:
Madame la Présidente, j’aimerais vous remercier d’avoir permis à mon collègue de de terminer son discours aujourd’hui.
Je soulève une question de privilège concernant les tentatives et les agissements de fonctionnaires et d’agents de la République populaire de Chine visant à me nuire en raison des positions que j'ai défendues ici, à la Chambre des communes.
Vendredi dernier, j’ai assisté à une séance d’information donnée par le Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, qui m’a confirmé plusieurs éléments dont je parlerai dans quelques instants. Dans l’avis que j’ai ensuite envoyé au Président, j’ai indiqué que j’avais besoin de la journée d’hier pour réfléchir à la meilleure façon de présenter les renseignements que j’ai reçus. Bien que je reconnaisse que le droit du privilège parlementaire m’accorde une liberté de parole absolue ici au Parlement, sous réserve uniquement du Règlement de la Chambre, j’ai également fièrement assumé la commission de notre défunte Reine à titre d’officier des Forces armées canadiennes et j’ai prêté plusieurs serments pour protéger notre nation et ses secrets.
À la lumière de cette expérience, j'ai énormément de respect pour les personnes qui prêtent de tels serments afin d'assurer la sécurité de notre pays. Qu'ils fassent partie des forces armées, d'un service de police ou d'un de nos organismes de sécurité et de renseignement, ces Canadiens ont la responsabilité d'assurer notre sécurité dans un monde dangereux. Compte tenu du respect que je porte à ces institutions, j'ai cherché à trouver un juste équilibre entre les diverses exigences que me dicte ma conscience et les éléments que je suis sur le point de soulever aujourd'hui dans ma question de privilège.
La décision que la présidence a rendue le 8 mai sur une question similaire mais distincte, à la page 14106 des Débats, souligne « la gravité des affirmations du député de ». La présidence s'est également appuyée sur un extrait d'une décision rendue par le Président Milliken le 29 mai 2008:
La présidence a toujours agi avec réserve dans de tels cas, vu l’obligation de maintenir un équilibre entre la nécessité d’agir en temps opportun et la responsabilité importante qui incombe aux députés de rassembler les faits et les arguments avant de soulever à la Chambre des questions aussi essentielles.
Dans mon cas, il ne s’agissait pas seulement de rassembler les faits, mais aussi de réfléchir à la manière dont ces faits pouvaient être présentés à la Chambre de manière à protéger les sources et les méthodes de nos organismes de renseignement et le personnel qui y travaille.
Comme je l’ai indiqué il y a un instant, les faits relatifs à la campagne menée par la République populaire de Chine contre moi sont distincts de ceux qui ont conduit à l’importante décision de la présidence concernant la campagne d’intimidation orchestrée contre le député de . Dans cette affaire, le journal Globe and Mail a fait état de fuites de renseignements indiquant qu’un diplomate chinois accrédité était impliqué dans la campagne d'intimidation à l'endroit de ce député et de sa famille.
Cette campagne d'intimidation semble avoir été ordonnée après que le député a présenté une motion en février 2021 reconnaissant que les préjudices perpétrés contre la population ouïghoure dans la région du Xinjiang en Chine constituaient un génocide. Après que le député a soulevé sa question de privilège, le gouvernement et le SCRS lui ont confirmé la véracité des rapports médiatiques.
En ce qui me concerne, les faits sont différents, car ils sont liés à une campagne permanente d’ingérence étrangère visant à me cibler en tant que député et chef de l’opposition officielle. Compte tenu de mon respect pour les hommes et les femmes qui travaillent pour le SCRS et le Centre de la sécurité des télécommunications, je ne fournirai pas les détails précis de ma séance d’information sur les nombreuses menaces qui pèsent sur moi, car je ne veux pas que ces détails révèlent des sources ou des méthodes de collecte.
Bien que j’aie plus de détails que je n’en partage avec la Chambre, je veux m’assurer que l’intérêt public est correctement servi tout en garantissant que les renseignements importants recueillis puissent continuer à être examinés par le Parlement sans entraves. Soit dit en passant, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre pourrait, bien entendu, obtenir de plus amples détails directement auprès du gouvernement à huis clos.
Cela étant dit, je vais décomposer la nature des menaces que le SCRS m’a décrites en quatre catégories distinctes. Chacune de ces menaces visait à me discréditer, à répandre de fausses informations au sujet de mes politiques et à entraver gravement mon travail de député et chef de l’opposition officielle. Les nombreux exemples démontrent également qu’il y a eu une campagne orchestrée d’ingérence étrangère au cours de la 43e législature et dans les élections générales de 2021.
