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SECU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la sécurité publique et nationale


NUMÉRO 054 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 12 mars 2015

[Enregistrement électronique]

(0845)

[Traduction]

    Chers collègues, bonjour. Mesdames et messieurs les témoins, soyez les bienvenus.
    Nous entendrons un premier groupe de témoins pendant la première heure, un deuxième groupe durant la deuxième heure, puis un troisième ce soir. Commençons par les déclarations liminaires des témoins ici présents. Nous vous rappelons que vous avez le droit de prendre jusqu'à 10 minutes pour faire votre déclaration, mais plus vous serez bref, et plus mes collègues du comité et moi pourrons discuter longuement avec vous.
    J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à Carmen Cheung, avocate-conseil à la British Columbia Civil Liberties Association. Nous entendrons ensuite la directrice générale de Greenpeace Canada, Joanna Kerr, ainsi que, de Greenpeace aussi, le chef de la Campagne de l'énergie, Keith Stewart. Nous accueillons en outre Ron Atkey, qui est ici à titre personnel. M. Atkey est professeur à l'École de droit Osgoode Hall, de l'Université York. Bienvenue à tous.
    Nous allons débuter dès maintenant.
    Madame Cheung, vous avez la parole.
    M. Easter invoque le Règlement.
    Monsieur le président, je ne suis pas certain de la marche à suivre, mais lorsque le ministre de la Justice a comparu, lors de la dernière séance du comité, il a tenu des propos plutôt durs envers le comité de surveillance britannique. Bien franchement, le ministre de la Justice parlait du passé et n'était tout simplement pas à jour.
    J'ai avec moi un rapport déposé au Parlement britannique par son comité du renseignement et de la sécurité. On y explique le mandat dudit comité ainsi que la rapidité avec laquelle il peut intervenir. Hélas, ce rapport fait 200 pages, monsieur le président. On y fait l'historique des problèmes rencontrés ainsi que des démarches entreprises pour donner du mordant à ce comité du renseignement grâce à la Justice and Security Act, adoptée en 2013.
    Je crois que ce serait important que les membres du comité en aient une copie, car il prouve à quel point cet autre comité fait du bon travail et il réfute complètement ce que disait le ministre de la Justice. Il n'est malheureusement pas bilingue.
    J'aimerais le déposer au comité, ou à tout le moins un résumé, que je pourrais faire traduire si c'est la volonté du comité. Je crois comprendre qu'il doit être dans les deux langues.
    Je suis à votre disposition, monsieur le président. Comment dois-je procéder pour déposer ce rapport afin que le comité puisse en prendre connaissance? Il s'agit à mon avis d'un document important, car il réfute les renseignements erronés que le ministre de la Justice a fournis au comité sur le fonctionnement de ce comité de surveillance.
(0850)
    Je vous remercie, monsieur Easter.
    Deux choses. Tout d'abord, selon nos règles, tous les documents déposés au comité doivent être dans les deux langues, à moins qu'il y ait consentement unanime pour qu'il en soit autrement.
    Oui, madame Doré?

[Français]

     Pourrait-on nous fournir une traduction des documents à déposer ou un sommaire dans les deux langues officielles?

[Traduction]

    Voici ce que propose la présidence, si telle est la volonté du comité: si M. Easter est disposé à préparer un résumé et à le faire traduire, ce serait pertinent qu'il soit porté à l'attention du comité à la lumière des discussions qui ont déjà eu lieu, et le document serait recevable.
    Je vous remercie, monsieur le président. Vous aussi, Rosane. C'est ce que je vais faire.
    Merci beaucoup.
    On vous écoute, madame James.
    Sauf erreur, je croyais que les documents déposés au comité devaient obligatoirement être dans les deux langues officielles. Jusqu'ici, chaque fois que la question s'est présentée, l'opposition a toujours exigé que tous les documents soient dans les deux langues officielles pour être déposés. Je crois que nous devrions nous en tenir aux règles. C'est ce que nous avons toujours fait.
    Cela étant dit, si le député libéral souhaite faire traduire son document afin de pouvoir le déposer, je n'ai rien contre.
    Merci.
    C'est justement ce que la présidence a proposé.
    Elle a indiqué au député que, s'il souhaite déposer seulement un résumé, il doit d'abord le faire traduire. M. Easter va y voir, j'en suis sûr. Autrement, la présidence jugera sa requête non recevable.
    Revenons aux déclarations liminaires de nos témoins.
    Merci de votre patience, madame Cheung. On vous écoute.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Bonjour. C'est un privilège de pouvoir m'adresser encore une fois à votre comité. Au nom de la British Columbia Civil Liberties Association, je tiens à vous remercier de nous avoir invités à comparaître.
    Notre association est un organisme sans but lucratif dont le siège est situé à Vancouver, en Colombie-Britannique. Depuis plus de 50 ans, nous avons pour mandat de promouvoir, défendre, maintenir et élargir les libertés civiles et les droits de la personne au Canada.
    Nous avons soumis au comité un mémoire écrit dans lequel sont exposées nos principales réserves par rapport au projet de loi C-51. Nous espérons maintenant que le comité, lorsqu'il étudiera le texte dudit projet de loi, ne se demandera pas seulement si ses dispositions sont conformes à la Constitution, mais aussi si elles sont efficaces et justes.
    Il y a six choses qui nous préoccupent dans le projet de loi. Vu que mon temps de parole est limité, je pourrai seulement en faire un bref survol ce matin, mais j'invite le comité à consulter notre mémoire, car notre point de vue y est exposé en détail.
    Premièrement, l'association est d'avis que la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada est fondamentalement viciée et qu'elle ne doit pas être édictée. Elle repose en effet sur une conception radicale de la sécurité qui est sans précédent en droit canadien, en plus de donner une définition aussi vaste que floue de ce qui constitue une menace pour la sécurité du Canada. La loi autorise ainsi la communication d'information sans mandat à l'intérieur et à l'extérieur de l'appareil gouvernemental. Comme le soulignait le commissaire à la protection de la vie privée dans la lettre qu'il a adressée à votre comité, un accès aussi étendu et pour ainsi dire non balisé aux renseignements personnels des citoyens constitue un réel danger pour la protection de leur vie privée. Tout comme divers autres organismes, nous croyons en outre qu'il est loin d'être certain que la sécurité sera véritablement accrue en recueillant et en diffusant aussi massivement de l'information. Comme si ce n'était pas assez, la loi creuse encore plus le grave déficit en matière de reddition de comptes qui grevait la sécurité nationale.
    Les professeurs Kent Roach et Craig Forcese ont exposé avec force détails les problèmes juridiques que pose la nouvelle loi, alors je ne les répéterai pas inutilement.
    Paul Champ, qui comparaîtra plus tard ce matin au nom de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, se penchera plus spécifiquement sur les lacunes que comporte la loi sur la communication d'information en matière de droits de la personne. Si nous partageons les réserves de la coalition, j'ajouterai cependant ceci: à ceux qui prétendent que la nouvelle loi ne brimera en rien la liberté d'expression et le droit d'exprimer son désaccord, je rappellerai qu'encore dernièrement, nous avons vu que le gouvernement actuel interprète déjà de manière très large le concept de menace à la sécurité du Canada. Il suffit pour s'en convaincre de voir la manière dont le SCRS et la GRC se sont intéressés aux manifestations non violentes organisées par les Premières Nations et les environnementalistes.
    Deuxièmement, l'association est d'avis que la Loi sur la sûreté des déplacements aériens devrait être rejetée. Pour commencer, l'efficacité des listes d'interdiction de vol en général est loin d'être démontrée. Les voyageurs dont le nom figure sur ces listes sont jugés trop dangereux pour prendre l'avion, mais pas assez pour être arrêtés. Selon nous, si les forces de l'ordre disposent de renseignements suffisamment probants pour déterminer qu'une personne constitue un danger pour la sûreté aérienne ou qu'elle a l'intention de monter à bord d'un avion dans le but de commettre un attentat terroriste, elles devraient avoir suffisamment d'information pour porter des accusations contre elle ou lui imposer un engagement assorti de conditions. S'il est effectivement nécessaire d'interdire à une personne de prendre l'avion, le Code criminel renferme toutes les dispositions voulues pour permettre à l'État d'obtenir une ordonnance de la cour à cet effet.
    Même si on pouvait prouver que les listes d'interdiction de vol amélioraient vraiment la sûreté aérienne, le régime proposé ici comporte de sérieuses lacunes procédurales. Selon le nouveau régime que créerait la loi, les voyageurs n'auraient pas vraiment moyen de savoir si leur nom est inscrit sur ladite liste, puisque les raisons pour lesquelles tel ou tel nom y figure demeurent la plupart du temps secrètes et que le processus judiciaire permettant d'étudier les demandes de désinscription de la liste peut se tenir à huis clos. Il s'agit d'une atteinte dangereuse aux garanties procédurales. Alors que les voyageurs ne pourront même pas savoir pourquoi leur nom figure sur la liste d'interdiction de vol, le gouvernement, de son côté, pourra invoquer la nouvelle loi pour transmettre sa liste aux autres pays sans qu'aucune balise législative n'encadre l'utilisation que les destinataires pourront en faire. Le Canada devrait y penser à deux fois avant d'autoriser ainsi la libre communication de l'information avec d'autres pays, surtout qu'il s'est déjà fait prendre à désigner à tort une personne comme représentant une menace à la sécurité et à fournir cette information à un autre État.
    Troisièmement, l'association s'oppose à l'ajout, dans le Code criminel, d'une infraction touchant le fait de sciemment préconiser ou fomenter la perpétration d'infractions de terrorisme. Nous ne voyons pas en quoi il serait dans l'intérêt de la sécurité de criminaliser la libre expression au-delà de ce que prévoit déjà la loi. En vertu du Code criminel, il est déjà illégal d'inciter une personne à commettre une infraction de terrorisme. Dans la mesure où l'expression « infraction de terrorisme » englobe toutes sortes d'agissements qui sont loin d'être violents, comme se préparer à commettre un acte de terrorisme ou appuyer une activité terroriste, une bonne partie de la nomenclature terroriste est déjà couverte par la loi.
    De la même façon, les dispositions dans la section « participer, faciliter, donner des instructions et héberger » du Code criminel érigent déjà en infraction le fait de recruter des gens pour commettre des actes terroristes ou leur donner l'ordre de le faire. Dans l'affaire Khawaja, la Cour suprême du Canada s'était notamment penchée sur la constitutionnalité de la définition que donne le Code criminel d'une activité terroriste et avait conclu qu'elle pouvait inclure les menaces de violence.
(0855)
    Cette nouvelle infraction, donc, criminaliserait des propos qui sont loin d'être des actes de terreur ou de violence. S'il fallait par exemple qu'une personne émette une opinion chez elle sans chercher à la faire rayonner au-delà de son propre salon, elle serait néanmoins considérée comme une criminelle si son interlocuteur était susceptible de commettre une infraction de terrorisme. En effet, la nouvelle infraction ne précise nullement que la personne qui donne ainsi son opinion doit souhaiter qu'un acte de terrorisme soit perpétré, pas plus qu'elle ne prévoit que son interlocuteur doit effectivement passer à l'acte et commettre une infraction de terrorisme.
    Qu'une personne approuve un attentat terroriste pourra choquer certains de ses concitoyens et en indigner de nombreux autres. Mais c'est précisément la liberté d'expression qui fait qu'on peut débattre de la validité d'une idée dans le cadre d'une société démocratique, même si cette idée nous répugne profondément. La démocratie repose sur le principe voulant que tous les citoyens sont capables de se gouverner eux-mêmes, de comprendre et d'évaluer les points de vue qu'on leur soumet, d'en déterminer la valeur et surtout de choisir lesquels ils feront leurs et lesquels ils rejetteront. Voilà pourquoi nous prions le comité de rejeter cette nouvelle disposition.
    Quatrièmement, l'association est d'avis que le comité devrait rejeter les modifications portant sur la détention préventive. En abaissant le seuil à partir duquel une personne peut être détenue simplement parce qu'on la soupçonne d'être dangereuse, le projet de loi C-51 donne de l'ampleur à un régime de détention préventive déjà douteux. Lorsque votre comité a débattu de l'opportunité de réintroduire dans le Code criminel les dispositions sur la détention préventive, l'association avait exprimé de sérieux doutes sur la pertinence d'instaurer des pouvoirs d'arrestation et de détention aussi vastes. Même si nous demeurons d'avis qu'il est préférable de poursuivre les terroristes allégués au titre du droit pénal afin qu'ils soient protégés par les garanties procédurales habituelles, il n'en demeure pas moins que l'État jouit déjà de pouvoirs extraordinaires.
    Le comité, et tous les Canadiens avec lui, ne devrait pas se demander de quels pouvoirs supplémentaires les autorités devraient disposer pour assurer la sécurité publique, mais plutôt si les pouvoirs existants sont bien utilisés et si les dispositions du Code criminel sont bien appliquées.
    Cinquièmement, l'association est d'avis que les modifications à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité sont peu judicieuses et inutiles et qu'elles devraient être rejetées. En accordant au SCRS le pouvoir de perturber des activités, le projet de loi C-51 brouille la ligne de démarcation entre le travail des espions et celui des policiers qu'avait soigneusement tracée la commission McDonald. C'est aux policiers d'intervenir pour atténuer les menaces. Or, la portée de ce nouveau pouvoir, qui devrait être réservé aux policiers, est rendue particulièrement vaste par la très large définition de ce qui constitue une menace à la sécurité que l'on trouve à l'article 2 de la Loi sur le SCRS, définition qui visait d'abord et avant tout à définir le mandat d'un organisme chargé de recueillir et d'évaluer de l'information, et non d'un service policier. Ce nouveau pouvoir, qui devrait être réservé aux policiers, est même dangereux vu le secret qui entoure généralement les activités touchant la sécurité nationale. Les violations des droits seront plus difficiles à détecter, et celles qui le seront seront aussi plus difficiles à corriger, d'autant que ce pouvoir nous semble tout à fait inutile. Le gouvernement n'a pour ainsi dire pas réussi à prouver que ce pouvoir élargi devrait être accordé au SCRS ni pourquoi les services secrets devraient disposer de pouvoirs normalement réservés aux policiers.
    Nous sommes profondément troublés par les nouveaux pouvoirs en matière de mandats que le projet de loi accorderait au SCRS et par le fait que ce serait aux tribunaux du pays d'autoriser la prise de mesures violant nos droits constitutionnels. Comme beaucoup d'autres l'ont dit avant nous, ce rôle va carrément à l'encontre du rôle que les tribunaux devraient jouer dans notre régime constitutionnel. Demander à un tribunal d'avaliser la violation des droits fondamentaux garantis par la Charte est tout simplement contraire à la primauté du droit.
    Depuis une dizaine d'années, nous avons vu ce qui arrive quand on invoque la sécurité nationale pour mener des activités tout juste légales, voire carrément illégales. Les conséquences sur la primauté du droit et les droits de la personne sont profondes. Le pire, c'est que rien dans tout ça n'a encore permis d'affirmer que cette approche agressive a permis de rendre le Canada, ou un quelconque autre pays, plus sûr.
    Sixièmement, le projet de loi C-51 fait fi des enseignements de la Cour suprême du Canada voulant que le gouvernement ne peut pas se fier à des éléments de preuve secrets pour demander un certificat de sécurité sans à tout le moins permettre à la personne visée de savoir ce qu'on lui reproche ou de contester la preuve présentée contre elle.
    Les modifications que l'on entend apporter à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et qui limiteraient la portée des documents remis aux avocats spéciaux devraient aussi être rejetées. Il est effectivement difficile de voir quel type d'information on cherche à mettre de côté grâce à ces dispositions. Par définition, si un renseignement ne peut servir au ministère public pour étayer sa thèse ni au juge pour déterminer si le certificat demandé est raisonnable, pourquoi, dans ce cas-là, est-elle soumise au juge, point? Force est de conclure que l'information de ce type risque d'être si problématique que, loin de devoir être tenue secrète, elle devrait au contraire être fournie aux avocats spéciaux pour qu'ils en prennent connaissance et, le cas échéant, la conteste.
(0900)
    On peut difficilement parler de pouvoirs relatifs à la sécurité nationale sans aussi parler de véritables mécanismes de reddition de comptes et d'examen.
    Je sais que mon temps de parole est écoulé, alors je terminerai là-dessus: nous ne pouvons pas adopter ce projet de loi, parce que nous ne pouvons pas nous permettre d'étendre encore plus la portée de nos activités de sécurité nationale sans prendre en même temps les mesures nécessaires pour combler ce qui, sur le plan de la reddition de comptes, constitue désormais un alarmant déficit.
    Merci encore de nous avoir donné la parole, et merci au comité pour le travail qu'il fait. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
    Merci beaucoup, madame Cheung.
    Madame Kerr, on vous écoute.

