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INST Rapport du Comité

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PRÉFACE

            Le Canada légifère dans le domaine de la concurrence et applique des lois antitrust depuis plus de 100 ans. Si les noms des lois ont changé plusieurs fois au cours des années1, chaque révision a permis de raffiner la législation et de produire un meilleur instrument de défense de l’intérêt public. Il a fallu combler les grandes lacunes de la Loi, car il est vite devenu manifeste dès les premières contestations que l’applicabilité de celle-ci était sérieusement limitée. Le Canada a été le premier pays industrialisé à adopter une loi antitrust (en 1889), mais, d’un point de vue pratique, il n’a pas tardé à prendre du retard par rapport à la plupart des pays industriels en matière de concurrence. Dans les années se situant entre 1889, date de la première loi, et 1986, date de la Loi maintenant en vigueur, le Canada ne pouvait se vanter d’être à l’avant-garde en matière de législation sur la concurrence; il y avait beaucoup à faire et cela est encore vrai pour un nombre limité de dossiers importants, s’il souhaite atteindre un si haut sommet.


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La première loi sur la concurrence Acte à l’effet de prévenir et de supprimer les coalitions formées pour gêner le commerce a été adoptée en 1889. Elle a été abrogée et remplacée en 1915 par une législation contre les coalitions. Cette nouvelle loi a été elle-même abrogée et remplacée par deux nouvelles lois : la Loi sur la commission de commerce et la Loi des coalitions et des prix raisonnables de 1919 considérées ultérieurement comme ultra vires. Ces lois ont été remplacées en 1923 par la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, elle-même abrogée, entièrement remaniée et remplacée par la Loi sur la concurrence de 1986.

            Le but premier de la législation, de la première à la dernière loi, demeure le même : réprimer les complots et les entraves monopolistiques au commerce (sauf celles découlant de lois fédérales et provinciales). Le Rapport intérimaire du Comité sur l’examen de la Loi sur la concurrence. (appelé ci-après Rapport intérimaire) revient sur les révisions apportées jusqu’ici. Dans le présent document, désireux de ne pas s’étendre sur l’aspect historique, le Comité partira de l’adoption de la Loi sur la concurrence et de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, en 1986 et, par souci de concision, nous ne rappellerons que les principales modifications à ces lois et les conditions économiques qui les ont suscitées.

            Pour commencer, le Comité observe cinq tendances économiques relativement récentes, qui sont de plus en plus généralisées dans la société d’aujourd’hui et qui, selon toute probabilité, ne peuvent être dissociées de l’économie du savoir que nous sommes en train de bâtir. Ce sont : 1) une nouvelle orientation des stratégies des sociétés qui recherchent un avantage concurrentiel en réalisant des économies d’échelle et de gamme et en s’orientant vers l’innovation; 2) une tendance à déstratifier les pyramides hiérarchiques en confiant des activités non essentielles à des entreprises distinctes et en forgeant des alliances stratégiques ou, autrement dit, en établissant des réseaux dans l’espoir d’accroître la productivité; 3) l’adoption de nouvelles technologies, surtout numériques, qui exigent des investissements de départ substantiels s’accompagnant de coûts unitaires marginaux nuls ou presque, susceptibles d’entraîner des politiques de tarification très dynamiques en cas d’essoufflement économique; 4) l’adoption de produits (par exemple de logiciels comme Microsoft Windows) qui peuvent devenir la norme d’une industrie, ce qui entraîne souvent des effets de réseau2 et peut mener à des niveaux inhabituellement élevés de concentration du marché (proche du monopole); et 5) l’internationalisation du commerce et de l’investissement dans le sillage des nouvelles technologies de transports et de communications, qui s’accompagnent d’une réduction des coûts, et de politiques publiques favorisant l’élimination des grandes barrières tarifaires s’opposant au commerce mondial. Chacun de ces nouveaux phénomènes a été un catalyseur des changements à la Loi sur la concurrence et à la Loi sur le Tribunal de la concurrence.


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L’effet de réseau ou économie de réseau fait référence à la valeur ajoutée qu’un individu adhérant déjà à un réseau commercial apporte à un service en y ajoutant des clients. Sur le modèle du réseau téléphonique, plus le nombre d’abonnés locaux est grand, plus chacun des abonnés est disposé à payer cher le service. Cette économie de réseau est souvent appelée externalité de réseau, car sa valeur est externe à l’entreprise, mais interne au secteur. Les autorités de réglementation du monde entier ont saisi et exploité cette externalité par des règlements obligatoires et implicites de tarification d’interfinancement.

            Cette évolution économique et les préoccupations en matière de concurrence qu’elle soulève sont peut-être les principales raisons des nombreux projets de loi du gouvernement et d’initiative parlementaire qui ont figuré au Feuilleton de la Chambre des communes. L’un des meilleurs baromètres du mécontentement public à l’égard de ce qui se passe sur les marchés est le nombre de projets de loi et de modifications législatives. Pour ce qui est de la Loi sur la concurrence et de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, il y a eu au cours des deux dernières années neuf projets de loi d’initiative parlementaire et deux projets de loi du gouvernement (projet de loi C-26 au cours de la 36e législature et projet de loi C-23 au cours de la 37e législature).

