SRID Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Sous-comité des droits de la personne et du développement international du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 25 mars 2003
¹ | 1555 |
Le président (M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.)) |
M. John Schram (haut-commissaire canadien au Zimbabwe, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international) |
M. John Schram |
Le président |
M. John McNee (sous-ministre adjoint, Afrique et Moyen-Orient, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international) |
º | 1600 |
Le président |
M. John Schram |
º | 1605 |
º | 1610 |
Le président |
M. Ernest Loevinsohn (directeur général, programme de lutte contre la faim, la malnutrition et la maladie, Agence canadienne de développement international) |
º | 1615 |
Le président |
M. Michel Lemelin (directeur régional, programme de l'Afrique australe, direction générale de l'Afrique et du Moyen-Orient, Agence canadienne de développement international) |
º | 1625 |
Le président |
M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne) |
M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne) |
M. John McNee |
º | 1630 |
M. Keith Martin |
M. John McNee |
M. Ernest Loevinsohn |
Le président |
M. Yves Rocheleau (Trois-Rivières, BQ) |
º | 1635 |
M. John McNee |
M. John Schram |
º | 1640 |
Le président |
Mme Karen Kraft Sloan |
Le président |
Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.) |
M. John McNee |
M. Michel Lemelin |
Mme Colleen Beaumier |
º | 1645 |
M. John McNee |
Mme Colleen Beaumier |
M. Michel Lemelin |
Mme Colleen Beaumier |
M. Michel Lemelin |
Mme Colleen Beaumier |
Le président |
M. Svend Robinson (Burnaby—Douglas, NPD) |
º | 1650 |
Le président |
M. John McNee |
M. John Schram |
Le président |
Mme Beth Phinney (Hamilton Mountain, Lib.) |
M. Michel Lemelin |
º | 1655 |
Mme Beth Phinney |
Le président |
Mme Beth Phinney |
M. Michel Lemelin |
Mme Beth Phinney |
M. Michel Lemelin |
Mme Beth Phinney |
M. Michel Lemelin |
Mme Beth Phinney |
M. Michel Lemelin |
Mme Beth Phinney |
M. Michel Lemelin |
Mme Beth Phinney |
M. Michel Lemelin |
Mme Beth Phinney |
M. Michel Lemelin |
Mme Beth Phinney |
M. Michel Lemelin |
Mme Beth Phinney |
M. John McNee |
Mme Beth Phinney |
M. John McNee |
M. Ernest Loevinsohn |
Mme Beth Phinney |
M. Ernest Loevinsohn |
Mme Beth Phinney |
Le président |
M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC) |
M. John Schram |
» | 1700 |
M. Bill Casey |
M. John Schram |
M. Bill Casey |
M. John Schram |
M. Bill Casey |
M. John Schram |
M. Bill Casey |
M. John Schram |
M. Bill Casey |
M. John Schram |
M. Bill Casey |
M. John Schram |
M. Bill Casey |
M. Ernest Loevinsohn |
M. Bill Casey |
M. Ernest Loevinsohn |
Le président |
M. Bill Casey |
Le président |
Mme Karen Kraft Sloan |
» | 1705 |
M. John McNee |
Mme Karen Kraft Sloan |
M. Michel Lemelin |
Mme Karen Kraft Sloan |
M. John McNee |
Mme Karen Kraft Sloan |
Le président |
» | 1710 |
M. Alex Neve (secrétaire général, section canadienne anglophone, Amnistie internationale (Canada)) |
» | 1715 |
» | 1720 |
Le président |
M. Alex Neve |
Le président |
M. A. John Watson (président, CARE Canada) |
» | 1725 |
» | 1730 |
Le président |
M. Yves Rocheleau |
» | 1735 |
M. Alex Neve |
Le président |
M. John Watson |
Le président |
M. Bill Casey |
M. Alex Neve |
M. Bill Casey |
M. Alex Neve |
» | 1740 |
M. Bill Casey |
M. Alex Neve |
M. Bill Casey |
Le président |
Mme Karen Kraft Sloan |
M. John Watson |
Mme Karen Kraft Sloan |
M. John Watson |
» | 1745 |
Mme Karen Kraft Sloan |
M. John Watson |
Mme Karen Kraft Sloan |
M. John Watson |
Mme Karen Kraft Sloan |
M. John Watson |
Mme Karen Kraft Sloan |
M. John Watson |
» | 1750 |
Mme Karen Kraft Sloan |
Le président |
Mme Karen Kraft Sloan |
M. Alex Neve |
Mme Karen Kraft Sloan |
M. Alex Neve |
Mme Karen Kraft Sloan |
Le président |
CANADA
Sous-comité des droits de la personne et du développement international du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international |
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l |
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l |
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 25 mars 2003
[Enregistrement électronique]
¹ (1555)
[Traduction]
Le président (M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.)): Je vous souhaite à tous la bienvenue à cette séance consacrée à la question urgente de la catastrophe humanitaire dans les États africains.
Au cours de nos trois prochaines réunions, nous nous pencherons sur cette crise humanitaire. Aujourd'hui, nous examinons la situation du Zimbabwe. La semaine prochaine, le 1er avril, nous nous réunirons avec le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international qui accueillera Stephen Lewis pour discuter du problème du VIH/SIDA en Afrique. Ensuite, le 8 avril, le secrétaire d'État pour l'Afrique, Denis Paradis, viendra faire un exposé sur la situation politique et humanitaire générale de l'Afrique.
Voilà donc le plan de travail jusqu'à la pause de Pâques.
Je regrette que la séance d'aujourd'hui ait été un peu retardée par une série de votes, notamment un vote sur le budget. Cela dit, cette audience se tient à un moment très opportun parce que la situation est très urgente. De fait, comme d'autres membres du Comité, je suppose, j'ai reçu une série de communiqués, de l'intérieur et de l'extérieur du Zimbabwe, qui sont de véritables cris du coeur--l'opposition annonce une action de masse et le gouvernement s'exprime de manière assez inquiétante, Mugabe lui-même ayant prévenu le MDC, vendredi, que quiconque joue avec le feu risque non seulement de se brûler mais aussi d'être incinéré; en outre, des ONG de l'intérieur et de l'extérieur du Zimbabwe disent que la situation est explosive. Je suppose que nous obtiendrons des détails sur ces questions aujourd'hui.
J'ai donc le grand plaisir d'accueillir nos premiers, témoins notamment le haut-commissaire du Canada au Zimbabwe, M. John Schram.
Il est heureux que votre présence au Canada nous permette de vous accueillir.
Nous souhaitons aussi la bienvenue à John McNee, sous-ministre adjoint pour l'Afrique et le Moyen-Orient.
Je présenterai les témoins de l'ACDI au moment voulu car nous allons immédiatement donner la parole à l'ambassadeur Schram.
M. John Schram (haut-commissaire canadien au Zimbabwe, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Puis-je d'abord laisser la parole à mon patron, monsieur le président.? Je ne voudrais pas lui faire de l'ombre car je risquerais d'être congédié sur-le-champ.
Des voix: Oh!
M. John Schram: Vous me faites un grand honneur mais ça risquerait de ne pas durer longtemps.
Le président: Je suivais simplement la liste des témoins qui figure sur la convocation de la séance.
M. John McNee (sous-ministre adjoint, Afrique et Moyen-Orient, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Merci, monsieur le président, de m'avoir invité à comparaître devant le comité.
Le secrétaire d'État pour l'Afrique, l'honorable Denis Paradis, s'est exprimé devant votre comité il y a un an au sujet de la situation du Zimbabwe. Nous aurions espéré pouvoir vous dire aujourd'hui que cette situation s'est améliorée mais, hélas, elle s'est détériorée au cours des dernières années et elle reste très mauvaise pour ce qui est des droits de la personne.
Le gouvernement du Zimbabwe continue de bafouer les principes de la Déclaration universelle des droits de l'homme et des autres textes internationaux sur les droits humains, notamment les principes de Harare formulés par le Commonwealth en 1991. Il semble que la plupart des infractions aux droits humains soient parrainés, encouragés ou approuvés par des cadres du ZANU et des hauts fonctionnaires proches du président Mugabe.
Nous sommes profondément troublés par la persistance des actes de violence, de harcèlement et d'intimidation ordonnés ou tolérés par l'État, qui sont dirigés contre les membres des partis et des mouvements d'opposition et contre ceux qui sont soupçonnés de les appuyer, y compris des représentants de la société civile et des médias indépendants. De fait, la situation n'a fait que se détériorer ces dernières années.
Des lois répressives, dont beaucoup ont été adoptées dans la période qui a entouré les élections présidentielles manipulées de mars 2002, servent aujourd'hui à entraver la liberté d'opinion, d'expression et d'association au Zimbabwe. L'application partisane de ces lois répressives a de graves incidences sur la liberté d'expression et d'association.
L'intervention du gouvernement zimbabwéen dans le fonctionnement de l'appareil judiciaire, notamment l'intimidation des juges, menace sérieusement de compromettre son indépendance. Le gouvernement s'est également soustrait aux décisions défavorables de tribunaux et a publiquement critiqué l'appareil judiciaire lorsque de telles décisions ont été rendues.
Le Canada a dénoncé et continuera à dénoncer ces infractions. Nous avons déjà pris un certain nombre de mesures punitives envers le Zimbabwe. Par exemple, nous avons révoqué en décembre 2000 son statut de pays pour lequel aucun visa n'est exigé; nous avons suspendu en 2001 son admissibilité à de futures transactions avec Exportation et développement Canada; nous avons imposé en 2001 l'interdiction de nouvelles initiatives de l'ACDI avec le gouvernement du Zimbabwe; nous avons reconfirmé la ligne directrice actuelle voulant que toute vente de matériel militaire au Zimbabwe soit interdite et avons suspendu la participation du Zimbabwe aux cours de formation aux opérations de maintien de la paix; et, le 14 mars, le premier ministre a annoncé le train de mesures que le Canada prendrait pour faire connaître son opinion sur la campagne électorale et les élections entachées d'irrégularités au Zimbabwe. Il a annoncé que tout le financement destiné au gouvernement serait retiré et que les membres de ce gouvernement ne seraient pas les bienvenus au Canada.
[Français]
Dans ses efforts pour améliorer la situation, le Canada a pris des mesures bilatérales, mais il s'efforce aussi de multiplier leurs effets en encourageant un consensus sur le Zimbabwe dans les tribunes multilatérales, et particulièrement les Nations Unies, y compris la Commission des droits de l'homme et le Commonwealth.
L'année passée, le Canada a également coparrainé une résolution de l'Union européenne sur la situation des droits de la personne au Zimbabwe, à la 58e de la Commission des droits de l'homme à Genève. La résolution, qui comprenait notre apport, a malheureusement fait l'objet d'une motion de non-intervention.
Le ministre a décidé de coparrainer encore une fois cette année, avec l'Union européenne, une résolution sur la situation des droits de la personne au Zimbabwe.
Nous exercions notre action au sein du Commonwealth même avant les élections présidentielles de l'année passée. En tant que membre du Groupe d'action ministériel du Commonwealth, le CMAG, le Canada a soulevé, aux réunions du groupe, la question de la détérioration de la règle de droit au Zimbabwe et y a dépêché des observateurs électoraux en mars de l'année passée.
Le même mois, le premier ministre a négocié au sein du Commonwealth un compromis qui a permis la création d'une troïka composée des leaders de l'Australie, du Nigeria et de l'Afrique du Sud. La troïka a suspendu la participation du Zimbabwe aux conseils du Commonwealth pour un an, pendant son examen des progrès accomplis par celui-ci en vue de restaurer la bonne gouvernance et la règle de droit. Grâce à ce compromis, on a évité une division entre les pays du Commonwealth qui s'étaient prononcés en faveur de l'expulsion du Zimbabwe et ceux qui voulaient qu'aucune mesure punitive, quelle qu'elle soit, ne soit prise à son égard.
º (1600)
[Traduction]
Le secrétaire général du Commonwealth a annoncé le 16 mars que la suspension du pays des conseils du Commonwealth serait maintenue jusqu'à la réunion des chefs de gouvernement de décembre 2003. Le Canada est satisfait de cette décision du Commonwealth puisque le gouvernement du Zimbabwe n'a rien fait depuis sa suspension pour justifier sa réintégration dans les conseils de l'organisation.
Dans un instant, le haut-commissaire vous donnera des informations plus détaillées sur la situation au Zimbabwe. Pour le moment, monsieur le président, permettez-moi de réitérer la position du gouvernement canadien. Le Canada considère que la crise actuelle au Zimbabwe est surtout attribuable à une carence de gouvernement, de développement démocratique et de politique économique viable. Notre réaction doit être ciblée et notre action doit être exercée en collaboration avec nos partenaires du Commonwealth, d'Afrique et d'autres régions, et nous devons veiller à ce que la société civile zimbabwéenne demeure capable de contribuer à restaurer la bonne gouvernance, la règle de droit et le respect des droits de tous les Zimbabwéens.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci.
Je donne maintenant la parole à l'ambassadeur Schram.
M. John Schram: Merci, monsieur le président.
Puis-je d'abord faire une remarque personnelle au sujet de l'importance que représente à mes yeux la possibilité, pour des gens comme moi, de participer à une audience comme celle-ci. En effet, quand on travaille sur le terrain, il est crucial de savoir qu'il y a ici des gens qui attachent beaucoup d'importance à ce qui se passe au Zimbabwe.
Comme John McNee vient de le dire, nous considérons que la situation actuelle des droits de la personne au Zimbabwe comporte plusieurs dimensions distinctes mais reliées. La première, c'est le rétrécissement de l'espace démocratique suite à l'adoption de lois répressives, et j'y reviendrai dans un instant.