[Français]

     Merci, monsieur le président, de nous donner l'occasion d'exprimer notre point de vue sur le projet de loi C-51, qui est d'une importance critique.
     Je m'appelle Joanna Kerr et je suis la directrice générale de Greenpeace Canada. Je suis accompagnée aujourd'hui de Keith Stewart, qui est responsable de la campagne Climat-Énergie de Greenpeace.

[Traduction]

    Dans le cadre de mes fonctions en tant que directrice générale d'Action Aid International et directrice des politiques chez Oxfam Canada, et aujourd'hui avec Greenpeace, j'ai été bien placée pour voir comment le pouvoir des manifestations et de la dissidence peuvent générer un changement effectif et percutant pour le mieux-être de la société et de la planète.
    J'aimerais d'abord entamer cette présentation avec quelques questions simples. Les femmes auraient-elles aujourd'hui le droit de vote si les suffragettes n'avaient pas participé à des manifestations massives non violentes? La ségrégation raciale aux États-Unis aurait-elle été abolie sans les sit-in, les marches, les manifestations publiques et la résistance pacifique contre les lois injustes? Les régimes autoritaires à travers le monde auraient-ils pu être renversés sans les rassemblements populaires et l'insistance des manifestants à défendre leurs droits? La colonisation aurait-elle pu prendre fin sans l'action directe non violente?
    Tous ces mouvements, notamment ceux dirigés contre l'esclavage et l'apartheid, ont utilisé des moyens pacifiques, mais supposément « illégitimes », pour affronter les lois injustes et défier les conceptions sociales du bien et du mal. Ils ont réussi à accélérer le changement qui était nécessaire de toute urgence. Voilà le genre de changement qui est requis de la part de notre société pour faire face aujourd'hui aux menaces posées par les changements climatiques.
    La mission de Greenpeace est fondée sur l'action directe non violente, une pratique que nous employons avec grande efficacité depuis plus de 40 ans. Nous avons joué un rôle important dans l'arrêt des essais nucléaires dans les eaux du Pacifique Sud, l'interdiction de la chasse commerciale et scientifique à la baleine, l'abolition des déversements des déchets toxiques dans les océans, la signature du traité sur les pluies acides et la protection de la forêt pluviale canadienne du Grand Ours. Aucune de ces réalisations environnementales importantes n'aurait pu voir le jour sans une confrontation pacifique, que nous appelons action directe non violente.
    Pensons-nous vraiment que les intérêts de la sécurité nationale peuvent être assurés en limitant les options offertes à la société civile de manifester contre l'injustice, la corruption, le racisme ou la pollution? C'est exactement ce que le projet de loi C-51 suggère au nom de la sécurité nationale.
    Les experts juridiques Craig Forcese et Kent Roach ont démontré que cette loi pourra être utilisée pour viser les mouvements de contestation démocratiques engagés dans pareilles luttes. En nous basant sur les propos publics tenus par divers ministres, ainsi que sur des documents internes du gouvernement et de la GRC, nous avons de fortes raisons de craindre que ces pouvoirs soient utilisés contre les personnes qui militent en faveur de la protection de l'eau potable et des écosystèmes et qui luttent contre les impacts dévastateurs des changements climatiques.
    Nous sommes très préoccupés par ce projet de loi, qui considérerait les activistes et les Premières Nations militant en faveur de l'environnement comme étant une menace à la sécurité nationale. Pour reprendre les mots de David Suzuki:
     Ce sont la pollution et les changements climatiques causés par la surconsommation des combustibles fossiles qui représentent la vraie menace, et non pas les personnes qui mettent en garde contre ces menaces-là. Alors que nous devons faire face au terrorisme avec les moyens solides qui existent déjà, nous devons nous rappeler que ce sont nos droits et nos libertés qui nous procurent la force, et non pas nos peurs.
    Greenpeace n'est pas la seule à exprimer des craintes au sujet de ce projet de loi. Plus de 100 experts juridiques ont rédigé une lettre ouverte adressée au Parlement pour vous appeler à le modifier ou à l'enterrer, car selon eux, il représente une menace à l'État de droit, aux droits protégés et à la démocratie du Canada. De plus, ils affirment que cette loi pourrait être non seulement inefficace contre le terrorisme, mais qu'elle risque en fait de nuire aux efforts antiterroristes déjà en place.
    Nous partageons ces inquiétudes, mais aujourd'hui je voudrais jeter la lumière sur ce que ce projet de loi pourrait entraîner au niveau du débat démocratique dans notre pays.
    Le gouvernement affirme que les nouveaux pouvoirs octroyés au SCRS ne seront pas utilisés contre ses opposants politiques. Si tel est le cas, vous avez donc le devoir, en tant que législateurs, de rédiger cette loi afin qu'elle ne puisse pas être utilisée à cette fin. Ceci est l'une des principales conclusions tirées d'un rapport parlementaire britannique de 2009 examinant la relation entre les mouvements de protestation et les forces de l'ordre. On y lit que « [l]a meilleure approche consiste à rédiger des projets de loi dans des termes suffisamment précis pour guider et restreindre le champ d'action de la police, plutôt que de compter sur les responsables pour exercer leurs larges prérogatives de manière compatible avec les droits humains ».
(0905)
    Vos collègues britanniques ajoutent: « Nous sommes préoccupés par les rapports faisant état de l'usage par les forces de l'ordre de pouvoirs élargis dans le cadre de la lutte antiterroriste contre des manifestants pacifiques », et ils appellent à la modification de la loi pour « faire en sorte que les pouvoirs utilisés dans le cadre de la lutte antiterroriste ne soient pas exercés contre les manifestants pacifiques ».
    Comme le souligne le professeur de droit de l'Université d'Ottawa Craig Forcese, en faisant référence aux « activités influencées par l'étranger qui touchent le Canada ou s'y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts », la loi antiterroriste pourrait être utilisée dans le cas « d'une organisation environnementale étrangère finançant les efforts secrets d'un groupe environnemental canadien pour manifester (sans les permis nécessaires) contre [par exemple] le projet de pipeline Keystone ».
    Nos inquiétudes ne sont pas purement hypothétiques. Plusieurs ministres au sein du gouvernement ont déjà qualifié les manifestants anti-pipelines de radicaux financés par l'étranger ou même de blanchisseurs d'argent. Une copie de la stratégie du gouvernement fédéral relative au secteur des sables bitumineux, obtenue par Greenpeace en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, identifie les groupes environnementaux et autochtones comme des « adversaires », alors que les compagnies pétrolières sont désignées comme des « alliées ».
     Ce n'est pas juste une question de choix des mots. Le projet de loi omnibus sur le budget de 2012 avait non seulement modifié les lois environnementales canadiennes pour réduire la participation du public à la prise de décisions, mais a également octroyé à l'Agence du revenu du Canada des millions de dollars supplémentaires pour effectuer des vérifications auprès des organisations caritatives qui sont en désaccord avec la politique gouvernementale.
    La coalition Voices-Voix a répertorié plus de 100 cas d'attaques récentes contre des personnes ayant critiqué les politiques du gouvernement. Le mois dernier, le journal La Presse a dévoilé un document secret de la division du renseignement de la GRC, intitulé « Évaluation des renseignements relatifs aux infrastructures essentielles », dans lequel des organisations comme Greenpeace, Tides Canada et le Sierra Club sont citées comme faisant partie d'un « mouvement anti-pétrole canadien grandissant, hautement organisé et bien financé, composé d'activistes pacifiques, de militants et d'extrémistes violents qui s'opposent à la dépendance de la société aux combustibles fossiles ».
    Ce document de la GRC minimise de façon remarquable les dangers du changement climatique, affirmant que « les ONG, telles que Greenpeace, Tides Canada et le Sierra Club, pour n'en nommer que quelques-unes, affirment que les changements climatiques sont maintenant la plus grande menace au monde, et que les changements climatiques sont une conséquence directe de l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre anthropiques élevées, qu'ils croient être directement liée à l'utilisation des combustibles fossiles... » Toujours selon le document, en soulignant « le danger environnemental de l'utilisation continue des combustibles fossiles », nous cherchons à alimenter « une plus large opposition anti-pétrole ».
    Tandis que la GRC tente de minimiser les dangers des changements climatiques, le Pentagone quant à lui définit les changements climatiques comme un « multiplicateur de menaces » et la Maison-Blanche a maintenu sa décision d'inclure les impacts des changements climatiques dans sa stratégie de sécurité nationale la plus récente comme étant une menace au même titre que le terrorisme, les armes de destruction massive et les épidémies. La Banque mondiale affirme qu'il s'agit « d'une menace considérable au développement durable et à la lutte contre la pauvreté ». Un article publié la semaine dernière dans la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences indique que « les influences humaines sur le système climatique ont une relation avec le conflit actuel en Syrie ».
    Mais ce qu'il y a de plus inquiétant, à la lumière du projet de loi C-51, c'est la classification par la GRC de la désobéissance civile comme étant une forme de manifestation illégale « dépassant les actions pacifiques », assimilant ainsi les activistes pacifiques avec ceux qui s'engagent dans des actes de violence dans la catégorie des extrémistes « anti-pétrole ».
(0910)
    Soyons clairs: nous sommes convaincus que les menaces engendrées par les changements climatiques doivent être confrontées par des moyens pacifiques et démocratiques. Si, pour une raison ou une autre, une personne cause des dommages à une autre personne, à une infrastructure ou à une propriété donnée, cette personne-là doit — selon les lois en vigueur — subir des conséquences juridiques.
    La grande majorité des personnes qui appellent à l'ouverture d'un débat sur les combustibles fossiles et les changements climatiques — dont celles engagées dans la désobéissance civile — ne sont pas des « radicaux » ou des « extrémistes anti-pétrole violents ». Ce sont des étudiants et des grands-parents, des éleveurs de bétail et des parents. Ce sont des personnes issues de toutes les catégories sociales qui veulent le meilleur...
    Madame Kerr, votre temps est écoulé. Pourriez-vous conclure, s'il vous plaît?
    Ils veulent le meilleur pour leur famille.
    Le terme « légitime » a été retiré de la loi antiterroriste actuelle à la suite d'un rapport d'expertise datant de 2001, afin que les activités illégales comme l'intrusion ou la provocation de dommages matériels mineurs ne soient pas assimilées au terrorisme.
    J'aimerais donc vous reposer la question en guise de conclusion: pensez-vous que les intérêts de la sécurité nationale seront assurés en limitant les moyens d'expression fondamentaux des citoyens et leur droit à manifester pacifiquement? Nous n'y croyons pas du tout. Nous vous appelons à examiner de plus près…
    Vous avez dépassé votre temps de parole. Je suis désolé, mais j'ai des contraintes de temps à faire respecter. Je vous remercie beaucoup.
    Nous passons maintenant à M. Atkey, qui aura la parole pendant 10 minutes.
    Chers membres du comité, je suis honoré d'avoir été invité à comparaître devant le comité pour examiner cet important projet de loi, qui a certainement attiré l'attention des Canadiens à travers le pays et à l'échelle internationale.
    Vous avez devant vous, en pièce jointe à ma présentation, dans les deux langues officielles, des notes biographiques qui documentent mon intérêt et mon expérience en la matière. Étant donné le peu de temps dont nous disposons, je ne présente pas cette information, mais soyez bien à l'aise de me poser des questions par la suite si vous le souhaitez.
    De plus, puisque le gouvernement et un parti d'opposition ont déjà indiqué en principe qu'ils appuieront le projet de loi, je veux préciser que je ne suis pas ici pour le démolir. Plutôt, je souhaite me rendre utile en proposant des amendements pratiques qui sauront l'améliorer et possiblement sauvegarder sa légitimité constitutionnelle et son intégrité. Comme tant d'autres Canadiens, j'accepte à partir de preuves connues que la menace terroriste actuelle à la sécurité du Canada existe, et que les grandes agences telles que le SCRS, la GRC, l'ASFC et Transports Canada ont bel et bien besoin de pouvoirs accrus pour combattre cette menace par des moyens légaux.
    Dans les quelques minutes qui me sont allouées aujourd'hui, je veux traiter de cinq sujets importants. Premièrement, la constitutionnalité et l'indépendance du système judiciaire. Deuxièmement, la liberté d'expression. Troisièmement, l'équité. Quatrièmement, la revue du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS). Enfin, cinquièmement, la surveillance parlementaire.
    Commençons par la constitutionnalité et l'indépendance du système judiciaire. Pour aller droit au plus grave défaut du projet de loi, la partie 4 autorise la Cour fédérale à émettre un mandat au SCRS pour prendre des mesures qui pourraient contrevenir à un droit ou une liberté garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. Cette nouvelle disposition est clairement inconstitutionnelle et sera annulée par les tribunaux.
    La Charte existante a déjà une clause restrictive qui autorise des limites raisonnables dans les cas nécessaires dans une société libre et démocratique, et la proportionnalité s'applique à ces limites à partir de presque 33 ans de jurisprudence basée sur la Charte. Si le Parlement souhaitait invoquer la clause dérogatoire, il est libre de le faire dans le cadre de notre Constitution, malgré qu'aucun Parlement fédéral n'ait trouvé le courage ni le besoin de le faire depuis la proclamation de la Charte en 1982.
    Mais pourquoi provoquer une contestation constitutionnelle évitable? Les juges canadiens sont farouchement indépendants et ne sont pas des agents du gouvernement qui peuvent être mandatés pour autoriser des mesures à tout prix pour protéger contre les menaces terroristes. Les juges de la Cour fédérale autorisent ou rejettent soigneusement des demandes d'écoute électronique depuis 1984 dans le cadre de la section 21 de la Loi sur le SCRS. J'ai vu ou revu certaines de ces demandes et décisions judiciaires. Le processus actuel de contrôle judiciaire des demandes de mandat d'écoute électronique fonctionne.
    Pourquoi, en rédigeant les nouvelles dispositions parallèles aux sections 12.1 et 21.1 du projet de loi C-51 a-t-on besoin de charger les juges de passer outre à la Charte et de permettre au SCRS de violer les obligations constitutionnelles afin de prendre ces mesures additionnelles au-delà de l'écoute électronique? Cette idée que le Parlement pourrait autoriser une violation de la Charte (hormis l'utilisation de la clause dérogatoire) est clairement inconstitutionnelle et n'est conforme ni à notre tradition constitutionnelle, ni au fonctionnement de la Charte.
    Vous pouvez éviter ce gâchis constitutionnel tout simplement en revoyant la rédaction de la section 21.1 du projet de loi C-51, pour préciser que tout mandat qui permet au SCRS de prendre les mesures qui y sont décrites ne violera pas un droit ou une liberté garantie par la Charte canadienne des droits et libertés.
     J'aurais certaines choses à dire sur la liberté d'expression, mais nous avons peu de temps. Je passe donc cette section et je vous demanderais d'aller consulter les documents déposés pour connaître la position de mes collègues: Craig Forcese, de la faculté de droit de l'Université d'Ottawa, et Kent Roach, de l'Université de Toronto. Ils ont étudié en profondeur cette question, mais je n'ai pas le temps de traiter de cet aspect.
     De toute façon, l'équité est garantie par l'article 7 de la Charte, qui dit ceci:
    Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.
     Cette disposition, mesdames et messieurs, énonce les obligations constitutionnelles en matière d'équité. Elle est incarnée par les avocats spéciaux, et il se trouve que j'en suis un. Donc, je connais bien cette fonction. À mon avis, les avocats spéciaux ont un rôle à jouer pour garantir l'équité de plusieurs procédures de mandat et de plusieurs procédures relatives à la liste d'interdiction de vol. Vous devriez d'ailleurs en tenir compte.
(0915)
     Je passe directement à l'aspect qui fait l'objet de votre étude et que je connais bien, à savoir l'examen efficace dont sont chargés le CSARS et d'autres organismes.
    En tant que chien de garde du SCRS, j'ai défendu publiquement la structure du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité qui a été établie en 1984. J'ai eu l'honneur d'être le premier président de ce comité. Il a été efficace dès le début, même s'il y a avait des accrocs au moment où le SCRS a été scindé de la GRC et qu'il éprouvait au départ des difficultés à intégrer les femmes et les tiers partis. La structure du CSARS a bien fonctionné lorsque le SCRS était le seul service à surveiller et que la surveillance de ses pouvoirs extraordinaires était d'envergure gérable. Mais les choses ont bien changé depuis 30 ans.
    D'abord, les budgets, le personnel et les pouvoirs du SCRS ont connu une croissance exponentielle, alors que le budget du chien de garde est demeuré sensiblement le même. Il est injuste d'étendre grandement les pouvoirs du SCRS lui permettant d'entreprendre des activités de perturbation ou des activités de lutte contre le terrorisme au Canada ou à l'étranger, tout en figeant le chien de garde dans le passé. Le fait que le gouvernement ne règle pas ce problème dans le contexte du débat sur le projet de loi C-51 est carrément irresponsable, et le public a raison de se poser la question si le CSARS aura dorénavant la capacité de faire son travail.
    Deuxièmement, le débat sur le projet de loi C-51 a porté le public à réfléchir de façon défavorable à la nature dispersée et inégale de la surveillance de plusieurs agences fédérales dans le domaine de la sécurité. Il y a des inquiétudes au sujet de l'envergure de la surveillance indépendante de la GRC et de la CSTC, et de l'absence de surveillance indépendante d'agences importantes telles que l'ASFC, Transports Canada, le MAECI, CIC et une vingtaine d'autres agences fédérales, ainsi que les forces policières provinciales et municipales qui travaillent aussi dans le domaine du renseignement de sécurité.
    Que nous ayons besoin d'un tsar de la sécurité fédéral pour superviser, surveiller et coordonner les agences de sécurité comme cela se fait aux États-Unis, ou de développer un super CSARS avec des pouvoirs élargis et les budgets en conséquence, ou de mettre en place des dispositions statutaires pour en arriver à l'équité, voilà autant de questions qui ne peuvent être délaissées alors que le Parlement procède à toute vapeur à l'adoption du projet de loi C-51.
    Il ne s'agit pas d'une question de surveillance, terme souvent utilisé à tort. La responsabilité de la planification et de l'exécution des activités antiterroristes en accord avec la loi demeure d'abord assujettie à l'approbation ministérielle et à l'approbation des mandats par des juges basée sur des demandes à la cour soumises par les agences appropriées et encadrées par les exigences législatives détaillées. Il s'agit de surveillance. Les organismes de surveillance n'approuvent pas les opérations à l'avance. Mais ils en assurent la reddition de comptes par la suite, et on ose espérer qu'ils s'assurent que tous les organismes exerçant des fonctions de sécurité sont efficaces et agissent dans le cadre de la loi. Ils engagent aussi le public par la voie de rapports annuels exhaustifs soumis au Parlement avec un minimum de caviardage nécessaire pour protéger des individus ou des méthodes d'opération.
