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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 3e SESSION

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mercredi 25 février 2004




¹ 1535
V         Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.))
V         M. Jean-Louis Roy (président, Centre international des droits de la personne et du développement démocratique)

¹ 1540

¹ 1545

¹ 1550

¹ 1555

º 1600
V         Le président
V         Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ)
V         M. Jean-Louis Roy

º 1605
V         Mme Francine Lalonde
V         M. Jean-Louis Roy
V         Mme Francine Lalonde
V         M. Jean-Louis Roy
V         Mme Francine Lalonde
V         M. Jean-Louis Roy

º 1610
V         Mme Francine Lalonde
V         Le président
V         L'hon. Art Eggleton (York-Centre, Lib.)
V         Le président
V         M. Jean-Louis Roy

º 1615
V         Le président
V         Mme Iris Almeida (directrice des Politiques, programmes et planification, Centre international des droits de la personne et du développement démocratique)

º 1620
V         The Chair
V         Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD)

º 1625
V         Le président
V         M. Jean-Louis Roy
V         Le président
V         M. Jean-Louis Roy

º 1630
V         The Chair
V         M. Bryon Wilfert (Oak Ridges, Lib.)

º 1635
V         M. Jean-Louis Roy
V         Mme Iris Almeida
V         The Chair

º 1640
V         Mme Iris Almeida
V         The Chair
V         M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, PCC)
V         Le président
V         M. Jean-Louis Roy
V         The Chair
V         M. Deepak Obhrai

º 1645
V         Mme Iris Almeida
V         Le président
V         Mr. Raymond Simard (Saint Boniface, Lib.)
V         M. Jean-Louis Roy

º 1650
V         Le président
V         M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.)
V         M. Jean-Louis Roy

º 1655
V         Le président
V         L'hon. Art Eggleton
V         The Chair
V         L'hon. Art Eggleton
V         The Chair
V         M. Jean-Louis Roy
V         Mme Francine Lalonde
V         Le président










CANADA

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


NUMÉRO 003 
l
3e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 25 février 2004

[Enregistrement électronique]

¹  +(1535)  

[Français]

+

    Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Bonjour.

    Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous faisons une étude sur les relations avec les pays musulmans.

    Nous avons le plaisir de recevoir comme témoins aujourd'hui le président du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, M. Jean-Louis Roy, son adjoint principal, M. Lloyd Lipsett,

[Traduction]

    et Mme Iris Almeida, directrice des Politiques, des Programmes et de la Planification.

[Français]

    Soyez le bienvenu, monsieur Roy. Vous avez dix minutes pour votre introduction, s'il vous plaît. Par la suite, nous passerons à une série de questions et réponses.

    Monsieur Roy.

+-

    M. Jean-Louis Roy (président, Centre international des droits de la personne et du développement démocratique): Monsieur le président, merci.

    Je voudrais saluer les membres du comité et les remercier. Je vous ai presque tous rencontrés, depuis un an, dans toutes sortes d'autres contextes. Je voudrais vous dire, monsieur le président, que j'étais hier dans un symposium international consacré aux problèmes de la Côte d'Ivoire. Parmi les recommandations de ce symposium, il y avait l'organisation de commissions auprès de l'Assemblée nationale de la Côte d'Ivoire. C'est assez extraordinaire, de la part d'un comité comme le vôtre, d'observer un pays qui a une assemblée nationale, un parlement depuis 40 ans et qui n'a pas institué une seule fois une commission où la société civile peut venir débattre.

    Je fais cette allusion parce que cela me permet de vous remercier de nous accueillir aujourd'hui et de vous dire que nous attachons beaucoup d'importance aux travaux très complexes de votre comité, notamment ceux qui nous réunissent aujourd'hui sur les rapports du Canada avec les pays où l'islam est une donnée significative.

    Monsieur le président, je dirai deux mots pour rappeler un peu le mandat de Droits et Démocratie. Créé par le Parlement du Canada en 1988, notre organisme a comme mandat principal de créer, avec ou dans les pays en développement, des programmes de coopération. Nous avons deux champs privilégiés, qui sont évidemment les droits humains et toutes les questions reliées au développement démocratique.

    Nous travaillons depuis longtemps avec un certain nombre de pays, un certain nombre d'organisations publiques et privées dans l'« espace » des pays où l'islam est un facteur déterminant, mais depuis deux ans, nous accentuons d'une façon très forte nos travaux dans ces régions du monde.

    Dans un premier temps, je voudrais vous dire quelle est notre perspective sur l'islam, et ensuite faire un inventaire rapide de nos interventions dans les régions où l'islam est un facteur déterminant.

    Nous travaillons avec un certain nombre de juristes, un certain nombre de groupes de femmes, un certain nombre d'universitaires dans l'islam qui partagent à peu près les trois éléments suivants que je vais vous résumer, ce qui nous permet d'avoir avec eux un dialogue très substantiel sur la question des droits humains. Je tire ces trois éléments d'un ouvrage très important fait par un très grand juriste tunisien, Mohammed Charfi, Islam et Liberté. Plusieurs d'entre vous l'ont sans doute connu. Il est venu souvent au Canada. Il a été ministre de l'Éducation dans son pays et a été ministre de la Justice. Ensuite, il a eu quelques difficultés avec le régime. Il a même été mis au repos pendant un certain temps et il a écrit en prison son livre Islam et Liberté.

    Le premier élément est que le Coran ne contient aucune disposition de nature constitutionnelle et ne peut être considéré comme une doctrine constitutionnelle.

    Le deuxième élément est que la loi n'est pas d'origine divine et que dire le droit est une responsabilité humaine.

    Le troisième élément est qu'affirmer le caractère immuable de la loi et la fonder dans le Coran constitue une appropriation de l'islam par certains éléments désireux de prendre le pouvoir à des fins politiques.

    Il n'y a pas de discussion possible avec les sociétés où l'islam est un facteur déterminant si ces trois données ne sont pas partagées: il n'y a pas dans le Coran de dispositions de nature constitutionnelle; dire le droit est une responsabilité humaine; troisièmement, affirmer le caractère immuable de la loi constitue une appropriation de l'islam à des fins politiques.

    Je sais que vous êtes allés dans un certain nombre de pays. Vous avez donc dû rencontrer beaucoup d'hommes et beaucoup de femmes dans l'islam du Maghreb, dans l'islam du Proche et du Moyen-Orient, dans l'Islam de l'Afrique, qui est un islam important.

¹  +-(1540)  

En Afrique, 300 millions d'adhérents partagent aujourd'hui ces points de vue en tout respect pour l'islam comme religion, c'est-à-dire comme explication de la vie, comme une référence éthique personnelle. Beaucoup de gens, donc, partagent ces positions, et c'est avec eux que nous essayons de faire avancer les choses.

    Que faisons-nous, à Droits et Démocratie, pour faire avancer le respect des normes internationales des droits humains et des valeurs démocratiques en Afrique, en Afrique subsaharienne, en Afrique du Nord, évidemment, où l'islam est très fortement installé, et au Proche et au Moyen-Orient?

    Monsieur le président, je résumerai nos interventions de la façon suivante. Nous soutenons depuis longtemps, à travers le monde, un certain nombre de grands réseaux d'individus, d'hommes et de femmes qui, au sein des sociétés civiles, cherchent une autre façon de définir la liberté, une autre façon de déployer les droits et libertés.

    Nous soutenons des réseaux comme Women Living Under Muslim Law, un très grand réseau qui regroupe des femmes d'un très grand nombre de pays. Dans le réseau Women Living Under Muslim Law, il y a des femmes qui peuvent être d'autres religions, mais aussi des femmes musulmanes. Ces femmes se réunissent notamment autour des questions juridiques, des statuts juridiques de la personne, pour essayer de faire évoluer le droit dans l'ensemble des pays que vous imaginez.

    Nous soutenons aussi des groupes qui, au Proche-Orient, notamment au Liban, et au Moyen-Orient, font des travaux significatifs de monitorage des valeurs démocratiques, du développement démocratique.

    Je donne ces deux exemples pour illustrer ce premier élément de nos travaux de soutien. Ce soutien est financier. Ce soutien est intellectuel. Au moment où il y a de véritables problèmes--je reviendrai tout à l'heure au Nigeria--et où ce réseau des Women Living Under Muslim Law se mobilise, nous entrons aussi en lien avec ce réseau pour appuyer ses interventions dans tel ou tel pays.