La deuxième, c'est l'abus croissant des pouvoirs policiers ainsi que le recours des forces de sécurité et des milices paragouvernementales à la torture des opposants politiques ou des gens que l'on croit être des critiques du gouvernement et de ses politiques.
La troisième, ce sont les efforts déployés par certaines autorités locales et nationales du ZANU-PF pour utiliser la diminution des ressources alimentaires du gouvernement comme levier politique. Dans certains cas, ces efforts sont allés jusqu'à priver de nourriture des gens soupçonnés d'appuyer l'opposition.
Je reviens à la première question. Au cours des 14 derniers mois, des lois ont été adoptées qui, en partie à cause de leur application partisane par les forces de sécurité du Zimbabwe, limitent gravement la liberté d'expression, d'association et d'opinion dans le pays. Les plus importantes de ces lois sont la Public Order and Security Act (POSA), adoptée en janvier 2002, et l'Access to Information and Protection of Privacy Act (AIPPA), adoptée en mars 2002.
La POSA confère à la police de vastes pouvoirs d'arrestation et de saisie, impose de dures sanctions pour quiconque insulte le président ou suscite de l'hostilité à son égard, et autorise la police à interdire les réunions pour des raisons d'ordre public. Elle exige également que la police soit avertie de la tenue de toute réunion de plus de quatre personnes.
La police continue d'interdire la plupart des manifestations et réunions organisées par les politiciens d'opposition ou par des groupes de la société civile. Nous avons également lu que la POSA a servi ces dernières semaines à empêcher le MDC de mener campagne pour deux élections partielles dans des circonscriptions de la région de Harare.
L'Access to Information and Protection of Privacy Act (AIPPA) limite gravement les activités des journalistes étrangers, oblige les journalistes locaux à se faire accréditer par une commission sous contrôle gouvernemental, et criminalise la publication de fausses informations dans les médias. Comme vous pouvez l'imaginer, cette dernière disposition a servi à harceler des journalistes, des rédacteurs en chef et des directeurs de médias non gouvernementaux.
Au cours des trois derniers mois, nous avons constaté une augmentation troublante des mesures arbitraires d'arrestation, de détention, de privation de représentation juridique et d'autres violations des droits de la personne dirigées contre des députés, des partisans du MDC et des membres de la société civile considérés comme des critiques du gouvernement et de sa politique.
Voici à titre d'exemple ce que nous pouvions lire dans les journaux d'hier et d'aujourd'hui. Le 13 janvier, le maire MDC de Harare et plusieurs autres personnes ont été arrêtés en vertu de la POSA parce qu'ils tenaient une réunion purement factuelle avec des contribuables de Harare sur des questions de distribution d'eau. Ils ont été détenus dans des conditions déplorables puis relâchés, la Cour supérieure ayant statué que ces arrestations étaient injustifiées.
Le 14 janvier, un député du MDC, Job Sikhala, son avocat et trois autres personnes ont été arrêtés et tous disent avoir été battus et soumis à des chocs électriques.
Le jour de la Saint-Valentin puis à nouveau lors de la Journée internationale des femmes, des manifestants, presque tous des femmes, et des journalistes ont été arrêtés à Harare et à Bulawayo parce qu'ils tentaient d'organiser une marche contre la violence et la discrimination sexuelle.
Nous venons tout juste de lire dans les journaux que la police militaire et les bérets verts, comme on les appelle, viennent de mener une série de raids nocturnes dans les maisons de partisans du MDC. Je n'étais pas sur place mais les articles permettent de penser que des personnes ont été battues dans ce contexte.
Bien que l'appareil judiciaire zimbabwéen et le bureau du procureur général aient à l'occasion fait preuve d'un courage remarquable en refusant de juger des personnes arrêtées pour des motifs arbitraires ou manipulés, l'indépendance de la magistrature du Zimbabwe vient d'être sérieusement menacée.
º (1605)
Au cours de l'été 2002, le ministre de la Justice n'a tout simplement pas tenu compte d'une condamnation pour outrage au tribunal et la police zimbabwéenne a refusé d'exécuter un mandat d'arrestation à son sujet. Le juge qui l'avait condamné a ensuite été arrêté, après son départ à la retraite. Il a été tenu au secret et a été privé de nourriture pendant plus de deux jours.
Depuis lors, vous aurez pu lire qu'un autre juge qui avait rendu des décisions qui ne plaisaient pas au gouvernement a été arrêté de la même manière.
Le Canada souhaite évidemment que l'appareil judiciaire du Zimbabwe reste impartial et indépendant, notamment dans le procès actuel pour trahison de trois dirigeants du MDC que l'on accuse d'avoir comploté pour assassiner le président Mugabe. Mes collègues de la haute-commission et moi-même avons passé des heures au tribunal, et continuons de le faire, pour suivre cette affaire, en partie parce qu'elle comporte un volet canadien et parce que la question nous préoccupe. Plus important encore, cependant, nous le faisons pour que l'on sache que la communauté internationale surveille la situation de près, et je dois dire que la cour a jusqu'à présent agi avec une probité encourageante.
Le gouvernement du Canada a également répondu, dans toute la mesure permise par la loi canadienne, aux demandes de renseignements émanant de la défense. Nous n'avons jamais reçu de demande d'information ou d'aide des représentants de l'accusation.
Mes collègues de l'ACDI vous parleront des réactions canadiennes à la crise humanitaire actuelle. J'estime que les politiques du gouvernement du Zimbabwe à cet égard ont de profondes ramifications sur le plan des droits humains. À une époque où plus de la moitié de la population est menacée d'insécurité alimentaire, c'est l'accès aux ressources alimentaires et, en particulier, les efforts du gouvernement destinés à distribuer les ressources alimentaires sur une base partisane, qui suscitent le plus d'inquiétude immédiate en matière de droits humains.
Tous ces faits révèlent un mépris flagrant des objectifs du Commonwealth et du NEPAD. Mes collègues et moi-même avons profité de nombreuses occasions pour transmettre nos préoccupations au gouvernement. Des interventions concernant les droits de la personne, la bonne gouvernance et la politisation de l'aide alimentaire ont été faites lors de plusieurs réunions, même lorsque j'ai présenté mes lettres de créance, avec les deux vice-présidents et avec plusieurs ministres et gouverneurs. Je crois savoir que ces questions ont également été soulevées à plusieurs reprises auprès du haut-commissaire du Zimbabwe au Canada.
De plus, nous appuyons nos déclarations par des mesures concrètes prises dans le cadre de l'aide à la société civile pour faire face à la crise humanitaire, comme vous le diront nos collègues de l'ACDI. Nous essayons aussi d'encourager le dialogue politique, de promouvoir les droits de la personne et de renforcer un appareil judiciaire transparent, impartial et accessible en traitant non seulement avec le gouvernement mais aussi avec la société civile.
Dnas notre poste à Harare, nous continuerons à mettre en oeuvre une politique canadienne visant à favoriser le dialogue avec la société civile du Zimbabwe et à exercer des pressions sur le gouvernement pour l'exhorter à respecter ses propres garanties constitutionnelles de liberté politique et civile et de respect de la règle de droit.
Je vous remercie de votre attention, monsieur le président.
º (1610)
Le président: Merci, monsieur l'ambassadeur.
Je donne maintenant la parole à nos deux représentants de l'ACDI, Michel Lemelin et Ernest Loevinsohn, après quoi nous passerons à la période des questions.
M. Ernest Loevinsohn (directeur général, programme de lutte contre la faim, la malnutrition et la maladie, Agence canadienne de développement international): Je m'appelle Ernest Loevinsohn et je suis directeur général du Programme de lutte contre la faim, la malnutrition et la maladie, de l'ACDI.
À l'instar des autres pays d'Afrique australe, le Zimbabwe a été durement touché cette année par la sécheresse, les inondations et le bouleversement de son secteur agricole. On a constaté l'effondrement de certaines récoltes, une détérioration des services de santé et des services sociaux, ainsi qu'une dépendance accrue de près de 7 millions de personnes envers l'aide humanitaire. Les besoins humanitaires actuels sont exacerbés par la situation politique dont on vient de vous parler, ainsi que par la pauvreté fondamentale du pays, sans compter un taux élevé de prévalence du VIH, question clé sur laquelle je reviendrai.
Jadis qualifié de grenier de l'Afrique australe, le Zimbabwe fait aujourd'hui face à un déficit alimentaire. Moins de 30 p. 100 des terres arables sont cultivées. Le gouvernement a récemment déclaré l'état d'urgence dans le Matabeleland-Sud à cause de la sécheresse qui a sévi durant la période des semailles de l'an dernier. Les pays voisins s'attendent à des récoltes abondantes mais c'est loin d'être le cas pour le Zimbabwe.
En ce qui concerne l'intervention du Canada, l'ACDI a fourni l'an dernier plus de 14,2 millions de dollars par des mécanismes multilatéraux et non gouvernementaux. Nous avons notamment fourni 11 millions de dollars d'aide alimentaire par le truchement de partenaires tels que la Banque de céréales vivrières du Canada et le Programme alimentaire mondial des Nations Unies. Nous avons aussi versé 3,2 millions de dollars pour appuyer des projets de relance de l'agriculture, d'hygiène, d'adduction d'eau et d'assainissement.
Globalement, nous sommes le sixième plus grand donateur de l'opération d'urgence du Programme alimentaire mondial au Zimbabwe, ce qui nous place à un rang beaucoup plus élevé que notre rang comme fournisseur d'aide.
Depuis juin 2002, le PAM a reçu des engagements qui couvriront 84 p. 100 des besoins alimentaires totaux, et il nourrit actuellement quelque 4,7 millions de personnes. La réaction internationale a donc été positive.
Parmi les prestataires d'une aide alimentaire, en plus du PAM, mentionnons CARE, l'Aide à l'enfance et la Banque de céréales vivrières du Canada.
En revanche, l'impact de la sécheresse sur le secteur de la santé ne fait pas l'objet d'une réponse internationale équivalente. Or, le secteur de la santé est crucial dans un cas de famine et de sécheresse, partout au monde mais surtout au Zimbabwe où les événements politiques ont provoqué le départ de plus de 30 p. 100 du personnel médical qualifié. L'accès à des services tels que la vaccination s'est virtuellement effondré. La pandémie de VIH/SIDA n'a fait qu'aggraver un secteur déjà très fragile.
Autrement dit, nous nous trouvons dans une situation où la demande de services de santé augmente à cause du VIH/SIDA mais où les gens qui pourraient dispenser de tels services soit ont quitté le pays, soit souffrent eux-mêmes dans bien des cas du SIDA. Selon l'ONU, près d'un tiers de la population adulte du Zimbabwe est atteint du VIH.
Comme beaucoup d'entre vous le savez, la prestation d'aide humanitaire au Zimbabwe n'est pas chose facile. La sécurité alimentaire a été exacerbée par les politiques du gouvernement concernant par exemple le contrôle des prix, une réforme agraire aberrante et la corruption. Suite à ce processus dit accéléré de réforme agraire, plus d'un million de travailleurs agricoles se retrouvent sans revenu d'emploi.
Notre distingué haut-commissaire a fait allusion aux allégations d'aide alimentaire détournée ou perturbée dans les régions jugées être en opposition au gouvernement. Les stocks alimentaires du gouvernement sont distribués par les dépôts de l'Office de commercialisation des céréales, dans tout le pays, en fonction de critères d'admissibilité qui sont filtrés par des mécanismes politiques. Je tiens à souligner qu'aucune aide canadienne, en règle générale, ni aucune aide alimentaire de donateurs n'est acheminée par ces mécanismes gouvernementaux.
Dans une mesure beaucoup plus restreinte, les partisans du parti au pouvoir ont tenté de manipuler la distribution de l'aide financée par des donateurs tels que le Programme alimentaire mondial de l'ONU et des ONG. Dans tous les cas signalés, ces efforts ont été rapidement repérés et le PAM et ses organismes de mise en oeuvre ont vivement réagi.
L'ACDI et ses collègues donateurs du Zimbabwe restent préoccupés par la situation et continueront de surveiller attentivement la distribution de l'aide alimentaire du PAM pour veiller à ce qu'elle atteigne les personnes qui en ont le plus besoin. Au cours du prochain mois, nous nous attendons à recevoir les prévisions de récolte officielles ainsi que les données d'une enquête sur la nutrition. Cela devrait nous permettre d'évaluer les besoins d'aide humanitaire pour l'année à venir.
Étant donné l'imprévisibilité du gouvernement zimbabwéen, l'intervention humanitaire de l'an dernier a essentiellement été ponctuelle. Les donateurs envisagent de plus en plus une approche coordonnée pour la prochaine saison agricole. Notre collègue, le haut-commissaire Scram, et son personnel de Harare s'en occupent activement. Cela est particulièrement important pour la réaction d'urgence à la crise du secteur de la santé et du VIH/SIDA, question qui ne relève toutefois pas de notre programmation d'urgence.
Merci, monsieur le président.
º (1615)
Le président: Merci, monsieur Loevinsohn.
Michel Lemelin.
M. Michel Lemelin (directeur régional, programme de l'Afrique australe, direction générale de l'Afrique et du Moyen-Orient, Agence canadienne de développement international): Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant votre comité pour vous dire comment notre aide au développement peut continuer et en quoi ce programme est nécessaire compte tenu de la situation difficile que viennent de décrire mes collègues du MAECI et de l'ACDI.
Le programme de développement canadien en faveur du Zimbabwe existe depuis 1961. Depuis quelques années, l'action de l'ACDI dans ce pays est axée sur les grands domaines suivants: le VIH/SIDA, l'environnement, les droits de la personne, la démocratie et la bonne gouvernance.