     Pour conclure, je parlerai de l'examen parlementaire. Quelles sont les responsabilités du Parlement dans tout ça autre que d'assurer que le projet de loi C-51 soit amélioré pour lui permettre d'être adopté afin de soutenir les agences gouvernementales qui doivent affronter la menace terroriste de manière efficace tout en protégeant les droits et libertés fondamentaux en vertu de la Charte?
    J'ai déjà été parlementaire et chien de garde professionnel. Quant à moi, le Parlement et les organismes spécialisés doivent avoir le pouvoir de surveiller nos agences de sécurité. Les Canadiens doivent avoir les deux. Dans notre système de gouvernement, le Parlement est le chien de garde ultime, directement redevable au peuple. Le parti qui détient le plus grand nombre de sièges à la suite des élections fédérales est appelé à former le gouvernement. Mais le Parlement demeure le chien de garde.
    Il n'y aucune incohérence à avoir des chiens de garde habilités en matière de sécurité et créés par le Parlement pour couvrir l'efficacité et la légalité des diverses agences oeuvrant dans le domaine de la sécurité, tout en ayant un comité de parlementaires habilités en matière de sécurité et mandatés pour surveiller l'ensemble du système, c'est-à-dire d'entreprendre une révision ponctuelle lorsque des problèmes surgissent (et cela arrivera inévitablement) et de déléguer la responsabilité d'enquêter au chien de garde spécialisé pertinent.
    En effet, le Parlement se penche actuellement sur trois projets de loi qui invoquent la nécessité d'un comité de parlementaires sur la sécurité nationale. Celui que je préfère est le projet de loi S-220, présenté par l'ancien sénateur conservateur Hugh Segal, qui prévoit un comité de neuf membres — trois du Sénat et six de la Chambre — qui seraient nommés par le gouvernement mais après consultation auprès des partis d'opposition et approuvés par une résolution de la Chambre.
(0920)
    On y prévoit des dispositions pour la sécurité et la confidentialité de chaque membre du comité, et son mandat serait de revoir le cadre législatif, réglementaire, politique et administratif en matière de renseignement et de sécurité nationale au Canada.
    Monsieur Atkey, pourriez-vous conclure votre intervention?
    Bien sûr.
    Pourquoi ne pas inclure le projet de loi S-220 dans ce débat et faire en sorte qu'il soit adopté le 1er janvier 2016? Je pense que, de cette façon, le Parlement pourrait assumer efficacement son rôle de surveillance. De plus, ce projet de loi ferait l'objet d'un examen au bout de cinq ans, lequel serait entrepris quatre ans après l'entrée en vigueur de la loi. Ainsi, l'examen pourrait être efficace, et le Parlement pourrait jouer un rôle important à cet égard.
    Je vous remercie.
    Merci beaucoup, monsieur Atkey. Je remercie les témoins de leurs commentaires.
    Nous allons maintenant passer aux séries de questions.
    Le premier tour durera sept minutes. Monsieur Norlock, vous avez la parole.
    Merci beaucoup, monsieur le président. Par votre entremise, je tiens à remercier les témoins de leur présence ici aujourd'hui.
    Ma première série de questions s'adresse à la représentante de la BC Civil Liberties Association. Tout comme vous, le site Web de cette association décrit le projet de loi C-51 comme étant inutile. Il ajoute que votre groupe pense qu'il est injuste. L'arrestation préventive fait partie des éléments du projet de loi dénoncés par l'association. Or, les experts en matière de sécurité nationale et les représentants des forces de l'ordre s'entendent pour dire que, dans un certain nombre de cas, l'arrestation préventive peut être extrêmement utile. En outre, comme elle s'applique à un nombre limité de cas, elle occasionne peu de coûts.
    En outre, je crois comprendre que, dans certains pays alliés, qui sont aussi des démocraties florissantes, les dispositions législatives concernant l'arrestation préventive vont beaucoup plus loin que ce que nous proposons dans ce projet de loi.
    Cela dit, il est difficile d'imaginer des cas où l'arrestation préventive ne représente pas un outil utile pour protéger la population. On nous dit que le processus de radicalisation est beaucoup plus rapide que par le passé. Il suffit d'avoir regardé les nouvelles depuis un mois et demi ou deux mois pour se rendre compte que ce processus se produit non seulement au Canada, mais aussi dans de nombreux autres pays.
    On nous dit également que les enquêtes sont très exigeantes et que le Canada et ses alliés doivent composer avec un nombre sans précédent de citoyens qui vont commettre des actes terroristes à l'étranger. Malheureusement, certains d'entre eux — et bien d'autres encore — expriment le désir de s'en prendre à leur pays d'origine.
    Dans ce contexte, on pourrait se poser la question suivante: « Peut-on vraiment imaginer un monde dans lequel le fait d'envoyer une personne passer un week-end en prison permettrait de prévenir un acte terroriste et procurerait au gouvernement de précieux jours supplémentaires pour monter un dossier criminel et épargner des vies canadiennes? »
    Dans ce contexte, il est aussi étrange de prendre connaissance des préoccupations de certains défenseurs des libertés civiles. Nous disons que l'arrestation préventive ne sera utilisée qu'à l'endroit de présumés terroristes. Avant d'avoir recours à l'arrestation préventive, il faudra remplir des critères rigoureux. En effet, il faudra avoir des motifs raisonnables de croire qu'un attentat pourrait être perpétré et que la détention est susceptible de prévenir celui-ci.
    Aucune personne innocente ne serait prise dans cet engrenage. Un agent devra présenter des preuves tangibles pour montrer que les critères sont remplis et que la personne en question constitue une menace pour la société. Puis, le procureur général devra donner son consentement à l'arrestation préventive. Ensuite, la personne visée par la personne préventive devra être conduite devant un juge d'un tribunal provincial...
(0925)
    On invoque le Règlement.
    Vous avez la parole, monsieur Garrison.
    J'ai l'impression que M. Norlock a décidé de présenter un témoignage plutôt que de poser des questions aux témoins.
    Monsieur le président, j'ai le droit de formuler des commentaires avant de poser une question. On doit parfois présenter certains renseignements avant de pouvoir poser une question.
    Le député m'a interrompu tout simplement pour le plaisir de la chose. Il sait fort bien que son recours au Règlement n'est pas justifié.
    Comme je l'ai déjà dit devant le comité, tout ce que la présidence peut faire, c'est de demander aux membres de faire en sorte que leurs commentaires se rapportent à la question à l'étude. En l'occurrence, les observations se rapportent au témoignage que nous avons entendu. Par conséquent, M. Norlock n'a pas enfreint le Règlement.
    J'encourage les membres à se conformer aux critères d'acceptabilité qui s'appliquent aux réunions.
    Je vous remercie.
    Madame James, vous souhaitez invoquer le Règlement.
    Je veux simplement m'assurer que, malgré cette interruption, M. Norlock aura droit à ses sept minutes de temps de parole.
    Cela a déjà été pris en compte. Je vous remercie.
    Vous pouvez continuer, monsieur Norlock.
    Combien me reste-t-il de temps, monsieur le président?
    Il vous reste trois minutes et demie, monsieur.
    Merci.
    Pour terminer avant de poser mes questions, comme je l'ai dit, la personne visée par l'arrestation préventive doit être conduite devant un juge d'un tribunal provincial dans un délai de 24 heures. À ce moment-là, le juge peut prolonger la durée de la détention jusqu'à concurrence de 48 heures. Le procureur général doit ensuite donner son consentement, puis le juge doit aussi accepter dans les 24 heures. L'audience doit avoir lieu dans les 48 heures suivant le placement en détention. Lors de l'audience, la Couronne doit prouver que le cas risque d'entraîner le dépôt d'accusations au criminel.
    Ainsi, nous avons un agent de la paix, qui doit respecter des critères en ce qui concerne les preuves à présenter, le procureur général, qui est représenté par les procureurs de la Couronne, et un mécanisme de surveillance judiciaire. N'oubliez pas que le but est de sauver des vies dans une situation d'urgence. Le processus m'apparaît juste et équitable.
    Existe-t-il un système de freins et de contrepoids qui pourrait vous satisfaire? Êtes-vous fondamentalement contre l'idée de mettre les terroristes hors d'état de nuire?
    Avant de vous laisser répondre, j'aimerais citer M. John Russell, un ancien vice-président de la Civil Liberties Association. Voici ce qu'il a déclaré:
[...] la définition d'activités terroristes proposée par le gouvernement est tout simplement trop vaste. Telle que libellée, la division (E) du sous-alinéa 83.01(1)b)ii) de cette définition considère une activité terroriste comme étant tout acte illégal motivé par des considérations politiques qui menacent de perturber gravement des services essentiels.
    Puis, il a ajouté ce qui suit:
[...] on pourrait également qualifier de terroristes des médecins, des enseignants et des infirmières qui menacent de faire la grève ou de retirer leurs services à la suite de l'adoption d'un décret provincial déclarant leur travail un service essentiel. On pourrait également qualifier de terroristes les actions de membres des Premières Nations qui bloquent un aéroport ou une grande route.
    Êtes-vous fondamentalement contre l'idée de mettre les terroristes hors d'état de nuire?
(0930)
    Je vous remercie de votre question, monsieur Norlock.
    Non, nous ne sommes pas fondamentalement contre l'idée de mettre les terroristes hors d'état de nuire. Nous croyons qu'il est nécessaire de disposer de mesures efficaces pour lutter contre le terrorisme. Nous sommes d'avis que la détention préventive n'est peut-être pas la mesure la plus efficace pour lutter contre le terrorisme. Pour ce qui est de l'exemple cité par M. Norlock, le Code criminel érige déjà en infraction le fait de vouloir se rendre à l'étranger pour commettre un acte terroriste. Si les forces de l'ordre possèdent des renseignements à cet égard, elles peuvent certainement déposer des accusations au criminel, et il n'est pas nécessaire de procéder à une arrestation préventive.
    Selon moi, même des personnes qui pensent que l'arrestation préventive peut jouer un rôle limité admettront que celle-ci présente des risques considérables d'abus. Justement, je crois comprendre que, par exemple, les professeurs Roach et Forcese, qui doivent comparaître devant votre comité plus tard aujourd'hui, laissent entendre qu'on devrait limiter les circonstances dans lesquelles l'arrestation préventive peut être autorisée.
    Pour ce qui est de dire qu'il s'agit simplement d'un week-end en prison, ce n'est pas ce que prévoit le projet de loi C-51. Comme le ministre...
    Je vous prierais d'être brève.
    Certainement.
    Comme les ministres vous l'ont dit il y a deux jours, je crois, ce projet de loi prévoit une détention pouvant durer jusqu'à sept jours.
    Merci beaucoup.
    Madame Leslie, vous avez maintenant la parole.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie vivement les témoins de leur présence ici aujourd'hui.
    En tant que porte-parole du NPD en matière d'environnement, je tiens à mettre l'accent sur l'article 2 et sur l'exclusion expresse de certaines activités licites. Toutefois, j'aimerais d'abord poser rapidement une question aux représentants de Greenpeace, qui est une organisation internationale. Vous faites partie de Greenpeace Canada, mais vous connaissez la situation de vos collègues dans d'autres pays du monde.
    Comment les dispositions prévues dans le projet de loi C-51 se comparent-elles aux mesures législatives en vigueur dans d'autres pays où Greenpeace est présent?
    Je vous remercie de cette question.
    Si on compare ce projet de loi aux mesures législatives en vigueur dans les pays européens, on se rend compte que les mécanismes de protection concernant les manifestations licites et illicites constituent un élément essentiel du changement démocratique. Comme je l'ai dit au début de ma déclaration, certains des changements cruciaux qui ont été apportés en matière de droits de la personne, de justice sociale et d'environnement n'auraient pas été possibles en l'absence du droit de manifester.
    Approfondissons un peu la question. Madame Kerr, je sais que vous n'avez pas eu beaucoup de temps pour parler de cet aspect de votre mémoire. Pour ce qui est de l'article 2 et de l'exclusion concernant les manifestations licites, les exemples que vous citez sont excellents et inspirants. Je pense toutefois à des exemples plus banals, comme lorsque les Raging Grannies sont venues à mon bureau. Elles ne possédaient pas de permis pour se réunir sur le trottoir, devant mon bureau, mais elles se sont mises à chanter au sujet des semences transgéniques. Puis, elles sont entrées dans mon bureau et nous avons pris le thé ensemble.
    À Halifax, au cours du mouvement Idle No More, des gens se sont rendus au Micmac Hall, où ils ont spontanément fait une danse en rond. L'ambiance était décontractée et bon enfant. Les gens sont sortis des magasins et se sont mis à danser et à chanter. Mais ils n'avaient pas de permis.
    Je suis d'accord avec l'analyse du professeur Forcese, qui affirme que le projet de loi pourrait causer des problèmes.
    Maître Cheung, j'aimerais commencer avec vous. Pourriez-vous nous parler des répercussions que ce projet de loi pourrait avoir sur des groupes qui luttent contre les changements climatiques et qui s'inquiètent des droits environnementaux?
(0935)
    Comme le comité l'apprendra de façon plus détaillée aujourd'hui, ce qui est inquiétant, c'est que ce projet de loi ne prévoit aucune exemption pour... Contrairement à la définition de l'expression « activité terroriste » figurant dans la Loi antiterroriste actuelle, le projet de loi ne prévoit des exemptions que dans le cas de manifestations licites. Je pense que, comme nos collègues de Greenpeace et les professeurs Roach et Forcese l'ont signalé, la portée de cette mesure législative est beaucoup trop vaste. Elle englobe toutes sortes de manifestations pacifiques et non violentes, qui pourraient tout simplement être contraires à la réglementation municipale. En effet, il se pourrait notamment que les manifestants n'aient pas obtenu le permis nécessaire.
    Par exemple, certains nous disent que le projet de loi ne ciblera pas ces personnes, qu'il ne s'en prendra pas aux Raging Grannies ou aux enfants qui manifestent sans permis. Toutefois, je pense que cette approche — et nous en parlons dans notre mémoire — risque vraiment de politiser ce qui devrait être une évaluation objective sur le plan de la sécurité. Elle donnera lieu à une évaluation très subjective de ce qui constitue une véritable menace pour la sécurité par rapport à ce qui n'en est pas une.
    Cette situation est très préoccupante pour les militants politiques, car la popularité de leur cause pourrait être le facteur déterminant au moment de juger si leur conduite est préjudiciable ou non à la sécurité du Canada. Selon nous, cela est très dangereux pour la liberté d'expression et le droit à la dissidence. Nous sommes d'avis qu'il aurait été préférable d'adopter la définition de l'expression « activité terroriste » figurant dans le Code criminel, qui exclut explicitement les activités menées dans le cadre de revendications, de protestations ou de manifestations d’un désaccord ou d’un arrêt de travail.
    Et c'est ce que nous tentons de combattre ici, n'est-ce pas, c'est-à-dire les activités terroristes?
    Exactement.
    D'accord.
    Monsieur Stewart ou madame Kerr, selon vous, quelles pourraient être les répercussions de ce projet de loi sur les efforts déployés par des citoyens en vue de protéger l'environnement et de se mobiliser dans des dossiers touchant l'environnement?
    Eh bien, nous craignons fortement qu'un grand nombre de nos militants, compte tenu de l'amalgame possible entre manifestation pacifique et terrorisme... même si ce n'est pas l'objectif du projet de loi, de nombreux juristes pensent le contraire et estiment qu'il jettera un froid sur l'activisme individuel et communautaire, dans la mesure où beaucoup de citoyens ne feront plus confiance au gouvernement et à certaines de ses institutions... Cette situation aura pour effet de restreindre le droit des gens de participer à des manifestations légitimes parce qu'ils ont de très sérieuses inquiétudes, par exemple, au sujet de la pollution de rivières ou de l'air, ou parce qu'ils souhaitent lutter contre les changements climatiques, qui ont des effets catastrophiques...
    Je vous remercie d'avoir utilisé l'expression « jeter un froid », car c'est vraiment important pour moi. En effet, on a jeté un froid sur la volonté du mouvement environnemental d'organiser des manifestations et de dénoncer certaines choses. Mais je pense aussi à d'autres événements, comme le mouvement « Occupons » qui s'est déroulé au parc Victoria d'Halifax. Je suis allée rencontrer ces manifestants juste avant qu'ils se fassent arrêter pour leur parler de leurs droits juridiques, de l'importance de ne pas résister à leur arrestation — de toutes sortes de faits juridiques fondamentaux. Aucun froid n'avait été jeté sur leurs activités, mais les manifestants n'avaient vraiment aucune idée des droits dont ils jouissaient.
    Il s'agit donc d'un froid qui a été jeté, mais je pense aussi que... ces gens auraient pu être espionnés à leur insu, simplement parce qu'ils n'avaient pas le permis nécessaire pour occuper le parc Victoria. C'est de cela qu'il s'agit ici, n'est-ce pas?
    Voulez-vous répondre, Keith?
    Dans le contexte actuel, les avis sont très partagés quant à la façon de composer avec les changements climatiques, et c'est normal, puisque c'est l'un des enjeux les plus déterminants de notre siècle. Pour ce qui est de la tentative de jeter un froid sur ce genre de manifestations, comme certains vont l'indiquer, il y a des gens qui ont manifesté contre les pipelines qui ont déjà été espionnés... Il y a des ministres qui ont déjà fait des déclarations dans lesquelles ce mouvement était pratiquement assimilé à un comportement anticanadien, et la GRC l'a aussi dépeint comme le « mouvement antipétrole canadien », ce que je n'avais jamais entendu auparavant.
    Nous ne devrions pas tenter de limiter la discussion démocratique, même lorsqu'elle est animée. Cela fait partie de la démocratie et des droits que nous avons en tant que Canadiens. Il y a des lois concernant les manifestations illégales; nous n'avons pas à assimiler ce type de manifestations à du terrorisme. Voilà pourquoi vos homologues britanniques parlent de traiter séparément les activités policières qui visent les manifestations pacifiques et les mesures de lutte contre le terrorisme. C'est ce qu'il faudrait faire.
(0940)
    Merci beaucoup, monsieur Stewart.
    Nous avons dépassé le temps prévu, alors nous allons passer à M. Payne, qui dispose de sept minutes.
    Merci, monsieur le président. Je remercie également les témoins d'être venus pour parler de ce projet de loi très important.
    Je partagerai mon temps de parole avec Mme James, et j'aimerais lui céder la parole avant de conclure mon intervention.
    Merci, LaVar.
    Je vous remercie également, monsieur le président, et je remercie nos témoins.
    J'aimerais seulement corriger certaines interprétations erronées que j'ai entendues jusqu'à présent au comité. Je vais commencer par l'échange de renseignements.
    On semble laisser entendre qu'une personne qui manifeste de façon licite — ou qui le fait de manière illicite parce qu'elle n'a pas nécessairement l'autorisation de la municipalité — serait, en quelque sorte, surveillée ou espionnée. Or, ce n'est pas du tout le cas.
    Ce projet de loi comporte cinq parties. La première porte sur la communication d'information. Elle n'a absolument rien à voir avec les forces de l'ordre, la GRC ou le SCRS. Il s'agit de permettre aux organismes gouvernementaux d'échanger des renseignements entre eux.
    Il s'agit également d'une approche en deux volets. Si vous examinez le projet de loi, vous lirez ceci, à la page 3:
    