La première catégorie de menaces est liée au financement étranger, en particulier au versement de fonds par le Parti communiste chinois par l'intermédiaire du Département du front uni du travail, pour créer de la désinformation sur moi comme député et chef du Parti conservateur du Canada. La deuxième catégorie de menaces concerne les ressources humaines, en particulier l'utilisation de groupes de personnes travaillant pour le Département du front uni au Canada ou associées à cet organisme, qui sont réseautées et dirigées par un État étranger pour amplifier ces fausses informations et saper mon travail de député et de chef d’un caucus parlementaire. La troisième catégorie de menaces est liée aux plateformes de médias sociaux contrôlées par un État étranger. Cette catégorie concerne plus particulièrement la plateforme de communication WeChat et son utilisation pour servir les objectifs du Parti communiste chinois et du Département du front uni du travail, ainsi que leur campagne de désinformation visant à saper et à discréditer mon travail à la Chambre en qualité de député de et de chef de l'opposition officielle. La dernière catégorie de menaces qui m'a été décrite est liée à l’entrave à l’exercice du droit de vote, plus précisément au fait que les renseignements font état d’une campagne active de suppression de votes contre moi, le Parti conservateur du Canada et un candidat dans une circonscription électorale lors des élections générales de 2021.
À ce stade-ci, j’estime également que mes privilèges de député et d’agent du Parlement ont été violés par le manque de volonté ou l'incapacité du gouvernement d’agir sur la base de renseignements selon lesquels il y avait de l'ingérence étrangère. L'exposé du SCRS m'a confirmé ce que je soupçonnais depuis un bon moment, à savoir que mon caucus parlementaire et moi-même avons été la cible d'une campagne sophistiquée de désinformation et de suppression de votes orchestrée par la République populaire de Chine avant et pendant les élections générales de 2021.
[Français]
Je crois également que mes privilèges en tant que député et chef de l'opposition ont été violés par la réticence du gouvernement à agir sur la mesure du renseignement lié à l'ingérence étrangère. Le breffage du Service canadien du renseignement de sécurité m'a confirmé ce que je soupçonnais depuis longtemps, soit que mon parti, plusieurs de mes députés et moi-même étions la cible d'une campagne de désinformation et de suppression de vote orchestrée par la Chine avant et pendant les élections générales de 2021.
[Traduction]
Non seulement les multiples menaces contre moi et les membres de mon caucus parlementaire ne m'ont pas été signalées par le gouvernement ou les organismes de sécurité au cours de la 43e législature, mais ces graves menaces ne nous ont pas non plus été communiquées par le Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignements visant les élections, créé par le gouvernement au cours de la 43e législature pour protéger nos élections.
Le contexte des derniers mois de procédure de la 43e législature à la Chambre est également important à considérer en ce qui concerne mes privilèges. À l'époque, la Chambre était saisie de quatre ordres de production de documents distincts obligeant le gouvernement à rendre des comptes à la Chambre sur ce qui s'était réellement passé au laboratoire de Winnipeg et sur le licenciement de scientifiques ayant des liens avec la Chine. Je sais que vous vous souvenez de cette époque, madame la Présidente, parce que le gouvernement vous a forcée à saisir la justice fédérale de cette question et m'a forcé, comme député et chef de l'opposition, à demander le statut d'intervenant dans cette procédure, que la dissolution du gouvernement a finalement rendue caduque. Tout en nous privant de nos privilèges de députés pour la divulgation de ces documents à l'époque, le gouvernement nous a également empêchés, moi et d'autres députés, y compris une députée du NPD, d’être informés des menaces d'ingérence étrangère qui pesaient contre les parlementaires que nous sommes. C'est une question qui devrait préoccuper tous les députés, quel que soit leur parti.
Comme je l'ai mentionné dans mes observations préliminaires, la question est distincte de celle que mon collègue, le député de , a soulevée ici, il y a quelques semaines. En effet, les menaces décelées à mon encontre par le SCRS ne concernaient pas un seul événement ou un seul diplomate accrédité; au contraire, les nombreuses menaces découvertes contre moi montrent l’existence d’une campagne permanente d'ingérence étrangère, destinée non seulement à perturber mon travail de député, mais aussi à perturber gravement mon travail de chef d'un caucus parlementaire dans le contexte d'un gouvernement minoritaire.
