canada. Je parle ici du Chili, de la Colombie, du Pérou, du Panama et du Costa Rica. Je dois dire, avant d'aller plus loin, que le Honduras est un pays complètement différent des cinq que je viens de mentionner. L'exception et l'un des grands avantages, je crois, d'accroitre les échanges avec ce pays sera l'ouverture du marché aux vêtements et aux textiles. La plupart des autres produits honduriens entrent déjà sur le marché canadien moyennant de très faibles taxes et des droits de douane minimes, voire nuls.
Par ailleurs, les exportations canadiennes auraient accès à ce marché, mais encore une fois, ces gains seraient plutôt faibles, parce que les droits de douane moyens déjà appliqués par le Honduras sont déjà très bas. Ils sont parmi les plus faibles du monde et les plus faibles dans cette région. Ils sont d'environ 5 p. 100 ou 6 p. 100. C'est déjà un pays fortement libre-échangiste. De plus, c'est une économie de très petite taille. Par rapport au Canada, l'économie du Honduras est plus petite que celle de la région d'Ottawa-Gatineau. On parle ici au niveau global seulement. Si vous à cela ajoutez le fait que le Honduras est le pays le plus inéquitable qui soit en termes de répartition du revenu, dans la région la plus inéquitable du monde, l'Amérique latine, force est de conclure que ce marché est vraiment beaucoup plus petit que celui que représente la région d'Ottawa-Gatineau.
Donc, si nous nous attendons à une forte hausse des exportations canadiennes à destination de ce marché, il faut savoir que celui-ci est structurellement incapable de nous procurer ces avantages, parce qu'il n'y a personne pour acheter ces produits. Le Canada n'est pas un pays qui se spécialise dans les produits de luxe destinés à une élite très riche. Le Canada vend des grains, des pièces automobiles et des produits qui sont plutôt consommés par les entreprises ou les personnes de la classe moyenne ou de la classe ouvrière.
Encore une fois, si l'on compare le Honduras aux autres pays d'Amérique latine qui ont conclu des ALE avec le Canada, le Honduras représente un marché 2 à 20 fois plus petit, et ce sans tenir compte de la répartition du revenu. Le Honduras compte 8 millions d'habitants dont les deux tiers vivent sous le seuil de la pauvreté et le tiers restant, dans l'extrême pauvreté. Ces chiffres viennent du gouvernement hondurien. Les Nations Unies en font un portrait beaucoup moins favorable.
Je dois donc ajouter que l'avenir...
D'accord, je vais essayer de résumer.
Si on veut envisager l'avenir, l'économie hondurienne offre une contre-performance en Amérique latine depuis dix ans et, selon toute probabilité, elle continuera à offrir une mauvaise performance. Personne ne propose de prévisions économiques — j'ai vérifié Bloomberg, Reuters et partout ailleurs — laissant entrevoir une croissance rapide du Honduras. Il n'y aura pas de croissance, il n'y en aura tout simplement pas. Ce n'est pas un pays émergent.
Selon la Banque mondiale, le Honduras est l'un des pays les plus chers pour exploiter une entreprise, étant donné son système de réglementation alambiqué et bidon, un système judiciaire inopérant et une corruption généralisée. Il se situe au 141e rang des 183 pays classés par la Banque mondiale. Seulement Haïti est classé plus bas, dans l'hémisphère occidental.
Un autre problème — j'aimerais en parler plus tard, peut-être, lors de la période de questions — c'est que le Honduras, comme vous le savez, a un sérieux problème de sécurité. Il y a eu 7 200 meurtres en 2012. Cela veut dire 20 meurtres par jour, comparativement à deux meurtres par jour au Canada, dont la population est quatre fois plus importante. La violence est en fait en croissance au Honduras, contrairement aux autres pays d'Amérique centrale.
C'est un frein remarquable au lancement d'une entreprise au Honduras, que ce soit sur le marché de l'exportation ou sur le marché local. Le cumul de capitaux est quasi impossible, comme dans toute économie qui a des problèmes de sécurité, étant donné l'extorsion pratiquée par les maras et autres gangs organisées auprès de 90 p. 100 environ de toutes les entreprises au pays en 2012, avec le rapt...
Je vais vous arrêter là. Si vous avez des observations finales, je vais vous accorder le temps nécessaire, mais votre document sera traduit et remis aux membres du comité.
