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SRID Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Sous-comité des droits de la personne et du développement international du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 29 avril 2003




¹ 1545
V         Le président (M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.))
V         Le président
V         M. Yves Rocheleau (Trois-Rivières, BQ)
V         Le greffier du comité
V         M. Yves Rocheleau
V         Le président
V         M. Yves Rocheleau
V         M. Svend Robinson (Burnaby—Douglas, NPD)
V         Le président
V         M. Bernard Taylor (directeur général, Partenariat Afrique Canada)

¹ 1550

¹ 1555
V         Le président
V         M. Charles Mugiraneza (directeur des programmes outre-mer, Alternatives Canada)

º 1600

º 1605
V         Le président
V         M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca)

º 1610
V         M. Bernard Taylor
V         M. Charles Mugiraneza

º 1615
V         M. Keith Martin
V         Le président
V         M. Yves Rocheleau
V         M. Charles Mugiraneza

º 1620

º 1625
V         Le président
V         M. Bernard Taylor

º 1630
V         Le président
V         M. André Harvey (Chicoutimi—Le Fjord, Lib.)
V         M. Bernard Taylor

º 1635
V         M. Charles Mugiraneza
V         M. André Harvey

º 1640
V         M. Bernard Taylor
V         M. André Harvey
V         M. Bernard Taylor
V         Le président
V         M. André Harvey
V         Le président
V         M. Charles Mugiraneza

º 1645
V         Le président
V         Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.)

º 1650
V         M. Bernard Taylor

º 1655
V         Le président
V         M. Charles Mugiraneza

» 1700
V         Le président
V         Mme Karen Kraft Sloan
V         Le président










CANADA

Sous-comité des droits de la personne et du développement international du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


NUMÉRO 006 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 29 avril 2003

[Enregistrement électronique]

¹  +(1545)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.)): J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les participants à nos audiences qui se poursuivent sur la crise humanitaire en Afrique. Je suis ravi d'accueillir les témoins que nous allons entendre aujourd'hui.

    Nous en avons deux pour le moment dont Bernard Taylor, directeur général de Partenariat Afrique-Canada,

[Français]

et Charles Mugiraneza, qui est le directeur des programmes outre-mer pour Alternatives Canada.

[Traduction]

    Avant de passer aux témoignages, j'aimerais présenter deux motions. Vous avez reçu préavis de leur présentation en vue de remédier à ce qui s'est produit lors de la séance du 8 avril. Ce jour-là, il n'y avait pas quorum mais nous avons entendu d'excellents témoignages.

    Les deux motions ont pour objet de régler ces deux problèmes de la manière suivante. La première se lit comme suit:

Que le président soit autorisé à tenir des séances afin de recevoir et de publier des témoignages en l'absence de quorum pourvu qu'au moins trois membres soient présents, dont des membres du gouvernement et de l'opposition.

    Cette motion a pour objet de voir à ce que les témoignages soient présentés dans les règles quand les témoins sont présents et que nous puissions leur faire la courtoisie d'une audience en bonne et due forme.

    La seconde se lit comme suit:

Que les déclarations faites par des représentants du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et de l'Agence canadienne de développement international aux membres du Sous-comité le 9 avril 2003 et les questions posées par la suite par les membres ainsi que les réponses données soient considérées comme des témoignages pour l'étude que réalise le Sous-comité sur la catastrophe humanitaire en Afrique et que les témoignages ainsi entendus soient réputés constituer les délibérations de la cinquième séance du Sous-comité.

    La raison d'être de cette motion est que nous avons eu une excellente séance et je pense qu'il serait fort regrettable que les témoignages, et en particulier la discussion qui a suivi, les excellentes questions qui ont été posées et les réponses qui ont été données ne fassent pas partie du rendu officiel qui pourrait ainsi être diffusé comme étant le compte rendu d'une réunion du comité.

    (Les motions sont adoptées)

+-

    Le président: Bon, je suis ravi que les deux motions aient été adoptées et donc, du point de vue de la procédure, nous allons pouvoir procéder d'une manière efficace et représentative des faits.

    Yves.

[Français]

+-

    M. Yves Rocheleau (Trois-Rivières, BQ): Monsieur le président, je voudrais porter à votre attention et à celle du comité le fait que j'ai rencontré un individu qui est soit étudiant au doctorat ou professeur ici, à l'Université d'Ottawa--je ne me rappelle plus--, mais qui est un Rwandais à qui j'ai demandé de mettre par écrit la situation qu'il connaît dans son pays, qui est extrêmement pénible, comme vous le savez, et ce qu'il entend faire, selon ce qu'il m'a dit, pour le début mai. Je souhaiterais, pour le bénéfice du comité--j'ai déjà sensibilisé M. le greffier--qu'il puisse peut-être comparaître, si on avait le temps de le faire, suite à la présentation de son document. Donc, je voulais porter cela à votre attention immédiatement.

+-

    Le greffier du comité: Monsieur le président, évidemment, c'est une question de temps. Je sais que la semaine prochaine, le sous-comité va recevoir le secrétaire d'État pour l'Amérique latine, l'Afrique et la Francophonie, M. Paradis, et que la semaine suivante, il n'y aura pas de réunion parce que le comité principal voyagera. Ensuite, on a le congé du mois de mai. Si je comprends bien, le sous-comité veut être saisi d'un projet de rapport pour, je crois, le 27 mai, la dernière semaine du mois de mai. Il s'agit pour le sous-comité de décider s'il veut, oui ou non, trouver une place pour entendre le témoin. Je présume que le sous-comité peut toujours trouver une heure quelque part.

+-

    M. Yves Rocheleau: On peut au moins déposer son rapport et on verra l'intérêt qu'il suscitera.

+-

    Le président: Oui, c'est ça, et on pourra avoir le témoignage dans la documentation.

+-

    M. Yves Rocheleau: Cela pourrait être moins d'une heure, peut-être 45 minutes, mais on verra. Je voulais vous sensibiliser, en tout cas, si jamais je reviens avec cela ou encore s'il y avait moyen de faire parvenir son document directement à M. le greffier, qui pourra vous en parler et peut-être prévoir une rencontre. En tout cas, je voulais vous sensibiliser à cela.

+-

    M. Svend Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): Monsieur le président, je suggère que l'étudiant en question soumette son document peut-être à M. Rocheleau ou directement au greffier, qu'il soit traduit et qu'on le fasse circuler parmi les membres du comité. Franchement, je ne sais pas si on aura le temps de l'entendre comme témoin, mais on peut faire circuler son document et si, par exemple, M. Rocheleau veut convoquer une réunion dans un bureau avec les députés qui sont intéressés, ce serait possible.

+-

    Le président: Je pense que c'est peut-être la meilleure option, pour le moment.

    Nous allons maintenant commencer à entendre le témoignage.

[Traduction]

    J'invite monsieur Taylor à commencer.

+-

    M. Bernard Taylor (directeur général, Partenariat Afrique Canada): Je vous remercie infiniment.

    La dernière fois que j'ai eu le privilège de m'adresser au comité permanent remonte au mois de novembre. Le Parlement était alors en train d'étudier un projet de loi sur le commerce des diamants. Nous sommes très heureux qu'il ait été adopté.

    J'ajouterai simplement que le processus de Kimberley est en marche et que les parties prenantes au processus sont actuellement réunies pour résoudre les problèmes en suspens. Je tiens à faire part au gouvernement de notre appréciation pour les efforts qu'il a accomplis à cet égard.

    J'aimerais dire plusieurs choses au sujet de la crise humanitaire en Afrique du point de vue de Partenariat Afrique-Canada. Mes commentaires seront forcément assez généraux dans l'ensemble, je donnerai quelques précisions ici ou là, mais des idées plus précises seront peut-être émises au cours des discussions qui suivront.

    Selon nous, la crise qui touche l'Afrique est celle de la pauvreté endémique. Cette pauvreté cause de nombreux problèmes qui, à leur tour, perpétuent et parfois aggravent la pauvreté. Au milieu de cette pauvreté, il y a une terrible souffrance humaine, du désespoir, mais également de l'espoir.