Des menaces, des perturbations et des ingérences de cette ampleur ont en fait porté atteinte aux privilèges de centaines de députés. J'insiste sur cette distinction parce que je soutiens respectueusement qu'il s'agit d'une question distincte de celle abordée dans une décision antérieure ou dans l'ordre de renvoi du 10 mai du comité de la procédure et des affaires de la Chambre. Il y aurait donc lieu de conclure de prime abord à un outrage pour cette question précise et de réclamer une enquête par un comité. En effet, la situation ici pourrait ressembler à certaines situations qu’a vécues la Présidente à ses débuts comme députée. Au printemps 2005, il y a eu pas moins de quatre cas de question de privilège fondée à première vue, tous liés aux envois postaux des députés, qui ont tous été renvoyés au comité de la procédure et des affaires de la Chambre et étudiés en même temps. L'un d'entre eux émanait de l'actuel . Plus tard, en novembre 2009, il y a eu deux cas de question de privilège fondée à première vue concernant les envois collectifs de bulletins parlementaires, qui ont également été renvoyés séparément au comité de la procédure et des affaires de la Chambre et étudiés en même temps.
Dans une décision rendue le 10 mai 2005, le Président Milliken a tenu, à la page 5885 des Débats, des propos qui se rapportent probablement aux questions auxquelles nous sommes confrontés ce printemps. Il a déclaré ce qui suit:
Comme le député de Wellington—Halton Hills le sait fort bien, un certain nombre de questions de privilège semblables ont été soulevées récemment à la Chambre et une bonne partie d'entre elles ont été renvoyées au Comité de la procédure et des affaires de la Chambre qui, à ma connaissance, est justement en train de les étudier activement en ce moment même.
C'est avec plaisir donc que j'autorise le député à proposer sa motion et à la renvoyer au comité, s'il le souhaite. Je ne doute pas que le comité voudra bien l'étudier en même temps que les autres qu'il est en train d'examiner et qui sont de nature similaire. Il semble y avoir quantité de motions de même nature ces jours-ci.
Il semble aussi y avoir quantité de cas d'ingérence étrangère qui sont rapportés ces jours-ci. La Chambre devrait aussi se pencher sur chacun d'eux. Comme je l'ai dit, tous les députés devraient s'en inquiéter.
Comme les députés le savent, dans cette enceinte, j'ai souvent donné mon avis sur les politiques étrangères du Canada. Par exemple, il y a déjà plusieurs années que je soulève des préoccupations au sujet des relations entre le Canada et la Chine. Avant mon mandat de chef de l'opposition, j'ai occupé, pendant les 42e et 43e législatures, les fonctions de ministre du cabinet fantôme en matière d'affaires étrangères, soit les mêmes fonctions parlementaires qu'assume aujourd'hui le député de . C'est dans le cadre de ces fonctions que j'ai été l'une des premières personnes dans cette enceinte à déconseiller l'utilisation de la technologie de Huawei dans le réseau 5G du Canada. Comme d'autres de mes collègues, j'ai soulevé des préoccupations au sujet de l'approbation de la vente de plusieurs entreprises de technologie canadiennes sans que le gouvernement ne soumette ces transactions à une évaluation de sécurité en bonne et due forme. Comme d'autres, j'ai parlé de la question des droits de la personne en Chine et des abus auxquels le principe « un pays, deux systèmes » a donné lieu à Hong Kong. Comme bien des députés de tous les partis, j'ai rencontré des minorités religieuses et culturelles qui sont persécutées. D'ailleurs, à bien des égards, ce sont mes inquiétudes quant à l'approche du gouvernement envers la Chine qui m'ont poussé, en décembre 2019, à présenter une motion afin d'établir le premier comité spécial sur les relations sino-canadiennes.
Cette campagne de représailles menée par un gouvernement étranger, qui vise mon travail de député, découle de ma participation aux délibérations des 42e et 43e législatures, entre autres. C'est à cause des positions que j’ai défendues que j'ai été l’objet d’une campagne de représailles pendant plusieurs années de la part de Pékin. Ces événements se sont produits non seulement avant et pendant les élections générales de 2021, qui ont fait l'objet de nombreux reportages l'année dernière, mais aussi avant ces élections, et ils étaient connus du gouvernement, qui aurait pu agir, mais qui a refusé de le faire. En fait, le SCRS m'a informé que je resterai une cible des opérations d'influence de Pékin bien après mon départ de la Chambre cet été.