            Le Comité estime que l’apparition quasi simultanée de ces projets de loi et des tendances économiques que nous venons d’évoquer n’est pas le fruit du hasard; il y aurait là un lien de cause à effet. Par exemple, le réseau téléphonique local est l’exemple type d’une « économie de réseau ou d’une externalité de réseau ». La télévision par câble, les services de marchandises ferroviaires ou encore la distribution d’électricité et de gaz naturel appartiennent également à cette catégorie particulière, tout comme les transports aériens, qui viennent de faire l’objet d’une déréglementation. Certaines des technologies utilisées par les sociétés aériennes affichent également des coûts unitaires marginaux très faibles par rapport aux coûts globaux. De longue date, on réglemente ces cas de « monopole naturel » ou quasi naturel. Depuis la fin des années 80, toutefois, les services aériens, les services de marchandises ferroviaires, ainsi que les communications téléphoniques interurbaines et internationales, ont été déréglementés en partie, car, du fait de l’évolution de la technologie, ils ne constituent plus des monopoles naturels. Seule la déréglementation des services aériens a prêté à la controverse. Le marché canadien de taille relativement petite et le maintien par le gouvernement fédéral des restrictions sur la propriété étrangère dans le domaine de l’exploitation des services aériens ont produit un marché fortement concentré, ce qui a mécontenté le public et les candidats potentiels dans le secteur. Le projet de loi C-26, adopté en 2000, pendant la 36e législature, visait à régler le problème après l’échec des Lignes aériennes Canadien International et leur fusion avec Air Canada. C’est la disparition de nombreuses petites sociétés aériennes au cours des quelques dernières années (Royal Airlines, Greyhound Airlines, Canjet, Canada 3000) et la domination pure et simple d’Air Canada sur le marché canadien qui ont suscité la présentation d’un amendement au projet de loi C-23. Cet amendement donnerait au Tribunal de la concurrence le pouvoir d’infliger une pénalité d’ordre administratif allant jusqu’à 15 millions de dollars à un transporteur aérien déclaré coupable d’abus de position dominante. Ainsi, le gouvernement abandonne son approche traditionnelle, qui consiste à donner aux autorités de réglementation du secteur les pouvoirs nécessaires pour contrôler directement ces aspects des comportements concurrentiels. Le gouvernement a préféré établir « des règles particulières pour des secteurs distincts », ce qui remet en question l’affirmation selon laquelle la Loi sur la concurrence est une loi cadre, sous prétexte que ce secteur est de juridiction fédérale pour ce qui est de la réglementation.

            Le projet de loi C-23 porte sur l’internationalisation croissante du commerce, de deux façons importantes. Tout d’abord, il facilite la coopération entre le Bureau de la concurrence et les autorités étrangères dans l’application des règles civiles en matière de concurrence, maintenant que les pratiques monopolistiques peuvent transcender les frontières nationales. En second lieu, le Comité a amendé le projet de loi pour donner aux intérêts privés accès au Tribunal de la concurrence en cas de litige sur un certain nombre de pratiques commerciales considérées comme pouvant faire l’objet d’un examen au civil en vertu des lois. L’amendement devrait rassurer un grand nombre de petites et moyennes entreprises forcées d’affronter des grandes multinationales cherchant à abuser de leur position dominante.

            En fin de compte, l’innovation croissante dans la plupart des secteurs de l’économie exige une résolution plus rapide des différends entre les intérêts privés et le Bureau, lorsqu’il y a controverse sur la concurrence. Le projet de loi C-23 répond à cette exigence en permettant de rationaliser les processus administratifs du Tribunal, par des attributions de dépens, des dispositions sommaires et des renvois.

            Le projet de loi C-23 constitue un premier pas important dans la consolidation de la Loi sur la concurrence. Il faudra toutefois faire plus. L’industrie et les experts de la concurrence déplorent que la Loi ait une portée trop grande dans certains domaines antitrust, et pas assez dans d’autres. Son champ d’application serait trop large par exemple du fait qu’elle ne fait pas la distinction entre une alliance stratégique et un complot visant à relever les prix au détriment du public, ce qui a pour effet de freiner certaines initiatives rentables et peu nuisibles du point de vue de la concurrence que le milieu des affaires aurait prises autrement (malgré la publication par le Bureau d’un bulletin intitulé Les Alliances stratégiques en vertu de la Loi sur la concurrence). On suppose généralement qu’une alliance stratégique est préférable à une fusion complète, pour obtenir la collaboration de sociétés rivales ayant des compétences essentielles distinctes. L’exemple classique d’une portée trop petite se trouve dans le terme « indûment » dans l’article 45 de la Loi — qui porte sur les complots —, lequel gêne l’obtention d’une condamnation dans un cas contesté; cela est vrai même lorsque l’affaire constitue finalement un véritable cartel n’ayant aucune valeur sociale en compensation.

            Qui plus est, un nombre croissant d’intervenants estiment que le Code criminel ne peut guère faire la distinction entre le comportement anticoncurrentiel et les comportements proconcurrentiels parfaitement légitimes, lorsqu’il s’agit de discrimination par les prix, d’établissement de prix abusifs et de maintien des prix à la verticale. Il y a lieu de réfléchir à un éventuel transfert de ces dispositions de tarification du côté de la Loi pouvant faire l’objet d’un examen au civil. Les questions de ressources du Bureau de la concurrence, notamment les seuils pour l’examen des fusions, sont également préoccupantes, tout comme les procédés et les pouvoirs du Tribunal de la concurrence. Le présent rapport a pour objet de trouver une solution à ces questions.