SECU Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la sécurité publique et nationale
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 12 mars 2015
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonsoir à tous.
Chers collègues, je vous souhaite la bienvenue.
Je souhaite également la bienvenue aux témoins.
Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-51. Nous en sommes à notre deuxième séance aujourd'hui, soit la séance numéro 55 du Comité permanent de la sécurité publique et nationale.
Nous entendrons trois témoins pendant la première heure, à savoir M. Marc-André O'Rourke, directeur exécutif du Conseil national des lignes aériennes du Canada, M. Craig Forcese, professeur agrégé à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa, et M. Kent Roach, professeur de droit de l'Université de Toronto, qui témoignera par vidéoconférence. Nous ne nous excuserons pas de faire attendre M. Roach, puisqu'il se complaît au terrain de golf de Clearwater en Floride en ce moment. Monsieur le professeur, bienvenue.
Nous allons maintenant passer aux déclarations qui ne devraient pas dépasser les 10 minutes. La présidence, ainsi que les membres du comité, vous seraient reconnaissants de faire des déclarations aussi courtes que possible. Nous aurons ainsi plus de temps pour vous poser des questions.
C'est M. O'Rourke qui commencera. Vous avez la parole, monsieur.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Bonsoir. Merci beaucoup de m'avoir donné l'occasion de témoigner ce soir dans le cadre de votre étude du projet de loi C-51 et de vous transmettre nos observations sur la partie 2 du projet de loi, la Loi sur la sûreté des déplacements aériens.
Je m'appelle Marc-André O'Rourke. Je suis le directeur exécutif du Conseil national des lignes aériennes du Canada. Notre conseil représente les quatre plus grands transporteurs aériens de passagers du Canada, à savoir Air Canada, Air Transat, Jazz et WestJet. Nous militons en faveur des déplacements aériens sûrs et respectueux de l'environnement afin de nous assurer que tous les Canadiens profitent de la meilleure expérience possible en avion ici au Canada et à l'étranger, et ce, à un prix concurrentiel. Nos membres réunis déplacent plus de 50 millions de passagers par année et sont les employeurs directs de plus de 46 000 personnes.
Les lignes aériennes de notre conseil reconnaissent que les déplacements aériens sûrs sont une priorité d'importance critique pour tous les Canadiens et un élément vital de notre sécurité nationale globale. Le programme de protection des passagers en constitue une initiative clé. Nous croyons savoir que conformément au projet de loi C-51, les règles qui régissent le programme de protection des passagers du Canada seront consignées dans une loi à part entière, la Loi sur la sûreté des déplacements aériens.
Le projet de loi prévoit également l'agrandissement du programme de protection des passagers de façon à ce qu'un particulier figure sur la liste des personnes précisées s'il y a des raisons de croire qu'il voyage avec l'intention de commettre un acte terroriste. À l'heure actuelle, seuls les particuliers que l'on croit menacent la sécurité de l'aviation peuvent figurer sur cette liste. En vertu du programme de protection des passagers, les lignes aériennes comparent les noms de passagers à la liste des personnes précisées. Si le nom d'un passager correspond à un nom sur la liste, la ligne aérienne vérifiera l'identité du voyageur et informera Transports Canada de la correspondance. Une fois avisé, Transports Canada indiquera si le passager peut ou non monter à bord de l'aéronef.
Notre conseil et nos membres comprennent la nécessité de mettre à jour le programme de protection des passagers à la lumière de l'évolution des menaces à la sécurité, et nous sommes toujours en faveur du programme prévu par la Loi sur la sûreté des déplacements aériens. Nous aimerions toutefois profiter de l'occasion pour vous indiquer certaines de nos préoccupations quant à l'application de la loi.
Les agents des transporteurs aériens sont à la première ligne lorsqu'ils doivent informer un passager qu'il ne sera pas autorisé à voyager. En fait, c'est l'agent de la ligne aérienne qui transmet la directive d'urgence du gouvernement du Canada aux personnes faisant l'objet d'une interdiction de voyager. Comme vous pouvez vous l'imaginer, c'est une situation difficile et délicate, qui peut même présenter des risques, compte tenu du fait que les personnes concernées sont considérées trop dangereuses pour prendre l'avion. Vu que le mandat du programme de protection des passagers sera agrandi, on s'attend à ce que la liste des personnes précisées devienne plus longue, ce qui augmentera la fréquence avec laquelle les agents des lignes aériennes de première ligne seront confrontés à la perspective de transmettre une décision d'interdiction de vol.
Nous croyons qu'il convient de revoir le processus de transmission des directives d'urgence afin d'assurer la sécurité des agents des lignes aériennes ainsi que du public. Nous recommandons que dans la mesure du possible, la directive d'urgence soit transmise par les forces de l'ordre ou un représentant gouvernemental. Nos membres souhaitent également avoir une plus grande présence policière dans ce genre de situations.
Nous avons également des préoccupations quant au libellé de l'article 9 proposé de la loi, qui se lit comme suit:
Le ministre peut enjoindre à un transporteur aérien de prendre toute mesure que le ministre estime raisonnable et nécessaire en vue d'éviter qu'une personne inscrite commette les actes visés au paragraphe 8(1). Il peut en outre lui donner des directives relatives, notamment :
a) au refus de transporter une personne; ou
b) au contrôle dont une personne fait l'objet.
Nous sommes préoccupés par l'expression « prendre toute mesure ». Nos membres sont bien sûr des partenaires engagés, mais ce qui est raisonnable et nécessaire du point de vue du ministre n'est pas toujours réalisable du point de vue d'un transporteur aérien. En tant que sociétés privées, nos membres pourront être limités dans les mesures qu'ils peuvent prendre.
Depuis l'événement tragique du 11 septembre, la sûreté aérienne est intimement liée à la sécurité publique. Le financement de la sûreté aérienne au Canada repose sur un modèle de recouvrement de 100 % des coûts par les utilisateurs, c'est-à-dire que les passagers aériens doivent assumer tous les coûts, non seulement des contrôles des passagers, mais également les coûts des agents de la GRC à bord ainsi que les frais généraux d'administration, de réglementation et de surveillance de Transports Canada.
Dans une époque où les gouvernements du monde entier réagissent à des menaces à la sécurité nouvelles et émergentes, nous sommes persuadés que l'heure est venue de revoir l'approche du Canada pour ce qui est du financement de la sûreté aérienne. Nous sommes convaincus que la sûreté aérienne relève de la sécurité nationale et que les passagers aériens ne devraient pas assumer à eux seuls le coût des mesures censées protéger tous les Canadiens. Nous aimerions également réitérer que les transporteurs aériens ne devraient pas avoir à assumer les coûts supplémentaires associés aux modifications proposées aux programmes de protection des passagers.
Enfin, j'aimerais vous rassurer quant à l'engagement inconditionnel de nos membres qui veulent fournir aux passagers le meilleur contexte de sûreté et de sécurité.
Merci beaucoup. Je me ferais un plaisir de répondre à vos questions.
Merci beaucoup, monsieur O'Rourke, et merci d'avoir été aussi bref.
Nous passons maintenant à M. Roach, professeur de droit à l'Université de Toronto.
Je vous cède la parole, monsieur.
Bonsoir. J'aimerais remercier le comité de m'avoir invité à témoigner.
Le professeur Forcese et moi-même avons examiné, dans une analyse juridique de 200 pages, les conséquences, y compris les conséquences imprévues, du projet de loi C-51 quant à la sécurité et aux droits. La sécurité et les droits sont indivisibles dans notre démocratie ainsi que dans l'analyse juridique de la proportionnalité des mesures proposées. Nous faisons de notre mieux pour améliorer le projet de loi à la lumière des préoccupations en matière de droits ainsi que de la justification fournie par le gouvernement au chapitre de la sécurité. Le comité recevra bientôt une traduction du sommaire de nos amendements proposés.
Commençons par la partie 1. Tout comme la commission Arar, nous reconnaissons le besoin de communiquer les renseignements pour prévenir le terrorisme. Cependant, la partie 1 va beaucoup plus loin que cet objectif légitime. Elle prévoit le concept original d'activités qui portent atteinte à la sécurité du Canada. Ce concept est tout simplement la définition la plus vaste de la sécurité nationale que nous n'avons jamais vue. Nous ne comprenons pas pourquoi cette définition ne peut pas être remplacée par l'article 2 de la Loi sur le SCRS qui définit les menaces à la sécurité du Canada. Si les dispositions sont appliquées, elles risquent d'inonder 17 institutions destinataires non seulement de renseignements sur le terrorisme, mais également de renseignements sur les manifestations illégales des groupes des diverses diasporas qui pourraient porter atteinte à la sécurité d'États éventuellement répressifs, ainsi que les manifestations illégales des groupes autochtones et séparatistes qui menacent l'intégrité territoriale du Canada.
Le Canada est fier d'être peut-être le seul pays au monde qui entretient un débat démocratique sur la sécession. Nous ne devrions pas devenir un pays qui communique tous les renseignements secrets sur des manifestants pacifiques. Les justifications fournies par le gouvernement quant à l'exemption restreinte des manifestations légales sont contraires à l'expérience précédente qui a mené le Parlement à supprimer ce même mot, c'est-à-dire « légale », de la Loi antiterroriste de 2001. Si, dans les mois qui ont suivi le désastre et la tragédie du 11 septembre, nous avons pu tolérer les manifestations pacifiques, je ne comprends pas pourquoi nous ne pouvons pas faire de même maintenant.
Je dirais également que la portée démesurée de la partie 1 menace non seulement les droits, mais également la sécurité. Si tout devient une question de sécurité, dans les faits, rien ne le sera. L'article 6 de la partie 1, qui autorise la communication de renseignements à toute personne et à toute fin, devrait être supprimé, car il ne tient pas compte des leçons, pourtant durement apprises et dont on aurait dû se souvenir grâce à Maher Arar et à d'autres Canadiens qui ont été torturés en Syrie en partie à cause de renseignements transmis par les Canadiens. Nous appuyons la codification de la liste d'interdiction de vol, mais nous voudrions que les avocats spéciaux puissent contester les renseignements secrets qui ont motivé l'ajout d'un nom à la liste.
Nous partageons les préoccupations d'un groupe d'avocats spéciaux concernant la partie 5 du projet de loi C-51, qui limitera la divulgation de renseignements secrets aux avocats autorisés et rendra la tâche plus difficile pour ces avocats dans leur travail important, prévu par la Constitution, qui consiste à contester les preuves secrètes. Nous notons qu'aucun examen juridique n'est prévu à la partie 1 et également, tout comme l'a fait le commissaire à la vie privée, que 14 des 17 institutions destinataires ne prévoient aucune procédure d'examen et les trois autres ont des procédures d'examen internes désuètes. Nous recommandons la création d'un CSARS musclé, ou du moins le respect de la recommandation de la commission Arar à ce sujet.
Les examens indépendants ne devraient pas être perçus comme allant à l'encontre de la sécurité, ni comme étant l'ennemi de nos agences de sécurité qui se livrent à un travail important et difficile. Nous devrions tous comprendre que notre travail sera amélioré s'il fait l'objet d'un examen et, au besoin, de critiques justifiées et nécessaires de tierces parties. Les organes chargés des examens aideront également les responsables de la sécurité, du fait qu'ils les protégeront contre des critiques injustifiées.
Ensuite, nous sommes d'avis que la nouvelle infraction qui consiste à préconiser la perpétration d'infractions de terrorisme n'est pas nécessaire. Les infractions existantes, y compris celles décrites à l'article 83.22, qui porte sur une personne chargée de se livrer à l'activité terroriste, sont déjà suffisantes. Si le Parlement procède ainsi, il devrait y avoir au moins la défense de l'expression légitime ainsi que des exigences plus strictes pour ce qui est de l'existence d'une faute. Là encore, notre préoccupation vis-à-vis de cette infraction ne se limite pas uniquement aux droits, mais concerne également la sécurité. Nous craignons que cette infraction ne vise non seulement la liberté d'expression mais rende également plus difficile le travail auprès des extrémistes, des extrémistes qui pourraient être radicalisés et épouser la violence.
Nous signalons que le Royaume-Uni vient d'adopter une loi il y a quelques semaines qui établit la base juridique des programmes d'antiradicalisation, ce qui est très important compte tenu du climat actuel des menaces, et ce que ne fait pas le projet de loi C-51.
Enfin, j'aimerais vous parler d'une autre question liée à la sécurité. La partie 1 permet la communication de renseignements sur les manifestations illégales, qui certes peuvent en irriter plus d'un, mais qui à notre avis ne constituent pas une grande préoccupation en matière de sécurité. De plus, on ne tient pas compte de la recommandation no 10 de la commission Air India, qui indiquait que le SCRS doit obligatoirement communiquer tout renseignement concernant des infractions terroristes. Au cas où vous penseriez que c'était une lubie de la commission Air India, le comité présidé par le sénateur Segal a fait la même recommandation au Sénat en 2011.
Nous appuyons la décision prise par le Parlement en 2013 d'ajouter quatre nouvelles infractions visant les personnes qui se livrent au terrorisme à l'étranger. Le Canada est donc chef de file pour ce qui est de cette nouvelle menace à la sécurité. Or, le projet de loi C-51, qui vient s'ajouter au projet de loi C-44, fera qu'il sera plus difficile, et non le contraire, de poursuivre ces délits. Pourquoi?