    Les solutions à ce problème complexe se trouvent à la fois dans les pays africains et à l'étranger. Selon nous, la pauvreté de l'Afrique est une responsabilité commune.

    On peut résumer comme suit les grands problèmes qui caractérisent l'Afrique et la crise humanitaire. L'Afrique compte beaucoup d'États, de démocraties et d'institutions faibles. Trop fréquemment, cela donne lieu, dans de nombreuses régions d'Afrique, à des actes de répression, à des infractions aux droits de l'homme et même à des conflits. Ces dernières années, il y a eu beaucoup de conflits nationaux, par opposition aux conflits internationaux, qui ont causé des déplacements de populations massifs et des flots de réfugiés.

    Les visées économiques à l'origine de certains de ces conflits constituent une tendance très inquiétante. Les pandémies comme celle du VIH-sida sont en train d'inverser des indicateurs de développement qui étaient positifs depuis des décennies. Elles s'ajoutent à d'autres graves problèmes de santé comme la malaria, qui tue un million d'enfants par an, et auxquels on ne s'est pas encore attaqués sérieusement au niveau international.

    L'insécurité alimentaire est chronique dans trop de régions d'Afrique où la production alimentaire est insuffisante et la conservation et les réserves des denrées inadéquates, ce qui menace des populations entières.

    Dans la majorité des pays, l'économie est faible, l'endettement énorme et la capacité de production sous-développée. Les échanges commerciaux entre pays africains et avec le reste du monde demeurent très limités

    La liste des problèmes auxquels les pays d'Afrique doivent faire face est très longue. Cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas les surmonter ou qu'il n'y a pas d'espoir. Mais pour les résoudre, il faut prendre des mesures dont certaines sont la responsabilité du Canada ou une responsabilité partagée.

    Il est malheureux que la conjoncture internationale actuelle paraisse moins favorable à l'Afrique qu'elle ne l'était en 2001 et 2002. Le multilatéralisme apte à aider l'Afrique est obscurci par un unilatéralisme plus égoïste. Cela a des conséquences considérables sur le budget des États, en particulier celui de la défense, partout dans le monde, y compris en Afrique, et aura vraisemblablement un effet négatif sur les investissements et sur les politiques financières qui profitent aux pays les plus pauvres.

    Quant au rôle du Canada face à la crise humanitaire africaine, nous affirmons que, en dépit de ce scénario pessimiste, le Canada peut jouer un rôle plus dynamique et plus déterminant pour la soulager. Cela suppose nécessairement un travail acharné au niveau politique ainsi que des ressources financières additionnelles.

    Voici des exemples de secteurs d'activité et de mesures dans lesquels le Canada pourrait investir davantage. Le Canada devrait renforcer vigoureusement les actions multilatérales en s'assurant, par exemple, que les programmes internationaux comme le Fonds mondial sont suffisamment financés. Le Canada devrait augmenter sa contribution à ce dernier et encourager les autres à faire de même.

¹  +-(1550)  

    Le Canada devrait faire en sorte que la communauté internationale réponde adéquatement aux urgences alimentaires en Afrique. En outre, le Canada devrait faire davantage pour aider les régions d'Afrique à élaborer des programmes régionaux de sécurité alimentaire.

    Le Canada devrait utiliser sa position privilégiée au sein des Nations Unies, du Commonwealth et de la Francophonie pour contribuer davantage à résoudre les crises les plus inacceptables dans certains pays africains dont le Zimbabwe, la République démocratique du Congo et le Soudan.

    Le Canada devrait accroître ses efforts pour mettre fin aux nombreux conflits qui ravagent l'Afrique, en ayant recours à la diplomatie active et en renforçant la capacité de l'Afrique à élaborer un cadre de sécurité commun.

    Le Canada devrait renforcer sa capacité de maintien de la paix en envisageant, par exemple, de créer au sein des Forces canadiennes une unité spécialisée dotée du personnel et de l'équipement voulus et prête en permanence à intervenir au service de la communauté internationale. Cette unité aiderait les pays africains à acquérir une capacité semblable.

    Le Canada devrait inverser plus rapidement dix années de réduction du budget de l'aide internationale et persuader les autres pays de suivre son exemple. Le nouveau Fonds canadien pour l'Afrique est un pas dans la bonne direction, mais bien trop modeste.

    Le Canada devrait doubler le nombre de « pays de concentration » en Afrique, qui est actuellement de six, et affecter des ressources suffisantes à ses programmes. Au lieu d'établir son programme de développement pays par pays, le Canada devrait viser des régions entières. Il devrait prendre pour base de ce ciblage régional les pays de concentration et inclure des mesures pour les pays voisins afin d'éviter que les problèmes ne débordent des frontières.

    Enfin, le Canada devrait encourager les riches pays industrialisés à favoriser davantage la production économique en Afrique en adoptant des politiques commerciales internationales favorables. Cela devrait s'accompagner d'un plan d'action urgent pour alléger la dette africaine. À moins d'un « Plan Marshall », le marché international continuera à ignorer la majorité des pays africains.

    En conclusion, monsieur le président, je dirai que Partenariat Afrique-Canada, ses membres et ses partenaires sont convaincus que le Canada est capable d'influencer favorablement l'action internationale en faveur de l'Afrique. Son appui au NPDA, son leadership au G-8 à l'égard de l'Afrique et son programme actuel d'aide concentré sur l'Afrique sont des indications des priorités du Canada relativement à ce continent. Malgré les crises qui perdurent en Afrique, il y a beaucoup d'éléments positifs, et il est urgent que nous nous en inspirions pour agir.

    Je vous remercie.

¹  +-(1555)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Taylor.

[Français]

    On va maintenant entendre M. Mugiraneza.

+-

    M. Charles Mugiraneza (directeur des programmes outre-mer, Alternatives Canada): Merci, monsieur le président. Merci à tous les honorables députés présents ici.

    Au nom d'Alternatives Canada, l'organisme que je représente à ces consultations, je voudrais encore une fois vous remercier de nous avoir invités. Après les discussions que j'ai entendues pour le dépôt du rapport de la personne qui voudrait participer ici comme nous, je considère que c'est un privilège qu'on a de pouvoir venir s'exprimer devant vous.

    En ce qui concerne la crise humanitaire en Afrique, actuellement, on observe qu'il y a une sorte de croissant qui traverse l'Afrique d'est en ouest et de la Corne, en passant par la région des Grands Lacs, jusqu'en Angola, en remontant vers l'ouest jusqu'en Sierra Leone, en passant par la Côte d'Ivoire. Je pourrais appeler cela un arc des tempêtes, où partout sévissent les guerres, les conflits, la désintégration sociale et économique de ces pays africains qui sont situés dans cet arc des tempêtes.

    Le portrait est saisissant. On assiste à des guerres atroces de longue durée qui menacent des vies humaines. Des milliers de gens sont déplacés. C'est le cas en République démocratique du Congo où les rapports des organisations non gouvernementales font état d'environ 3 millions de victimes directes et indirectes du conflit dans lequel sont impliqués les voisins comme le Rwanda et l'Ouganda. Ces guerres créent des situations régionales et internes très complexes qui mélangent toutes sortes de nationalismes, d'ethnismes dans des cocktails explosifs profondément réactionnaires, ce qui est le cas en Côte d'Ivoire, où la guerre mélange toutes sortes de problèmes identitaires, religieux, régionaux et autres.

    La destruction des économies paysannes et des couches urbaines s'ensuit. Suite à ces guerres, les populations sont écrasées par les conflits, mais en même temps, écrasées par le développement, qui est atrophié et désarticulé. Il y a en même temps des manipulations incessantes par les grandes puissances, en l'occurence les anciens pays colonisateurs, ce qui est le cas par exemple de la Côte d'Ivoire, où la France est suffisamment impliquée dans son conflit, mais aussi des acteurs régionaux. J'ai cité le cas de l'Ouganda et du Rwanda dans le cas de la République démocratique du Congo.