Depuis 1998, nous avons graduellement réorienté nos activités et nous nous appuyons de moins en moins sur le gouvernement et de plus en plus sur les organisations de la société civile. Ce changement de cap tient au fait que ces groupes ont fait la preuve qu'ils peuvent jouer un rôle de plus en plus important dans le développement de leur pays. Par rapport à la plupart des autres pays de la région, le Zimbabwe est doté d'une société civile bien développée, riche en ressources humaines.
Comme vous le savez, le gouvernement du Canada, constatant l'affaiblissement de la règle de droit, a décidé en mai 2001 que l'ACDI ne lancerait pas de nouvelles initiatives avec les ministères du Zimbabwe.
En mars 2002, le premier ministre Jean Chrétien a publié une déclaration, suite à l'élection présidentielle manipulée, pour annoncer que le Canada avait annulé tout financement direct destiné au gouvernement du Zimbabwe. Bien que ces mesures aient entraîné la fermeture ou la suspension d'un certain nombre de projets, nous avons pu maintenir un programme bilatéral substantiel bénéficiant directement à la population du Zimbabwe, par l'intermédiaire de la société civile, sans passer par le gouvernement du pays.
Je suis sûr que vous conviendrez avec moi que les mesures annoncées par le gouvernement du Canada visaient à promouvoir l'amélioration de la gouvernance et le respect des droits humains au Zimbabwe, et non pas à pénaliser la population locale. En réponse à la crise continue que connaît le pays, il est essentiel que le Canada continue d'apporter son aide à la population du Zimbabwe, victime innocente du régime.
Dans la situation actuelle, la méthode la plus adéquate et la plus efficace pour aider cette population est de passer par des partenaires transparents et responsables de la société civile zimbabwéenne, par les ONG internationales et par les agences de l'ONU. Par exemple, la société civile s'est proposée pour assurer la prestation de services fondamentaux à la population du Zimbabwe dans des secteurs tels que la santé et l'éducation, alors que le rôle que jouait antérieurement le gouvernement a progressivement diminué.
Plus que jamais, les organisations de la société civile ont besoin de notre appui pour maintenir la pression nécessaire au changement social et pour tenter de responsabiliser le gouvernement.
Cette stratégie s'est avérée fructueuse contre l'apartheid en Afrique du Sud, alors que l'appui du Canada à la société civile avait permis aux citoyens de se faire entendre et avait préparé la voie à la transition démocratique. Nous pensons que cette méthode peut également fonctionner au Zimbabwe.
Les organisations de la société civile ont réussi à sensibiliser la population à des enjeux fondamentaux et ont donné une voix au peuple du Zimbabwe, malgré l'intensification de la répression et du harcèlement par le gouvernement. Leur succès continu est dû en grande mesure à l'appui de donateurs comme l'ACDI.
[Français]
Le programme bilatéral actuel de l'ACDI au Zimbabwe compte six projets actifs. Quatre de ces projets sont des fonds de soutien ponctuel permettant aux organisations de la société civile d'obtenir du financement pour leurs initiatives: un fonds pour l'égalité entre les sexes; un autre fonds pour l'environnement et la sécurité alimentaire; un troisième fonds pour les droits de la personne, la démocratie et la bonne gouvernance; et le Fonds canadien d'initiatives locales, mieux connu sous le nom de petits fonds de l'ambassade.
Ces fonds sont gérés localement par des gestionnaires recrutés sur place qui travaillent sous la direction de fonctionnaires de l'ACDI en poste à la mission du Canada à Harare. Ces fonds permettent actuellement de soutenir une centaine de groupes communautaires et non gouvernementaux au Zimbabwe. Ils ont permis d'obtenir notamment les résultats suivants.
En ce qui a trait au Fonds pour l'environnement, grâce à l'appui qu'elle apporte au projet de filtration de l'eau selon la méthode BioSand dans le bassin de Mupfure, l'ACDI contribue à l'amélioration de la santé d'au moins 25 familles--il s'agit de petits projets--en leur fournissant les moyens d'établir et d'entretenir localement un système d'approvisionnement en eau potable par filtration. Les bénéficiaires de la formation pour la construction et l'usage de ce système de filtration sont des groupes défavorisés, par exemple les femmes et les décrocheurs. Certains effets sont immédiats: la réduction du nombre de cas de diarrhée parmi les utilisateurs du système et, selon les cliniques locales, la baisse marquée des maladies d'origine hydrique.
En ce qui a trait au projet d'appui à l'égalité des sexes, l'ACDI aide Veritas Trust à effectuer une recherche pragmatique visant à cerner les lacunes, au chapitre de la problématique hommes-femmes, des rapports de divers organismes sur la violence politique. Les résultats seront présentés aux parties intéressées et examinés dans le cadre d'un atelier. Le sous-projet consiste à développer la capacité de Veritas Trust et des organismes partenaires à rendre compte de manière exhaustive de la condition des victimes de la violence politique et à faire ressortir davantage les différences selon le sexe. Il s'agit d'élaborer un cadre permettant de saisir des données différenciées par sexe et de développer ainsi la capacité des partenaires à faire pression pour susciter une prise de conscience des enjeux de l'égalité entre les sexes et de la violence politique dans leurs secteurs respectifs.
Au sujet des droits, de la démocratie et de la gouvernance, malgré l'intimidation et la répression systématiques, l'ACDI a appuyé le réseau de soutien électoral au Zimbabwe, ce qui lui a permis d'élaborer un programme d'éducation des électeurs pour sensibiliser la population aux procédures d'inscription électorale, à l'importance du vote et à la valeur d'élections paisibles fondées sur la tolérance. Des encadrés et des annonces ont été publiés dans les journaux pendant six mois, et on a distribué cinq millions de prospectus, 500 000 brochures, 3 000 guides de l'électeur, 500 000 affiches, 2 000 t-shirts et 500 000 calendriers. S'y sont ajoutées 101 réunions publiques et 101 émissions de radio. Il y a d'autres exemples dans le texte, mais j'en ai sauté quelques-uns pour ne pas allonger inutilement ma présentation.
Outre ces quatre fonds de soutien ponctuel, nous réalisons également un projet avec un organisme local, la Fondation des ressources juridiques, pour fournir une aide juridique aux Zimbabwéens défavorisés et les informer de leurs droits. Ce projet est lié à l'initiative dont a parlé mon collègue du MAECI, grâce à laquelle nous sommes en train de faciliter l'établissement de liens entre des avocats du Canada et du Zimbabwe au sujet de causes faisant jurisprudence. Nous réalisons également un projet avec CARE Canada pour consolider un réseau de commerce agroalimentaire rural.
Le Zimbabwe héberge également les bureaux régionaux d'un certain nombre de projets régionaux financés par l'ACDI en Afrique australe, par exemple ceux touchant le VIH-sida, soit le projet SAT III mené par l'Association canadienne de santé publique ou, en anglais, la CPHA; le projet sur la gestion des terres humides, géré par IUCN; et le projet en agroforesterie, géré par l'ICRAF, l'International Centre for Research in Agroforestry.
Il faut aussi souligner que plus de 20 organismes non gouvernementaux canadiens bénéficient du financement de la Direction générale du partenariat canadien de l'ACDI et oeuvrent au Zimbabwe.
L'ACDI surveille de près le programme d'aide au Zimbabwe par l'intermédiaire de la section d'aide du Haut-Commissariat du Canada à Harare, où nous avons deux Canadiens et deux employés professionnels engagés localement, et par les soins d'une unité d'appui au programme dont le personnel est composé presque entièrement d'employés professionnels et de soutien locaux. Ces employés de l'ACDI sont impliqués quotidiennement dans le suivi des activités liées à l'aide alimentaire et humanitaire fournie par le Canada pour répondre à la crise actuelle.
En raison du rapide déclin social et économique du pays, nous évaluons sur une base continue l'efficacité de notre appui à la société civile, ainsi que les possibilités d'amélioration de nos activités touchant la société civile pendant cette période transitoire de l'histoire du Zimbabwe.
Malgré la situation actuelle, nous croyons qu'il est effectivement possible d'améliorer nos programmes. Nous sommes en train d'élaborer de nouveaux projets, de concert avec des organisations de la société civile canadienne et zimbabwéenne. L'un s'adressera aux problèmes associés au VIH-sida, notamment en matière de prévention de la transmission mère-enfant. Un autre s'adressera au contexte juridique pour fournir de la formation et des appuis aux procédures de litige, avec l'Association du Barreau canadien. Un troisième participera à la réhabilitation de sources communautaires d'eau potable.
º (1625)
[Traduction]
En conclusion, je voudrais rappeler qu'en maintenant sa présence au Zimbabwe dans le cadre d'activités de développement axées sur la société civile, le Canada est mieux à même de réagir à la crise actuelle des droits humains et à la crise humanitaire, notamment à la pandémie de VIH/SIDA, et à aider le Zimbabwe et sa société civile à se préparer au renversement inévitable de la situation politique. Toutefois, l'ACDI reste fermement convaincue que la clé de la prospérité et du bien-être au Zimbabwe réside dans un changement fondamental qui rendra possible la réforme du gouvernement et de ses institutions.
Merci.
[Français]
Le président: Merci, monsieur Lemelin. Nous passons maintenant à la période des questions.
Monsieur Deepak Obhrai.
[Traduction]
M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne): Monsieur le président, je donne mon temps à mon collègue qui suit de près le cas du Zimbabwe.
Allez-y, Keith, j'interviendrai au deuxième tour, s'il y en a un.
M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne): Merci, monsieur Obhrai.
Merci à vous tous, messieurs, d'être venus aujourd'hui, et surtout à vous, monsieur le haut-commissaire Schram. Vous travaillez dans un contexte très difficile et j'espère que vous faites preuve de prudence.
Nous savons tous ce qui se passe au Zimbabwe. Nous savons qu'environ la moitié de la population meurt de faim, pour des raisons purement politiques. Rien que vendredi dernier, 250 membres de l'organisme humanitaire Zwakwana ont dû être hospitalisés avec des membres brisés. Certaines femmes avaient été violées avec des crosses de fusil...je ne vais pas dans les détails, vous imaginez la situation.
À mon avis, nous assistons en ce moment à un génocide au ralenti. Notre position est que nos efforts d'intervention dans le cadre des organismes multilatéraux sont un échec lamentable. Le Commonwealth est un tigre de papier. Les dirigeants africains, qui ne veulent sans doute rien faire parce qu'ils ont peur d'être à leur tour mis sur la sellette, n'ont strictement rien fait de positif et même, de manière assez bizarre, ont pris parti pour M. Mugabe.
Ma question est donc celle-ci: que pouvons-nous faire maintenant? Comme le disait James Morris, je ne crois pas qu'on puisse négocier avec Mugabe.
Je vous demande si l'on ne devrait pas traîner devant un tribunal spécial Robert Mugabe et ses acolytes, comme le maréchal Perence Shiri, responsable des massacres du Matabeleland au début des années 80? Seriez-vous en faveur de les juger pour crimes contre l'humanité, devant un tribunal spécial?
Voici ma deuxième question: allez-vous redoubler d'efforts pour obtenir une campagne multilatérale afin de couvrir les 45 p. 100 de pénurie alimentaire que subissent actuellement les Zimbabwéens? Comme M. McNee ou M. Lemelin l'a dit, avec beaucoup d'à-propos, 35 p. 100 de la population souffre du VIH, et la tuberculose est rampante. Si l'on ajoute la malnutrition à ce cocktail, on atteint des taux de mortalité invraisemblables, ce qui ne pourra qu'aggraver la famine structurelle à l'avenir puisque l'ossature économique du pays aura été démantelée.
Finalement, que pensez-vous de l'idée d'une force multilatérale, sous l'égide de l'ONU, pour rétablir la loi et l'ordre dans ce pays, comme M. Lemelin y faisait allusion? En fin de compte, la seule solution est de changer ce gouvernement et ses forces armées zimbabwéennes en délire qui violent, pillent, massacrent assassinent et torturent des civils innocents. Je crains qu'il n'y ait pas d'autre solution qu'une intervention robuste par une force multilatérale sous l'égide de l'ONU.
Merci.
M. John McNee: Peut-être pourrais-je commencer à répondre, monsieur le président, en demandant ensuite à mon collègue Ernest de répondre à la deuxième question de M. Martin.
Comme nous avons tenté de l'expliquer, les efforts du gouvernement canadien ont porté sur quatre domaines différents: la crise humanitaire immédiate; trouver des méthodes concrètes et constructives pour renforcer la société civile, dont mes collègues de l'ACDI ont décrit les programmes avec certains détails; travailler au sein du Commonwealth avec les autres pays africains de cette organisation pour tenter d'exercer une influence sur l'évolution du Zimbabwe; et, finalement, la politique déclaratoire, c'est-à-dire la politique énoncée par le gouvernement canadien.
Je dis cela pour établir le contexte de ma réponse à M. Martin. Certes, le Canada a été un chef de file dans la création de la Cour pénale internationale, mais celle-ci ne nous serait d'aucune utilité dans le cas du Zimbabwe étant donné que ce pays ne l'a pas ratifiée.
º (1630)
M. Keith Martin: Et le tribunal spécial, pour remonter aux années 80…?
M. John McNee: J'y arrive.
C'est certainement une chose qu'on pourrait envisager mais, comme je l'ai dit, nous essayons de trouver le moyen d'exercer une certaine influence. Dans les circonstances actuelles, je ne sais pas si cette solution serait la plus efficace mais nous prenons bonne note de votre suggestion, et soyez sûr que nous reprendrons contact avec vous à ce sujet, docteur Martin.
Pour ce qui est d'une force multilatérale, cela dépendrait de plusieurs choses. Premièrement, de notre analyse de la situation, mais il faudrait aussi qu'il y ait un mandat du Conseil de sécurité en vertu du chapitre 7. Autrement dit, cette intervention dépendrait de l'analyse de la situation, c'est-à-dire, comme point de départ, de la constatation qu'il y a une menace à la paix et à la sécurité internationales. Évidemment, aucun d'entre nous ne contestera la gravité de la situation des droits humains au Zimbabwe. La question est de savoir si l'on peut en déduire que cela constitue une menace à la paix et à la sécurité internationales.