Le facteur temps ne devrait pas constituer un obstacle à une décision favorable de la présidence. En effet, la troisième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes énonce, à la page 81, que « Les cas d’outrage commis pendant une législature peuvent même être punis au cours d’une autre législature. Ce volet du droit parlementaire est donc extrêmement souple, ce qui est presque essentiel pour que la Chambre des communes puisse réagir à toute situation nouvelle. »
Bien que certains éléments de cette campagne de représailles axée sur l’ingérence étrangère aient été encore plus présents pendant la campagne électorale, alors que le Parlement était dissous, il y a eu, pendant toute cette période, un lien évident entre la campagne de représailles au Parlement, les procédures parlementaires, la dissolution et les élections. Les attaques contre mon privilège ont commencé avant la dissolution, se sont accélérées pendant la compagne électorale et ont repris après. Cela montre à quel point l'ingérence étrangère est devenue insidieuse. Dans cette optique, je voudrais attirer l’attention de la présidence sur un passage de la page 773 de la quatrième édition de l’ouvrage Parliamentary Practice in New Zealand, ou pratique parlementaire en Nouvelle-Zélande. On peut y lire: « Les activités visant à influencer les députés dans l’exercice de leurs fonctions publiques sont tout à fait correctes et autorisées. Les gens peuvent même exercer des pressions sur les députés (par exemple, en menaçant de leur retirer leur soutien lors des élections suivantes), à moins qu’une telle tentative d’influence ne devienne une tentative d’intimidation ou qu’il n’y ait une menace de faire quelque chose d’inapproprié en soi. »
Le droit de tous les députés de s’acquitter de leurs fonctions parlementaires sans intimidation, ingérence ou autre forme d’obstruction a été confirmé par une longue série de précédents. Le député de a cité plusieurs de ces précédents concernant l’intimidation lorsqu’il a présenté sa propre question de privilège, et vous avez également cité certains d’entre eux dans votre décision sur cette affaire. Pour gagner du temps, je vous les recommande, mais les propos les plus percutants sont peut-être les vôtres, tirés de votre décision du 8 mai, à la page 14107 des Débats: « La présidence convient que l'affaire soulevée par le député, soit qu'une entité étrangère a tenté d'intervenir dans le déroulement de nos travaux au moyen de mesures de représailles contre sa famille et lui, concerne directement les privilèges et les immunités qui sous-tendent notre capacité collective de remplir nos fonctions parlementaires sans entrave. La présidence estime que, de prime abord, la question est assez grave pour qu'on lui accorde la priorité par rapport à tous les autres travaux parlementaires. »
Il y a un nouvel aspect que ma situation soulève, et c'est ce que nos autorités considèrent comme une forme d'« obstruction ». Voici l'explication donnée aux pages 111 et 112 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, troisième édition:
Un député peut aussi faire l’objet d’obstruction ou d’ingérence dans l’exercice de ses fonctions par des moyens non physiques.
Il est impossible de codifier tous les incidents qui pourraient être considérés comme des cas d’obstruction, d’ingérence, de brutalité ou d’intimidation et, par conséquent, constituer une atteinte aux privilèges de prime abord. On trouve toutefois, parmi les questions de privilège fondées de prime abord, l’atteinte à la réputation d’un député [...] [et] l’intimidation d'un député et de son personnel [...]
Le tort injustement causé à la réputation d’un député peut constituer un cas d’obstruction [...]
Le 5 mai 1987, le Président Fraser a déclaré ce qui suit dans une décision, à la page 5766 des Débats de la Chambre des communes:
Tout acte susceptible d’empêcher un député ou une députée de s’acquitter de ses devoirs et d’exercer ses fonctions porte atteinte à ses privilèges. Il est évident qu’en ternissant injustement la réputation d’un député, on risque de l’empêcher de faire son travail. Normalement, un député qui estime avoir été victime de diffamation a le même recours que n’importe quel autre citoyen; il peut intenter des poursuites en diffamation devant les tribunaux avec la possibilité de réclamer des dommages pour le tort qui lui a éventuellement été causé. Par contre, il ne peut pas avoir recours à de telles poursuites si la diffamation s’est produite à la Chambre.
Lorsque ces campagnes sont orchestrées par des diplomates accrédités au Canada, ces derniers bénéficient d'immunités judiciaires en conformité des conventions de Vienne. Par conséquent, tout comme dans l'exemple cité par le Président Fraser, le recours ordinaire aux tribunaux n'est alors tout simplement pas possible.