    Nous faisons aussi des interventions d'un deuxième type au Canada et dans d'autres pays du monde, l'objectif étant ici, non pas de soutenir les actions de groupes qui se battent pour les droits humains dans les pays où l'islam est un facteur important, mais de soutenir celles de groupes qui, au Canada ou ailleurs dans le monde, cherchent à approfondir par la recherche et par le débat les questions liées à la compréhension de l'islam, et notamment les questions liées au fondamentalisme dans l'islam.

    Nous allons tenir dans les prochaines semaines, à Montréal, un grand séminaire d'experts canadiens sur ces questions et nous allons éventuellement, au mois d'avril--pour nous, c'est une démarche extrêmement complexe mais extrêmement importante--, réunir en Jordanie, à Amman, un grand symposium sur le thème « Droits humains, démocratie et islam », où seront représentés des juristes, des groupes de la société civile d'un grand nombre de pays de la région, notamment de la Jordanie, mais aussi de la Syrie, du Liban, du Maroc, de l'Iran et de l'Irak, l'objectif étant de permettre à ces personnes de se rencontrer, de voir quel est l'état des lieux dans chacun de ces pays, d'avoir avec nous et d'autres experts canadiens que nous inviterons un débat sur les questions fondamentales du thème « Droits, démocratie et islam ». Je ne vous cache pas que nous travaillons dans cette perspective afin de préparer deux éventuels programmes d'intervention à mettre en oeuvre lorsque les conditions propices seront réunies en Irak et en Iran. Voilà le deuxième type d'intervention que nous faisons. Après les interventions auprès des réseaux d'activistes, au meilleur sens du mot, nous intervenons auprès des réseaux d'analyse et de concertation. C'est le deuxième élément.

    Le troisième élément, ce sont des interventions dans des pays spécifiques sur des projets quelquefois de très grande envergure en soutien, en capacity building, si vous voulez, en soutien des initiatives prises dans ce pays.

¹  +-(1545)  

    Voilà pourquoi nous sommes aujourd'hui très présents au Maroc. Nous sommes au Maroc dans une perspective d'accompagner le mouvement de transformation, le mouvement de création d'une culture démocratique dans ce pays. Nous sommes au Maroc en appui à l'espace associatif, qui regroupe l'ensemble des grandes ONG marocaines intéressées par la progression des droits et libertés. Nous sommes au Maroc en appui à l'institution qui a été créée par le roi voilà quelques semaines, Équité et Réconciliation. C'est un peu dans l'esprit de la commission qui s'est réunie, ces deux dernières années, au Pérou ou ailleurs dans le monde. Nous sommes aussi au Maroc autour d'un grand projet, qui est une étude conjointe de Droits et Démocratie et d'un grand nombre d'organisations et d'experts marocains sur un audit, un état des lieux de la démocratie et des droits humains dans ce pays.

    Nous consacrons des ressources importantes à nos travaux au Maroc et nous espérons qu'à la fin de ces travaux, dans plus ou moins deux ans, nous pourrons utiliser un certain nombre des acquis de notre travail avec cette région du monde pour faire le même travail en Algérie.

    Vous savez peut-être que nous sommes aussi présents à Kaboul. C'est le seul bureau que nous ayons au monde. Nous avons un bureau à Kaboul depuis près de deux ans. Nous avons une permanence à Kaboul et travaillons à trois grands projets qui, ces deux dernières années, ont été, je crois, d'une très grande signification, notamment pour les femmes afghanes. Notre bureau à Kaboul ne compte que du personnel afghan, ce qui fait que ce bureau a une espèce de permanence. Il n'y a pas eu de difficultés considérables de départ et de retour, comme celles qu'ont expérimentées un grand nombre d'ONG.

    Nous avons travaillé à Kaboul avec les trois objectifs suivants. Nous avons soutenu les groupes de femmes qui se battaient pour qu'il y ait dans la nouvelle constitution afghane des dispositions consacrant l'égalité des hommes et des femmes. Nous avons soutenu la création de la Commission indépendante des droits de l'homme de l'Afghanistan et nous avons aussi offert aux ONG de femmes de ce pays des appuis financiers pour un certain nombre des travaux difficiles et complexes qu'elles avaient à conduire en cette période d'après-guerre. J'ai eu presque envie de parler d'une période de guerre larvée permanente, mais, quand même, d'une certaine manière, il s'agit d'une période de recomposition de la société civile et de redéfinition des rapports et de l'égalité des citoyens, notamment des hommes et des femmes, dans ce pays.

    Monsieur le président, après vous avoir parlé de nos interventions au Maroc, en Afghanistan, en Algérie et, à terme, à Amman dans une perspective d'intervention en Irak et en Iran, je voudrais vous dire que nous cherchons à être très actifs dans ces domaines en Afrique subsaharienneaussi. Nous oublions souvent que l'Afrique subsaharienne compte 175 millions de musulmans, que des sociétés qui avaient peu de liens avec l'islam il y a encore 30 ans--je reprends l'exemple de la Côte d'Ivoire--comptent aujourd'hui 40 p. 100 de citoyens qui sont de cette foi, de cette adhésion religieuse, et que ce mouvement en Afrique connaît une progression exponentielle absolument considérable.

    Nous avons, ces dernières années, travaillé au Nigeria. Nous avons soutenu un groupe de femmes juristes dont l'organisation se nomme BAOBAB et qui, avec un courage absolument extraordinaire, notamment dans les États du nord du Nigeria, se sont mobilisées pour contrecarrer l'installation de la charia et l'extension de l'utilisation de la charia dans des territoires importants de cette grande fédération africaine.

¹  +-(1550)  

    Nous les avons appuyées, tant au plan de leur organisation qu'au plan des affaires soumises à la Cour suprême du Nigeria, où elles ont remporté quelques victoires. Nous avons décerné, il y a un an, le Prix John-Humphrey pour la liberté à l'organisation de juristes nigérianes BAOBAB.

    Monsieur le président, j'insiste sur le cas de l'Afrique. Lorsqu'on examine, notamment, l'ensemble des conventions internationales qui définissent depuis 1950 les droits humains et que nous considérons quels pays ont adhéré au Tribunal pénal international, nous constatons que, parmi les pays de la mouvance islamique, la plupart des pays africains ont adhéré à ces conventions internationales et au tribunal et que peu d'autres pays du Proche-Orient ont fait la même chose. Cela est important, parce qu'à la Conférence islamique, à l'Organisation islamique pour l'éducation, les sciences et la culture, dans les grandes organisations où se retrouvent la communauté islamique du monde, l'ALESCO et d'autres grands forums de nature intergouvernementale, l'Afrique subsaharienne a un poids tout à fait significatif.

    Beaucoup de nos interventions dans des pays de l'Afrique subsaharienne ont un lien direct ou indirect avec les questions qui nous rassemblent aujourd'hui.

    J'aimerais vous dire un mot sur la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples. Nous appuyons très fortement cette commission. Nous l'appuyons avec nos propres ressources et nous sommes en négociation avec l'ACDI pour fournir un appui massif à cette commission au cours des trois prochaines années.

    Quel est le rapport entre le travail de cette commission et le sujet qui nous rassemble aujourd'hui?

    La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples vient de déposer un protocole additionnel sur le droit des femmes africaines. Ce protocole a été défini très largement dans une perspective de maintien des droits des femmes africaines vivant dans des sociétés où l'islam est prépondérant ou de restauration de ces droits dans certaines sociétés, comme ces états du nord du Nigeria où les droits des femmes ont été sacrifiés et où la charia occupe désormais la place centrale. La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples joue aujourd'hui un rôle absolument déterminant pour le statut des femmes en Afrique. Il ne s'agit pas simplement du travail de la commission à Banjul et à ses relais à Addis-Abeba, mais il y a une série de rencontres au niveau régional dans toute l'Afrique. C'est une série de rencontres dans un grand nombre de pays africains et nous appuyons cette démarche.

    Comme vous le savez, la commission a aussi mis sur pied la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, qui est entrée en vigueur il y a quelques jours. Il fallait 15 signatures et 18 signatures sont maintenant acquises. Quand on lit le mandat de cette cour des droits, on constate qu'il y a aussi, par rapport aux questions que soulève l'islam, des dispositions qui sont d'une grande importance.

    Monsieur le président, en terminant, je voudrais vous dire que je tire trois enseignements importants de tous ces travaux.

    D'abord, il est absolument nécessaire qu'un pays comme le nôtre fasse ce que vous avez fait ces derniers temps, c'est-à-dire participer à cet extraordinaire dialogue entre les espaces spirituels et culturels du monde, et notamment avec l'islam. Il y a aujourd'hui dans presque toutes les communautés et les sociétés islamiques de nombreux groupes courageux qui cherchent à rester fidèles à l'islam, mais en même temps, à introduire dans leur communauté, dans leur société, les règles communes des valeurs démocratiques et les règles de nature universelle définissant le régime des droits humains. Ce dialogue est extrêmement important.