Le SCRS sera en mesure d'offrir unilatéralement des privilèges à ses sources humaines, ce qui va à l'encontre de la recommandation formulée par la commission Air India, et le SCRS pourra toujours se garder de transmettre des renseignements sur des infractions terroristes à la police, ce qui est contraire aux recommandations formulées par la commission Air India.
Ces préoccupations, ainsi que d'autres, font qu'à notre avis, le projet de loi omnibus, qui prévoit de nouvelles lois et en modifie 15 autres, devrait faire l'objet d'un examen triennal par un comité parlementaire. Ces parlementaires devraient pouvoir consulter les renseignements secrets, car moi-même, ayant travaillé à la fois à la commission Arar et à la commission Air India, je peux vous dire que sans prendre connaissance de ces renseignements, on est aveugle. Il devrait y avoir une clause de révision au bout de quatre ans dans cette loi omnibus qui permettra, on l'espère, une discussion éclairée et sérieuse sur sa nécessité et sa proportionnalité compte tenu de l'évolution des menaces à la sécurité et des préoccupations concernant les droits.
Je vous remercie beaucoup pour votre attention.
Merci beaucoup. Merci aussi pour l'invitation à venir témoigner.
Au cours des sept ou huit dernières années, je me suis régulièrement présenté devant vous, en général pour appuyer les lois sur la sécurité. L'automne dernier, encore, vous vous le rappellerez, je suis venu appuyer le projet de loi C-44. Chaque fois, cependant, j'ai proposé des amendements pour réduire au minimum les conséquences négatives, y compris un contentieux inutile. Les détails sont importants et, bien sûr, c'est ce pour quoi nous sommes ici, pour en discuter.
Quelques mots, d'abord, sur la détention préventive par la police, à l'article 83.3 du Code criminel modifié par le projet de loi C-51. Par le passé, j'ai consacré énormément de temps à l'étude de lois analogues d'autres pays. Kent Roach et moi-même, nous nous sommes inspirés de ces lois, particulièrement de celles qui sont en vigueur en Australie, pour recommander une série de garanties précises, applicables au pouvoir de détention préventive. Kent a mentionné que nous avons confectionné une courte liste des modifications que nous proposons. Je l'ai sous les yeux. Je souhaite, cependant, axer la plupart de mes observations sur les modifications touchant la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.
Le gouvernement prétend que ce service a besoin de nouveaux pouvoirs pour, par exemple, avertir les familles dont un enfant est en train de se radicaliser. Personne ne peut, de bonne foi, s'y opposer, mais le projet de loi va beaucoup plus loin. En fait, il ne pose qu'une seule limite, celle de ne pas causer de lésions corporelles, d'entraves à la justice ou d'atteintes à l'intégrité sexuelle, et il l'accompagne d'un avertissement se prêtant à diverses interprétations plus ou moins subjectives: que le service agisse de manière juste et adaptée aux circonstances. Autrement dit, les justifications du gouvernement ne correspondent pas au texte du projet de loi.
Nous soulignons les conséquences d'une telle proposition sur la sécurité et le droit. Sur le plan de la sécurité, le risque est considérable que les nouvelles opérations du service du renseignement finissent par se superposer à une enquête criminelle subséquente de la GRC sur l'activité terroriste, qu'elles influent sur elle et peut-être même qu'elles l'entachent. Dans un procès criminel, on risque de baigner en plein doute sur la contribution directe ou non d'une opération du service du renseignement à l'affaire. Notre outil le plus efficace contre le terrorisme, notre droit criminel, grâce auquel la Couronne se targue d'un excellent bilan des condamnations sera-t-il émoussé par les opérations du service du renseignement?
Tous ceux qui ont travaillé à l'affaire Air India doivent être préoccupés par cette possibilité. Mais même si le gouvernement pense que les empiétements entre le service du renseignement et la GRC valent la peine, nous pouvons atteindre son objectif déclaré de sécurité sans ouvrir la porte si grande à d'éventuelles erreurs d'un organisme secret. Par exemple, la modification du projet de loi pour supprimer toute allusion à une infraction de la Charte par le service du renseignement. Cette proposition rompt brutalement avec les préceptes fondamentaux de notre démocratie. Pour la première fois, on demande à des juges d'absoudre d'avance une infraction à nos droits garantis par la Charte, en audience secrète et sans appel, où seul le gouvernement est représenté.
Il n'y a pas d'analogie avec les mandats de perquisition. Ils sont conçus pour assurer le respect de la Charte. Le gouvernement propose un mandat qui enfreint la Constitution. C'est une idée radicale, qui reflète peut-être davantage une négligence de la rédaction qu'une intention délibérée. Elle mérite que le Parlement y réfléchisse bien.
De plus, en une ligne ou deux, le comité pourrait ajouter de nouvelles limites raisonnables aux pouvoirs du service du renseignement, y compris, par exemple, une interdiction vigoureuse de la détention. Nous ne pouvons pas risquer un système parallèle de détention par un organisme secret capable d'agir contre des personnes qui n'ont commis aucun crime. Actuellement, contrairement à ce que prétend le gouvernement, rien, dans le projet de loi, n'interdit un tel système.
En dernière analyse, nous dépendons du bon jugement du service. Je ne doute pas de son intégrité, mais je doute de son infaillibilité. Le bon droit aide à l'exercice d'un bon jugement, tout comme un examen critique. Ce qui m'amène au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, le CSARS.
Nous devons réinvestir dans l'obligation de la reddition de comptes en matière de sécurité nationale. La manière dont on a conçu le CSARS et les contraintes auxquelles il est assujetti le rendent incapable d'examiner toutes les activités du service du renseignement ou même sa conduite sous le régime de tous ses mandats en vigueur. Un examen partiel entraînera un amenuisement plus grand des pouvoirs d'examen à mesure que les pouvoirs du service du renseignement augmenteront.
De plus, le CSARS et les autres organismes d'examen sont inutilement paralysés par des contraintes juridiques qui ne servent qu'à limiter leurs fonctions à des organismes précis et les empêchent de suivre la trace laissée par les organismes gouvernementaux quand ils collaborent entre eux, une pratique de plus en plus répandue, que le projet de loi C-51 aggravera incontestablement.
Comme l'a dit M. Roach, la commission d'enquête sur l'affaire Arar a recommandé la création de balises légales, pour permettre au CSARS de communiquer des renseignements secrets aux deux autres organismes canadiens indépendants d'examen, compétents en matière de sécurité nationale, et de mener avec eux des enquêtes conjointes. Le gouvernement n'a pas donné suite à la recommandation, une lacune que l'insertion de quelques alinéas dans le projet de loi suffirait à combler. Je le souligne trois fois plutôt qu'une: ce sont des craintes que le CSARS a lui-même mentionnées. Il ne faudrait pas oublier ce message sur la limitation des pouvoirs.
En sus de ce comité et non pas pour le remplacer, nous appuyons aussi l'idée d'un comité spécial de parlementaires pour l'examen des questions de sécurité. Disposant de la hauteur de vue nécessaire, il pourrait jouer un rôle — pas la supervision du commandement et du contrôle — en examinant toute la situation de la sécurité et du renseignement. Il faut quelqu'un pour voir la forêt, pas seulement chacun de ses arbres. Nos alliés sont parvenus à concilier le travail d'examen parlementaire avec l'examen spécialisé par des organismes comme le CSARS. Mentionnons particulièrement l'exemple australien. L'existence d'un tel comité contribuerait aussi à un examen parlementaire averti et digne de ce nom des effets de cette loi d'une grande portée, quelques années après sa mise en vigueur, comme l'a proposé M. Roach.
Permettez-moi de terminer par une dernière remarque. Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-51 viole un principe qui, d'après nous, devrait faire partie intégrante du droit de la sécurité nationale: concevoir toute loi qui accorde des pouvoirs, particulièrement des pouvoirs secrets, difficiles à examiner, pour qu'elle limite l'exercice d'un jugement affaibli, et non pour que son application raisonnable dépende d'un excellent jugement. Qu'il soit vrai ou non que ces pouvoirs sont constitutionnels ou nécessaires, il est, d'après nous, irresponsable de les créer sans redoubler d'efforts pour mettre à niveau notre système de reddition de comptes qui est dépassé et périmé. Tous ceux qui ont travaillé sur la question de la reddition de comptes dans le secteur de la sécurité connaissent une de ses maximes essentielles: faire confiance, mais vérifier. Nous ne croyons pas qu'on satisfera à ce critère.
Il est de votre ressort d'adopter une loi qui protège notre sécurité et notre liberté et qui le fait sans manifester cette sorte d'incohérence qui risque en fait de détruire notre sécurité. Les amendements en ce sens au projet de loi C-51 exigent de la bonne volonté et la volonté d'examiner les propositions faites dans l'espoir sincère mis dans une bonne loi qui protégera nos foyers et nos droits.
Nous vous remercions pour votre intérêt et pour votre travail important.
Je remercie tous nos témoins, particulièrement pour avoir respecté leur temps de parole. Le comité pourra ainsi disposer d'un peu plus de temps pour favoriser un bon dialogue.
Commençons la première série d'interventions.
Monsieur Falk. Vous disposez de sept minutes.
Merci, monsieur le président.
Merci à nos témoins MM. Forcese et O'Rourke. Merci aussi, monsieur Roach, d'avoir interrompu vos vacances là-bas.
Monsieur Forcese, je commence par vous.
Je vous remercie pour le bon travail que vous et M. Roach avez fait sur l'analyse de la Loi antiterroriste de 2015. Vous y avez consacré beaucoup de temps. Vous avez souligné deux choses très importantes pour notre gouvernement conservateur, c'est-à-dire les faits et les détails, et vous avez rapidement déterminé que les détails, il était très important de les fignoler. C'est certainement ce que notre gouvernement ambitionne aussi de faire.
Je voudrais citer l'un de vos documents d'information qui dit que la portée et la définition d'« activités qui portent atteinte à la sécurité du Canada » sont trop larges et qu'elles emploient une terminologie trop vague, qui pourrait conduire à une communication excessive d'information.
Je ne suis pas avocat, mais j'ai fini par comprendre, après quelque temps, déjà, comme député, qu'il est très important pour moi d'analyser les projets de loi. L'une des leçons les plus importantes que j'ai retenues est qu'il faut essayer de les comprendre par une lecture minutieuse.
C'est ainsi qu'il me semble que la définition ne devrait pas être lue isolément du critère de communication de l'information exposé dans l'article 5 de la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, qui limite encore plus la nature de l'information pouvant être communiquée en précisant qu'elle ne peut l'être que si elle se rapporte à la compétence ou aux attributions des destinataires. Je crois que la définition visait à signifier toute information se rapportant à la sécurité du Canada, pour être utile aux organismes non nationaux de sécurité qui ont besoin de communiquer cette information à des organismes nationaux de sécurité. Je crois aussi qu'il importe de se rappeler que, même si cette activité correspond aux exemples donnés dans la définition, elle doit encore satisfaire aux conditions minimales et à la disposition liminaire. Par exemple, elle doit porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité et à l'intégrité territoriale du Canada ou à la vie ou à la sécurité des Canadiens; autrement dit, elle doit porter atteinte au Canada à l'échelle nationale. Il importe aussi de noter que la définition ne comprend pas les activités qui relèvent des compétences de la police, à moins de se qualifier comme activité qui porte atteinte à la sécurité du Canada
Avez-vous songé à l'analyser d'après ce point de vue? Pouvez-vous nous en glisser quelques mots?
Bien sûr, sur ce que j'ai appelé le double critère des conditions minimales et de la disposition liminaire, puis les éléments précis qui sont énumérés.
Je suis d'accord, c'est l'interprétation préférable. Je ne suis pas certain de sa limpidité dans la loi. Je serais heureux, si c'était le point de vue du comité, que, en fait, ces éléments n'aient pas seulement besoin d'être énumérés dans une liste exhaustive, mais qu'il faille aussi satisfaire aux critères énoncés dans la disposition liminaire, comme vous dites.
En soi, la disposition liminaire ratisse large et emploie une terminologie pour laquelle il n'existe pas de définition claire et établie, contrairement à ce qui se passe pour la notion bien établie de sécurité nationale, dans l'article 2 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, qui repose sur des principes. Il me semble, à M. Roach et à moi, qu'en soi elle répondrait à toutes les préoccupations du gouvernement concernant seulement la communication d'information.
Nous préférons le critère établi, parce que c'est l'acquis de 30 années et que, d'après nous, la notion est bien définie, tout en restant très large.
Sur la question de l'interaction entre la définition de l'article 2 et l'article 5, l'emploi du mot « compétence », par exemple, dans l'article 5, me préoccupe.
Si nous prenons la question de l'information que pourrait communiquer un organisme gouvernemental au service canadien du renseignement, comment pourrait-on définir la compétence de ce service? On peut la définir soit relativement à son mandat d'après l'article 2 concernant les menaces à la sécurité du Canada, soit relativement aux fonctions énumérées dans l'article 12 et conclure que le service peut seulement rassembler de l'information sur les menaces à la sécurité du Canada dans les circonstances où c'est nécessaire.
Cette décision sur la source de la compétence du service déterminera s'il est habilité par cette loi à recevoir plus d'information que ce à quoi il a légalement droit.
La question est importante. La loi ne précise rien à cet égard. Pour nous, le problème est que la compétence est une notion polymorphe. Comme il n'existe pas de possibilité d'examen indépendant sérieux — et, bien sûr, le commissaire à la vie privée a exprimé ses craintes à ce sujet — pour bien fonder les délibérations internes du gouvernement sur la nature de la compétence, nous craignons que ces décisions fassent fi de beaucoup de freins et de contrepoids et de l'obligation de rendre des comptes.
