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INST Rapport du Comité

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INTRODUCTION

       La première loi sur la concurrence canadienne est née de l’aversion du public pour certaines coalitions ou associations d’intérêts formées à la veille du XXe siècle. Toutefois, comme l’histoire l’a démontré, les grosses sociétés issues de fusions et d’acquisitions d’entreprises oeuvrant dans des domaines connexes représentaient pour la plupart une réaction organisationnelle à l’innovation dans les produits et les méthodes, qui s’est traduite par d’énormes économies d’échelle. Ce sont ces économies d’échelle qui ont inspiré de nouvelles stratégies fondées sur des investissements massifs en capital physique et l’engagement vis-à-vis de la création d’activités intégrées faisant appel, en amont, à des matières premières clés et, en aval, à des réseaux de commercialisation et de distribution. Et ce n’est qu’alors que les stratégies ont pu être mises à exécution, à la faveur de l’ouverture de marchés plus lointains et du développement des réseaux télégraphiques et ferroviaires intégrés.

       Malheureusement, la médaille avait un revers. Les avantages sans précédent pour ce qui est des coûts qu’en ont tirés les grandes entreprises ont fait disparaître un grand nombre de petits commerçants. C’est ainsi que la première loi antitrust au monde, la loi canadienne Acte à l’effet de prévenir et de supprimer les coalitions formées pour gêner le commerce, a été adoptée dans le but de rassurer la population à deux égards : tout d’abord, cette transformation industrielle devait se faire de façon ordonnée, c’est-à-dire que seuls les canards boiteux seraient évincés et les petits commerçants compétents seraient protégés des agissements abusifs; ensuite, les bénéficiaires de ces changements technologiques et organisationnels seraient en définitive les consommateurs. La législation antitrust initiale, ainsi que les trois lois qui lui ont fait suite, visaient trois cibles : les collusions ayant pour but de hausser les prix; les fusions et acquisitions à caractère monopolistique; les politiques d’éviction et les agissements abusifs d’une entreprise dominante visant à nuire aux rivaux de plus petite taille, à les contrôler ou à les évincer.

       La version moderne de cette législation, ayant aujourd’hui pour titre Loi sur la concurrence, est un instrument économique bien conçu pour préserver et favoriser le jeu de la concurrence. C’est une loi d’application générale, puisqu’elle vise également tous les secteurs d’activité (sauf ceux visés par une exemption aux termes de la législation fédérale ou provinciale) et ne favorise les intérêts d’aucun concurrent ni d’aucune catégorie de concurrents. La Loi sur la concurrence, le Bureau de la concurrence et le Tribunal de la concurrence ont complété le processus concurrentiel en produisant un climat économique dans lequel les infractions sont l’exception plutôt que la règle. Pour ce faire, ils ont :

établi une vaste structure destinée à maintenir la concurrence, fixant ainsi les règles du jeu;
assuré la plus grande diffusion possible des lignes directrices de l’organisme d’application de la Loi, le Bureau de la concurrence, auprès du milieu des affaires de manière à faire connaître les règles à tous les intervenants;
permis au Bureau de remplir son rôle de promoteur de la concurrence lors de nombreuses audiences de réglementation et autres activités publiques afin de permettre l'élargissement de la portée des règles;
veillé judicieusement au respect des nombreuses dispositions de la Loi sous la surveillance de l’arbitre, le Tribunal de la concurrence, pour que l’arbitrage soit conforme aux règles.

       En cette amorce de XXIe siècle, la situation semble analogue à celle qui a caractérisé le début du siècle dernier. L’innovation est de nouveau le moteur du changement, mais il s’agit moins cette fois-ci d’avantages que les économies d’échelle et de gamme découlant de nouveaux investissements en capital physique apportent sur le plan des coûts que d’avantages intellectuels découlant du savoir ou du « capital humain ». Plutôt que d’exploiter la taille et l’envergure d’une entreprise, autrement dit les gains d’efficience provenant d’une direction centralisée d’une hiérarchie industrielle, le monde des affaires s’attache à ne pas gaspiller ses ressources et à faire preuve de dynamisme. De nombreuses firmes modernes créent des entreprises dérivées pour assumer leurs activités non essentielles tout en tissant des réseaux commerciaux toujours plus vastes. Cette structure organisationnelle, fondée sur des équipes de travail autonomes, hautement spécialisées et interdisciplinaires, permet de recentrer l’entreprise en cet « âge de l’information » qui fait fond sur la créativité de la main-d’œuvre. Les entreprises misent aussi sur l’accroissement de la productivité par le truchement d’une stratégie axée sur l’avantage concurrentiel au chapitre de la création. Parce que cette évolution des entreprises s’ajoute à des innovations (conteneurisation dans les transports et larges bandes numérisées dans les télécommunications avec et sans fil) ainsi qu’à la plus grande libéralisation des échanges et la déréglementation accrue des secteurs, le paysage commercial devient plus planétaire que national.