¹  +-(1555)  

    Nous sommes attendus. Nous sommes attendus partout. Ce pays est attendu partout. Nous l'avons ressenti dans ces pays que j'ai mentionnés. J'aurais pu en mentionner d'autres, comme le Pakistan et le Bangladesh, où nous avons fait des travaux. Des groupes très nombreux attendent que nous venions appuyer ces démarches difficiles et courageuses qu'ils sont en train de faire.

    Deuxièmement, plus la dimension politique des États va peut-être laisser la place aux ententes internationales de toute nature, plus la souveraineté politique va se replier. Comme on l'observe un peu partout, la dimension culturelle va occuper le vacuum laissé par le politique. Et ces questions, qui aujourd'hui rejoignent 1,3 milliard de personnes, vont rejoindre, dans 20 ans, 2,3 milliards de personnes.

    L'islam est une religion qui connaît une croissance extraordinaire; la démographie des pays islamiques croît à un rythme que nous avons peine à imaginer. Nous allons nous retrouver, et c'est déjà le cas, avec des populations extrêmement jeunes, une majorité de jeunes, une majorité de gens qui auront moins de 20 ans, qui auront moins de 25 ans, et qui cherchent à la fois la sécurité économique et un régime de droits et libertés.

    C'est le troisième enseignement de nos travaux que je voulais évoquer, après ce besoin de dialogue: donner une réponse à ceux qui, dans l'espace où l'islam est un facteur déterminant, se battent pour les libertés. Nous devons les soutenir et les soutenir solidement. Nous devons, deuxièmement, prendre bonne note de la croissance de la dimension culturelle des sociétés humaines. Et troisièmement, nous devons, en matière de développement social, de développement économique, de coopération, d'accords internationaux sur le commerce, de commerce équitable, de remise de dettes et d'investissement international, nous assurer qu'il y a du développement dans ces pays, qu'il y a de la croissance, qu'il y a de la création de richesses. Autrement, nous allons devoir gérer un monde extraordinairement difficile.

    Voilà, monsieur le président, l'essentiel de ce que nous faisons et les premiers enseignements que nous en tirons. Nous serons très heureux, Mme Almeida, M. Lipsett et moi, de répondre à vos questions. Mme Almeida connaît ces dossiers mieux que moi et est dans notre maison depuis très longtemps; elle est directrice des programmes et de la planification. Je vous remercie.

º  +-(1600)  

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur le président. Nous allons maintenant passer à une période de questions et réponses.

[Traduction]

    Je voulais simplement préciser à mes collègues que j'ai demandé à M. Roy de nous apporter une étude et un rapport sur Haïti en date de janvier 2004. Nous en avons des exemplaires en anglais et en français que nous allons faire distribuer. La question n'est pas à l'ordre du jour aujourd'hui, mais j'ai pensé qu'il serait important de vous communiquer ce rapport.

[Français]

    Madame Lalonde, s'il vous plaît.

+-

    Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Merci, monsieur le président.

    Merci, monsieur Roy. Vous me forcez à me replonger dans ce dossier  auquel j'ai si fort travaillé et pour lequel nous devons compléter une étude. Mais je dois vous dire d'emblée qu'en vous écoutant, je vous trouvais très optimiste. Quand j'ai fermé le dossier pour la période de Noël, je n'étais pas aussi optimiste que cela, vraiment pas. Je ne dis pas qu'il ne faut pas chercher à agir. C'est votre rôle, et vous nous indiquez ce que vous appelez vos enseignements, mais en même temps, il me semble qu'il y a des facteurs dont vous ne parlez pas et qui jouent dans le sens contraire de ces groupes et de ces aides dont vous parlez. Je veux parler de la pauvreté, de la faim, de l'absence d'éducation ou de la mauvaise éducation, ce qu'on trouve aussi dans ce qu'on convient d'appeler le monde arabo-musulman, et qui va dans le sens complètement contraire de ce que vous dites. C'est une tendance lourde, une tendance forte.

    J'ai fait dans un premier temps une tournée au Maroc, et ensuite, nous nous sommes rendus en Iran, en Arabie saoudite, en Turquie et en Égypte. Dans plusieurs de ces pays-là--sans nommer les pays individuels--, quand nous demandions à plusieurs personnes si les islamistes l'emporteraient s'il y avait des élections libres et démocratiques, la réponse était toujours « oui ». Je fais le lien entre cela et les problèmes liés à la pauvreté et au manque d'éducation.

    J'aimerais vous entendre là-dessus, parce qu'il me semble que les pays développés ne peuvent pas appuyer seulement des groupes généreux et courageux qui, comme des cure-dents, s'opposent à des océans. Il faut aussi qu'il y ait un appel pour inciter les gens à lutter contre la faim, contre le sida, etc.

    Je sais que ma question est longue, mais vous m'avez forcée à me resituer. C'est la seule question que je vais vous poser, car je trouve intéressantes vos autres recommandations.

+-

    M. Jean-Louis Roy: Merci, madame Lalonde. Je pense que vous reprenez là où j'ai laissé. J'ai terminé en disant que le monde sera difficile à gérer s'il n'y a pas d'efforts de faits en matière de développement, de production de richesses, d'équité dans le commerce, en matière de remise de dettes réelle, d'investissements dans des régions du monde où il n'y en a plus. Je reviens d'Afrique. Il n'y a plus d'investissements en Afrique, à part un peu dans le secteur minier, etc. J'ai évoqué, je crois, la dimension démographique considérable que vous savez.

    Le seul pays où récemment on a compté les fondamentalistes, c'est au Maroc. Il y a 10 ans, tout le monde disait que si des élections avaient lieu au Maroc, les fondamentalistes allaient l'emporter. Ils ont eu 18 p. 100 du vote.

º  +-(1605)  

+-

    Mme Francine Lalonde: Parce qu'ils ne se sont pas présentés.

+-

    M. Jean-Louis Roy: Non, il y a eu des candidats.

+-

    Mme Francine Lalonde: Oui, mais pas à leur force, comme disait l'autre. Ils ne couraient pas à leur force.

+-

    M. Jean-Louis Roy: Peut-être, mais c'est le seul cas où ils se sont vraiment comptés. Sur le fond, je partage votre avis. Qu'est-ce qui fait le fondamentalisme? C'est une extraordinaire situation, et j'ai failli dire une situation dangereusement vicieuse qui fait le fondamentalisme. C'est cette espèce de service social considérable. Le cas du Maroc est un bel exemple. Casablanca est un bel exemple d'endroit où les islamistes fondamentalistes s'organisent en donnant aux gens le sentiment qu'en matière de santé, ils s'occupent d'eux, sauf que lorsqu'ils prennent le pouvoir, ils appauvrissent dramatiquement les pays où ils sont.

+-

    Mme Francine Lalonde: C'est vrai.

+-

    M. Jean-Louis Roy: C'est l'espèce de situation un peu honteuse dans laquelle ils sont.

    Mais si vous êtes un jeune au Maroc, en Égypte, en Iran ou en Arabie saoudite, pour parler des quatre pays que vous avez mentionnés, c'est sûr qu'il y a deux choix, et on le voit d'ailleurs en ce moment dans les quatre pays, même en Arabie saoudite, où il y a beaucoup de gens qui manifestent.

    C'est peu connu, peu publicisé, mais au cours des deux ou trois dernières années, en Arabie saoudite, on a vu des mouvements de contestation importants, même si le pouvoir n'a pas été débordé. Ou bien vous allez de ce côté, ou bien vous allez du côté du fondamentalisme. Et pourquoi? Parce que, comme vous l'avez souligné, il y a la pauvreté, et donc pas d'avenir, pas de perspective.

    On parle de régions du monde où deux milliards de personnes vont naître dans les 20 prochaines années. Quatre-vingt-dix pour cent de ces deux milliards de personnes vont naître en Afrique, en Asie du Sud et en Amérique latine. C'est évident qu'il y a une catastrophe programmée.

    Sommes-nous optimistes? Sommes-nous pessimistes? Je reviens au Maroc. Ce qui se fait au Maroc a plein de limites, mais il y a quelque chose qui est en train d'y changer. Nos partenaires, dont plusieurs ont fait de la prison, dont plusieurs viennent de l'opposition la plus farouche, ont décidé de prendre cette chance et de dire qu'ils accompagnent ce processus. Ils ont des doutes dans l'esprit, mais, entre ce qu'ils ont connu et l'ouverture qui leur est proposée aujourd'hui, la grande majorité d'entre eux, et notamment les femmes, ont préféré choisir l'ouverture qui leur est proposée aujourd'hui.