Est-ce que cela répond à votre question?
Monsieur le président, je suis d'accord avec ce qui vient d'être dit. Je ferai seulement remarquer que la définition établie de menaces envers la sécurité du Canada sert dans certaines modifications consécutives. Il me semble que cela devrait suffire pour justifier une communication assez fiable de l'information.
J'ai aussi des inquiétudes relativement à l'article 5, où il est question de détection, d'identification, d'analyse, de prévention, de perturbation ou d'enquête. J'en conviens, on peut lire, dans l'article 5, que le destinataire de l'information ne doit pas sortir du cadre de ses compétences devant la loi, mais cette allusion à la détection, à l'identification, à l'analyse, à la prévention ou à la perturbation pourrait être utilisée par l'un des 17 destinataires qui siègent dans les institutions, en étant peut-être mal interprétée, pour élargir ses compétences.
Vu que 14 des 17 destinataires ne font pas l'objet d'un examen indépendant et que leur interprétation de l'article 5 sera à l'abri de l'examen public en raison du secret professionnel, je reviens à l'observation de M. Forcese selon laquelle nous devons rédiger la loi de manière à la prémunir contre le jugement erroné.
Si on a des craintes légitimes — dans un sens ou dans un autre —, je crois que le comité devrait essayer de rendre la loi plus étanche. Nous pensons que, à cette fin, on pourrait revenir à l'article 2 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, puis réviser l'article 5 en précisant la définition d'institution fédérale destinataire de manière à la limiter à ses compétences actuelles quant au devenir de l'information qu'elle reçoit.
Sur l'article 6, je ferai observer que je n'ai pas entendu le gouvernement le justifier et, aussi, qu'il permet d'autoriser la communication de renseignements à des organismes étrangers, sous réserve, seulement, que cette communication soit conforme à la loi.
L'article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels renferme des exemptions ou des justifications très importantes pour la communication d'information. Je reviens à l'affaire Arar. Les articles 6 et 5 posent des questions troublantes.
Merci beaucoup, monsieur Roach.
Nous sommes un peu en retard. Monsieur Scott, vous disposez de sept minutes.
Merci beaucoup.
Bienvenue à vous trois.
Disons d'abord que tous les membres du comité et tous les Canadiens sont redevables à MM. Forcese et Roach de leur beau travail du dernier mois. Je pense que tous, ici, en reconnaissent la qualité et la sincérité. J'ai moi-même des antécédents en droit, notamment en droit de la sécurité nationale. La qualité du travail a été très utile dans l'orientation du débat. Je vous remercie tous les trois.
Je tiens à ce que vous me répondiez par oui ou non, en ajoutant peut-être, au besoin, un peu de précisions. Le titre abrégé du projet de loi est « Loi antiterroriste », mais est-il clair pour vous qu'il va beaucoup plus loin que de simplement s'occuper de terrorisme, particulièrement en ce qui concerne ses articles sur la communication d'information et la perturbation des activités? C'est tellement éloigné du terrorisme. En fait, nous assistons à l'aggravation et à l'expansion de ce qu'on pourrait généralement appeler l'État espion. Cette vision est-elle juste?
Je dirais que c'est une loi sur la sécurité nationale. D'après moi, compte tenu des objectifs visés, elle privilégie certainement l'action secrète par rapport à l'amplification des dispositions de droit criminel. Je sais qu'elle comporte d'importantes dispositions de droit criminel, en ce qui concerne l'engagement de ne pas troubler l'ordre public et la détention préventive, mais dans la mesure où elle modernise de façon spectaculaire les fonctions traditionnelles du service du renseignement, elle privilégie ce volet du programme de sécurité nationale.
En ce qui concerne ses visées antiterroristes, nous avons déjà abordé brièvement la notion d'atteinte à la sécurité du Canada, qui est beaucoup plus vaste que celle de terrorisme et qui, en fait, s'appuie sur une notion de terrorisme qui diffère de celle d'activité terroriste décrite dans le Code criminel, ce qui est très curieux.
Les nouvelles mesures touchant le Service canadien du renseignement de sécurité sont aussi liées à tout le mandat de ce service, c'est-à-dire la menace envers la sécurité du Canada. Quatre alinéas sont consacrés aux menaces...
C'est exact. Il y a quatre alinéas qui portent sur les menaces à la sécurité nationale, dont un seul sur le terrorisme. Les autres concernent les activités secrètes influencées par l’étranger, l'espionnage et le sabotage, ainsi que les actes de subversion. Les nouvelles mesures s'appliquent à l'ensemble de ces activités.
Tous deux avez indiqué que l'article 6 de la nouvelle Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité autorisait les 17 institutions qui reçoivent l'information à la communiquer à nouveau à toute personne, et ce, à toute fin. En vertu de l'article 4, le « respect des mises en garde » et du « droit de regard de la source » relativement à l’information sont des principes qui doivent guider la communication d'information au titre de la présente loi. Cela m'a amené à me demander si, quelque part dans la loi, il y avait des dispositions qui donnaient force de loi à ces principes, mais je n'ai rien trouvé.
Selon moi, c'est l'article 6 qui prévaut, puisqu'il permet la communication d'information à des institutions, y compris des organismes étrangers, et dans des circonstances qui, comme nous le savons, ont donné lieu aux affaires Elmaati, Almalki, Nureddin et Arar. Cette mesure s'apparente à un leurre; on donne des principes, mais ils n'ont pas force exécutoire.
Si je puis me permettre, monsieur Scott, je suis d'accord avec vous. Je considère que l'article 4 n'est que des mots pour faire mine de donner suite aux recommandations de la Commission Arar, dans lesquelles on insistait sur l'importance du respect des mises en garde. L'article 6, qui permet la divulgation d'information, va à l'encontre des mises en garde. Comme on l'a souligné à la Commission Arar, la communication d'information peut avoir un effet pervers si le destinataire ne respecte pas les droits de la personne.
Cela soulève également des préoccupations en matière de sécurité si, par exemple, nos alliés font une certaine mise en garde, mais qu'une fois que l'information se trouve entre les mains de l'une des 17 institutions, aux termes de l'article 6, celle-ci peut la transmettre à une autre personne, pour quelque motif que ce soit, sans mise en garde. L'article 6 contrevient donc aux principes directeurs énoncés dans le projet de loi.
Merci.
Pour revenir à la « perturbation » ou aux « mesures », tel qu'on les définit dans la nouvelle Loi sur le SCRS — même s'il est question de « perturbation » dans l'une des dispositions de la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité —, parmi les interdictions absolues, comme vous l'avez déjà indiqué, on ne peut prendre de mesures, ni demander à un juge la permission d'en prendre, si elles causent, volontairement ou par négligence criminelle, des lésions corporelles à un individu ou la mort de celui-ci.
Y a-t-il quelque chose dans ce libellé qui empêche la détention d'une personne, particulièrement à l'étranger, ou ce que nous pourrions qualifier grosso modo d'enlèvement ou d'extradition? Y a-t-il quelque chose, dans la formulation actuelle du projet de loi, qui empêche ce type d'activités à l'étranger?
Le terme « lésions corporelles » s'entend au sens de la définition qu'en donne le Code criminel.
J'ai vérifié la façon dont les tribunaux ont interprété le terme « lésions corporelles » dans le Code criminel. Chose certaine, les lésions corporelles englobent autant les blessures physiques que psychologiques. Toutefois, il n'existe aucune jurisprudence — ce qui n'a rien d'étonnant, vu le contexte national — où la définition « lésions corporelles » s'applique aux circonstances de détention et d'extradition que vous avez décrites.
À ma connaissance, non, on ne peut pas conclure que les lésions corporelles engloberaient nécessairement une interdiction de détention; voilà pourquoi nous recommandons que la détention fasse partie de la liste.
J'ajouterais que certaines formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants pourraient ne pas correspondre à la définition des lésions corporelles. Les traitements CID sont bien compris en droit international. En revanche, la plupart de ces traitements se produisent dans des cas de détention. À notre avis, si on interdit la détention, on réduit le risque de ces formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants et on obtient une mesure plus robuste.
Merci beaucoup, monsieur Scott.
Je vais maintenant céder la parole à Mme James. Vous disposez de sept minutes.
Merci, monsieur le président.
Merci à nos témoins.
J'ai quelques questions à vous poser, mais si vous me le permettez, je vais tout d'abord m'adresser à M. O'Rourke.
Dans votre exposé et vos observations, vous insistez sur l'importance d'empêcher une personne de prendre l'avion si elle constitue une menace imminente à la sécurité aérienne, et je crois que vous reconnaissez également la nécessité d'empêcher une personne de s'envoler vers l'étranger pour se livrer à des activités terroristes.
Vous avez soulevé des préoccupations relativement à un aspect du projet de loi, que j'ai sous les yeux. Le paragraphe en question se lit comme suit: « Le ministre peut enjoindre à un transporteur aérien de prendre toute mesure que le ministre estime raisonnable et nécessaire. »
Je crois que vous avez dit, et corrigez-moi si je me trompe, que ce que le ministre pourrait juger raisonnable n'est pas nécessairement faisable pour un agent au sol qui doit empêcher quelqu'un de monter à bord d'un avion. Est-ce ce à quoi vous faisiez allusion?
Oui, et il ne s'agit pas seulement de l'agent. C'est un aspect qui mérite notre attention. Encore une fois, nous sommes des partenaires. Nous faisons de notre mieux. Nous appuyons le programme. À première vue, il semble que le pouvoir du ministre d'enjoindre à un transporteur aérien de prendre « toute mesure » soit un peu trop large. Nous avons beau vouloir aider, ce que le ministre a en tête n'est peut-être pas toujours faisable. Il pourrait nous être impossible d'aider.
Cet article donne ensuite des exemples de directives et, si j'ai bien compris, dans la plupart des cas, sinon tous, ces exemples suffisent pour régler la situation. Nous voulons simplement nous assurer d'être en mesure de prendre les mesures envisagées par le ministre.
Par conséquent, ce qui vous pose problème, c'est la partie « que le ministre estime raisonnable et nécessaire ».
Non, pas nécessairement. C'est surtout la portée très vaste de « toute mesure » qui nous préoccupe. Encore une fois, nous voulons être sûrs de pouvoir aider.
D'accord. Merci beaucoup.
J'aimerais revenir à quelques petites choses que j'ai entendues plus tôt. Tout d'abord, on a exprimé une préoccupation à l'égard de la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité et de certains organismes qui pourraient avoir à communiquer des renseignements, mais qui ne font pas l'objet d'un contrôle. J'aimerais souligner que le commissaire à la protection de la vie privée peut choisir d'examiner toute question qui se rapporte à la protection de la vie privée. Il peut donc mener des enquêtes et rédiger des rapports sur ces organismes dont le cas vous préoccupe.
Je crois que j'ai raison de dire que le vérificateur général peut également mener un examen rigoureux auprès des organismes et produire un rapport en conséquence.
Je voulais simplement le préciser.
Sachez que le commissaire à la protection de la vie privée a publié un rapport en 2014 dans lequel il disait que, dans le domaine de la sécurité nationale, sa fonction était nulle et non avenue puisqu'il n'avait pas accès aux renseignements secrets. Autrement dit, il ne se voit pas comme un mécanisme de contrôle efficace pour ce qui se rapporte à la sécurité nationale.
Le commissaire à la protection de la vie privée a exprimé des préoccupations semblables il y a quelques jours au sujet du projet de loi C-51.
Toutefois, au sujet de la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité, il ne s'agit pas de renseignements obtenus au moyen de méthodes secrètes; ce sont des renseignements obtenus dans le cadre des activités normales d'un organisme — par exemple, une activité qui pourrait désigner quelqu'un comme une personne d'intérêt. Nous encourageons et autorisons les organismes à communiquer ces renseignements. Ce n'est pas obligatoire. Nulle part dans ce projet de loi on ne dit que toute l'information doit être fournie. On ne dit pas non plus que l'organisme qui transmet l'information aux organismes de sécurité nationale doit fouiller davantage ou obtenir d'autres renseignements qu'il n'a pas déjà en mains.
De plus, on avait l'impression qu'il y aurait une sorte de base de données généralisée qui renfermerait les données de tout le monde. Ce n'est pas le cas et ce n'est pas ce qui est prévu dans ce projet de loi.
Je sais que mon collègue, M. Falk, a parlé de la communication d'information et il a nous a fait part de ses préoccupations à l'égard d'un aspect du projet de loi, c'est-à-dire: « Il est entendu que sont exclues les activités licites de défense d’une cause, de protestation, de manifestation d’un désaccord ». J'aimerais y revenir un instant. Les témoins ont indiqué aujourd'hui qu'il s'agissait d'une préoccupation. Je l'ai de nouveau entendu ce matin et j'ai eu l'occasion de donner des précisions qui, selon moi, se sont avérées très utiles, mais j'aimerais qu'on y revienne encore une fois.
En ce qui concerne l'expression « il est entendu que », on veut indiquer que ces activités ne sont pas autrement comprises dans la définition. Il est très clair que ces activités ne font pas partie de la définition. Cela revient à la définition énoncée dans la Loi sur le SCRS.
Je vais revenir à ma page...
Est-il question ici de la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité ou de la Loi sur le SCRS?
Je parle de la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité.