Je n'en suis pas convaincu pour le moment mais, comme je viens de le dire, cela devrait faire l'objet d'une résolution du Conseil de sécurité.
Ernest.
M. Ernest Loevinsohn: Je pense que M. Martin a raison de mettre en exergue la copandémie de VIH-tuberculose. C'est une menace énorme pour le Zimbabwe et pour son avenir.
Évidemment, nous sommes en faveur d'une intervention internationale massive, et nous y avons joué un rôle, largement supérieur, je peux l'affirmer, à celui que justifierait notre rang global comme donateur.
Généralement parlant, je peux dire que le problème alimentaire a été relativement bien traité puisqu'il y a eu un taux de réponse assez satisfaisant de 84 p. 100, et le PAM est généralement précis avec ses chiffres. Quand il annonce l'ampleur des besoins, il porte un jugement professionnel après avoir attentivement étudié la situation.
En revanche, le secteur de la santé n'a manifestement pas obtenu un soutien direct aussi satisfaisant, et il est évidemment atteint par les politiques budgétaire du gouvernement du Zimbabwe, sans compter les autres qui ont chassé tellement de professionnels de la santé du pays. Manifestement, la communauté internationale doit faire plus à cet égard, et le Canada appuie un effort international massif à ce sujet.
[Français]
Le président: Monsieur Rocheleau, du Bloc québécois.
M. Yves Rocheleau (Trois-Rivières, BQ): J'ai quatre questions à poser à nos témoins. La première concerne le FMI.
On sait que le FMI a imposé un programme de restructuration de la dette au début des années 1990. Je voudrais savoir quelle est votre opinion, comme représentants canadiens, quant au rôle des politiques du FMI et à l'impact qu'elles ont eu sur l'économie du Zimbabwe, sachant par ailleurs qu'une étude de l'ONU aurait révélé que la proportion des Zimbabwéens qui vivent dans la pauvreté est passée, au cours de la dernière décennie, de 40 à 75 p. 100 de la population. C'est ma première question.
Ma deuxième question concerne le Movement for Democratic Change. Comment le Canada perçoit-il le MDC qui, on le sait, est représentatif de la minorité noire, riche et capitaliste, et qui est appuyé et financé par des gens de l'Angleterre, des Américains et des Allemands? On sait que lors d'un passage à Londres du chef du MDC, M. Tsvangirai, on a publié dans le Times une lettre de soutien au MDC cosignée par des dirigeants conservateurs dont Lord Howe, Lord Carrington, Lord Chalker de Wallasey, Malcolm Rifkind et Douglas Hearn, tous d'anciens ministres de Margaret Thatcher, l'ancien secrétaire d'État américain aux affaires africaines, Chester A. Crocker, Evelyn de Rothschild, de la famille bancaire du même nom, et d'autres encore. Comment perçoit-on, au Canada, l'action du MDC?
Troisièmement, comment perçoit-on la nécessité de la réforme agraire au Zimbabwe, sachant que 3 p. 100 des Zimbabwéens possèdent 50 p. 100 des terres, notamment les terres les plus fertiles? N'est-ce pas là un reliquat évident de ce qu'on connaît de l'ancienne Rhodésie?
Enfin, comment explique-t-on, au Canada, que l'Union africaine, à ce que je sache, ait toujours refusé de blâmer et le gouvernement Mugabe et ses actions, malgré les défauts du gouvernement Mugabe, alors que le Commonwealth s'est empressé de le blâmer systématiquement? N'est-ce pas là un reliquat d'un certain impérialisme?
º (1635)
M. John McNee: Monsieur le président, en ce qui concerne la première question, qui portait sur l'économie et l'impact du FMI, je dois dire tout de suite que je ne suis pas un expert dans ce domaine. Peut-être que mon collègue Michel voudra ajouter quelques mots, mais je dirais en gros que nous trouvons que la situation du Zimbabwe est un cas de mauvaise gestion économique extrême. Nous croyons que c'est la gestion de la situation par le gouvernement qui est vraiment responsable des circonstances actuelles, qui, bien sûr, sont aggravées par la sécheresse et les autres problèmes. Mais le fait que le Zimbabwe ne réagit pas de la même façon que d'autres voisins qui ont une meilleure réponse du point de vue économique constitue une partie du problème.
En ce qui concerne le MDC, je ne crois pas que le rôle du gouvernement du Canada soit de porter des jugements sur les partis politiques d'un autre système. Ce qui est important pour nous, c'est que les principes de bonne gouvernance et de démocratie soient respectés, c'est-à-dire que les partis d'opposition, tant au Zimbabwe qu'ailleurs en Afrique ou dans le monde, aient tous les droits de se présenter, de s'exprimer, de s'associer, d'organiser des rencontres pendant les campagnes électorales, etc. Comme mon collègue commissaire l'a expliqué, c'est dans ce domaine qu'il y a une grave lacune, un grave défaut du côté du gouvernement du Zimbabwe.
Quant à la question sur la réforme agricole, je demanderai à John d'y répondre.
En ce qui concerne le dernier commentaire de M. Rocheleau, nous ne voulons pas faire de commentaires sur l'Union africaine et ses actions. En ce qui concerne le Commonwealth, il faut se souvenir qu'il y avait consensus parmi les leaders du Commonwealth lors de la réunion de l'année dernière pour suspendre le Zimbabwe des réunions et des conseils du Commonwealth. C'est une organisation qui comprend des nations qui sont à toutes sortes de stades et de niveaux, de toutes sortes de couleurs et de races, et je ne crois pas qu'on puisse tirer la conclusion que c'est une réponse apparemment impérialiste à une situation de violation assez dramatique des droits humains et des principes de l'organisation du Commonwealth.
[Traduction]
M. John Schram: Au sujet des terres, je pourrais faire une remarque en guise de préambule. J'hésite toujours à parler de la réforme agraire car le gouvernement en a fait un problème très controversé, à connotation raciale.
Personne ne conteste qu'il faut une réforme agraire au Zimbabwe. Je crois comprendre que, sur les 4 500 agriculteurs qui se trouvaient dans le pays il y a deux ans, il n'en reste plus que 2 500 dont 1 000 possèdent encore leurs propriétés et 660 seulement font vraiment de l'agriculture.
Il y a certaines parties du Zimbabwe, notamment la province des Midlands, où la redistribution des terres s'est faite relativement mieux qu'ailleurs. Dans la plupart des cas, elle a été catastrophique, pas seulement pour les agriculteurs blancs mais aussi pour la population qui dépend de l'agriculture pour son alimentation et ses exportations.
Notre position devrait être de continuer à mettre l'accent sur les buts du NEPAD, sur les principes de Harare, sur une bonne politique économique, sur la règle de droit et sur la gouvernance.
Merci.
º (1640)
Le président: Karen Kraft Sloan.
Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Il y a des collègues avant moi. Je voulais simplement mettre mon nom sur la liste.
Le président: D'accord.
Madame Beaumier.
Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.): Il est toujours très frustrant de discuter de ces questions, et je suis d'accord avec le Dr Martin quand il parle d'un échec de nos sociétés et de nos gouvernements face à ces problèmes.
Je me demande si, quand on parle de l'Afrique et du Zimbabwe--il y a le Congo, il y a le Sierra Leone--nous ne pourrions pas trouver une sorte de stratégie globale qui pourrait être plus efficace. Est-ce que ces dirigeants ont le droit de voyager en Afrique en toute impunité ou risquent-ils d'être arrêtés?
Écoutez, nous discutons…et nous sommes tous des convertis, mais beaucoup d'entre nous commençons à en avoir assez de tourner en rond. J'aimerais donc savoir si quelqu'un a de meilleures idées ou stratégies à proposer.
M. John McNee: C'est une question difficile, monsieur le président. Je pense que la stratégie globale, et ce n'est pas une stratégie tellement immédiate, est celle qui a été adoptée par le Canada et par d'autres pays au sommet du G-8 à Kananaskis, c'est-à-dire d'essayer, à longue échéance, de mettre l'accent sur les principes d'une bonne gouvernance politique et économique et de la démocratie, et de développer et de renforcer nos relations avec ces pays et dirigeants qui travaillent dans cette voie, sans oublier les gens qui souffrent. Comme nous avons essayé de l'expliquer tout à l'heure, la réponse à la crise humanitaire est une donnée très importante pour le gouvernement.
À longue échéance, il faudrait vraiment faire une distinction entre les différents pays africains et leurs dirigeants. Par exemple, l'axe essentiel de coopération du Canada pour le développement comprendra les pays qui partagent ces idéaux et ces principes, c'est-à-dire ceux qui auront vraiment une chance d'améliorer sérieusement la situation de leur peuple. À plus longue échéance, notre espoir est que cela débouchera, par la parole et par l'exemple, sur des changements pour tout le continent.
Je conviens cependant avec vous qu'il n'y a pas de solution immédiate au problème, madame Beaumier.
M. Michel Lemelin: La ligne que nous essayons de suivre à ce sujet est qu'il s'agit là de problèmes africains appelant des solutions africaines. La solution doit venir d'initiatives africaines, notre rôle étant de les appuyer. Cela exige beaucoup de patience de notre part, et beaucoup d'initiative de la leur.
Certaines initiatives ont été lancées--comme le NEPAD--mais nous devrons faire preuve de beaucoup de patience pour avoir des résultats confirmés par le processus d'examen par les pairs.
Mme Colleen Beaumier: Combien de dirigeants africains font preuve d'initiative et veulent vraiment régler ces problèmes?
º (1645)
M. John McNee: C'est une bonne question. Je pense qu'on peut s'en faire une idée en constatant que, suite à l'adoption du NEPAD par l'Union africaine, plusieurs pays africains ont proposé leur candidature à leurs pairs, dans le cadre du processus d'examen par les pairs, pour que leur performance puisse être jugée en fonction d'une série de critères de gouvernance. Ce sera un premier pas vers la reconnaissance par les Africains des éléments qui sont importants pour déterminer si les pays sont engagés dans la bonne voie ou non, et c'est un premier pas pour essayer de définir les pays qui seront les premiers bénéficiaires de l'aide occidentale.
Bien sûr, les choses changent, parfois pour le mieux, comme on a pu le constater récemment lors des élections au Kenya. Celles-ci permettent de penser qu'il y a vraiment eu un tournant, ce qui est encourageant. Nous pensons que les perspectives de ce pays se sont améliorées.
Je crois qu'il y a donc des signes encourageants, même s'il y a là encore certains problèmes irréductibles.
Mme Colleen Beaumier: Quand les choses changent comme au Kenya, est-ce que nous les aidons pour qu'ils puissent se doter d'institutions confortant le changement, par exemple d'institutions judicaires et démocratiques? Est-ce que nous continuons de les aider une fois que leur situation a vraiment changé?
M. Michel Lemelin: Absolument. Si vous vous souvenez des projets qui ont été sélectionnés, ou de la répartition des 500 millions de dollars annoncés à Kananaskis, beaucoup visent exactement à appuyer de telles initiatives.
Il y a par exemple la Fondation africaine pour le renforcement des capacités, qui est destinée à les aider à faire face à leurs problèmes. Dans bien des cas, c'est exactement ce que tous les donateurs commencent à faire, dans le cadre des objectifs du millénaire et du consensus qui est apparu au CAD, le Comité d'aide au développement, de l'OCDE.
Mme Colleen Beaumier: Donc, au Zimbabwe, vous pensez que le gouvernement canadien devrait tout simplement continuer à donner une aide humanitaire?
M. Michel Lemelin: Pour le moment, oui, tout en continuant d'appuyer la société civile parce que c'est ce que--
Mme Colleen Beaumier: Qu'est-ce que la société civile…?
Le président: Merci, madame Beaumier, votre temps de parole est écoulé.
Je passe à M. Robinson.
M. Svend Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): Merci beaucoup.
Je tiens à remercier moi aussi les témoins qui sont venus s'adresser à notre comité car ils font un excellent travail au nom des Canadiens, notamment ceux qui se trouvent en première ligne, comme l'ambassadeur et ses collègues.
Je suis effrayé par ce qui se passe au Zimbabwe. Je n'ai jamais visité ce pays mais je suis au courant de ce qui s'y passe, grâce au travail important des organisations humanitaires et aux efforts de jumelage de députés et de candidats aux élections qui ont été déployés par Amnistie Internationale.
Je vais vous poser quatre questions l'une après l'autre, après quoi ceux qui le veulent pourront y répondre.
Tout d'abord, pourriez-vous nous donner une mise à jour sur les efforts que déploie la Commission des droits de l'homme des Nations Unies pour obtenir une résolution vigoureuse condamnant les très graves infractions aux droits humains au Zimbabwe? Comme vous le savez, cette résolution n'a pas été adoptée l'an dernier. Je ne sais pas si l'Union européenne va en proposer une autre. Sinon, le Canada est-il prêt à prendre la tête du mouvement, que l'Union européenne propose une résolution ou non?
Deuxièmement, quels efforts déployons-nous pour exercer le maximum de pression possible sur les partenaires bilatéraux en Afrique? Je songe en particulier à l'Afrique du Sud, bien sûr, mais aussi au Nigeria et à d'autres pays qui pourraient exercer une certaine influence sur le Zimbabwe. S'il y a un pays africain qui risque d'avoir l'oreille de Mugabe, on peut penser que c'est l'Afrique du Sud. Que faisons-nous donc, sur le plan concret, pour exercer cette pression et pour inviter ces pays à faire connaître notre opinion sur cette question?