    Il est entendu que sont exclues les activités licites de défense d’une cause, de protestation, de manifestation d’un désaccord ou d’expression artistique.
    Or, selon ce que j'ai entendu, les préoccupations soulevées concernent les cas où la manifestation est illicite ou menée sans autorisation municipale. Si vous examinez de près le projet de loi, vous vous rendrez compte que la même partie explique l'objectif de la Loi sur la communication d’information. Il est question de toute « activité portant atteinte à la sécurité du Canada  », ce qui comprend les activités qui portent atteinte « à la souveraineté, à la sécurité ou à l’intégrité territoriale du Canada ou à la vie ou à la sécurité de la population du Canada ». Par conséquent, à moins que votre manifestation illicite vise notamment à faire sauter une infrastructure, je crois que votre interprétation de cette partie du projet de loi est erronée
    Avant de céder la parole à mon collègue, M. Payne, j'aimerais apporter une autre précision au sujet des arrestations et des détentions préventives, et du fait de prolonger la période de détention pour la faire passer de 24 heures à une période pouvant durer jusqu'à sept jours. On semble avoir laissé entendre qu'il se pourrait qu'une personne soit simplement jetée en prison, et que le policier ou l'enquêteur à l'origine de l'intervention parte en vacances.
    Ce n'est tout simplement pas le cas. Il faut obtenir l'autorisation du procureur général, il faut soumettre la cause à un juge, qui doit examiner tous les éléments de preuve qui servent à justifier la détention pour une durée de 24 heures, puis un examen est effectué toutes les 48 heures, jusqu'à concurrence de sept jours, soit la durée maximale de la détention.
    Pendant cette période, la personne ayant soumis la cause au juge afin d'obtenir l'autorisation de procéder à ce genre de détention doit prouver qu'une enquête est en cours et que des renseignements sont recueillis, et il doit fournir des raisons pour justifier le délai. Toutes ces mesures sont nécessaires. Nos organismes de sécurité nationale l'ont clairement indiqué. D'ailleurs, lors de notre réunion de mardi, nous avons appris que de telles mesures sont absolument essentielles pour que la GRC puisse mener ses enquêtes.
    Je tenais seulement à corriger ces interprétations erronées que j'ai entendues au sujet du projet de loi.
    Je vais maintenant céder le reste de mon temps de parole à M. Payne.
    Merci, madame James.
    Mme James a justement abordé quelques-uns des sujets dont je voulais parler. Je suppose que j'aimerais ajouter que ce pouvoir en matière de communication d'information vise à assurer la sécurité nationale. Il n'oblige pas un gouvernement ou un organisme à communiquer de l'information contre son gré. De plus, à titre d'information — et je n'ai pas à le redire deux fois —, ces mesures font l'objet d'un examen par le commissaire à la protection de la vie privée. Voilà donc un autre aspect qui permet certainement de protéger les gens.
    Quoi qu'il en soit, la loi vise à communiquer de l'information liée à des menaces pour la sécurité nationale. Cela m'amène donc à me demander si votre organisation est une menace pour la sécurité nationale. Je vois que votre organisation manifeste contre les projets de pipeline et de foresterie, mais rien de ce que j'ai entendu ne m'a laissé croire que vous prévoyiez faire sauter une infrastructure canadienne ou saboter des réseaux d'électricité. Je me demande donc si vous vous considérez comme une menace pour la sécurité, et si vous comprenez que la définition ne s'appliquera pas à vous tant que vous ne commettrez pas l'une de ces activités terroristes. Cela me semble plutôt clair.
    Je crois que le ministre Blaney a également dit clairement, mardi, que les manifestations licites ou illicites ne seront pas visées par les critères concernant la communication d'information. Je suis sûr que vous êtes conscients qu'il y a deux critères à respecter pour que l'information puisse être communiquée. Je souligne d'abord qu'il n'est pas question de recueillir de nouveaux renseignements, mais de communiquer l'information déjà disponible, et que cela n'a rien à voir avec les arrestations ou les poursuites. Même si votre manifestation faisait entrave à l'utilisation d'une infrastructure essentielle, elle ne correspondrait qu'à un seul critère. Pour ce qui est du deuxième critère, qui est très important et pertinent, il s'agit de déterminer si la manifestation porte atteinte « à la souveraineté, à la sécurité ou à l’intégrité territoriale du Canada ou à la vie ou à la sécurité de la population du Canada ».
(0945)
    Je suis désolé, monsieur Payne, mais nous n'avons plus de temps. Je sais que vous ne faites que commencer, mais notre première heure de témoignages est écoulée. Je trouve certes regrettable que nous n'ayons pas tous eu l'occasion...
    M. Easter invoque le Règlement.
    Oui, monsieur le président, l'un des partis qui devaient prendre part au processus n'a pas eu l'occasion d'interroger les témoins. Cela pose un véritable problème.
    Je suis conscient que notre première heure est écoulée, mais si le processus d'audience empêche l'un des partis de poser des questions, alors nous avons un grave problème.
    Merci beaucoup.
    Faites-vous un autre recours au Règlement, madame James, où souhaitez-vous intervenir au sujet du même recours au Règlement?
    Merci. J'allais simplement proposer que nous limitions le temps consacré aux exposés. Ainsi, au lieu de prévoir un temps maximal de 10 minutes, nous pourrions peut-être réduire ce temps à 7 ou 8 minutes pour permettre au troisième parti d'intervenir.
    D'accord. Je comprends le point de vue de M. Easter, et il est légitime. Personne ne veut qu'on l'empêche de poser des questions.
    Deux problèmes sont survenus, le premier étant évidemment que le recours au Règlement de M. Easter a réduit considérablement le temps disponible. Cela dit, pour être juste, je crois que la présidence est disposée à ce que, lors de la comparution des prochains témoins, ces derniers soient invités à être le plus bref possible. Ensuite, nous vérifierons le temps qui reste, et ce temps sera divisé également entre les quatre partis, c'est-à-dire les quatre intervenants du premier tour.
    Il appartient au président de déterminer comment procéder dans un tel cas. Les intervenants peuvent disposer de sept ou cinq minutes, selon le temps qui reste, mais, au moins, tous les intervenants du premier tour seront disponibles, et chaque parti aura donc l'occasion d'intervenir.
    J'aimerais passer aux prochains témoins, alors si vous souhaitez invoquer le Règlement, veuillez le faire avant que la présidence suspende la séance.
    M. Randall Garrison: Oui.
    Le président: D'accord. Allez-y, monsieur Garrison.
    C'est précisément le problème que nous avons signalé au gouvernement au moment de déterminer le nombre de témoins. C'est justement à cause de cela que nous étions fortement opposés à l'idée de faire comparaître trois témoins par table ronde.
    Nous avons invité des gens à venir témoigner, et maintenant, nous allons réduire leur temps de parole et le temps réservé aux questions. Je tiens à indiquer très clairement que ce problème survient parce que le gouvernement a insisté pour qu'il y ait trois témoins par table ronde au lieu du nombre que nous jugions approprié, c'est-à-dire deux témoins par table ronde.
    Merci beaucoup. La présidence se contentera de répondre que l'usage du comité veut que, dans la plupart des cas, il puisse y avoir jusqu'à trois témoins... La situation actuelle n'a donc rien d'exceptionnel. C'est la règle que nous suivons normalement.
    La présidence aimerait passer à la prochaine étape. Nous avons d'autres témoins à entendre. À moins qu'il y ait une autre intervention au sujet du même recours au Règlement, la présidence est prête à rendre sa décision.
    Oui, madame James.
    Merci, monsieur le président.
    Selon les lignes directrices établies pour le comité et approuvées par l'ensemble du comité, la répartition du temps pour la première série de questions permet essentiellement d'accorder sept minutes pour le Parti conservateur, puis sept minutes pour le NPD, puis sept minutes pour le Parti conservateur, et ainsi de suite. La rotation s'effectue ainsi.
    Je demande à ce que nous nous en tenions aux premières lignes directrices, comme nous l'avons fait auparavant lorsque nous avons entendu trois témoins, ce qui est conforme à l'usage habituel du comité. L'usage prévoit trois témoins par heure. Cela n'a rien de nouveau. C'est ce qui a été convenu. Je crois que le simple fait de limiter la durée des exposés à sept ou huit minutes permettrait certainement au troisième parti, c'est-à-dire au seul intervenant du Parti libéral, de poser des questions.
    La présidence fera ce qu'elle peut pour assurer un certain équilibre.
    Nous allons maintenant suspendre la séance pour faire comparaître nos prochains témoins. Je remercie nos témoins de leur comparution. Nous vous en sommes très reconnaissants.
    Merci beaucoup.
(0945)