Mon collègue, M. Falk, en a parlé également. Il faut revenir à la définition de ce qui est à l'origine de cette loi visant à encourager et à faciliter la communication d’information, c'est-à-dire les activités qui portent atteinte à la sécurité du Canada. Ce type d'activité s’entend d’une activité qui porte atteinte à la souveraineté, à la sécurité ou à l’intégrité territoriale du Canada ou à la vie ou à la sécurité de la population du Canada.
Je pense que vous avez dit que vous seriez plus à l'aise avec cette interprétation, mais c'est au niveau national. Il ne s'agit pas d'une personne qui n'a pas obtenu un permis municipal pour manifester ou quelque chose du genre.... Il n'est pas question ici d'englober les infractions au Code criminel ou aux règlements municipaux. C'est...
D'accord.
Il y a des circonstances où une manifestation pourrait être d'envergure nationale. Dans ce cas, des infrastructures essentielles pourraient être visées.
Quant au terme « licite », qui a fait l'objet d'un avis en 2001, le ministère de la Justice estimait, à l'époque, qu'un acte illicite pouvait englober une grève sauvage ou une manifestation dans la rue. C'est l'avis qu'a donné le ministère de la Justice en 2001. C'est pourquoi le terme « licite » a été exclu de la définition d'activité terroriste en 2001.
Merci beaucoup. Le temps est largement écoulé. Vous aurez sans doute l'occasion de dire quelques mots plus tard dans le cadre d'autres interventions.
Monsieur Easter, la parole est à vous.
Merci, monsieur le président.
Merci à tous les témoins.
Monsieur O'Rourke, j'aimerais vous poser une brève question. Je ne sais pas si nous aurons l'occasion d'entendre d'autres témoins du secteur du transport aérien. Ma question porte sur l'article 9, selon lequel le ministre peut enjoindre à un transporteur aérien de prendre « toute mesure que le ministre estime raisonnable et nécessaire ». Roxanne en a parlé également.
Cette disposition vous préoccupe. Auriez-vous un amendement à proposer au comité, aujourd'hui ou plus tard, visant à limiter la portée des pouvoirs du ministre?
À vrai dire, cet article donne deux exemples de ce que le ministre peut faire et, selon moi, dans la plupart des cas, sinon tous, ces exemples devraient être suffisants.
Toutefois, je serais heureux de proposer un amendement au comité.
Vous pourriez indiquer, dans une lettre au greffier, comment vous vous y prendriez pour limiter l'étendue des pouvoirs du ministre, de façon à dissiper les préoccupations de l'industrie du transport aérien. Nous vous en serions très reconnaissants. J'ignore si le gouvernement va permettre des amendements.
Sachez que nous essayons d'aider le gouvernement. Nous ne voudrions surtout pas nous retrouver dans une situation où le gouvernement envisage des mesures qu'il nous est impossible de prendre...
J'aimerais également remercier MM. Roach et Forcese pour leur analyse sur le sujet. Elle a permis de lancer un débat et nous a donné beaucoup de matière à réflexion. Nous avons du mal à lire tous les documents, alors imaginez les écrire. Vous avez fait un travail remarquable.
Tous deux avez soulevé les deux mêmes questions.
Monsieur Roach, vous avez dit: « Si tout devient une question de sécurité, dans les faits, rien ne le sera. » M. Forcese a indiqué que cette approche pourrait compromettre notre sécurité.
Du point de vue de la sécurité nationale, vous trouvez qu'il s'agit d'un projet de loi important, mais vous estimez qu'il va trop loin à certains égards, ce qui risque de compliquer la sécurité.
Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
Pour revenir à la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité, nous sommes conscients que les menaces évoluent. Le Conseil de sécurité des Nations Unies le reconnaît également. N'empêche que nous ne comprenons pas pourquoi on n'utiliserait pas l'article 2 proposé, en particulier le mandat relatif aux actes de terrorisme, pour la communication d'information.
Certains aspects de la partie 1 semblent être délibérément provocateurs, parce que les définitions sont trop générales. Pour ce qui est de l'exemption à l'égard des manifestations licites, comme le professeur Forcese l'a dit, nous en avons déjà discuté. Nous avons tenu ce débat en 2001, et le Parlement a reconnu, après que le projet de loi eut été déposé, qu'il était préférable de retirer le mot « licite ». Je me suis penché sur cette question et sur le fait qu'on n'a pas tenu compte de la recommandation de la Commission d'enquête sur l'affaire Air India au sujet de la communication obligatoire de renseignements. Quand on pense à la manière dont cela interagit avec le projet de loi C-44, cela signifie que tout informateur à qui le SRCS a promis la confidentialité bénéficiera d'un droit de veto absolu pour ce qui est de témoigner lors d'un procès pour terrorisme.
Le professeur Forcese et moi-même sommes très rigoureux à l'égard de ces questions. Nous sommes d'avis que les infractions que le Parlement a ajoutées en 2013 sont très importantes, et nous en sommes témoins dans plusieurs de nos villes à l'heure actuelle. Toutefois, nous craignons que la combinaison des projets de loi C-51 et C-44 et de tous les nouveaux pouvoirs et privilèges qu'ils accordent au SCRS ait l'effet non souhaité de rendre les poursuites encore plus difficiles et de nuire à la collaboration du SRCS avec la GRC. Si je dis cela, c'est parce que j'ai travaillé pendant quatre ans comme directeur de la recherche pour la Commission d'enquête sur l'affaire Air India.
Permettez-moi de vous interrompre, monsieur Roach. J'aimerais revenir à une autre question qui a été soulevée au sujet de la surveillance. J'ai lu cet argument, et il me semble logique qu'on parle de surveillance ou de contrôle, quel que soit le nom qu'on lui donne.
Plus tôt aujourd'hui, Ron Atkey et Barry Cooper nous ont dit qu'il faudrait adopter un régime de surveillance parlementaire accrue. Vous en avez parlé également. J'aimerais que vous me disiez si, selon vous, les parlementaires devraient pouvoir consulter des documents classifiés et être tenus au secret. Et est-ce que cela devrait s'appliquer à tous les organismes de sécurité internationaux?
Ensuite, si vous avez le temps, deux ministres hier ont fait valoir que les mandats judiciaires étaient une forme de surveillance. J'en doute.
Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
Je peux répondre « oui » à vos questions sur les comités de parlementaires. Oui, un comité de parlementaires devrait être mis sur pied. Oui, ses membres devraient avoir accès à des renseignements secrets. En fait, de nos jours, il est rare qu'une démocratie occidentale soit dépourvue d'un tel comité. En ce qui a trait à votre question sur la surveillance, je peux dire que les mandats judiciaires sont une forme de surveillance, mais une forme limitée, et une fois le mandat expiré, il n'y a aucun mécanisme de rétroaction.
Merci beaucoup, monsieur Forcese.
Merci, monsieur Easter.
Nous allons maintenant passer à la deuxième série de questions.
[Français]
Madame Doré Lefebvre, vous avez la parole pour cinq minutes.
Merci beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais remercier nos témoins de leurs témoignages extrêmement importants sur le projet de loi C-51.
Messieurs Forcese et Roach, je vais commencer par vous.
Mes questions portent sur les nouveaux pouvoirs qui sont donnés au Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS.
Mardi dernier, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a dit que la plupart des alliés du Canada donnaient déjà à leurs services de renseignement des pouvoirs similaires à ceux prévus dans le projet de loi C-51, et que le Canada accusait un certain retard en la matière.
D'après vos propres recherches et votre expertise, est-il vrai que nos plus proches alliés, je pense notamment au Groupe des cinq, donnent des pouvoirs à leurs services de renseignement qui seraient semblables à ceux prévus dans le projet de loi C-51?
[Traduction]
Je peux seulement vous communiquer ce qu'ont répondu mes homologues de l'Australie, du Royaume-Uni et des États-Unis lorsque j'ai tenté de savoir si leurs organismes de sécurité et de renseignements nationaux avaient des pouvoirs de perturber, et si ces pouvoirs pouvaient remplacer leur loi nationale ou leurs droits constitutionnels. Les représentants des États-Unis, de l'Australie et du Royaume-Uni ont répondu par la négative.
Le meilleur exemple qu'un collègue australien a pu me donner concernait un nouveau pouvoir accordé à l'équivalent australien du SCRS et qui autorise cet organisme à supprimer des fichiers d'un ordinateur dans le cadre de son mandat.
[Français]
[Traduction]
J'aimerais également ajouter que dans le cadre de son mandat, l'organisme de renseignements de l'Australie a le pouvoir d'interroger des gens, mais ce pouvoir est très circonscrit.
L'une de nos préoccupations à l'égard de la disposition d'arrestation à titre préventif — et je reconnais qu'elle vise les services de police —, c'est que le projet de loi C-51 n'a rien prévu relativement à la personne qui peut être détenue jusqu'à sept jours pour des motifs raisonnables de soupçonner. Je crois que nos collègues australiens pourraient nous enseigner des choses sur la réglementation liée à la détention.
J'aimerais seulement ajouter que les pouvoirs d'arrestation de l'organisme de sécurité australien sont liés à son mandat en matière de collecte de renseignements. Ce pouvoir ne vise pas à réduire les menaces, mais à mener des interrogations à des fins de collecte de renseignements.
[Français]
Merci beaucoup.
Monsieur Roach, vous avez fait beaucoup de travail lié à la Charte canadienne des droits et des libertés. J'aimerais donc vous poser des questions qui portent davantage sur l'aspect constitutionnel.
Ce matin, un témoin a mentionné que les nouveaux mandats accordés au SCRS seraient anticonstitutionnels. Avez-vous des préoccupations particulières au sujet de ces nouveaux mandats? Pensez-vous qu'ils vont à l'encontre de la Charte canadienne des droits et des libertés? Sont-ils carrément anticonstitutionnels?
[Traduction]
Je crois qu'il y a certainement un risque élevé de contestation fondée sur la Charte. Comme nous l'avons dit, ce n'est pas un mandat typique. En effet, un juge octroie un mandat pour éviter une violation de la Charte, alors que le mandat du SCRS pourrait autoriser une violation de la Charte; nous sommes donc confrontés à une autorisation ouverte de violer les droits conférés par la Charte. À mon avis, cela pourrait être très difficile à justifier en vertu de la Charte. Nous ne sommes pas très honnêtes avec la population lorsque nous édictons dans la loi les droits de la Charte dont nous parlons.
À mon avis, le premier droit de la Charte qui sera violé par l'un de ces mandats est celui conféré par l'article 6 qui permet aux citoyens canadiens de sortir du pays ou d'y entrer. Nous pourrions tenir un débat, comme celui qu'on a tenu au Royaume-Uni, sur la question de savoir si des limites raisonnables et proportionnelles devraient être appliquées à ce droit, mais c'est un débat très différent et beaucoup plus précis que de dire aux juges de la Cour fédérale qu'ils peuvent autoriser n'importe quelle violation à la Charte.
Manifestement, la Cour fédérale approfondira la question, mais nous ne devons pas oublier que sa décision est sans appel. L'idée selon laquelle des juges pourraient préautoriser des violations à la Charte est tout à fait nouvelle. À ma connaissance, il n'existe aucune disposition en ce sens, et je crois que cela pourrait faire l'objet d'une contestation fondée sur la Charte.
C'est bien. Merci beaucoup.
Nous avons terminé la première série de questions et étant donné qu'il reste seulement deux minutes, le président va suspendre la séance afin d'accueillir les nouveaux témoins.
Au nom de tous les membres du comité, monsieur Forcese, monsieur Roach et monsieur O'Rourke, je vous remercie beaucoup d'avoir comparu aujourd'hui et de nous avoir communiqué ces renseignements.
La séance est suspendue.
Mesdames et messieurs, bienvenue à la deuxième heure de la discussion sur le projet de loi C-51. Tout comme pendant la première heure, nos témoins auront 10 minutes pour livrer un exposé. Messieurs, il serait préférable de livrer de brefs exposés, afin que les membres du comité puissent avoir plus de temps pour vous poser des questions.
Nous accueillons donc Ihsaan Gardee, directeur général du Conseil national des musulmans canadiens; Alex Neve, secrétaire général d'Amnistie Internationale; et à titre personnel, Elliot Tepper, professeur à l'Université Carleton.
Messieurs, je vous souhaite la bienvenue au comité.
Nous entendrons d'abord M. Gardee.
J'aimerais remercier le comité de m'avoir invité à comparaître à nouveau au sujet du projet de loi C-51. Notre mémoire écrit sera remis au comité sous peu, c'est-à-dire au plus tard le 23 mars, comme m'en a informé le greffier.
Le Conseil national des musulmans canadiens est un organisme sans but lucratif indépendant et non partisan qui oriente les efforts en matière d'engagement civique musulman et de promotion des droits de la personne. Notre mandat vise à protéger les droits de la personne et les libertés civiles des musulmans canadiens, à favoriser une compréhension mutuelle entre les communautés et à lutter contre l'islamophobie. Nous nous efforçons de remplir notre mission par l'entremise de l'éducation et de la sensibilisation des membres de la communauté, de la mobilisation des médias, de mesures contre la discrimination, de la défense des intérêts publics et de l'établissement de partenariats avec d'autres organismes d'intérêt public et de justice sociale.