D'accord, merci.
Ce que je recommande, c'est que le gouvernement canadien appuie une stratégie de sécurité, de démocratie et de prospérité au Honduras en accroissant son aide internationale, en particulier l'aide qui favorise une meilleure régulation de l'économie, une meilleure administration du système judiciaire et un contrôle de la corruption ainsi que l'amélioration des services sociaux de base.
Merci.
[Français]
Monsieur Heidrich, il est question que le gouvernement du Honduras privatise le secteur de l'éducation.
Étant donné l'importance des inégalités sociales et de la pauvreté dans ce pays, l'éventualité de cette privatisation ne vous inquiète-t-elle pas?
[Traduction]
En principe, c'est très inquiétant. La pratique internationale en ce qui concerne ces mesures dans les autres pays en développement donne de très mauvais résultats. Nous savons que cette démarche a déjà été appliquée dans certains pays de l'Afrique subsaharienne et, dans une certaine mesure, en Amérique latine, et ça n'a pas vraiment marché.
Ça coûte extrêmement cher en deniers publics, parce que, en bout de ligne, soit vous subventionnez les entreprises qui sont propriétaires des écoles et qui les exploitent à des fins lucratives, soit vous subventionnez les personnes qui doivent fréquenter l'école. L'analphabétisme est très très élevé au Honduras, le deuxième en importance dans les Amériques.
[Français]
D'après nos collègues du gouvernement, nous devons soit nous engager à l'égard du Honduras, soit rester complètement à l'écart.
Croyez-vous que nous pourrions opter pour d'autres solutions, à savoir une autre attitude ou une autre façon d'intervenir? Dans les domaines de l'éducation et de la justice, par exemple, nous pourrions peut-être développer une autre relation ou dépenser les fonds que nous allouons d'une façon qui soit plus constructive.
[Traduction]
Oui, je considère que le Canada devrait s'engager envers le Honduras. Je ne crois tout simplement pas que la signature d'un ALE à cette étape de la relation soit une bonne façon de s'engager à son égard, si le but est d'offrir le développement, la sécurité et la stabilité au Honduras. Ce ne sera pas non plus efficace pour les entreprises canadiennes.
Par contre, en effet, des niveaux d'aide supérieurs seraient certainement très très utiles, en particulier si l'aide canadienne était mieux coordonnée avec celle fournie par d'autres pays, spécialement les États-Unis et l'Union européenne. L'Union européenne offre un modèle plutôt intéressant de coopération avec le Honduras; la formule combine une aide beaucoup plus substantielle et un accès unilatéral au marché, sans demander l'équivalent au Honduras, par exemple.
[Français]
Croyez-vous que notre intervention dans l'économie de ce pays pourrait avoir des effets négatifs? Par exemple, s'il y avait un afflux de capitaux au Honduras et que cela servait à acheter aux services policiers des camionnettes et des vestes pare-balles en vue d'exercer de la répression, notre réputation ne pourrait-elle pas en souffrir à long terme?
[Traduction]
Oui, la réputation du Canada en souffrirait, surtout parce que le Canada a un avantage comparatif en tant qu'investisseur dans les ressources naturelles essentiellement, et cela pourrait entraîner une augmentation des investissements dans le secteur minier au Honduras. Comme nous l'apprend l'expérience de l'industrie minière du Canada dans le reste de l'Amérique latine, lorsque vous investissez dans des pays où la violence atteint de très hauts niveaux, en général, vous obtenez de très faibles résultats économiques et beaucoup de problèmes, beaucoup de problèmes politiques et un énorme préjudice à votre réputation ainsi qu'à la réputation du pays.
[Français]
Croyez-vous que la taille de l'économie canadienne par rapport à celle du Honduras pourrait nous permettre d'influencer de façon significative le gouvernement de ce pays ou que c'est en réalité une cause perdue et qu'il serait préférable d'attendre?
[Traduction]
Bien, en principe, oui, l'économie canadienne et le gouvernement canadien ont des ressources énormément plus importantes que l'économie et le gouvernement du Honduras et, en effet, j'ai soutenu que le Canada pourrait exercer une immense influence, mais cela exige de la détermination et d'argent. Sur le plan de l'aide, par exemple, les 40 millions de dollars ou un peu moins que le Canada consacre au développement du Honduras ne fait pas gagner en influence. Si vous voulez contribuer au développement, vous devez viser haut, et, à part cela, il y a d'autres acteurs comme les États-Unis et l'Union européenne.