Troisièmement, pourriez-vous nous donner des informations sur les activités de surveillance? J'étais heureux d'entendre le haut-commissaire Schram dire qu'il surveillait les procédures judiciaires. Y a-t-il d'autres activités de surveillance dans ce domaine, par exemple sur la protection des droits humains, que ce soit au niveau judiciaire ou dans la société civile?
Ma dernière question porte sur un sujet que personne n'a encore soulevé: l'homophobie virulente de Mugabe. En fait, la société l'est tout autant, mais Mugabe est un cas spécial. De sérieuses préoccupations ont été soulevées dans ce domaine, du point de vue des droits humains. Le Canada fait-il quelque chose à ce sujet et appuyons-nous des groupes locaux de droits humains qui font face à ce problème?
Finalement, au sujet des réfugiés, existe-t-il un mécanisme d'intervention rapide pour faciliter le départ du Zimbabwe des personnes qui sont le plus menacées, tout comme il y en a pour d'autres pays, par exemple la Colombie?
º (1650)
Le président: Vous avez collectivement deux minutes et demie pour répondre.
M. John McNee: Je serai très bref. Je vais essayer de répondre aux deux premières questions et John répondra aux deux autres.
Au sujet de la CDH, oui, il y aura une autre résolution cette année, sur l'initiative de l'UE. Elle sera coparrainée par le Canada, sur décision de M. Graham. Cela dit, que le résultat soit différent ou non, nous pensons qu'il est important d'utiliser la CDH pour jeter de la lumière sur cette situation troublante.
Deuxièmement, nous sommes tout à fait d'accord quand vous dites que les pays voisins du Zimbabwe sont ceux qui ont le plus de chance de pouvoir influencer Mugabe. Ce facteur fait partie du dialogue continu au sein du Commonwealth, pour essayer d'obtenir un consensus. C'est donc quelque chose qui continue et nous continuons de maintenir des contacts avec ces parties pour essayer d'établir une position commune.
Vous aurez constaté que le SADEC a récemment décidé de ne pas autoriser le Zimbabwe à prendre son tour à la présidence de cette organisation. C'est un petit pas en avant, certes, mais il n'est pas négligeable car il signale que les voisins ne sont pas d'accord avec ce qui se fait dans ce pays.
John, puis-je vous donner la parole pour les deux autres?
M. John Schram: La surveillance--un sujet dont je tiens beaucoup à parler.
Oui, nous continuons. Avant d'aller au Maputo et en Angola, j'ai pris la peine de m'arrêter à Bulawayo, au retour cette fois, parce que j'avais entendu dire que l'archevêque Ncube risquait d'être en difficulté, et David Coltart aussi. Nous voyageons--je voyage beaucoup--pour parler à ces gens.
J'ai lu qu'en mon absence notre agent politique est allé là-bas pour faire le point sur ces manifestations. Il s'est rendu à l'hôpital pour voir si les gens avaient vraiment été battus. Nous relançons ce que nous faisions autrefois en Afrique du Sud, encore une fois pour appuyer la société civile.
La seule question sur laquelle je dois dire que nous n'ayons rien fait est celle des déclarations homophobes de Mugabe. Depuis que je suis dans le pays--je suis arrivé en septembre--personne ne nous en a parlé et il n'y a pas eu d'incident. Toutefois, il est clair que cela concerne la société civile. Si vous voulez que nous fassions quelque chose, si vous pensez que nous pourrions aider, je suis à votre disposition. Il faudrait nous faire une proposition. Il n'y a évidemment aucune raison au monde de ne pas intégrer ce genre d'action dans ce que nous faisons déjà.
Pour ce qui est des réfugiés, oui, il y a à la fois des Blancs et des Noirs qui veulent immigrer au Canada et qui sont libres de le faire. L'un des députés m'avait justement envoyé une question à ce sujet, il n'y a pas trois semaines. Un collègue de l'armée était en difficulté et la réponse a été de le mettre le plus vite possible en contact avec la CDH.
Le président: Merci.
Beth Phinney.
Mme Beth Phinney (Hamilton Mountain, Lib.): Je voudrais savoir ce que fait le Canada avec l'argent de Kananaskis qui était destiné à l'Afrique. Pourriez-vous nous donner une ventilation de la somme pour nous dire comment elle a été utilisée et quelles agences en ont bénéficié? D'ailleurs, est-ce qu'on a déjà versé une partie quelconque de cet argent?
M. Michel Lemelin: Il me faudra plus de deux minutes pour répondre à cette question.
Il y a deux choses. Il y a le fonds de 500 millions de dollars, qui avait été annoncé à Kananaskis. Il y a l'augmentation de 8 p. 100 que reçoit l'ACDI, 8 p. 100 de notre enveloppe d'aide...
º (1655)
Mme Beth Phinney: Mais je veux savoir… Les 500 millions de dollars étaient destinés...
Le président: Je voudrais dire aux témoins que, s'ils pensent ne pas pouvoir répondre à une question dans le temps prévu, ils peuvent fort bien nous envoyer une réponse par écrit.
Mme Beth Phinney: Je veux simplement savoir ce que vous avez obtenu et ce que l'on fait de cet argent. Je suppose qu'on ne vous a pas donné 500 millions de dollars l'an dernier?
M. Michel Lemelin: Si, nous les avons.
Mme Beth Phinney: Vous avez les 500 millions de dollars?
M. Michel Lemelin: Et nous avons aussi les 8 millions de dollars--si vous votez en faveur cet après-midi.
Mme Beth Phinney: Bien. Pouvez-vous donc nous dire ce que vous en faites?
M. Michel Lemelin: Comme je l'ai dit, les 500 millions de dollars sont déjà presque totalement destinés aux projets qui avaient été annoncés à Kananaskis. La moitié, 48 p. 100, va en Afrique par le truchement des mécanismes multilatéraux et aussi de mécanismes bilatéraux.
En ce qui concerne les mécanismes bilatéraux, c'est l'approche de «renforcement de l'efficacité de l'aide» qui a été adoptée. Il s'agit essentiellement de concentrer l'effort sur certains pays et certains secteurs afin de changer concrètement les choses, plutôt que de disperser l'argent un peu partout, ce qui a beaucoup moins d'impact.
Vous savez probablement que six pays ont déjà été choisis comme étant dans une meilleure situation du point de vue de la gouvernance, disons, pour absorber ces sommes supplémentaires. Et il y en aura d'autres plus tard.
Mme Beth Phinney: Je vous écoute mais je ne pense pas en savoir beaucoup plus que quand j'ai posé ma question. Je vais peut-être devoir vous l'envoyer par écrit.
M. Michel Lemelin: Je vous en prie.
Mme Beth Phinney: Je voulais simplement savoir, par exemple, combien de centaines de milliers de dollars vous avez données ici, combien de centaines de milliers vous avez données là.
M. Michel Lemelin: C'est une réponse complexe, cependant.
Mme Beth Phinney: Je sais, mais j'aimerais avoir une réponse.
M. Loevinsohn a dit qu'il faut faire plus du point de vue de la santé. C'est l'une des raisons pour lesquelles je pose cette question. Si on doit faire plus pour la santé, est-ce qu'on peut prendre une partie de cet argent et l'investir dans le secteur de la santé, ou est-ce que tout le budget a déjà été utilisé?
M. Michel Lemelin: Cela fait actuellement l'objet de discussions, c'est-à-dire à quoi l'argent sera consacré.
Mme Beth Phinney: Mais vous venez de dire que tout a déjà été utilisé, tout a déjà été affecté.
M. Michel Lemelin: Nous avons reçu l'argent. Les 500 millions de dollars sont déjà presque totalement consacrés. Mais l'augmentation de 8 p. 100 de notre budget, qui s'ajoute au 500 millions de dollars, nous donnera la possibilité d'avoir une base pluriannuelle pour cibler.
Mme Beth Phinney: Envisagez-vous d'en consacrer plus à la santé, puisque c'est là qu'il y a un besoin, avant qu'il ne soit trop tard et que tout le monde n'ait été atteint du SIDA?
M. Michel Lemelin: C'est certainement l'un des secteurs. En termes de secteurs, c'est essentiellement l'éducation, l'agriculture, la santé et la gouvernance.
Mme Beth Phinney: Monsieur McNee.
M. John McNee: J'allais ajouter une remarque, Michel, pour dire que le ministre responsable de l'ACDI a annoncé il n'y a pas très longtemps une subvention de 50 millions de dollars pour la recherche sur un vaccin du VIH/SIDA, comme mesure concrète.
Je pense qu'il serait très utile de préparer un dossier détaillé à l'intention de votre comité car il y a beaucoup d'éléments reliés à Kananaskis, par seulement les 500 millions de dollars. Je pense que nous pourrons travailler là-dessus.
Mme Beth Phinney: Nous avons besoin d'argent pour la recherche mais nous en avons besoin aussi pour aider immédiatement les gens.
M. John McNee: Absolument. C'est très important pour nous aussi.
M. Ernest Loevinsohn: Ce n'est pas une réponse complète mais simplement un élément particulier qui a déjà été annoncé à Kananaskis: un appui important à l'éradication de la polio. Cela aura évidemment un impact énorme à l'avenir, pour toujours, pour réduire pas seulement la polio mais aussi les dépenses de santé.
Mme Beth Phinney: Est-ce que c'est déjà commencé?
M. Ernest Loevinsohn: Oui. En fait, il y avait déjà un effort à ce sujet depuis plusieurs années et nous l'intensifions maintenant.
Ce n'est pas la réponse complète à votre question mais c'est un élément.
Mme Beth Phinney: Oui, c'est un élément.
Merci.
Le président: Monsieur Casey.
M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC): Monsieur le haut-commissaire, je crois que c'était M. Martin qui vous recommandait de faire preuve de prudence. Vous sentez-vous en danger?
Repartons en arrière. Combien y a-t-il de gens à la mission? Vous sentez-vous en danger et cela a-t-il un effet sur votre vie quotidienne?
M. John Schram: Non, pour le moment je ne me sens pas en danger. Le Canada jouit d'une bonne réputation. Nous avons beaucoup de crédibilité en Afrique. Je pense que les gens, de tous côtés, sont prêts à nous écouter, en tout cas pour le moment. Ils ne suivent pas toujours nos recommandations mais je n'ai pas le sentiment que nous soyons en danger, sauf si nous allons à des manifestations particulières--mais nous évaluons toujours la situation à l'avance.
» (1700)
M. Bill Casey: Bien.
Je discutais l'autre jour avec David Coltart qui m'aidait à comprendre la réforme agraire. Il avait commencé à me dire que les motifs étaient très différents de ceux que nous avaient communiqués les médias nord-américains mais la ligne a ensuite été coupée et nous n'avons pu la rétablir.
Savez-vous ce qu'il voulait dire? J'ai l'impression qu'il disait que c'était une excuse pour autre chose.
M. John Schram: Je ne veux certainement pas lui faire dire ce qu'il n'aurait pas dit, ni ce que le gouvernement voudrait dire, mais je soupçonne--puisque j'ai lu ses déclarations à ce sujet--qu'il considère que ça fait partie d'une lutte de pouvoir.
M. Bill Casey: Entre qui et qui?
M. John Schram: Entre le gouvernement et l'opposition. À part cela, vous devrez lui poser la question directement.
M. Bill Casey: C'est ce que je ferai.
M. John Schram: Je n'ai pas discuté de cette question avec lui et je ne peux donc pas répondre en son nom.
M. Bill Casey: Le gouvernement admet-il qu'il y a eu une baisse de la production alimentaire, et a-t-il une explication à proposer?
M. John Schram: Oui, il l'admet tout à fait. Ernest est probablement plus au courant que moi à ce sujet.
Nous tenons toutes les deux semaines une réunion sous les auspices du PNUD, ce qui permet aux donateurs humanitaires de rencontrer le ministre des Services publics, du Travail et du Bien-être social, ainsi que les autres ministres qui viennent. Le gouvernement estime que la situation s'explique par la sécheresse, phénomène qui touche tous les pays d'Afrique australe. Évidemment, notre opinion à nous, donateurs, est que la situation s'explique en partie par la sécheresse, comme le disait John tout à l'heure, mais aussi en grande partie par une mauvaise gestion économique, ce qui comprend le programme de réforme agraire.
M. Bill Casey: Accepte-t-il cette explication?
M. John Schram: Pas au point où nous pourrions l'en tenir responsable.
M. Bill Casey: On dit dans notre documentation que «plus de la moitié de la population du Zimbabwe risque la famine d'ici mars 2003». Est-ce exact?
M. John Schram: Oui, je pense que c'est une estimation exacte du PMA.
M. Bill Casey: Qu'est-ce que ça veut dire que la moitié de la population risque la famine?
M. Ernest Loevinsohn: Je ne pense pas que cela veut dire que la moitié de la population est immédiatement en danger mais plutôt que ce serait le cas s'il n'y avait pas l'aide internationale. Comme je l'ai dit, la réaction à la situation alimentaire a été relativement bonne et, tant qu'elle se maintiendra, la population ne risque pas la famine.
Toutefois, cela revient à nous transférer la responsabilité des secours, ce qui est probablement une situation bizarre étant donné que le Zimbabwe possède un excellent potentiel agricole et qu'il s'en sortirait beaucoup mieux s'il était mieux géré. À l'heure actuelle, tant que les donateurs continueront de fournir de l'aide alimentaire, il n'y aura pas de famine généralisée.
M. Bill Casey: Il existe donc une structure locale pour distribuer des aliments à la population. Comment faites-vous?
M. Ernest Loevinsohn: Cela se fait essentiellement par le truchement du Programme alimentaire mondial, mais il n'agit pas directement. Il agit généralement par le truchement d'organisations non gouvernementales et non pas du système de distribution du gouvernement du Zimbabwe, ce qui est un élément important.
On peut donc dire qu'il existe une structure de distribution.
Le président: Vos cinq minutes sont écoulées.