(0950)
    Très bien, chers collègues, nous allons reprendre nos travaux. Je souhaite la bienvenue aux trois témoins de notre deuxième table ronde.
    Nous accueillons Paul Champ, avocat de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, Barry Cooper, professeur de science politique de l'Université de Calgary, qui témoigne à titre personnel, et le chef national Perry Bellegarde, de l'Assemblée des Premières Nations.
    Bienvenue à tous.
    Messieurs, notre temps est limité. Je sais que nous ne pouvons pas vous demander de modifier votre exposé. Ce ne serait pas nécessairement juste, puisque vous n'en avez pas été avisés. À l'avenir, le comité pourrait peut-être proposer de réduire la longueur des exposés, mais pour le moment, je ne peux que vous prier d'être le plus bref possible.
    Comme la présidence l'a indiqué, le temps réservé à la première série de questions sera réparti en conséquence.
    Nous allons commencer par M. Champ. Vous avez jusqu'à 10 minutes, monsieur, mais, de préférence, votre exposé prendra beaucoup moins de temps.
    Je tiens à vous remercier, monsieur le président, et à remercier le greffier et les honorables membres du comité de m'avoir accordé le privilège de cette invitation.
    Je témoigne au nom de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, une coalition pancanadienne qui regroupe plus de 40 ONG, groupes confessionnels et syndicats. La coalition se penche sur les questions de la sécurité nationale et des libertés civiles depuis 2002. En ce qui me concerne, je suis un avocat spécialiste des droits de la personne, et j'ai pris part à de nombreuses causes liées à la sécurité nationale qui impliquaient une atteinte aux libertés civiles et aux droits de la personne. C'est donc dire que j'ai beaucoup d'expérience dans ce domaine.
    Je vais parler de trois aspects du projet de loi, soit les dispositions concernant la Loi sur la communication d'information, le régime d'interdiction de vol et l'élargissement des pouvoirs du SCRS, c'est-à-dire les pouvoirs qui permettront d'autoriser secrètement le SCRS à aller à l'encontre des droits fondamentaux des Canadiens.
    Nous allons également déposer un mémoire fournissant plus de détails sur notre position à cet égard. Il contiendra évidemment des annotations et des renvois, ce qui est toujours fort utile. Ce matin, je vais simplement tenter de souligner les principaux points.
    Tout d'abord, en ce qui concerne la Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada, nous sommes d'avis qu'il y a deux aspects sans précédent. Il y a d'abord l'élargissement de la définition de la sécurité du Canada. C'est une nouvelle définition sans précédent dans nos lois. À l'heure actuelle, la définition de la sécurité du Canada se trouve dans l'article 2 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, et elle est intégrée à environ 10 autres lois. Au Canada, nous nous fondons sur la définition de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Chez ceux qui critiquent le projet de loi, bien des gens ont été vraiment surpris et se sont demandé pourquoi la définition de la sécurité du Canada a été élargie. Si le but est de cibler le terrorisme, cela est couvert par la définition de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Or, ce projet de loi énumère neuf activités, et le terrorisme n'est que l'une d'entre elles. Par conséquent, si la véritable cible de ce projet de loi est le terrorisme, pourquoi élargir la définition? Avec tout le respect que je vous dois, si le projet de loi ne cible ni la défense d'une cause, ni la dissidence, comme le ministre l'a dit l'autre jour pendant son témoignage, alors pourquoi changer la définition? La définition des menaces envers la sécurité du Canada qui se trouve dans la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité est on ne peut plus adéquate, et elle couvrait notamment l’usage de la violence grave, les activités qui visent à renverser le gouvernement par la violence, ainsi que l'espionnage. C'est la définition établie dans la loi canadienne depuis plus de 30 ans, alors pourquoi la changer maintenant?
    Le deuxième aspect que nous tenons à souligner au sujet de la Loi sur la communication d’information, c'est qu'elle fait tomber les barrières concernant la protection de la vie privée dans l'ensemble de la fonction publique, et elle autorise essentiellement les fonctionnaires de tous les ministères à espionner les Canadiens. Par exemple, l'article 5 de ce projet de loi demande à tous les ministères de prendre des mesures pour prévenir, détecter, identifier et perturber des activités. Il s'agit de fonctionnaires qui n'ont pas d'expérience dans le domaine du maintien de l'ordre ou du renseignement de sécurité. Qu'est-ce qu'un vérificateur de l'impôt connaît de la perturbation des activités terroristes? Voilà ce que fait le projet de loi. Il transforme tous les fonctionnaires en espions, et il leur permettra de créer des dossiers secrets sur les Canadiens dont le mode de vie, les opinions ou les déplacements leur semblent suspects. La communication d'information comporte des risques et peut causer des préjudices. La communication d'information est un concept qui semble très anodin. D'ailleurs, la première fois que j'ai dû me pencher sur cette question en tant qu'avocat, je ne voyais pas en quoi cela posait problème. Or, j'ai trouvé de nombreux cas où cela a posé un problème, et j'ai représenté des gens dont la vie a été ruinée parce que des fonctionnaires fédéraux avaient communiqué des renseignements erronés ou n'avaient pas communiqué l'information de façon appropriée. Cela peut avoir des conséquences désastreuses. Au cours des 10 dernières années, il y a eu au Canada deux enquêtes publiques au sujet de quatre Canadiens qui ont été torturés de façon brutale par des agents étrangers qui avaient obtenu des renseignements erronés de la part des agents canadiens. Ce ne sont pas mes conclusions, mais celles qui ont été établies à la suite des deux enquêtes publiques menées aux frais des contribuables canadiens.
    Pas plus tard que la semaine dernière, chers membres du comité, j'ai obtenu un règlement avec le gouvernement du Canada au sujet d'une affaire impliquant un réfugié algérien ingénieur en aérospatiale qui, pendant cinq ans, a été injustement détenu et gravement maltraité parce qu'il avait été désigné comme un suspect après les événements du 11 septembre à cause de renseignements erronés fournis par des fonctionnaires canadiens. La semaine dernière, le gouvernement du Canada a enfin réparé cette erreur en concluant un règlement avec mon client. Voilà le genre de conséquences qui sont associées à la communication d'information. Lorsque la communication d'information n'est pas soumise à un cadre de contrôle et de réglementation approprié, elle peut avoir des conséquences désastreuses pour les gens. La commission d'enquête O'Connor concernant l'affaire Maher Arar a donné lieu à d'excellentes recommandations à cet égard. Elle a notamment établi la nécessité de mettre en place des mécanismes de contrôle et de filtrage pour que l'on veille à ce que l'information soit pertinente et fiable avant de la communiquer. Or, ce projet de loi ne prévoit aucune protection de ce genre.
(0955)
    La Loi sur la sûreté des déplacements aériens concerne le régime d'interdiction de vol. Le client que je représente, la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, est l'un des groupes qui s'est le plus penché sur la liste d'interdiction de vol depuis qu'elle a été créée au Canada, en 2007. Nous savons que, en 2007, le gouvernement a annoncé que plus de 2 000 Canadiens étaient inscrits sur la liste d'interdiction de vol du Canada. Depuis ce temps, la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles a demandé à plusieurs reprises au gouvernement et à Transports Canada de lui indiquer combien de Canadiens sont sur cette liste; seulement le nombre de personnes. Le gouvernement a refusé à plusieurs reprises de fournir cette information, et je crois que, si votre comité veut faire une étude sérieuse de ce projet de loi, il devrait au moins demander aux fonctionnaires de lui dire combien de personnes figurent sur cette liste à l'heure actuelle. Combien de Canadiens verront leurs droits menacés à cause de ce projet de loi, et pourquoi refuse-t-on de répondre aux Canadiens? Voilà une réponse que vous devez obtenir.
    Ce que je peux dire au sujet du régime actuel, c'est que, en 2007, tous les commissaires à la protection de la vie privée au pays — et non seulement la commissaire à la protection de la vie privée du Canada — ont adopté une résolution conjointe disant que l'actuel régime d'interdiction de vol manquait de transparence et allait à l'encontre du droit à la vie privée des Canadiens.
    En 2008, la commissaire à la protection de la vie privée du Canada a publié un rapport disant que « malgré [ses] demandes répétées, Transports Canada n’a toujours pas prouvé l’efficacité des listes de personnes interdites de vol ». Ces observations sont maintenant plus pertinentes que jamais. Ce régime est en place depuis huit ans, et nous n'avons toujours aucune information sur l'efficacité du régime, le nombre de personnes qu'il vise, et les raisons pour lesquelles nous devons maintenant étendre sa portée.
    Ce qui pose problème avec le régime d'interdiction de vol, que ce soit dans sa forme actuelle ou celle qu'il prendra aux termes de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, c'est qu'il n'y a aucune mesure pour garantir un processus équitable. Les gens qui sont inscrits sur la liste n'en sont pas avisés. Lorsqu'ils l'apprennent, ils ne peuvent pas contester les éléments de preuve. Tout est fait secrètement, et il est impossible de voir ou de contester les éléments de preuve.
    Déjà en 2008, le Bureau de réexamen, un organisme d'examen créé par le gouvernement pour passer en revue les régimes d'inscription, a déterminé que le régime d'interdiction de vol actuel allait à l'encontre de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Transports Canada n'a pas tenu compte de cette conclusion, et jusqu'à maintenant, aucun tribunal canadien ne s'est penché sur la question. En tant qu'avocat de droit constitutionnel, je puis vous dire que je suis persuadé que ces dispositions seront invalidées. D'ailleurs, l'année dernière, en 2014, les tribunaux des États-Unis ont déterminé que le régime d'interdiction de vol des États-Unis allait à l'encontre du cinquième amendement de la Constitution des États-Unis, qui est l'équivalent de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Pourquoi veut-on maintenant étendre de façon considérable un pouvoir inconstitutionnel qui va à l'encontre des droits des Canadiens?
    Le dernier aspect qui pose problème, ce sont les dispositions du projet de loi concernant la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité qui visent à accroître les pouvoirs du SCRS afin que nos espions puissent aller à l'encontre des droits fondamentaux des Canadiens. Voilà ce que le projet de loi permet de faire. Il permet aux agents du SCRS d'aller à l'encontre des droits garantis par la Charte ou de perturber la vie des gens de manière secrète. Le principal problème que pose cette partie du projet de loi, c'est qu'elle a pour résultat d'estomper de façon considérable les limites entre le maintien de l'ordre et le renseignement de sécurité. Elle va à l'encontre de la raison principale pour laquelle le SCRS a été créé. Auparavant, les agents du SCRS faisaient partie de la GRC, et ils ont été séparés de la GRC expressément pour séparer les activités opérationnelles des activités liées au renseignement de sécurité, car leur chevauchement peut mettre en péril les libertés civiles des Canadiens. Pourquoi retourne-t-on en arrière? Pourquoi fait-on complètement abstraction de la raison pour laquelle le SCRS a été créé?
    Ces pouvoirs n'ont pas vraiment de limite. Les seules limites imposées dans la loi consistent à ne pas causer la mort, ne pas causer des lésions corporelles et ne pas porter atteinte à l'intégrité sexuelle d'un individu. À part cela, les agents du SCRS ne sont limités que par leur imagination. On pourrait procéder à une détention, établir des lieux de détention secrets, comme ceux qu'utilisait la CIA. En principe, cette loi l'autorise. Si on ne veut pas permettre cela, si ce projet de loi ne vise pas cela, alors faisons en sorte que la détention soit mentionnée dans le projet de loi.
(1000)
    Enfin, le projet de loi permettra d'accorder des mandats, et M. Atkey a indiqué plus tôt dans son témoignage que cela pose des problèmes en ce qui concerne l'indépendance judiciaire. Voici un aspect important qui ne sera peut-être pas abordé par d'autres témoins: pour ce qui est de fournir aux juges les renseignements appropriés, on s'en remet à l'honnêteté et à la bonne foi des agents du SCRS, puisque ces audiences aux fins de l'obtention d'un mandat sont complètement secrètes. Les jugements seront rendus dans le secret, à notre insu.
    Je suis désolé, monsieur Champ, mais vous avez dépassé votre temps de parole.
    Je vous prie de respecter les limites de temps prévues par le comité. Vous avez considérablement dépassé votre temps de parole, et la présidence a été extrêmement indulgente.
    Nous allons maintenant entendre M. Cooper.
    Merci, monsieur le président. Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner devant le comité à propos d'une question aussi importante.
    Vous constaterez aisément que je ne suis pas avocat. Je suis professeur de science politique à l'Université de Calgary. En ce qui concerne l'objet de vos délibérations, je souligne notamment que j'ai écrit un livre sur le terrorisme en tant que religion politique, des rapports importants sur les raisons pour lesquelles nous avons besoin d'un service de renseignement étranger, sur la GRC, et sur les difficultés qu'éprouvent les démocraties lorsqu'il s'agit de mener des guerres limitées.
     En général, je crois que le projet de loi C-51 améliore de façon importante la loi antiterroriste du Canada. C'est ce que j'ai fait valoir dans plusieurs articles de journaux, et je ne vais pas me répéter ici. J'aimerais faire quelques observations critiques et analytiques qui, à mon sens, vous seront plus utiles que des louanges sans conviction à l'égard du gouvernement.