    Je crois qu'il faut dire les deux choses à la fois. D'un côté, il faut dire ce que vous dites, c'est-à-dire que le monde, dans l'état où il est et de la manière dont il change, ne peut pas nous permettre d'être absolument optimistes. En même temps, si vous travaillez dans le domaine des droits humains, vous avez vocation, d'une certaine manière, à croire que ceux qui se battent aujourd'hui pour les libertés, dans cet espace du monde et dans d'autres espaces du monde, vont peut-être nous surprendre. Qui aurait dit en 1985, en 1988 et en 1990 qu'il y aurait cette extraordinaire libération de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est? Les meilleurs interprètes de ce qui s'est passé, les grands historiens polonais, Geremek et les autres, disent que c'est Helsinki, que c'est l'inclusion de la notion des droits humains qui a été un facteur tout à fait déterminant.

    Madame Lalonde, je viens de la Beauce. On a sept semaines pour semer et pour récolter. On n'est ni optimistes ni pessimistes. Il ne faut pas se tromper sur la date où on sème ni sur la date où on récolte. On travaille au mieux dans des contextes compliqués que vous avez décrits superbement bien. Nous cherchons à venir en appui à ceux qui se battent dans ces régions du monde. Maintenant, il y a un volet de la coopération internationale, un volet de l'équité dans les rapports économiques dans le monde, qui est indissociable de la discussion qu'on a aujourd'hui.

º  +-(1610)  

+-

    Mme Francine Lalonde: C'est cela que je voulais entendre.

+-

    Le président: Monsieur Eggleton, allez-y.

[Traduction]

+-

    L'hon. Art Eggleton (York-Centre, Lib.): Pour enchaîner là-dessus, j'aimerais bien vous entendre à propos de l'Iran. Alors qu'on peut, comme vous le dites, espérer qu'un jour les principes de la démocratie finiront par progresser dans un certain nombre de ces pays, même au sein d'une société islamique, l'Iran au contraire semble aller à reculons. Alors que ce pays a connu une révolution qui lui a permis de se débarrasser d'un gouvernement dictatorial, comme on en voit encore dans bien d'autres pays, l'Iran semble maintenant étouffer toute tentative de réforme démocratique.

    À part cela, j'aimerais tout d'abord vous interroger sur la programmation que vous avez esquissée. Vous nous avez donné des détails sur vos programmes dans divers pays, et c'est une gamme de programmes impressionnante. Je vous en félicite, mais à moins de disposer d'un budget illimité, comment ces programmes peuvent-ils être efficaces?

    On a l'impression que vous couvrez beaucoup de surface mais que vous allez très peu en profondeur. Dans quelle mesure les programmes que vous menez dans ces pays peuvent-ils vraiment contribuer à faire progresser les droits de la personne ou les réformes démocratiques?

    Deuxièmement, que recommanderiez-vous à notre comité de faire pour contribuer à la progression des droits de la personne et de la démocratie dans les pays musulmans sans donner l'impression de faire du paternalisme et d'arriver en disant : « Voilà ce que nous faisons au Canada, voilà ce que vous devriez faire à notre avis »? Je pense que ce n'est pas du tout de cette façon que nous voulons agir. Que faut-il faire pour contribuer à faire progresser les droits de la personne et la démocratie en respectant un contexte propre à chacun de ces pays? Que recommanderiez-vous à notre comité de faire figurer à ce sujet dans son rapport?

+-

    Le président: Monsieur Roy.

+-

    M. Jean-Louis Roy: Merci beaucoup, monsieur Eggleton.

    Il n'est pas facile de répondre à votre première question. Comment prévoir les répercussions à long terme de ce que nous essayons de faire dans ces domaines? C'est très difficile.

    Souvenez-vous des gens qui appuyaient Solidarnosc en Pologne dans les années quatre-vingts. J'étais éditeur au Devoir et j'ai écrit beaucoup d'articles sur la question à l'époque. Nous ne savions pas quel serait le bilan à long terme de cette initiative.

    Disons que ce que nous faisons actuellement au Maroc est à mon avis très important pour ceux qui, dans ce pays, ont décidé dans le contexte de la société civile et des institutions, de mettre à l'épreuve la volonté du régime et de contribuer à l'épanouissement d'une culture démocratique. Nous allons les accompagner pendant trois ans. Nous finançons une partie de leurs recherches. Nous leur apportons l'aide d'experts canadiens. Disons que dans le cas du Maroc, j'espère que notre action aura vraiment un impact.

    Je suis sûr que ce que nous avons fait en Afghanistan pour les droits des femmes, notre aide aux femmes responsables des ONG, notre aide à la rédaction de la nouvelle constitution, a vraiment eu un impact. Nous avons été les seuls à le faire et à appuyer les femmes de ce pays depuis deux ou trois ans à ce niveau.

    J'aimerais vous parler d'un autre exemple, celui de

[Français]

la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples.

[Traduction]

    Nous sommes là dans ce

[Français]

continent de toutes les difficultés et de tous les problèmes aujourd'hui. Nous sommes parmi les seuls à appuyer solidement et à long terme la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples. Ou bien nous décidons que ce continent n'est pas mûr pour se doter d'institutions comparables à celles que nous avons en Europe et dans les Amériques concernant les droits et les libertés, ou bien nous pensons qu'il doit s'en doter et qu'un pays comme le nôtre, le Canada, doit soutenir cet effort. Nous allons soutenir cette commission. Nous allons nous battre pour elle. Nous allons trouver des ressources pour cette commission. Je crois que cela aura, à long terme, un impact sur un grand nombre de pays africains.

    Qu'est-ce que je vous recommanderais?

º  +-(1615)  

[Traduction]

    C'est très difficile. Il faut être présent partout. On ne peut pas vivre dans un système global et avoir le réflexe d'un monde clos. Je crois que nous devons parler, que nous devons dire la vérité. Nous devons aller dire franchement ce que nous pensons à ces pays. Un pays comme le nôtre peut le faire.

    J'ai vécu en Europe pendant 15 ans. Je sais qu'il y a de nombreux sujets—et Diane sait bien de quoi je parle—qui sont très délicats pour les Européens et que nous pouvons pas aborder très franchement.

    Hier, il y avait dans la ville où nous nous trouvons une très importante réunion sur l'avenir de la Côte d'Ivoire. Ce n'est pas nous qui avions organisé cette réunion. Je ne peux pas imaginer un autre pays, à l'exception peut-être de l'Afrique du Sud, où l'on aurait pu organiser avec un tel succès cette réunion qui rassemblait des représentants de tout l'éventail politique du pays, en vue de négocier un meilleur avenir pour la Côte d'Ivoire.

    Je pense que les Canadiens doivent parler très franchement. Nous sommes profondément convaincus dans ce pays qu'il existe des valeurs démocratiques et humaines auxquelles aspirent tous les peuples du monde.

    Il y a deux façons de voir les choses. C'est un peu théorique. Nous pouvons parler des droits humains sous l'angle de l'indivisibilité et de l'interdépendance ou nous pouvons exprimer ce que souhaitent vraiment ces jeunes femmes et ces jeunes hommes du Burkina Faso, de l'Indonésie et du Maroc. Ils ne veulent pas de la torture. Ils ne veulent pas se retrouver dans un tribunal où le juge va leur lire quelque chose qui a été écrit par le palais ou par Dieu sait qui. Ils veulent une liberté de mouvement, une liberté de parole et une liberté de réunion. C'est là que l'indivisibilité et l'universalité sont au premier plan du débat sur les droits humains.

    Je dis qu'un pays comme le nôtre doit parler très clairement. Vous dites que nous ne voulons pas avoir l'air d'être paternalistes. Vous avez raison. Mais se taire, c'est aussi faire du paternalisme. Cela veut dire qu'on sait mais qu'on ne veut pas parler. Que fait-on? On se contente de faire des photos du monde tel qu'il est sans intervenir pour aider ceux qui essaient de le faire évoluer.

    À mon avis, l'une des choses les plus importantes à garder à l'esprit dans le contexte de vos réflexions et de vos interrogations, c'est de savoir quel sera le coût total, et pas seulement financier, pour la collectivité si l'incivisme continue de progresser en Afrique centrale, en Colombie et dans certaines régions de l'Asie australe. Si l'incivisme prolifère, nous devrons intervenir. Je pense que nous n'avons pas le choix.

+-

    Le président: Nous passons à Mme Almeida pour un dernier commentaire et ensuite je donnerai la parole à Mme McDonough.