    Tout cela se traduit par des conflits très prolongés sur le continent africain, une crise prolongée qui est multiforme, qui est très complexe, qui désarçonne et déstabilise les populations et les organisations qui s'impliquent dans le milieu pour l'autodéveloppement et la défense des droits de la personne dans ces pays-là. Dans ces conflits à caractère identitaire, les populations sont de plus en plus prises en otage. Les civils sont devenus des moyens pour faire la guerre. Des foyers de population sont déplacés, déportés, expulsés. Par exemple, en 1994, au Rwanda, il y a eu la fuite de plus d'un million de personnes, qui ont été utilisées comme bouclier pour la fuite des commanditaires du génocide.

    Au-delà de la guerre, l'autre crise humanitaire qu'il faut aborder cet après-midi sur le continent africain est celle du sida. L'Organisation des Nations Unies prévoit que d'ici l'an 2020, 55 millions d'Africains pourraient mourir prématurément du sida. Les abus sexuels commis sur les femmes et les filles, elles-mêmes souvent orphelines du sida, ont contribué à la propagation chez les femmes et souvent dans les pays en conflit. Il y a une forte propagation du sida dans les pays en conflit, et un rapport publié par Human Rights Watch en collaboration avec un partenaire dans l'est du Congo a démontré comment, dans l'est du Congo, suite à la crise qui sévit actuellement, il y a de nombreux viols de femmes. En l'occurence, une grande partie de la population a été atteinte par la pandémie du sida.

º  +-(1600)  

    Brièvement, il faut dire que ces crises humanitaires bénéficient d'une diversité d'éléments catalyseurs, et sans trop m'attarder sur les éléments catalyseurs, je voudrais dire ici qu'il y a l'impact des politiques néo-libérales qui sont pilotées par les institutions de Bretton Wood, qui ont contribué à la croissance de la pauvreté en Afrique depuis les trois dernières décennies. Et suite à ces programmes néo-libéraux qui se traduisent pas des problèmes d'ajustements structurels, il y a eu, par exemple, une forte déscolarisation des jeunes filles, et la plupart des jeunes filles déscolarisées se sont retrouvées obligées de travailler, souvent dans le milieu de la prostitution, ce qui a contribué, encore une fois, à l'extension de la crise du sida.

    Néanmoins, on ne peut pas s'attarder à seulement tracer un tableau sombre du continent africain, parce qu'il y a des efforts qui sont faits pour essayer d'endiguer les crises humanitaires que subit le continent africain. Dans les dernières années, on a observé que, par exemple dans la plupart des crises humanitaires, là où il y a des guerres, des processus de paix ont été amorcés qui de plus en plus donnent des résultats.

    Comme vous le savez, en ce qui concerne la République démocratique du Congo, depuis hier, je pense, les différentes factions rebelles de l'est sont rentrées à Kinshasa pour essayer de travailler dans le comité de suivi afin d'essayer de ramener la paix au Congo.

    C'est le cas aussi dans un petit pays comme le Burundi, où le président Buyoya vient d'accepter de céder le pouvoir au vice-président du Frodebu, et je pense que la deuxième phase de la transition commence en date du 1er mai, suite à la rotation qui avait été prévue dans l'Accord d'Arusha, où le Canada avait fortement appuyé ce pays-là.

    Bien sûr, les efforts de paix qui ont été enclenchés--on peut citer aussi le cas du Soudan, avec les négociations qui ont été pilotées par le Kenya--donnent tranquillement des résultats. Mais tous ces efforts, encore une fois, sont un peu entachés par le cas de la Côte d'Ivoire, un pays qui était aussi fort et aussi important en Afrique de l'Ouest et qui est tombé dans une crise qui a commencé, je pense, au mois de septembre, l'année passée.

    Face à toutes ces crises, face à toute cette volonté qui est dégagée par ceux qui sont concernés directement, la population africaine et ses dirigeants, je pense que des pays comme le Canada... C'est sans nier les efforts qui ont été faits par le Canada, parce que le Canada a quand même appuyé, à travers le réseau que je connais, des organisations non gouvernementales. Ce sont des appuis assez considérables en ce qui concerne les crises humanitaires, entre autres pour le rapatriement des réfugiés, la réinstallation des déplacés. Elles sont aussi très impliquées au niveau de la société civile en matière de résolution, de prévention et de gestion des conflits avec des appuis venus de l'ACDI via l'unité de la consolidation de la paix.

    Néanmoins, il y a encore des efforts assez considérables à faire, parce que les crises qui sévissent sur le continent africain sont des crises qui sont assez considérables. Ce sont des crises qui, pour la plupart, ne sont pas nécessairement récentes, mais qui sont des crises de longue date, donc qui nécessitent des processus assez réfléchis et qui nécessitent beaucoup de synergie pour essayer de permettre au continent africain de s'en sortir, parce que c'est quand même un continent qui a un potentiel. C'est un continent où depuis les dix dernières années, disons depuis la chute du Mur de Berlin, a été abandonné, mais où quand même, malgré toutes les crises qui ont surgi après la chute du Mur de Berlin, il y a eu comme un renouveau et où des organisations de la société civile sur le continent africain essaient de se mobiliser davantage et essaient d'être de plus en plus présentes sur la scène d'intervention, afin d'essayer de pallier toutes ces crises humanitaires sur le continent africain.

    Merci.

º  +-(1605)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Mugiraneza, pour votre témoignage.

[Traduction]

    Notre témoin suivant, Rieky Stuart, représentant d'Oxfam Canada, ne peut être avec nous aujourd'hui en raison d'un décès dans sa famille. Nous n'aurons donc que deux témoins aujourd'hui.

    Nous allons commencer par les question de Keith Martin.

    Monsieur Martin.

+-

    M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca): Merci, Mr. Chairman. Et merci aussi, monsieur Taylor and thank you very much monsieur Mugiraneza.

    Je m'excuse d'avance car je dois m'en aller dans quelques minutes pour assister à une réunion sur le Soudan, mais je voulais vous poser une ou deux questions et faire d'abord une observation.

    Vous avez dit tous les deux que la pauvreté est un obstacle énorme au développement. Pourtant, ce continent est extraordinairement riche en ressources. Nous le savons tous. Je dirais que c'est probablement le plus riche de tous les continents, or ses habitants sont les plus pauvres de la planète. Que pouvons-nous faire et que devrions-nous faire pour renforcer les institutions afin que l'exploitation des ressources de ce continent profite à ces habitants? Comment procéder quand nous savons que les organisations internationales ou multilatérales sont, dans l'ensemble, des colosses au pied d'argile? Nous avons l'exemple du Commonwealth et du Zimbabwe, et celui des Nations Unies, qui sont absentes de plusieurs conflits sur le continent qui ont fait des millions de victimes, et qui sont incapables de faire respecter les magnifiques traités et obligations auxquels nous avons tous souscrit.

    Qu'est-ce que devrait faire notre pays non seulement pour renforcer les institutions du continent, mais aussi pour mobiliser les dirigeants africains dont un grand nombre sont des kleptocrates et des brutes criminelles? Comment mobiliser les bons dirigeants africains pour doter ces pays des capacités voulues pour bien gouverner, avec l'aide d'institutions solides, de manière à ce que les richesses du continent profitent à ses habitants?

º  +-(1610)  

+-

    M. Bernard Taylor: La question est réellement complexe, et la réponse est probablement tout aussi complexe. Je ne vais probablement pas y rendre justice.

    Comme j'ai essayé de l'expliquer, la question de la pauvreté et tout ce qui l'entoure, y compris ce que la pauvreté cause et ce qui cause la pauvreté, est extrêmement complexe. Elle comporte de nombreux éléments, dont la médiocrité des résultats économiques et la faiblesse des institutions et de la démocratie, qui chacun alimente et renforce l'autre. Par conséquent, toute action que nous sommes capables d'entreprendre doit être lancée sur plusieurs fronts, y compris par l'intermédiaire des institutions que vous avez mentionnées, qui ont bien sûr leurs points forts et leurs points faibles.