Nous sommes conscients de l'importance accrue et nécessaire accordée à la sécurité publique et à la sécurité nationale en réponse à la menace réelle posée par le terrorisme, ainsi qu'à l'attrait troublant qu'exerce la violence criminelle, depuis les 15 dernières années, sur certains jeunes désabusés. Les musulmans canadiens, comme leurs compatriotes, se sont engagés sans équivoque envers la sécurité du pays, car ils risquent de souffrir du terrorisme au même titre que tous les autres Canadiens.
Les musulmans canadiens croient que le respect de la primauté du droit est un devoir civique et religieux. Nous prospérons au même rythme que l'ensemble de la société canadienne et nous aimons autant la liberté que les autres Canadiens. Nous croyons que tous les Canadiens méritent de profiter des mêmes libertés et d'avoir les mêmes attentes en matière de droit à la vie privée et au respect, et pourtant, lorsque les musulmans canadiens d'aujourd'hui exercent des droits fondamentaux, par exemple travailler, rencontrer des amis, participer à des cérémonies religieuses ou donner à des organismes de bienfaisance, ils craignent constamment qu'on les surveille, qu'on les suive et qu'on entretienne des soupçons à leur égard.
La surapplication de certaines lois et leur portée excessive font en sorte que des personnes, souvent les plus vulnérables, se sentent moins en sécurité plutôt que de se sentir protégées. De nombreux musulmans canadiens craignent que les efforts en vue d'assurer la sécurité portent atteinte aux droits enchâssés dans la Charte. Les craintes ou les réactions excessives ne devraient pas servir de fondement à l'adoption de politiques publiques et de lois.
Les membres de votre comité ont entendu et entendront plusieurs préoccupations liées à l'érosion potentielle des libertés civiles et des droits à la vie privée découlant de ce projet de loi. Nous partageons les réserves présentées par des partenaires de la société civile, par exemple la British Columbia Civil Liberties Association, la Coalition internationale de surveillance des libertés civiles et Amnistie Internationale Canada, et par des experts juridiques, notamment messieurs Kent Roach et Craig Forcese.
Comme tous les Canadiens, nous tenons à la liberté et au droit à la vie privée, et l'érosion des valeurs démocratiques et libérales de notre société nous préoccupe, car ce sont des valeurs importantes. Il peut être tentant d'accroître les pouvoirs de mise en oeuvre de la loi et d'arrestation pour que la population en général se sente plus en sécurité, mais cela peut être un terrain glissant dans une démocratie libérale. Il ne suffit pas d'espionner et d'arrêter tout le monde pour régler ce problème. Il faut plus que des lois, même des bonnes lois, pour relever les défis contemporains liés à la sécurité nationale, surtout si l'objectif est de se montrer efficace plutôt que de se contenter de jeter de la poudre aux yeux.
En effet, cette loi a plus d'artifices que de mesures concrètes lorsqu'il s'agit de créer des outils mieux adaptés pour lutter contre les menaces à la sécurité nationale. Le vrai problème, en fait, c'est le risque qu'elle pose pour les libertés civiles des Canadiens. Plus précisément, ce nouveau projet de loi portera davantage atteinte aux droits des musulmans canadiens en matière d'égalité et à ceux d'autres groupes définis et protégés en vertu de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.
J'aimerais utiliser le temps qu'il me reste pour vous décrire ces effets discriminatoires et la façon dont ils se feront sentir.
Nous savons déjà que les membres des communautés musulmanes canadiennes ont payé un prix plus élevé pour la sécurité nationale. D'ailleurs, selon le rapport d'enquête sur l'affaire Arar, étant donné que jusqu'ici, les enquêtes liées à la sécurité nationale ont surtout visé les membres des communautés arabes et musulmanes, il est plus probable que si on porte atteinte aux droits de la personne de Canadiens innocents, ils se retrouveront dans ces groupes.
Les événements du 11 septembre 2001 ont propulsé la communauté musulmane à l'avant-plan et ses membres sont constamment observés. L'interaction entre la visibilité accrue des musulmans et l'existence de stéréotypes négatifs et de discrimination à leur égard au sein de la société canadienne a engendré de nombreuses répercussions négatives. Chaque fois qu'on associe l'Islam ou les musulmans à la violence ou aux menaces proférées contre la société canadienne, les effets sociaux de ces associations négatives se font sentir, soit par des actes de violence ou des flambées de discours haineux ou dénigrants, soit par d'innombrables autres manifestations à tendance anti-musulmane.
En raison de cette dynamique sociale, les musulmans canadiens paient un prix plus élevé pour profiter de la protection fournie par les mesures de sécurité nationale. Des affaires troublantes et bien connues visant des Canadiens comme Maher Arar, Abdullah Almalki, Ahmad Abou-Elmaati, Muayyed Nureddin, Abousfian Abdelrazi et, plus récemment, Benamar Benatta, illustrent le coût et les embûches disproportionnés liés à l'administration d'un régime de sécurité nationale sujet à l'erreur et aux abus.
Le manque de surveillance efficace à l'égard des organismes de sécurité a empêché de prévenir ou de soulager les douleurs et les souffrances endurées injustement par ces hommes et leur famille. Mais le pire, pour ces personnes accusées à tort de terrorisme, c'est que les soupçons à leur égard ne disparaissent jamais réellement. En effet, ces hommes et de nombreux autres vivent toute leur vie avec le stigmate d'avoir été soupçonnés de terrorisme, peu importe à quel point ces soupçons n'étaient pas fondés.
Comme nous l'a fait remarquer un juge à la retraite respecté, le juge Dennis O'Connor, dans son rapport sur l'enquête liée à l'affaire Arar: « La réputation d'une personne étiquetée comme un terroriste dans les médias nationaux est sévèrement affectée. Comme je le mentionne ailleurs, les étiquettes, même celles qui sont injustes et inexactes, ont tendance à coller. »
Nous savons que nos organismes d'application de la loi, malgré les meilleures intentions de la plupart de leurs employés, ont outrepassé leurs pouvoirs. Nous n'avons qu'à tenir compte des cas mentionnés précédemment pour comprendre les effets catastrophiques qu'entraînent des pouvoirs accrus en matière de sécurité sans la mise en place d'un mécanisme de surveillance efficace.
Si le projet de loi C-51 est adopté dans sa forme actuelle, c'est-à-dire s'il accroît les pouvoirs sans renforcer grandement le mécanisme de surveillance indépendant de nos organismes de sécurité, le risque d'atteinte aux droits de la personne augmentera non seulement pour les musulmans canadiens, mais également pour d'autres communautés et groupes canadiens qui pourraient faire injustement l'objet d'une surveillance accrue en matière de sécurité, notamment des groupes politiques et environnementaux ou des groupes qui revendiquent l'égalité.
On n'améliore pas la sécurité nationale lorsque des communautés de Canadiens vulnérables se sentent moins en sécurité en raison d'une application excessive de la loi, surtout lorsque les mesures de redressements relativement aux abus et aux erreurs sont inefficaces.
La Charte canadienne des droits et libertés garantit aux Canadiens le droit de se déplacer et de voyager librement. On rapporte souvent au CNMC des cas de Canadiens ajoutés par erreur sur des listes d'interdiction de vol sans aucune possibilité d'appel ou de recours. Le projet de loi ne fait rien pour garantir le droit de voyager par avion des Canadiens qui se retrouvent par erreur sur ces listes. On interdit essentiellement à trop de musulmans canadiens de faire des voyages internationaux, car on les considère comme étant trop dangereux pour prendre l'avion. Cette humiliation entraîne des coûts énormes sur les plans personnel et matériel pour les personnes touchées.
Le projet de loi contrarie les Canadiens plutôt que d'investir en eux. Un ancien président du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, le sénateur Colin Kenny, a récemment parlé de la façon la plus efficace de lutter contre la menace de violence extrême:
Une réponse robuste contre le terrorisme n'est pas toujours l'approche idéale. Si c'est possible, il est plus sécuritaire, plus rapide et moins dispendieux de dissuader les personnes à risque de s'engager plus loin dans la voie de l'extrémisme avant qu'elles commettent un crime. Cette dissuasion est souvent plus efficace lorsqu'elle est menée par des gens de la communauté.
Les communautés musulmanes canadiennes de partout au pays ont effectivement été des chefs de file dans la lutte contre la radicalisation et elles poursuivent leurs efforts en ce sens par l'entremise de divers projets et initiatives, par exemple la conférence OWN IT qui s'est tenue à Calgary l'année dernière, le guide United Against Terrorism produit par l'Islamic Social Services Association en collaboration avec le CNMC, et le projet Hayat Canada lancé par Christiane Boudreau, la mère d'un Canadien qui a été tragiquement radicalisé à la violence criminelle et qui a été tué à l'étranger.
Il revient au Canada, et non seulement aux musulmans, de s'attaquer à ce phénomène. Jusqu'ici, chacun a travaillé de façon isolée plutôt que d'oeuvrer dans le cadre d'une approche nationale coordonnée qui tient compte des multiples facettes de ce problème. Les efforts soutenus et déployés de bonne foi par les communautés et leurs dirigeants pour lutter contre la menace de la radicalisation devraient être appuyés non seulement par du financement, mais aussi par des ressources spécialisées. Jusqu'ici, les communautés se sont attaquées à ce problème complexe avec peu ou pas d'expertise dans des domaines comme le counselling, la déradicalisation, les messages véhiculés sur les médias sociaux, etc.
De plus, il faut dire que les définitions peu précises fournies dans le projet de loi ont le potentiel de refroidir l'expression politique d'autres formes d'expression au pays, et cela pourrait nuire aux efforts déployés par les groupes de musulmans canadiens en vue d'aborder efficacement des problèmes et des enjeux difficiles au sein de leur communauté de la meilleure façon pour combattre la radicalisation et la désinformation.
Le libellé du projet de loi C-51 est tellement imprécis qu'il refroidira certainement l'ardeur des membres de notre communauté, car un grand nombre d'entre eux ont fui des régimes autoritaires qui punissent souvent les gens pour avoir exprimé des opinions. Plutôt que de risquer d'être accusées d'extrémisme, ces personnes se tiendront tranquilles, et ce qui est encore plus décourageant, la peur réduira au silence des personnes qui pourraient devenir des chefs de file dans la lutte contre la radicalisation, car on pourrait les accuser d'entretenir des liens avec des individus louches si elles tentent de faire valoir un point de vue différent. Ce silence nuira à nos valeurs en matière d'ouverture, de libre circulation des idées et de libres associations.
Avec tout le respect que nous leur devons, nous encourageons fortement les membres du comité à réévaluer l'adoption d'un projet de loi qui pourrait, en fait, être contre-productif et nuire aux efforts de ceux qui sont aux premières lignes dans la lutte contre la radicalisation.
En terminant, le CNMC, un organisme de défense des libertés civiles indépendant et traditionnel, a été un chef de file en affirmant que les droits de la personne et la sécurité nationale ne sont pas mutuellement exclusifs, mais que ces deux éléments entretiennent une relation symbiotique, c'est-à-dire que la perte de l'un entraîne la perte de l'autre.
On dit que ceux qui n'étudient pas l'histoire sont condamnés à la répéter. Cela dit, les nombreuses lacunes importantes du projet de loi C-51, en combinaison avec l'absence de nouveaux mécanismes de surveillance, d'examen et de redressement concomitants, solides et exhaustifs pour nos organismes de sécurité mènent à des abus de pouvoir similaires à ceux que nous avons récemment observés.
À notre avis, le projet de loi C-51, dans sa forme actuelle, n'est pas la réponse appropriée aux problèmes urgents en matière de sécurité nationale auxquels notre pays est confronté en ce moment. Il s'agit plutôt d'un exercice législatif périlleux qui aura des répercussions sur les Canadiens pendant des années et qui aggravera la stigmatisation dont font l'objet les communautés musulmanes canadiennes.
De plus, les préoccupations exprimées par mes collègues à l'égard du projet de loi inquiètent deux fois plus les membres des communautés qui connaissent, par expérience, les répercussions potentielles de lois mal conçues sur eux et leur famille.
C'est ce qui termine mon exposé. Je suis prêt à répondre à vos questions. Merci.
Merci beaucoup, monsieur Gardee.
La parole est maintenant à M. Alex Neve, d'Amnistie Internationale. Allez-y, monsieur.
Merci beaucoup, monsieur le président. Bonsoir mesdames et messieurs les membres du comité.
Je vous suis reconnaissant de me donner l'occasion d'être ici aujourd'hui. J'aimerais souligner que je suis ici au nom des deux sections d'Amnistie Internationale du Canada, c'est-à-dire la section francophone et la section anglophone, et que je représente donc plus de 80 000 membres partout au pays.
J'arrive tout juste d'une tournée de conférences nationale de 10 jours au cours de laquelle je suis passé par Halifax, Toronto, Regina, Saskatoon et Calgary. Je suis pratiquement venu directement de l'aéroport après mon retour de Regina. J'aimerais vous signaler, et vous ne serez pas surpris, que le projet de loi C-51 a été mentionné partout, tout le temps. Des centaines de femmes, d'hommes et de jeunes m'ont posé leurs questions, ont exprimé leurs préoccupations, leur confusion, leurs inquiétudes et parfois leurs craintes à l'égard du projet de loi. D'une certaine façon, j'ai également l'impression de parler en leur nom.
Je ne peux m'empêcher d'exprimer ma vive déception, ainsi que la vive déception de notre organisme. À ce point-ci, de nombreux organismes et spécialistes importants ne comparaîtront pas devant vous, et il est presque difficile de croire qu'il s'agit d'organismes et de spécialistes tels l'Association du Barreau canadien, l'Association canadienne des libertés civiles, le commissaire à la protection de la vie privée et des personnes qui ont travaillé comme avocats spéciaux des certificats de sécurité en matière d'immigration dans notre pays.