[Français]
Ne croyez-vous pas que, pour utiliser un traité de ce genre comme un levier, il faut au départ avoir une intention précise?
[Traduction]
Non, en général, l'utilisation ou l'expérience internationale des ALE en tant que moyen de pression ne donne pas vraiment de résultats, même dans les pays qui ont un marché intérieur beaucoup plus important auquel donner accès, par exemple, les États-Unis, ou encore l'Union européenne ou le Japon.
Je ne pense pas que le Canada soit en mesure d'utiliser un ALE, mais il peut exploiter l'aide, parce que le gouvernement hondurien est une administration qui a très peu de ressources. Je crois que ce dont le gouvernement hondurien a besoin, ce n'est pas seulement de ressources, mais d'une aide technique ainsi que d'une certaine pression exercée de manière à ce que le gouvernement tienne plus compte des besoins sociaux en général et cesse d'agir comme un comité qui gère les bénéfices d'un très petit groupe de personnes.
L'ALE en fait encore une fois la démonstration. Les exceptions mentionnées dans l'ALE sont très parlantes, car ce sont là les intérêts des familles les plus puissantes qui contrôlent la vie politique au Honduras. C'est du jamais vu, qu'un pays déclare vouloir donner accès à tout mais pas à ces autres secteurs qui par ailleurs sont connus comme étant contrôlés par les familles les plus étroitement liées au parti au pouvoir. Pourriez-vous imaginer la même chose au Canada?
Merci, monsieur le président.
Et je remercie les deux témoins d'être présents.
J'ai quelques questions à poser à vous deux. Je vais commencer par Mme Moore.
Pouvez-vous simplement décrire quelle est la mission de Mines Alerte?
Mines Alerte est une organisation de défense, d'enquête et de soutien technique basée ici, à Ottawa. Nous offrons notre soutien aux communautés touchées par l'industrie minière ici au Canada et à l'échelle internationale.
Est-ce que la section canadienne fait partie d'un réseau international? Est-ce que Mines Alerte est un organisme international ou est-ce un organisme canadien?
Actuellement, vous faites connaître la situation des régions ou des communautés touchées par l'industrie minière, comme vous dites. Comment procédez-vous? Je vois que vous êtes la responsable pour l'Amérique latine. Vous rendez-vous régulièrement dans la région ou avez-vous des journalistes ou des enquêteurs payés? Comment diffusez-vous votre information sur un secteur en particulier?
Oui, nous nous sommes rendus au Honduras. Nous sommes en contact avec des partenaires au Honduras, dont des organismes de soutien dans la défense des droits humains, des personnes qui travaillent dans des organisations basées à Tegucigalpa, et des leaders communautaires.
Devant le comité aujourd'hui, vous avez donné comme cas de figure la situation d'une personne sur le terrain — je ne me rappelle pas s'il s'agissait de l'El Salvador ou du Honduras — qui est pris en filature par des personnes au volant d'une voiture ne portant aucune plaque d'immatriculation. C'est en ces termes que vous en avez parlé. D'où sort cette histoire? Est-ce que c'est quelque chose que vous avez vu, est-ce cette personne qui vous a rapporté l'incident ou est-ce un simple cas isolé? Comment prouvez cela...?
C'étaient des déclarations de la personne qui a fait l'objet de reportages par des journalistes honduriens qui sont grandement respectés et qui travaillent pour le COFADEH, l'organisation pour laquelle Bertha Oliva a témoigné ici mardi. Mardi soir, elle a également répété, dans son allocution à l'Université d'Ottawa, qu'elle craint pour sa vie.
Je crois que vous avez participé au programme de la CBC, The 180, juste avant que moi-même je n'y prenne la parole au sujet du programme de RSE du Canada et de notre conseiller en RSE. Ce qui m'inquiète, c'est que souvent — et vous l'avez fait devant nous aujourd'hui — vous mentionnez le nom d'une personne, par exemple cet homme-là, et un signalement et vous reliez cela aux opérations d'une entreprise canadienne X dans ce pays, mais je n'établis jamais un lien direct associant de quelque façon cette entreprise aux activités dont vous parlez. Pour moi, ce semble un cas isolé.