    Si une institution fait preuve de faiblesse, ce n'est pas nécessairement sa faute ni celle de sa structure, mais des intervenants. Par exemple, l'Organisation des Nations Unies est en train de s'effondrer, mais je pense que des intérêts importants sont en jeu et qui empêchent l'ONU de remplir son rôle. Dans le cas du Commonwealth et du Zimbabwe, il y a au sein du Commonwealth des intervenants qui, pour différentes raisons, ne vont pas aussi loin qu'ils le devraient pour mettre le holà à la situation dans ce pays.

    Le Canada peut donner l'exemple en agissant bilatéralement directement avec les pays africains, comme il le fait dans son approche à l'égard du NPDA, en appuyant et en récompensant les pays qui ont de bons résultats aux niveaux politique et économique. Je pense qu'il est tout à fait naturel que ces pays deviennent les partenaires clés que le Canada devrait appuyer. Les pays qui ne sont pas démocratiques et qui s'effondrent doivent être mis au défi et traités différemment.

    Je reviens à la première chose que j'ai dite, à savoir que nous devons renforcer l'approche multilatérale; en effet, le Canada n'est qu'un acteur de moyen ordre, mais il y a des acteurs importants qui peuvent faire une différence, positivement ou négativement. Je pense que c'est en jouant la carte du multilatéralisme et grâce à nos relations privilégiées avec les États-Unis, par exemple, que nous pouvons contribuer à faire une différence.

    Enfin, je pense qu'il est très important que les efforts de l'Afrique pour régler ses problèmes soient respectés et encouragés. C'est peut-être la solution solo, mais en fin de compte, ce sera la meilleure. Nous devrions donc appuyer l'Union africaine, anciennement l'OUA, avec toutes ses imperfections; appuyer les éléments positifs du NPDA, en dépit de ses imperfections; et travailler avec toute une variété de pays africains au lieu de nous limiter aux six, sept ou huit d'entre eux qui réussissent.

[Français]

+-

    M. Charles Mugiraneza: Merci beaucoup.

    Je pense qu'au début de sa présentation, Bernard, à un certain moment, a dit que les responsabilités sur le continent africain quant à la situation et aux crises que vit le continent africain sont partagées. Comme vous le dites, honorable monsieur le député, effectivement, les Africains ont leur part de responsabilités, entre autres sur la question de la gestion et entre autres sur la question de la corruption. Je pense que c'est l'un des continents qui aura vécu des exemples de corruption; on peut en citer des milliers.

    Mais d'un autre côté, il faut regarder le revers de la médaille. La pauvreté sur le continent africain a d'autres causes, qui vont au-delà de la responsabilité des Africains eux-mêmes. C'est entre autres ce que j'ai dit des politiques, des institutions, comme les politiques de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Aujourd'hui, ce n'est un secret pour personne que les politiques de ces institutions ont appauvri davantage le continent africain. Même les organisations des Nations Unies comme la CNUCED l'ont reconnu l'année passée. La CNUCED a fait un rapport qui critiquait beaucoup la nouvelle forme de contribution au développement de l'Afrique via les DSRP, les documents de stratégie pour la réduction de la pauvreté.

    Donc, la question de la responsabilité de la pauvreté en Afrique, un continent qui regorge effectivement de ressources, un continent qui a des ressources humaines suffisamment instruites pour pouvoir contribuer au développement du continent... L'étonnement de tout le monde, c'est que ça reste un continent extrêmement pauvre. Mais il faut regarder au-delà de ces politiques néo-libérales dont j'ai parlé.

    Par exemple, la semaine passée, je suis allé au magasin Gap pour acheter une paire de jeans pour ma fille. Il y avait des jeans qui venaient de l'Île de la Réunion et il y avait des jeans de fabrication canadienne. J'ai pris des jeans qui venaient de toute évidence de l'île de la Réunion. J'ai demandé le prix, et ces jeans-là coûtaient 70 $. La même qualité de jeans, de fabrication canadienne, coûtaient 40 $. J'ai demandé à la vendeuse comment il se faisait que les prix étaient si distordus, et la gentille dame m'a dit que sur les jeans qui viennent de l'île de la Réunion, il y a des taxes supplémentaires de 22 p. 100.

    Ce que je veux dire par là, c'est que oui, il y a tous ces éléments de politique internationale, de tarification et tout ça aussi qui nuisent un peu à la production et qui ne permettent pas aux producteurs africains d'accéder aux marchés internationaux comme il le faut. C'est un exemple parmi tant d'autres sur la question de la pauvreté, comme on peut citer la mauvaise répartition des ressources, la mauvaise redistribution des ressources sur le continent africain, où il y a des écarts assez énormes parce qu'il n'y a pas de politique de redistribution des ressources comme il le faut, et les Africains devraient faire leurs devoirs pour la redistribution.

    Qu'est-ce qu'un pays comme le Canada peut faire? On a tous les mécanismes de coopération internationale, qui ne doivent pas être seulement des mécanismes centrés, orientés vers les profits, mais qui doivent être aussi des mécanismes qui peuvent être un apport pour le transfert du savoir canadien, pour le transfert de la façon de faire canadienne. Il y a des expériences intéressantes sur les questions, par exemple, de redistribution des ressources ici qui peuvent être des choses profitables dans les pays où les mécanismes ne sont pas encore installés comme il le faut.

º  +-(1615)  

[Traduction]

+-

    M. Keith Martin: Je vous remercie.

[Français]

+-

    Le président: Monsieur Rocheleau.

+-

    M. Yves Rocheleau: Merci, monsieur le président. Merci, monsieur Taylor et monsieur Mugiraneza, pour vos témoignages.

    J'aurais trois aspects, monsieur le président, à porter à l'attention de M. Mugiraneza.

    D'abord, brièvement, qu'en est-il des activités d'Alternatives Canada, de sa mission, de sa façon de faire les choses, de son rôle? C'est ma première question.

    Deuxièmement, vous avez fait quelques allusions au cas de la Côte d'Ivoire en mentionnant le rôle de la France, ce que tout le monde ne fait pas. J'aimerais vous entendre parler là-dessus, notamment sur l'Accord de Linas-Marcoussis et sur la façon dont les choses vont tourner, d'après vous, quant à l'application de cet accord, sous l'aspect notamment du respect, dans sa lettre et son esprit, de deux grands principes: la souveraineté de la Côte d'Ivoire et l'intégrité territoriale de ce pays.

    Troisièmement—vous venez d'y faire allusion, mais je vous pose quand même la question—vous avez parlé des politiques néo-libérales. Est-ce que vous êtes satisfait du rôle du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, en ce sens que les intérêts que l'on protège sont-ils ceux des pays sous-développés ou ceux des pays développés? Trouvez-vous que les pays développés devraient peut-être davantage surveiller les activités du Fonds monétaire et de la Banque mondiale ou exiger qu'ils protègent les pays sous-développés? À moins que ce soit là une utopie.

+-

    M. Charles Mugiraneza: Merci beaucoup. Alternatives Canada est une ONG qui, comme plusieurs autres au Canada, travaille dans le domaine du développement international. Nous travaillons essentiellement à deux niveaux. Nous aidons nos partenaires des pays en voie de développement à accroître leurs capacités et à répondre à leurs besoins dans le milieu où ils se trouvent. Au Canada, nous travaillons à la sensibilisation, l'éducation, la formation et l'information auprès de la population afin de permettre à cette dernière de bien comprendre les enjeux du développement. C'est donc essentiellement à ces deux niveaux que nous travaillons, soit à la mobilisation, la sensibilisation et l'éducation du public ici, au Canada, et au développement international ainsi qu'à l'appui aux partenaires, dans les pays en voie de développement.