     J'aimerais d'abord rappeler que, lorsque le premier ministre a parlé du projet de loi C-51 à Richmond Hill, en janvier dernier, il a dit que le terrorisme djihadiste n'est pas un droit fondamental, mais un acte de guerre. Je crois que c'est généralement exact. Nous sommes aujourd'hui aux prises avec une menace différente de celle à laquelle nous avons dû faire face auparavant. Le problème du terrorisme est lié non pas simplement aux extrémistes violents, comme l'a dit le président Obama, mais principalement aux djihadistes violents.
    Cela dit, je suis conscient que, comme tout projet de loi ayant une vaste portée, le projet de loi C-51 a suscité des inquiétudes chez les Canadiens au sujet des manifestations pacifiques ou moins pacifiques, et de la façon dont celles-ci seront traitées aux termes de ce projet de loi. Cependant, je dirais que le principal conflit ne se trouve pas entre les forces policières et les criminels. Afin de comprendre la principale menace pour la sécurité du Canada, il faut d'abord déterminer comment l'adversaire se définit, et il se dit en guerre.
    Dans une étude publiée l'année dernière, les auteurs, Clark McCauley et Sophie Moskalenko parlent de l'importance du discours djihadiste qui, selon eux, amène souvent des gens isolés à traduire leurs idées radicales par des gestes radicaux.
    Il y a deux aspects importants à souligner. Tout d'abord, le discours djihadiste comporte quatre messages. Le premier: l'islam est attaqué. Le deuxième: les djihadistes défendent l'islam. Le troisième: les gestes commis par les djihadistes — ce que nous appelons du terrorisme — constituent des actes de guerre justifiés par la religion. Le quatrième: les musulmans ont le devoir de soutenir les activités des djihadistes. Par ailleurs, au Royaume-Uni, où l'étude a été réalisée, environ 5 % des musulmans approuvent entièrement ce discours, tandis que 80 % croient au premier message, soit que l'islam est attaqué, et les auteurs croient que cette estimation est modeste.
    J'ai d'abord parlé de ces aspects parce que les libertés des Canadiens sont beaucoup plus menacées par les États islamiques que par le SCRS ou la GRC. Le projet de loi C-51 vise à transformer le SCRS en un organisme qui en fait davantage qu'un service de renseignement de sécurité, mais moins qu'un service de renseignement étranger. Messieurs Forcese et Roach, que vous entendrez prochainement, ont tous deux critiqué le projet de loi C-51 en disant qu'il prévoit la création d'un service d'intervention directe, ce qui me semble plutôt juste.
    Pour ce que ça vaut, je suis favorable à la mise sur pied d'un service spécialisé dans le renseignement étranger qui emploie de véritables espions pour voler des renseignements secrets à d'autres pays. Ce nouveau SCRS pourrait suivre cette voie, mais si c'est le cas, il devra finalement s'attaquer à un problème fondamental. En effet, pour débusquer les espions et neutraliser les menaces, il devra adopter des méthodes complètement différentes des techniques d'espionnage, et les activités extrajudiciaires ou illégales connexes.
    Depuis longtemps, les régimes démocratiques tendent à mener séparément les activités d'espionnage et de contre-espionnage en raison de fortes divergences sur le plan tant opérationnel qu'organisationnel. La forme que prendront les nouveaux pouvoirs d'intervention directe du SCRS n'est pas du tout claire, ce qui pose un deuxième problème qui me semble tout aussi insoluble. Il est impossible — j'ai bien dit impossible — de concilier les objectifs des forces policières avec ceux des services de renseignement, bien qu'on puisse gérer cette incompatibilité.
    La partie 1 du projet de loi C-51, qui porte sur la communication d'information ou de renseignements, semble s'attaquer à cette tension entre le SCRS et la GRC. J'aimerais souligner que la communication d'information est utile et même nécessaire, et que, à cet égard, la partie 1 est un pas dans la bonne direction.
    Cela dit, la tension sous-jacente n'est pas disparue pour la simple raison que les services de renseignement et les services de police ont des objectifs différents et parfois conflictuels. Les policiers veulent arrêter des suspects et obtenir des condamnations en cour. Quant aux services de renseignement, ils cherchent à soutirer des renseignements supplémentaires aux suspects. Les policiers doivent veiller à suivre correctement les procédures judiciaires, notamment lorsqu'ils recueillent des éléments de preuve, afin d'obtenir des condamnations, alors que ce n'est pas le cas des services de renseignements, puisque leur principal objectif n'est pas d'obtenir des condamnations.
    Cette tension ne peut pas vraiment se dissiper, puisqu'elle est liée aux différences fondamentales entre ces différents types d'organisations. Soulignons la difficulté de faire en sorte que les activités de perturbation ou d'intervention directe du SCRS ne perturbent pas également les enquêtes judiciaires de la GRC. En ce qui me concerne, je m'attendrais à ce que, en dehors des situations d'urgence, les activités de collecte de renseignements du SCRS passent avant ses activités d'intervention directe et avant l'intervention de la GRC. Je crois que c'est plus ou moins ce que propose le projet de loi C-44. Si tel est le cas, je dirais que l'on tient compte des priorités propres aux deux organisations.
(1005)
    L'autre chose dont je voudrais parler porte sur la surveillance et l'examen. Une distinction s'impose entre ces deux concepts, tout comme entre les mandats de la police et des services de sécurité. Lorsque les activités envisagées par le SCRS contreviendraient à la loi, un juge de la Cour fédérale doit les autoriser au préalable en délivrant un mandat. Cette mesure ajoute un élément à la surveillance, en la retirant de la chaîne de commandement de l’exécutif. Avant de me prononcer quant à savoir si nous avons besoin d’autres mécanismes de surveillance en plus des mandats de perquisition et de surveillance, j’attendrais que l’on sache comment la structure proposée du SCRS fonctionne. Mais comment saura-t-on comment elle fonctionne?
    Il ne s’agit pas d’une question de surveillance, mais bien d’examen, de vérifications après les activités, un peu comme le CSARS, le Comité de surveillance des activités de renseignement, est actuellement censé faire avec le SCRS. Je dis « censé faire » parce que, comme vous le savez sans doute, cet organisme d’examen manque de fonds et de personnel. Pis encore, si on doit établir une stratégie de sécurité et de partage de renseignements pangouvernementale comme l'envisage le projet de loi C-51 — ce qui, comme je l’ai dit, est un objectif louable —, alors il faut aussi une stratégie pangouvernementale d’examen de ce que font les organismes gouvernementaux.
    Par exemple, à l’heure actuelle, l’Agence des services frontaliers du Canada, qui mène des activités policières et de renseignement, ne fait l’objet d’aucun examen. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’agit là d’une mauvaise pratique de gestion publique. Par conséquent, je suggérerais d’élargir le modèle du CSARS, mais comme c’est le cas au Royaume-Uni et en Australie, j’ajouterais aux spécialistes et aux agents techniques membres du CSARS, des députés siégeant des deux côtés de la Chambre. Pour autant que je sache, ce modèle semble plutôt bien fonctionner en Australie. Évidemment, les députés, tout comme les autres membres du CSARS, seraient tenus au secret sous la foi du serment.
    Je voudrais souligner deux autres points:
    Premièrement, le secret dans l’examen des activités de renseignement est aussi inévitable que l’espionnage dans l’exercice d’activités liées au renseignement de sécurité. Aucun pays ne peut mener des activités de renseignement, qu’elles soient à caractère défensif ou offensif, aux yeux du public. Deuxièmement, il n'est pas aussi important d'accroître les mécanismes de surveillance que d’accroître les examens après les activités. Cela s’explique parce que plus de surveillance se traduit par plus d’ingérence de l’exécutif dans des dossiers où les activités de renseignement sont souvent de nature pressante. De surcroît, les comptes rendus après activités auront une influence sur les attentes futures en donnant une évaluation du fonctionnement des divers services de sécurité, ce qui correspond à une sorte de surveillance interne.
    Bref, le projet de loi C-51 est un premier pas dans la bonne direction, mais il peut être amélioré.
    Je vous remercie de votre attention. Il me ferait plaisir de répondre à quelques questions plus tard, si possible. J'espère ne pas avoir trop parlé.
(1010)
    En fait, il vous restait encore beaucoup de temps.
    Merci beaucoup monsieur Cooper.
    Passons maintenant au chef Bellegarde. Vous avez la parole.
    Bon matin à vous et aux membres du comité. Je m'appelle Perry Bellegarde, je suis chef de l'Assemblée des Premières Nations.
    Le projet de loi C-51 a fait couler beaucoup d'encre et provoque une vive controverse. Les Premières Nations sont depuis longtemps assujetties à des lois qui menacent leurs droits, c'est pourquoi nous sommes toujours à l'affût de lois susceptibles de toucher nos droits, nos citoyens et nos territoires traditionnels. Le projet de loi C-51 s'intéresse principalement au pouvoir de l'État de placer un particulier ou un groupe sous surveillance, de surveiller leurs activités quotidiennes, de créer des infractions criminelles qui nuisent à notre capacité d'exercer nos droits légalement reconnus, et à la relation générale entre le pouvoir de l'État et les droits fondamentaux de la personne et des autochtones.
    Les Premières Nations ont de vastes connaissances spécialisées tirées d'expériences concrètes à mettre à la disposition du comité, du gouvernement et de l'ensemble des Canadiens. Les Premières Nations sont souvent obligées de prendre position contre les mesures et les initiatives prises par des gouvernements qui refusent de respecter ou de protéger nos droits. Ce faisant, elles entreprennent souvent des activités que l'on pourrait qualifier de manifestations alors que, en réalité, nous demandons simplement au Canada d'obéir ses propres lois, dont la Constitution même du Canada, qui reconnaît et confirme les droits inhérents et issus de traités des Autochtones.
    Les Premières Nations estiment qu'au coeur du présent débat repose la question toujours en suspens de l'équilibre entre les lois et pouvoirs fédéraux et provinciaux et la compétence et la souveraineté inhérentes des Premières Nations. La réconciliation est elle aussi au coeur du débat, ou bien la conciliation des revendications de souveraineté du Canada, de nos droits, nos titres et nos compétences inhérents et des obligations permanentes du Canada découlant des traités. Il faut clore ce dossier. C'est la voie à suivre. Mais dans l'intérim, individuellement et collectivement, les Premières Nations font valoir leurs droits civils et politiques fondamentaux. C'est ce que nous avons dû faire à maintes reprises par le passé, opprimés par les lois qui nous sont imposées, lois qui, nous répète-t-on sans cesse, sont dans notre intérêt ainsi que dans celui du Canada alors qu'en réalité elles minent ouvertement notre identité et nos droits.
    Nous avons souffert sous le régime de lois interdisant nos pratiques culturelles et spirituelles, nous privant de notre droit de vote, nous empêchant de nous prévaloir de recours judiciaires pour revendiquer nos droits, accordant à l'État le pouvoir d'enlever nos enfants et de leur faire subir des attaques spirituelles et corporelles dans l'espoir d'étouffer nos langues et nos traditions. Nous faisons l'objet de soupçons et sommes assujettis à des mesures de surveillance, nous sommes considérés comme une menace depuis la fondation du pays. Pourquoi? Parce que nos cultures, nos valeurs et nos lois accordent la priorité à la protection des terres et des eaux et reposent sur les concepts du partage et de la viabilité. Le Canada sait très bien que l'existence même des peuples autochtones remet en question sa revendication de souveraineté absolue. Mais nos peuples ont survécu, ils ont su résister à toutes les attaques perpétrées contre nous depuis que nos ancêtres et nos aînés se sont portés à la défense de notre peuple et de nos droits.
    La présente génération refuse de renoncer à la capacité que nous avons de protéger nos terres, nos territoires et les droits qui nous gardent en vie. Nous continuerons d'affirmer notre souveraineté inhérente et la responsabilité sacrée que nous avons de protéger les terres et les eaux. Nous avons le droit de prendre des décisions concernant les activités qui touchent nos terres et nos territoires. Nos lois et nos traditions juridiques adhèrent à une vision équilibrée de la sécurité, du développement, de la protection environnementale et des droits fondamentaux. Nous avons des traditions de longue date profondément enracinées qui portent sur le de respect de l'autonomie individuelle, la liberté d'expression et les moyens de trouver un équilibre dans l'intérêt de tous. Le Canada ferait bien de s'en inspirer.
    Voilà les antécédents et les perspectives que nous mettons au service de l'étude du projet de loi. Nous croyons au droit à la sécurité et à la sûreté, mais la détermination du gouvernement à faire adopter cette mesure à toute vapeur est antidémocratique et elle viole nos droits collectifs et individuels.
    Nous avons de nombreuses réserves au sujet du projet de loi. Premièrement, la définition d'« activités qui portent atteinte à la sécurité du Canada » dans la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada est trop large. C'est selon nous un euphémisme justifiant la surveillance des Premières Nations qui exercent leurs droits collectifs et individuels. Les peuples autochtones pourraient faire l'objet d'une surveillance accrue en vertu d'une disposition couvrant des concepts et des activités si mal définis. La définition d'activité terroriste est beaucoup plus large que celle qui figure dans le Code criminel. La disposition excluant les activités licites de défense d'une cause, de protestation, de manifestation d'un désaccord ou d'expression artistique est inadéquate face à la complexité de la tâche qui consiste à concilier le droit et les compétences des Premières Nations et la souveraineté affirmée du Canada.