Non, ce que je voulais faire en mentionnant Carlos Amador ainsi que les menaces auxquelles font face la communauté de Nueva Esperanza et d'autres communautés du Honduras à l'heure actuelle, c'est de montrer que l'exploitation et l'extraction minière au Honduras créent une situation où les paysans, les indigènes, les journalistes et les leaders communautaires sont la cible de mesures de surveillance, de menaces lorsqu'ils prennent la parole pour tenter de protéger l'eau et leurs terres, lesquelles ne sont pas protégées par la loi en vigueur au Honduras. Elles ne sont pas protégées par la nouvelle législation minière que le Canada a parrainée. Elles ne sont pas protégées par cette nouvelle loi, laquelle ne peut pas vraiment être appliquée par le système de justice ou d'administration du Honduras. L'accord de libre-échange dont vous discutez ici aujourd'hui ne changera rien à la situation.
Pourtant, plusieurs autres témoins nous ont dit que le plus grand défi auquel fait face le Honduras se situe au niveau des institutions que représentent la police, le pouvoir d'enquête et le droit pénal. Qu'il s'agisse de narcotrafic ou simplement de la criminalité et de la violence en général, n'y a-t-il pas des problèmes endémiques, en particulier dans les régions éloignées du pays, qui existeraient même s'il n'y avait pas d'entreprises canadiennes oeuvrant dans le secteur?
J'aimerais entendre ce que vous avez à dire au sujet du problème structurel que le Canada a contribué à créer et à mettre en place au Honduras en parrainant la loi actuelle sur les mines, laquelle constitue le régime juridique en vertu duquel les compagnies canadiennes et d'autres compagnies vont fonctionner dorénavant au Honduras, et ce régime sera renforcé par l'accord de libre-échange actuellement débattu.
Nous ne parlons pas de terlle ou telle entreprise en particulier; il s'agit du cadre juridique, la structure en place sur laquelle elles s'appuient pour protéger et développer leurs opérations, et cela sera renforcé du fait qu'elles pourront faire appel à l'arbitrage international pour s'assurer que c'est bien le cadre dans lequel le Honduras fonctionne plutôt qu'un cadre plus strict qui assurerait vraiment la protection de l'approvisionnement en eau, des terres et de la vie des gens directement affectés.
Mais ma question portait plus sur... Supposons qu'il n'y ait pas une seule entreprise canadienne présente ou ayant quelque intérêt dans le pays, n'y aurait-il pas tout de même de graves problèmes de narcotrafic et des problèmes avec le système judiciaire?
Il y aurait quand même un problème structurel dans le secteur minier auquel le Canada a contribué en adoptant la nouvelle loi sur les mines que toute compagnie minière appliquerait. Elle serait renforcée par l'accord de libre-échange que toute entreprise ayant une filiale au Canada pourrait invoquer pour poursuivre le Honduras, si ce pays essayait de faire quelque chose pour protéger ses citoyens.
Une loi des mines ayant aussi peu de mordant et que les communautés, en particulier sous l'impulsion des répercussions des opérations de Goldcorp dans la Valle de Siria, cherchent à changer depuis 2002, et c'est pour cela qu'il y avait un projet de loi sur les mines sur la table avant que le président ne soit évincé par un coup d'État en 2009, projet de loi qui aurait mieux incorporé leurs propositions, mais il n'a jamais fait l'objet de débats en raison du coup d'État, ce dont le Canada n'a jamais fait mention.
Des représentants ministériels nous ont affirmé, lors de la dernière séance du comité, que nous avions bel et bien mis fin à nos relations à la suite du coup d'État. Il y a un autre pays d'importance qui a des intérêts dans le développement des ressources à l'international, et c'est la Chine. Est-ce que vous laissez entendre qu'il serait préférable de voir des entreprises chinoises fonctionner dans des régions du monde, dont l'Amérique latine?
Je pense qu'il existe un cadre inadéquat au Honduras pour protéger la vie et les communautés touchées par les entreprises minières, peu importe d'où elles viennent.
Merci.
Merci, monsieur le président.
Je salue les témoins.
Madame Moore, une petite question: Mines Alerte, est-ce que l'organisme est favorable aux opérations minières de quelque façon?