    Je vais maintenant aborder la deuxième question qui concerne la Côte d'Ivoire. Comme je l'ai dit dans ma présentation, la crise ivoirienne a éclaté en septembre 2002, soit l'année passée. Cette crise était latente depuis plusieurs années. En fait, 2002 n'a été que la pointe de l'iceberg, et puis ça a éclaté.

    Le cas de la Côte d'Ivoire, à mon sens, n'est pas isolé. Il ressemble à presque tous les événements qui se sont produits et qui, probablement, se produiront sur le continent africain. Mes propos ici n'engagent que moi; ma compréhension de la chose repose sur mes lectures et mes fréquentes discussions avec les ressortissants ivoiriens se trouvant à Montréal.

    Un changement politique s'est produit en Côte d'Ivoire avec l'arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo. Ce dernier a voulu changer un peu l'orientation des partenariats économiques et diversifier les partenaires de son pays. Ce n'est un secret pour personne, la relation entre les anciens pays colonisateurs et les colonies--qui sont présentement des pays indépendants--est restée, dans bien des cas, assez étroite. C'est le cas de la France et de la Côte d'Ivoire. La France est restée passablement présente en Côte d'Ivoire, surtout en ce qui concerne l'économie. La plupart des compagnies françaises qui avaient des contrats en Côte d'Ivoire étaient en fin d'exercice. Le président voulait renouveler un peu son partenariat économique, entre autres avec des pays comme la Chine.

    Un des événements déplaisants qui se sont produits dans le monde politique ivoirien a été le suivant. De grandes multinationales françaises détenaient une grande partie de l'économie ivoirienne. La crise a éclaté sous forme de mutinerie. Je crois que 750 militaires devaient être démobilisés et d'un coup, ils ont décidé de procéder à une mutinerie; ils ont pris les armes et se sont retournés contre le gouvernement.

    L'histoire immédiate ne nous éclaire pas suffisamment, mais il est probable que plus tard, on comprendra ce qui s'est réellement produit. Mais il n'est pas sûr que ce soit uniquement une histoire de mutinerie. Ça va probablement beaucoup plus loin. Après coup, on constate que la crise ivoirienne comporte plusieurs implications sous-régionales; par exemple, bon nombre de gens du Libéria et de la Sierra Leone sont impliqués dans cette crise.

    Il est donc très difficile de croire que ça n'a été qu'une histoire de mutins. Il s'agit d'une crise politique un peu plus grave. Au fil des événements, la crise a intégré différents antagonismes dont des problèmes entre le Nord et le Sud, des tensions religieuses entre musulmans et catholiques, des conflits ethniques, et ainsi de suite.

º  +-(1620)  

    Cette crise est donc multiforme et complexe. Vous savez qu'il y a eu des négociations et que des accords supervisés par la France ont été conclus, ce qui a été donné beaucoup d'espace à la rébellion. Bien sûr, celle-ci détient un territoire suffisant pour pouvoir négocier, mais il est quand même assez surprenant de voir qu'autant de postes ministériels aient été attribués à la rébellion. Selon moi, c'est un peu surprenant.

    En ce qui concerne la question de la souveraineté, je pense que, jusqu'à maintenant, la souveraineté de la Côte d'Ivoire a été suffisamment respectée parce que l'intervention de la France a malgré tout un lien avec les accords qui existent entre la France et la Côte d'Ivoire. Je ne pense pas que l'intégrité du territoire ivoirien sera affectée par cette crise. Je ne pense pas qu'il y aura volonté de scission du territoire ivoirien. L'incertitude qui règne présentement concerne plutôt le Congo. On a dit que, probablement, il y aurait volonté de diviser le Congo en deux ou trois régions. Je ne pense pas que ce sera le cas de la Côte d'Ivoire, et cela ne serait pas acceptable au niveau international. La Côte d'Ivoire n'est pas un pays isolé, c'est un pays qui est dans le concert des nations, et ce serait difficilement acceptable.

    Parlons maintenant du rôle de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Ces institutions ont été créées par les pays membres des Nations Unies. Je respecte beaucoup ces institutions. J'accepte le mandat qu'elles ont et qu'elles exercent. Néanmoins, je suis critique par rapport à leur intervention. Je l'ai dit, notamment, en ce qui concerne le continent africain. J'ai invoqué la question des programmes d'ajustements structurels. Je pense que l'impact négatif sur le continent africain des programmes d'ajustements structurels a été suffisamment documenté. Je suis aussi critique de toute la nouvelle politique liée aux documents stratégique pour la réduction de la pauvreté. Pour la plupart des pays africains, c'est le même modèle, c'est un schéma auquel les pays essaient de s'ajuster.

    Je ne sais pas si j'ai bien répondu à vos questions.

º  +-(1625)  

[Traduction]

+-

    Le président: Monsieur Taylor.

[Français]

+-

    M. Bernard Taylor: J'aimerais dire quelques mots sur la Côte d'Ivoire et sur l'implication des pays de la région dans cette crise.

    Il est intéressant de voir comment une chose qui semblait petite, une mutinerie militaire, est devenue grosse. Il y a eu implication de l'extérieur et tout d'un coup, cela est devenu très complexe. Je partage l'opinion que dans d'autres pays d'Afrique, il pourrait y avoir des difficultés semblables. Je me souviens que la révolution en Éthiopie en 1974 a commencé par une mutinerie qui a pris de l'ampleur.

    Je crois qu'il est très important de tenir compte, dans le cas de cette crise qui frappe l'Afrique de l'Ouest, du rôle des petits pays autour de la Côte d'Ivoire comme le Libéria et le Burkina Faso, des pays qui d'ailleurs se sont déjà impliqués dans d'autres crises dans cette région, notamment en Sierra Leone et en Guinée. Les aspects économiques sont aussi très importants; il y a des diamants, du bois d'oeuvre au Libéria, et on dirait que cela attire l'intérêt et l'intervention de l'extérieur.

    Vous avez parlé du Rwanda et de l'Ouganda qui sont intervenus au Congo. Pour quelles raisons? Nous pensons que c'est surtout pour des raisons économiques, stratégiques peut-être aussi. Et quand il est question de facteurs économiques, nous ne sommes pas loin, même si nous vivons à l'extérieur de ces régions. Qui achète le bois du Libéria et de la Côte d'Ivoire? La France et la Chine. Qui achète les diamants? Le réseau international, l'industrie internationale. Je crois donc qu'il faudrait, pour bien réagir à ces crises, être capable d'intervenir à plusieurs niveaux. Le plus important est peut-être de renforcer la capacité de ces régions à résoudre leurs problèmes elles-mêmes avant qu'ils ne deviennent trop compliqués. Dans le cas de l'Afrique de l'Ouest... [Note de la rédaction: inaudible]... etc.

º  +-(1630)  

+-

    Le président: On passe maintenant à M. Harvey.

+-

    M. André Harvey (Chicoutimi—Le Fjord, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président. Vous avez parlé d'essayer de concerter notre politique d'aide à la coopération internationale à un niveau politique commercial. Je sais que vous savez que le Canada a commencé à libérer de certains quotas et de certains tarifs douaniers plusieurs dizaines de pays africains. Mais ce n'est qu'un début quand même.

    J'aimerais savoir si on fait bonne route par rapport au NEPAD. Ici, tout le monde dit que le NEPAD a été fabriqué par les Africains de toutes pièces et que les pays donateurs, normalement, doivent s'inscrire dans ces créneaux de la bonne gouvernance, de l'émergence du secteur privé. Je pense que le développement économique doit se faire en collaboration avec le secteur privé. Le Canada vient d'annoncer un programme de 100 millions de dollars d'investissements en collaboration avec le secteur privé.

    Chaque pays développe aussi son propre plan stratégique pour la diminution de la pauvreté. Il me semble que depuis un an, un an et demi, avec la Déclaration du millénaire, les différentes conférences, Kananaskis, le gouvernement canadien a investi 500 millions de dollars dans le plan de l'Afrique en plus de doubler son budget d'ici 2010, 2012.