[Français]

+-

    Mme Iris Almeida (directrice des Politiques, programmes et planification, Centre international des droits de la personne et du développement démocratique): J'aimerais ajouter quelques mots complémentaires à cette question, que je trouve fort intéressante.

[Traduction]

    Impact et recommandations. La première chose que je dirais, c'est que notre travail dans le monde musulman, qui a débuté il y a quelques années, s'appuyait plus ou moins sur cinq idées clés. Ces notions se sont cristallisées et ont évolué progressivement. La première, c'est que quand on parle du monde musulman, on ne se contente pas de regarder le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. L'Indonésie, le Nigéria, de grands pays qui ont de vastes populations de confession musulmane, et d'autres pays encore sont tout aussi importants. Voilà pour le premier principe.

    Le second, c'est que le monde musulman n'est pas homogène. Il est extrêmement hétérogène. Essayer de le simplifier, c'est la plupart du temps passer à côté de la plaque. Il faut donc toujours prendre soin d'éviter les analyses simplistes et les généralisations abusives.

    Le troisième principe, c'est que du point de vue économique et géostratégique, nous avons tout intérêt, nous les Canadiens, à comprendre le monde musulman.

    Quatrièmement, l'Islam et la démocratie sont compatibles. Même si les idéologues de tout poil essayent de prétendre le contraire, la réalité de ces pays montre que l'Islam et la démocratie sont compatibles.

    Enfin, je dirais qu'il y a au sein des pays musulmans de nombreux démocrates modérés. Il est important que des démocraties comme le Canada soient présentes dans ces pays et agissent au lieu de réagir simplement, qu'elles prennent position.

º  +-(1620)  

Cette prise de position repose sur la connaissance. Je crois que le plus gros obstacle auquel nous nous heurtons dans la définition d'une politique ou d'une démarche stratégique à l'égard du monde musulman, c'est le manque de connaissance, la plupart du temps.

    Enfin, la sixième remarque que je ferai au sujet du monde musulman, c'est que nous ne pouvons pas comprendre ce monde si nous ne comprenons pas la réalité de l'humiliation qu'ont infligée les politiques mondiales et les médias internationaux à de nombreux musulmans dans le monde entier depuis quelques années. Cette humiliation est à la racine d'une foule d'atrocités et de manifestations d'incivisme. Quand je parle d'humiliation, je parle d'isolement et de pauvreté. Les trois sont inséparables.

    Enfin, dans ce contexte d'isolement, d'humiliation et de pauvreté, je songe plus particulièrement à la réalité à laquelle sont confrontés les femmes et les enfants ou la jeunesse. Si nous ne définissons pas dans nos politiques ou dans notre compréhension le rôle de la jeunesse sous l'angle économique et sous l'angle politique, nos discussions au cours des 20 prochaines années seront trop bornées.

    Pour ce qui est de l'impact, j'ai l'impression que si nous n'avons pas une démarche à long terme, si nous ne commençons pas quelque part pour progresser... Nous ne partons pas de zéro, car même des institutions comme les institutions canadiennes fonctionnent dans ces pays depuis un certain nombre d'années. Nous partons donc de ce que nous avons, et nous décidons de nous engager à une démarche à long terme pour avoir des résultats, car on peut voir ces résultats... mais il faut une démarche à long terme reposant sur une progression étapiste et il faut avoir une stratégie de réaction mais aussi une stratégie proactive.

    Quant aux recommandations, je dirais simplement que la plupart du temps les groupes présents dans certains de ces pays... Prenons le cas de la Tunisie. La Tunisie va accueillir en 2005 le Sommet mondial sur la société d'information, la deuxième phase de ce grand sommet. Les représentants de la société civile en Tunisie dénoncent l'absence de droits humains fondamentaux et d'espace démocratique. Que peut faire la communauté internationale face à cette situation? Nous allons donc envoyer là-bas une mission d'enquête internationale pour étudier la situation et informer la communauté internationale; nous allons essayer de le faire dans un cadre multilatéral avec plusieurs autres pays et des gens qui connaissent le pays et comprennent la situation.

    Dans bien des pays comme la Tunisie, ce n'est pas simplement une question d'argent. La plupart du temps, ils nous disent qu'ils ont besoin de montants minimes. Vous seriez étonnés de voir qu'avec des ressources tellement minimes... Parfois, il peut s'agir de 20 000 $ seulement pour un grand réseau de femmes.

    Au Nigeria, par exemple, dans le cas dont vient de vous parler M. Roy, il s'agissait de débloquer 20 000 $ pour une période de trois à cinq ans, parce que c'était ce que demandaient ces gens-là, pour permettre à des avocats d'établir des précédents juridiques et même de travailler dans le contexte de la charia.

    Tout ce que j'essaie de vous dire, c'est que la plupart du temps, on parle de 10 000 $, de 20 000 $ ou au maximum de 80 000 $. Dans le cas du Maroc, il s'agit d'un projet de 80 000 $. Mais on s'aperçoit que ce que les gens souhaitent, ce sont de petits montants avec beaucoup d'appui politique, beaucoup de suivi, beaucoup d'interaction avec ce qui se passe au Canada, avec les institutions canadiennes. Ce que veulent les gens, c'est ce genre d'échange politique pour sortir de leur isolement et essayer de voir comment on peut lutter contre la pauvreté et l'humiliation.

+-

    The Chair: Merci.

    Madame McDonough.

+-

    Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD): Merci, monsieur le président.

    Je suis très heureuse que nous puissions avoir ce débat aujourd'hui, compte tenu de l'ampleur de votre activité. Ce qui est difficile, c'est de se concentrer sur un point particulier quand on a un champ d'action aussi vaste que le vôtre.

    J'aimerais revenir sur le remarques que vient de faire Mme Almeida au sujet de l'humiliation qu'ont subie de nombreux musulmans dans le monde entier—et c'est malheureusement vrai aussi dans bien des cas au Canada.

    Nous avons entendu de nombreux témoins à ce comité dans le contexte de notre étude sur les relations du Canada avec le monde musulman. Nous avons entendu une multitude de points de vue, mais ce qui revenait sans cesse, c'était l'idée que le cauchemar apparemment inextricable du conflit israélo-palestinien demeure un obstacle au progrès dans toutes sortes de domaines. Nous avons entendu une grande variété de points de vue. Certains ont dit que c'était un peu une excuse pour éviter de faire pression pour les droits de la personne, les libertés civiques et le développement démocratique auprès de certains autres régimes répressifs, etc. Quoi qu'il en soit, c'était un thème récurrent.

    Pourriez-vous nous dire si Droits et Démocratie a rédigé des textes, organisé des colloques ou pris des initiatives sur cette question, pourriez-vous nous résumer un peu tout cela et éventuellement nous renvoyer à des textes résultant de vos travaux dans ce domaine.

    Deuxièmement—et j'ai posé cette question lors de notre réunion d'hier—notre comité est unanime à se préoccuper de la situation en Haïti, qui atteint les proportions de crise que vous prédisiez dans votre document qui vient de sortir. Je sais que ce n'est pas l'objet de notre discussion d'aujourd'hui, mais compte tenu de l'urgence de la situation et du vif intérêt que les membres de ce comité portent à ce problème, pourriez-vous nous dire si vous avez d'autres réflexions à ajouter à celles que vous formuliez dans l'étude que vous avez réalisée à l'automne 2003.

    Encore une fois, si nous n'avons pas le temps d'aborder tout cela en détail aujourd'hui, peut-être pourriez-vous nous envoyer plus tard d'autres réflexions sur les recommandations que notre comité pourrait adresser au gouvernement, et sur les initiatives que nous pourrions prendre dans le cadre d'un comité des affaires étrangères regroupant tous les partis?

    Merci.

º  +-(1625)  

[Français]

+-

    Le président: Monsieur Roy.

+-

    M. Jean-Louis Roy: Merci, madame McDonough.

    Je vais faire un bref commentaire sur Haïti, puisque vous m'invitez à le faire. Je demanderais à Iris Almeida de rappeler à chacun d'entre nous ce que Droits et Démocratie a accompli dans le contexte des événements palestiniens que vous venez d'évoquer.

    Monsieur le président, est-ce qu'on peut parler d'Haïti?

+-

    Le président: Oui.

+-

    M. Jean-Louis Roy: Très bien. Je n'en étais pas sûr: je croyais que vous aviez des réserves à ce sujet.

    Dans le cas d'Haïti, je ne voudrais pas être trop sévère. On sait, lorsqu'on évoque les travaux de l'OEA, que cet organisme a été actif et qu'il est présent à Port-au-Prince.