Je ne vois pas la pertinence de votre question, mais notre travail vise à offrir un soutien technique aux communautés affectées par les opérations minières, afin d'assurer une protection de l'environnement, de la vie, de l'eau, et pour préconiser une plus grande responsabilisation des entreprises ici au Canada. Nous travaillons avec des communautés qui ont accepté l'exploitation des mines sur leurs terres et des communautés qui ne veulent pas de mines sur leurs terres.
Nous travaillons avec des communautés touchées par les opérations minières, afin de leur offrir un soutien technique visant à mieux protéger leur qualité de vie, leurs intérêts et leur approvisionnement en eau et pour les aider à veiller...
Il est impossible de répondre par oui ou par non à votre question et je ne crois pas que ce soit utile au débat.
D'accord, merci.
Monsieur Heidrich, un des faits intéressants que vous avez soulevés lors de votre exposé, c'est que le Honduras est déjà au premier rang quant à l'accès à ses marchés.
C'est l'un des pays en développement offrant un excellent accès à ses marchés et c'est grandement...
D'accord, je ne savais pas. En ce qui concerne l'accès aux marchés, comment l'établit-on? Je suis surpris.
Bien sûr, l'accès aux marchés est fonction du taux tarifaire moyen exigé des partenaires commerciaux du pays en question. Donc, pour effectuer le calcul, vous dressez la liste des partenaires commerciaux du Honduras, vous examinez le tarif douanier moyen appliqué aux lignes de produits que le Honduras exporte vers ses partenaires et ensuite vous calculez une moyenne pondérée.
Le plus important partenaire commercial du Honduras sont les États-Unis; ils ont conclu une entente de libre-échange avec le Honduras en 2006. Ce fait explique en grande partie pourquoi le Honduras jouit déjà d'un grand accès aux marchés, de loin supérieur à la plupart des autres pays.
Ils exporte des services, bien sûr. Il compte beaucoup de centres d'appels et beaucoup de bureaux offrent une comptabilité d'arrière-boutique aux services financiers, etc.
Il exporte majoritairement du textile fabriqué en zone franche, dans la région de San Pedro Sula, là où Gildan, entre autres, a ses usines.
C'est intéressant, parce que même les représentants qui sont venus témoigner mardi ne s'attendent pas à ce que le commerce augmente vraiment. Le Canada est un importateur net de produits du Honduras, donc seriez-vous d'accord en ce qui concerne...?
Le Canada est largement déficitaire par rapport au Honduras, mais si vous me posez la question, le Honduras a un léger excédent si vous tenez compte des services.
Sa balance commerciale est excédentaire par rapport au reste du monde, mais il affiche également un excédent par rapport au Canada.
Est-ce que c'est parce que le Canada — et les représentants l'ont confirmé, donc je n'essaie pas de vous piéger — ne sera pas en mesure de vendre, comme vous dites? Ou est-ce parce que le Honduras ne sera pas en mesure d'exporter plus de produits qu'il n'en exporte déjà?
Je pense que les deux motifs s'appliquent. Je considère que le marché au Honduras est très limité. Le marché n'est pas en croissance. Il pourrait se contracter en raison d'une plus forte inéquité et d'une trop faible croissance de l'économie. De plus, le Honduras connaît ce qu'on appelle des problèmes d'approvisionnement. Il n'y a pas de croissance des investissements internationaux et il n'y a pas beaucoup d'investissements intérieurs. En fait, la majorité des investissements effectués au Honduras se font dans le secteur des services et dans la prestation des services à la population locale. C'est dû à un développement particulier, en fait à un sous-développement de l'économie hondurienne. Environ 20 p. 100 de la population active hondurienne a déjà quitté le pays, dont la moitié avec un diplôme d'études secondaires en poche, et environ les trois quarts de tous les diplômés universitaires ont fait de même. Ils travaillent essentiellement aux États-Unis, mais aussi en Europe et un petit nombre sont ici. Ils envoient de l'argent au pays, ce qui représente 16 p. 100 du PIB du Honduras tous les ans. C'est le plus fort pourcentage dans l'hémisphère occidental.
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie d'être là cet après-midi.
Monsieur Heidrich, vous avez donné un témoignage fascinant sur l'existence d'ententes de libre-échange avec de multiples pays et la possibilité ou, de votre point de vue, l'impossibilité d'un accord de libre-échange entre le Canada et le Honduras.