    Est-ce qu'on est sur la bonne route ou est-ce que les objectifs que l'on poursuit sont inaccessibles?

+-

    M. Bernard Taylor: Je crois qu'on est sur la bonne route, mais je crois qu'on doit aller plus vite et encourager d'autres à aller plus vite.

    En ce qui concerne le NEPAD, je crois bien que ce plan, ce programme a été discuté avec les puissances de l'Occident, y compris le Canada, et ce que critique en fait la société civile en Afrique, c'est cette démarche qui a été faite avant ce plan, venant de quatre ou cinq leaders de pays africains. On a eu un écho, des commentaires de l'Occident avant d'en avoir de leurs propres pays, de leurs propres peuples, avant même d'en avoir des autres pays du continent. Donc, je crois que c'est un plan qui intéresse l'Occident et que l'Occident appuie beaucoup. La réception qu'ont eue les leaders africains à Genève et à Kananaskis démontre ça, à mon avis.

    Le Canada, bien sûr, a décidé d'augmenter son aide, de ramener le niveau de l'aide en 2010 à ce qu'il était en 1990. C'est une bonne chose, et tout le monde l'applaudit. Tout ce qu'on peut dire, c'est que c'est malheureux qu'on ait dû couper l'aide au début. On comprend pourquoi, mais les coupures qui ont été aussi faites par d'autres pays ont fait la même chose: cela a nui au développement de l'Afrique et a maintenu une pauvreté qui aurait pu être diminuée.

    J'aimerais peut-être juste ajouter une chose, avant que Charles ne complète tout cela, en parlant de l'économie parce que, en fait, c'est un peu la clé. C'est vrai qu'il faut avoir une bonne démocratie dans un pays pour que le développement ait lieu. Il faut avoir la paix, n'est-ce pas? Mais acceptons ces évidences, il y a quand même des éléments économiques de base qu'il faut développer.

    J'ai dit dans mon intervention que s'il n'y avait pas quelque chose de très concerté, ça va prendre très, très longtemps. J'avais parlé d'un plan Marshall comme en Europe. S'il n'y a pas quelque chose de plus grand et de plus concerté que ce que nous avons actuellement, ça va prendre, à mon avis, très, très longtemps, et c'est dommage, ce n'est pas nécessaire. Il y a des investissements qui pourraient aller en Afrique si les conditions étaient bonnes, et je crois qu'on peut aider l'Afrique à créer les bonnes conditions.

    Les mesures que le Canada a prises par rapport aux quotas, aux tarifs, c'est bien, mais je crois que ce serait bon d'analyser dans un an quel impact cela aura eu. Est-ce que cela aura eu l'impact désiré? Je crains que les exportations africaines vers le Canada et vers d'autres pays n'augmenteront pas beaucoup, peut-être pour la simple raison importante que la production en Afrique reste faible. Il y a, bien sûr, comme le député Martin l'a dit, beaucoup de richesses en Afrique, mais si les richesses ne sont pas utilisées pour créer des produits avec une plus-value, elles sont vendues à bas prix.

    Donc, c'est ma crainte, en fait, que même si les portes sont ouvertes et qu'il n'y a plus de tarifs, il faut faire plus pour aider l'Afrique à se développer économiquement, ce qui veut dire des investissements, des partenariats économiques. C'est difficile de rendre le marché proactif. Je crois que l'intervention du gouvernement pour favoriser certaines choses est nécessaire. Le meilleur exemple qu'on a eu de cela, c'est le plan Marshall.

º  +-(1635)  

+-

    M. Charles Mugiraneza: Juste un petit complément. Comme l'a dit Bernard: plus vite, mais plus loin. Je pense qu'effectivement le Canada est sur la bonne voie. Il est très difficile de dire que le Canada n'est pas sur la bonne voie. Les initiatives qui se sont enclenchées depuis Kananaskis sont louables, mais je pense qu'il faut aller un peu plus loin que ça.

    Par exemple, si on regarde la question du NEPAD, le succès du NEPAD sera conditionnel à la bonne gouvernance. Quant à la question de la bonne gouvernance, quand on parle de la bonne gouvernance dans le NEPAD, de quel type de bonne gouvernance parle-t-on? Moi, quand je lis le document du NEPAD, j'ai comme l'impression que c'est beaucoup plus aux aspects de gestion plutôt qu'aux aspects sociaux parce que, comme je le disais plus tôt, il faut que sur le continent africain, il y ait plus de mécanismes de redistribution. Si le NEPAD est orienté beaucoup plus vers le secteur privé, encore une fois, sur le continent africain, il y aura des écarts de richesse. Il y a des gens qui vont s'enrichir énormément et d'autres qui vont croupir dans la pauvreté.

    On parlait tout à l'heure de la volonté canadienne, par exemple, de revoir les tarifs douaniers. Oui, c'est bien de revoir les tarifs douaniers, mais est-ce qu'il suffit de revoir seulement les tarifs douaniers? Non, parce qu'il faut permettre aux Africains d'être compétitifs sur le marché international. Le Canada peut ouvrir, mais les produits africains peuvent ne pas accéder vraiment au marché canadien, compte tenu de la compétition, compte tenu de plusieurs choses, des normes et tout.

    Donc, je pense qu'il faut travailler beaucoup aussi sur les aspects du transfert technologique et du transfert du savoir, pour que les entreprises africaines soient compétitives sur le marché international.

    Je pense que Bernard a dit l'essentiel.

+-

    M. André Harvey: C'est du moyen et du long terme, en fait, que d'ouvrir nos frontières.

    Quant à la question du volume d'aide, ce n'est pas toujours une question de quantité de dollars comme une question de pertinence des investissements. Moi, je trouve qu'on a trop mystifié, monsieur le président, le 0,7 p. 100 du produit intérieur brut. On doit travailler sur la qualité de l'aide, sur la meilleure façon de montrer à nos amis africains la façon de s'assumer, de se prendre en main. Vous pouvez garrocher des dollars un peu partout, ça ne pousse pas dans les arbres, ça n'augmentera pas le niveau de richesse.

    Il me semble que je suis optimiste par rapport à ce qu'on voit actuellement dans le domaine de la coopération internationale au niveau des pays donateurs qui s'inscrivent un peu mieux dans le NEPAD et qui font appel, en fait, à la responsabilisation de nos concitoyens africains. Il me semble que c'est la bonne voie.

    Si vous aviez à mentionner d'autres pays qui pourraient s'ajouter aux six pays qui sont nos priorités en Afrique: le Ghana, le Mali, le Sénégal, le Mozambique, l'Éthiopie, je crois, et la Tanzanie, combien aimeriez-vous en ajouter, et lesquels?

º  +-(1640)  

+-

    M. Bernard Taylor: J'avais dit dans mon intervention--et je mérite la question--de doubler le nombre de pays de concentration, parce que je trouve que de limiter cela à six... Je sais que la porte n'est pas fermée aux dires des fonctionnaires de l'ACDI. D'ailleurs, je crois que la ministre a dit elle-même que c'est six, mais que ça pourrait être sept l'an prochain et 12 dans quelques années. On aurait pu dire, il y a quelques années, la Côte d'Ivoire, mais évidemment, je crois qu'il faut attendre que les choses soient résolues en Côte d'Ivoire.

    Le problème qui se pose pour dire quel pays devrait être un pays de concentration est que les choses sont en ordre et que parfois il faut attendre. Un pays peut ne pas être totalement équilibré, peut ne pas répondre à tous les critères.

    Je prends l'exemple de l'Éthiopie, qui est un des six. En Éthiopie, il y a beaucoup de problèmes relatifs aux droits de la personne, mais je crois que le Canada a choisi l'Éthiopie parce que l'État est fort, qu'il y a une bonne gouvernance économique, qu'il y a de bonnes politiques pour le développement, et ses représentants reconnaissent qu'il y a des problèmes quant aux droits de la personne, pour des raisons régionales, contextuelles, intérieures; il y a plusieurs raisons à cela. Donc, ils acceptent cela.