       Les nouveaux modèles dont s’inspirent les compagnies aujourd’hui (production juste à temps et format géant) exercent d’énormes pressions sur les petites et moyennes entreprises qui ont du mal à s’ajuster. Et c’est ainsi qu’apparaissent une fois encore de nouveaux points de tension et de fracture dans le cadre de la politique de la concurrence. Même si la Loi sur la concurrence est une mesure législative qui tient compte de la pensée économique contemporaine et fournit une approche équilibrée en matière d’application de la Loi, il semble qu’elle puisse gagner en efficacité, dans certains domaines, et en efficience, lorsqu’elle est déjà tout à fait efficace. Il convient donc de modifier certaines dispositions de la Loi sur la concurrence et méthodes administratives du Tribunal de la concurrence.

       Le Comité a proposé des moyens d’instaurer un régime juridique en matière de concurrence à la fois moderne et efficace dans son Rapport intérimaire. Nous avons abordé, entre autres questions, le droit privé d’action pour certaines affaires susceptibles d’examen au civil comme le refus de vendre (article 75), l’exclusivité, les ventes liées et la limitation du marché (article 77) ainsi que le prix à la livraison (article 80). Après que le Forum des politiques publiques ait constaté un consensus favorable (sous réserve de mesures adéquates contre les procès frivoles ou vexatoires), le Comité a amendé le projet de loi C-23 à l’égard de ces droits (sauf l’article 80). Il a fallu également des amendements corrélatifs. Le Comité a par ailleurs modifié l’article 75 par adjonction d’un critère sur les « effets nuisibles pour la concurrence », qui éliminerait la tentation de litiges commerciaux frivoles, étant donné que le commissaire ne serait plus le gardien de ces dispositions1.


1 En règle générale, le critère des « effets sur la concurrence » qu’utilise la Loi revient à une « réduction substantielle de la concurrence ». L’article 75 définit néanmoins les « effets nuisant à la concurrence ». La signification de « réduction substantielle de la concurrence » a été précisée dans une certaine mesure au fil des interprétations juridiques et celle des « effets nocifs sur la concurrence » devra être également clarifiée. La description des « effets nocifs » à l’article 75 doit permettre aux PME de bénéficier des recours au nouveau régime d’accès privé. Pour une entreprise ayant une faible part de marché, un refus de vendre pourrait ne pas « réduire substantiellement la concurrence », mais y nuire. L’obligation de démontrer une « réduction substantielle de la concurrence » sur le marché aura probablement pour effet de décourager les poursuites à titre privé sauf dans les affaires les plus importantes.

       L’intervention du Comité ne s’arrêtera pas là; nous aimerions que le présent document constitue le plan directeur d’un livre blanc du gouvernement, qui amorcera la prochaine vague de modifications à la Loi sur la concurrence et à la Loi sur le Tribunal de la concurrence. Nous signalons les articles à remanier dans les deux lois ainsi que les enjeux liés aux possibilités avancées. Une fois ces possibilités de réforme clarifiées, le Comité les évaluera, cherchera à établir un consensus entre les divers intervenants et recommandera un plan d’action; il fournira peut-être aussi un calendrier de réforme. Dans la mesure du possible, il expliquera de façon détaillée la démarche qu’il aura suivie pour en arriver à certaines préférences, car la transparence est à ses yeux un ingrédient essentiel en matière de réforme sur des questions complexes relatives à la politique de la concurrence et intéressant des intervenants variés.