On sait que la Communauté des Caraïbes est là également. Mais il reste qu'aujourd'hui, dans un grand nombre de dossiers, le multilatéral est un paravent derrière lequel on se cache pour éviter de prendre des initiatives.

    Il y a plusieurs semaines, nous avions souhaité, comme nous l'avons écrit dans La Presse, que le premier ministre du Canada nomme un représentant personnel, avec les Mexicains, les Brésiliens et les Américains, dans l'hémisphère, pour pouvoir travailler à un autre niveau et d'une façon moins intergouvernementale. Quand on travaille de manière intergouvernementale, on peut créer ensemble des choses intéressantes dans les périodes normales, mais dans les périodes de crise, cela donne rarement de véritables résultats. Nous avions donc souhaité que le premier ministre nomme un représentant personnel et que le Canada prenne le leadership d'une action beaucoup plus décisive que celle qu'on a vue.

    Le rapport qu'on a déposé aujourd'hui va vous montrer l'extrême abandon dans lequel on a laissé la société haïtienne, les mouvements de juristes indépendants, les journalistes qui se sont fait tuer, le grand nombre d'entre eux qui se sont fait blesser au quotidien--on se promène avec des mitraillettes dans les salles de rédaction--, les groupes de femmes aussi. On a laissé le pays le plus en détresse de notre hémisphère crouler aussi bas que là où il est rendu aujourd'hui. Je pense que le gouvernement du Canada, la société canadienne et une organisation comme la nôtre peuvent faire infiniment mieux que cela.

    Je me bats depuis que je suis à Droits et Démocratie pour qu'on intervienne en Haïti. On a fait ce rapport. On aura quelqu'un qui va s'occuper d'Haïti lorsque les circonstances seront redevenues un peu plus normales. On a créé Droits et Démocratie pour s'assurer que les normes internationales en matière de droits humains soient respectées dans les pays en développement, et je pense qu'on a un mandat particulier pour les pays en détresse, style Rwanda à un moment donné et style Haïti aujourd'hui.

    Si vous me demandez ce que le Canada pourrait faire avec ses partenaires dans le contexte de l'OEA, je vous répondrai qu'on doit entendre le Canada, et pas simplement sur une base réactive. Je sais que c'est complexe et que le Canada a déjà fait des efforts, mais qu'est-ce que le Canada est prêt à proposer à ses partenaires aujourd'hui pour rendre ce minimum de sécurité, ce minimum de respect des personnes à un pays comme Haïti, minimum sans lequel c'est une boucherie programmée qui nous attend?

    En terminant, j'ajouterais une réflexion sur Haïti. Le Canada a déjà fait des efforts importants dans la formation des forces de sécurité, etc. Avons-nous fait des efforts importants pendant suffisamment longtemps? C'est souvent le problème. Je crois que le Canada fait de véritables efforts, des efforts qui sont louables et intéressants, mais qu'on arrête peut-être trop tôt. C'est la question qu'a posée M. Eggleton tout à l'heure: est-ce que vous êtes sûrs que vous avez un impact un peu plus profond? Je pense que cela vaut aussi pour les interventions du gouvernement. Est-ce qu'on reste suffisamment longtemps? Est-ce qu'on est suffisamment décidés à accompagner le mouvement, ou bien est-ce qu'on ne se retire pas en laissant les choses à peu près faites? Voilà, madame McDonough, ce que je peux dire.

    J'ajouterai une dernière chose concernant Haïti. Ceux qui connaissent Haïti savent que ça fait 15 ans qu'on est dans l'éternel drame de la malédiction des régimes qui se succèdent. Je crois qu'il doit y avoir, de la part du Canada, une initiative extrêmement forte. Je ne parle pas de retourner au conseil de tutelle, mais je parle d'un accompagnement à long terme avec un certain nombre de partenaires désireux d'être avec nous, de telle façon que ce demi-siècle de misère dans lequel les Haïtiens ont vécu puisse être surmonté, qu'on puisse avoir un impact un peu significatif pour créer autre chose. Je pense que ça ne vaut pas la peine d'avoir un programme de six mois en Haïti. Il faut être décidés à s'y installer pour un long moment.

º  +-(1630)  

[Traduction]

+-

    The Chair: Nous passons maintenant à M. Wilfert.

+-

    M. Bryon Wilfert (Oak Ridges, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Vos commentaires et les constats que le comité a faits jusqu'à présent ont surtout porté sur le Moyen-Orient et l'Afrique. Je connais assez bien cette région, mais celle qui m'intéresse surtout, c'est l'Asie. De toute évidence, le coeur démocratique de l'Islam se situe en Asie, et surtout en Asie du Sud-Est.

    L'une de mes questions concerne les créneaux stratégiques qui s'offrent au Canada dans cette région du fait de notre rôle de puissance moyenne et de notre contexte économique, social et politique. Voici ma question. Quels sont les instruments que nous devrions utiliser ou que nous n'utilisons pas actuellement dans cette région du monde pour faire progresser les diverses causes que vous avez mentionnées? Vous avez parfaitement raison de dire que la situation est très loin d'être homogène.

    Deuxièmement, la Malaisie évolue profondément en ce moment. Depuis l'arrivée de l'actuel premier ministre Abdullah, des changements profonds se sont produits, des changements qui auraient été inimaginables il y a un an seulement. Il a envoyé personnellement ses voeux de Noël aux Églises de la Malaisie l'an dernier, ce qui était une initiative sans précédent pour essayer de mettre en place, comme il le dit, une société véritablement pluraliste au sein d'un État qui repose clairement sur l'Islam.

    Avez-vous des leçons à nous recommander à partir de cette situation, compte tenu de la nature de notre propre société?

º  +-(1635)  

+-

    M. Jean-Louis Roy: Monsieur Wilfert, merci pour ces questions. Je n'ai peut-être pas été assez sensible, dans les 10 minutes que m'a accordées le président, à cette région du monde, l'Asie.

    J'aimerais signaler aux membres du comité que nous allons tenir en mai aux Philippines un colloque rassemblant des Canadiens et des gens de cette région du monde, à la suite d'une demande qui nous a été adressée il y a un an et demi par la Thaïlande, par des gens qui venaient même du Vietnam et d'autres personnes de l'Asie du Sud-Est. On met actuellement sur pied dans cette région les communautés économiques régionales, l'ANASE Plus Trois, mais il n'y a pas la moindre mention des droits de la personne dans ces nouveaux organismes et ces nouvelles communautés économiques, contrairement à ce qui se fait dans les Amériques, en Afrique, en Europe et partout ailleurs dans le monde.

    Nous allons donc organiser un premier symposium sur la question avec les ONG asiatiques de quelque importance, en mai, aux Philippines, et nous tiendrons ensuite en janvier, à Toronto ou à Vancouver, la deuxième étape de cette réflexion que nous organiserons avec eux à leur demande.

    Nous inviterons à ces réunions, tout au moins à la deuxième, des représentants de la Communauté européenne et des gens des Amériques qui travaillent au sein de la Commission interaméricaine des droits de l'homme et au sein de la cour, pour qu'ils soient concrètement informés de ce qui se passe.

    J'ai été étonné lorsque je suis arrivé comme président au Centre des droits de la personne et du développement démocratique. La première demande qui m'a été adressée—et elle venait de votre bureau, était une demande d'organisation d'un colloque à Montréal, avec de nombreuses ONG d'Asie. Ces gens-là nous ont dit : « Pouvez-vous nous aider? Nous voulons faire quelque chose. Nous ne savons pas comment cela se passe ailleurs dans le monde, mais pouvez-vous nous aider? ». Voilà le résultat. Je travaille avec eux depuis quelques mois à ces deux colloques que je viens de vous mentionner.

    J'aurais dû aussi vous préciser qu'en janvier 2005, nous allons commencer à faire en Indonésie ce que nous faisons actuellement au Maroc, comme je vous le disais. C'est une sorte d'inventaire, avec l'aide de chercheurs et d'ONG de l'Indonésie, de l'état des valeurs démocratiques et des droits humains dans ce pays. Nous allons commencer à préparer ce travail cette année et nous serons totalement opérationnels pendant deux ou trois ans en Indonésie à partir de 2005.

    Je vais inviter Iris à compléter cela.

+-

    Mme Iris Almeida: Très brièvement, monsieur le président, je crois que les possibilités qui s'offrent au Canada pour jouer un rôle stratégique en Asie sur le plan économique, le plan humain, le plan démocratique et le plan de la justice sont immenses. Nous avons reçu de nombreuses demandes de pays, allant de l'Inde à la Chine en passant par l'Indonésie et la Malaisie—des pays avec lesquels nous travaillons—et nous n'avons tout simplement pas les ressources nécessaires pour répondre à leurs demandes ou travailler avec eux à long terme, ou alors seulement de façon extrêmement modeste.