M. Bill Casey: Très bien. Merci.
Le président: Puis-je faire une recommandation aux membres du comité? Comme nous ne pourrons avoir qu'un seul tour de questions si nous voulons entendre les représentants des ONG, ceux d'entre vous qui avez d'autres questions pourraient les communiquer au greffier, qui les transmettra aux témoins. De cette manière, nous pourrons obtenir des réponses écrites et entendre quand même aujourd'hui les représentants des ONG.
Cela vous convient-il? Très bien.
Karen Kraft Sloan.
Mme Karen Kraft Sloan: Merci.
Quel est le rôle du secteur privé, dans le cadre du NEPAD?
Mon autre question concerne le financement du NEPAD. S'il s'agissait d'une décision prise au G-8, à Kananaskis--et vous devrez excuser mon ignorance à ce sujet--cela veut-il dire que tous les pays du G-8 doivent participer au financement? Il est clair que les Américains font partie du G-8 et, considérant certaines de leurs dépenses récentes, vont-ils maintenir ce genre d'engagement?
Je pose cette question parce qu'il me semble que certains des engagements pris à l'égard de l'Afghanistan semblent battre de l'aile, étant donné la nouvelle distraction, si je peux m'exprimer ainsi.
Je me demande donc si le NEPAD peut aller de l'avant sans un partenariat complet de tous les membres du G-8. Et j'aimerais connaître aussi le rôle du secteur privé.
» (1705)
M. John McNee: Monsieur le président, le volet du développement économique du plan d'action de Kananaskis pour l'Afrique est extrêmement important et envisage un rôle clé pour le secteur privé et pour le commerce, du point de vue du développement de l'Afrique. C'est donc un volet absolument central, et le gouvernement du Canada prend plusieurs initiatives à cet égard.
À titre d'exemple, le premier ministre a annoncé un fonds d'investissement de 100 millions de dollars pour l'Afrique, avec une contribution de contrepartie d'investisseurs du secteur privé, afin de financer des projets du secteur privé en Afrique. Cela repose au fond sur le principe que le vrai moteur du développement économique est le secteur privé plutôt que le gouvernement. C'est une initiative extrêmement importante.
Je dois mentionner aussi la décision du gouvernement canadien d'abolir les tarifs et quotas douaniers des importations des pays les moins développés, dont la plupart sont en Afrique, ce qui rehaussera considérablement les perspectives des entreprises du secteur privé en Afrique.
Pour ce qui est du financement du NEPAD…
Vous dites?
Mme Karen Kraft Sloan: Je m'excuse de vous interrompre mais je voulais juste demander une précision.
Y aura-t-il des partenariats du secteur privé dans la prestation de services d'eau potable, de services d'adduction d'eau, ou de choses comme cela?
M. Michel Lemelin: Il y en aura peut-être. Ça dépendra des intérêts du secteur privé.
Mme Karen Kraft Sloan: D'accord.
M. John McNee: Pour ce qui est du G-8, il faut dire que ce n'est évidemment pas une institution officielle et que la réponse est donc non, les plans de mise en oeuvre du programme de chaque pays en Afrique ne sont pas tributaires des autres. Le Canada a été le chef de file pour exhorter les autres membres du G-8 à respecter leurs engagements de Kananaskis, et ce processus continue.
Pour ce qui est de la réaction américaine, nous ne pouvons évidemment nous exprimer au nom du gouvernement américain mais le président a annoncé il n'y a pas très longtemps une initiative extrêmement importante de financement de la lutte contre la crise du VIH/SIDA. Les Américains ont donc peut-être d'autres priorités mais, depuis Kananaskis, ils ont pris un engagement très important qui sera également très bénéfique à l'Afrique.
Mme Karen Kraft Sloan: Merci beaucoup.
Le président: Merci.
Au nom du comité, je tiens à remercier les témoins d'avoir partagé avec nous leur expérience et leur expertise et de bien vouloir accepter de répondre par écrit aux questions complémentaires que nous pourrions leur adresser. Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer au témoignage des ONG. Évidemment les témoins actuels peuvent fort bien rester pour cette session.
Alex, je crois comprendre que vous allez commencer, pour Amnistie Internationale. J'aimerais que l'on commence le plus vite possible car il va bientôt y avoir un vote et j'aimerais que vous puissiez témoigner avant notre départ.
La procédure est la suivante: chaque groupe d'ONG aura 10 minutes. Les représentants de CARE pourront utiliser cette période comme ils l'entendent. Après cela, nous passerons aux questions.
» (1710)
M. Alex Neve (secrétaire général, section canadienne anglophone, Amnistie internationale (Canada)): Merci beaucoup, monsieur le président. Bon après-midi--c'est presque le début de la soirée--aux membres du comité.
Je m'appelle Alex Neve et je suis le secrétaire général de la section anglophone d'Amnistie Internationale Canada.
Le sous-comité avait déjà pris note il y a un an de la détérioration alarmante de la situation des droits humains au Zimbabwe, lorsqu'il avait adopté sa résolution décrivant notamment les infractions flagrantes commises par le président Mugabe en matière de droits humains durant et après les élections de mars 2002. Hélas, un an plus tard, la situation n'a pas changé. Je regrette donc de devoir à nouveau comparaître devant votre comité sur cette question, même si je suis très heureux d'avoir la chance de partager nos préoccupations et nos recommandations.
Je voudrais commencer en soulignant qu'il est très important--et je ne saurais trop insister là-dessus--à cette époque très troublée, où la communauté internationale a les yeux fixés sur l'Iraq, que votre sous-comité continue de s'assurer, par des audiences comme celle d'aujourd'hui, que les très nombreuses autres situations très pressantes concernant les droits humains dans le monde retiennent encore l'attention.
Je voudrais commencer par remercier plusieurs membres du comité qui ont participé activement à l'initiative de jumelage prise l'an dernier par Amnistie Internationale et Oxfam, en préparation des élections présidentielles. Plusieurs d'entre vous avez été jumelés avec des députés d'opposition harcelés du Zimbabwe et je sais, d'après les réactions que nous continuons d'obtenir, combien ceux-ci apprécient votre soutien et en dépendent.
Pour gagner un peu de temps, je ne donnerai pas autant de détails que je l'avais prévu sur la situation des droits humains au Zimbabwe. Après avoir entendu la discussion précédente, je réalise que vous êtes largement au courant.
Je vais donc vous communiquer nos préoccupations dans quatre grands domaines. Le premier est la manipulation politique de l'aide alimentaire, question qui a déjà été mentionnée plusieurs fois aujourd'hui. Je veux simplement ajouter ma voix à celle des personnes qui ont déjà traité de la question, en soulignant que c'est un problème très grave au Zimbabwe. Il ne fait aucun doute, selon Amnistie Internationale, que les autorités zimbabwéennes et la milice de l'État distribuent l'aide alimentaire en fonction des allégeances politiques, réelles ou perçues.
Deuxièmement, je veux vous communiquer nos préoccupations au sujet des mesures arbitraires d'arrestation, de la torture et des assassinats politiques. Il y aurait beaucoup de choses à dire à ce sujet et je pourrais prendre plusieurs heures, voire tout le reste de vos audiences, j'en suis sûr, pour vous décrire toutes nos préoccupations à cet égard. Au lieu de cela, je vais simplement mentionner les cas les plus récents, que beaucoup d'entre vous connaissez, et qui concernent plusieurs centaines de personnes, notamment beaucoup de représentants et de partisans du Mouvement pour le changement démocratique, qui ont été arrêtées juste la semaine dernière. Certaines de ces personnes ont été relâchées, d'autres non, et l'on ignore totalement où certaines sont passées. Il y a donc un très grand risque que certaines personnes soient tout simplement disparues.
Parmi les personnes arrêtées, il y avait 60 militants du MDC à Harare, le 19 mars, dont trois députés MDC, deux d'entre eux, Giles Mutsekewa et Austin Mupandawana, restant en détention. Et cette montée de violence politique, qui ouvre l'année sous des auspices particulièrement sombres et inquiétantes, ne fait que prolonger l'année particulièrement sombre qu'a été 2002.
Si vous voulez quelques statistiques, Amnistie Internationale a pris connaissance l'an dernier de rapports concernant 58 assassinats politiques et 1 050 cas de torture. Et, comme nous ne cessons de le rappeler, ce sont seulement les cas dont nous avons entendu parler. Il est donc incontestable que le chiffre réel est beaucoup plus élevé.
Notre troisième préoccupation concerne les attaques menées contre les partisans des droits humains et les médias indépendants. Encore une fois, on a déjà beaucoup parlé de cette question mais il ne fait aucun doute que la campagne d'intimidation, de harcèlement et d'arrestation arbitraire de journalistes indépendants et d'employés des organisations de droits humains ne fait que s'intensifier. Cela reflète les efforts déployés par le gouvernement pour museler la presse et empêcher toute divulgation des infractions aux droits humains.
» (1715)
Il y a beaucoup d'aspects à cette question. L'un d'entre eux est toute la toile de lois répressives que le gouvernement a tissée et qu'il utilise pour réprimer les activités des journalistes et des militants des droits humains. Le haut-commissaire en a mentionné certaines--la Public Order and Security Act, par exemple, l'Access to Information and Protection of Privacy Act, et la Private Voluntary Organizations Act.
Nous recevons presque quotidiennement des rapports de harcèlement, de menaces de mort, d'agressions et d'arrestations arbitraires d'individus qui travaillent en première ligne, avec beaucoup de courage, pour dénoncer les violations des droits de la personne et pour les faire connaître aux autres Zimbabwéens.
Notre dernière préoccupation est l'érosion de l'indépendance de la magistrature. Amnistie Internationale a pris note d'un mouvement soutenu de la part du gouvernement pour harceler et intimider les magistrats et pousser au départ les juges qui critiquent ses politiques. Les juges qui ont montré des signes d'indépendance ont été menacés d'enquête et de mesures disciplinaires.
Pour vous donner un exemple, il y a à peine un mois, le 17 février, le juge Benjamin Paradza de la Cour supérieure a été arrêté pour tentative d'entrave à la justice. Il a été libéré sous caution après avoir passé deux jours en prison. Il se trouve toutefois que c'est lui qui, un mois plus tôt, était intervenu dans l'affaire du maire de Harare et avait ordonné sa libération après qu'il eut été arrêté pour avoir tenu une réunion sans autorisation de la police. C'est le cas dont parlait tout à l'heure le haut-commissaire.
Comme sa décision n'a pas plu au gouvernement Mugabe, ce juge se retrouve un mois plus tard en butte à des mesures de répression.
Je passe maintenant à quelques recommandations qu'Amnistie Internationale souhaite adresser au gouvernement canadien et partager avec la communauté internationale. L'une des plus importantes est simplement de continuer à exercer des pressions sur le gouvernement du Zimbabwe pour tenter de mettre fin aux graves infractions aux droits humains qui règnent dans ce pays. Cela veut dire qu'il faut fréquemment et publiquement soulever nos préoccupations auprès des autorités gouvernementales concernant les questions que je viens d'évoquer--politisation de l'aide alimentaire, répression des militants des droits de la personne et des journalistes, etc.
Même si cette recommandation peut paraître très générale, elle est absolument cruciale, surtout dans le climat international actuel. Comme l'attention du monde est tournée en grande mesure vers l'Iraq, il est absolument crucial non seulement de maintenir mais d'intensifier les pressions sur le gouvernement Mugabe, et ces pressions devraient venir de tous les gouvernements.
J'ai d'autres recommandations plus précises à formuler. Nous les avons déjà adressées à plusieurs reprises au gouvernement canadien et à d'autres gouvernements, et nous espérons que votre sous-comité pourra les appuyer.
La première concerne la surveillance, question qui a déjà été évoquée tout à l'heure. Dans une situation comme celle qui prévaut au Zimbabwe, il est crucial que la communauté internationale joue un rôle actif en surveillant la situation sur le terrain. J'ai été très heureux d'entendre le haut-commissaire dire qu'il s'efforce d'agir à ce sujet. Je veux toutefois recommander que l'on intensifie nos efforts et que le Canada fasse des pressions pour que d'autres gouvernements, qui partagent ou non ses positions, lui emboîtent le pas et commencent peut-être à agir de manière coordonnée, c'est-à-dire que plusieurs ambassades et hautes-commissions commencent à formuler une approche coordonnée en matière de surveillance de la situation sur le terrain.
Que représente la surveillance? Si la sécurité le permet, cela voudrait certainement dire que le personnel du Haut-commissariat…et je peux peut-être ici ajouter une autre recommandation, qui serait que l'on envisage d'autoriser le Haut-commissariat à déployer du personnel additionnel pour rehausser l'effort du Canada.
Je continue en disant que la surveillance pourrait vouloir dire que des employés canadiens, collaborant avec ceux d'autres missions diplomatiques, maintiennent une présence visible et publique dans les régions très tendues du pays, et suivent attentivement des procès comme ceux dont on a parlé tout à l'heure, le procès pour trahison de Morgan Tsvangirai, entre autres. Les procès politiques sont manifestement un outil de répression important au Zimbabwe.
» (1720)
Un autre aspect du problème est que le Canada doit se préparer à fournir une protection aux militants des droits humains et aux autres personnes en danger au Zimbabwe. Cela doit comprendre l'engagement de venir en aide aux personnes en danger qui pourraient vouloir quitter le pays.
Cette question est particulièrement préoccupante. Comme vous le savez, le Canada exige un visa des Zimbabwéens qui veulent venir chez nous. Cette mesure est très efficace pour bloquer l'accès, mais elle complique singulièrement la situation des personnes qui auraient besoin de notre protection. Il convient donc d'adopter des mesures pour que le Canada soit prêt à fournir un accès d'urgence et à évacuer les gens qui risquent d'en avoir besoin.