    Le gouvernement invoque souvent la primauté du droit. Nous aimerions que la primauté du droit respecte nos droits protégés par la Constitution ainsi que nos droits fondamentaux.
(1015)
    L'époque où la suprématie parlementaire l'emportait sur les droits de la personne et les droits des Premières Nations est révolue, mais le gouvernement a encore du mal à se plier à la Loi constitutionnelle de 1982, autant à sa partie I, la Charte, qu'à sa partie II, qui reconnaît et confirme les droits ancestraux et issus de traités des Autochtones. Ces deux types de droits sont menacés par le projet de loi C-51.
    Les Premières Nations soutiennent que le projet de loi C-51 portera atteinte à notre liberté d'expression et de réunion; à notre droit d'être protégé contre les fouilles et les perquisitions abusives; à notre droit à la liberté; à notre droit fondamental en tant que peuples autochtones en vertu de l'article 25 de la Loi constitutionnelle de 1982; à nos droits découlant des traités; et à notre droit à l'autodétermination.
    Notre droit à l'autodétermination, reconnu dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, comprend le droit de protéger nos terres et nos eaux et de contribuer aux décisions concernant les activités et les lois les touchant. Mais il y a un équilibre à trouver entre les droits et la sécurité, et c'est seulement en entament en dialogue entre nations que nous réussirons à le trouver.
    Malheureusement, dans l'élaboration du projet de loi, le gouvernement a manqué à son obligation de consulter les Premières Nations et de respecter leurs opinions. Pour cette seule raison, la loi se prêterait à une contestation judiciaire si le gouvernement cherchait à nous l'imposer.
    Le projet de loi C-51 crée un climat propice aux conflits en établissant des conditions permettant à nos peuples d'être considérés comme une menace — autant à l'infrastructure essentielle qu'à la stabilité économique du Canada — lorsqu'ils affirment leurs droits individuels ou collectifs en tant que citoyens des Premières Nations. Cet argument n'a rien d'abstrait pour nous. On nous traite de terroristes lorsque nous défendons nos droits et compétences fondamentaux, comme le démontre la note de service de la GRC récemment rendue publique intitulée « Menaces criminelles à l'industrie pétrolière canadienne ». Je déposerai le rapport dans le cadre de ma présentation.
    Le pacifisme des Premières Nations est sans égal dans le monde, même lorsque celles-ci font l'objet de violations déplorables de leurs droits fondamentaux; ce fait est particulièrement exceptionnel à la lumière des attaques constantes dont font l'objet nos valeurs, nos lois, nos compétences et nos droits fondamentaux. Les Premières Nations sont pacifiques, mais elles se défendront si leurs libertés fondamentales sont compromises. Nous sommes solidaires des nombreux autres Canadiens qui refusent de renoncer à leurs droits et libertés fondamentaux et qui exigent que le gouvernement rédige ses importantes initiatives législatives avec plus grand soin. Il faut que le Canada redouble d'efforts pour s'acquitter de ses responsabilités constitutionnelles et issues de traités à l'égard des Premières Nations.
    En conclusion, j'aimerais faire une déclaration à l'intention non seulement du comité, mais de l'ensemble des Canadiens.
    Les Premières Nations savent mieux que quiconque combien il est facile pour le gouvernement de faire fi de nos droits et libertés les plus fondamentaux, de les miner et de les faire disparaître à un point tel où on a peine à reconnaître ses propres terres. Les Premières Nations méritent mieux; les Canadiens méritent mieux. Nous ne pouvons renoncer ni à nos droits si durement acquis, ni à nos droits en tant qu'Autochtones, nos droits découlant de traités, et nos titres qui remontent à la fondation même du pays. Nous pouvons mieux faire, et nous devons mieux faire. Les Premières Nations s'opposeront vigoureusement à tout projet de loi qui brime nos droits. Les Premières Nations se porteront à la défense des droits de leurs peuples et exigeront le respect des responsabilités à l'égard de nos territoires traditionnels.
    Voici nos recommandations: premièrement, que le gouvernement retire son projet de loi et consulte adéquatement les Premières Nations au sujet de son incidence sur leurs droits; deuxièmement, que le gouvernement, de concert avec les Premières Nations, envisage des moyens de soumettre à un examen toutes les mesures législatives fédérales susceptibles d'entraver notre capacité d'affirmer nos droits garantis aux termes de l'article 35.
    Merci.
(1020)
    Merci beaucoup, chef.
    Passons maintenant aux questions; les membres auront cinq minutes et demie chacun.
    Commençons par Mme Ablonczy si vous le voulez bien.
    Merci, monsieur le président.
    Merci aux témoins, qui ont manifestement beaucoup réfléchi aux préoccupations et aux perspectives à partager avec le comité.
    Je fais beaucoup de lecture afin de mieux comprendre les raisons précises pour lesquelles nous présentons ce projet de loi ainsi que les préoccupations qu'il suscite. J'ai lu un article très intéressant que je vous recommande; rédigé par Graeme Wood et publié dans le numéro de mars de The Atlantic, il s'intitule « What ISIS Really Wants ».
    J'ai aussi lu un article intéressant dans le New York Times intitulé « The Education of “Jihadi John” ». D'après l'article, Jihadi John — je pense qu'à force de regarder les nouvelles nous savons tous de qui il s'agit —  était un diplômé en génie informatique de l'Université de Westminster. Il dit:
    En réalité, les universités britanniques sont infiltrées depuis des années par de dangereux fantaisistes qui prêchent un retour à la théocratie. Je suis bien placé pour le savoir: j'en étais un.
    L'auteur affirme que le recruteur sortait tout droit d'une faculté de médecine à Londres. Il dit:
    Bien qu'elles doivent protéger la liberté d'expression, de telles institutions doivent également demeurer vigilantes afin de veiller à ce que ces orateurs ne disposent pas d'une plateforme leur permettant de véhiculer leur message toxique à un public vulnérable sans aucune contestation.
    Il termine en disant:
    Tant que nous ne contestons pas l'apparente légitimité d'un tel discours islamiste dans la population, nous ne pourrons contrer le fléau de la radicalisation.
    En tant qu'universitaire qui a fait beaucoup de recherche dans le dossier, pourriez-vous nous dire si c'est un souci que le Canada partage avec la Grande Bretagne.
    Effectivement. Merci.
    Premièrement, je dois dire qu'il est plutôt gratifiant de constater qu'on se soucie du problème des religions politisées à l'extérieur du milieu universitaire; ça ne fait pas longtemps qu'on peut trouver de tels articles dans des publications comme The Atlantic ou le New York Times .
    Ceux qui s'intéressent aux sources du terrorisme ont constaté que les dernières vagues de terrorisme sont colorées d'analogies avec les mouvements médiévaux apocalyptiques qui pensaient déclencher une transformation mondiale en présentant, au fond, de nouvelles réalités tirées du Livre de la révélation. Il y a des symboles dans l'Islam qui ont des équivalents qui nous sont probablement plus familiers.
    Je trouve que l'article paru dans The Atlantic frappe en plein dans le mille. C'est un dessein que partagent les musulmans salafistes plus radicalisés. Ils pensent pouvoir provoquer l'arrivée en Afghanistan et en Iran du Mahdi, qui mènera un combat apocalyptique à Jérusalem, figurez-vous, où Jésus leur viendra en aide. Ces élucubrations fantaisistes dans notre monde où règne le bon sens meuvent bon nombre de gens. Les universitaires le savent depuis longtemps, et il est vraiment très gratifiant de trouver de tels articles dans les grands médias.
    Nous devons adopter une réponse prudente et judicieuse à cette menace, conformément aux valeurs et aux libertés canadiennes. M. Champ et le chef Bellegarde ont exprimé certaines préoccupations. Le chef Bellegarde a affirmé que lui et son organisation font preuve de vigilance dans la protection des droits et libertés des Premières Nations et, je l'espère, de tous les Canadiens.
    En réponse à une question que le comité lui a posée à ce sujet plus tôt dans la semaine, le ministre a dit que le projet de loi « indique clairement que la définition d'une activité portant atteinte à la sécurité du Canada exclut les activités licites de défense d'une cause, de protestation, de manifestation d'un désaccord ou d'expression artistique. » Il a dit que seules les activités qui portent atteinte à la sécurité du Canada sont visées. Il a également affirmé que le concept d'« intention légitime » se prête à une interprétation étroite, comme c'est déjà le cas à la GRC.
    Monsieur Cooper, je constate que vous avez publié des articles au sujet des activités qui portent atteinte à la sécurité du Canada. À la lumière des préoccupations exprimées, je pense qu'il serait utile pour nous de savoir ce qui, selon vous, répondrait au critère d'une activité « portant atteinte à la sécurité du Canada. »
(1025)
    Vous m'excuserez, madame Ablonczy, mais bien que nous souhaiterions tous entendre la réponse à cette question, votre temps de parole est écoulé.
    Passons maintenant à la prochaine série de questions. Peut-être pourriez-vous répondre à la question au prochain tour, monsieur Cooper.
    Il est maintenant temps de passer à Mme Ashton, si vous le voulez bien.
    Merci, monsieur le président. J'aimerais remercier le chef national Bellegarde de son allocution percutante devant le comité. Je suis désolée que nous n'ayons pas eu le temps d'entendre plus de vos réponses aux questions posées par mes collègues conservateurs.
    Chef national Bellegarde, vous êtes le premier témoin autochtone à comparaître, et en votre qualité de chef national, vous représentez de nombreuses personnes lorsque vous décrivez l'incidence qu'aura le projet de loi C-51 sur les peuples et les collectivités autochtones.
    J'ai quelques courtes questions à vous poser, mais étant donné le peu de temps à notre disposition, il y en a une que j'aimerais poser en premier. Le projet de loi C-51 constitue-t-il une menace pour les droits prévus à l'article 35?
    Oui. J'ai parlé plus tôt du devoir de consulter les Autochtones et de tenir compte de leurs avis qui incombe à la Couronne lorsqu'elle présente une loi susceptible de toucher aux droits prévus à l'article 35. Je répète, c'est une obligation. Il a également été établi dans l'affaire mettant en cause le chef cri de Mikisew Courtoreille, dans laquelle il a obtenu gain de cause, que toute telle mesure doit faire l'objet d'un préavis afin que les parties intéressées aient l'occasion de se prononcer. Aucune consultation n'a eu lieu en l'occurrence, c'est pourquoi j'ai indiqué dans mon discours que la loi fera l'objet d'une contestation judiciaire.
    Merci.
    J'aimerais maintenant que vous développiez une idée dont vous avez parlé dans votre discours. D'après vous, le projet de loi C-51 vise-t-il à criminaliser la dissidence, le dissentiment autochtone et l'affirmation par les peuples autochtones de leurs droits et de leurs titres?
    Plus que toute autre chose, nous craignons qu'on nous fasse passer pour des terroristes lorsque nous nous portons à la défense de nos terres et de nos eaux. Je me souviens lorsque la Première Nations d'Elsipogtog a pris position contre la fracturation. Les gens qui cherchent à protéger leurs cours d'eau sont-ils des terroristes? Je pense également au site C dans le nord de la Colombie-Britannique qu'on propose d'inonder. Cherchera-t-on à qualifier de terroriste les habitants de la région qui s'opposent à l'initiative ou qui cherchent à protéger leurs territoires de chasse, où jadis ils pêchaient, piégeaient, chassaient et pratiquaient la cueillette? Les fera-t-on passer pour des terroristes? Je pense à la ligne électrique Bipole III dans le nord du Manitoba pour laquelle on procède à des coupes à blanc. Le chef Genaille a pris position contre le projet car il empiète sur le terres où son peuple chassait, pêchait, piégeait et faisait de la cueillette. Eux aussi, va-t-on chercher à les faire passer pour des terroristes s'ils osent revendiquer leurs droits?
    La réalisation de ces projets touche ces populations. Plus que toute autre chose, nous craignons qu'on fasse passer pour un terroriste quiconque se porte à la défense de ses droits alors que la partie adverse est à l'abri de telles accusations. Ces populations cherchent seulement à défendre leurs droits fondamentaux et inhérents, leurs droits découlant de traités et leurs droits ancestraux, ce qui ne justifie certainement pas qu'on les traite de terroristes.
    Merci.
    Chef national, je sais que vous êtes conscient des renseignements dévoilés ces dernières années faisant état du nombre inouï d'activistes et d'organismes communautaires autochtones qui font l'objet d'une surveillance au Canada. Nous savons que pas plus tard qu'en 2009, il est apparu clairement que le service du renseignement de la GRC soumettait toutes les semaines à quelque 450 services d'application de la loi un rapport sur les activités des mouvements autochtones populaires. Est-ce là un des soucis susceptibles de vous donner une idée de la mesure dans laquelle le projet de loi C-51 contribuera encore davantage aux activités de surveillance manifestement déjà en cours?
(1030)
    J'ai aussi abordé la question de la surveillance indue et de l'atteinte à la vie privée dans mon discours. Je répète que les gens sont talonnés. Prenons l'exemple d'une de nos héroïnes, Cindy Blackstock, défenseure des enfants et dénonciatrice des politiques de financement discriminatoires de la garde d'enfants dans les réserves. Elle a été placée sous surveillance sans raison. On a porté inutilement atteinte à sa vie privée à maintes reprises. Je pense que le projet de loi accorde un trop grand pouvoir aux organisations gouvernementales, pouvoir dont elles se prévaudront pour porter atteinte aux droits individuels. Bien trop de membres des Premières Nations seront suivis indûment pour le simple fait de défendre une cause juste. C'est pour cela que nous envisageons contester la loi si elle est adoptée.
    Enfin, s'il nous reste du temps, j'aimerais savoir ce que vous disent les dirigeants et les membres des Premières Nations. Y en a-t-il qui appuient le projet de loi C-51?