Les membres d'Amnistie Internationale vous prient d'organiser d'autres audiences et d'autres études pour entendre ces témoins importants. En effet, les Canadiens s'attendent à ce que le Parlement et vous-mêmes soyez en mesure de profiter de leur riche expertise.
Les membres d'Amnistie Internationale déploient des efforts soutenus dans le domaine de la sécurité nationale et des droits de la personne au Canada et partout dans le monde depuis des décennies. Ces efforts reposent sur trois principes fondamentaux.
Tout d'abord, les actes de terrorismes représentent une préoccupation grave en ce qui concerne les droits de la personne. On ne permet pas seulement aux gouvernements de prévenir les menaces et les attaques terroristes et d'y réagir, mais ils sont tenus de le faire dans le cadre de leurs obligations liées aux droits de la personne.
Deuxièmement, des efforts pour prévenir le terrorisme et y réagir doivent, en tout temps, respecter les exigences des lois internationales en matière de droits de la personne, notamment des droits aussi importants que le droit à la vie, l'interdiction de torture et de discrimination, les mesures de protection contre les arrestations arbitraires et la détention illégale, le droit garanti à un procès équitable et aux libertés d'expression, d'association, de réunion et de religion.
Troisièmement, il est également essentiel de s'assurer que la sécurité nationale est inextricablement liée aux droits de la personne. Légiférer, ordonner, autoriser ou profiter des violations des droits de la personne au nom de la sécurité nationale sont des pratiques qui vont à l'encontre de cet objectif. On produit seulement davantage de victimes, de communautés marginalisées, de griefs et de divisions, et ces éléments nuisent tous à la sécurité.
Selon notre évaluation, le projet de loi C-51 renferme plusieurs dispositions qui vont à l'encontre des obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne et qui leur nuisent. Ces dispositions sont si nombreuses et si dommageables qu'on devrait remplacer des dispositions complètes du projet de loi par des propositions qui reposent d'abord et avant tout sur le respect universel des droits de la personne.
Permettez-moi d'énoncer brièvement nos principales préoccupations relativement aux dispositions présentes dans le projet de loi et à celles qui n'y sont pas.
Tout d'abord, j'aimerais très brièvement parler du contenu du projet de loi et mentionner quatre préoccupations. Il y en a d'autres dans notre mémoire.
Tout d'abord, nous sommes préoccupés par la définition élargie des « menaces à la sécurité du Canada » qui sert de fondement au nouveau régime de partage des renseignements et aux pouvoirs de réduction des menaces confiés au SCRS. Parmi les nombreuses préoccupations soulevées — et je sais qu'on vous l'a mentionné —, il y a le fait que ces définitions excluent seulement les activités de protestation qui sont jugées licites. Cela risque de mettre en péril un large éventail d'activités de protestation qui ne sont peut-être pas licites, car elles n'ont pas été autorisées à l'avance, mais qui ne sont toutefois pas criminelles. Elles sont protégées par la Charte et ne devraient pas être traitées de la même façon que le terrorisme et d'autres menaces à la sécurité nationale.
Deuxièmement, les pouvoirs de réduction des menaces confiés au SCRS nous préoccupent énormément, car ces pouvoirs potentiellement coercitifs, intrusifs et physiques ont été confiés a un organisme qui n'est pas nécessairement un organisme d'application de la loi et qui n'exige donc pas la formation précise, les structures de commandes et la transparence publique auxquelles sont soumises les personnes qui détiennent ce type de pouvoirs. Il faut donc faire preuve d'une grande prudence. La liste des activités interdites au cours de l'exercice des pouvoirs confiés au SCRS néglige de protéger un grand nombre de droits de la personne internationaux, notamment l'incertitude à l'égard de la torture psychologique, ainsi que des droits liés à l'arrestation, à la détention, à la vie privée, à la liberté d'expression, etc.
Nous sommes extrêmement surpris que le projet de loi envisage la possibilité qu'on s'attende à ce que les juges de la Cour fédérale octroient des mandats au cours d'audiences secrètes pour autoriser les agents du SCRS à violer la Charte des droits et libertés. Nous sommes de plus préoccupés par le fait qu'en octroyant ces mandats qui autorisent les activités du SCRS à l'extérieur du Canada, on signale aux juges de ne pas tenir compte des lois des pays dans lesquels ces agents exerceront leurs activités.
Troisièmement, la nouvelle infraction criminelle représentée par le fait de préconiser ou de fomenter des infractions terroristes en général nous préoccupe, car elle n'est pas conforme à l'exigence internationale selon laquelle les limites imposées à la liberté d'expression doivent être décrites de façon précise et circonscrite et qu'elles doivent viser à régler une préoccupation précise et directe.
Les lois canadiennes prévoient des limites admissibles pour la liberté d'expression en ce qui concerne des infractions reconnues qui consistent à encourager et à conseiller la perpétration d'infractions liées au terrorisme dans le Code criminel ou à en forcer la perpétration par des menaces. Il n'y a rien de précis dans les mots « en général ». Ils ne sont évidemment pas définis dans le projet de loi. Cette provision violera inévitablement la libre expression. Elle freinera également, dans une plus grande mesure, les formes d'expression. Il pourrait s'agir de formes d'expression que nous jugeons choquantes, troublantes ou même sinistres, mais la plupart des formes d'expression visées seront celles qui provoquent des débats, soulèvent des questions et cherchent à obtenir des réponses. À l'exception de celles qui sont déjà criminalisées dans la loi canadienne, toutes les formes d'expression devraient être autorisées.
Quatrièmement, l'élargissement des pouvoirs liés à la détention sans que des accusations soient portées en vertu d'un engagement assorti de conditions nous préoccupe, car les droits à la liberté doivent être scrupuleusement protégés, en veillant à ce que l'arrestation soit fondée sur l'intention de porter une accusation criminelle reconnue et à ce que le maintien en détention de la personne débouche rapidement sur la tenue de son procès.
La réduction du seuil de soupçons requis pour l'arrestation sans porter d'accusation et la réduction du critère d'évaluation selon lequel l'arrestation doit être « nécessaire » pour empêcher des activités terroristes à un critère selon lequel cette arrestation empêchera « probablement » ces activités nous préoccupent, tout comme l'augmentation de la période potentielle d'arrestation sans porter d'accusation de trois à sept jours. Le Comité des droits de l'homme de l'ONU a déclaré que ce type de détention lié à la sécurité devrait seulement être utilisé pour lutter contre une menace présente, directe et impérative qui ne peut pas être réglée par des mesures alternatives. Ces changements vont à l'encontre de ces normes de l'ONU.
Le nouveau régime de partage des renseignements proposé nous préoccupe également, car même si nous convenons que le partage de renseignements est absolument nécessaire dans la lutte contre les menaces liées à la sécurité, il présente également un potentiel visible de violation des droits de la personne, et plus précisément des droits liés à la vie privée. Nous savons également que le partage de renseignements inexacts, non pertinents, non fondés et incendiaires a été à l'origine de violations très graves des droits de la personne, notamment la torture. Cela a été documenté dans deux enquêtes judiciaires.
Cela signifie que les raisons qui permettent le partage de renseignements à grande échelle doivent être sévèrement limitées. La très longue liste que nous avons eu la surprise de voir dans le projet de loi C-51 et sur laquelle le terrorisme apparaît seulement en quatrième position est tout sauf limitée. Cela signifie également que les mesures de protection et les mécanismes rigoureux recommandés dans l'enquête sur l'affaire Arar, et qui visent à assurer l'exactitude et la pertinence des renseignements partagés, n'ont pas été créés.
J'aimerais brièvement parler de quelques questions qui ne sont pas abordées dans le projet de loi.
Tout d'abord, nous sommes très troublés par le fait que ces réformes ne s'accompagnent pas de la proposition de mettre en oeuvre un système d'examen et de surveillance des organismes de sécurité nationale du Canada beaucoup plus efficace et solide. Nous savons qu'il est nécessaire d'emprunter cette voie depuis l'issue de l'enquête de l'affaire Maher Arar, il y a une décennie. Nous avons également eu des dispositions liées à l'importance d'exercer une surveillance parlementaire. Nous vous prions de ne pas entreprendre ces réformes, ou toute réforme liée à la sécurité nationale, sans mettre en oeuvre une initiative parallèle pour combler les lacunes au niveau des mécanismes d'examen et de surveillance en matière de sécurité nationale au Canada.
Deuxièmement, de nombreux Canadiens dont les droits ont été violés pour des questions liées à la sécurité nationale attendent toujours qu'on leur donne des réponses et que justice soit faite. Nous devons régler les problèmes du passé avant d'apporter de nouveaux changements.
Troisièmement, il est temps d'établir un cadre des droits de la personne prévu par la loi et qui s'appliquera à tous les éléments des lois en matière de sécurité nationale du Canada et qui orientera explicitement les activités de tous les organismes et ministères qui participent aux activités liées à la sécurité nationale. Nous savons tous que la sécurité et les droits de la personne sont indissociables. Nous croyons qu'il est temps d'inscrire cela clairement dans les lois canadiennes, afin que ce principe soit réellement mis en oeuvre.
Merci, monsieur le président.
Merci beaucoup, monsieur Neve.
Notre troisième et dernier témoin est M. Tepper. Vous avez la parole, monsieur.
Merci. Je suis le dernier témoin d'une longue journée pour tout le monde, j'en suis sûr.
J'aimerais tout d'abord vous remercier de m'avoir invité à comparaître devant le comité. C'est vraiment un honneur d'être ici.
J'aimerais me présenter un peu plus en détail, car je crois que je représente un point de vue différent de celui de nombreux autres témoins, et que c'est la raison pour laquelle on m'a invité à comparaître.
Je suis professeur de relations internationales et de science politique à l'Université Carleton depuis plusieurs décennies, et j'ai vécu et travaillé dans plusieurs pays dont les noms peuvent être mentionnés devant votre comité, et je présente donc un point de vue plus étendu en matière de politique comparée. De plus, je suis les questions liées à la sécurité depuis très longtemps.
Certains de mes commentaires ne visent pas vraiment les membres de votre comité, car vous êtes bien informés, mais le fait que le projet de loi C-51 revient souvent dans le discours public, ce qui me ravit.
Les membres de votre comité ont davantage de connaissances pointues, plus d'expérience et plus de contexte que la population en général, et j'espère donc présenter un point de vue pour le compte rendu qui a autrement tendance à se perdre... En effet, même si nous accueillons à bras ouverts les détails nécessaires que nous présentent un large éventail de points de vue, nous courrons également le risque de nous perdre dans le décor.
Le projet de loi C-51 est la mesure législative en matière de sécurité nationale la plus importante qui a été présentée depuis les événements du 11 septembre 2001. Le message que je tiens à faire passer, c'est que peu importe les problèmes posés par le projet de loi — vous en avez entendu parler ce soir, et ces derniers jours, et vous en entendrez encore parler dans les prochains jours —, nous ne devons pas oublier le contexte.
Le projet de loi C-51 est conçu pour la période suivant les événements du 11 septembre 2001. Il s'agit d'une nouvelle loi pour les menaces à la sécurité qui se posent au début d'une nouvelle ère. Même s'il est facile de comprendre que diverses dispositions de la loi attirent davantage l'attention, nous devons nous assurer de nous concentrer sur l'objectif et les défis fondamentaux liés à la lutte contre les types de terrorisme émergents.
Lorsqu'on évalue un projet de loi, il faut d'abord déterminer les besoins auxquels il répond et les conséquences de ne pas l'adopter. Dans le cas qui nous occupe, on a laissé entendre que nous ne devrions pas l'adopter.
La réponse brève, c'est que ce projet de loi est nécessaire, car il modernise notre infrastructure de sécurité, et nous serions moins en sécurité si nous ne faisions pas le point sur des questions juridiques en vue de relever les défis d'aujourd'hui et de demain.
Le projet de loi prévoit des techniques juridiques renforcées pour lutter contre le terrorisme en raison d'une menace accrue à l'échelle mondiale. C'est une loi pour nous préparer à ce que j'appelle le terrorisme transnational de l'ère numérique, car c'est une nouvelle ère.
En terme général, notre loi actuelle en matière de sécurité a été conçue pour relever les types de défis posés par le terrorisme des ères précédentes, par exemple l'OLP, Al-Qaïda et l'irrédentisme ethnique.
Nous ne devrions pas oublier que le pire acte de terrorisme de l'histoire canadienne — et nous en avons entendu parler ce soir — demeure l'attentat à la bombe contre le vol 182 d'Air India. En effet, les fondements des dispositions de la loi visant le partage de renseignements et la protection des passagers découlent de l'enquête qui a suivi cette catastrophe.
De plus, aujourd'hui, les défis qui se posent comprennent les attaques menées par des individus isolés, le retour au pays de terroristes entraînés et formés, et le rôle joué par Internet. Au Canada, nous avons certainement ressenti les effets des attaques menées par des individus isolés, c'est-à-dire des personnes qui se sont radicalisées elles-mêmes et qui sont passées à l'action ou se préparent à le faire. Nous commençons à bien connaître le rôle d'Internet dans la radicalisation, le recrutement et la propagande, et la propagation de la terreur.