Nous souhaitons recommander aussi que le Canada continue de travailler de concert avec la communauté internationale. Il est clair que le Canada ne peut et ne doit pas tout faire tout seul et qu'il est important qu'il travaille avec d'autres États, sur une base bilatérale ou multilatérale.
Il est donc vital que le Canada maintienne une pression bilatérale sur les gouvernements africains, comme l'Afrique du Sud et le Nigeria, les plus connus, mais aussi la Namibie, l'Angola, le Malawi et la Zambie, qui accordent tous un soutien relatif au président Mugabe.
Un outil très utile pour ce faire consisterait à invoquer les engagements de bonne gouvernance, de protection des droits humains et d'examen par les pairs qui sont au coeur même de l'initiative du NEPAD et de la promesse récente du G-8 d'appuyer le NEPAD par son plan d'action pour l'Afrique.
Exercer des pressions sur ces gouvernements africains pour qu'ils contribuent activement à la réforme du Zimbabwe est particulièrement important puisque le gouvernement Mugabe est si souvent imperméable à la critique et aux pressions émanant d'Europe et d'Afrique du Nord.
Il est également crucial d'exercer une pression multilatérale par le truchement d'organismes tels que la Commission des droits de l'homme de l'ONU et le Commonwealth. Le Canada exerce une certaine influence au sein de ces organismes et il devrait s'en servir avec force et conviction.
Je tiens à souligner particulièrement la Commission des droits de l'homme, étant donné qu'elle tient actuellement une session qui continuera jusqu'à fin avril. Nous avons été heureux d'entendre--c'est la première fois--que le Canada est prêt à coparrainer une résolution de l'Union européenne sur le Zimbabwe.
Ce qui est important maintenant, à mon avis, c'est que le Canada investisse du capital diplomatique pour donner de bonnes chances à cette résolution. Cela veut dire qu'il devrait entreprendre une campagne réfléchie et créative de lobbying auprès des membres africains de la Commission qui ont fait partie du groupe le plus réticent envers la résolution de l'an dernier, pour faire en sorte que cette année, finalement, cet organisme international vital tourne son attention sur l'une des situations mondiales les plus préoccupantes en matière de droits humains.
Le président: Veuillez m'excuser, je vais vous demander de conclure, parce que le temps passe.
M. Alex Neve: J'allais m'arrêter.
Merci beaucoup.
Le président: Je donne maintenant la parole aux représentants de CARE.
M. A. John Watson (président, CARE Canada): Merci, monsieur le président.
Je tiens à vous féliciter, vous et vos collègues du sous-comité, qui consacrez votre temps et votre attention à la crise humanitaire de l'Afrique australe. Nous, qui travaillons dans la région, sommes encouragés de voir que la détresse des populations de l'Afrique australe constitue l'une des priorités de votre comité.
Pendant le peu de temps qui m'est imparti aujourd'hui, je voudrais vous indiquer ce que fait CARE au sujet de la crise alimentaire du Zimbabwe, pourquoi les efforts que nous avons déployés à ce sujet ont été couronnés de succès, et pourquoi nous devons les continuer. Lors d'audiences devant un comité, il est souvent difficile de bien faire saisir la nature du problème et j'ai donc apporté avec moi des photographies qui passeront pendant mon exposé. J'espère qu'elles vous permettront de juger encore mieux la situation.
Le Zimbabwe est actuellement aux prises avec une situation pré-famine qui s'aggrave. Dans tout ce pays, qui était autrefois le grenier de l'Afrique australe, des milliers de familles ne peuvent plus cultiver suffisamment pour survivre. Les agriculteurs ont peu de produits alimentaires à vendre sur les marchés, et les prix des denrées disponibles explosent. Même les animaux sauvages que chassent les Zimbabwéens quand leurs autres ressources se font rares, ou les fruits sauvages qu'ils récoltent, disparaissent très rapidement. De ce fait, beaucoup de familles sont obligées de vendre leur bétail et d'autres possessions pour se nourrir, mais ce ne peut être qu'une solution temporaire.
Des millions de Zimbabwéens sont gravement menacés de famine, surtout les plus vulnérables--enfants, personnes âgées, femmes enceintes et allaitant. Aujourd'hui, plus de 7 millions de Zimbabwéens--un peu plus de la moitié de la population totale--ont besoin d'une aide alimentaire.
La sécheresse, la perturbation du secteur agricole, l'absence de devises étrangères, le VIH/SIDA et les politiques de réforme agraire du gouvernement sont les causes de la crise alimentaire du Zimbabwe. Ces éléments catastrophiques, individuellement et en combinaison, ont entraîné la destruction des récoltes et perturbé les voies d'approvisionnement, causant ainsi la ruine de nombreuses régions du pays.
CARE et ses représentants sur le terrain, qui sont près de 500, accomplissent beaucoup face à cette situation catastrophique. Notre effort de distribution alimentaire, qui a commencé en avril dernier, atteint aujourd'hui plus d'un million de personnes. Pensez-y: cela représente toute la population d'Ottawa, répartie sur environ un tiers du pays.
Notre programme d'alimentation supplémentaire couvre les besoins d'alimentation d'un peu plus de 180 000 enfants de moins de cinq ans; de 230 000 enfants entre la 1ère et la 7e année, c'est-à-dire du niveau élémentaire; et un peu moins de 20 000 femmes enceintes et allaitant, grâce à des programmes d'alimentation ciblés dans neuf districts des Midlands du sud et de la province de Masvingo.
En outre, 316 enfants traités dans des hôpitaux des zones du projet reçoivent du Nutrimeal, un mélange maïs-soja. Du Nutrimeal humide est également fourni six jours par semaine aux enfants de moins de cinq ans, et cinq jours par semaine aux enfants du niveau élémentaire, et une ration sèche d'un mois est remise aux femmes enceintes et allaitant, une fois par mois.
La principale responsabilité de CARE dans ce programme est de fournir et de transporter des aliments jusqu'à des centres de distribution. Ensuite, ce sont les écoles et les cliniques qui assument la responsabilité de la préparation et de la distribution chaque jour.
Nous aidons aussi près de 150 000 agriculteurs dans 10 régions des provinces de Masvingo et des Midlands à avoir accès à des semences et engrais rares ou inexistants, et nous travaillons avec 110 000 petits agriculteurs vulnérables de sept régions des mêmes provinces pour les aider à diversifier leurs récoltes et à assurer leur gagne-pain en leur fournissant divers types de semences et d'engrais.
Toutefois, nous ne faisons pas ce travail hors contexte. La situation politique du Zimbabwe est extrêmement tendue, comme vous le savez. Dans ce climat, les grands donateurs comme les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada ne continueront pas à fournir des produits alimentaires si ceux-ci ne peuvent être distribués de manière impartiale aux personnes les plus nécessiteuses. Les agences qui distribuent les aliments au nom des grands donateurs doivent donc attacher une importance élevée à l'impartialité pour faire la distribution.
Au Zimbabwe, les priorités de CARE sont calculées strictement en fonction du besoin. L'impératif humanitaire prime tout, tout le temps. L'aide ne servira pas à promouvoir une opinion politique ou une croyance religieuse quelconque, et CARE ne deviendra jamais l'instrument politique d'un gouvernement.
» (1725)
Notre critère primordial est toujours le besoin de la population, jamais la politique. Nous appliquons le critère du besoin à tout ce que nous faisons, dans tous les pays où nous sommes présents. Si un gouvernement nous empêche d'agir en fonction de ce principe, nous partons. Nous n'accepterons jamais de plier pour compromettre ce principe.
Assurer l'impartialité n'est pas une tâche facile. Faire une distribution impartiale de produits alimentaires exige beaucoup de main-d'oeuvre. Les représentants de CARE se rendent dans chaque village du Zimbabwe et dressent la liste des personnes qui ont le plus besoin d'aide alimentaire, au moyen de plusieurs critères: familles dirigées par une femme, familles dirigées par un orphelin, familles qui n'ont eu aucune récolte ou une très mauvaise récolte, familles qui n'ont pas de bétail, familles qui n'ont pas d'emploi ou de revenu commercial, et familles qui ne reçoivent aucune aide de parents d'autres régions du pays.
Les listes sont dressées ouvertement, en présence de tous les villageois. Si des personnes influentes tentent à l'occasion de nous faire ajouter ou retirer des noms, nos représentants retournent dans le village avec la liste complète et vérifient auprès des villageois eux-mêmes que les changements suggérés sont légitimes. À ce sujet, nous avons besoin que nos collègues des droits humains, comme Amnistie, jouent le rôle de chien de garde. Chaque fois qu'on nous prévient d'un risque de corruption ou de manipulation d'un aspect quelconque de nos programmes, nous menons une enquête exhaustive.
Cette adhésion rigoureuse à l'impartialité est la meilleure manière que nous connaissions pour faire en sorte que seulement les personnes ayant le plus grand besoin reçoivent notre aide alimentaire. En fait, c'est tout le succès de nos programmes d'intervention dans les catastrophes internationales qui en dépend. La nécessité fondamentale de l'impartialité n'a jamais été plus apparente que dans nos efforts au Zimbabwe.
Pourquoi protégeons-nous ce principe avec tant de vigueur? Alors que les gouvernements, du Canada et d'autres pays, envisagent la situation du Zimbabwe dans le prisme de la politique, CARE n'a pas ce luxe. Nous devons chercher ce qui sera positif, ce qui améliorera la situation. Nous ne voyons que des gens qui peuvent bénéficier de notre intervention--des enfants mourant, des familles souffrant, des personnes âgées vulnérables--et nous décidons de les aider. Cela fait 60 ans que nous menons cette action sur le terrain, dans le monde entier.
Nos efforts ont sauvé des vies innombrables au Zimbabwe, mais les prévisions pour les prochains mois restent sombres. D'abord et avant tout, le climat n'a pas coopéré. Le Zimbabwe vient de connaître plusieurs mois inattendus de sécheresse, la pire depuis plusieurs décennies. Quand la pluie est finalement arrivée, comme au début du mois, elle a malheureusement pris la forme du cyclone Japhet. Les vents violents et les pluies torrentielles du cyclone ont causé des dégâts considérables à l'infrastructure, aux habitations et aux terres agricoles du sud et de l'est du pays. Les inondations provoquées par les pluies torrentielles ont emporté avec elles des centaines de maisons et d'énormes quantités de récoltes, dévastant ainsi encore plus ces terres déjà ravagées.
Bien que la plupart des pays possèdent les ressources nécessaires pour se rétablir rapidement face aux catastrophes naturelles, l'érosion délibérée de l'infrastructure du Zimbabwe signifie que le rétablissement après le cyclone sera lent. En conséquence, les gens du Zimbabwe continueront de souffrir des effets brutaux de la sécheresse et du cyclone pendant de nombreuses années.
Nos efforts de secours au Zimbabwe n'ont donc jamais été plus nécessaires que maintenant et c'est pourquoi CARE doit rester là-bas et y continuer son action. Le gouvernement du Canada peut jouer un rôle vital pour nous y aider.
Monsieur le président, j'exhorte votre comité à être sensible au fait que les deniers publics du Canada jouent un rôle considérable pour améliorer la vie des pauvres du Zimbabwe. En outre, j'exhorte votre comité à faire le nécessaire pour qu'on ne prive pas le Zimbabwe et d'autres pays d'Afrique australe des fonds dont ils ont désespérément besoin, au profit d'autres activités plus médiatiques--comme la reconstruction de l'Iraq. Les programmes crucialement importants et foncièrement efficaces qui sont actuellement en cours au Zimbabwe doivent continuer.
Merci, monsieur le président. Je serai très heureux de répondre à vos questions.
» (1730)
Le président: Merci, monsieur Watson.
[Français]
Monsieur Rocheleau.
M. Yves Rocheleau: Merci, monsieur le président. Bonjour, messieurs, madame. Je vous pose une question rapidement, parce qu'on va aller voter bientôt.
J'aimerais savoir ce que vous pensez, en tant qu'observateurs étrangers, de l'action historique du FMI dans un pays comme le Zimbabwe. J'aimerais aussi savoir ce que vous pensez de la nécessité, semble-t-il historique, d'une réforme agraire importante au Zimbabwe, où 3 p. 100 de la population possèdent 50 p. 100 des terres parmi les meilleures. On sait que lors des accords de Lancaster House, en 1979, tout ce pan de la naturalisation des terres, qui répondait à un besoin, a été écarté systématiquement et qu'on a mis des articles protégeant l'entreprise privée sur la terre. Comment voyez-vous cela, comme observateurs étrangers?
Quant à Amnistie internationale, j'aimerais savoir combien vous avez d'observateurs sur place et de quelles nationalités ils sont. Est-ce que c'est un peu réparti?
» (1735)
M. Alex Neve: Merci de vos questions. Je m'excuse, mais je préfère y répondre en anglais.
[Traduction]
Je commencerai par votre dernière question, qui concerne le plus directement Amnistie. Nous n'avons pas de gens sur le terrain dans quelque pays que ce soit. Nous surveillons la situation de l'extérieur et nous envoyons, aussi fréquemment que possible, des missions de recherche qui passent parfois quelques jours dans le pays, et parfois plusieurs semaines ou plusieurs mois.
Nous avions une mission au Zimbabwe pendant environ deux semaines fin janvier et début février. Elle comprenait un Canadien, un Sud-Africain et un Sénégalais. C'était notre équipe sur place. L'équipe suivante sera peut-être composée des mêmes personnes mais peut-être pas. Tout dépendra des compétences particulières dont nous aurons besoin pour notre prochaine mission.
En ce qui concerne la réforme agraire, il ne fait aucun doute que cela constitue un élément crucial dans toute la gamme des violations de droits humains dont nous discutons aujourd'hui. Il ne nous appartient pas de formuler des recommandations sur la réforme agraire, ce n'est pas notre rôle, mais nous tenons à ce que personne ne commette d'abus des droits humains dans le cadre de la réforme agraire.