    Je dirais qu'un pays comme la Sierra Leone, qui est peut-être un autre extrême, qui sort d'une guerre civile, si on peut l'appeler comme ça, a besoin de beaucoup d'appuis concentrés, soutenus. On pourrait dire que ce pays a besoin d'un programme d'aide concentrée, mais il ne répond pas à tous les critères qu'on a. Donc, je crois qu'il faut examiner les critères et être proactifs afin de dire que tel pays est sur la bonne voie, qu'il faut l'appuyer. Actuellement, si vous proposez des programmes de développement pour la Sierra Leone, l'ACDI va dire qu'elle n'a pas de programme bilatéral. C'est l'humanitaire, la consolidation de la paix ou les ONG qui travaillent là. Il n'y a pas d'aide bilatérale parce que ce n'est pas un pays de tradition d'aide bilatérale et qu'il ne fait pas partie de la liste des six pays.

    Je crois donc qu'il faut être un peu plus ouverts et proactifs face à cela. À mon avis, c'est le niveau des ressources qui gouverne un peu l'analyse des gens de l'ACDI, parce que si leur budget reste limité, bien sûr, ils doivent faire des choix, et ils les font selon des critères. S'il y avait plus de ressources, je crois qu'ils pourraient être plus ouverts à appuyer plus d'activités dans un plus grand nombre de pays.

    Je m'excuse, je ne vous ai pas donné les noms de six pays, mais on pourrait le faire dans le cadre d'une petite étude.

+-

    M. André Harvey: Y a-t-il moyen de me faire parvenir par écrit la liste des pays supplémentaires admissibles aux priorités de l'ACDI?

+-

    M. Bernard Taylor: Oui, on serait heureux de présenter quelque chose.

+-

    Le président: Je me suis demandé s'il y avait aussi une recommandation visant à cibler seulement quelques pays précisément, et non pas élargir le nombre de pays.

+-

    M. André Harvey: Il y en a six. Ils en recommandent quelques-uns de plus.

+-

    Le président: Oui.

+-

    M. Charles Mugiraneza: Aux pays que Bernard a évoqués, je pourrais probablement ajouter un pays comme le Congo, qui dans un proche avenir, si la paix est réinstaurée, aura une stabilité et une croissance économique qui pourront avoir un impact sur au moins cinq autres pays. Je pense que c'est ce genre de pays qui peut être davantage appuyé.

    J'ai beaucoup aimé aussi votre idée de la qualité de l'aide. Effectivement, le continent africain a vécu des crises assez considérables ces dernières années, mais il y a une expression pour dire que dans un malheur, de bonnes choses peuvent se produire.

    Encore une fois, je prends un pays comme le Congo, où l'État a été totalement désintégré depuis le début des années 1980, et l'absence de l'État au Congo a développé une forte société civile qui est fortement intervenue dans le secteur socio-économique, une société civile qui a vraiment porté la population à bout de bras.

    Dans le processus du NEPAD, je trouve qu'il n'y a pas assez d'espace pour continuer à encourager ces organisations-là à faire le travail qu'elles ont fait pendant deux ou trois décennies, à appuyer la population et à faire un travail de contre-pouvoir, de dénonciation sur la question des droits de la personne et d'intervention au niveau socio-économique.

    Si aujourd'hui un pays comme le Canada est une démocratie qui fonctionne, c'est que quelque part, il y a eu des éléments de contre-pouvoir qui ont permis au pouvoir de progresser et de répondre aux attentes de la population.

    Or, toute cette dimension s'est créée pendant cette période de crise. Je pense que ce sont des zones qu'il faut continuer à appuyer dans une perspective démocratique sur le continent africain. Donc, c'est important d'avoir un focus sur les organisations de la société civile.

º  +-(1645)  

[Traduction]

+-

    Le président: Nous passons maintenant à Mme Karen Kraft Sloan.

    Je signale aux deux questionneurs et aux témoins qu'il ne nous reste que dix minutes. Karen Kraft Sloan sera la dernière questionneuse et nous disposons donc dix minutes pour sa question e pour la réponse.

+-

    Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Je vous remercie infiniment, monsieur le président.

    Ces questions sont nouvelles pour moi et, à bien des égards, elles me dépassent. Essayer de bien comprendre les problèmes humanitaires qui se posent en Afrique et essayer de remédier à la crise humanitaire sur ce continent est la priorité numéro un. Il y a clairement une réalité urgente à laquelle il faut faire face.

    Par ailleurs, il faut absolument essayer de trouver une approche qui réponde à cette urgence, bien sûr, mais aussi qui aille au-delà, pour que nous ne soyons pas constamment confrontés à ce genre d'urgence. Il faut que nous essayons de comprendre les relations qui existent entre les différents pays d'Afrique et les autres pays du monde si nous voulons comprendre comment nous en sommes arrivés ici aujourd'hui. Comme vous-même et d'autres témoins l'ont dit, la situation varie d'un pays à l'autre. On peut aborder la question sous un angle unidimensionnel ou de manière homogène.

    Ce qui me préoccupe, entre autres, c'est que les solutions que nous envisageons, particulièrement les solutions à long terme, risquent de reproduire des schémas historiques. Je pense au NPDA, en particulier. Ne risque-t-on pas de reproduire certains de ces schémas en invitant la participation du secteur privé?

    Bien que je convienne avec vous qu'il est important de miser sur l'économie et d'offrir des débouchés en vue d'assurer la transition vers une économie plus saine et durable dans divers pays africains--avec la participation du secteur privé--je crains que cette participation ne soit pas saine. Y a-t-il des domaines, particulièrement dans la prestation de biens publics comme l'eau, l'infrastructure et autres, où certains de ces schémas historiques qui ont été très malsains pourraient être reproduits? Ma première question concerne le NPDA et la participation du secteur privé.

    Deuxièmement, j'ai une question plus précise concernant le travail des enfants dans le secteur de la production de cacao en Côte d'Ivoire si l'un ou l'autre des témoins peut y répondre et si c'est un sujet de préoccupation.

    Ma troisième question se rattache à la première, monsieur le président. Elle porte sur notre analyse du problème et sur la manière de comprendre l'urgence de la crise humanitaire et de trouver la meilleure approche à long terme de manière à éviter que certains des schémas historiques ne se retrouvent dans les nouveaux mécanismes.

º  +-(1650)  

+-

    M. Bernard Taylor: Je pense pouvoir répondre à votre première question. En ce qui concerne le NPDA, je conviens avec vous qu'il est très important de répondre aux urgences actuelles quand elles surgissent, et d'y répondre de façon à ce qu'elles ne se reproduisent pas à l'avenir, ou au moins pas avec la même ampleur.

    J'ai été très intéressé par un reportage--c'était un reportage à la télévision, mais j'en ai entendu parler par l'intermédiaire d'un autre moyen de communication--sur la situation en Éthiopie où, comme vous le savez, il y a une crise alimentaire. L'Éthiopie est depuis des siècles la scène de famines cycliques. Quand la pluie n'arrive pas, la population se concentre dans les zones productrices de nourriture, il y a pénurie de terres, etc. Et ce n'est pas unique à l'Éthiopie; d'autres pays sont aux prises avec des problèmes similaires.

    Ce reportage récent racontait comment les services de distribution du gouvernement éthiopien avaient pu prévoir ce qui se passait grâce à un système de détection précoce et avaient pu planifier--évidemment avec l'aide des pays donateurs et des systèmes et organisations des Nations Unies, et avec ses propres réserves--la distribution de rations alimentaires aux personnes nécessiteuses pendant qu'elles étaient encore dans leurs villages. Le gouvernement a ainsi prévenu un exode massif de la population, qui aurait encombré les grands axes pour se rendre dans des camps de réfugiés, ainsi que les problèmes habituels dans ces cas dont les maladies, comme cela s'était produit par le passé en Éthiopie.