Le projet de loi C-51 provoque justement le type de débat dont le Canada a besoin. Ces débats sont d'ailleurs soulevés devant le comité. Je suis un éducateur pour la vie, et je regrette qu'il ait fallu ces incidents pour provoquer ces débats, mais toutes les sociétés démocratiques ont de la difficulté à atteindre l'équilibre approprié entre la liberté et la sécurité. Les attaques menées au Québec et sur la Colline du Parlement nous obligent à réfléchir à des choses auxquelles d'autres ont été forcés de réfléchir avant nous. En tant que société, comment pouvons-vous maintenir un équilibre relativement aux attaques terroristes? Nous accusons un grand retard dans ce débat, mais notre isolement et notre chance tirent à leur fin.
Les gens de bonne volonté, et j'inclus dans cette catégorie les législateurs et les témoins d'aujourd'hui, se demandent légitimement comment atteindre cet équilibre, comment préserver les libertés individuelles et collectives tout en luttant contre les menaces à la liberté. Nous avons déjà entendu dire que c'est une fausse dichotomie. Il s'agit de déterminer comment nous gérons cet équilibre.
Au Canada, le débat a manifestement atteint son point culminant. Il y a un projet de loi sur la table, il sera suivi d'un vote et le projet de loi établira les paramètres de notre appareil de sécurité en cette ère nouvelle.
J'aimerais conclure avec quelques rappels et suggestions.
Tout d'abord, en ce qui concerne les rappels, le projet de loi est très important, mais il est conçu pour fournir seulement une partie de notre réponse générale aux changements qui se produisent sur la scène mondiale. Il y a d'autres volets, par exemple la cybersécurité, la collecte de renseignements et l'état de préparation militaire. Il faut également se rappeler que les travaux sur ce projet de loi et les lois connexes ont débuté avant les attaques menées au Québec et sur la Colline du Parlement. Toutefois, malgré la gravité de ces attaques, nous devons tous réfléchir, surtout lorsque nous sommes assis en face de parlementaires, à la façon dont elles auraient pu être bien plus graves. Il s'agissait d'amateurs, car l'un d'entre eux a utilisé une automobile comme arme létale, et l'autre un vieux fusil de chasse. La pensée que les choses auraient pu être beaucoup plus graves si les attaques avaient été menées par un petit escadron de professionnels entraînés et bien informés sur leur cible et équipés d'armes modernes doit sûrement hanter un grand nombre de personnes dans cette pièce. Je sais qu'elle me hante.
En conclusion, j'ai quelques suggestions pour le présent et l'avenir du cadre juridique de sécurité du Canada.
En ce qui concerne le présent, les critiques du projet de loi proviennent d'un grand nombre de milieux et nous avons entendu des commentaires tranchants ce soir dans les deux groupes de témoins. Je suis certain que les membres du comité traiteront ce projet de loi comme tous les autres, en analysant les preuves et en tentant d'atteindre un consensus avant qu'il devienne une loi. J'ai deux suggestions à cet égard. Dans le cas où un consensus peut être atteint au sein du comité, les membres du comité peuvent recommander qu'en ce qui concerne le projet de loi, tout d'abord, les problèmes constitutionnels, et ils ont été soulevés, peuvent être directement renvoyés à la Cour suprême du Canada en vertu de l'article 53 de la Loi sur la Cour suprême. Il serait préférable de clarifier les questions sur lesquelles on s'est mis d'accord sur le plan constitutionnel avant que des contestations soient présentées par des citoyens beaucoup plus tard, lorsqu'il serait compliqué d'exercer des recours, sans compter que notre sécurité pourrait être compromise pendant que ces dispositions sont contestées. De plus, des amendements visant à améliorer le projet de loi à la satisfaction de toutes les parties, ou du moins dans le cadre d'un consensus minimal, renforceraient le projet de loi toute en favorisant son acceptation à plus grande échelle.
Manifestement, en ce qui concerne l'avenir, le comité n'aura pas terminé sa tâche. À l'adoption du projet de loi, il pourrait d'abord devoir assumer la responsabilité de surveiller ses conséquences inattendues. En effet, des résultats inattendus émergeront probablement après son adoption, car il s'aventure dans des avenues inexplorées. En ce qui a trait à son futur rôle, le comité pourrait également devoir surveiller les circonstances imprévues. Ce projet de loi et l'ensemble de la structure de sécurité devront être réexaminés à un stade plus avancé de l'ère du terrorisme transnational à l'ère numérique. Malheureusement, les incidents dont nous avons été témoins ces derniers temps marqueront probablement seulement le début d'un besoin à long terme de mettre au point de nouvelles interventions stratégiques pour protéger nos libertés et notre sécurité. Les conditions menant aux défis émergents en matière de sécurité s'inscrivent dans une transformation historique à l'échelle mondiale.
Merci.
Merci beaucoup, monsieur Tepper.
Nous allons maintenant passer aux questions. Nous aurons six minutes.
Nous entendrons d'abord Mme Ablonczy.
Je vous remercie tous d'être venus comparaître et nous faire part de votre point de vue, qui enrichit notre discussion. Puisque vous avez des parcours différents, c'est très utile.
Monsieur Gardee, j'aimerais commencer par vous, car je pense que les Canadiens espèrent que les musulmans modérés — et la majorité des musulmans au Canada sont modérés — dénonceront eux aussi le djihadisme, le terrorisme djihadiste, car comme vous le dites avec raison, il y a une menace réelle au Canada. Je crois que votre idée d'établir des partenariats avec d'autres organismes de la société pour lutter contre la radicalisation de nos jeunes serait vraiment une excellente chose.
Vous ne serez pas surpris par la question que je vais vous poser, car comme vous le savez, une série d'allégations sont faites sur votre organisme et vos liens avec vos homologues américains. Pourquoi cela importe-t-il? Cela importe parce que vous n'êtes pas sans savoir que vos homologues américains ont souvent soutenu les points de vue radicaux et appuyé publiquement des groupes terroristes islamistes, dont le Hamas.
Je suis certaine que vous êtes au courant de certaines de ces allégations, et de bien d'autres, mais je vais donner quelques exemples.
Comme vous le savez, David Harris, qui est spécialiste du contre-terrorisme et directeur du programme de renseignements sur le terrorisme international de Insignis Strategic Research, a témoigné devant un comité sénatorial aux États-Unis, et il a dit que votre organisme était vraiment l'aile canadienne du Conseil des relations américano-islamiques. En 2003, dans une déclaration sous serment, votre propre directeur, votre propre chef, Sheema Khan, a dit devant la Cour suprême de l'Ontario que votre organisme était dirigé et contrôlé par l'organisme américain. Point de Bascule, un groupe de surveillance islamiste basé au Québec, donne une chronologie détaillée d'une relation opérationnelle entre un groupe de façade du Hamas et votre organisme.
Vous savez également que deux membres de votre conseil d'administration, qui étaient membres de votre conseil d'administration depuis une décennie, étaient également membres du conseil d'administration de l'Association musulmane du Canada, et durant cette période, l'Association musulmane du Canada a publié un communiqué de presse qui appuie ouvertement le Hamas. C'était un an après que le gouvernement du Canada a inscrit le Hamas sur la liste des groupes terroristes.
Je crois qu'il convient de vous donner une occasion de répondre à ces allégations inquiétantes, car pour pouvoir collaborer, il faut avoir l'assurance qu'il ne s'agit pas d'une lutte timide contre le terrorisme.
Quelle est votre position à la lumière de ces allégations?
Je vous remercie beaucoup de la question, madame Ablonczy.
Tout d'abord, je tiens à dire officiellement que le Conseil national des musulmans canadiens condamne le terrorisme violent et l'extrémisme sous toutes ses formes, peu importe qui en sont les auteurs et peu importe les raisons évoquées.
Toutefois, ce que vous avez dit avant de poser votre question est faux et entièrement fondé sur des insinuations et la désinformation. Le CNMC est un organisme indépendant et citoyen sans but lucratif qui défend les droits et les libertés civiles des musulmans canadiens et qui a un très bon bilan s'étendant sur 14 ans, bientôt 15, en matière de lutte contre l'extrémisme, de promotion de l'engagement civique et de défense des droits fondamentaux.
C'est précisément ce type de propos diffamatoires qui ont donné lieu aux litiges en cours. Le CNMC est persuadé que les tribunaux apporteront les clarifications nécessaires sur ces points pour s'assurer que ces choses ne se reproduisent plus. Comme vous le savez, le CNMC poursuit le Cabinet du Premier ministre pour diffamation en raison des fausses déclarations qu'il a faites contre notre organisme sur la base d'insinuations et de la désinformation. Nous sommes convaincus que le résultat sera favorable à notre organisme.
De plus, le CNMC ne se soumettra pas à un test ultime de loyauté utilisé contre les musulmans canadiens et leurs institutions que sous-tendent des questions aussi offensantes. Nous sommes ici aujourd'hui pour répondre à des questions sur le projet de loi C-51 et sur les vraies préoccupations des Canadiens, dont des musulmans canadiens, concernant les répercussions d'un projet de loi d'une aussi vaste portée.
Poser des questions maccarthystes protégées par le privilège parlementaire n'est pas digne de votre comité.
Merci.
Comme je le croyais, vous étiez prêt à répondre à la question.
Très brièvement, je pense que les Canadiens aimeraient savoir comment, à votre avis, on peut essentiellement empêcher que des jeunes canadiens soient entraînés dans le terrorisme djihadiste.
Pour ce qui est des moyens de protéger les jeunes canadiens contre l'idéologie de l'extrémisme violent —, et je dirais de protéger tous les Canadiens vulnérables, car je crois que nous avons constaté que les gens qui sont plus ou moins à risque de se radicaliser n'ont pas de profil particulier, puisque certains sont nés ici et on parle d'individus qui en sont à différentes étapes de leur vie... Je crois qu'il est important de comprendre que c'est un problème complexe. Par conséquent, il faudra adopter une stratégie à plusieurs volets à court, moyen et long terme pour intervenir de façon efficace. Cela nécessitera la participation de tous les intervenants, dont le gouvernement, les organismes de sécurité, les communautés musulmanes de partout au Canada, etc.
Dans le cas de M. Zehaf-Bibeau, nous avons appris qu'il avait des problèmes d'instabilité mentale. On a parlé de consommation de drogues également. La participation des fournisseurs de services sociaux, des conseillers sur les problèmes de drogue et les points de vue des différentes sphères de la société seront nécessaires, car comme je l'ai déjà dit, la communauté musulmane ne peut pas régler le problème à elle seule.
Merci beaucoup, monsieur Gardee.
Nous avons dépassé le temps prévu. C'est maintenant au tour de monsieur Scott, qui dispose de six minutes. Allez-y, s'il vous plaît.
Je remercie tous les témoins.
Monsieur Gardee, je vous remercie de garder votre calme et votre dignité. Vous aviez raison de signaler que les questions ont été formulées de cette façon compte tenu du privilège parlementaire, en sachant que si elles étaient posées à l'extérieur de cette salle, il pourrait y avoir d'autres conséquences. Tenons-nous-en à cela.
À un moment donné, vous avez dit qu'il ne suffit pas d'espionner et d'arrêter tout le monde pour régler ce problème. Je crois que c'est une façon évocatrice de parler des choses. Vous avez parlé de la crainte que le projet de loi C-51 soit contre-productif. Des témoins qui ont comparu précédemment nous ont parlé des aspects légaux. MM. Roach et Forcese ont parlé entre autres de la liberté d'expression, qui serait visée. Peu importe où nous en sommes maintenant concernant les engagements entre les autorités institutionnelles, qu'il s'agisse de la police ou du SCRS dans ce cas, on craint que la nouvelle infraction proposée dans le projet de loi concernant le fait de fomenter la perpétration d'infractions de terrorisme en général puisse mener à une situation où quelqu'un fait quelque chose qui est en soit un acte terroriste, ce qui nuirait à ce que Christianne Boudreau appelle, dans le cadre de sa démarche, le « dialogue extrême », où l'on agit face à l'aliénation d'individus, à la colère, à certaines des raisons pour lesquelles des jeunes, surtout, se sont peut-être rendus à un certain point.
En fait, les policiers ont dit qu'ils étaient préoccupés par l'idée d'un retrait et par le fait qu'ils ne seront plus les bienvenus dans certaines communautés.
Êtes-vous préoccupé par certains éléments que j'ai décrits?
Je vous remercie de la question.
La liberté d'expression, qui serait visée, et le sentiment d'aliénation sont certainement des questions préoccupantes. Pour ce qui est de la façon dont la menace est décrite, il est essentiel que nous en discutions. À notre avis, c'est important.
Les termes que nous utilisons pour parler de cette question ont aussi toute leur importance. M. Errol Mendes, un professeur, a récemment écrit un article au sujet du langage. Il a dit qu'appeler ces gens des djihadistes, par exemple, leur donne de la crédibilité et de la légitimité, dont ils ont soif, et cela peut être utile pour attirer d'autres personnes. Appelez-les par ce qu'ils sont: des criminels, des meurtriers, des voyous.
Il ne s'agit pas ici d'être politiquement correct. Il ne s'agit pas de ne pas vouloir appeler un chat un chat. Il s'agit d'utiliser les termes qui situent la menace à laquelle nous faisons tous face dans son contexte. Comme je l'ai dit, l'extrémisme, le terrorisme, les actes violents nous touchent tous. Donc, nous devons tous participer à la recherche de solution, y compris les communautés musulmanes.