Par exemple, on a beaucoup parlé de brutalité et de violence excessive lors de l'éviction des propriétaires fonciers. Nous avons condamné publiquement ces activités et avons exigé que l'on y mette fin. La violence dans le cadre de la réforme agraire nous préoccupe, quelle que soit son origine.
En ce qui concerne le FMI, je vais devoir vous promettre de vous envoyer une réponse par écrit. Je ne connais pas bien le travail du FMI au Zimbabwe mais j'ai des collègues qui pourraient vous donner des informations à cet égard.
De manière générale, nous souhaitons toujours que le FMI, quelles que soient les mesures qu'il entreprend dans un pays quelconque, place les droits humains au centre de ses initiatives. Nous sommes toujours déçus à cet égard et pensons toujours que le FMI devrait faire beaucoup plus pour veiller à ce que ses politiques et initiatives contribuent à la protection des droits humains, et pas le contraire.
Le président Vous avez deux minutes, monsieur Watson.
[Français]
M. John Watson: C'est la même chose pour moi. Ce sera plus clair si je réponds en anglais et qu'on se fie aux services de traduction professionnels.
[Traduction]
En ce qui concerne la réforme agraire, tout le monde convient qu'elle est nécessaire. Le problème est de savoir comment elle se fait.
La réforme agraire nous fait reculer…elle transforme des exploitations agricoles qui connaissaient un succès commercial en exploitations de subsistance, ce qui n'est pas un progrès, alors qu'il y a eu d'autres cas où la réforme agraire a permis de préserver les aspects commerciaux de l'agriculture, où la productivité est restée élevée, etc. Cela exige toutefois beaucoup de planification et de bonne volonté de toutes les parties concernées.
Hélas, ce n'est pas ce qu'on a constaté au Zimbabwe où l'on voit maintenant l'économie s'effondrer, à toutes fins pratiques, tout comme la productivité agricole.
Le président: Monsieur Casey.
M. Bill Casey: Monsieur Neve, vous parliez de l'indépendance de la magistrature. Comment les juges sont-ils nommés actuellement, quelle est la durée de leur mandat et de qui relèvent-ils?
M. Alex Neve: Vos questions sont excellentes mais, encore une fois, je vous promets de vous envoyer des réponses par écrit car je ne suis pas très au courant du processus de nomination judiciaire au Zimbabwe.
M. Bill Casey: Il semble cependant que les magistrats fassent l'objet de pressions.
M. Alex Neve: Absolument, et ce qui nous préoccupe en particulier à ce sujet, c'est toute la campagne de menaces, de harcèlement, d'intimidation et d'arrestation, comme dans l'exemple que je mentionnais d'un juge qui avait tout à fait légitimement fait preuve d'une indépendance judiciaire importante et d'un appui tout à fait important envers les droits humains et qui a été pénalisé un mois plus tard.
Il est donc incontestable que ce genre de campagne existe au Zimbabwe.
» (1740)
M. Bill Casey: L'appareil judiciaire est en fait la dernière ligne de défense, me semble-t-il, pour beaucoup de gens. Si elle est menacée…
M. Alex Neve: Absolument.
Le haut-commissaire parlait tout à l'heure des observations qu'il a faites au cours du procès Tsvangirai, en cours actuellement, qui lui ont permis de constater des exemples encourageants d'indépendance de la magistrature. Il nous faut espérer que cette indépendance continuera car, l'expérience l'a montré, les juges qui font preuve d'indépendance subissent de très fortes pressions pour changer d'attitude.
M. Bill Casey: Merci.
Le président: Karen Kraft Sloan.
Mme Karen Kraft Sloan: Merci, monsieur le président.
Mr. Neve vient de mentionner un certain nombre de recommandations à l'intention du comité. J'aimerais demander à M. Watson s'il a lui aussi des recommandations à nous communiquer au sujet de la crise humanitaire au Zimbabwe.
M. John Watson: Je pense que mon premier objectif est de faire comprendre au comité la différence qui existe entre les programmes alimentaires. Dans le programme géré par le gouvernement, ce dernier a manifestement le devoir de venir en aide à ceux de ses citoyens qui sont en difficulté, et il a acheté des quantités importantes de denrées. Toutefois, ce programme connaît les difficultés dont parlait Alex. Il y a donc une différence entre ce programme et celui qui est mis en oeuvre par le PAM avec les ONG.
Je ne veux pas dire qu'il n'y a pas de problèmes avec le type de distribution alimentaire dont nous parlons mais le programme est suffisamment important et nous avons été assez clairs avec les autorités pour pouvoir décider d'y mettre fin s'il y a une forme de manipulation quelconque ou si nous obtenons des rapports à cet égard et que notre enquête les confirme.
De fait--grâce à notre professionnalisme--nous avons constaté qu'il est possible de traiter même avec les gouvernements les plus terribles pour que les pauvres aient vraiment accès à ce dont ils ont besoin. Voilà quelle est notre priorité absolue.
Cela veut dire--et je pense que le comité doit en prendre conscience--que, si vous m'invitez à venir parler du Zimbabwe, je ne viendrai pas avec une longue liste d'infractions aux droits humains car, si nous voulons pouvoir jouer notre rôle, qui est de distribuer des aliments, nous devons rester très discrets sur la question des droits humains. En revanche, nous comptons sur les agences de promotion des droits humains pour bien faire leur travail et nous indiquer s'il y a un problème ici ou là, auquel cas nous intervenons.
Voilà donc mon message principal: l'aide peut être utilisée de manière très efficace même avec un gouvernement répressif. Je sais que l'on aura tendance à dire «Ce gouvernement est tellement terrible que nous devrions couper toute relation avec lui», mais ce serait une erreur. Hélas, là où il y a de très mauvais gouvernements, il y a aussi des citoyens qui ont des besoins énormes et qui font, dans le cas présent, face à un danger énorme de famine.
Mme Karen Kraft Sloan: Est-il déjà arrivé que des pressions soient exercées sur vos représentants pour rayer des noms de la liste? Leur est-il déjà arrivé de se sentir menacés ou de croire que leur sécurité personnelle était en danger? Font-ils l'objet de pressions au sujet de la liste?
M. John Watson: Nous ne voulons pas mettre nos représentants en danger, c'est notre premier principe. Donc, si une liste pose des problèmes, nous retournons en parler aux villageois concernés. Si nous voulons nous assurer que les listes correspondent aux critères que j'ai mentionnés, la première chose est d'en assurer la transparence, c'est-à-dire de les dresser lors de réunions publiques, pour que chacun sache qui y est et qui n'y est pas.
S'il y a un élément hostile lors de ces réunions publiques, au lieu de continuer avec les villageois, nous allons nous adresser au gouverneur de la province et lui dire «Écoutez, vous avez un problème dans ce village avec des gens qui font trop de pressions et nous n'allons plus y distribuer de produits alimentaires; vous feriez mieux de mettre de l'ordre dans cette situation parce que nous ne pouvons continuer notre travail que si les aliments que nous distribuons vont aux personnes qui en ont le plus besoin». Voilà notre méthode.
» (1745)
Mme Karen Kraft Sloan: Qu'arrive-t-il aux gens dont le nom figure sur la liste et qui sont donc jugés comme répondant aux critères? Je songe à quelques situations qui pourraient m'aider à mieux comprendre.
Tout d'abord, il doit être très difficile de prendre la décision, dans certains cas, parce qu'il y a probablement beaucoup de gens qui pourraient figurer sur la liste si vous aviez plus de ressources. C'est probablement une situation très difficile car il y a d'autres gens qui sont dans le besoin.
En outre, même dans les cas où il n'est pas si difficile que cela de choisir, je me demande si les gens dont le nom figure sur la liste ne risquent pas de faire l'objet de représailles.
M. John Watson: Non, car les listes sont dressées en fonction du besoin et non pas de critères politiques. Ce sont les critères dont j'ai parlé tout à l'heure. S'il s'agit d'alimentation supplémentaire, ce sont souvent des critères anthropomorphiques--vous savez, la longueur du bras de l'enfant, sa taille, etc.
Tant que les gens comprennent qu'aucun nom n'a été inscrit sur la liste à cause de son appartenance politique, il n'y aura pas de représailles. Les cas dont je parle sont, par exemple, ceux d'une famille dirigée par un orphelin ou d'une famille qui ne reçoit d'aide de personne d'autre. Tout cela doit se faire publiquement. C'est un peu comme la publication des listes électorales: les gens peuvent contester la liste mais tout est fait au grand jour et est discuté au sein de la communauté. Dans certains cas, quelqu'un interviendra et dira: «Ces gens-là ne devraient pas être sur la liste, ils ont un fils en ville qui travaille dans un bureau et qui leur envoie de l'argent». Dans ce cas, ils ne font pas partie des plus nécessiteux.
Les choix sont difficiles à faire mais il est impossible de ne pas les faire. Comme les ressources dont nous disposons sont limitées, le fait qu'on donne les aliments à quelqu'un signifie qu'on n'en donnera pas à quelqu'un d'autre. La solution est de formuler des critères que tout le monde comprend de façon à identifier de manière incontestable les gens qui se trouvent vraiment au bas de l'échelle. Si nous faisons cela comme il faut, professionnellement, et que nous nous en tenons à nos décisions, c'est en fait notre seule défense dans une situation aussi politisée qu'au Zimbabwe.
Mme Karen Kraft Sloan: Bien. J'ai moi aussi des électeurs qui demandent à bénéficier d'un programme et qui ne répondent pas aux critères d'admissibilité. Ils en sont très mécontents mais il est très clair que ce n'est pas une décision politique. Les critères sont publics.
L'un des critères est «pas de récolte». Manifestement, s'il n'y a pas de récolte, il n'y a pas de récolte, mais une récolte faible peut être une notion relative. Est-ce que ce sont les gens du village qui décident qu'une récolte a été faible?
M. John Watson: Si vous avez un contexte ou connaissez des cas, je serais très heureux de leur écrire car, si c'est dans notre région...
Mme Karen Kraft Sloan: Non, c'est simplement une question générale. Je ne connais pas beaucoup cette situation, je suis nouvelle au sein de ce comité. Je m'occupe surtout d'environnement. C'est la première fois que je m'occupe de questions d'aide humanitaire et j'essaie de comprendre votre procédure.
M. John Watson: C'est une procédure très communautaire. Si vous allez en Afrique, notamment au Zimbabwe, vous constaterez que certaines collectivités bénéficient d'un barrage et qu'il y a des champs autour du barrage. Ces familles-là auront une récolte de 80 p. 100 alors que, 100 mètres plus loin, d'autres subiront une perte de 95 p. 100, et tout le monde le sait. Donc, si l'une des familles qui a eu une bonne récolte essaie de s'inscrire sur la liste, toutes les autres vont hurler.
Mme Karen Kraft Sloan: Bien. C'est simplement que j'étais surprise de voir que c'était une question de listes. Je ne savais pas. C'est nouveau pour moi.
M. John Watson: Absolument. Il s'agit de savoir, parmi les villageois, qui a le plus de besoins selon les critères qui ont été formulés.
» (1750)
Mme Karen Kraft Sloan: Bien.
Le président: Il vous reste du temps pour une dernière question, avec une brève réponse, et ce sera la fin.
Mme Karen Kraft Sloan: Ce ne sera probablement pas une brèeve réponse…
Je voulais demander cela au haut-commissaire, tout à l'heure, mais j'ai manqué de temps. En ce qui concerne certains des dirigeants les plus progressifs et les plus démocratiques d'Afrique, pensez-vous qu'il est possible de travailler avec eux, par le truchement de votre organisation et d'autres ONG avec le gouvernement du Canada? Vous avez dit qu'il faudrait exercer des pressions bilatérales sur d'autres pays et je me demande si vous pourriez préciser.
M. Alex Neve: Absolument. Nous pensons que c'est vital.
Il est parfaitement clair que le gouvernement actuel du Zimbabwe résiste vigoureusement aux pressions émanant des quatre coins du monde, y compris de l'Europe et de l'Amérique du Nord, et que ce sont donc des voix africaines influentes qui pourraient avoir la meilleure chance de favoriser une vraie réforme.
L'Afrique du Sud est le premier des nombreux gouvernements africains qui pourraient jouer un rôle. Nous avons souvent exprimé, très publiquement, notre déception devant le fait que l'Afrique du Sud n'a pas relevé ce défi. Le gouvernement sud-africain a été beaucoup plus discret et nuancé, et a parfois joué un rôle négatif, à l'égard de certaines initiatives qu'il a prises au sujet du Zimbabwe.
Voilà donc pourquoi nous pensons légitime de recommander au Canada de continuer d'exercer des pressions sur le Zimbabwe mais de tenir compte aussi du fait qu'il serait peut-être plus efficace, étant donné que les mesures diplomatiques et l'énergie sont limitées, de se concentrer sérieusement sur l'Afrique du Sud, pour l'inciter à être beaucoup plus vigoureuse à l'égard du Zimbabwe.
Mme Karen Kraft Sloan: Eh bien, si le NEPAD consiste à faire en sorte que l'Afrique trouve des solutions aux problèmes de l'Afrique…
M. Alex Neve: Absolument. Cela deviendra un cas type.
Mme Karen Kraft Sloan: Exactement.
Merci, monsieur le président.
Le président: Je tiens à remercier nos deux témoins, Alex Neve d'Amnistie Internationale, et John Watson, de CARE, qui ont bien voulu partager avec nous leur expérience sur le terrain. Je suis sûr que cela a été utile à tous les membres du comité. Si vous avez des informations complémentaires à nous communiquer, n'hésitez pas à nous les envoyer, nous seront très heureux de les recevoir.
Merci à nouveau d'être venus.
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