    Jusqu'à présent, non. Je répète que la plupart des chefs et des dirigeants au Canada s'opposent à la mesure car elle empiétera sur nos droits. Nous ne voulons pas nous faire traiter comme des terroristes chez nous, sur nos terres natales, parce que nous défendons nos terres et nos eaux. C'est le message clair que nous envoie l'ensemble des habitants de l'île de la Tortue.
    Excellent, merci beaucoup.
    Avez-vous des observations finales à faire, chef national?
    Non. Je répète que nous recommandons au gouvernement de retirer le projet de loi et de participer à un nouveau processus avec nous. Je répète que ce n'est pas seulement le projet de loi C-51 qui mine les droits en vertu de l'article 35, mais aussi le projet de loi C-38 et le projet de loi omnibus C-45. Il y a toujours moyen d'arriver à une entente, mais il faut d'abord commencer par un dialogue constructif qui nous montrera la marche à suivre, car tout le monde au Canada mérite qu'on procède dans les règles de l'art. C'est là notre recommandation: retirez le projet de loi, et entamons un processus fondé sur le respect, comme il se doit.
    D'accord, merci beaucoup chef Bellegarde.
    Merci madame Ashton.
    Passons maintenant à M. Falk; vous avez cinq minutes et demie.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais d'abord céder la parole à Mme James, avec qui je partage mon temps de parole.
    Merci beaucoup.
    J'aimerais donner suite à certaines de vos préoccupations, chef Bellegarde. Je vous remercie d'être venu aujourd'hui nous exprimer vos préoccupations, car vous me donnez l'occasion d'y répondre directement.
    À propos du partage d'information, je tiens à préciser, pour que cela ne puisse faire plus aucune doute, que le projet de loi ne contient aucune disposition concernant l'espionnage ou les pouvoirs d'arrestation ou de détention des organismes de sécurité nationale. Il est question de la capacité des diverses organisations gouvernementales de partager de l'information. En plus, on se contente d'encourager le partage d'information. Ce n'est pas une obligation. Le projet de loi ne permet pas à une organisation de recueillir des renseignements supplémentaires autres que ceux déjà à sa disposition, et il n'autorise pas l'établissement d'une base de données recueillant l'ensemble des renseignements disponibles afin d'en faciliter l'accès dans l'ensemble du gouvernement. Je voulais apporter cette précision d'entrée de jeu.
    De plus, on a beaucoup entendu parler de la disposition précisant que « sont exclues les activités licites de défense d'une cause, de protestation, de manifestation d'un désaccord ou d'expression artistique. » L'emploi du mot « licites » fait l'objet de certaines réserves.
    On a très clairement affirmé à la réunion de mardi dernier que cette disposition ne s'appliquerait même pas aux manifestations illégales — comme celles, par exemple, pour lesquelles on n'a pas obtenu de permis — étant donné la nécessité d'appliquer l'article de loi dans son ensemble. Il est d'abord question des activités liées au partage d'information. Il faut que l'activité en question porte atteinte « à la souveraineté, à la sécurité ou à l'intégrité territoriale du Canada ou à la vie ou à la sécurité de la population du Canada ». Je tiens à clarifier cette disposition afin d'alléger certaines des préoccupations exprimées. Dans mes 49 années sur terre, je ne me souviens pas d'un seul cas où un Autochtone cherchait à terrasser une infrastructure, à tuer des innocents, et je ne peux penser à aucun antécédent historique qui nous amènerait à établir un lien entre une Première Nation et un groupe visé par la loi sur le partage d'information.
    Je répète qu'il est seulement question de partage d'information; je tiens à le préciser. Cela n'a rien à voir avec l'application de la loi. Rien du tout. Le projet de loi cherche seulement à permettre à une agence qui détient certains renseignements touchant à la sécurité nationale de tirer le signal d'alarme si elle estime que les circonstances le justifient.
    Avant de céder la parole à M. Falk, j'aimerais répondre à la préoccupation exprimée par M. Champ dans son discours liminaire sur la capacité des vérificateurs de l'impôt de partager de l'information. Vous reconnaîtrez sans doute qu'il arrive parfois qu'une vérification fiscale soulève des soupçons concernant des activités de blanchiment d'argent à des fins de financement du terrorisme. C'est de tels cas qui font valoir combien il est important de pouvoir communiquer de tels renseignements aux organisations de sécurité nationale lorsqu'ils surviennent dans le cadre d'activités de vérification régulières. Jamais ne pourrais-je croire que vous pensez que le financement du terrorisme devrait être autorisé au Canada.
    Je cède maintenant la parole à M. Falk.
    Je suis désolée d'avoir utilisé une si grande partie de votre temps de parole.
    Merci.
(1035)
    Vous avez deux minutes, monsieur Falk.
    Merci, madame James.
    La semaine dernière, nous avons pu visionner en compagnie du commissaire Paulson la vidéo du terroriste qui a pénétré dans l'enceinte le 22 octobre dernier. Nous avons eu l'occasion de poser des questions au commissaire et d'écouter sa présentation.
    Monsieur Champ, j'ai quelques questions à vous adresser.
    Êtes-vous d'accord pour dire que le Canada a connu une attaque terroriste?
    Que le Canada a connu une attaque terroriste?
    C'est cela.
    Si vous voulez dire qu'on a cherché à user de violence pour renverser notre gouvernement ou à commettre un acte de violence pour inspirer la peur, oui.
    D'accord. Pensez-vous qu'il est du devoir du gouvernement de prendre toutes les mesures possibles pour protéger tous ces citoyens contre le terrorisme?
    Oui, bien évidemment. C'est un objectif louable et un des principaux objectifs du gouvernement de veiller à la sécurité des Canadiens.
    D'accord. Très bien.
    Dans votre témoignage, que j'ai apprécié et que j'ai écouté attentivement, vous avez seulement parlé des lacunes et des défauts du projet de loi. J'aimerais vous donner l'occasion de nous parler des bons aspects de la mesure sur lesquels nous pourrons faire fond.
    Les dispositions relatives à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public me viennent à l'esprit. J'étais procureur de la Couronne il y a un certain nombre d'années, et je pense que les dispositions relatives à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public, qui permettent aux services de police de demander aux tribunaux d'imposer des conditions à une personne lorsqu'il est possible de démontrer qu'elle envisage participer à des actes de terrorisme, sont très indiquées. Le projet de loi améliore et élargit l'article 810 du Code criminel. À mon avis, c'est un pouvoir qui répondrait à pratiquement toutes les préoccupations exprimées jusqu'à présent au sujet des mesures qu'il est possible de prendre pour empêcher la commission d'un acte de violence.
    Nous sommes à court de temps. Nous passons maintenant à M. Easter.
    Merci, monsieur le président, et merci d'essayer d'instaurer une certaine équité dans les rondes de questions.
    Merci à tous les témoins. Chacun contribue à ce processus à sa façon. Le temps imparti pose problème, c'est certain.
    Je tiens à dire d'emblée qu'en ce qui concerne le point soulevé par Mme James au sujet du témoignage du ministre, mardi, il s'agissait selon moi de l'opinion du ministre. Il ne s'agissait pas nécessairement d'un fait concernant les expressions « Il est entendu que » et « activités licites de protestation ». Il reste quelques questions à ce sujet.
    J'aimerais commencer par vous, chef Bellegarde. Je vais vous dire ce que j'ai retenu de votre exposé, et vous me direz si j'ai raison ou non. Je ne pense pas que vous vous opposez aux mesures visant à protéger la sécurité nationale. Vous êtes plutôt préoccupé par le processus pour y parvenir, et par le fait qu'on ne respecte pas l'article 35. Est-ce exact?
    Oui, dans une certaine mesure, car pour n'importe quelle loi rédigée par la Couronne qui a une incidence sur les droits inhérents, les droits et les titres des Autochtones prévus à l'article 35, il a été prouvé qu'il faut établir un processus de consultations et d'accommodements auquel les Premières Nations doivent participer. Il faut donner un préavis, ce qui n'a pas été fait ici.
    Cela éclaire ma chandelle.
    Monsieur Cooper, vous avez parlé d'examen et de surveillance après coup, tout comme M. Atkey avant vous. Il existe diverses propositions de surveillance, ou appelez ça comme vous voudrez. Il y a eu un projet de loi en 2005, et d'autres en 2009.
    Faites-vous référence à des mesures de surveillance semblables à celles de nos partenaires du Groupe des cinq, comme le Royaume-Uni, l'Australie et les États-Unis, ou pensez-vous plutôt à une sorte de super CSARS qui surveillerait tous les organismes de sécurité, et pas seulement le SCRS? J'essaie de déterminer à quoi vous songez.
(1040)
    S'il s'agit de choisir entre les deux, j'opterais pour un super CSARS, car s'il doit y avoir communication de renseignements ou d'information entre ces organismes, il devrait aussi y avoir une certaine forme de rapports après coup.
    Mais vous ne limitez pas cela à... Il est impossible que, dans son état actuel, le CSARS puisse faire son travail avec ces pouvoirs additionnels. Suggérez-vous que les parlementaires accomplissent cette surveillance, qu'ils en fassent partie, comme votre mémoire le prétend? De plus, faudrait-il que cela chapeaute tous les organismes de sécurité, y compris de maintien de l'ordre?
    Eh bien, cela devrait certainement chapeauter la GRC, et oui, j'inclurais les députés, et le fonctionnement serait semblable à celui du CSARS. Comme je l'ai dit, c'est le système qui a été instauré avec succès en Australie depuis un certain temps déjà, et leur régime est semblable au nôtre.
    Les Britanniques aussi ont accru leur surveillance en 2013.
    Monsieur Champ, vous pourriez peut-être m'expliquer l'article 6. Permettez-moi de le lire:
    Il est entendu que la présente loi n’a pas pour effet d’empêcher le responsable d’une institution fédérale, ou son délégué, qui reçoit de l’information au titre du paragraphe 5(1) de l’utiliser ou de la communiquer de nouveau à toute personne conformément à la loi, et ce à toute fin.
    Cet article me préoccupe. Que signifie-t-il pour vous?
    Comme c'est écrit, cela ouvre tout grand la porte à l'échange d'information « à toute personne, et à toute fin ». Voilà pourquoi nous estimons que ce projet de loi représente une menace à la vie privée. Cela élimine tous les mécanismes de contrôle qui font partie des lois canadiennes depuis si longtemps, de la Loi sur la protection des renseignements personnels et ainsi de suite. C'est un changement assez radical pour le Canada.
    Ce n'est pas la première fois qu'on voit l'expression « protestation licite » dans un projet de loi sur la sécurité nationale. Elle se trouvait dans un projet de loi que nous avions présenté à l'origine en 2001, mais le gouvernement de l'époque avait eu la sagesse de la retirer par amendement. Si le terme « licite » était retiré par amendement de cet article, est-ce que cela rendrait le tout plus satisfaisant à vos yeux et à ceux du groupe que vous représentez?
    Je dirais que oui, monsieur Easter. C'est une partie du problème, mais, comme je l'ai dit, je ne pense pas qu'on nous ait expliqué pourquoi on présente une nouvelle définition de ce qui constitue une menace pour la sécurité du Canada, alors que celle contenue dans la Loi sur le SCRS fonctionne très bien depuis si longtemps.
    D'accord.
    Il vous reste environ 30 secondes.
    D'accord. Je vais donc poser une autre question à M. Cooper.
    Avez-vous lu le projet de loi S-220 de Hugh Segal, ou encore l'autre qui a été présenté au Parlement au sujet de la surveillance par les parlementaires?
    Non.
    Tout comme M. Atkey, je ne pense pas que le projet de loi de M. Segal est meilleur, car il oblige les ministères et les organismes à fournir de l'information à des parlementaires qui sont tenus de garder le secret au sujet des activités quotidiennes de ces organismes. Trouvez-vous qu'il s'agit d'une approche raisonnable?
    Oui.
    Merci, monsieur le président.
    Merci beaucoup.
    Il reste environ une minute, monsieur Garrison.
    Merci beaucoup.
    Merci beaucoup aux trois témoins d'être ici aujourd'hui. Vos témoignages sont précieux.
    Comme je ne dispose que d'une minute, je vais me tourner vers M. Champ. En tant qu'ancien procureur, pensez-vous que cette nouvelle infraction de terrorisme proposée permettra de lutter contre les menaces auxquelles nous sommes actuellement confrontés, ou est-ce que les lois actuelles sont suffisantes?
    Le point important à retenir, c'est qu'il existe déjà des infractions concernant ceux qui préconisent la perpétration d'actes de violence ou de terrorisme. Comme je l'ai dit, je ne suis pas certain qu'on nous ait bien expliqué pourquoi cette définition élargie de mesures « justes et adaptées » est nécessaire. Quel type de discours est-ce censé viser? Tout ce que j'ai déjà entendu jusqu'à présent serait couvert par les infractions déjà prévues dans le Code criminel.
    En ce qui concerne la communication d'information, si je comprends bien, vous êtes préoccupé par le fait que le projet de loi détruit essentiellement les mesures existantes de protection de la vie privée lorsque le gouvernement traite de renseignements concernant des particuliers. Est-ce là l'essentiel de vos objections?
    Absolument. Cela ne concerne pas simplement certaines des personnes dont j'ai parlé. C'est un problème général. Savoir qu'on pourrait « communiquer » et « regrouper » — c'est ce qui est écrit dans le projet de loi — dans des dossiers secrets des renseignements les concernant pourrait donner froid dans le dos à ceux qui songent à prononcer un discours impopulaire ou controversé. C'est l'essence même du Canada. Nous formons une société démocratique, et il est essentiel de permettre de tels discours pour que notre société reste solide et florissante.
    Merci beaucoup.
(1045)
    Merci beaucoup, monsieur Garrison.
    Je remercie M. Cooper, M. Champ et le chef Bellegarde d'être venus témoigner ici aujourd'hui.
    Nous allons maintenant ajourner jusqu'à la séance de ce soir.
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