       Même si le Comité est loin de s’imaginer qu’une seule combinaison de réformes est possible ou souhaitable, nous signalons au lecteur et au décideur que les recommandations proposées visent des trains de réformes parmi lesquels il est difficile de choisir étant donné la complexité des corrélations entre les différents articles de la Loi sur la concurrence. Toute tentative visant à retenir des recommandations de manière à forger un cadre de concurrence ou une stratégie en la matière qui soient différents n’est pas sans conséquences.

       Le présent rapport est divisé en plusieurs chapitres. Le premier est consacré au contexte historique de la politique et du droit en matière de concurrence et aux principaux facteurs économiques, décrits dans la présente introduction, qui compliquent le cadre actuel de la concurrence au Canada. Il s’articule autour de trois axes. Nous abordons tout d’abord le rôle que le droit de la concurrence devrait jouer d’après notre compréhension des rouages de la concurrence et de l’incidence des politiques publiques complémentaires. Si nous saisissons l’interaction entre ces influences, nous sommes en mesure d’établir quel devrait être ce rôle au Canada. En second lieu, nous analysons les différentes modalités du droit de la concurrence, qui relèvent du droit pénal et du droit civil, et proposons une stratégie d’application optimale pour une économie ouverte de taille moyenne comme la nôtre. Enfin, nous débattons des avantages d’une loi cadre par opposition à des « dispositions spéciales pour des secteurs spéciaux » et nous nous prononçons en faveur d’un retour à la loi cadre, sous réserve d’un élargissement des pouvoirs d’application généraux.

       Au chapitre 2, le Comité fait le point sur la concurrence et l’application de la législation pertinente au Canada. Dans notre analyse sur l’influence de la seconde sur la première, nous faisons la distinction entre l’éventail d’instruments, de lignes directrices et de ressources dont dispose le Bureau pour ce qui est de l’application de la Loi et l’autonomie et les structures redditionnelles du commissaire. Nous évaluons également le rôle du Tribunal et des tribunaux, la structure des effets dissuasifs des amendes et de l’emprisonnement, ainsi que les possibilités qu’offrira probablement le droit privé d’action. Au chapitre 3, le Comité se penche sur le Tribunal de la concurrence et ses modes de prise de décision.

       Aux chapitres 4, 5, 6 et 7, le Comité analyse les grandes dispositions de la Loi sur la concurrence, notamment les complots, les pratiques de prix anticoncurrentiels, les agissements constituant des abus de position dominante et l’examen de fusion. Dans chacun, nous évaluons la portée économique de la Loi, les avantages et le bien-fondé de l’insertion de ces pratiques soit dans les sections de la Loi relevant du droit pénal soit dans celles relevant du droit civil, des éléments de fond de chaque disposition et l’administration du Bureau. Nous cernons les points litigieux, avant de les évaluer de façon approfondie à la lumière des impératifs économiques d’aujourd’hui. Le Comité proposera des réformes pour lesquelles un consensus peut être dégagé; autrement, il recommandera une poursuite de l’étude.

       Au chapitre 8, le Comité aborde une question importante, malgré sa portée étroite : l’application de la disposition sur le refus de vendre (article 75) dans le secteur de l’essence au détail. Celui-ci comporte des problèmes particuliers en matière de concurrence, car les détaillants indépendants sont nécessairement tributaires des gros producteurs, intégrés verticalement, qui à la fois les approvisionnent et leur font concurrence. Un gros producteur verticalement intégré pourrait-il restreindre la concurrence en s’abstenant de fournir son produit à un détaillant indépendant concurrent, lors d’une pénurie générale? Et, dans l’affirmative, comment la Loi sur la concurrence s’appliquerait-elle? Il est nécessaire d’apporter des réponses à ces questions, car elles pourraient aussi avoir des conséquences sur d’autres secteurs de l’économie canadienne où l’intégration verticale est aussi une caractéristique. Enfin, dans sa conclusion, le Comité résume ses recommandations visant le cadre de la politique relative à la concurrence.