    Je tiens à préciser que le colloque que nous allons tenir en Asie réunira une quinzaine de réseaux dans la même salle : des réseaux qui se consacrent à la sécurité, aux droits humains et aux dispositifs régionaux—les processus régionaux comme on les appelle, les mécanismes régionaux—et l'intégration économique. Nous serions heureux de vous communiquer les résultats de ces travaux.

    Si vous me le permettez, à propos de la Palestine et d'Israël...

+-

    The Chair: Oui, très brièvement, car c'était la question de Mme McDonough.

º  +-(1640)  

[Français]

+-

    Mme Iris Almeida: Merci. Je crois que pour ce qui est de la Palestine et d'Israël, il faut tout simplement admettre qu'on n'a pas fait un travail considérable et ce, pour plusieurs raisons très simples. Pour en revenir à la modestie, je dirai que cette institution ne peut pas tout faire avec 4,8 millions de dollars par année et une évaluation quinquennale qui nous demande à tout coup de concentrer nos efforts pour que nos opérations aient un impact. C'était le premier point.

    Cela étant dit, cette question reste au coeur du travail que fait le centre ici, au Canada, comme au Moyen-Orient et au Maghreb. On cherche à s'assurer qu'un dialogue soit maintenu au sein de la société civile de ces régions très troublées du monde et qu'il y ait des lieux, des zones de contact, de dialogue et d'échange. Nous continuons notre réflexion sur cette partie du monde et sur le droit international.

    Nous sommes prêts à vous faire un compte rendu de discussions que nous avons menées à l'interne ainsi que d'une mission que nous avons effectuée dans cette région. Néanmoins, nous continuons à dire que si nous n'avons pas les ressources nécessaires pour maintenir une forme de permanence dans cette région, nous ne pouvons pas disposer de toute l'information nécessaire pour promouvoir et défendre efficacement les droits de la population de cette région auprès du Canada ainsi que du reste du monde.

    À l'heure actuelle, nous ne sommes pas présents sur le terrain, mais nous maintenons notre réflexion et continuons de temps à autre à faire état d'atrocités commises par différentes factions. Nous pourrions partager avec vous certains de ces documents et de ces informations, qui sont par ailleurs du domaine public.

[Traduction]

+-

    The Chair: Nous passons à M. Obhrai.

+-

    M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, PCC): Excusez-moi, je suis arrivé un peu en retard et je n'ai pas entendu complètement votre exposé. J'ai cependant relevé quelques points.

    J'aimerais savoir si votre institut a fait des études sur les droits des minorités dans les sociétés ou les pays islamiques. Quand nous sommes allés voir tout cela, nous avons toujours examiné les choses sous l'angle du manque de démocratie et de droits humains du point de vue des populations islamiques. Toutefois, il y a aussi d'autres composantes dans ces sociétés. Et surtout, bien que je comprenne très bien le point de vue des autres—je le connais bien et j'en suis bien conscient—j'aimerais surtout savoir si votre institut a examiné la question sous cet angle. Est-ce que cela faisait partie de votre mandat, et avez-vous formulé des recommandations ou une solution concernant les droits des minorités?

[Français]

+-

    Le président: Monsieur Roy.

+-

    M. Jean-Louis Roy: Monsieur le député, bien que je souhaite pouvoir vous répondre par l'affirmative, je suis obligé de vous dire que nous n'avons pas fait d'étude spécifique sur le statut des minorités dans les sociétés dites islamiques. Cependant, nous venons de recruter quelqu'un qui a fréquenté la London School of Economics. Cette personne, qui se spécialise dans les questions touchant les minorités, va travailler avec nous.

[Traduction]

    Comme je vous l'ai dit, nous souhaitons participer à l'avenir aux travaux en Irak et en Iran. Nous l'avons engagé pour cela, parce qu'il s'y connaît remarquablement sur cette région du monde et sur la question dont vous parlez.

+-

    The Chair: Y a-t-il des questions supplémentaires?

    Vous êtes bien silencieux.

+-

    M. Deepak Obhrai: Eh bien, la question des droits des minorités est vraiment importante. Puisque vous n'avez pas fait d'études...et j'ai le regret de dire que même nous, lors de nos visites dans des pays du monde musulman, ne nous sommes pas vraiment penchés sur cet aspect de la question. Tout le monde s'est concentré sur les autres aspects de la guerre contre le terrorisme—les droits des femmes, la démocratie, la compatibilité avec la notion de « démocratie »—mais on dirait que ce domaine critique est passé entre les mailles du filet. Nous ne le voyons pas et nous ne sommes pas conscients de sa réalité.

    Nous sommes allés en Inde, un pays avec une minorité musulmane, voyez-vous, et nous avons examiné cela. Mais c'était en quelque sorte marginal, et je me demandais donc ce que vous aviez fait de votre côté.

    Cela reviendra sans doute à l'occasion d'autres questions que nous essaierons d'aborder aussi.

º  +-(1645)  

[Français]

+-

    Mme Iris Almeida: Merci beaucoup.

    Dans chaque pays où nous faisons des interventions à long terme, nous réalisons une étude consolidée sur l'état de la démocratie, en prenant en compte des instruments internationaux des Nations Unies comme l'International Bill of Rights. Dans quelques-unes des études, particulièrement celle sur le Pakistan, nous avons traité de la question des minorités.

[Traduction]

    Les musulmans ahmadis du Pakistan ont occupé une place très importante dans cette étude.

[Français]

    Je tiens simplement à vous dire que le problème des minorités est devenu pour nous un des phénomènes principaux qui nous permettent de comprendre et de gérer la diversité et le pluralisme démocratique dans nombre de pays. Il y a plusieurs angles par lesquels on peut aborder le problème, et pour l'instant, nous le faisons surtout par l'entremise d'un projet qui s'appelle

[Traduction]

Fondamentalisme et droits de l'homme.

    Nous essayons d'organiser des missions d'enquête dans les pays où se déroulent des atrocités, par exemple dans le Gujarat, en Inde, où les musulmans ont été victimes d'atrocités. Nous envoyons une mission ou nous rédigeons des rapports lorsqu'il y a des situations de ce genre.

    Mais, comme vous le dites, il faudrait étudier beaucoup plus en profondeur la question des droits des minorités dans un contexte plus général.

[Français]

+-

    Le président: Monsieur Simard, s'il vous plaît.

[Traduction]

+-

    Mr. Raymond Simard (Saint Boniface, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Je suis nouveau à ce comité et je n'ai donc pas le même recul que les autres membres. C'est une des premières réunions à laquelle j'assiste. J'ai toutefois eu l'occasion d'aller au Pakistan l'automne dernier avec le Sous-comité du commerce international. J'ai passé quatre ou cinq jours à Islamabad, à Karachi et à Lahore.

    Il faut reconnaître que la chambre de commerce de Lahore, par exemple, ne reçoit pas de visites de Canadiens ni de représentants des autres pays, d'ailleurs.

    Ce qui m'a énormément impressionné, tout d'abord, ce sont les possibilités économiques de ce pays. Mais j'ai aussi été intrigué de constater à quel point le stéréotype de pays islamique qu'on inflige à ces gens-là les empêche de faire des affaires avec de nombreux autres pays. On pouvait sentir très concrètement à quel point ils voulaient être acceptés par le Canada; c'était comme s'ils disaient : « Si le Canada ne fait pas d'affaires avec nous, qui d'autre en fera? ».

    Je ne suis pas sûr que ce soit une question, c'est plutôt un commentaire. Vous dites que le Canada a un rôle à jouer au sein des pays islamiques, et je crois en effet qu'ils comptent sur nous pour leur ouvrir des portes. Je pense que c'est peut-être un des rôles que nous devons jouer.

    Peut-être avez-vous quelque chose à dire à ce sujet.

[Français]

+-

    M. Jean-Louis Roy: Monsieur le député, votre commentaire comprend à la fois une question et une réponse, d'une certaine manière. Dans le fond, vous nous demandez quels sont les avantages comparatifs d'un pays comme le nôtre dans ces régions du monde dont nous parlons aujourd'hui.