Monsieur Tepper, dans son éditorial, le National Post a parlé de ses préoccupations, et je crois qu'elles découlent de discussions tenues en coulisse avec des responsables de la sécurité. On a dit craindre que la nouvelle disposition fasse en sorte que les gens cessent de discuter sur Internet. La surveillance des discussions en ligne permet aux organismes de déterminer où pourraient se trouver les vraies menaces et où il conviendrait d'investir des efforts pour écarter les menaces en utilisant, je l'espère, les mesures les plus efficaces.
Seriez-vous préoccupé à cet égard si les gens commençaient véritablement à moins clavarder et que cela avait un effet contraire à celui recherché sur le projet de loi, soit presque un effet négatif? Seriez-vous inquiet si cela s'avérait vrai?
Bien entendu, les organismes que le projet de loi couvre ne sont certainement pas les seuls organismes liés à la sécurité au Canada qui peuvent surveiller les discussions sur Internet. Si le projet de loi était adopté dans sa forme actuelle, qu'il devenait une loi et qu'il amenait les gens à cesser de discuter en ligne, peut-être que son objectif serait en partie atteint. Je ne crains pas du tout que le clavardage disparaisse un jour. Il ne fera que se déplacer ailleurs.
J'aimerais ajouter que dans le secteur public et dans mon secteur, le milieu universitaire, ainsi que dans le secteur privé, le Canada a des techniques très perfectionnées lui permettant de surveiller et de bien utiliser la surveillance dans Internet — indépendamment du projet de loi C-51 —, et dont peuvent se servir n'importe quel organisme au Canada ou d'ailleurs n'importe quel comité parlementaire.
Monsieur Neve, l'article 9 de la Loi sur la communication qui est proposé se lit comme suit:
Toute personne bénéficie de l'immunité en matière civile pour la communication d'information faite de bonne foi en vertu de la présente loi.
Est-ce inquiétant selon vous et pour une raison en particulier?
C'est très inquiétant. Lorsqu'il s'agit d'une question liée aux droits de la personne quelle qu'elle soit, il est absolument essentiel d'assurer l'accès à la justice et la reddition de compte lorsque les choses tournent mal; cela inclut l'obtention de réparation et de compensations au moyen de poursuites judiciaires. Nous avons déjà constaté à maintes reprises que la communication imprudente et la communication de renseignements inexacts ont des conséquences graves sur les gens. Deux enquêtes judiciaires nous le montrent. C'est peut-être en partie dû à de la mauvaise foi. Vraisemblablement c'était en partie fait de bonne foi, mais l'obligation de rendre des comptes s'impose et nous craignons vraiment que cela nous mène dans la mauvaise direction et ne nous aide pas à assurer l'adoption de pratiques exemplaires.
Merci beaucoup, monsieur Neve.
Merci, monsieur Scott.
C'est maintenant au tour de M. Payne, qui dispose de six minutes. Allez-y, s'il vous plaît.
Je remercie les témoins de leur présence aujourd'hui dans le cadre de l'étude de ce projet de loi très important dont sont saisis le comité, le Parlement du Canada et les gens du Canada.
Monsieur Neve, Amnistie Internationale est évidemment reconnue comme un organisme qui se porte à la défense des droits de la personne dans le monde. Je veux citer un extrait du communiqué qui a été publié par, fait intéressant, le Conseil national des musulmans canadiens, qu'on appelait auparavant CAIR-CAN: « le fait même d'abréger inconsidérément l'étude approfondie de changements susceptibles d'avoir des conséquences aussi lourdes est une grave atteinte aux droits humains ». D'après ce que je comprends, cette déclaration a été faite par votre organisme. Je ne suis pas certain de comprendre en quoi tenir un certain nombre de séances sur un projet de loi est un « droit humain », mais je vais peut-être un peu trop loin dans mon interprétation de votre observation. Nous savons que dans un certain nombre de parties, le projet de loi traite de manifestations pacifiques, qu'elles soient légales ou non, et ne s'attaque pas à la liberté d'expression; il ne s'attaque donc pas vraiment aux droits de la personne.
Quoi qu'il en soit, j'ai des questions à poser à M. Tepper.
Les médias ont beaucoup parlé de la communication de l'information, et nous en avons discuté à un certain nombre de reprises au cours de nos séances en comité. Je crois que beaucoup de renseignements erronés circulent et que certains groupes pensent que nos organismes de sécurité considéreront les manifestations légales comme du terrorisme. Il semble qu'ils associent le libellé de ces mesures à celui de la Loi sur le SCRS et au Code criminel.
Selon mon interprétation de cette partie du projet de loi, à la page 3, on parle d'activités qui sont interprétées comme des activités qui portent atteinte à la sécurité du Canada. Les activités énumérées porteraient à juste titre grandement atteinte à notre sécurité. On fait ensuite la mise en garde suivante:
Il est entendu que sont exclues les activités licites de défense d'une cause, de protestation, de manifestation d'un désaccord ou d'expression artistique.
Il est également important de souligner que le projet de loi porte sur la communication d'information à l'interne. Cela n'équivaut pas à des arrestations ou à des poursuites dans le cadre de n'importe quel type d'accusations de terrorisme.
Il convient de le souligner, et les activités désignées comme des activités portant atteinte à la sécurité du Canada doivent être également des activités qui portent atteinte à la souveraineté, à la sécurité ou à l'intégrité territoriale du Canada ou à la vie ou à la sécurité de la population du Canada.
Pourriez-vous nous donner votre point de vue sur ces préoccupations et nous dire si vous croyez qu'elles sont légitimes, ainsi que sur l'importance de combler les lacunes?
J'ai le sentiment que le volet de la communication d'information qui, bien entendu, figure dans le titre de la loi, va probablement recevoir un appui plus vaste que d'autres aspects, mais dans ce cadre, on soulèvera toujours des préoccupations, comme d'autres témoins vous l'ont dit ce soir et d'autres personnes.
Je vais répondre à votre question en deux temps. C'est à cet égard que des spécialistes techniques, comme ceux que nous avons entendus ce soir, devraient effectivement faire un examen très attentif, et je suis sûr que le comité a accès aux travaux de son propre sous-comité. Personnellement, je suis un peu préoccupé par le fait que les renseignements relatifs à l'impôt sur le revenu seront communiqués pour la première fois dans ce cadre.
Je crois que le volet de la communication d'information a été mentionné à maintes reprises. On a dit plus tôt ce soir que comme l'un des aspects les plus importants de l'augmentation de notre sécurité, l'isolement qu'on a découvert dans le cadre des activités que vous menez depuis les événement du 11 septembre 2011 doit cesser, mais d'un autre côté, je pense que les problèmes concernant la confidentialité des renseignements constitueront une source de préoccupation constante pour votre comité et d'autres comités.
Je n'ai pas les compétences techniques que d'autres personnes ont, et je sais que sur ce plan, vous avez des rédacteurs, et d'ailleurs, des spécialistes au ministère de la Justice. Je crois que ce sera probablement l'aspect le plus accepté de ce vaste projet de loi, comparativement à d'autres aspects ou dispositions dont on a parlé.
J'invoque le Règlement, monsieur le président. Je demande que l'on accorde 30 secondes à M. Neve, d'Amnistie Internationale, pour répondre aux insinuations que le député a faites en passant.
Excusez-moi, mais vous n'avez pas la parole. Il n'appartient qu'au député qui a la parole de décider. Il peut poser la question quand il le veut, et à ce moment-là, nous pouvons obtenir une réponse. S'il demande une réponse à M. Neve, il pourra certainement en obtenir une, monsieur.
La parole est à vous, monsieur Payne.
Quoi qu'il en soit, monsieur Tepper, je voulais seulement intervenir au sujet de vos observations...
Excusez-moi. J'invoque le Règlement. Je veux seulement m'assurer que mon collègue LaVar Payne n'a pas moins de temps d'intervention à cause du rappel au Règlement précédent, car je ne pense pas que c'est juste.
C'est bien.
On m'a dit que le temps accordé pour tout le monde serait très près d'être respecté.
Veuillez continuer, monsieur Payne.
Merci. Compte tenu de tous les rappels au Règlement qui sont faits, je vais finir par perdre le fil de ma pensée.
Vous avez fait référence à la Loi de l'impôt sur le revenu. Je n'en sais pas assez sur la déclaration d'information et la Loi de l'impôt sur le revenu, mais l'une des choses que je crains peut-être, c'est que si une personne essaie de verser de l'argent à une organisation, surtout s'il s'agit d'une organisation terroriste, cela puisse avoir d'énormes répercussions quant à la possibilité de communiquer les renseignements en question avec les autorités responsables.
C'est bien. Merci beaucoup.
Nous prendrons un peu moins de temps, et c'est maintenant au tour de M. Easter.
Merci, monsieur le président.
Je souhaite la bienvenue à tous les témoins. Je vous remercie tous des exposés que vous avez présentés.
Je vais commencer par vous, monsieur Tepper. Dans votre exposé, au sujet du type de discussions qui ont lieu sur le projet de loi C-51, vous avez dit que ce projet de loi provoque le type de débat dont nous avons besoin. M. Neve l'a mentionné également concernant toutes les séances à laquelle il a participé.
Nous n'avons jamais eu un Parlement comparable à celui que nous avons présentement au Canada, à mon avis, car en examinant son bilan, on se rend compte que le gouvernement actuel a rarement accepté que des amendements soient apportés aux projets de loi. C'est triste à dire.
Pour que ces bons débats qui ont lieu et les bons exposés que nous entendons ici soient utiles, il faudrait que le gouvernement se montre disposé à accepter des amendements, ce qu'il n'a pas fait jusqu'à maintenant. Qu'est-ce que cela dit sur notre démocratie si, au bout du compte, on n'autorise aucun amendement?
Je parlais à titre de professeur. Le jour où vous avez été attaqués, je me trouvais à la BBC. Certains disaient que dorénavant, le Canada devrait renoncer à sa liberté pour assurer sa sécurité. J'ai dit que ce n'était pas le cas et que le Canada était sur le point d'entreprendre des discussions. Elles se poursuivent et elles sont très bonnes, extraordinairement bonnes, et elles s'imposaient depuis longtemps. Nous avons de la chance.
Avant de faire mes observations au sujet des amendements, et également au sujet du renvoi des problèmes constitutionnels à la Cour suprême, j'ai dit que cela résulterait d'un consensus auquel arriverait le comité. Votre comité fait des recommandations. Même si cet appui enthousiaste constitue un consensus minimal, je crois qu'il obtiendrait l'attention qu'il faudrait. Au-delà de cela, nous entrons dans la politique partisane, et ce n'est pas mon rôle.
J'espère vraiment que nous pourrons y arriver. Jusqu'à maintenant, rien ne l'indique.
Cependant, si aucun amendement n'est apporté, il y a cinq députés d'arrière-ban qui peuvent accepter des amendements s'ils le veulent.
Monsieur Neve, vous avez parlé de la surveillance, et je crois que vous avez soulevé quatre très bons points sur des amendements qu'il faudrait apporter. Je ne sais pas si nous serons capables de le faire, mais je veux maintenant m'adresser à M. Gardee.
Monsieur Gardee, je vous remercie d'avoir gardé votre calme lors de l'attaque concertée dont votre organisation a fait l'objet, à mon avis.
Vous avez dit que c'est un problème complexe, et c'est certainement le cas. Il y a quelque temps, le commissaire de la GRC a comparu devant nous. Je veux vous féliciter pour le manuel United Against Terrorism: A Collaborative Effort Towards a Secure, Inclusive and Just Canada, qui a été conçu par la collaboration du Conseil national des musulmans canadiens, de l'Association musulmane des services sociaux du Canada et de la Gendarmerie royale du Canada, même si, à la dernière minute, elle s'est retirée de la conférence de presse. Toutefois, elle est toujours liée au manuel et je crois qu'elle veut toujours collaborer.
Comme vous l'avez dit, la sécurité nationale est aussi importante pour vous et votre organisme — ou même encore davantage — que pour l'ensemble de la société canadienne. Comment éviter le danger de créer des stéréotypes, d'aller trop loin dans les propos, comme l'ont fait le premier ministre et quelques ministres, et empêcher que des gens soient ciblés? La déradicalisation constitue-t-elle un aspect de votre action?
D'accord.
En ce qui concerne les propos tenus, effectivement, nous sommes inquiets des déclarations que nous avons entendues récemment dans le débat public. Nous croyons que c'est une démarche dévastatrice qui amène les gens à avoir des soupçons sur les musulmans, ou sur toute personne perçue comme étant musulmane, en créant un profil ethnique ou religieux de ce qu'est un terroriste.
Pour ce qui est de son rôle dans la déradicalisation, comme je l'ai dit tout à l'heure, je pense que les termes que nous employons sont importants. Il est important de comprendre que les actes d'une personne ou d'un groupe de personnes nuisent à des communautés entières. Par exemple, les membres du Ku Klux Klan ou les fanatiques de droite qui font exploser des cliniques d'avortement aux États-Unis se disent chrétiens, mais je crois que personne ici ne dirait qu'ils parlent au nom de tous les chrétiens. Je crois que ce genre de propos peut nuire à des communautés entières.
Merci beaucoup.
Votre temps est écoulé, monsieur Easter.
Au nom de tous les membres du comité, je remercie MM. Gardee, Tepper et Neve. Merci d'avoir comparu devant nous aujourd'hui.
Nous continuerons d'examiner le projet de loi C-51 à la prochaine séance du comité.
La séance est levée.
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