Pour être clair, ce privilège parlementaire n'est pas exercé, et je ne cherche pas à l'exercer, à l'égard de tout Canadien qui exerce son droit démocratique de participer au débat parlementaire et politique et de critiquer les politiciens pour les positions ou les politiques qu'ils adoptent. Joseph Maingot, à la page 245 de son ouvrage Le privilège parlementaire au Canada, deuxième édition, explique ce qu'est le juste équilibre:
[...] toutes les entraves aux privilèges de la liberté de parole des députés, comme la publication d'articles et autres formes de déclarations publiques, ne constituent pas des atteintes au privilège, bien qu'elles puissent influencer l'attitude des députés dans leur travail parlementaire. Par conséquent, tous les actes émanant d'un organisme extérieur et susceptibles d'influencer l'activité parlementaire d'un député ne doivent donc pas être considérés comme des atteintes au privilège, même s'ils visent à faire pression sur le député pour qu'il intervienne dans le sens souhaité. Cependant, toute manœuvre visant à entraver ou à influencer l'action parlementaire d'un député par des moyens abusifs peut constituer une atteinte au privilège. C'est en fonction des faits de l'espèce qu'on détermine ce qui constitue un moyen de pression inadmissible.
À la suite de son enquête sur une atteinte antérieure à la réputation d'un député, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre a expliqué brièvement les principales préoccupations en matière d'atteinte à la réputation au paragraphe 38 de son 51e rapport, déposé en novembre 2005. Selon ce rapport, « [l]es députés sont des personnages publics, dont la réputation et l'intégrité comptent parmi les plus précieux atouts ».
À la suite de l'examen de déclarations trompeuses au sujet d'un député publiées dans un de ces envois soumis à la règle des 10 % dont j'ai parlé plus tôt, le même comité a écrit ceci dans son 38e rapport déposé en mai 2005:
Aucun des autres députés dont des commettants avaient aussi reçu l’envoi n’a contesté ce qu’on pouvait y lire, mais il faut analyser la teneur du document à la lumière du fait qu’il a été livré à des commettants [du député de Windsor-Ouest]. Or, il est impossible de ne pas conclure de cette analyse que le document contient des faussetés à l’égard du député. [Le député] a dit avoir eu des plaintes de certains des commettants qui l’avaient reçu. En entachant injustement sa réputation chez ses commettants, le document avait donc compromis sa capacité de s’acquitter de ses fonctions de député.
La dernière phrase m'amène à soulever des points importants. D'abord, que les déclarations trompeuses et les commentaires diffamatoires aient été prononcés à l'intérieur de ma circonscription ou hors de celle-ci, ces propos doivent néanmoins être pris en considération en ce qu'ils me touchent personnellement et ternissent de manière injuste ma réputation dans ma circonscription.
Ensuite, j'occupais à l'époque le rôle de chef de la loyale opposition de Sa Majesté. J'étais titulaire d'une charge officielle à la Chambre et j'assumais des responsabilités nationales, ce qui exige, selon moi, de la présidence qu'elle examine la question sous cet angle-là aussi. Le fait de ternir de manière injuste la réputation du chef d'un parti national a pour conséquence non seulement de nuire à la capacité de celui-ci de remplir son rôle de titulaire d'une charge politique officielle à la Chambre des communes, mais aussi d'affecter indirectement tous les collègues de caucus parlementaire que j'ai eu l'honneur de diriger.
Troisièmement, nous devons bien comprendre l'objectif de la campagne de représailles de Pékin. Pour le gouvernement communiste, le résultat idéal serait que ses critiques se censurent et ferment les yeux. En fin de compte, Pékin veut avoir un effet néfaste sur nos politiques publiques et sur les débats à la Chambre, un effet néfaste sur la démocratie parlementaire.
Au fond, l'objectif et les actions détaillées de Pékin contre le député de , moi-même et d'autres députés nuisent à la tenue d'un débat libre à la Chambre. Dans son premier rapport, présenté en avril 1977, le Comité spécial sur les droits et immunités des députés a expliqué l'importance de la liberté de parole au Parlement:
[…] un droit fondamental, sans lequel ils ne pourraient remplir convenablement leurs fonctions. Cette liberté leur permet d’intervenir sans crainte dans les débats de la Chambre, de traiter des sujets qu’ils jugent pertinents et de dire tout ce qui, à leur avis, doit être dit pour sauvegarder l’intérêt du pays et combler les aspirations de leurs électeurs.