Vos recommandations sont favorables en ce qui concerne l'augmentation de l'aide acheminée par le Canada pour régler les problèmes qui affligent le Honduras. Par contre, à la fin de votre exposé, vous affirmez que vous ne croyez pas qu'il serait utile pour le Honduras ou pour les entreprises canadiennes de conclure cet accord de libre-échange. Pourtant, du même souffle, vous dites que les États-Unis ont un accord de libre-échange avec le Honduras depuis 2006 et qu'ils en sont les plus importants partenaires commerciaux.
Est-ce qu'il a été utile aux États-Unis de conclure un accord de libre-échange avec le Honduras?
Les études américaines que j'ai pu lire indiquent que non. Nous devrions interpréter cela au pied de la lettre. L'accord avec les États-Unis n'a aidé en rien. Il ne leur a pas fourni d'avantages additionnels. L'accès préférentiel dont jouit le Honduras dans le cadre de cet ALE concerne des avantages commerciaux qu'il avait déjà depuis plusieurs années; ça pourrait remonter à une quinzaine d'années. Le Honduras obtenait cet accès privilégié en raison de la politique américaine visant à empêcher l'expansion des régimes qui s'opposaient aux États-Unis, comme le Nicaragua, El Salvador, etc. Le Honduras a obtenu un accès très généreux au marché des textiles et il a été invité simultanément à établir des zones franches où des usines pourraient installer des ateliers et d'où proviendraient les produits exportés sur le marché américain.
Toutes ces modalités ont été renouvelées de temps à autre par le Congrès américain. Finalement, les États-Unis ont décidé d'en faire l'objet d'un accord permanent sous la forme d'un ALE avec le Honduras et les autres pays d'Amérique centrale.
Ils n'ont pas dépassé les moyennes pour ces lignes de produits, même si vous tenez compte des importations américaines, par exemple de textiles, ou que vous preniez les exportations mondiales. En général, le secteur des textiles est régulé par d'autres mouvements mondiaux de plus grande importance que les niveaux tarifaires appliqués dans le cadre de ces échanges bilatéraux.
Si je comprends bien, cet accord ne sera pas utile ni aux entreprises honduriennes ni à celles du Canada. Est-ce que vous considérez l'accord de libre-échange avec le Honduras comme étant nuisible, ou neutre?
Je dirais, sans vouloir vous contredire, mais sans trop me tromper, qu'il est inutile. Il n'aide pas véritablement. Je ne vois pas vraiment d'utilité en termes économiques. Il relève le niveau de certitude pour les investisseurs, mais le plus important investisseur canadien au Honduras est situé dans une zone franche, donc c'est un tout autre ensemble de règles qui régit ses activités. En gros, il est là parce qu'il ne paie pas d'impôts depuis 20 ans. Il applique le crédit d'impôt aux impôts canadiens, donc il verse en fait un impôt de l'ordre de 3 p. 100 au Canada. C'est la raison pour laquelle il est là-bas.
Est-ce que l'accord aurait une incidence sur l'industrie extractive canadienne oeuvrant au Honduras?
Oui.
J'ai tendance à convenir avec Jennifer que cela pourrait augmenter le degré de certitude pour les entreprises canadiennes du secteur des mines, mais je pense que l'industrie minière canadienne s'est déjà développée à un point tel qu'elle n'ira pas se brûler les doigts dans ce genre de pays. Il y a beaucoup d'autres endroits dans le monde qui sont plus sécuritaires et moins controversés. En plus, les réserves qui existent au Honduras sont déjà connues et ne justifient pas le risque. L'investissement est déjà plutôt faible.
Vous avez glissé rapidement sur les exemptions à l'application de l'accord. Vous avez mentionné la construction et le raffinage du pétrole.
Pourriez-vous élaborer sur ces exemptions et préciser les liens familiaux expliquant ces exemptions?
Je m'excuse, mais je ne connais pas le nom des familles en question. J'ai lu leurs noms avant-hier alors que je préparais à mon témoignage, mais je ne les ai pas mémorisés ni consignés. Les exemptions sont en effet liées à quelques-unes des familles les plus riches du Honduras qui sont très présentes au sein des deux plus importants partis politiques au pays, soit le Partido Nacional, le Parti national, et le Parti libéral.