    Si on met de côté certains éléments des questions liées à la sécurité continentale qui sont apparus au cours des derniers mois et des dernières années, il est absolument certain que l'image que projette le Canada, notamment au plan de la diversité, est mieux appréciée que certaines images que projettent d'autres pays, notamment en Europe, au plan de la diversité. Il n'y a pas ici d'attitude anti-islamique d'une façon, je dirais, presque structurée. Comme je le disais tout à l'heure, j'ai vécu en Europe pendant 14 ans. J'ai malheureusement observé en France, où je me trouvais, et dans beaucoup de pays européens des attitudes extrêmement pénibles. C'est généralement l'extrême-droite qui a gagné le débat politique sur ces questions, de telle façon que ceux qui viennent d'ailleurs, et notamment du Maghreb et d'Afrique, sont vus comme des gens dangereux qui prennent les emplois. L'image générale est donc extraordinairement négative. Je pense que nous ne sommes pas vus ainsi.

    De plus, je crois qu'aucun pays n'a à craindre quoi que ce soit du Canada. Nous ne sommes pas les États-Unis d'Amérique, l'Inde ou l'Union européenne. Nous pouvons entretenir un certain rapport d'égalité avec beaucoup de pays sans que nos interlocuteurs ressentent de suspicion. Ils peuvent prendre la mesure de ce que nous sommes réellement, ni plus ni moins. Je pense qu'il s'agit là d'un facteur important.

    D'autre part, les Canadiens--on le voit beaucoup en Afrique et vous l'avez observé au Pakistan--sont dans le monde et sont appréciés là où ils sont. Les Canadiens sont présents un peu partout dans le monde, très présents même, et sont appréciés là où ils sont. Je crois que cela fait partie de certains de nos avantages comparatifs. Je crois cependant que l'image du Canada, sous l'autorité de l'ancienne ministre responsable de l'ACDI, a certainement commencé à s'estomper un peu du fait que nous avons décidé d'intervenir dans les affaires du monde beaucoup plus à travers les institutions multilatérales qu'auparavant. Nous gardons très peu de latitude pour des interventions propres du Canada.

    Vous me direz qu'il est difficile de faire autrement. Sans doute, mais je vois peu de pays qui le font autant que le Canada. Le Canada le fait à un niveau extrême. Si vous regardez l'évolution des budgets de l'ACDI, ce que pouvait faire l'ACDI dans le monde il y a 15 ans et ce qui reste aujourd'hui de son budget après avoir payé les institutions multilatérales annuellement, vous verrez que la marge qui reste est extraordinairement limitée. Il y a certainement là un problème important.

    Je trouve votre observation très intéressante. Ce que vous dites pour l'économie est aussi vrai pour la justice, pour les valeurs démocratiques et pour les droits et libertés. Nos partenaires d'autres régions du monde regardent la nature du dialogue que nous entretenons avec les grandes ONG de cette région du monde dont vous parliez, et d'autres aussi, et se demandent comment nous pouvons établir un dialogue d'une telle franchise. Cela vient peut-être aussi de la forte tradition du Canada, ou de son histoire dénuée de quelque lourd passé que ce soit vis-à-vis de ces régions du monde et ainsi de suite.

    Hier, en Côte d'Ivoire, il s'est dit des choses sur le système judiciaire de ce pays. Les Ivoiriens qui étaient présents disaient qu'ils seraient sortis de la salle si cela avait été tout autre pays, mais qu'ils étaient restés parce que c'était le Canada. Ces propos, qui étaient même extrêmement sévères à l'endroit de leur système judiciaire, avaient un caractère non violent et n'étaient pas négatifs. Je pense que cela est bien significatif.

º  +-(1650)  

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Macklin, c'est à vous.

[Traduction]

+-

    M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.): Je crois que vous venez de parler dans une certaine mesure de ce que j'allais justement dire. Vous dites qu'il y a des ouvertures énormes pour le Canada. Je crois que vous avez notamment dit que nous devrions participer plus au dialogue avec l'Islam spirituel.

    Pourriez-vous développer un peu cette idée d'un dialogue que nous devrions avoir avec, comme vous l'avez dit, je crois, « l'Islam spirituel »?

+-

    M. Jean-Louis Roy: Merci beaucoup.

    C'est une question très complexe et tout à fait fondamentale.

    Comme vous le savez mieux que moi, la dimension religieuse occupe encore une place extrêmement prédominante dans la vie d'une grande majorité d'hommes et de femmes dans le monde entier, plus peut-être même dans cette région-ci du monde que dans certaines parties de l'Europe. Il faut le reconnaître et le respecter. Nous devons, comme le disait tout à l'heure Iris, essayer de comprendre ce que cela signifie dans la vie d'un homme, d'une femme ou d'une communauté. Cette présence de la dimension religieuse est très importante et il faut en tenir compte.

    Il faut essayer de comprendre le lien entre les croyances religieuses des gens et notre vision des droits de la personne. Il faut voir s'il y a un lien possible entre les deux.

    J'ai ici un ouvrage d'un des plus grands écrivains du monde islamique, Kakim Ben Hammouda, qui est paru il y a 10 jours en Tunisie. À la fin de son livre, à la dernière page, il dit que nous devons demeurer tels que nous sommes. Nous avons des croyances religieuses...

º  -(1655)  

[Français]

    Le livre est écrit en français. Mais Hammouda écrit aussi que nous devons abandonner trois choses. Premièrement, nous devons arrêter de nous référer à l'âge d'or de l'islam comme étant l'avenir. L'âge d'or de l'islam, c'était il y a cinq siècles. Deuxièmement, nous devons abandonner l'image de Saladin et arrêter de croire que le salut de nos sociétés est toujours collectif, dit-il. Nous devons donner à l'individu la liberté ainsi que les moyens de vivre librement sa compréhension individuelle de sa propre existence. Troisièmement, dit-il, nous devons arrêter de rendre les autres responsables de ce qui nous arrive et commencer à nous interroger nous-mêmes, à nous poser un certain nombre de questions sur les difficultés que nous rencontrons.

    Voilà la réponse de ce grand philosophe, qui est meilleure que la mienne: nous devons rester l'islam, dit-il, mais nous devons arrêter de rêver notre avenir en termes de l'âge d'or, qui a eu lieu il y a cinq ou six siècles; nous devons arrêter de penser collectif et retourner vers les libertés de l'individu; nous devons arrêter de rendre tout le reste du monde responsable de nos propres difficultés et devenir plus critiques de ce que nous faisons.

    Je crois qu'on peut établir un dialogue sur les trois derniers points, qui nous intéressent dans la mesure où on prend aussi en considération sa première affirmation: nous appartenons à l'islam, nous avons cette croyance. Comme on l'a dit plus tôt, ils seront deux milliards à croire en cette religion dans 15 ans. On ne peut donc pas faire semblant que cela n'existe pas.

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    Le président: Merci beaucoup, monsieur Roy, madame Almeida et monsieur Lipsett. Votre présence parmi nous a été des plus intéressantes. Nous aurons sûrement l'occasion de nous revoir et de vous entendre à nouveau. Je vous remercie encore une fois d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer ici, à Ottawa.

[Traduction]

    Je précise à mes collègues que nous avons un avis de motion pour une rencontre avec les représentants du Programme alimentaire mondial des Nations Unies. M. James T. Morris, directeur exécutif, sera à Ottawa le 23 mars 2004, c'est-à-dire un mardi, et comme ce sera le jour du budget, nous voudrions essayer de le rencontrer le matin. Je voulais simplement vous le signaler.

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    L'hon. Art Eggleton: Dans un document, on dit l'après-midi et dans l'autre, le matin.

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    The Chair: Nous avons changé le moment parce que l'après-midi, il y aura le budget...

+-

    L'hon. Art Eggleton: Il est disponible le matin?

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    The Chair: Oui, le budget sera présenté l'après-midi et je ne voudrais pas prévoir une réunion qui entrerait en conflit avec la présentation du budget. Je ne veux pas de conflit avec le budget.

    Je voulais simplement vous prévenir.

[Français]

    Monsieur Roy, vous avez la parole.

+-

    M. Jean-Louis Roy: Je voudrais m'excuser auprès des membres du comité du fait que nous n'avions pas de documents. Nous pensions parler de deux sujets. Le premier était le five year review de Droits et Démocratie, qui vient d'être terminé mais qui n'a pas été déposé au Parlement.

    En ce qui a trait au deuxième sujet, nous allons envoyer au président et aux membres du comité une note, en début de semaine prochaine, qui va reprendre l'essentiel de ce que nous avons dit ici aujourd'hui.

    Merci beaucoup.

+-

    Mme Francine Lalonde: [Note de la rédaction: inaudible] Vous ne pouvez même pas le changer.

-

    Le président: Le greffier vient de m'informer que le document a été déposé hier, en fin de journée, à la Chambre.

    La séance est levée.