    C'est, à mon avis, un progrès remarquable dans le domaine de la planification en vue de prévenir une crise. Je pense que cela vaut la peine d'être noté et qu'il y a des leçons à tirer de cette expérience qui pourra servir à d'autres. Dans un pays comme celui-là, les crises alimentaires sont inéluctables. Je pense toutefois qu'il faut l'aider à assurer sa propre sécurité alimentaire. Il y a quelques années, l'Éthiopie avait fait d'abondantes récoltes dans plusieurs régions et avait vendu des aliments car elle avait besoin d'argent; à peu près un an plus tard, cet argent, qu'elle aurait pu utiliser pour contrecarrer une pénurie alimentaire, n'était plus là.

    C'est pourquoi j'ai parlé plus tôt dans mon exposé de programmes de sécurité alimentaire régionaux car c'est un problème qui touche une région toute entière. Si l'Éthiopie a un excédent alimentaire, elle ne le vend pas à la Grande-Bretagne, qui importe des aliments. Elle le vend à un pays voisin, vers lequel elle peut facilement l'acheminer. C'est pour ça que je pense qu'il faut aborder la question sous un angle régional. Je pense que la production alimentaire en Afrique est suffisamment variée pour que les problèmes relatifs à la sécurité alimentaire soient résolus au niveau régional sans encourir d'énormes frais de transport.

    Je suis d'accord avec vous sur ce que vous avez dit au sujet du NPDA et des risques de reproduire l'histoire. Nous avons dû tirer les leçons du passé. Je me suis entretenu plus tôt cette semaine avec un membre important de la communauté diplomatique africaine ici, qui m'a dit beaucoup admirer ce qui s'était produit au Québec dans les années 1960 quand la production d'électricité a été nationalisée et que d'autres mesures ont été prises pour renforcer, selon lui, l'économie de cette région du Canada.

    Dans l'exemple du NPDA, qui encourage la privatisation de l'eau et qui prend les mesures pour la faciliter--ce qui est certainement encouragé par certaines institutions financières et par certains pays, beaucoup en Afrique ne sont pas d'accord. Cela cause beaucoup de réactions négatives en Afrique du Sud, à Soweto et dans des endroits comme ça, et je pense que nous devons faire très attention à ne pas appliquer des solutions occidentales aux problèmes africains.

    En fait, l'entreprise québécoise Hydro-Québec a largement participé à la privatisation de l'électricité au Sénégal, qui n'est pas un succès. Hydro-Québec est un succès au Québec, mais pas au Sénégal.

º  +-(1655)  

    Je suis donc d'accord avec vous sur la mise en garde que vous avez formulée dans votre question; à savoir que nous devons éviter d'imposer des solutions en provenance de différentes régions du monde dont certaines, prônées par nos institutions internationales, sont probablement doctrinaires de nature.

    Je n'ai pas de bonne réponse à vous donner au sujet du travail des enfants en Côte d'Ivoire. Je sais qu'il existe une organisation au Canada, à Toronto, appelée Save the Children, qui fait énormément de travail là-dessus.

    Je m'arrêterai là.

[Français]

+-

    Le président: Monsieur Mugiraneza, dernière réponse.

+-

    M. Charles Mugiraneza: Merci, monsieur le président.

    Dans le développement de l'économie du continent africain, on ne peut pas exclure le secteur privé, mais on ne peut pas non plus seulement tabler sur le secteur privé. Je pense qu'en même temps, il faut travailler et appuyer les États pour qu'ils continuent à jouer leur rôle de régulateurs de la société. Tout le monde sait que le continent africain est le continent le plus touché par l'analphabétisme. Tout le monde sait que le continent africain est le continent qui est au plus bas de l'échelle sur la question de la santé.

    En passant, je vous transmets une information: les 21 et 22, il y aura un colloque ici, à Ottawa, sur la question de la santé et les multinationales. Je pense que le titre du colloque est Le droit à la santé: influencer l'agenda mondial. Ce sera un moment intéressant pour voir comment le rôle social, qui est de plus en plus relégué aux multinationales, n'a pas nécessairement sa réponse.

    Donc, je pense que dans le cadre du NEPAD—et je pense que le NEPAD est un programme qui est encore ouvert—des pays comme le Canada peuvent continuer à intervenir pour demander aux instigateurs du NEPAD de s'ouvrir à d'autres idées, parce que tabler beaucoup plus sur le secteur privé serait comme répéter l'histoire telle que vous l'avez décrite.

    Il faut appuyer l'État pour qu'il continue à jouer son rôle social. Il faut aussi appuyer les organisations de la société civile, les organisations communautaires qui ont des réponses à apporter à certaines échelles où l'État ne peut pas nécessairement répondre.

    Au sujet du rôle du secteur privé, j'étais au Niger au mois d'avril de l'année passée, et le gouvernement nigérien avait subi la pression de la Banque mondiale pour privatiser la compagnie nationale d'eau. Vous n'êtes pas sans savoir qu'un pays saharien comme le Niger est un pays où l'eau est une denrée extrêmement rare et où l'État essaie de travailler pour que la population ait accès à l'eau. Avec la privatisation de la compagnie d'eau au Niger, dans les deux semaines qui ont suivi, la compagnie a été achetée par Vivendi et il y a eu une augmentation de 22 p. 100 du prix de l'eau au mètre cube. Donc, ce qui intéresse la compagnie, c'est faire des profits; ce ne sont pas les besoins des Nigériens qui intéressent Vivendi. Je comprends. Vivendi a raison; ce qui l'intéresse, ce sont les profits. Mais la réalité est qu'il y a eu une augmentation de 22 p. 100 du prix au mètre cube. Combien de Nigériens ont perdu l'accès à l'eau potable à cause de cette augmentation? Un jour, on aura les statistiques.

    Donc, je pense qu'il faut renforcer le secteur privé, mais en même temps, il faut permettre à l'État de continuer à jouer son rôle et en même temps essayer d'appuyer les organisations communautaires, les organisations de la société civile afin qu'elles continuent à intervenir dans le milieu. Je pense qu'il faut travailler pour que le NEPAD soit ouvert et qu'il s'améliore davantage.

    Concernant la question du travail des enfants en Côte d'Ivoire, effectivement, c'est l'un des pays où le travail des enfants a été très présent, surtout dans les plantations de cacao, et c'étaient souvent des enfants qui venaient des pays limitrophes de la Côte d'Ivoire. Comme l'a dit Bernard, il y a des organisations canadiennes comme Save the Children Canada qui travaillent sur ces questions, qui essaient de dénoncer ces politiques, mais je pense que le gouvernement canadien doit continuer dans ses efforts qui ont été initiés sur la question des droits des enfants, afin d'amener ces pays-là à prendre de plus en plus en considération les droits des enfants et afin que ces enfants, trop jeunes, puissent aller à l'école plutôt que d'aller dans les champs, pour un avenir meilleur.

»  -(1700)  

+-

    Le président: J'aimerais remercier nos témoins pour leur contribution.

[Traduction]

    Si vous avez des commentaires supplémentaires à faire--par exemple, quels devraient être les six autres pays et pourquoi--je vous invite à les soumettre au greffier et ainsi nous pourrons continuer à bénéficier de votre témoignage éclairé. Je tiens encore à vous remercier de votre présence, elle nous a été très utile.

    Oui, madame Kraft Sloan.

+-

    Mme Karen Kraft Sloan: Très brièvement, si vous nous envoyez quelque chose par écrit, je m'intéresse beaucoup aux questions concernant la justice et les droits environnementaux. Je pense que certains des sujets que nous avons abordés ont une influence directe sur cette question en particulier. Si vous avez des suggestions à nous faire à cet égard, il serait très utile que nous les consignons.

    Je vous remercie.

-

    Le président: Merci, et je vous remercie d'être venus.

    La séance est levée.