Le secteur de la construction est essentiellement contrôlé par deux grandes entreprises au Honduras. Le raffinage du pétrole est assuré par une entreprise, la distribution de carburant par une entreprise, et les casinos par deux entreprises, etc. Il est très intéressant de constater que ces secteurs sont exclus. Tous les pays qui signent un ALE excluent certains secteurs, mais habituellement, c'est pour des motifs d'ordre public, comme la santé publique et des enjeux du genre. Dans le cas présent, il n'y a aucun motif donné, on veut tout simplement exempter ces secteurs de l'application de l'accord. Donc, je suis très surpris.
Madame Moore, avez-vous eu l'occasion d'examiner les protections environnementales associées à cet ALE?
C'est parce qu'il n'y a aucune obligation d'application. L'accord est éclipsé par le mécanisme d'arbitrage international auquel les entreprises peuvent avoir recours et auquel les communautés n'ont aucun accès et qui permet de faire fi des protections de l'environnement et de l'approvisionnement en eau, en particulier.
Vous pensez la même chose de l'accord dans le domaine du travail? L'accord parallèle dans le domaine du travail...
Je crois qu'il n'y a aucune protection des droits de la personne, qu'il s'agisse des droits environnementaux, au travail, économiques, sociaux ou culturels qui sont prévus dans ce modèle de libre-échange dont vous discutez actuellement.
Merci, monsieur le président.
Je remercie les deux témoins de leur présence.
Monsieur Heidrich, je sais que les États-Unis sont les plus importants partenaires commerciaux du Honduras et nous savons qu'ils ont un accord de libre-échange avec le Honduras depuis 2006, ce qui fait huit ans. Nous approchons de la date, près d'une décennie plus tard, où il est permis de faire une analyse des répercussions de cette entente. Est-ce que le taux de pauvreté, l'intégrité institutionnelle, la structure de gouvernance, la primauté du droit ou le bien-être du peuple se sont améliorés manifestement au cours des huit dernières années, par suite de l'accord de libre-échange avec les États-Unis?
Non.
Il y a deux éléments. Le premier, c'est que tous ces indicateurs se sont détériorés depuis. Deuxièmement, déclarer qu'il y a une relation de cause à effet ne me viendrait pas spontanément. J'ai une formation en économie et je travaille en commerce international, mais je n'irais pas jusqu'à affirmer que les échanges internationaux favorisent le développement général d'une économie.
Merci.
Je suis d'accord avec vous. Je crois que de tenter d'établir un lien entre le commerce et le genre d'avantages que le gouvernement conservateur prétend y voir — création d'emplois, amélioration du bien-être des gens, hausse du PIB et création de richesse —, je pense personnellement que ce lien causal n'a pas été établi. L'actuel gouvernement ne cesse pour autant d'évoquer ce lien.
Des données provenant de l'accord avec les États-Unis laissent certainement entendre que, si j'ai bien lu toutes ces données, les conditions de vie au Honduras ont grandement empiré. Les dépenses relatives aux programmes sociaux ont diminué au cours des dernières années. Les inégalités économiques, moindres pendant les quatre années qui ont suivi 2006, ont recommencé à s'accroître en 2010. Le taux de pauvreté et le taux d'extrême pauvreté ont diminué, respectivement, de 7,7 p. 100 et de 20,9 p. 100 sous l'administration Zelaya, qui a été évincé du pouvoir par un coup d'État en 2009, et ont augmenté de 13 p. 100 et de 26 p. 100 depuis. Le chômage s'est accru. Le salaire minimal et les salaires ont diminué. Donc, tous ces paramètres sont négatifs.
Madame Moore, j'aimerais vous poser une question.
D'après mon interprétation personnelle des ententes parallèles conclues par le Canada dans le domaine de l'environnement, je comprends qu'elles prennent généralement la forme d'une convention à l'effet que les normes environnementales en place ne seront pas allégées pour attirer les investissements. On s'appuie bien sûr sur le fait que les normes environnementales qui sont en place sont rigoureuses. Pourriez-vous décrire à notre intention, brièvement, quelle est la protection environnementale en vigueur au Honduras à l'heure actuelle?
Les normes n'ont absolument aucun effet sur la protection de l'environnement, et en particulier sur l'approvisionnement en eau des communautés touchées par les opérations minières. Je crois qu'il y a un genre d'incompétence qui a été démontrée notamment dans le dossier de la mine San Martin, face aux dommages causés tant à la santé qu'à l'environnement, lesquels ne sont pas sans rapport.