J’encourage le Comité à relever le défi et à dresser un plan plus ambitieux de modernisation de la loi […]. J’espère que ce plan serait le point de départ d'un Livre blanc […] qui ouvrirait la prochaine ronde de modifications. [Paul Crampton, Davies, Ward, Phillips &Vineberg, 59:11:15]







Je pense donc qu’il vous faut […] modifier la loi afin qu’elle soit plus efficace face aux comportements anticoncurrentiels ainsi que pour contrer l’effet de refroidissement qu’exerce […] la loi sur une vaste gamme de comportements proconcurrence, qu’il s’agisse des pratiques de prix […], de coopération horizontale, qui, dans la grande majorité des cas favorise la concurrence dès lors que vous sortez de cette catégorie limitée de comportement criminel de cartel. [Paul Crampton, Davies, Ward, Phillips &Vineberg, 59:12:45]


Je pense que la scission en deux volets, infraction pénale contre infraction civile, à l’article 45, s’impose. […] La raison l’impose. [Jeffrey Church, Université de Calgary, 59:10:55]









[…] la difficulté avec la réforme de l’article 45 n’est pas tant qu’il y a désaccord quant au mal des cartels purs et durs. La difficulté est de savoir si vous pouvez inscrire dans la loi une définition qui ne soit pas trop inclusive. [Neil Campbell, McMillan Binch, 59:12:55]







Pourquoi n’avons-nous pas au Canada une affaire Microsoft? Dix-sept États américains, le gouvernement fédéral des États-Unis et l’Europe ont tous examiné cela. Personne ne prétend que l’incidence […] [est différente]. […] la réponse[est que] nous ne disposons pas des fonds nécessaires pour engager une telle action pour pratiques abusives ici au Canada. [Robert Russell, Borden, Ladner & Gervais, 59:09:50







Ma propre interprétation de ce que le bureau a […] rapporté relativement au dossier des fusions est qu’il […] est assez bien financé en la matière. Les frais aux usagers lui ont assuré des fonds. [Neil Campbell, McMillan Binch, 59:12:35]













Sur le plan de […] l’application, votre comité pourrait agir dans trois domaines. Il y a cette question de financement […]. Il y a aussi celle des mécanismes de contrôle alternatif, comme les recours privés. […] le recours privé, dans les infractions civiles, aiderait beaucoup le Bureau en le soulageant d’une partie de sa charge de travail. […] L’autre plan d’action serait une réforme radicale de la procédure du Tribunal. [Margaret Sanderson, Charles River Associates, 59:11:20]










[…] il y a eu une tendance visant à décrire les actions d'initiative privée comme étant des moyens d'aider le commissaire, de mettre davantage de ressources dans sa poche et de faire une partie de son travail […], mais ce n'est pas ainsi que je vois les choses en fait. […] il convient de considérer les actions privées dans un contexte beaucoup plus vaste, [comme] une façon d’élargir la portée des affaires en matière de concurrence. […] ce qui devrait alimenter une jurisprudence beaucoup plus riche dans laquelle puiser. [Roger Ware, Université Queen’s, 59:11:35]







[I]l y a un thème qui mijote et selon lequel la jurisprudence est tout simplement intrinsèquement bonne et qu’il faudrait en avoir beaucoup. Cela me préoccupe, car c’est une façon très coûteuse de faire des lois, comparativement à la législation qui est façonnée par voie de règlements ou de lignes directrices, qui comporte des imperfections mais qui peut également dans de nombreux domaines jouer un rôle beaucoup plus efficient et rapide. La vraie question […] comment faire pour veiller à avoir des décisions en matière d'application de la Loi sur la concurrence qui soient bonnes et saines du point de vue économique? [Neil Campbell, McMillan Binch, 59:12:15]










L’innovation est beaucoup plus rapide. Les transactions se font en l’espace de quelques nanosecondes, comparativement aux contrats d’antan écrits à la plume sur parchemin. Le rythme du marché est aujourd’hui si rapide que le défi posé aux organismes d’application de la loi est extrêmement difficile. [George Addy, Osler, Hoskin & Harcourt, 59:12:00]







[I]l serait très utile que votre rapport final se prononce fermement en faveur du principe que la Loi sur la concurrence, en tant que loi cadre, ne devrait pas être élargie afin d’y insérer tout un méli-mélo de modifications spécifiques à certains secteurs. [Paul Crampton, Davies, Ward, Phillips & Vineberg, 59:11:15]