C'est ce principe que la Chambre doit protéger, légitimer et défendre avec vigueur parce que c'est grâce à ce principe que nous avons une démocratie vigoureuse et que les représentants du peuple défendent les intérêts du peuple et non des intérêts particuliers.
Tantôt, j'ai cité une autorité pour soutenir que le volet du droit parlementaire qui nous préoccupe doit demeurer modulable afin de permettre à la Chambre de faire face aux nouvelles menaces. Cette interférence étrangère dans notre système politique, dans le but de mettre fin aux débats du Parlement, représente une situation inédite qui prend de l'expansion. Il faut y faire face et il faut défendre notre démocratie parlementaire.
Il est important pour moi de soulever cette question avant de terminer mon mandat à la Chambre des communes dans les semaines à venir. Il est également important pour moi, et pour nous tous, collectivement, de soulever cette question cruciale pour les Canadiens qui pourraient envisager de se présenter aux élections et de siéger à la Chambre. Nous ne pouvons plus ignorer cette ingérence et l’effet inhibiteur qu’elle aura sur la liberté d’expression et nos débats. Nous devons à la prochaine génération de députés, issus de tous les milieux, de toutes les cultures et de toutes les expériences, de pouvoir prendre leur place dans cette enceinte pour continuer à bâtir notre démocratie sans être gênés par des menaces, de l'intimidation ou des pressions.
Comme l’a fait remarquer mon collègue, le député de , les députés, et en particulier les députés de l’opposition, ne sont certainement pas des Canadiens ordinaires qui peuvent compter sur le gouvernement, le pouvoir exécutif, pour s’acquitter de son rôle de défenseur du royaume. Le problème ne vient pas des gens de nos agences de renseignement, qui sont fiers et travaillent dur, mais de l’aveuglement de certains éléments de ce gouvernement et de certains hauts fonctionnaires qui le conseillent. Depuis des années, le gouvernement passe d’une diversion à l’autre pour se dégager de la responsabilité de lutter contre cette ingérence étrangère, un fléau qui a porté atteinte aux privilèges de plusieurs députés. Les libéraux ferment volontairement les yeux devant les attaques contre notre démocratie parlementaire.
Je pourrais parler longuement de mon point de vue sur le Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignements visant les élections, le groupe de cinq hauts fonctionnaires, et faire état de l’inaction et de l’incompétence de ces structures, ainsi que la déception que m’a causée le rapport du rapporteur spécial, mais force est de reconnaître que je pourrais ainsi m’éloigner du débat. En outre, la Chambre et le pays tout entier connaissent de première main mon opinion sur le processus d’examen du rapporteur spécial, car lorsqu’il m’a rencontré, l’examen était en grande partie terminé. Il n’a même pas consulté un député qui, d'après nos services de renseignement, était ciblé par Pékin. Je dirai simplement qu’au lieu de restaurer la confiance dans nos institutions et le processus démocratique, l'apparence de conflit d’intérêts mettant en cause le rapporteur spécial, le mandat axé sur les résultats qui lui a été confié ainsi que le rapport final qui en a découlé ont en fait renforcé la méfiance et démontré une fois de plus la nécessité d’un examen indépendant.
Les discussions et l’enquête ne doivent pas attendre l’élection d’un gouvernement conservateur qui déciderait de nommer une commission d’enquête publique indépendante. Plus les retards seront longs, plus il y aura de fuites embarrassantes et de manchettes qui ne feront que continuer à éroder la confiance du public dans nos institutions et dans notre démocratie parlementaire. La Chambre des communes possède une fière histoire et elle a le devoir et la responsabilité de s’opposer aux attaques contre le privilège de tous les députés. À défaut de ce faire, elle étouffe la voix des représentants envoyés à Ottawa pour défendre l’intérêt des électeurs.
Alors, faisons-le pour les députés qui siègent dans cette Chambre, toutes allégeances confondues, et pour les Canadiens qui pourraient vouloir siéger à la Chambre à l’avenir. Cet effort commence avec vous, monsieur le Président, en votre qualité de défenseur de nos droits et privilèges. Si vous convenez avec moi, monsieur le Président, qu’il s’agit de prime abord d'un outrage, je suis prêt à présenter une motion appropriée au moment voulu.