Moins de deux ans après l'ouverture de la mine de San Martin, les premiers indices sont apparus et les problèmes de santé publique ont été dénoncés par les communautés concernées. Un ensemble de mesures prises par les communautés et des organes de soutien indépendants ont entraîné une étude d'un service médicolégal dans l'État hondurien, en 2007. Au lieu d'effectuer ces tests et de faire part des résultats à la communauté concernée, on a retardé la publication des résultats pendant quatre ans, le temps que la compagnie plie bagage et ferme ses portes.
Il reste à élargir et à perfectionner ces tests de manière à mieux étudier et comprendre les causes du problème et à corriger la situation.
Il y a également des protections inadéquates, en particulier à une étape essentielle d'une exploitation minière, soit la phase de fermeture; l'assurance d'obligations entièrement capitalisées et de plans suffisants et connus pour les mines. Encore une fois, il est démontré que la mine de San Martin...
Il me reste 30 secondes, que j'aimerais utiliser pour aborder brièvement une question avec vous.
Croyez-vous que le gouvernement hondurien devrait être tenu de démontrer que les droits humains et la démocratie dans le pays se sont rapprochés d'une norme internationale acceptable pour que le Canada lui accorde un accès préférentiel? Croyez-vous plutôt que nous devrions conclure un accord commercial tout de suite, tenant pour acquis que, par la magie de cette démarche en quelque sorte, l'engagement du Honduras envers les droits humains et la démocratie se bonifie?
Je voudrais simplement des éclaircissements, monsieur Heidrich. Vous avez déclaré qu'il n'y a eu aucune croissance réelle au cours des dernières années?
Il n'y a eu aucune croissance significative, en particulier si vous calculez le revenu par habitant. La population hondurienne a connu la croissance la plus élevée de la région et la croissance par habitant a été minimale, soit environ 1 p. 100. Ce n'est pas ce qu'on considère vraiment comme une croissance, dans un pays en développement.
Est-ce que j'en ai déjà appuyé un auparavant? Si on me l'avait demandé, je crois que la réponse aurait été favorable. Certains accords commerciaux offrent un bon potentiel, par exemple, l'ALE que le Canada a conclu avec le Chili ou celui qu'il a signé avec le Costa Rica. Du point de vue du développement de ces pays, en raison du faible écart existant entre ces pays et le Canada, un écart beaucoup moins grand qu'entre le Honduras et le Canada, je crois qu'un tel accord peut avantager de manière substantielle le Costa Rica et le Chili autant que le Canada.
En ce qui concerne la taille des marchés, je crois qu'un ALE avec la Colombie et le Pérou peut certainement être avantageux pour le Canada. Dans le cas présent, je ne vois aucun avantage ni pour l'un ni pour l'autre.
Gildan, le manufacturier canadien, ne payerait plus de tarif douanier et serait à égalité de concurrence avec les États-Unis et l'Union européenne. Le boeuf et le porc canadiens entreraient au Honduras et seraient vendus à un moindre coût aux Honduriens. On ne voit aucun avantage bilatéral à ce genre d'accord?
Gildan est déjà là, par conséquent il n'a pas besoin d'un ALE pour continuer d'être là. Je n'ai jamais vu aucun...
Il a assurément affiché un profit de 300 millions de dollars sur des revenus de deux milliards l'année dernière.
Comme je l'ai déjà dit, la raison pour laquelle Gildan est là-bas, ce n'est pas pour jouir d'une égalité de concurrence avec les États-Unis ou les entreprises européennes. À ce propos, les entreprises européennes n'empruntent pas la même voie, mais Gildan est là parce qu'il est exempté de l'impôt des sociétés au Honduras pour 20 ans. En raison d'une entente fiscale entre le Canada et le Honduras, Gildan peut escompter un taux d'imposition nominal de 25 p. 100 au Honduras, ce qui ne paie pas vraiment, et par conséquent, au lieu de verser un impôt sur les sociétés de 28 p. 100 au Canada, il ne paie que 3 p. 100.
L'année dernière, cette société a versé 10 millions en impôt sur des profits de 350 millions de dollars. Une telle situation pose en fait un problème au gouvernement fédéral et à la province de Québec sur le plan des impôts perdus. J'aimerais que la politique canadienne et québécoise redresse cette situation.
En ce qui concerne le Honduras, ces avantages fiscaux sont certainement son choix. Je considère qu'en général la politique sur les zones franches est extrêmement controversée.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication